Sous les feux de la rampe

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Ressources naturelles et souveraineté alimentaire

La défense et la lutte pour nos droits à la terre, à l’eau, aux semences, aux races d’élevage, aux pêches, aux forêts, aux océans et à toutes les ressources naturelles dont nous avons besoin pour nous nourrir, et nourrir nos communautés avec dignité, constituent le centre essentiel de la Souveraineté alimentaire.
Mais comment pouvons-nous défendre et lutter pour nos droits aux ressources face aux puissants investisseurs nationaux et internationaux, aux investissements et aux régimes commerciaux déloyaux, à la financiarisation des ressources naturelles, à la cooptation flagrante des Etats par le capital transnational et à la militarisation, à la violence et à la criminalisation à l’encontre de ceux défendant leurs droits aux ressources? Quels rôles pour les politiques et les lois dans ces luttes?

Il n’est pas facile de répondre à ces questions. Le contexte a énormément d’importance. Ce qui fonctionne à un endroit, ou dans une situation donnée, ne fonctionne pas nécessairement ailleurs. Pour autant, nous avons certaines idées qui pourraient nous être utiles, sur lesquelles réfléchir puis les développer.
La loi est l’un des moyens par excellence d’exercice du pouvoir. Tout mouvement populaire, essayant de changer les relations de pouvoir, doit aborder les aspects juridiques pour remettre en question les lois, les politiques et les pratiques injustes et illégitimes. Il en est de même pour élaborer des normes alternatives et un ordre juridique qui sont décisifs à l’heure de créer/ consolider des contre-pouvoirs. Pour les mouvements sociaux se mobilisant pour la Souveraineté alimentaire, la question n’est pas de savoir s’il faut utiliser des stratégies légales mais plutôt quelles stratégies légales utiliser.

Le cadre des droits humains joue donc un rôle fondamental, en particulier lorsqu’il est nécessaire de remettre en cause la législation internationale qui va à l’encontre de l’intérêt des pauvres ruraux, comme le commerce, les régimes d’investissement, environnementaux et de sécurité, ou pour défendre les communautés locales contre les abus perpétrés par les acteurs internationaux. Un droit humain est un droit inhérent à tout être humain sans distinction aucune fondée sur le sexe, l’origine, la race, le lieu de résidence, la religion ou tout autre situation. Les droits humains sont universels, interdépendants et indivisibles, ils visent à protéger la dignité humaine. Ils découlent des besoins et des aspirations de personnes ordinaires, expriment les valeurs éthiques et morales universelles, l’autonomisation de chaque être humain, de leurs communautés et de leurs peuples avec des droits et des réclamations légalement applicables vis-à-vis de leur propre gouvernement ou d’autres gouvernements. Résister à l’oppression est au cœur même des droits humains. Les droits humains s’attaquent explicitement aux inégalités de pouvoir et remettent en question la légitimité des puissants.

La manière d’utiliser le cadre des droits humains peut être très diverse et dépend du contexte. Certains groupes de base et mouvements sociaux utilisent les droits humains et les lois nationales comme stratégies de défense en vue de protéger leurs membres d’abus importants comme la persécution, le harcèlement, les détentions arbitraires, les expulsions forcées violentes et la destruction de cultures, d’animaux ou d’infrastructures agricoles. Dans de tels cas, en recourant aux droits humains et/ou aux droits fondamentaux garantis par la constitution nationale, permet de sauver des vies et fournit des pistes pour des actions susceptibles de recueillir le soutien d’autres secteurs de la société afin de faire face à l’oppression des gouvernements.

D’autres groupes et mouvements utilisent les droits humains et constitutionnels ainsi que les politiques et lois nationales faisant respecter ces droits, pour sensibiliser leurs membres à propos de leurs droits et pour restaurer leur confiance en eux, leur dignité et la conviction que résister à l’oppression est légitime. Il est crucial d’accroître la sensibilisation de l’opinion pour mobiliser et organiser les individus afin qu’ils défendent leurs droits. Par ailleurs, une stratégie légale s’inscrit dans une stratégie plus large visant à modifier la façon dont les conflits pour les ressources sont formulés et perçus par la société. Cette stratégie combine les actions directes et la désobéissance légale – tels que les occupations de terres ou l’entrave à la construction de projets dits de développement – en présentant leurs causes devant les tribunaux ou les autorités administratives.

Les droits humains peuvent également être utilisés pour dénoncer les politiques illégales et les lois telles que les systèmes juridiques favorables aux grandes entreprises dans de nombreux pays et pour soutenir les propositions d’alternatives de la part de peuples en vue de politiques et de lois ouvrant des espaces favorables au dialogue politique qui tiennent compte de la vie des gens.

Bien entendu, les traités sur les droits humains, les constitutions nationales, les lois et les politiques soutenant les droits des peuples ne sont pas d’application directe. Ils doivent toujours être revendiqués par les individus. Jusqu’à présent, Les mobilisations populaires sur le terrain demeurent la seule et principale manière de responsabilisation en matière des droits humains. Les instruments internationaux non contraignants sur les droits humains tels que les Directives pour une gouvernance responsable des régimes fonciers applicable aux terres, aux pêches, aux forêts, ne deviendront effectives que lorsque les mouvements sociaux s’en seront appropriées, les auront réclamées, en auront fait le suivi et les auront mises en application par eux-mêmes. Les instruments volontaires peuvent devenir des outils puissants pour appuyer la dissidence et la résistance aux régimes juridiques destructeurs (comme le commerce et les investissements) et poser les bases pour l’élaboration de politiques alternatives.

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Initiatives pour le respect et la défense de l’eau

Le 28 juillet 2010, suite à un mouvement inattendu, Le Conseil des Droits humains a adopté, par consensus, la Résolution sur les droits humains à l’eau potable et à l’assainissement (Résolution ONU 64/292). Coparrainé par 74 Etats, ceci souligne l’importance du droit à une eau potable sûre et propre et à un assainissement comme étant un droit humain essentiel afin de pouvoir jouir entièrement de la vie et de tous les droits humains. Promu par les mouvements mondiaux du droit à l’eau et la société civile, cette adoption a été accélérée du fait del’institutionnalisation du droit humain à l’eau et à l’assainissement par certains pays d’Amérique Latine dans leurs constitutions comme la Bolivie, l’Uruguay et le Salvador.

Au moins 165 Etats ont signé plusieurs déclarations reconnaissant le droit à l’eau, y compris les membres du Mouvement des pays non-alignés et du Conseil de l‘Europe. La nomination d’un Rapporteur spécial de l’ONU pour le droit à l’eau potable et à l’assainissement constitue une autre avancée importante vers le respect et la défense de l’eau. La première rapporteuse spéciale, Madame Catarina de Albuquerque, a développé plusieurs instruments en vue de la mise en œuvre de ce droit.

Des acteurs de l’Etat, de la société civile et des communautés ont également mis en route des actions en vue de défendre, protéger et conserver l’eau comme étant un droit, un bien public et un bien commun. Un exemple en est la dotation et la gestion, publiques et communautaires, des services de l’eau pour s’opposer à la marchandisation et la privatisation de ce bien et de promouvoir des options durables, écologiques et favorables aux pauvres pour les populations mondiales n’ayant pas accès à l’eau.

Ceci comprend un partenariat entre entreprises publiques, entre entreprises publiques et communautaires, ainsi qu’entre entreprises communautaires, à savoir des partenariats à but non lucratif, mutuellement bénéfiques entre les opérateurs du secteur publique, les communautés locales, les syndicats et autres groupes de l’économie sociale. Ces partenariats démocratiques visent à « promouvoir la collaboration entre les services publics de l’eau et les différents groupes sur une base non lucrative pour en renforcer la capacité technique et de gestion. » Contrairement aux partenariats public-privé, les partenariats entre entreprises publiques offrent un moyen innovant et pratique de partager l’expertise des gestionnaires publics de l’eau en vue de diffuser les bonnes pratiques et les idées relatives à la gestion de l’eau comme le fait d’en assurer la distribution aux communautés urbaines pauvres, en respectant les droits des travailleurs, en adoptant les principales normes sur le travail et en permettant aux consommateurs de participer à la définition de la tarification de l’eau. Ces partenariats entre entreprises publiques appellent également à renforcer le soutien social et politique nécessaire pour une telle coopération mutuelle.

La protection des bassins versants, amont-aval, constitue également un autre modèle innovateur. Aux Philippines, des organisations civiles et des services publics locaux d’approvisionnement en eau ont autorisé des communautés locales à gérer et entretenir les sources d’eau destinées aux villes. Les services publics ont investi directement dans des pratiques de culture agroécologique et des moyens de subsistance pour la communauté, estimant qu’un « bon environnement donne lieu à une bonne eau. » Il existe divers modèles de protection des bassins et d’approvisionnement en eau car ils dépendent des conditions spécifiques à chaque zone particulière. Mais surtout, ces modèles présentent une nouvelle conception de la gestion de l’eau [Pour plus d’exemples lire: Buenaventura Dargantes, Mary Ann Manahan, Daniel Moss and V. Suresh: Water, Commons, Water Citizenship and Water Security] qui rétablit l’eau comme bien commun et permet que la gouvernance de l’eau relève d’une question de justice sociale et écologique, de démocratisation.

Les droits relatifs à l’eau- à savoir, comment utiliser, affecter et gérer les ressources en eau-ont des implications sur l’application du droit humain à l’eau potable et à l’assainissement et sur une nouvelle conception de la gestion de l‘eau. A l’échelle mondiale, les droits de l’eau ont été utilisés comme instrument politique afin de mettre fin à l’accaparement de l’eau par les grandes entreprises et pour s’opposer aux investissements miniers, de fracturation hydraulique et autres investissements destructeurs. Des groupes de citoyens, des gouvernements locaux et des communautés affectés ont organisé des campagnes en vue de protéger leur eau potable, l’eau destinée à l’irrigation et à l’agriculture, et leur identité. Entre autres exemples notons: la guerre pour l’eau à Cochabamba en l’an 2000 qui a expulsé de Bolivie Aguas del Turnari (entreprise en coparticipation avec Bechtel); au Canada, Dow Chemical vs Québec et Lone Pine, en vue de protéger l’eau contre les pesticides et le fracking; El Salvador contre Pac Rim et le cas le plus récent d‘Infinito Gold contre Costa Rica; ou les communautés du Plachimada (Inde) vs. Coca-Cola et Nestlé qui soutiraient et épuisaient les eaux souterraines.