L’écho des campagnes

L’écho des campagnes

Le couloir afroalimentaire dans le Nord du Cauca, Colombie

Julio Cesar Rodriguez Castrillon, Corporación Colombia Joven, Nord du Cauca, Villa Rica Cauca

Le couloir afroalimentaire est une initiative sociale communautaire issue de l’articulation de plusieurs organisations, avec l’objectif de promouvoir et renforcer une dynamique d’organisation alternative pour atteindre la souveraineté alimentaire et le bon respect du droit humain à l’alimentation. Ce rêve me remplit d’espoir, car ces actions permettent de rendre leur dignité aux agriculteurs et agricultrices, et cela participe à donner visibilité et reconnaissance au travail des paysans afro du Nord du Cauca, qui fait partie intégrante du développement des communautés rurales. Je suis convaincu que le Nord du Cauca doit rediriger son modèle de développement actuel, basé sur les monocultures comme la canne à sucre utilisée dans les boissons ultra-transformées, vers le renforcement et la conservation des exploitations traditionnelles et éconatives, vers la conservation des semences créoles et natives, la préservation de l’économie solidaire et la création de circuits courts de commercialisation. Le marché afroalimentaire doit représenter une des meilleures stratégies pour que les agriculteurs et agricultrices, sans recourir à des intermédiaires, vendent leurs produits à prix juste, et en parallèle les communautés bénéficient d’une alimentation saine faite de véritables aliments et selon les traditions culinaires afrocolombiennes. Selon moi, le travail des organisations sociales est essentiel pour que ce défi de vie soit également perçu comme une stratégie pour apporter une solution au plan d’éradication de la faim du gouvernement national, permettant ainsi de revendiquer les espaces opportuns grâce à des plans de développement municipaux et départementaux.

Le processus Nyéléni : vers un forum mondial pour la souveraineté alimentaire en 2025

L’écho de nos alliés

Stefano De Angelis, Fédération Syndicale Mondiale (FSM), www.wftucentral.org

En 2016, la FSM a participé au processus Nyéléni européen. Nous pensons que les thèmes importants de l’alimentation et la nutrition doivent inclure les travailleurs qui sont souvent directement impliqués dans la récolte et la transformation des produits agricoles.

Le syndical traite également au quotidien avec un grand nombre de travailleurs qui achètent des aliments à bas coût en raison de leurs salaires peu élevés, sans connaître les conséquences pour eux et pour les petits producteurs. Cela illustre le besoin fondamental pour une plus grande implication et un partage des connaissances avec les travailleurs (et les associations de consommateurs) sur les questions de la production de bons aliments et de respect de la nature.

La lutte pour la souveraineté alimentaire doit être articulée avec un front uni, avec une coordination entre les agriculteurs, les travailleurs et les consommateurs. C’est indispensable pour surmonter rapidement les particularités de chaque lutte qui nous séparent et nous affaiblissent face à un ennemi bien plus fort.

Au niveau européen, le développement du mouvement pour la souveraineté alimentaire doit passer d’un angle plus académique et de recherche à la construction d’une plateforme pour les revendications (des revendications qui peuvent être présentées aux niveaux européen et régional). Cela étant dit, nous sommes conscients qu’une telle plateforme requiert beaucoup de coordination et de ressources.

Les progrès dans le domaine des droits sont généralement obtenus par des combats locaux et un travail de plaidoyer directement auprès des décideurs. C’est pourquoi il pourrait être utile d’organiser plus d’assemblées, des initiatives et actions de rue sur les sujets de discorde comme la répartition injuste des subventions, les dangers des nouveaux OGM, les coûts élevés auxquels sont confrontés les petits producteurs, etc. Sur ces sujets, solliciter les syndicats peut s’avérer très utile.

Encadres

Encadré 1

Que sont les produits « alimentaires » ultra-transformés ?

Les « aliments » ultra-transformés, ou plutôt faudrait-il parler de « produits comestibles » ultra-transformés ou plus communément « malbouffe » sont des formules industrielles élaborées à partir de substances dérivées d’aliments et additifs naturels qui rendent ces produits plus attrayants et repoussent leur date de péremption. Ils sont souvent riches en sucres libres, amidons raffinés, gras trans ou saturés et sodium. La quantité excessive de ces ingrédients qualifiés d’« essentiels » associée à un apport nutritionnel relativement faible (« calories vides ») et l’ajout d’additifs comme les colorants, les émulsifiants et les exhausteurs de goût rendent ces produits néfastes pour notre santé.  De plus, les caractéristiques sensorielles présentées par ces produits (qui peuvent aller jusqu’à créer une addiction) et leur faible pouvoir de satiété (en raison de la suppression des fibres), le tout dans un emballage coloré et promu avec un marketing agressif provoque une surconsommation de ces produits, et un déplacement consécutif des vrais aliments dans nos régimes alimentaires.  

Le système de classification NOVA a été élaboré pour regrouper différents aliments et aider à distinguer les produits comestibles ultra-transformés des vrais aliments, même les aliments transformés.

Groupe 1 — Aliments non transformés ou faiblement transformés : Il s’agit des aliments naturels comme les fruits, les légumes, les légumineuses, les céréales, les noix, le lait et la viande qui n’ont pas été modifiés ou faiblement modifiés par l’épluchage, la découpe, le concassage, le séchage, la congélation, la cuisson, la pasteurisation ou la fermentation sans alcool. Aucun sel, sucre, huile ou autre additif n’est ajouté.

Groupe 2 — Ingrédients culinaires transformés : Obtenues directement à partir des aliments du groupe 1 ou de la nature, ce sont les substances utilisées pour cuisiner ou assaisonner les plats. Elles incluent le sucre, le sel, les huiles et les graisses. 

Groupe 3 — Aliments transformés : Ce sont les produits alimentaires élaborés en ajoutant les ingrédients culinaires (du groupe 2) aux aliments naturels ou faiblement transformés (du groupe 1) dans le but de les rendre plus durables et agréables. Parmi ces produits se trouvent les fromages frais, les pains frais, les légumes et légumineuses en bouteille ou en conserve (dans de l’eau salée ou de la marinade).

Groupe 4 — Aliments ultra-transformés : Ce groupe comprend des formules industrielles de substances comestibles dérivées d’aliments peu coûteux du groupe 1 et d’autres substances organiques. Il s’agit d’ingrédients que l’on ne trouverait pas dans une cuisine classique (en d’autres termes, des ingrédients purement industriels) comme les isolats de protéine, les additifs cosmétiques comme les colorants et les arômes qui rendent l’aspect et le goût du produit plus attrayants. Ces produits passent par plusieurs étapes de transformation impliquant plusieurs industries, d’où le qualificatif « ultra-transformé ». Par exemple : les chips en sachet et autres en-cas sucrés ou salés, les chocolats, les glaces, les bonbons, les boissons édulcorées, les céréales sucrées et aromatisées pour le petit-déjeuner, les soupes instantanées, les pâtes et plats à base de viande préparés.

Références :  Programme mondial pour la recherche alimentaire, 2023. Ultra-processed foods: a global threat to public health.

Monteiro et al. 2019. Ultra-processed foods: What they are and how to identify them, dans Public Health Nutrition: 22(5), 936-941.

Encadré 2

Approvisionnement direct auprès de petits producteurs alimentaires pour les programmes d’aide alimentaire aux États-Unis

Depuis quelques années, aux États-Unis, des programmes se sont multipliés pour mettre en lien des exploitations locales avec des partenaires d’aide alimentaire comme les banques alimentaires, les points de distribution solidaires et les efforts locaux de la base pour lutter contre la faim. Ces initiatives, sous l’acronyme F2FA (Farm to Food Assistance), présentent une stratégie prometteuse pour aider 44 millions d’Américains à sortir de l’insécurité alimentaire grâce à de vrais aliments plutôt qu’avec des UPP. Elles participent également à redynamiser les économies alimentaires locales et régionales, qui sont au cœur de systèmes alimentaires équitables et reposant sur la communauté. Une étude nationale[1] réalisée en 2022 par Wallace Center sur la Farm to Food Assistance démontre l’impact positif de ces programmes sur les agriculteurs et les communautés.

Même si F2FA ne remet pas totalement en question la nécessité de repenser les actions de lutte contre la faim et d’éradication de la pauvreté aux États-Unis, ces efforts sont transitionnels et bousculent le monopole des grandes entreprises sur les systèmes alimentaires industriels grâce à la redistribution de fonds publics. Par exemple, le Programme d’Accords Coopératifs « Local Food Purchase Assistance » (LFPA) du ministère américain de l’Agriculture encourage des partenariats entre les agences étatiques, les gouvernements indigènes, les banques alimentaires, les points de distribution solidaires et les agriculteurs pour fournir et distribuer des aliments, qui bénéficient aux producteurs locaux socialement défavorisés et les communautés marginalisées, avec un budget de 900 millions de dollars.

Les États de l’Iowa et du Nouveau Mexique[2] font figure d’exemples au sein du programme LFPA, en adoptant des approches très collaboratives, stratégiques et visant l’égalité. Au cours de la première année, ces États ont généré plus de 4 millions de dollars de ventes supplémentaires pour les agriculteurs, leur permettant ainsi de fournir des aliments nutritifs aux communautés dans le besoin.

Encadré 3

Les protéines synthétiques

Les protéines synthétiques présentent une menace directe à la souveraineté alimentaire. Ce nouveau marché sert à protéger les intérêts financiers des grandes entreprises et asseoir davantage la concentration du pouvoir, tandis que ces aliments ultra-transformés et souvent génétiquement modifiés ont d’immenses conséquences économiques, sociales, environnementales et culturelles. L’argent public ne doit pas être alloué à cette technologie. Au contraire, les dirigeants politiques doivent soutenir le secteur agricole, pour garantir un grand nombre d’exploitants des terres. Les institutions de l’UE doivent assurer une évaluation complète et indépendante des potentielles conséquences néfastes des protéines synthétiques avant de les autoriser à intégrer nos assiettes.

Découvrez quels sont les enjeux pour les agriculteurs et les citoyens dans la vidéo d’ECVC sur les protéines synthétiques et la fiche descriptive correspondante :

Vidéo, fiche descriptive et liens vers les deux supports disponibles sur le site en anglais d’ECVC.

Encadré 4

Loi sur le gaspillage alimentaire et droit à l’alimentation en Espagne

De nos jours, se trouver en situation d’exclusion sociale provoque une entrave à la capacité de choix, y compris dans les habitudes alimentaires. La population de manière générale est conditionnée par des facteurs multiples, mais les personnes en situation de pauvreté vivent au quotidien l’absence de la perspective des droits dans l’accès à l’alimentation. Un droit de base comme celui à l’alimentation est rattaché à de nombreuses conditions, des conditions nécessaires pour accéder à un panier de produits considérés comme « basiques » qui, loin de remplir les estomacs, ne fait que continuer à alimenter les intérêts des multinationales ainsi qu’un système alimentaire inégal qui donne la priorité au marché et plutôt qu’aux besoins et de droits de toutes les personnes.

Un autre exemple de tout cela : en Espagne, une loi sur le gaspillage alimentaire est examinée, elle rendra officiel le lien entre les personnes défavorisées et les restes alimentaires. Cette loi prévoit que tout surplus alimentaire soit consommé de façon prioritaire par des personnes en situation de vulnérabilité. Il s’agirait d’une bonne nouvelle s’ils intégraient une différenciation entre les produits selon leur valeur nutritionnelle et mettaient en avant la santé de ces personnes. Mais au lieu de cela, la priorité est mise sur la résolution du problème du gaspillage alimentaire des grandes entreprises, sans véritablement le réduire. Ce projet place les personnes défavorisées comme objets et limite toute possibilité de choix dans leur alimentation.

De plus, dans cette nouvelle formule soutenue par des fonds publics, l’aide ne sera pas gérée par des entités publiques mais par la Croix Rouge, une entité privée. C’est la concrétisation de la privatisation de l’aide sociale, du moins pour le volet alimentaire. L’aide sera gérée via des cartes numériques pour acheter dans de grands supermarchés, ces achats seront limités à certains produits désignés par la grande surface lorsqu’ils seront considérés par celle-ci comme « déchets ».

En parallèle, des initiatives sont déjà en place, organisées par la population pour aider en fournissant des aliments sains et agroécologiques aux plus vulnérables. Avec la perspective d’Alimentación Sostenida por la Comunidad, les producteurs et les consommateurs organisent des groupes de soutien pour assurer une alimentation saine pour les personnes en situation de pauvreté. Cette initiative donne de l’espoir mais elle attriste aussi car une fois de plus, un droit basique comme celui à l’alimentation ne sera pas soutenu par les institutions prenant leurs responsabilités.

Encadré 5

Défis de l’alimentation : lutte contre le régime alimentaire industriel en Amérique latine

Au cours des dernières décennies, nous avons été témoins de la consolidation d’un système alimentaire qui perpétue la pauvreté et les inégalités, favorise les intérêts économiques des grandes industries et affaiblit les écosystèmes et qui, loin de favoriser une alimentation réelle, a entraîné la diminution de la biodiversité et l’hégémonie du régime alimentaire industriel. Ce régime, basé sur la consommation de produits comestibles et buvables ultra-transformés (PCBU en espagnol) a entraîné une hausse préoccupante des cas de surpoids, obésité et maladies non transmissibles (MNT). D’après des chiffres récents, depuis 1975 les cas d’obésité ont été quasiment multipliés par trois et sont désormais responsables de 4 millions de décès par an au niveau mondial. Dans la région des Amériques, les MNT causent 5,5 millions de décès par an, soit 80 % de tous les décès. Chaque année, dans la région, 2,2 millions de personnes de 30 à 69 ans meurent prématurément en raison de ces maladies.

Dans ce contexte, où l’application du Droit Humain à l’Alimentation et la Nutrition Adéquate (DHANA) et la Souveraineté Alimentaire (SOBAL en espagnol) a été considérablement entravée, la société civile a pris la tête de luttes afin de réguler l’immense disponibilité des PCBU et leur part excessive dans la consommation, responsable d’un changement dans les schémas d’alimentation traditionnelle faite de véritables aliments, peu transformés ou préparés à la maison. La lutte pour une régulation de cette industrie inclut un étiquetage d’avertissement clair sur les contenus mauvais pour la santé et la mise en place d’un impôt sur les PCBU ; des avancées normatives recommandées par des entités comme l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) et l’Organisation Panaméricaine de la Santé (OPS). Néanmoins, ces initiatives se heurtent à une ingérence forte des géants de l’industrie alimentaire, qui cherchent coûte que coûte à protéger leurs intérêts commerciaux. Résultat, ils déforment ou bloquent souvent des mesures de régulation visant à protéger la santé publique ou promouvoir une alimentation adéquate. Le combat pour un système alimentaire plus juste et plus sain se retrouve donc pris dans la lutte entre les efforts de la société civile et les intérêts commerciaux qui perpétuent un modèle non durable et mauvais pour la santé humaine et pour la planète.

Pour en savoir plus sur les combats contre le régime alimentaire industriel en Amérique latine, vous pouvez consulter :

Alliance pour la santé alimentaire (Mexique), FIAN Colombie, Projet Squatters et Collectif Duda (Argentine).

Encadré 6

Lutter contre la diffusion des produits « alimentaires » ultra-transformés (UPF)/La malbouffe en Inde

L’Inde est connue comme la capitale du diabète dans le monde : 1 adulte sur 4 est diabétique ou prédiabétique et 1/4 est obèse. La consommation de malbouffe croît rapidement, rendant les régimes alimentaires peu sains et participant à cette épidémie. Même si le gouvernement indien a mis en place des réglementations sur la publicité et l’étiquetage pour lutter contre le marketing agressif de ces produits, ces réglementations sont faites de façon à être inefficaces. Dans ce contexte, le Nutrition Advocacy in Public Interest (NAPi), un groupe de réflexion indépendant centré sur la santé publique, a analysé des publicités et interpellé les célébrités qui y apparaissaient. NAPi a regroupé toutes les preuves scientifiques et les a publiées dans toute l’Inde. En 2022, le gouvernement indien a proposé un projet de loi pour une notation par étoiles sur le devant des emballages de malbouffe qui indique que les aliments préemballés allaient de « moins sains » au « plus sain ». La population indienne a réagi en envoyant des lettres par milliers, réclamant des étiquettes d’avertissement sur les emballages plutôt que les étoiles.  Ce système permet aux personnes d’identifier facilement les produits alimentaires non sains en raison de leur forte teneur en sucre/sel ou graisses. NAPi a aussi mobilisé plusieurs organisations de la société civile ou d’académiques pour publier leur prise de position, réclamant une étiquette d’avertissement sur l’emballage des aliments à forte teneur en sucre/sel ou graisses. Les médias ont pleinement soutenu ce travail. Des groupes de la société civile ont également effectué des signalements auprès des autorités de protection des consommateurs. Appelant à une politique complète, NAPi a lancé le rapport “The Junk Push” en 2023, qui dénonce avec quelle force la publicité promeut la malbouffe. Des experts ont publié des articles d’opinion dans des quotidiens et des analyses dans des journaux vérifiés par des pairs.

#EndTheJunkPush, pour en savoir plus : https://www.napiindia.in/


[1] https://foodsystemsleadershipnetwork.org/wp-content/uploads/2023/12/2023-Wallace-Center-F2FA-Infographic_Final.pdf

[2] https://foodsystemsleadershipnetwork.org/wp-content/uploads/2024/03/Iowa-LFPA-Spotlight.pdf et https://foodsystemsleadershipnetwork.org/wp-content/uploads/2024/03/New-Mexico-LFPA-Spotlight.pdf

Sous les feux de la rampe

Sous les feux de la rampe 1

Comment les produits comestibles ultra-transformés s’imposent et comment retrouver des choix sur ce que nous mangeons

L’omniprésence des UPP dans notre alimentation n’est pas le résultat de choix individuels, comme l’industrie alimentaire aimerait nous le faire croire. Nous sommes contraints de vouloir ces produits. Les UPP sont des formules industrielles élaborées pour être très agréables à consommer (savoureuses), voire addictives, surtout si elles sont consommées dès le plus jeune âge. L’industrie alimentaire investit des milliards dans le marketing et les ventes, en ayant recours à des dessins animés ou des célébrités, en offrant des produits, et en plaçant les produits de façon stratégique dans les magasins. Les gérants de petites boutiques reçoivent des réfrigérateurs et des chariots de marque, tandis que la restauration scolaire et les programmes d’aide publique constituent des marchés lucratifs supplémentaires.

De nombreuses recherches prouvent que les UPP nuisent à notre santé et sont une cause majeure de décès prématurés.[1] Ils entraînent un risque accru d’obésité et autres maladies non transmissibles (MNT), comme les maladies cardiovasculaires (cardiaques), le diabète, le cancer et exacerbent aussi la vulnérabilité aux maladies infectieuses. Bien que ce lien soit reconnu par les autorités sanitaires internationales et régionales, il est vivement contesté par l’industrie alimentaire, qui investit massivement dans des recherches et des campagnes dans les médias pour minimiser les effets négatifs de son produit le plus rentable.

Les inégalités sociales sont un important facteur encourageant la consommation des UPP vecteurs de MNT. Dans les pays à haut revenu et dans les zones urbaines principalement, ces produits sont souvent plus accessibles, tant concrètement que financièrement, que les aliments frais et faiblement transformés. L’une des explications est que leur prix ne reflète pas le véritable coût de production. Même si l’industrie des UPP nous renvoie « l’illusion de la diversité » dans ses produits, ces derniers reposent surtout sur quelques cultures peu onéreuses à rendement fort : le maïs, le blé, le soja, le sucre et l’huile (de palme). La production en monoculture et les chaînes d’approvisionnement mondiales qui y sont associées ont de forts impacts environnementaux, dont le coût n’est pas reflété. Parmi ces impacts : la déforestation, la pollution des eaux, de l’air et des sols aux produits agrotoxiques, l’utilisation excessive d’eau, la perte de biodiversité, les émissions de CO2 dues à la production, au transport et à l’emballage et les déchets plastiques.

S’ajoutent à cela des coûts sociaux : le déplacement de populations rurales (et des méthodes alternatives de produire et échanger), une dépendance et une faible rémunération aux producteurs d’aliments, ainsi que des conditions de travail et des salaires relevant de l’exploitation dans toute la chaîne de l’industrie alimentaire. La production et la distribution à très grande échelle associées aux recettes fiscales pour les entreprises ajoutent encore au bas coût superficiel des UPP.  

Pour récupérer le contrôle sur ce que nous mangeons et disposer d’un vrai choix, nous devons réduire le pouvoir des grandes entreprises sur tout le système alimentaire. Des mesures de réglementation sur les UPP, comme des étiquettes d’avertissement et des régulations du marketing sont requises de toute urgence et constituent des impératifs de santé publique. En parallèle, nous devons également travailler à des alternatives viables. Plus de diversité dans nos assiettes requiert de la diversité dans nos champs, et des aliments de qualité requièrent des sols sains. Pour cela, nous avons besoin de politiques publiques pour une transition vers l’agroécologie, et de soutien aux marchés d’agriculteurs, aux coopératives et autres systèmes de distribution et d’échange basés sur la proximité et la solidarité. De plus, nous devons résoudre les inégalités structurelles qui entravent l’accès aux véritables aliments, notamment en garantissant des salaires et des revenus décents.

Sous les feux de la rampe 2

En Afrique, les UPF représentent d’immenses menaces pour les systèmes alimentaires et les transitions agroécologiques justes

Les systèmes alimentaires changent rapidement en Afrique, à l’image de la tendance mondiale d’une consommation accrue d’aliments ultra-transformés (UPF en anglais). Ce phénomène est visible dans les zones urbaines et rurales, il apparaît dans les zones urbaines côtières et s’étend vers les régions enclavées. La consommation d’aliments dans les zones urbaines repose principalement sur les achats, majoritairement d’aliments ultra-transformés. Dans les zones rurales, moins de la moitié des aliments proviennent du commerce et la plupart de ceux-ci sont encore très peu transformés.  Les importations d’UPF connaissent également une hausse rapide, par exemple les importations de boissons non alcoolisées vers la Communauté de développement de l’Afrique australe ont bondi de 1 200 % entre 1995 et 2010, et les aliments type « en-cas » ont augmenté de 750 %. 

La hausse de la consommation d’UPF en Afrique est liée à un contexte socio-économique et politico-économique changeant ainsi qu’aux inégalités structurelles qui contribuent à rendre les UPF plus accessibles, abordables et attractifs à la fois dans les zones urbaines et rurales. La privatisation des organismes parapublics liés à l’alimentation et la libéralisation des investissements directs étrangers (FDI en anglais) ont fortement participé à l’entrée des UPF en Afrique. Les investissements dans les UPF (brasseries, distilleries, boissons non alcoolisées et produits sucrés) représentent 22 % de tous les FDI dans le système alimentaire et le double des investissements dans les exploitations agricoles et les plantations.  Les UPF sont produits et vendus par des petites et moyennes entreprises et de très grandes entreprises, notamment des géants transnationaux de l’alimentaire comme Nestlé, Unilever et Danone. Les supermarchés se sont considérablement développés sur le continent, et les UPF remplissent les rayons. Ces produits sont également proposés par les vendeurs dans la rue et se trouvent aussi dans les magasins de proximité de tout le continent.

La hausse des UPF consommés en Afrique, en termes de quantité, de fréquence et de nombre de consommateurs s’accompagne inéluctablement d’un déplacement des aliments traditionnels sains et nutritifs, de la diversité alimentaire et agricole et des systèmes agricoles locaux. Ce phénomène est étroitement lié à la pandémie d’obésité qui sévit dans la région, et à d’autres maladies non transmissibles (MNT) liées à l’alimentation comme le diabète de type 2 et les cancers. La multiplication des nouveaux cas de surpoids et d’obésité est assortie de taux élevés constants de sous-nutrition et de carences en micronutriments.

Il existe des lacunes considérables dans les connaissances concernant les interactions entre les consommateurs et les systèmes alimentaires dans le discours actuel sur la souveraineté alimentaire. Même s’il présente des liens clairs avec le combat pour une transition juste des systèmes alimentaires vers l’agroécologie, le discours actuel est souvent orienté vers les zones rurales et assez peu pertinent pour les populations urbaines, les travailleurs agricoles, les travailleurs de l’industrie de l’alimentaire, et d’autres acteurs dans les villes et les campagnes. Ce discours doit être approfondi, et s’attaquer aux facteurs structurels qui entravent l’accès à des régimes alimentaires sains et perpétuent la pauvreté, les inégalités, la faim et la malnutrition dans un cercle infini sur le continent.

Pour en savoir davantage, consultez la fiche descriptive du African Centre for Biodiversity sur les UPF en Afrique.


[1]  Voir : Ultra-processed food exposure and adverse health outcomes: umbrella review of epidemiological meta-analyses.

Bulletin n° 55 – Éditorial

Les aliments ultra-transformés, un « régime alimentaire industriel »

Illustrations : Nikau Hindin, Obesity and Junk Food, 2009, @nikaugabrielle

Les 60 dernières années ont été accompagnées d’une hausse de la production et consommation « d’aliments » ultra-transformés, ou plutôt faudrait-il parler de produits comestibles ultra-transformés (UPP en anglais) tels que les chips en paquet, les gâteaux, les boissons édulcorées ou les plats préparés. Propulsés par l’expansion du système alimentaire industriel, notamment l’approvisionnement mondial et les lieux de vente, ainsi que la concentration et le pouvoir des grandes entreprises au sein de ce système, les UPP remplacent les aliments frais et faiblement transformés et les repas préparés à la maison dans nos régimes alimentaires.  Les schémas alimentaires sont de plus en plus homogénéisés et les traditions culinaires disparaissent. Ce changement est apparu dans les pays à haut revenu puis s’est étendu au reste des pays, et la part de ces produits dans certaines régions dépasse 50 % de l’alimentation humaine.[1] 

Cette édition de la newsletter Nyéléni s’intéresse à la manière dont « le régime alimentaire industriel » basé sur le UPP s’impose dans différentes régions du monde et aux implications pour la santé et la souveraineté alimentaire des personnes. Elle met en avant des exemples de résistance, du retour aux cultures traditionnelles au combat pour des mesures de régulation efficaces. Une chose est sûre, pour retrouver notre souveraineté sur nos assiettes, nous devons voir au-delà de ces assiettes et réformer le système alimentaire tout entier.

FIAN International et AFSA 


[1] Programme mondial pour la recherche alimentaire, 2023 – Ultra-processed foods: a global threat to public health et Alianza por la Salud Alimentaria, 2022 – Planeta Ultraprocesado:Los riesgos para la salud y el medio ambiento de los productos ultraprocesados.