L’écho des campagnes

L’écho des campagnes 1

Bangladesh, un exemple de migration climatique

Golam Sorowor, Secrétaire financier de BAFLF (fédération des syndicats agricoles bangladais)

Le Bangaldesh est un pays densément peuplé, qui est une victime évidente de l’exploitation globale en ce qui concerne les impacts du changement climatique. Ces impacts incluent déjà la croissance rapide de la salinité du sol à cause de la montée du niveau de la mer, des inondations liées à la marée, l’intensification de la survenue d’orages, l’augmentation des températures, des pluies torrentielles, des crues éclair, des sécheresses, des glissements de terrains et l’érosion des rivières. Les conséquences du changement climatique sont que les paysans et les communautés rurales sont confrontés à l’insécurité de leurs moyens de subsistance, à la malnutrition, au chômage, à la pauvreté, au traffic d’êtres humains, à la migration forcée ainsi qu’à des crises alimentaires, liées aux terres et à l’eau.

Plus de la moitié de la surface du Bangladesh n’est qu’à peine à cinq mètres au dessus du niveau de la mer. Une montée des eaux de mer d’un mètre submergerait un cinquième du pays et transformerait 30 millions de personnes en « réfugiés climatiques ». Le problème lancinant des réfugiés climatiques deviendra un problème majeur dans les prochaines décennies au Bangladesh. Beaucoup des villes principales sont déjà sous pression, particulièrement la capitale Dacca. En 1974 la population de Dacca était de 177 000 habitants, en 2017 ils sont 1.8 millions. D’ici à 2035, ce sera 3.5 millions (selon un rapport de la Banque Mondiale). Deux mille personnes venant de différentes parties du pays arrivent chaque jour à la recherche d’un emploi ou d’un abri. Les 10 villes les plus dangereuses dans le monde à cause du changement climatique incluent Dacca. « Les réfugiés climatiques globaux » seront confrontés à des frontières de plus en plus protégées, comme c’est le cas de l’Inde, qui militarise sa frontière avec le Bangladesh, au point qu’il y a déjà des morts signalées chaque mois.

L’agriculture au Bangladesh dépend largement de facteurs climatiques. Un cyclone peut détruire une part signifiative de la récolte de la saison. Le cyclone Sidr a détruit quasiment 95 pour cent des récoltes dans les districts côtiers quand il a frappé le Bangladesh en 2007 (ABD, 2013). Le cyclone Aila a innondé quasiment 200 000 acres de terre agricole avec de l’eau salée (97 000 acres d’Aman sont complètement détruits) et 300 000 personnes ont été déplacées ( 243 000 maisons ont été complètement dévastées). La salinité acrrue des sols et les températures maximales vont conduire à une décroissance du rendement du riz. Un changement de température pourrait aussi faire diminuer la production de pommes de terre de plus de 60%. Les crues éclair de 2017 à Haor ont réduit la production de riz de près de 15.8 millions de tonnes. La recherche a montré une diminution de 69% de la production de riz dans les villages côtiers en 18 ans. Environ ⅓ de la région du Bangladesh est influencée par les marées de la Baie du Bengal.

Pour faire face aux crises climatique et alimentaire le gouvernement promeut des entreprises privées du secteur agro-alimentaire, plus d’investissements dans les semences, des fertilisants et des équipements, en adoptant des semences hybrides et en imposant les OGM au nom de la sécurité alimentaire. Le Bangladesh a déjà lancé la première culture d’OGM Brinjal en 2014. Une pomme de terre OGM est dans les tuyaux et le gouvernement a annoncé des plans pour la commercialisation du premier riz génétiquement modifié Golden Rice en 2018. Tout ceci plutôt que de protéger les paysans et d’encourager la petite agriculture agroécologique.

La stratégie de la Banque Mondial et d’autres bailleurs de fonds interationaux pour la « sécurité alimentaire » gérée par les entreprises est une stratégie risquée pour l’agriculture dans le contexte du changement climatique. Leur intérêt véritable derrière cette politique est de permettre aux entreprises transnationales de semences et d’agrochimie d’accéder aux marchés agricoles du Bangladesh. Par conséquent, il est important de promouvoir les droits des paysans à des semences et d’autonomiser les communautés afin qu’elles puissent protéger leur propre mode de subsistance. Promouvoir la souveraineté alimentaire est la meilleure alternative pour la politique agricole actuelle au Bangladesh.

Le changement climatique, la souveraineté alimentaire et l’agriculture comprennent les problèmes politiques multidimensionnels du bien-être humain, de la gestion environementale et de la bonne gouvernance. Par conséquence, n’importe quelle stratégie pour aborder la souveraineté alimentaire et l’agriculture durable intégrant le changement climatique devraient considérer les moyens de subsistance comme composante fondamentale. Une approche écosystèmique de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire devrait être inclue dans les politiques nationales et les plans d’action pour réduire la vulnérabilité au changement climatique.

L’écho des campagnes 2

La récolte des fraises : une forme moderne d’esclavage

Mohammed Hakach, Fédération Nationale du Secteur Agricole, Morocco

Il fallait plus de 10 ans pour que la réalité de milliers d’ouvrières agricoles Marocaines en Espagne se manifeste. Une réalité caractérisée par la souffrance, l’isolement, l’exploitation et les différents types d’harcèlement. Les femmes rurales Marocaines sont exportées « légalement », dans le cadre de l’immigration prénommée « circulaire » , par le biais de l’agence ANAPEC sous tutelle du ministère de l’Emploi, pour travailler temporairement dans les champs de fraise au sud de l’Espagne .

Le calvaire de ces damnées de fraise commence par le recrutement et se termine par les conditions inclémentes de travail et de séjour.
Pour être recrutée, le patronat agricole espagnole exige des conditions qui nous rappelle le commerce des esclaves de l’ile de gouré au Sénégal. La candidate doit être jeune, mère d’enfants de moins de 13 ans, ayants des mains sillonnées et fissurées, preuve de ruralité, et avoir une silhouette convenable à la taille des serres.

Quant aux conditions de travail, d’hébergement et de salaire les révélations des victimes ainsi que les reportages médiatiques sont unanimes. C’est de l’esclavagisme moderne.
La Fédération Nationale su Secteur Agricole par le biais de son organisation des femmes du secteur agricole n’a pas cessé de dénoncer les exactions subies par les travailleuses agricoles immigrées. Elle considère la situation actuelle insupportable. L’Etat Marocain et L’Etat espagnole sont les premiers responsables.

L’écho des campagnes 3

Une lettre d’une mère

Les lettres rédigées par les migrants sont une source d’information précieuse sur leur situation, leurs périples et sur les abus qu’ils subissent. Ils sont aussi un aspect important de la littérature migratoire. Plusieurs lettres d’adieux ont été trouvées dans les poches de migrants noyés dans la Méditerranée ou ont été rédigées par des migrants en détresse car en prison. Nous avons choisi cette lettre envoyée par une mère à un association de soutien aux immigrants après avoir été séparée de son enfant à la frontière américaine.

Je m’appelle Claudia. Mon histoire commence quand j’ai traversé la rivière le 21 mai 2018. L’immigration m’a prise ce même jour. J’arrivais avec mon fils Kévin. Ils ont noté nos informations et nous ont emmené dans la glacière où nous avons passé trois heures. Ils nous ont ensuite transferré dans un autre endroit qu’ils appellent le chenil. Mon fils et moi étions là. Il était très inquiet et me disait qu’il ne voulait pas de cette nourriture, que nous étions prisonniers et le 23 de ce même mois ils m’ont séparé de lui avec des mensonges et cela m’a terriblement blessée parce qu’ils ne m’ont pas permis de lui dire au revoir.

Je lui ai seulement dit qu’ils m’emmenaient faire des examens médicaux, mais en réalité ils m’emmenaient à la cour criminelle. Supposément, en rentrant de la cour, nous serions réunis avec eux mais ce n’a pas été le cas. J’ai tellement pleuré. J’ai senti que je perdais la raison, et que quelque chose manquait dans ma vie. Je n’étais pas complète. Ils m’ont transférée à Laredo. Là je suis restée 12 jours, ensuite à Taylor où j’ai passé 24 jours. Mon entretien de peur crédible a été refusé et je vais voir le juge. Mais ce n’est pas juste. Mon fils est détenu depuis si longtemps. Une personne vient dans ce pays pour demander l’asile, pas pour être emprisonnée comme un criminel et pour qu’ils vous prennent votre fils. Pendant tout ce temps nous n’avons pu parler que trois fois et la dernière fois il m’a dit qu’il était triste et a demandé « quand serons nous ensemble ? » et cela a brisé mon coeur. Nous voulons la justice et qu’ils nous réunissent rapidement avec nos enfants. Nous sommes des êtres humains et il y a beaucoup d’autres mères qui souffrent. 28 juin 2018

Texte original en espagnol.

L’écho des campagnes 4

La Nakba palestinienne : un processus continu de déplacement et d’exile

Aghsan Albarghouti, Union des Comités de Travail Agricole, Palestine

Soixante-dix longues années se sont écoulées depuis la Nakba palestinienne de 1948, quand plus de 700 000 Palestiniens furent forcés à quitter leurs terres, leurs fermes et leurs maisons pour se réfugier dans des camps dispersés en Cisjordanie, dans la Bande de Gaza et dans les pays arabes voisins. Aujourd’hui, la population de réfugiés palestiniens se compte en millions, dispersés dans de nombreuses villes à travers le monde.

Soixante-dix ans plus tard, et la Nakba continue. Elle continue alors que des milliers de Palestiniens sont déplacés de force de leurs terres et de leurs maisons, non seulement en Palestine mais aussi dans les pays voisins. Elle continue alors que des réfugiés palestiniens en Iraq et Syrie ont été forcés de quitter leurs maisons à plusieurs reprises au fil des années. Elle continue comme le reflet des difficultés et dures conditions de vie des réfugiés au Liban.

La Nakba continue avec la poursuite de l’occupation de la Cisjordanie et de la Bande de Gaza ; avec les politiques israéliennes de dépossession et démolitions de logements ; avec les guerres menées par Israël contre les Palestiniens vivant dans la Bande de Gaza ; avec les colonies qui continuent d’être installées sur les terres palestiniennes ; avec les agressions par les colons sanctionnées par l’Etat occupant, et avec la tentative de renforcement du contrôle israélien de la ville occupée de Jérusalem et d’expulsion des habitants palestiniens de la ville.

La loi de l’Etat-nation d’Israël récemment adoptée est un autre reflet de la perpétuation de la violence originelle contre le peuple indigène palestinien. Cette loi qui sanctionne les politiques israéliennes omniprésentes d’apartheid cherche à encore davantage débarrasser la terre de Palestine de ses habitants d’origine comme l’Etat occupant d’Israël continue de le faire.

De toute évidence, la persistance de la Nakba contre le peuple palestinien à l’intérieur et en-dehors de la Palestine requiert l’action collective et une réelle solidarité pour obtenir une justice qui comprend le retour des réfugiés à leur domicile, et la liberté de notre terre.

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Crises et luttes comme survivre à Amarbail

Forum des Pêcheurs du Pakistan, membre du WFFP

Le mot « migrant » est une marque de tragédie et la lutte des migrants pour respirer est la même que celle d’un arbre se battant pour survivre au gui (Amarbail).Être un migrant n’est pas un crime mais ils sont forcés de vivre une vie pire que celle d’un prisonnier à travers le monde.

Il y a un nombre important de migrants à Karachi (surtout Bengalais et Birmans). Ils vivent près de la mer et côté de la zone industrielle. La plupart travaille dans des emplois liés à la pêche ou en tant qu’ouvriers. Leur crise commence par leur combat pour obtenir une Carte Nationale d’Identité (CNI) qui est un prérequis pour que les droits humains fondamentaux leur soient officiellement accordés, tels que l’accès à l’éducation, aux soins de santé et de meilleurs emplois.

Les opportunités qui génèrent un revenu sont tellement limitées pour les pêcheurs migrants qu’ils vivent bien en-dessous du seuil de pauvreté au Pakistan. La principale raison est l’absence de CNI. Ils n’ont pas le droit de postuler pour des postes au gouvernement ou de naviguer des bateaux en mer pour pêcher.Les seuls gagne-pains pour eux sont le travail d’ouvrier sur les bateaux ou le décorticage de crevettes chez eux sans aucune protection légale. Ils ne reçoivent pas le salaire qui leur est dû à cause de leur statut légal.

Le seul système de santé auquel ils ont accès est un service à l’extérieur des hôpitaux.Sans CNI, leurs patients ne sont ni admis dans les cas extrêmes, ni transfusés du sang de banques de sang.

Les enfants de migrants sont obligés de quitter l’école à la fin de l’école primaire et sont poussés vers l’analphabétisme même au 21ème siècle. Avec l’introduction de nouvelles restrictions à l’admission en école primaire, même leurs espoirs d’éducation primaire sont en train de s’évanouir. Cela est totalement contraire aux obligations de l’Etat : « l ‘Etat doit offrir une éducation gratuite et obligatoire à tous les enfants ».

A cause du manque d’éducation, d’emplois et autres nécessités, les jeunes sont impliqués dans le trafic de drogues et la criminalité de rue pour satisfaire leurs besoins financiers.

Les pêcheurs de la génération actuelle au Pakistan ne sont pas des migrants. Ils sont là en raison de la migration de leurs ancêtres. Le NADRA (service national chargé de la base de données et des d’enregistrements) va à l’encontre la loi pakistanaise sur la citoyenneté de 1951 (Pakistani Citizenship Act) qui affirme que « toute personne née au Pakistan après le commencement de cette loi est citoyenne du Pakistan de naissance », en refusant de délivrer une CNI.

Les communautés bengales estiment que leurs voisins sont chaleureux et leur offrent un soutien pour résoudre les problèmes quotidiens. La société pakistanaise est très accueillante mais les départements les empêchent de s’intégrer dans la société.

L’écho des campagnes 5

Des crises et des luttes. Survivre à l’étouffement de l’Amarbail

Forum des pêcheurs du Pakistan, membre de WFFP

Le terme « migrant » est synonyme de désastre et renvoie à la lutte des migrants pour résister à l’étouffement, de la même façon que l’arbre tente de survivre à l’emprise du gui (Amarbail). Être un migrant n’est pas un crime, et pourtant, dans le monde entier, des migrants sont contraints de vivre une existence pire que l’emprisonnement.

Le nombre de migrants à Karachi, en particulier des Bengalis et des Birmans, est significatif ; ils vivent près de la mer, à côté de la zone industrielle. La plupart d’entre eux exercent des professions liées à la pêche ou sont journaliers. Leur crise a commencé avec la lutte pour l’obtention de la carte d’identité nationale, qui est une exigence préalable à l’obtention des droits de l’homme les plus élémentaires, comme l’accès à l’éducation, à la santé et à de meilleurs emplois.

Les opportunités de gagner de l’argent sont tellement limitées pour les pêcheurs migrants qu’ils vivent bien en-deçà du seuil de pauvreté pakistanais, et cela est principalement dû au fait qu’ils n’ont pas de cartes d’identité. En effet, ils ne peuvent pas postuler à la fonction publique, ni être embarqués sur des navires pour pêcher. La seule façon pour eux de gagner leur pain quotidien est de travailler comme journaliers sur des navires ou de décortiquer des crevettes chez eux, sans aucune protection juridique. À cause de leur statut juridique, ils ne peuvent pas prétendre à des salaires légaux.

Le seul service de santé dont il peuvent bénéficier est celui des services extérieurs des hôpitaux. À défaut de carte d’identité, les patients traités par ces services ne sont pas admis si leur cas est grave et ne peuvent pas bénéficier du don du sang.

Les enfants des migrants sont obligés de quitter le système scolaire dès la fin du cycle élémentaire et sont ainsi poussés, en plein 21e siècle, vers l’illettrisme. Avec l’introduction d’une loi imposant de nouvelles restrictions à l’admission dans les écoles primaires, même l’espoir qu’ils reçoivent une éducation élémentaire est en train de s’évanouir. Cette loi est totalement opposée aux obligations de l’État, qui est pourtant tenu de « fournir une éducation gratuite et obligatoire à tous les enfants. »

À cause du manque d’éducation, d’emplois et d’autres produits de première nécessité, les jeunes sont impliqués dans des trafics de drogue et dans la délinquance de rue, ce qui leur permet de pourvoir à leurs besoins financiers.

La génération actuelle de pêcheurs au Pakistan ne sont pas des migrants. Ils résident dans ce pays suite à la migration de leurs ancêtres. En refusant de délivrer leur carte d’identité aux migrants, l’autorité nationale responsable de la base de données et de l’enregistrement (National Database & Registration Authority, NADRA) va à l’encontre de la loi pakistanaise de 1951 relative à la citoyenneté, qui stipule que « chaque personne née au Pakistan suite à l’entrée en application de cette loi sera citoyen pakistanais de naissance ».

Les communautés bengalaises pensent que leurs voisins sont accueillants et qu’ils peuvent les aider à résoudre les problèmes quotidiens. La société pakistanaise est effectivement très hospitalière, mais ce sont les autorités qui refusent aux migrants la possibilité de s’y insérer .

L’écho des campagnes 6

Travailleurs saisonniers migrants dans le sud de l’Italie

Unione Sindacale di Bas, Italie

Le syndicat italien Unione Sindacala de Base (USB) entend représenter, défendre et promouvoir les droits des travailleurs et des travailleuses et s’opposer à la fragmentation des luttes des travailleurs en les mettant en contact et en unissant ceux d’un même territoire.

En Italie, les travailleurs saisonniers agricoles, qui viennent en grande partie d’Afrique et du Moyen-Orient, sont confrontés à de terribles conditions d’exploitation, de répression et de discrimination raciale. Cette situation découle d’un modèle de production industrielle qui repose sur l’exploitation des travailleurs agricoles et des paysans. En Italie, la situation est encore aggravée par une loi sur l’immigration inspirée par la droite, qui force les migrants à avoir un contrat de travail afin d’obtenir un permis de résidence temporaire. Cette obligation a entraîné le développement d’un marché noir où les travailleurs migrants doivent accepter des conditions de travail inhumaines dans l’espoir de ne pas être déportés.

En Italie du Sud, en particulier dans les régions des Pouilles, de Basilicate et de Calabre, les saisonniers migrants sont surtout embauchés pour la récolte des agrumes, des tomates et des olives, en fonction de la saison. Ils vivent parqués dans des camps, des usines abandonnées ou des hangars, dans des conditions inhumaines. Ils travaillent pour deux euros de l’heure, dans d’extrêmes conditions, et subissent violences et menaces. L’une des victimes les plus récentes est Soumaila Sacko, un syndicaliste et travailleur malien de 29 ans, qui a été assassiné dans la plaine de Giogia Tauro, près de Reggio de Calabre. Soumaila était à la recherche, avec deux compatriotes, d’assiettes pour son baraquement lorsqu’il a été abattu d’une balle dans la tête.

Cet événement tragique a poussé l’USB à organiser de nombreuses mobilisations dans plusieurs villes italiennes, pour exiger que justice soit rendue et que les droits des travailleurs soient respectés. Cet événement a été couvert par les médias nationaux et a permis à l’USB de lancer un dialogue avec le ministère de l’agriculture et le ministère du travail.

Les travailleurs, tout comme les paysans, sont le dernier lien de la chaîne de production et les paysans sont souvent contraints d’exploiter des travailleurs, parce qu’ils se trouvent piégés dans l’engrenage de la production.

USB, La Via Campesina et Crocevia proposent une position novatrice : il n’est pas question de prendre partie pour les paysans ou les travailleurs, mais de les rassembler afin d’unifier la lutte contre un modèle de production qui étouffe les paysans et ne leur permet pas de dégager un revenu décent, précipitant ainsi l’exploitation des travailleurs saisonniers migrants.

Soumahoro Aboubakar a déclaré : « Nous demandons que les droits des travailleurs, hommes et femmes, quelle que soit leur couleur de peau, soient reconnus et respectés. Dans cette plaine de Calabre, comme dans de nombreux autres endroits, des travailleurs et des travailleuses ont décidé de briser les chaînes de l’exploitation, car ils pensent qu’en étant unis, nous pouvons réellement faire appliquer nos droits, alors que nous n’irons nulle part si nous restons divisés, en particulier dans le contexte d’une « campagne de haine » permanente et systématique. »

Encadres

Encadré 1

Lettre ouverte au Forum Mondial sur la Migration et le Développement

À l’attention de la société civile,
À l’attention des institutions multilatérales,
Et à l’attention des mouvements de migrants et de réfugiés,

Le collectif Nyeleni, qui promeut la souveraineté alimentaire comme une alternative susceptible de ralentir la débâcle migratoire actuelle, entreprend, plein d’espoirs, de relayer les initiatives issues de la société civile et les propositions des institutions multilatérales pour trouver une porte de sortie à la situation actuelle afin, en principe, de garantir l’intégrité humaine et le plein respect des droits des migrants et des réfugiés. À ce sujet, nous tenons à exprimer nos inquiétudes quant au tour que prend le processus du Pacte mondial sur les migrations, qui doit être formalisé au Maroc les 10 et 11 décembre prochains. Nous profitons également de l’occasion pour présenter notre position novatrice sur ce processus et pour réaliser nos propres propositions.

Nous sommes préoccupés par le fait que le Pacte mondial sur les migrations s’est détourné de l’aspect crucial des droits de l’homme des migrants et des réfugiés. En effet, le Pacte ne mentionne pas certaines des caractéristiques de la crise migratoire, utilisant des euphémismes comme « les besoins des migrants en situation de vulnérabilité » et « le respect, la protection et la jouissance des droits de l’homme par tous les migrants », mais a également recours à des expressions comme « promouvoir la sécurité et la prospérité dans nos communautés », ce qui signifie que le respect des droits passe après la préservation de la sécurité intérieure et de l’économie.

Il s’agit d’une déclaration extrêmement grave, en particulier dans le contexte actuel, alors que la crise migratoire a pris une ampleur tragique encore inédite dans l’histoire contemporaine. Les familles déchirées à la frontière entre le Mexique et les États-Unis et le confinement des enfants migrants dans des camps de concentration au Texas, le nombre incalculable de morts parmi les réfugiés, en particulier des enfants, des femmes et des personnes âgées qui se noient dans la Méditerranée, les violentes attaques racistes et fascistes dans des grandes villes et les multiples actions intentées contre les migrants dans le monde entier poussent la civilisation à des niveaux de déshumanisation et de barbarisme qui nous ramènent aux plus sombres heures de notre récent passé.

Et pourtant, le titre du Pacte lui-même, « pour des migrations sûres, ordonnés et régulières », indique que l’approche des États est opportuniste et qu’elle vise à favoriser le capital. En d’autres termes, les États, en particulier les plus puissants, considèrent que les migrations génèrent de la force de travail bon marché et disciplinée, permettant ainsi d’accumuler de la richesse et du capital. De la même manière que le système a fait reposer le fardeau de la crise financière de 2008 sur les migrants, il tente maintenant de faire de la tragédie de la migration une opportunité d’augmentation du profit pour les plus riches de ce monde.

Il est également particulièrement inquiétant de constater les différences de traitement entre les migrants et les réfugiés, qui contribuent à masquer le fait que l’expulsion des migrants de leurs terres pour des raisons économiques ou à cause de catastrophes climatiques et l’expulsion des migrants qui fuient des guerres d’occupation et des pillages obéissent aux mêmes raisons inhérentes à la structure du système. Les regards se détournent des forces qui précipitent la migration, de même que des raisons qui poussent à l’exode, et c’est pourtant là qu’il faut viser pour lutter contre les causes structurelles de la migration.

Nous tenons ainsi à exprimer nos inquiétudes, mais également notre ferme volonté de mettre en œuvre des propositions permettant de trouver une issue au drame migratoire.

L’une de ces propositions est d’intensifier notre lutte pour la souveraineté alimentaire, afin que nul ne soit contraint d’abandonner son village pour se nourrir ou pour assurer la subsistance de sa famille. Cela nécessite de lutter pour une charte sur les droits des paysans et pour des réformes de la politique agricole qui soient populaires, publiques et menées par l’État. Il faut également, dans un même temps, mettre un terme à l’appropriation des terres et des ressources naturelles des peuples, ainsi qu’à la spéculation qui en découle, en particulier en stoppant les guerres d’occupation.

Nous avons d’autres propositions que nous souhaitons partager avec la société civile et les institutions multilatérales, et nous n’allons pas nous en priver.

La Via Campesina sera présente au Maroc en décembre pour la formalisation du Pacte mondial sur les migrations, afin de rendre publiques toutes ces préoccupations et de partager nos propositions. La délégation sera menée par nos frères et nos sœurs de la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord et par une délégation internationale organisée depuis nos régions par l’organisation confrère FNSA (Fédération nationale du secteur agricole).

Nous espérons faire entendre notre message à tous ceux qui veulent bien nous entendre et à tous ceux concernés par le Pacte mondial sur les migrations qui considèrent, vu la catastrophe migratoire causée par le capital, qu’il vaut mieux essayer de mettre en œuvre un Pacte mondial pour la solidarité.

Encadré 2

La charte du Manden

Les Etats membres de l’ONU s’apprêtent à voter la déclaration des droits des paysan.ne.es Déclaration sur les droits des paysans et autres personnes travaillant en zones rurales en septembre à New York. Mais l’une des premières déclarations des droits fondamentaux fut la charte du Manden, proclamée dans la société des chasseurs malinkés, en 1222 au Mali. La déclaration faisait office de constitution mais avait une portée universelle puisqu’elle s’adressait au monde entier. Elle garantissait le respect de la vie humaine et de l’égalité, l’abolition de l’esclavage et de la faim ! La charte du Manden est inscrite en 2009 par l’Unesco sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’humanité. Extraits:

Préambule
Le Manden fut fondé sur l’entente et l’amour, la liberté et la fraternité. Cela signifie qu’il ne saurait y avoir de discrimination ethnique ni raciale au Manden. Tel fut le sens de notre combat.

article 1 – Les chasseurs déclarent : Toute vie humaine est une vie. Il est vrai qu’une vie apparaît à l’existence avant une autre vie. Mais une vie n’est pas plus « ancienne », pus respectable, qu’une autre vie. De même qu’une vie n’est pas supérieure à une autre vie.

article 5 – Les chasseurs déclarent : La faim n’est pas une bonne chose; L’esclavage n’est pas une bonne chose; Il n’y a pas pire calamité que ces choses-là Dans ce bas-monde. Tant que nous détiendrons le carquois et l’arc, la faim ne tuera plus personne au Manden, Si d’aventure la famine venait à sévir; La guerre ne détruira plus jamais de village au Manden Pour y prélever des esclaves;

article 7 – L’Homme en tant qu’individu, se nourrit d’aliments et de boissons; Mais son « âme », son esprit vit de trois choses : Voir qui il a envie de voir, dire ce qu’il a envie de dire, et faire ce qu’il a envie de faire; En conséquence, les chasseurs déclarent : Chacun dispose désormais de sa personne, chacun est libre de ses actes, tel est le serment du Manden, À l’adresse des oreilles du monde entier.

Sous les feux de la rampe

Perspective mondiale sur la migration

« A l’état sauvage, les humains se déplaçaient à la recherche d’eau et de fruits pour se nourrir, mais aussi pour fuir les animaux féroces et ainsi préserver leur vie. Ils bougeaient pour survivre. A la découverte des premiers objets, ce fut la première étape de l’évolution vers notre race. Alors, les hommes bougeaient pour organiser leur alimentation (chasse, pêche, cueillette) mais également pour se protéger contre leurs rivalités internes. »

C’est par ces mots que Mamadou Cissokho, figure de la résistance paysanne d’Afrique de l’Ouest, débute une tribune, en janvier 2018, et rappelle à chacun ses responsabilités face à la tragédie actuelle des migrations.

Se déplacer pour se nourrir et pour survivre

Quelque soit le continent, les mêmes causes produisent désormais les mêmes effets, avec une ampleur inédite : le changement climatique jette déjà sur les routes de l’exil plusieurs millions de réfugiés, d’Afrique subsaharienne, d’Asie du Sud ou encore d’Amérique Latine, que leur terre ne permet plus d’alimenter (assèchement des sols et des puits, destruction des cultures par les catastrophes naturelles à répétition…). Les déséquilibres politiques, souvent dirigés par des intérêts néo-coloniaux, impérialistes, plongent des pays et des régions entières dans des situations tragiques d’insécurité, de conflits et de guerres que beaucoup tentent de fuir (Amérique Centrale, Yemen, Syrie, Sahel…). Ces situations s’aggravent lorsque apparaissent des épisodes de famine mettant en danger imminent les populations tel que le subit le Yémen.

Mais il faut aussi et urgemment reconnaître la responsabilité du capitalisme débridé et mondialisé, entrainant l’appauvrissement et l’effondrement des communautés indigènes ou paysannes à travers le monde : accaparement des terres et violation des droits coutumiers, extractivisme, normes et restrictions d’accès aux marchés,… les Accords de Partenariats Economiques et autres traités de Libre-échange, véritables traductions et répétitions de la raison du plus fort, participent amplement aux déracinements physiques et culturels des populations.

De plus, dans ce contexte, très dur, il faut rappeler à quel point les résistances subissent partout des répressions étatiques, policières, extrêmement sévères, voir meurtrières.

« Peuples d’écriture ils (les Européens) nous ont légué des manuscrits historiques dans lesquels ils ont confirmé avoir trouvé des personnes soi-disant « sans âme », ils ont ramassé tout ce [ou ceux ?] qu’ils ont trouvé et les ont vendus à leur guise. » (M. Cissokho)

Vol des terres, destruction des cultures alimentaires et populaires

Ce déracinement trouve particulièrement son sens à travers l’exemple marocain. Afin d’approvisionner à bas coûts les marchés européens de tomates et agrumes, l’État Marocain avec la bénédiction des Institutions Européennes, a facilité, dès les années 90, l’implantation d’investisseurs espagnols, français, hollandais (…) en chassant les familles paysannes installées sur de nombreuses terres prétendument royales du Souss Massa Drah. Ces entreprises ont également eu un accès simplifié à la ressource hydrique et aux installations d’irrigation ainsi qu’aux aides agricoles de l’Etat.

Les besoins en main d’oeuvre étaient tels que tout a été organisé pour que des milliers de petits paysans vivant dans les montagnes de l’Atlas abandonnent les terres familiales et rejoignent ce bassin de production d’agriculture industrielle. Le phénomène d’exploitation extrême et de paupérisation de ces travailleurs nationaux, déracinés, non seulement perdure, mais aussi il encourage le départ d’hommes et de femmes vers des horizons encore plus lointains et plus incertains.
En parallèle, les cultures vivrières et coutumières (c’est l’exemple de la culture du blé, une des bases principales du plat marocain) sont délaissées de force pour mieux servir les intérêts de l’exportation et du capitalisme sauvage !
Il s’agit là d’une situation comparable à d’autres expériences dont souffrent bien d’autres populations du globe.

Insécurité alimentaire

Ce constat général s’assombrit davantage au regard des conditions d’accueil des populations déplacées. Les discussions actuelles autour du Global Compact, ce projet de pacte mondial des migrations négocié actuellement à l’ONU, affichent au grand jour le cynisme et l’attitude criminelle des grands décideurs. Non seulement le refoulement aux frontières prend des formes inhumaines, violant la Convention des Droits de l’Homme, mais les Etats « occidentaux » détournent ou conditionnent l’aide au développement à la mise en place d’un contrôle aux frontières (dont un renforcement du dispositif policier) dès les pays de départ.

Il faut s’inquiéter ! Le cynisme et le refus d’accueillir dignement ces personnes réfugiées politiques, économiques, climatiques (…) entrainent la concentration de ces populations démunies dans de grands ghettos urbains (mégalopole) ou ruraux (exemple du sud-italien), voir des campements de réfugiés où l’insécurité est maximale : violence, absence de dispositifs de santé, mal-logement, travail forcé et trafic d’êtres humains…

Aussi, par nature, la personne migrante perd sa capacité et son autonomie alimentaire, et, au meilleur (?) des cas, elle devient dépendante du système agro-industriel, lorsqu’elle n’est pas simplement tributaire de l’aide alimentaire, approvisionnée elle-même par ce même système.

« Travaillons ensemble pour la répartition des richesses et du bien-être partout et chez tout le monde. La force d’un pauvre, c’est qu’il ne perd rien parce qu’il n’a rien à perdre. » (M. Cissokho)

Dignité des personnes migrantes et souveraineté alimentaire, même combat !

La Via Campésina, ses organisations membres et leurs alliés engagent la résistance en reliant la lutte pour les droits et la dignité des personnes migrantes au combat en faveur de la souveraineté alimentaire.
En multipliant les espaces de mobilisation contre les grandes multinationales, contre le contrôle grandissant qu’elles exercent sur les ressources et la production alimentaire au détriment des petits paysans, contre les politiques et les traités qui les favorisent, … le mouvement paysan s’attaque à l’origine du processus de prolétarisation des populations et de déstabilisation du principe démocratique de souveraineté populaire.

En défendant un droit d’usage à la terre et à l’eau, en réclamant un droit à produire et à échanger ses semences traditionnelles, en travaillant à la reconnaissance des droits collectifs, à la liberté syndicale, à un véritable statut pour les femmes paysannes, etc …la Via Campésina et la Déclaration des droits des Paysans et des Paysannes apportent des réponses aux causes des migrations.

Contre ces murs qui s’érigent dans un vent de folie totalitaire, il est essentiel de construire des ponts entre nos peuples, entre paysans du monde !

« En lieu et place des armes, prenons la solidarité ! » (M. Cissokho)

Le système agro-industriel se nourrit de l’exploitation du plus petit. L’homme et la femme, travailleurs migrants, déracinés, sont extrêmement fragiles et vulnérables face à ces prédateurs économiques, et, en « consentant » malgré eux le sacrifice de leurs droits, ils alimentent plus encore l’appétit du système qui les broie.

Au sein de la Via Campésina et de ses organisations, de multiples initiatives de résistance et de solidarité voient le jour : formation et accompagnement des travailleurs migrants pour faire respecter leurs droits, information et sensibilisation des consommateurs, occupations de terre pour installer les travailleurs ou les personnes migrantes…

La Via Campésina et ses alliés trace la voie d’une souveraineté alimentaire pour des peuples et des paysans sans frontières.

Bulletin n° 34 – Éditorial

Migration et souveraineté alimentaire

Ilustration: Banksy NY

Cette édition est dédiée au problème lancinant de la migration et ses implications dans notre lutte pour la souveraineté alimentaire. La soi-disante crise migratoire a pris un tournant pour le pire avec la nouvelle politique anti-migratoire de Trump, séparant de manière inhumaine les familles et emprisonnant des enfants migrants dans des camps de concentration, tout cela alors que des réfugiés tentant d’entrer en Europe continuent de mourir en Méditerranée.

Les Nations Unies ont déclarées que quasi 300 000 personnes ont dû quitter leur terre natale et essaient d’entrer dans des pays qui les rejettent et les criminalisent. Ils sont des gens sans pays.

Beaucoup fuient à cause de la violence des guerres d’occupation, d’autres fuient à cause des désastres de la crise climatique et beaucoup plus encore à cause des inégalités du système capitaliste qui est vorace et sauvage.

Alors qu’une bonne partie de la société est remuée par le drame de la migration, spécialement quand ils voient les images d’enfants noyés dans la Mer Egée ou d’enfants emprisonnés dans des camps de concentration au Texas, il semblerait que personne ne sache quoi faire pour trouver une solution à la migration.

Pour notre part, le Collectif sur les Migrations de la Via Campesina propose de comprendre la migration comme un acte de résistance par ceux qui sont dépossédés.

Quand des être humains laissent leurs familles, leurs communautés et leurs terres, ils remettent en question le système qui les a condamnés à disparaitre en tant que paysans, en tant qu’indigènes, en tant que femmes, en tant que personnes de couleur, en tant que jeunes, comme personne venant d’une autre culture, en tant que communauté et en tant que personne. Donc la migration est un acte de résistance.

En comprenant la migration de cette manière, nous reconnaissons dans la lutte de la Via Campesina le rôle-clé des migrants et leur potentiel en tant qu’acteurs du changement.

Nous espérons que les témoignages, articles et prises de position disponibles dans cette édition de Nyéléni va tous nous aider à comprendre la centralité de la migration dans nos luttes pour atteindre la souveraineté alimentaire de nos peuples.

Collectif sur la Migration de la Via Campesina