Encadré 1
Pourquoi les communs sont-ils importants pour la souveraineté alimentaire ?
Le concept de « communs », ou « biens communs », fait référence à des formes de richesse, des capacités, des espaces et des ressources qui sont utilisés, gérés et gouvernés de façon collective dans l’intérêt du plus grand nombre. Il peut s’agir, entre autres, de terres agricoles, de zones humides, de forêts, de pâturages, de versants de collines, de cours d’eau, de rivières, de lacs, de mers, de traits de côte et des ressources associées. Les terres agricoles et de pâturage peuvent être administrées par le biais d’une gestion communale tout en reconnaissant et en respectant les droits des familles sur certaines parcelles précises ainsi que les droits de parcours des pastoralistes. De même, les artisans-pêcheurs ne sont pas propriétaires des zones côtières et de pêche ou des fonds marins ; mais ces communs sont essentiels à leurs moyens d’existence. Les communs sont souvent définis par la culture. Bon nombre de communautés considèrent que les semences, les aliments et les plantes sauvages, les poissons, les animaux ainsi que les connaissances traditionnelles en font partie. Partout dans le monde, les populations autochtones, celles vivant dans les forêts, pratiquant l’agriculture, la pêche en mer, le pastoralisme ou le nomadisme ont développé et mis en pratique des systèmes leur permettant de partager leurs communs naturels, de les gérer collectivement et de les régénérer.
Indissociables de la souveraineté alimentaire, les communs recouvrent non seulement des ressources tangibles, mais également des relations sociopolitiques, tout aussi importantes au sein des différents secteurs de la population produisant des aliments, ainsi que de précieuses connaissances sur les habitats, les ressources génétiques, les voies de migration (pour les poissons) ou les routes de transhumance (pour les animaux d’élevage), la résilience face aux catastrophes et aux chocs, etc. En tant que gardiennes des semences et mémoires vivantes des savoirs liés à la biodiversité et aux systèmes alimentaires locaux, les femmes ont un rapport souvent plus étroit avec les communs, à la différence des hommes. Lorsque les communs sont détruits ou privatisés, les populations locales perdent l’accès à des milieux importants où pratiquer la cueillette d’aliments sauvages, la chasse, la pêche et favorisant la régénération de la biodiversité. Les peuples autochtones, quant à eux, soit perdent totalement leurs territoires ancestraux, soit doivent se plier à des restrictions sévères sur ce qu’ils peuvent récolter dans les forêts, les champs et les étendues d’eau.
L’exploitation minière, pétrolière et gazière, l’agriculture industrielle, les projets de barrages ou les régimes relevant de la propriété privée (également appelés domaines) font planer des menaces permanentes sur les communs. Les forêts, les prairies et les zones humides sont converties en champs de monocultures industrielles ou en propriétés luxueuses ; les sources d’eau sont réacheminées pour alimenter les industries touristiques, énergétiques et manufacturières ; et les accords commerciaux et d’investissement permettent aux grandes entreprises d’avoir accès à la biodiversité et aux connaissances, encouragent la biopiraterie et portent préjudice à l’autonomie des peuples autochtones, notamment les femmes. Les ressources naturelles sont privatisées et transformées en marchandises, tandis que les pratiques ancestrales locales liées à la gouvernance et à l’utilisation des ressources par la communauté sont anéanties. Les populations, quant à elles, n’ont plus d’accès aux écosystèmes qui leur ont permis de vivre et dont elles ont pris soin.
Aujourd’hui, les menaces mettant en péril les communs se trouvent amplifiées par les crises alimentaires, financières et climatiques, que les États, les grandes entreprises et les institutions financières utilisent pour asseoir un peu plus leur mainmise sur les richesses naturelles. Les plus vulnérables sont les terres, les forêts, l’eau, les ressources génétiques, ainsi que les connaissances associées, car ils présentent une valeur inestimable pour la production d’aliments, la régénération de la biodiversité, la préservation de la fertilité des sols et le maintien de la vie. Plus que jamais, la défense des communs constitue une stratégie fondamentale pour bâtir la souveraineté alimentaire.
Encadré 2
Produits de la forêt au Cambodge
Depuis une vingtaine d’années, les populations rurales de la province de Pursat, au Cambodge s’organisent pour protéger leurs forêts, leurs terres agricoles, leurs cours d’eau, leurs étangs et leurs communs contre les plantations de l’agriculture industrielle, les barrages et les exploitations forestières ; il est crucial de les protéger afin de conserver la biodiversité dont dépendent leur subsistance et leur vie.
Ils cultivent le riz et les légumes, ils élèvent poulets et bétail, mais une grande partie de leur nourriture, des plantes médicinales et des articles ménagers proviennent de la forêt, des cours d’eau et des communs. Le régime alimentaire rural traditionnel est très saisonnier et dépend étroitement de pratiques culturelles qui protègent l’environnement local et renforcent la solidarité communautaire. Les inondations saisonnières et les changements dans l’environnement apportent différentes espèces de poissons, de légumes, de fruits, de champignons, de pousses de bambou et de plantes aromatiques disponibles à différentes époques de l’année. Pêcher, cueillir des fruits sauvages, des pousses de bambou, des plantes aromatiques, ramasser des champignons, attraper des insectes comestibles et des araignées sont des moyens habituels de nourrir les familles pour qui les produits de la forêt tels que le bambou, le rotin, le miel, la résine et le sucre de palme sont utiles pour fabriquer des articles ménagers et pour en tirer un revenu.
Dans certaines zones, les résidents ont identifiés 18 espèces de fruits sauvages, quatre types de résine, 13 espèces de champignons et 36 espèces de racines, plantes aromatiques ou plantes grimpantes et 14 espèces de fleurs sauvages, pousses ou feuilles. Ils ont également identifiés 6 variétés d’arbres au bois dur de grande valeur et 13 variétés d’arbres ordinaires qui composent les forêts dans leur région. Selon les populations locales toutes ces variétés d’arbres, de plantes, de pousses (de bambou, par exemple) sont essentielles à l’alimentation des écosystèmes qui conservent et régénèrent la biodiversité.