L’écho des campagnes

L’écho des campagnes 1

La réforme agraire, une réponse à la pandémie actuelle

Jaime Amorim, membre de la Coordination Nationale du MST et de la Commission Internationale de Coordination de La Via Campesina

Aujourd’hui les drapeaux des luttes historiques comme le drapeau de la réforme agraire deviennent actuels, urgents et nécessaires. Une réforme agraire large, populaire et profonde qui résout définitivement le problème de la concentration des terres, en laissant à l’histoire le mal du latifundium et toute sa structure de pouvoir comme un vestige féodal qui reste au service de l’agrobusiness. Qu’il résout le modèle de développement des campagnes basé sur la monoculture d’agro-exportation.

La pandémie a démontré la fragilité du modèle capitaliste de développement, en particulier le modèle actuel, néo-libéral conservateur, qui détruit les économies locales, la souveraineté nationale, attaque la démocratie et les états démocratiques de droits, promeut les guerres contre les nations, supprime les services publics, avance rapidement sur les ressources naturelles et minérales, précarise la législation du travail, tout cela au nom du développement du capital, tout devient une marchandise au nom de la mondialisation de l’économie. En conséquence, en période de pandémie, le chômage, la faim, la misère, et la violence augmentent. Selon João Pedro Stédile, leader du Mouvement des Sans Terre (MST) du Brésil, dans une interview au journal Brasil de Fato « La pandémie de coronavirus est l’expression la plus tragique de l’étape actuelle du capitalisme et de la crise de civilisation que nous vivons.

La réforme agraire, large et radicale, peut devenir une réponse actuelle et moderne aux crises mondiales actuelles : crise politique, crise environnementale, crise idéologique, crise sociale et crise économique, qui est structurelle et ne peut plus résoudre les problèmes crées par la forme même de l’exploitation et de l’accumulation capitaliste, mais aussi ne peut plus répondre aux défis de la société pour sauver la survie des êtres humains, l’existence humaine peut être menacée et la vie de la planète elle-même. La réforme agraire avec l’agroécologie pour la souveraineté alimentaire et la sortie de la dépendance au marché et aux grands distributeurs alimentaires.

L’écho des campagnes 2

L’accaparement des terres, la justice foncière et les éleveurs

Lorenzo Cotula et Ced Hesse, IIED (Institut international pour l’environnement et le développement)

Au cours des 15 dernières années, l’évolution des prix des matières premières et les politiques publiques biaisées ont favorisé une hausse des investissements commerciaux dans les secteurs des ressources naturelles, notamment l’agriculture, les mines et le pétrole. Les gouvernements de différentes tendances politiques ont vu dans cette vague d’investissements une opportunité économique – pour promouvoir le développement économique, créer des emplois et générer des revenus publics.

Mais les accords ont également suscité des inquiétudes dans le public quant au mode de développement et aux types d’investissements, ainsi qu’à la manière dont les coûts et les bénéfices étaient répartis Plusieurs recherches ont documenté les conflits fonciers et la dépossession en lien avec les projets de plantation de l’agrobusiness et les opérations de l’industrie extractive. Plus récemment, les accords ont diminué en partie suite à l’évolution des prix des matières premières. Mais au niveau local, les pressions se font toujours sentir, en particulier dans les points stratégiques où sont concentrés les minerais, le pétrole, les terres fertiles, l’eau douce et les infrastructures. Plusieurs projets abandonnés ont laissé derrière eux une série de conflits, et de nombreux gouvernements identifient toujours les secteurs des ressources naturelles comme fondement de leur développement national.

Perçues à tort comme « vides » ou « oisives », les pâturages ont longtemps été une cible pour les gouvernements et les entreprises. Dans la région de Karamoja en Ouganda, par exemple, les opérations minières ont empiété sur les terres de pâture (en anglais). Tandis que les bénéfices promis en matière d’écoles, d’hôpitaux, d’emplois et d’eau ne se concrétisent pas, les pasteurs perdent l’accès aux pâturages et aux gisements de minéraux et souffrent de la contamination de l’eau. L’exploitation minière limite également la mobilité des troupeaux et les prive de ressources clés en saison sèche. Ces évolutions compromettent cette pratique de pâturage et sa capacité de soutien en moyens de subsistance locaux.

Dans de tels contextes, des lois biaisées sapent souvent les droits des pasteurs et facilitent la dépossession. Bien que les faits montrent que les pratiques de pâturage sont résistantes et sophistiquées, les droits des pasteurs sur les ressources sont juridiquement protégés de manière variable et souvent limitée dans la pratique – y compris dans les pays où la législation ou même la constitution affirme formellement les droits locaux. Beaucoup de lois foncières conditionnent la protection effective à une « utilisation productive », et les notions biaisées de productivité sapent les revendications des pasteurs en matière de ressources. L’absence de preuve légale de la propriété foncière des pasteurs aggrave souvent le risque de dépossession.

Nous avons besoin de politiques qui soutiennent, plutôt que de miner, les systèmes pastoraux, faisant avancer la justice foncière face à l’accaparement des terres. Bien que chaque contexte est spécifique, il est souvent nécessaire de reconnaître le pastoralisme comme une forme d’usage économique et écologique des ressources ; de protéger les droits collectifs des pasteurs à la terre, à l’eau et au pâturage ; et de faciliter la mobilité des troupeaux lorsque celle-ci assure la subsistance des pasteurs.

L’écho des campagnes 3

Femmes rurales, féminisme de base et droits fonciers

Maria Luisa Mendonça, Réseau pour la Justice Sociale et les Droits Humains, Brésil

Du point de vue des mouvements féminins de base, la défense des droits fondamentaux à la terre et à l’alimentation est une lutte constante. Dans le monde entier, l’expansion de la production agricole destinée à l’exportation, contrôlée par les grands propriétaires terriens et les grandes entreprises, déplace continuellement les communautés rurales. Elles sont forcées de quitter leurs terres et leurs moyens de subsistance, et deviennent vulnérables à l’exploitation du travail dans les grandes plantations ou dans les centres urbains. Elles doivent faire face à la pauvreté et la faim. Le monopole des terres et la spéculation mercantile font augmenter les prix des denrées alimentaires, ce qui affecte de manière disproportionnée les femmes à faible revenu. Le cas du Brésil illustre cette situation, car il présente un des niveaux les plus grands de concentration des terres. Actuellement, on assiste à une re-concentration croissante suite à la spéculation financière internationale sur les marchés fonciers ruraux. Ce processus accroît le monopole sur la terre et étend la monoculture de produits d’exportation, ce qui entraîne la destruction de l’environnement et le déplacement des communautés rurales qui produisent la majorité des aliments destinés aux marchés intérieurs.

Dans ce contexte, la résistance des femmes rurales est cruciale pour faire face simultanément aux crises économique, écologique et alimentaire. Les femmes font face à des défis spécifiques en temps de crise, puisqu’elles assument généralement la responsabilité des tâches sociales du ménage, comme l’alimentation et les soins de santé. Par conséquent, les politiques néolibérales réduisant le soutien gouvernemental aux programmes sociaux et l’augmentation des prix alimentaires représentent une charge supplémentaire pour les femmes qui travaillent. En outre, le déplacement des communautés rurales force les femmes à occuper les pires emplois dans les plantations et les zones urbaines.

Les mouvements ruraux de femmes qui militent pour la réforme agraire et l’utilisation commune des ressources naturelles, y compris les droits fonciers collectifs, seront importants. Les mouvements féminins de base font la promotion d’un nouveau système agricole basé sur les coopératives locales et la production alimentaire écologique. Il existe des mécanismes internationaux de défense des droits humains, mais il faut aussi de la solidarité. En Europe et aux États-Unis notamment, l’opinion publique est de plus en plus consciente qu’il faut soutenir une agriculture à petite échelle, locale et écologique. Pour étendre ce mouvement à l’échelle internationale, nous devons accroître la solidarité entre les organisations de femmes du Global Nord et du Global Sud, ainsi que dans les zones urbaines et rurales, afin de soutenir la production d’aliments sains à un prix abordable pour les femmes à faible revenue dans les zones rurales et urbaines. Nous avons besoin d’alliances solides pour transformer notre système alimentaire.

Résumé de Femmes rurales et féminisme de base.

L’écho des campagnes 4

Les travailleurs agricoles et la terre

Rosalinda Guillén, Développement de communauté à communauté, États-Unis

En tant que travailleurs et travailleuses agricoles, la valeur de ce que nous apportons à une communauté est simplement mise de côté. Nous sommes invisibles. Nos contributions sont invisibles. Cela fait partie de la culture capitaliste dans ce pays.

Nous sommes comme la lie de l’esclavage dans ce pays. Ils s’accrochent à cette mentalité d’esclave pour essayer de tirer profit de la main-d’œuvre la moins chère possible. S’ils nous maintiennent sans terre, si nous n’avons pas la possibilité de faire des racines dans les communautés comme nous le voulons, alors c’est d’autant plus facile de tirer le plus de profit de nous en investissant le moins possible. C’est aussi simple que cela. Nous devons nous intéresser aux travailleurs agricoles de ce pays qui possèdent des terres, où nous pouvons produire. C’est le changement dynamique dont nous avons besoin dans le système alimentaire. Nous savons tous que Cesar Chavez a parlé de la propriété des moyens de production. Je pense que beaucoup de travailleurs agricoles parlent de cela.

Être un peuple sans terre aux États-Unis, rend les travailleurs agricoles beaucoup plus vulnérable, et aux États-Unis, cela est facilement ignoré. Cela n’est même pas discuté au niveau politique ou social. Et on pourrait remonter dans l’histoire quand nos terres nous ont été retirées au Texas, en Arizona, au Nouveau-Mexique et en Californie. C’est un héritage de cette conquête, et nous l’avons accepté. L’idée n’est pas d’utiliser cela pour avoir de la terre. À quoi cela ressemblerait-il ? Je suis allé au Forum social mondial au Brésil et j’ai rencontré les dirigeants du mouvement des travailleurs sans terre. Nous continuons nos échanges depuis lors et ils sont venus nous rendre visite.

Nos discussions avec les dirigeantes du MST lors d’une récente visite à São Paulo nous font croire que nous sommes sur la bonne voie. Il est essentiel d’établir une base solide et audacieuse dans la communauté des travailleurs agricoles pour transformer l’agriculture et l’accès à la terre aux États-Unis. Nous apprenons constamment de la direction indigène de Familias Unidas por la Justicia. Poursuivre le dialogue et la réflexion sur les stratégies avec eux nous aidera à créer de nouvelles façons de faire avec les consommateurs, les marchés et le puissant lobby agricole.

D’autres stratégies, comme gagner suffisamment d’argent pour acheter des terres, ne suffisent pas. L’USDA a mis en place des programmes pour que les travailleurs agricoles latinos puissent posséder des terres. Mais vous vous retrouvez avec peut être quelques agriculteurs latinos qui pratiquent l’agriculture conventionnelle. Les travailleurs agricoles latinos deviennent des agriculteurs latinos qui embauchent des travailleurs agricoles latinos et les exploitent. Ce n’est pas bien. Ce n’est pas ce que nous voulons. Nous voulons changer tout le système. Donc que nous faut il pour cela ?

Résumé d’une interview de David Bacon dans Land Justice : Re-Imagining Land, Food, and the Commons in the United States

L’écho des campagnes 5

Alternatives et opportunités pour la justice foncière à Detroit

Malik Yakini, Réseau de sécurité alimentaire de la communauté noire de Detroit, États-Unis

Les communautés sont construites sur la terre, et nous – en tant qu’êtres humains – en tirons la plupart de nos aliments, fibres et matériaux. Dans notre société actuelle, ne pas posséder de la terre, c’est être sans pouvoir. Si nous espérons créer une société avec une justice possible, alors la question de la répartition du pouvoir et de l’accès à la terre est primordiale. Continuer à accumuler des terres entre les mains des mêmes individus, c’est l’antithèse de la liberté, et il faut lutter contre cela. La logique capitaliste traditionnelle voudrait que vendre la terre au plus offrant et attendre des retombées « goutte à goutte » soient les seules façons pour Detroit de sortir de ses luttes économiques actuelles. Il existe cependant, bien d’autres moyens, plus efficaces, pour renforcer la résilience économique et l’équité.

Il est difficile d’imaginer comment on pourrait arriver à une certaine justice foncière aux États-Unis, compte tenu du passé de vol et de dépossession des terres. Comment peut-on faire justice sans rendre les terres prises par les colons européens aux peuples indigènes ? Comment faire justice aux personnes d’origine africaine dont les ancêtres ont été réduits en esclavage et amenés sur ces terres contre leur volonté ? Faire justice avec des mesures de réparation pour ces actes historiques – est chose impossible pour le moment. Cependant, il existe des mesures qui nous faire progresser.

Dans les cas où les tribunaux peuvent prouver que les États-Unis ont violé des traités ou ont agi de manière frauduleuse, je pense que le gouvernement américain devrait restituer ces terres aux Amérindiens. Je suis également favorable à des réparations pour les Afro-Américains qui sont les descendants des ces Africains réduits en esclavage sur ces terres et qui avec leur travail ont créé une grande part de la prospérité de la nation. En outre, nous devons arrêter de confisquer les terres des agriculteurs afro-américains. Au moment où nous écrivons ces lignes (2016), des terres sont toujours injustement saisies aux propriétaires locaux et les agents du gouvernement sont complices dans cette affaire. Il faut enquêter sur ce phénomène et y mettre fin.

En outre, je pense que des « Community Land Trust » peuvent être établis pour permettre aux communautés d’exercer collectivement leur voix à propos de la terre dans leurs communautés et de jouer un rôle dans les décisions concernant les espaces verts, les projets industriels, le logement, ou tout autre chose qu’elles envisagent elles-mêmes pour le bien-être de leur communauté. Il est important de créer des politiques qui donnent l’accès à la terre au plus grand nombre par opposition aux politiques qui concentrent la propriété entre les mains de quelques-uns, et le soutien aux Community Land Trust pourrait jouer un rôle à cet égard.

Enfin, je pense que pour créer de bonnes analyses sur la question de la terre, nous devons comprendre l’histoire. Il est important de raconter la véritable histoire pour que les gouvernements, les ONG et les organisations communautaires puissent comprendre comment nous en sommes arrivés là. Pour ce faire, nous devons continuer à remettre sur le tapis les histoires de dépossession, de désautonomisation, de résistance et de pouvoir.

Résumé de Land Justice : Re-Imagining Land, Food, and the Commons in the United States.

Encadres

Encadré 1

Les nombreuses facettes de l’accaparement des terres

L’accaparement des terres n’est pas neuf. Mais ce qui est nouveau, c’est l’accaparement massif qui a eu lieu récemment depuis les crises financière et alimentaire de 2008.

« L’accaparement des terres prend différentes formes. Les femmes peuvent être expulsées de leurs terres à la mort de leur mari, les compagnies minières expulsent les paysans et les petits exploitants, ainsi que les plantations, les bases militaires et les projets écotouristiques. Les investisseurs ne sont pas seulement des multinationales ou des institutions financières, mais peuvent aussi être locaux et nationaux ».[Conférence paysanne Internationale : Stop aux accaparements de terres!]

L’accaparement des terres se produit aussi bien dans le Global Sud que dans le Global Nord, sous l’impulsion des élites locales, nationales et transnationales ou d’investisseurs financiers ou des gouvernements. En quête de profits nouveaux et croissants, de vastes étendues de terre sont soit prises de force, soit achetées à bas prix avec l’aide des gouvernements et des élites locales et nationales.

L’enjeu, c’est un changement majeur à savoir qui a le pouvoir de « décider comment la terre et l’eau peuvent être utilisées maintenant et à l’avenir »[L’accaparement de terres, Un livret.]. Le désir de remodeler la terre dans un but de profit conduit à une expansion globale de l’agro-industrie, à des plantations de différentes sortes, à de l’exploitation minière, des projets d’infrastructure et de nombreux autres types d’utilisation. L’agriculture paysanne et la souveraineté alimentaire sont continuellement menacées par des dangers, à mesure que des terres sont perdues et que les paysans sont pris dans des des chaînes d’approvisionnement mondiales.

Cependant, les paysans, les peuples indigènes et leurs communautés continuent de s’organiser et de se mobiliser pour défendre leurs droits à la terre et pour défendre une agriculture qui place l’alimentation, les gens et l’environnement avant les profits.

Encadré 2

Garantir les droits fonciers communautaires en Afrique

Dans un continent où 70 % de la population dépend de l’agriculture, l’accès assuré à la terre et aux ressources naturelles devrait être un droit inaliénable pour tous. Mais c’est loin d’être le cas.

La gouvernance coutumière des terres agricoles, des forêts et des pâturages par les chefs traditionnels des communautés a été annihilée par les lois foncières coloniales et post-coloniales, laissant les communautés rurales incertaines de leurs droits sur les terres dont elles dépendent pour leur alimentation, leurs moyens de subsistance et leur intégrité culturelle.

Les tendances récentes de l’urbanisation, de la croissance économique et des politiques néolibérales ont transformé les ressources naturelles en marchandises et créé des marchés pour la terre en tant qu’actif négociable. La crise financière de 2007/08 et la flambée soudaine des prix des denrées alimentaires et du pétrole ont entraîné un afflux massif de capitaux dans le secteur foncier. Entre 2000 et 2016, les gouvernements africains ont signé 422 accords fonciers à grande échelle avec des investisseurs, et ce pour dix millions d’hectares. L’accaparement des terres a été associé à de multiples violations des droits humains et à des injustices sociales, avec des milliers de communautés expulsées de force et laissées sans ressource. Les femmes et les jeunes, déjà désavantagés en matière d’accès et de contrôle de la terre, sont souvent les plus touchés.

En réponse à cette crise, des lignes directrices globales et continentales ont été mises en place pour établir des principes de bonne gouvernance foncière et définir des politiques protégeant les droits fonciers coutumiers et communautaires, notamment le Cadre et les Lignes directrices de l’Union africaine pour la Politique foncière et les Directives Volontaires des Nations unies sur la Gouvernance Responsable pour l’Occupation des Terres. Mais ces cadres politiques progressistes ont été largement ignorés aux niveaux national et local, où les décisions foncières sont effectivement prises. Ainsi, les droits d’occupation des populations rurales en Afrique, et en particulier des femmes, restent faibles et incertains.

Il est essentiel qu’une pression politique plus forte soit exercée pour accélérer l’institutionnalisation de politiques progressistes pour renforcer les droits fonciers communautaires. Les plaidoyers de la société civile doivent cibler l’Union africaine et les communautés économiques régionales pour qu’elles fassent pression sur leurs États membres afin qu’ils instituent les directives politiques progressistes. Du fait que les politiques du droit à la terre n’intéressent réellement qu’aux niveaux national et local, Il est d’autant plus important que la société civile fasse pression pour une législation nationale plus stricte en la matière et force les gouvernements à rendre des comptes à la Cour Africaine de Justice et des droits humains.

Nous devons promouvoir des systèmes de management pour l’usage des terres en communauté, en mettant en avant les preuves de succès évidentes permettant d’améliorer les moyens de subsistance de manière équitable et durable tout en protégeant et en restaurant les écosystèmes.

Les travaux récents de l’AFSA sur les droits à la terre portent sur une étude intitulée « Tendances politiques et nouvelles opportunités pour le renforcement des droits fonciers communautaires en Afrique », et incluent des ateliers de renforcement des capacités pour la société civile et les organisations confessionnelles, et une série d’études de cas africains ainsi qu’un plaidoyer politique au niveau continental pour promouvoir l’usage communautaire des terres et des systèmes de management.
Nous devons tirer les leçons des principes de bonne gouvernance foncière de nos arrière-grands-parents qui nous ont légué la terre. Nous devons développer et adopter un usage et une gestion durable des terres qui répondent aux besoins de tous qu’ils soient : agriculteurs, bergers, chasseurs, pêcheurs, cueilleurs de fruits sauvages et animaux sauvages.

Pour plus d’informations, consultez le site www.afsafrica.org

Encadré 3

Le climat et l’accaparement des terres

Du point de vue de la base, il y a toujours eu un lien étroit entre les crises climatiques et environnementales et l’accaparement des terres. Par exemple, les causes des crises climatiques et des violations des droits à la terre sont les mêmes – un système économique basé sur l’extraction sans fin de ressources naturelles et où les industries minières tout comme l’agro- industrie et les plantations, y contribuent grandement. En plus, le lien est encore plus évident car ces mêmes projets d’entreprises à l’origine de ces crises sont également responsables des meurtres les plus documentés de défenseurs des droits humains en matière de terre et d’environnement.

Récemment, l’intérêt s’est accru au sujet de l’atténuation et l’adaptation de la terre et la nature au climat . Mais malheureusement, cela fait peser de graves menaces sur les droits collectifs des peuples sur leurs terres et territoires avec une nouvelle vague d’accaparement de terre pour des projets de conservation ; mais la menace vient aussi de la marchandisation et l’intégration de la nature dans les marchés financiers – ce que nous appelons la financiarisation de la nature.
Les « technologies à émissions négatives » (NET ), qui visent à éliminer le carbone de l’atmosphère, constituent un problème majeur. Les pays industrialisés et les entreprises émettrices comptent désormais sur les NET en raison de leur incapacité historique à réduire les émissions aussi rapidement qu’exigé selon les demandes de justice climatique.

L’un des schémas dominants de ces NET consiste à cultiver et à brûler de grandes surfaces d’arbres et de cultures pour la bioénergie, puis à stocker le carbone émis dans des bunkers souterrains. C’est ce que l’on appelle la bioénergie avec capture et stockage du carbone ou BECCS. Selon les estimations, la BECCS pourrait nécessiter jusqu’à 3000 millions d’hectares de terres dans le monde. D’autres options pour les NET sont appelées « solutions climatiques naturelles » ou « solutions basées sur la nature », incluant la restauration des forêts, le reboisement et le boisement. Chaque option aura des effets différents sur l’environnement, les terres et les droits des peuples, selon qui les contrôle et leur mise en œuvre.

Les entreprises considèrent déjà les solutions basées sur la nature comme une opportunité pour compenser leurs émissions. Les compensations permettent aux grands pollueurs historiques comme les compagnies pétrolières de continuer à polluer en transférant leur responsabilité de réduction des émissions avec des projets de conservation dans les communautés du Global Sud. La compensation ne réduit pas les émissions globales et exacerbera donc les effets du climat sur les terres. C’est aussi injuste car cela maintient et étend le contrôle des territoires par les plus responsables du changement climatique. La compensation équivaut à un double accaparement de terres, car les entreprises finissent par contrôler l’utilisation des terres à deux endroits : le site qu’elles détruisent et celui qu’elles déclarent comme compensation.

D’autre part, des solutions décentralisées aux crises de l’environnement et de l’accaparement des terres sont possibles : elles seraient basées sur un contrôle écologique et autonomes et une gouvernance par les populations autochtones, par les peuples des forêts, par les petits producteurs sur leurs propres terres et territoires – comme l’agroécologie pour la souveraineté alimentaire et la gestion communautaire des forêts – . Elles gagnent en importance comme solutions pour la justice environnementale. La gestion communautaire des forêts et des territoires est le meilleur moyen de préserver les écosystèmes tels que les forêts, les mangroves, les zones humides et les plans d’eau. L’agroécologie refroidit le climat en supprimant le besoin d’énergies fossiles, en recyclant les nutriments dans les fermes, en relocalisant les systèmes alimentaires et en arrêtant la destruction de l’environnement pour la production de produits agricoles à des fins lucratives.

Comme toujours, il est vital que les mouvements pour la justice foncière et la justice environnementale travaillent ensemble pour dénoncer les fausses solutions et démontrer notre propre vision pour un futur juste.

Sous les feux de la rampe

Les nouveaux accapareurs de terres à l’échelle mondiale : Wall Street

Depuis la crise financière de 2007-2008, les terres agricoles sont devenues de plus en plus un actif financier important pour les entreprises, ce qui a suscité à la fois des protestations massives de la part des organisations de paysans et une attention significative de la part des institutions internationales. Mais si les efforts de marchandisation des terres agricoles ne sont pas nouveaux, le dernier chapitre de l’histoire de l’accaparement des terres présente des différences marquées : de nouveaux défis apparaissent ainsi que des répercussions sur le plan géographique et des opportunités de solidarité internationale et intersectorielle.

Nouvelles géographies, différentes tactiques, mêmes entreprises

De manière globale aussi bien au Sud qu’au Nord, l’accaparement des terres s’accélère et s’étend souvent avec des liens financiers avec des investisseurs institutionnels du Nord. Les fonds de pension nord-américains et européens et les fondations universitaires investissent des fonds importants dans des projets agricoles à grande échelle dans des régions comme le Cerrado brésilien, où les communautés sont déplacées, les défenseurs des droits à la terre assassinés et les forêts brûlées pour l’agroindustrie [« L’accaparement des terres agricoles au Brésil par Harvard et la TIAA part en fumée.« ]. Pendant ce temps, les petits agriculteurs d’Europe et d’Amérique du Nord continuent à se débattre contre les prix extrêmement bas et les coupes dans les filets de sécurité sociale, ce qui les rend vulnérables à l’accaparement des terres par bon nombre de ces mêmes investisseurs institutionnels.

Alors que l’exploitation des institutions faibles et de la corruption est au cœur de l’accaparement violent des terres dans des endroits comme le Cerrado brésilien, dans le « Global Nord » ce sont des institutions en bonne santé qui soutiennent des tactiques d’investissement de type « prédateur ». Des sociétés financières comme la caisse de retraite américaine TIAA et la dotation de l’université de Harvard ont dépensé des dizaines de milliards de dollars, dont une grande partie provient des fonds de pension des travailleurs du secteur public comme les enseignants, pour acquérir des millions d’hectares de terres agricoles dans des endroits comme l’Illinois et le Mississippi aux États-Unis. Bien que la TIAA soit devenue le plus grand propriétaire institutionnel de terres agricoles au monde, ses objectifs ne visent pas la production alimentaire, mais plutôt sur la spéculation sur la terre et d’autres inputs agricoles essentiels. Bien que ce ne soit pas strictement illégal, le fait que les entreprises ciblent des agriculteurs en détresse financière est une tactique prédatrice qui conduit les agriculteurs à vendre leur seul moyen de subsistance : leur terre.

L’accaparement des terres en Amérique du Nord pourrait augmenter de façon dramatique dans les années à venir. Des décennies de discrimination institutionnelle continue ont laissé de nombreux agriculteurs noirs avec des titres de propriété informels et un statut incertain qui les rend particulièrement vulnérables aux spéculateurs et aux investisseurs fonciers [Atlantique (en anglais)]. Les terres indigènes restent constamment menacées. Les petits agriculteurs en général luttent en Amérique du Nord, car les sociétés agro-industrielles deviennent plus grandes et plus puissantes ; au cours des 15 prochaines années, la moitié des terres agricoles aux États-Unis et au Canada devraient changer de mains, à mesure que les agriculteurs prendront leur retraite. Si rien n’est fait, une grande partie de ces terres pourrait se retrouver entre les mains d’investisseurs et d’entreprises.

Pistes à suivre

Depuis des décennies, les organisations d’agriculteurs et leurs alliés plaident pour des réformes politiques clés visant l’accaparement des terres dans les pays du Nord et du Sud, comme : le renforcement des droits à la terre des communautés marginalisées (comme la propriété des héritiers aux États-Unis, ainsi que les droits à la terre des communautés indigènes et des travailleurs agricoles sans terre) ; la restriction de la propriété foncière des entreprises ; et la mise en œuvre de politiques garantissant un prix juste aux petits agriculteurs pour les maintenir sur leurs terres. Les travailleurs pensionnés en particulier en Amérique du Nord et en Europe, peuvent agir en solidarité avec les agriculteurs et les paysans du monde entier en s’assurant que leur argent n’alimente pas ces pratiques d’accaparement des terres et de spéculation risquée. Ensemble, ces efforts permettront de renforcer les communautés rurales et de protéger la stabilité financière des travailleurs.

Pour plus d’informations sur l’accaparement des terres par les investisseurs institutionnels, consultez le site ici.

Bulletin n° 40 – Éditorial

Accaparement des terres et justice foncière

Illustration: Boy Dominguez, Journal of Peasant Studies édition sur Green Grabbing (l’ Accaparement Verte), 2012

La terre est la base de la vie sociale. Elle est non seulement le fondement de la production agricole, mais elle façonne et est également façonnée par les dynamiques politiques, économiques et culturelles des sociétés : le pouvoir affecte l’accès à la terre, et l’accès à la terre donne le pouvoir.

Étant donné le rôle central de la terre dans la société humaine, il n’est pas surprenant qu’elle ait également joué un rôle central dans l’accumulation des profits dans l’expansion du capitalisme mondial. L’accaparement de terres à longue distance – l’expropriation, la marchandisation et la privatisation de terres lointaines – est un élément central de l’histoire du monde depuis 500 ans. Les gouvernements ont toujours cherché à contrôler la terre, mais depuis la fermeture des terres des paysans en Angleterre et les conquêtes européennes des terres indigènes à partir de 1492, l’accaparement des terres a été lié aux intérêts coloniaux et impériaux du capital privé aux côtés des États. Le résultat : des vagues continues de dépossession, de génocide et d’asservissement des peuples indigènes, noirs et bruns. Ainsi, si les récents accaparements de terres reflètent une continuité, les moteurs et les impacts contemporains doivent également être compris dans leur contexte actuel.

Ce numéro de Nyéléni est la première partie de deux éditions (juin et septembre) consacrées au thème de la terre. Ce numéro examine les défis de la ruée actuelle sur la terre par des acteurs financiers et des entreprises, du local au global. Il évalue les opportunités actuelles et propose des stratégies et des solutions pour promouvoir le changement. La terre est un lieu de contestation et d’injustice ; c’est aussi un lieu de lutte, et de progrès, pour la souveraineté alimentaire et la justice.

Food First