Sous les feux de la rampe

Sous les feux de la rampe 1

De Nyéléni au Sommet des Peuples : les convergences pour le changement

« Il n’y a pas de cause unique à notre lutte parce que nous ne vivons pas une vie à problème unique. » Audre Lorde

En 2025 et 2026, les mouvements sociaux ont plusieurs occasions de converger et de construire des alternatives systémiques aux crises croisées que nous traversons actuellement. Ce sera pour nous l’occasion de nous mobiliser contre les entités qui accaparent nos terres et territoires, qui oppriment nos communautés et divisent nos mouvements avec des politiques d’extrême droite : des entreprises transnationales, des oligarques et leurs connivences avec des dirigeants autoritaires.  Le troisième forum mondial Nyéléni (tenu en septembre), le Sommet des Peuples en amont de la COP 30 et la CIRADR +20 rassemblent des mouvements sociaux qui œuvrent pour un changement systémique, en partant de points différents et de contextes géographiques et politiques divers, mais avec des objectifs communs.

La question de comment contrer l’escalade de l’accaparement des ressources en raison des politiques néolibérales (voir l’article « Sous les feux de la rampe 2 ») sera au cœur de tous ces espaces. L’une des principales réponses à cette question est la revendication d’une réforme et d’une redistribution agraires.

Le mouvement pour la justice climatique s’oppose au système des énergies fossiles qui rend notre monde invivable, pollue et fait main basse sur les terres et les eaux des pêcheur·euses et des paysan·nes. Nous luttons contre le complexe militaire-industriel, responsable de souffrances considérables, de 5 % des émissions mondiales et de la criminalisation des défenseur·euses de l’environnement tout en recevant des milliards d’argent public qui pourraient être consacrés aux services publics ou au financement de l’action climatique. Nous luttons contre la financiarisation de la nature, lorsque de prétendues actions climatiques deviennent un nouveau moyen pour que les banques et fonds d’investissement profitent de la destruction, tout en dépossédant les peuples autochtones et ruraux. Nous savons qu’il ne peut y avoir de justice climatique sans justice économique, sans indemnisations pour les destructions du passé, ou l’allègement de la dette. C’est impossible sans réforme foncière, sans les savoirs autochtones et paysans et sans s’attaquer aux inégalités criantes. Aussi, nous sommes solidaires des autres mouvements, notamment le mouvement pour la souveraineté alimentaire.

La souveraineté alimentaire offre une organisation totalement différente de la production et la consommation alimentaires. Elle revendique l’alimentation comme un droit humain et non une marchandise et redonne le pouvoir aux classes ouvrières rurales et urbaines (beaucoup de ces personnes sont également des producteur·rices alimentaires). L’objectif est de relocaliser les systèmes alimentaires et de respecter et construire des savoirs traditionnels. Ce cadre a également politisé l’agroécologie : la science, la pratique et le mouvement pour l’agriculture écologique qui s’est imposée comme l’un des meilleurs exemples de solutions issues de la base dans le monde.

Lors du troisième Forum Nyéléni, les mouvements ont approfondi et étendu ce cadre pour parvenir à une transformation systémique, par exemple en s’attaquant aux fausses solutions, en s’opposant à l’utilisation de la nourriture comme arme de guerre, dont nous voyons les effets dévastateurs à Gaza, et en ajoutant aussi des aspects économiques et de justice climatique. Ces moments requièrent que nous élargissions et renforcions nos alliances et luttes collectives pour l’émancipation, la justice, l’autonomie et le droit à l’autodétermination.

Les mouvements de la base composés de peuples autochtones, paysan·nes, pêcheur·euses, personnes noires, féministes, travailleur·euses, migrant·es sont les grands protagonistes dans la lutte pour la justice climatique, la souveraineté alimentaire et la redistribution des ressources.

Ce sont les paysan·nes, les pêcheur·euses et les peuples autochtones qui sont en première ligne de la défense contre les projets extractifs sur leurs terres. Ce sont les récupérateur·ices de déchets qui travaillent dur pour un monde sans plastique dérivé du pétrole. Ce sont les féministes de la base qui ont revendiqué des économies pour la vie et les soins, pas pour l’extraction. Ce sont les communautés noires et autochtones qui partagent avec le monde leurs savoirs historiques et traditionnels concernant la médecine et la production alimentaire. En leur redonnant leurs terres, de vraies solutions de la base peuvent se concrétiser.

Les peuples organisés ont depuis longtemps apporté des changements progressifs à plusieurs échelles. Aujourd’hui, nous sommes confrontés à l’effondrement des démocraties, à la montée de puissants oligarques et à la collusion des entreprises avec la classe politique. Ensemble, de Nyéléni au Sommet des Peuples et lors de la CIRADR +20, nous aborderons ce défi avec espoir et solidarité. Avec des solutions réelles et pratiques qui améliorent le quotidien de tout le monde.

Sous les feux de la rampe 2

La réforme agraire et la redistribution doivent être au cœur des politiques climatiques

Confier les terres et les territoires aux petit·es producteur·rices alimentaires, peuples autochtones et communautés rurales constitue l’une des stratégies les plus efficaces pour arriver à la justice climatique. Les régimes fonciers garantis et équitables sont directement liés à une gestion des ressources écologiquement saine des territoires, des systèmes alimentaires durables, la justice sociale, la paix et le bien-être. Sans politiques de redistribution, la concentration des terres et des ressources continuera d’alimenter la destruction écologique et de creuser les inégalités.

Les inégalités foncières jouent un rôle central pourtant sous-estimé dans la triple crise environnementale du changement climatique, de la perte de biodiversité et de la pollution. Aujourd’hui, 1 % seulement des exploitations agricoles contrôlent 70 % des terres agricoles mondiales, alors que la majorité des communautés rurales, les peuples autochtones et les petit·es producteur·rices de denrées alimentaires sont victimes de dépossessions et de violence. Il s’agit non seulement d’une violation de leurs droits humains, mais aussi d’une entrave à leur capacité prouvée à être des gardiens des écosystèmes. Les territoires sous leur responsabilité enregistrent régulièrement des taux de déforestation inférieurs, davantage de biodiversité, une meilleure gestion de l’eau et une résilience accrue au climat.

Depuis la crise financière de 2008, les terres sont de plus en plus considérées comme des biens financiers, entraînant de la spéculation, des acquisitions à grande échelle et le déplacement de communautés. Plus récemment, les « accaparements verts » liés aux compensations carbone et marchés de la biodiversité se sont multipliés, et ces mécanismes représentent désormais 20 % des grands accords fonciers. Ces initiatives, vendues comme des solutions aux dérèglements climatiques, participent souvent à la spoliation de communautés et à l’érosion de la gestion écologique. Pendant ce temps, les systèmes alimentaires industriels et aux mains des grandes entreprises, qui dépendent de monocultures, d’énergies fossiles et d’agrochimiques, restent les principaux responsables des émissions de gaz à effet de serre, de la déforestation, et de la dégradation des sols et de l’eau.

Les petits exploitants quant à eux, qui n’utilisent que 35 % des terres cultivées dans le monde, mais nourrissent plus de la moitié de l’humanité, utilisent des systèmes agricoles divers et agroécologiques qui renforcent la résilience et réduisent les émissions. Leur contribution est indispensable pour l’adaptation climatique, la conservation de la biodiversité et la souveraineté alimentaire. Néanmoins, leur capacité à garder ce rôle dépend de droits garantis aux terres, à l’eau et aux territoires.

La question de qui détient et contrôle les terres est donc indissociable du défi de construire un avenir juste et durable. Agir contre les inégalités foncières par le biais de politiques de redistribution des régimes fonciers n’est pas seulement un devoir des États relevant des droits humains, c’est aussi un impératif social et écologique. Une réforme agraire peut arrêter et inverser l’accaparement des terres, réduire les inégalités, renforcer la conservation reposant sur les communautés et permettre des transitions justes vers l’agroécologie et des systèmes alimentaires durables.

C’est pourquoi la réforme agraire et des politiques de redistribution des régimes fonciers doivent être des pierres angulaires des stratégies climatiques. Leur promotion par le biais de politiques publiques permet aux communautés rurales et aux peuples autochtones de gouverner et gérer leurs territoires de façon autodéterminée. Une attention particulière doit être portée aux mesures garantissant le respect, la protection et l’application effective des droits des paysan·nes, petit·es producteur·rices de denrées alimentaires, peuples autochtones et communautés rurales dans le contexte des marchés du carbone et de la biodiversité. En somme, confier le contrôle des terres aux peuples et communautés rurales et assurer leurs droits fonciers existants (en particulier les droits collectifs et coutumiers) jette les bases de transitions justes vers des modèles économiques et des sociétés durables et équitables.