Encadré 1
La Conférence sur les Océans des Nations Unies – Quelle Conférence sur les océans ?
Les 5-9 juin 2017, les Gouvernements des Fiji et de la Suède ont accueilli la Conférence de haut-niveau sur les Océans des Nations Unies au siège de l’ONU à New York. Le but en était de soutenir la mise en œuvre de l’Objectif de développement durable (ODD) 14 : Conserver et exploiter de manière durable les océans, les mers et les ressources marines aux fins du développement durable.
Quel que soit l’endroit où nous cherchons, les résultats en sont présentés comme un énorme succès et si vous osez les remettre en question il vaut mieux être préparé à affronter les forces de l’hégémonie. Donc essayons de nous y préparer.
Déjà avant le début de la conférence, le Forum mondial des populations de pêcheurs (WFFP) et le Forum mondial des pêcheurs et travailleurs de la pêche (WFF) avaient expliqué le manque d’engagement démocratique dans le processus visant à développer les ODD et en avait conclu que « le processus de développement des ODD a, au mieux, laissé les mouvements mondiaux de pêcheurs [WFFP et WFF] en marge de la participation, alors qu’on octroyait un espace d’influence plus important aux entreprises et aux grandes ONG pour informer des objectifs durant le processus « (cf. Encadré 3 pour plus d’information sur la déclaration). Ce n’est donc pas une surprise qu’un engagement clair envers les droits humains – concernant l’ODD 14 – soit particulièrement absent alors que l’on met l’accent sur plus de science naturelle, technologie marine, développement macro-économique et zones de protection marine.
Alors, quel type de « second souffle » – tel que suggéré par le responsable onusien du Département des Affaires économiques et sociales, Monsieur Wu Hongbo – cette conférence a-t-elle fourni ? Etait-ce à propos d’un changement fondamental dans la façon dont les élites politiques et économiques gouvernent et contrôlent les ressources des océans ? Ou était-ce une opportunité pour passer à la vitesse supérieure et de faire plus au moins la même chose mais avec une détermination accélérée ?
Or, si l’on regarde de près les deux principaux résultats de la conférence – l’Appel à l’action et les 1 372 engagements volontaires – on a un début de réponse.
L’appel en lui-même liste 22 appels spécifiques dont seulement un concerne la pêche à petite échelle : » Renforcement des capacités et de l’assistance technique fournie aux artisans pêcheurs et pêcheurs à petite échelle dans les pays en développement, afin de permettre et d’améliorer leur accès aux ressources marines et aux marchés… » Pour autant, il n’est pas indiqué comment y arriver et le choix des mots rend cet appel ouvert à tous types d’interprétation. Comme le WFFP l’a déjà expliqué ailleurs, c’est une porte ouverte à la privatisation de la pêche et à la spoliation des communautés de pêcheurs à petite échelle. En outre, cet appel spécifique ne concerne que les pays en développement ; ceci est particulièrement problématique si l’on considère que les communautés de pêcheurs à petite-échelle doivent faire face aux mêmes menaces quel que soit l’endroit où ils se trouvent dans le monde. Il est prévu que l’Appel à l’action soit approuvé lors de la 71ème session de l’Assemblée générale des Nations Unies.
Parmi rien de moins que les 1 372 Engagements volontaires proposés principalement par les Gouvernements, les entreprises et les organisations internationales de conservation, seules 240 affirment cibler l’ODD 14b : « Fournir l’accès des artisans pêcheurs aux ressources marines et aux marchés « . Ces engagements devraient donc cibler le 14b, il est important de voir comment ? Il est à noter que seulement une poignée de ces engagements concerne les Directives internationales visant à assurer la durabilité de la pêche artisanale, l’instrument international de loin le plus complet sur la pêche artisanale approuvé par l’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO) en 2014.
En jetant un coup d’œil aux diffusions sur le Web et au rapport officiel de la conférence nous pouvons affiner un peu plus la réponse à la question. On y met fortement l’accent sur les Zones marines protégées, l’Economie bleue et la Planification de l’espace maritime- pour ne mentionner que quelques-uns des thèmes clés -, alors qu’on y aborde à peine les Directives sur la pêche artisanale durable et qu’on ne tient pas compte de l’approche basée sur les droits humains. Cela pourrait paraître scandaleux pour certains mais pour d’autres c’est ce à quoi on doit s’attendre. On peut donc en conclure que les Chefs d’Etat et de Gouvernement, ainsi que les Représentants de haut niveau, ont convenu d’un autre Appel à l’action qui ouvre la porte en grand aux acteurs non étatiques en vue d’informer et de fournir les financements pour les Engagements volontaires concernant la mise en œuvre de l’ODD 14.
Peut-être donc que Monsieur Wu Hongbo a raison de dire que la conférence apportera un « second souffle ». La mise en œuvre du processus de l’ODD 14 – par le biais d’une série de décisions dénommée appel à l’action et engagements volontaires – est remise entre les mains d’acteurs privés puissants disposant de suffisamment de capital et de ressources humaines. Le fait de céder la souveraineté des Organisations des Nations Unies aux transnationales avait déjà démarré il y a près de 20 ans mais l’ODD sur les Océans ouvre un nouveau chapitre en vue d’une capture sans précédent par les entreprises de la gouvernance des océans.
C’est pourquoi, le WFF et le WFFP ont émis une « Déclaration sur les ODD et la Conférence sur les Océans des Nations Unies » afin de dénoncer ce scénario tendancieux qui a alimenté la Conférence. Vous pourrez lire ci-dessous la suite dans le cadre de leurs luttes !
Encadré 2
Mise en œuvre des Directives volontaires visant à assurer la durabilité de la pêche artisanale
Avec l’adoption des Directives volontaires visant à assurer la durabilité de la pêche artisanale (Ci-après Directives SSF) par le Comité des pêches de la FAO, on a reconnu pour la première fois l’importance et la contribution des artisans pêcheurs aux moyens de subsistance et à la sécurité alimentaire, en particulier pour certaines de communautés les plus pauvres et les plus éloignées partout dans le monde. Fondées sur les normes internationales des droits humains, les Directives SSF ont une portée mondiale, une couverture d’ensemble, et s’appliquent aux pêches à petite échelle dans tous les contextes en mettant un accent plus spécifique sur les besoins des communautés d’artisans pêcheurs dans les pays en développement.
Les artisans pêcheurs ont non seulement contribué au processus d’élaboration et de négociation de ces directives mais ils jouent actuellement un rôle fondamental, et sont en première ligne, pour la divulgation et la mise en application desdites Directives SSF. Au cours de ces 16 derniers mois, les peuples de pêcheurs, membres des deux forums internationaux – le Forum mondial des pêcheurs et des travailleurs de la pêche (WFF) et le Forum mondial des populations de pêcheur (WFFP) – avec le soutien du Collectif international d’appui à la pêche artisanale (ICSF), Crocevia Centro Internazionale et l’Institut Transnational (TNI) ont organisé 8 ateliers à niveau national et 3 ateliers à niveau sous-régional sur les Directives SSF et leur mise en application. L’un des principaux aspects visait à mieux faire connaître ces directives auprès des organisations d’artisans pêcheurs, des travailleurs de la pêche et de leurs communautés au moyen d’actions aux niveaux local, national et sous-régional tout en renforçant leurs capacités afin d’utiliser ces Directives SSF dans les pays pilotes. De même, le Groupe de travail sur la pêche du Comité international de la Planification pour la souveraineté alimentaire (CIP) a travaillé afin que les Directives SSF deviennent un outil dynamique au service des artisans pêcheurs. Les Directives SSF ont été résumées, simplifiées et traduites en plusieurs langues dont le Khmer, Vietnamien, Laotien, Ourdou, Sindhi et Kiswahili (Swahili). Un large éventail de matériel audio-visuel et infographique a été produit. En outre, afin de mettre en relief l’importance du genre dans ce secteur, l’ICSF a été chargé de rédiger un guide de mise en œuvre tenant compte de l’égalité des genres en y impliquant la participation de la société civile et des mouvements sociaux.
Les Directives SSF représentent un véritable tournant pour des millions des femmes et d’hommes qui travaillent dans le secteur de la pêche artisanale et en dépendent. Non seulement les Organisations de la société civile mais également les Gouvernements devraient mettre en application ces Directives SSF et contribuer à la réalisation progressive du droit à une alimentation adéquate. La Tanzanie en est un exemple positif. En reconnaissant l’importance du secteur, le gouvernement de Tanzanie s’est récemment engagé à utiliser les Directives SSF comme outil pour lutter contre la faim et éradiquer la pauvreté tout en promettant d’inclure les Directives SSF au cadre réglementaire national.
Encadré 3
Déclaration sur les Objectifs de Développement Durable (ODD) et sur la Conférence de l’ONU sur l’océan
4 juin 2017, voici un extrait de la déclaration du WFF et WFFP. Le document complet est ici.
« Notre solution :
Nous nous engageons à soutenir l’ONU, sur la base des valeurs à la base de la Charte de l’ONU : la paix, la justice, le respect, les droits de l’homme, la tolérance et la solidarité. Afin de soutenir ces valeurs, chaque pays devrait consulter de manière plus systématique les parlements, les gouvernements infranationaux, la société civile et le pouvoir exécutif des gouvernements, dans un processus de gouvernance démocratique et menée par les pays, la gouvernance sur laquelle l’ONU est fondée.
Les Directives visant à assurer la durabilité de la pêche artisanale dans le contexte de la sécurité alimentaire et de l’éradication de la pauvreté ont été approuvées par le Comité des pêches (COFI) de la FAO en 2014. Les directives sont le résultat d’un processus de développement participatif et ascendant facilité par la FAO et impliquant plus de 4000 représentants de gouvernements, de communautés de pêche, du WFF, du WFFP, et d’acteurs de plus de 120 pays. Leur développement ressemble à un processus légitime, démocratique, mené par les pays, et elles se basent sur les principes fondamentaux de l’ONU : la justice, le respect, les droits de l’homme, la tolérance et la solidarité. Nous tenons à exprimer notre reconnaissance du soutien de la FAO dans le processus de développement des Directives.
Lors de sa 32ème séance en juillet 2016, le Comité des pêches (COFI) de la FAO a adopté à l’unanimité le Cadre stratégique mondial (CSM) pour faciliter la mise en œuvre des directives visant à assurer la durabilité de la pêche artisanale. Le CSM vise à faciliter l’interaction entre les gouvernements et la société civile pour soutenir la mise en œuvre des directives à tous les niveaux et à promouvoir une vision et une approche commune, basée sur les principes des directives mêmes.
Nous nous engageons à continuer à collaborer avec la FAO pour développer davantage le CSM afin de faire avancer les principes clés des directives, tout en mettant l’accent sur l’approche basée sur les droits de l’homme, la reconnaissance et la protection des droits fonciers des pêcheurs artisanaux, les droits des pêcheurs artisanaux de maintenir le contrôle et la propriété de la chaine de valeur, y compris le marché au niveau local et régional, et la promotion de la participation pleine et effective des pêcheurs artisanaux – en particulier les femmes, les jeunes et les peuples indigènes – à la mise en œuvre des directives.
Nous, les représentants de plus de 20 millions de pêcheurs, continuerons à coopérer de manière constructive avec les gouvernements nationaux et avec la FAO pour mettre en œuvre les directives sur la pêche artisanale et pour développer ultérieurement le CSM. Nous appelons les états membres de l’ONU à collaborer avecmnous pour assurer la réalisation de notre droit à une alimentation adéquate et aux droits similaires ainsi que la protection de l’environnement. Tout ceci peut s’achever à travers le développement du CSM et la mise en œuvre des directives visant à assurer la durabilité de la pêche artisanale. »