Droits et répression
Au Paraguay, onze paysans et six policiers ont été tués; treize paysans ont été poursuivis en justice et plus de cinquante ont été incriminés au cours d’un conflit portant sur la terre, l’un des plus violents de l’histoire récente du pays. En Uganda, femmes,enfants et hommes qui vivent de la pêche et à qui on dénie l’accès au lac Victoria sont menacés par les tirs des gardes de la sécurité privée s’ils traversent les limites établies par les investisseurs. Ces derniers revendiquent avoir acheté le lac. Aux USA, des femmes employées par de grandes chaînes de distribution de produits alimentaires sont placées sous surveillance, victimes d’harassement sexuel sur leur lieu de travail, et sous-payées. En Mongolie, les éleveurs nomades essaient de survivre aux conséquences désastreuses de la destruction de leur habitat par les activités minières. Tels sont quelques uns seulement des témoignages de violations des droits humains et d’abus que ce numéro du bulletin de Nyéléni a rassemblé.
Ils montrent une criminalisation croissante envers les mouvements sociaux qui défendent la souveraineté alimentaire dans le monde entier. Nous ne connaissons pas l’ampleur réelle de cette situation, étant donné que de nombreux abus, de nombreux conflits et violations de droits humains qui touchent l’ensemble du système alimentaire actuel restent invisibles et non détectés. Cependant, ces informations rares et éparses ont été suffisantes pour que les organismes de contrôle des Nations Unies (NU), tels que la Rapporteuse spéciale sur les défenseurs des Droits de l’homme, déclare que le second groupe le plus vulnérable des défenseurs des droits de l’homme est celui constitué par ceux qui s’occupent des problèmes liés à la terre, aux ressources naturelles et à l’environnement. L’Organisation internationale du travail a également rapporté que les faits d’asservissement et d’esclavagisme sont particulièrement fréquents sur certains lieux de travail de la chaîne alimentaire – tels que les grandes plantations, les abattoirs industriels et les chalutiers. La criminalisation croissante des activistes de la souveraineté alimentaire est une des principales menaces à laquelle notre mouvement doit faire face. Suivant le contexte, la criminalisation peut être, par exemple, encouragée par un état autoritaire qui ne permet pas aux gens de s’organiser de manière autonome; ou par l’érosion des institutions et de la culture portant sur les droits de l’homme de pays qui avaient un niveau élevé de protection dans ce domaine. Cette criminalisation peut également être facilitée par des acteurs autres que l’Etat, tels que des sociétés commerciales et des médias, qui font passer des lois compromettant ou rendant illégales les activités économiques des éleveurs nomades, des communautés de pêcheurs, des paysans et des cueilleurs; ou qui privent ces groupes de l’accès aux ressources naturelles; ou qui démantèlent la protection offerte par le droit du travail, les réglementations environnementales et sanitaires.
Il faut que nos mouvements et nos organisations développent leurs stratégies et les améliorent pour faire face à cette criminalisation grandissante. Ce bulletin présente quelques unes de nos expériences et initiatives stratégiques actuelles à ce sujet. Nous rappelons comment la lutte des peuples autochtones pour la reconnaissance, dans la législation nationale et internationale, de leurs droits collectifs à leurs terres, à leur territoire, à leur savoir ancestral, à un consentement libre, préalable et informé, ainsi qu’à une autodétermination concernant leur évolution économique, sociale et culturelle fut un combat précurseur pour la souveraineté alimentaire. D’autres composantes rurales telles que les communautés paysannes et les communautés de pêcheurs demandent également une reconnaissance de leurs droits distinctifs aux ressources naturelles et au développement autodéterminé de leur propre système d’alimentation et de leurs activités économiques. La procédure en cours pour rédiger, dans le cadre des NU, une Déclaration sur les droits des paysans et paysannes et autres personnes travaillant en milieu rural ainsi que les Directives de la FAO sur la pêche artisanale représentent deux initiatives qui visent à donner plus de pouvoirs aux paysans et aux pêcheurs et à bâtir un cadre légal en faveur des producteurs à petite échelle de denrées alimentaires, tout comme en faveur du bien-être et de la santé publics.
Nous avons également besoin d’approfondir nos liens avec le mouvement des droits de l’homme pour défendre les acquis dans ce domaine, pour combler les vides, continuer à développer et renforcer la législation sur les droits humains de manière que cette législation exerce une suprématie sur le droit et les investissements commerciaux. Il nous faut aussi continuer à étendre notre mouvement et à construire une unité entre nos alliances formées des diverses composantes. Aucune de nos composantes, à elle seule, ne sera capable de défendre ses droits et de surmonter de manière efficace les menaces auxquelles nous devons faire face.
Sofia Monsalve, FIAN International