L’écho des campagnes

L’écho des campagnes 1

Les pêcheurs disent non a l’initiative des pêches côtières

Forum mondial des Communautés de Pêcheurs (WFFP) et Forum Mondial des Pêcheurs et des Travailleurs de la Pêche (WFF)

La FAO, la Banque mondiale, la Conservation internationale et d’autres ont lancé en juin 2015 l’initiative de pêche côtière, un vaste programme dont le but est de réformer les politiques en matière de pêche dans le monde. Sur une période de quatre ans, 235 millions de dollars américains seront distribués pour des projets dans les pays d’Amérique latine, d’Afrique, et d’Asie de Sud-est.

Nous, en tant que représentants de plus de 20 millions de pêcheurs, souhaitons exprimer notre opposition ferme à cette initiative, qui est en contradiction flagrante avec l’application de la récente mesure visant à sécuriser la pêche artisanale durable [Disponible ici].

Le document faisant état du cadre du programme [Disponible ici] de cette initiative a été mis sur pied et rédigé par un processus venant d’en haut, impliquant exclusivement les personnes du Fonds pour l’environnement mondial, l’un des plus grands sponsors de cette initiative. L’initiative viole le principe fondamental de participation de la directive évoquée plus haut, qui met l’accent sur le fait que les communautés de pêche artisanale affectées doivent être impliquées dans la décision avant que celle-ci ne soit prise. Nous étions réduits au niveau des autres « parties prenantes », elles-mêmes sur un pied d’égalité avec les représentants du secteur privé, des universitaires, etc., alors que nous représentons ceux qui sont les plus touchés par cette initiative.

Par conséquent, il est désormais évident pour nous que les programmes pour les pays ciblés par l’initiative mettent tous l’accent sur la mise en œuvre d’une approche fondée sur les droits de pêche. Une telle approche ne tient pas compte des systèmes de gestion et de gouvernance locale existant et il ne parvient pas à reconnaître que les problèmes liés à la pêche résultent principalement d’une mauvaise gouvernance ou gestion, ainsi que de l’inefficacité due au manque de propriété privée [Voir « L’accaparement mondial des mers »]. Le processus de privatisation découlant de l’approche fondée sur les droits de pêche sert clairement les intérêts d’une petite élite, tandis qu’elle dépossède fort malheureusement une grande majorité.

L’introduction de cette approche dans les pays ciblés et partout ailleurs serait en contraste direct avec le contenu progressif de la directive susmentionnée, qui souligne la nécessité d’une approche fondée sur les droits de l’homme, un outil essentiel à la réduction de la pauvreté. Dans cette optique, l’initiative introduit des politiques donnant clairement la priorité aux intérêts du secteur privé et/ou ne tenant pas compte des préoccupations environnementales.

Par conséquent, nous avons refusé une invitation à devenir membre du comité de direction de l’initiative. Accepter l’invitation, alors que le contenu de cette initiative est déjà explicitement défini, légitimerait les politiques communes de la pêche et contre lesquelles nous avons passé des années à lutter. Ce serait un énorme coup donné à la mise en œuvre de la directive volontaire visant à assurer la durabilité de la pêche artisanale, pour laquelle nous continuons à nous battre.

L’écho des campagnes 2

Wilmar : aucune terre a vendre*

Amis de la Terre, États-Unis et Nigéria

Le palmier à huile est originaire d’Afrique de l’Ouest et l’huile de palme, dans sa forme la plus brute, est un aliment de base du régime alimentaire de l’Afrique de l’Ouest. Cependant, ce qui n’est pas originaire de cette région, et qui a des effets néfastes dans la forêt tropicale de l’État nigérian de Cross River, c’est l’expansion à l’échelle industrielle des plantations de palmiers à huile par la plus grande entreprise de commerce d’huile de palme, Wilmar International. Depuis 2010, Wilmar a acquis 30 000 hectares de terres pour les plantations de palmier à huile dans le Sud-Est du Nigéria et l’entreprise a déjà élargi sa banque de terres à des centaines de milliers d’hectares.

Le Nigéria est l’un des dix pays africains signataires de la Nouvelle Alliance pour la sécurité alimentaire et la nutrition, stratégie des pays du G8 visant à mobiliser des investissements étrangers à grande échelle dans le secteur agricole africain. En tant que partenaire de la Nouvelle Alliance, Wilmar pourrait obtenir une « garantie de l’acquisition de terres », tirer profit des « salaires bas » et recevoir des congés fiscaux dans un processus destiné à « facilité les affaires au Nigéria ». Cependant, la Nouvelle Alliance pourrait causer plus de mal que de bien aux petits producteurs, en augmentant les risques d’expropriation de terres et en fragilisant les droits et les régimes fonciers.

Le rapport des Amis de la Terre, « Exploitation et vaines promesses : expropriation de terre nigériane par Wilmar [Disponible ici]» révèle que la récente acquisition de Wilmar dans l’État de Cross River a déplacé la population locale et qu’elle menace désormais les zones forestières protégées abritant la plus grande biodiversité de l’Afrique. Un agriculteur récemment déplacé par les activités de Wilmar au Nigéria a affirmé : « en prenant nos terres, Wilmar nous déclare morts ».

Par conséquent, Wilmar International et ses filiales au Nigéria doivent :
1. Mettre fin à leurs plans d’expansion avec effet immédiat ;
2. Publier tous les plans de concession, les évaluations de l’impact socio-environnemental, les politiques d’emploi, les procès-verbaux des consultations communautaires ;
3. Réviser entièrement et examiner leurs protocoles visant à obtenir un consentement libre, préalable et éclairé en cohérence avec les meilleures pratiques mondiales, et rependre un processus de consultation ouverte avec la population affectée.

Par ailleurs, le gouvernement nigérian doit encourager et favoriser la production agricole des petits exploitants et entamer un processus de réforme de son régime foncier en adéquation avec les Directives volontaires de la FAO sur la gouvernance responsable du régime foncier, de la pêche et de la sylviculture dans le contexte de la sécurité alimentaire nationale.

Selon les Amis de la Terre Nigéria et le Centre de développement des ressources de la forêt tropicale, si Wilmar n’améliore pas ses activités, l’entreprise ferait mieux de plier bagage et de s’en aller.

*Basé sur « Exploitation et vaines promesses : expropriation de terres nigérianes par Wilmar», résumé, disponible ici.

L’écho des campagnes 3

Accaparement des villes par les industries au Honduras : une menace particulière contre les femmes*

Andrea Nuila et Ismael Moreno

Les « charter cities » (villes à chartes) sont des petites villes dans l’État: il s’agit de territoires attribués à une tierce personne. Pendant la période législative 2010-2013, le Congrès national de Honduras, constitué en majorité par des législateurs ayant soutenu le coup d’État de 2009, a approuvé la loi sur les charters cities. Les citoyens y ont vu un acte de trahison envers le pays et ont contraint la Cour suprême à déclarer cette loi inconstitutionnelle en octobre 2012. Malgré cela, une nouvelle version de la loi a tout de même été approuvée en 2013.

Pour l’élite d’affaires et politique, les villes à chartes ne sont pas inhabituelles. Elles sont une forme élargie de l’industrie de maquila, imposée depuis les années 90 : un véritable paradis fiscal pour le trafic des êtres humains est pratiqué avec l’accord de politiques qui ignorent le Code du travail et licencient des travailleurs arbitrairement.
La soi-disant loi organique pour l’emploi et le développement économique (projet de loi des villes à chartes) permet que des morceaux de territoire soient remis et administrés par un ou plusieurs groupes de pays ou par des sociétés transnationales, créant de villes autonomes destinées à encourager les investissements étrangers.

Une ville à chartes dans le territoire d’un pays avec une société économique, sociale et politique en faillite ne fera qu’approfondir les inégalités et les déséquilibres à l’extrême. Les femmes et les organisations féministes ont particulièrement élevé leur voix contre cela et elles ont fait part de leurs préoccupations concernant les impacts négatifs que ces « zones spéciales »auront inévitablement sur le corps et la vie des femmes à l’échelle nationale.

Il est important de mettre en évidence que les femmes au Honduras vivent déjà dans une société patriarcale extrêmement violente (1 femme est tuée toutes les 16 heures), renforcée par l’impunité, la criminalisation des défenseurs des droits des femmes et la discrimination institutionnelle contre les femmes. Dans les zones rurales, où la majorité des villes à chartes sont prévues, des taux élevés de violence contre les femmes font rage, tout comme une augmentation croissante des expulsions et un accès limité aux soins de santé et aux ressources naturelles.

Les paysans, les femmes autochtones et d’origines africaines seront, sans aucun doute, les groupes les plus touchés de la construction de ces villes. Selon le chef de Garifuna, Miriam Miranda, avec la construction des villes à chartes, le gouvernement hondurien met 70% du territoire Garifuna (des communautés d’origine africaine) à risque.

Un État absent et la possibilité des villes à chartes de fournir des services publics, de décider sur les normes locales et sur la réglementation fiscale ne feront que mettre les femmes dans une position davantage vulnérable.

*Texte basé sur « A Charter City Amidst a Tattered Society » publié dans Le journal du droit à l’alimentation 2015 du FIAN, vol. 10.

L’écho des campagnes 4

Dématérialisation des semences : le cas de « DivSeek »*

Via Campesina

Après une semaine de discussions ardues au siège de la FAO à Rome, le 9 Octobre 2015, le Conseil d’administration du Traité international sur les ressources génétiques des plantes pour l’agriculture alimentaire, le Traité sur les semences, devait choisir à sa sixième session entre la peste et le choléra, c’est-à-dire accepter comme fait accompli ses« arrangements de gouvernance » irréguliers, pour ainsi dire, ou sombrer dans une crise ouverte.

Afin de prévenir un éclatement immédiat, il a été déclaré comme valide:
1. L’engagement de son secrétariat au programme DivSeek qui organise la biopibiopratie au niveau mondial. DivSeek vise à séquencer les génomes de toutes les variétés des ressources génétiques des plantes stockées dans les banques de gènes, en travaillant à la publication électronique de l’information génétique sur les semences confiées à des banques de gènes, dont le Traité sur les semences est responsable. Elle permettra la propriété de toutes les plantes qui contiennent ces séquences et qui ont une caractéristique liée. Tout cela sans prendre en compte l’interdiction de brevets ni le partage des avantages, violant ainsi les règles du traité.
2. Une résolution laissant les agriculteurs sans possibilité de se défendre contre cette violation des droits, qui sont pourtant stipulés dans le traité. Les brevets sur les informations génétiques publiés par DivSeek vont en effet interdire aux agriculteurs de cultiver les semences qu’ils ont données gracieusement aux groupes visés par le traité.
3. Le renouvellement du contrat de son secrétaire général, qui a été effectué secrètement, violant ainsi les règles de procédure.

Depuis la ratification de la Convention sur la diversité biologique en 1992, l’industrie des semences a accumulé une énorme dette en puisant dans l’immense réservoir de semences paysannes dans les champs à travers le monde, sans partager aucun des profits générés. En 2013, à Oman, le Conseil d’administration du traité exigeait à l’industrie des semences de trouver une solution équitable. Jusqu’à présent, aucun progrès n’a été réalisé. Bien au contraire, avec DivSeek, l’industrie organise le pillage en laissant toutes les semences, dans leur forme dématérialisée, échapper au contrôle du Traité, et permettant ainsi le brevetage sans aucune restriction.

Via Campesina attend une réaction forte de la part de tous les gouvernements, qui,à Rome, ont reconnu ces détournements inacceptables au vu des objectifs du traité, afin que ce même traité soit remis sur la bonne voie. Via Campesina espère que la prochaine consultation sur les droits des agriculteurs (article 9 du traité) organisée par l’Indonésie en 2016 donner la priorité à ces droits, en garantissant la souveraineté alimentaire contre le vol de semences par les droits de propriété de l’industrie.

*Article de presse disponible ici.