L’écho des campagnes

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Notes d’une nouvelle paysanne périurbain aux USA

Caitlin Hachmyer, Ferme Red H, Californie, USA

Je regarde au loin, par-dessus mes cultures, vers les champs. Je ne possède pas cette terre. Je la cultive, je suis responsable de ce sol. Mais le soin que j’y apporte est en conflit permanent avec le fait de savoir que j’investis toujours davantage d’argent dans une entreprise dont je ne verrais peut-être jamais les profits.

Les jeunes paysans qui viennent de s’installer ont tendance à louer. Leur succès dépend de leur capacité à tirer partie d’une niche du marché, ce qui favorise les individus éduqués et dotés d’un réseau, issus de cercles socio-économiques privilégiés. Le caractère prohibitif de l’achat et les complexes mécanismes de location désavantagent une grande partie de la force de travail agricole. Des millions de travailleurs agricoles mexicains, par exemple, disposent d’une formation et de connaissances agricoles bien plus approfondies que la plupart des jeunes aspirant à devenir paysans, mais ils ne sont pas dotés du capital social et financier qui leur permettrait d’accéder à la terre. La race et la classe sont des obstacles.

Nos produits sont périssables et notre marché de niche est local. Nous devons cultiver à proximité de nos marchés urbains et périurbains. Nous devons cultiver précisément là où les prix des terrains sont les plus élevés. Donc nous louons, ce qui posent de nombreux problèmes. Par exemple, les conflits qui découlent de l’incompréhension des propriétaires à l’égard de l’agriculture ; les accords verbaux qui ne se concrétisent pas à cause d’attentes divergentes ; les baux à court terme qui fragilisent notre investissement dans le terrain et dans la terre ; la vente du terrain ou la mort du propriétaire ; la perte du terrain au profit d’un « meilleur » développement « aux objectifs plus élevés » ; l’impossibilité d’investir dans des cultures pérennes ; les conflits de personnalité…

Cultiver dans des zones périurbaines signifie que notre ferme est visible par le public, voire par les propriétaires. Et cultiver des plantes diversifiées et spécialisés sur un terrain qui peut être l’arrière-cour de quelqu’un implique généralement un investissement important pour restaurer l’écologie des sols et garantir des récoltes de qualité.

Les paysans du monde entier sont considérés comme faisant intégralement partie de la solution au changement climatique. Des méthodes hautement écologiques qui emprisonnent le carbone dans les sols auront une grande importance stratégique. Les fermes ayant recours aux semis directs et qui travaillent à des niveaux intensifs, commerciaux, gagnent davantage par acre que la plupart des exploitations conventionnelles, mais un investissement financier plus élevé n’a pas de sens pour des paysans qui ne peuvent pas compter sur la sécurité de la terre. Les méthodes de culture écologique constituent un portefeuille d’investissement pour le paysan : il y a un retour immédiat, puisque la valeur nutritive des intrants améliore rapidement la santé et le rendement des cultures, mais le retour véritable se fait sentir sur le long terme, avec des systèmes de sols profonds et complexes, la fixation d’habitats et d’insectes, des cours d’eau sains et de beaux paysages biodiversifiés.

Nous avons besoins que les paysans puissent investir leur terre sur le long terme. Cependant, même les fermes à petite échelle sont encore des entreprises, et nos pratiques agricoles ne peuvent pas toujours correspondre à nos idéaux écologiques quand nous n’avons pas la possibilité d’actualiser les bénéfices à long terme de ces pratiques sur un terrain que nous ne possédons pas.

Les jeunes paysans périurbains du mouvement alimentaire local vivent dans des tentes, des garages reconvertis, de petites maisons ou des studios. Ils se demandent s’ils peuvent se permettre d’avoir une famille. Leur mode de vie simple est déphasé par rapport à celui de la communauté plus large à laquelle ils appartiennent. Comment peuvent-ils créer et soutenir une transformation sociale en profondeur et un engagement pour la souveraineté alimentaire ? Par exemple, plus de 400 millions d’acres de terres arables vont bientôt changer de mains aux USA. La période en appelle à des réformes approfondies.

Nous faisons tous partie d’un système agricole complexe, entrelacé, que nous cultivions ou non. Lorsque cet état de fait sera plus largement compris, la valeur de ceux qui soignent directement nos systèmes agricole et aquifère, et la nécessité de véritables investissements au niveau de la communauté se feront plus clairs. Nous avons besoin de changements structurels qui mettront les paysans, ceux qui prennent soin de la terre, au centre de la propriété de la terre commune. Nous avons besoins que des portions de terres cultivables soient retirées du marché et redistribuées à ceux qui construisent notre système alimentaire, la fondation de nos vies.

Je rêve d’un jour où je pourrai contempler la terre autour de moi en sachant que je peux y rester pour toujours.

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Nouveaux espaces pour le collectivisme

Joel Orchard, Alliance des jeunes agriculteurs des Rivières Nord, Australie

Je pense qu’on traverse une période de changement important dans le secteur de l’agriculture á petite échelle, spécialement en ce qui concerne le mouvement des jeunes fermiers. Il y a tellement d’opportunités pour explorer de nouveaux espaces pour le collectivisme et les connexions entre la nouvelle néo-paysannerie et l’émergence de consommateurs plus éduqués et ayant une meilleure compréhension de l’alimentation dans des populations urbaines grandissantes. Ces relations forgent de nouvelles approches á la souveraineté alimentaire. La limite rural-urbain est en état de siège alors que les villes s’étendent sur les terres traditionnellement agricoles, cimentant les sols fertiles; les terres agricoles périurbaines sont une marchandise de valeur, qui subissent un rapide embourgeoisement. Comment les terres périurbaines sont gérées et rendues disponibles pour la production alimentaire doit devenir un critère de planification central pour arriver á des économies alimentaires locales fructueuses.

La succession conventionnelle dans l’agriculture familiale est graduellement remplacée par une activité croissante dans les économies alimentaires locales par les fermiers de première génération de contextes urbains et professionnels. Ils arrivent en général avec de fortes convictions et principes éthiques environnementaux et sociaux et cherchent des terres agricoles périurbaines á proximité de services et avec un accès direct au marché. Ils apportent un nouveau discours politique á l’agriculture á petite échelle, façonné par des idées et des valeurs de justice alimentaire, un sentiment anticonformiste, et basé sur des économies solidaires, ainsi qu’un désir de s’intégrer profondément dans les paysages et les écologies sociales. Là est mon espoir de construire une base plus solide pour le développement du mouvement pour la souveraineté alimentaire.

Les marchés des agriculteurs ont fourni les fondations de base pour la distribution directe et les chaines de valeur courtes. Pourtant, ils sont aussi aux prises avec des cultures de protectionnisme, d’individualisme et d’élitisme. Le mouvement d’agriculture soutenue par les communautés construit des relations encore plus étroites entre le fermier et le consommateur au niveau de l’interface alimentaire communautaire rurale-urbaine. Mais si les économies alimentaires locales restent consuméristes et individualistes, il y a peu d’espoir pour un changement systémique plus large.

Ces changements vers une production á plus petite échelle, vers l’agroécologie et la diversité font face á de nouveaux défis. Les modèles alimentaires locaux sont limités par l’accès á la terre et la question du coût abordable, ainsi que par un large éventail de contraintes bureaucratiques réglementaires sur la production, le logement et l’utilisation des terres. Le système alimentaire industriel a renouvelé ses efforts de compétition et de cooptation.

J’ai récemment passé une semaine en Thessalonique pour le 7eme Symposium International d’Urgenci sur l’Agriculture Soutenue par La Communauté et j’ai rencontré de jeunes agriculteurs engagés á ces valeurs communes et confrontés á toutes ces questions. Les obstacles que nous devons vaincre et les ponts que nous construisons ne sont pas régionalement uniques. Le mouvement international pour la souveraineté alimentaire nous donne le langage commun fort dont nous avons besoin pour nous intégrer dans les actions et activités transformatives afin de construire de nouvelles économies alimentaires á travers le globe.

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Importance de l’éducation politique

George Naylor, président de la National Family Farm Coalition, USA

J’ai grandi toute mon enfance jusqu’á quatorze ans dans une ferme de l’Iowa, dont ma femme et moi nous occupons maintenant. Mes parents et moi avions déménagé á la grande ville de Long Beach, en Californie, déjà depuis 1962, résultat du fait que mes parents devenaient trop âgés pour être fermiers et d’une crise de l’agriculture depuis presque 10 ans. Cette dépression agricole venait de la destruction des garanties de la parité de prix Roosevelt-Wallace, qui était devenue le fondement de l’agriculture familiale aux USA. Beaucoup de mes nouveaux compagnons de classe venaient de l’est, bien que nous essayions très vite de ne pas être associés avec cette culture. Notre famille achetait des provisions au marché japonais géré par des gens qui avaient été prisonniers dans des camps de détention durant la Seconde Guerre Mondiale. En plus des belles fraises et des légumes, leur magasin offrait de hautes piles de nourriture emballée telle que de la margarine, des céréales de petit déjeuner, et aussi de la viande et les hot dogs qui provenaient de mon état d’origine, l’Iowa. (vous imaginez? mes copains de classe disaient qu’ils préféraient le goût de la margarine á celui du beurre?!) Grace á mon nouvel environnement, je me suis détaché assez rapidement de mon mode de vie á la ferme et de la communauté que j’avais du abandonnés. Comme beaucoup de gens de la ville que j’ai rencontrés depuis, même mon intuition de quand les cultures doivent être plantées et récoltées avait quasi disparu. Quand j’étais un enfant á la ferme, ma mère mettait plus de 400 portions de fruits et légumes en conserve pour accompagner les carottes et pommes de terre que nous stockions pour avoir un régime équilibré durant les mois d’hiver. Nous mangions du bœuf de nos propres vaches parfois trois fois par jour, ainsi que des œufs de nos poules. Nous apportions les œufs au marché de notre ville ou ils étaient collectés á la ferme plusieurs fois par semaine, c’est-á -dire, jusqu’á ce que les œufs deviennent si bon marchés et que Campbell’s Soup refuse de payer plus que 3 cents par livre pour des vieilles poules.

Toutefois, “cultivés á la maison” et “fait á partir de rien” signifiait vraiment quelque chose- Ça demandait beaucoup de travail et de persévérance, mais c’était la norme parmi les familles de mes amis fermiers et voisins. Quel contraste avec ce á quoi j’étais devenu habitué durant mes années en Californie où tout venait d’un supermarché ou l’autre (le marché japonais avait déjà sombré dans l’oubli, et fut remplacé par Lucky ou Krogers). Si ce n’était pour ma vie précédente á la ferme et ma famille encore active dans l’agriculture en Iowa, moi non plus je n’aurais pas imaginé non plus quelle était la provenance réelle de la nourriture.

En faisant un saut en avant jusqu’en 2018, regardez l’urbanisation accélérée, l’industrialisation de la production et de la transformation de la nourriture. Pas étonnant qu’on voit á présent une certaine fascination pour la bonne nourriture et comment elle est produite. La question est: est-ce que la bonne nourriture est juste comme le dernier IPhone ou voiture électrique, ou est-ce que la bonne nourriture est une porte d’entrée pour comprendre comment la nourriture est devenue une marchandise, alors que nous sommes tous obligés de vivre dans de grandes villes en prenant n’importe quel job possible pour pouvoir survivre? Si nous pouvons voir où cela nous a menés, pouvons-nous voir où cela nous mènera? Pouvons-nous arriver á la compréhension POLITIQUE et créer une société différente où nous définissons les règles afin de respecter les contributions économiques de chacun et de valoriser les ressources naturelles qui peuvent soutenir écologiquement les générations futures?

Au début des années 2000, j’ai manifesté contre les accords de libre commerce et de l’OMC dans les délégations de la Via Campesina, et j’ai appris comment les politiques alimentaires nationales allaient été modifiées par les accords de commerce néolibéraux internationaux qui élimineraient les réserves alimentaires et les soutiens aux prix des marchandises pour imiter la politique américaine qui avait détruit l’agriculture familiale. J’ai appris comment la dépendance aux importations alimentaires serait créée dans tant de pays, en étranglant ainsi la chance des politiques nationales agricoles et alimentaires ou toute souveraineté politique – en faisant de l’alimentation une arme. J’ai visité plusieurs métropoles comme Sao Paulo et Mexico City pour voir comment le libre commerce avait déjà détruit les communautés rurales et transformés les fermiers et paysans fiers en des réfugiés urbains dans ces métropoles, comme ça s’était passé avec ma famille en 1962.

Selon moi, nous ne devons jamais perdre de vue des implications globales du terme Souveraineté Alimentaire. Alors que nous pouvons continuer á conscientiser et á encourager une nouvelle culture qui valorise les agriculteurs et les communautés rurales en achetant localement etc, cela doit aller main dans la main avec l’éducation politique pour développer le pouvoir politique et créer un monde qui valorise toutes les personnes et la Terre Mère dont nous dépendons tous.

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Potentiel de l’interface rural – urbain

Blain Snipstal, Collectif Black Dirt Farm, Maryland, USA

La lutte pour la souveraineté alimentaire repose sur notre capacité à revaloriser notre relation à la mère nature et aux autres, et à faire basculer les relations de pouvoir, fondamentalement matérielles et économiques, qui régissent notre système alimentaire et la société dans son ensemble. Cela signifie que davantage de terres doivent revenir aux personnes de couleur, au peuples autochtones et aux travailleurs pauvres.

Récemment, l’interface entre l’urbain et le rural, qui a longtemps été un espace de conflit dans notre société, est devenue la ligne de front que l’extrême-droite et l’actuelle administration américaine utilisent pour galvaniser leurs bases. En conséquence, les organisateurs qui travaillent à la libération sociale et écologique doivent faire preuve du plus grand soin et avoir recours à une pensée stratégique sur la meilleure manière de repousser ces forces antagonistes de droite, qui ne souhaitent utiliser que la violence, la peur et la coercition pour atteindre leurs buts.
Aujourd’hui, où notre société approche les 80 % d’urbanisation, nous devons trouver un moyen d’envisager un futur où la vie urbaine n’a pas lieu au prix de la vie rurale, où le mode de vie rural est distingué et valorisé de manière inhérente, et où le mode de vie urbain peut s’épanouir en harmonie avec la planète.

L’avenir du mouvement pour la souveraineté alimentaire dans cette société doit pouvoir se confronter à l’histoire de cette rencontre entre le rural et l’urbain et aux préjugés et aux comportements qu’une telle rencontre fait surgir. La clé de notre succès pourrait très bien se trouver dans cet espace et dans la variété d’acteurs qui travaillent à l’ouvrir au maximum.

En tant que membres du collectif Black Dirt Farm, nous avons de nombreuses années d’expériences de création d’espaces critiques de dialogue, d’éducation populaire et de travail pratique décent pour ouvrir cette interface et remettre en son centre une politique agraire radicale. Ce qu’il convient ici de noter, c’est que cette politique agraire radicale, ou afroécologie, comme nous l’appelons, doit reposer sur des modifications matérielles de la vie des personnes et de la terre grâce au travail collectif (c’est-à-dire à l’assistance mutuelle), ainsi que sur la transformation de nos manières de penser et d’agir individuellement et collectivement. À partir de ces expériences, nous avons découvert que l’interface entre le rural et l’urbain détient le potentiel de créer une dynamique multidimensionnelle aux valorisations multiples, où des acteurs urbains progressistes peuvent commencer de se projeter dans des espaces plus naturels ou plus ruraux, et les acteurs ruraux, c’est-à-dire les paysans, peuvent construire des communautés (sociales et économiques) et ouvrir leurs terrains comme espaces communautaires d’assistance mutuelle.

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Liens rural – urbain

Georges F. Félix, Boricuá de Agricultura Ecológica,(Puerto Rico)

Le Burkina Faso est largement auto-suffisant sur le plan de l’alimentation. Plus de 80% de la population burkinabé pratique l’agriculture de subsistance avec des cultures vivrières comme le sorgho, le millet et le maïs. Les marchés périurbains autour de Ouagadougou sont le résultat de l’expansion urbaine dans laquelle beaucoup de produits sont acheminés á travers les marchés locaux et régionaux. Les produits sont souvent vendus au porte á porte par des vendeurs. Les récoltes comprennent des légumes á feuilles vertes, des cultures de racines et des fruits. L’agriculture périurbaine á Ouagadougou est un moyen de subsistance dépendant des changement du niveau d’eau des lacs proches et de la propriété foncière précaire, pourtant elle survit comme source des aliments divers et traditionnels trouvés sur les marchés locaux.

L’agriculture périurbaine de Ouagadougou permet aux femmes de gagner de l’argent en vendant sur les marchés locaux. Aminta Sinaré est un professeur de math qui tient un jardin organique vivrier avec 40 autres femmes. Mme Sinaré dit: “Nous cultivons des salades (légumes) durant la saison froide. Pendant la saison des pluies (quand il fait chaud), nous cultivons les gombos, les choux et d’autres légumes. Nous produisons ce qui est adapté á la saison [ici].”

Le Burkina Faso est un pays enclavé situé au cœur du Sahel, qui est extrêmement vulnérable aux changements climatiques et globaux. Les deux dernières décennies, les agriculteurs ont vu une forte variabilité dans les régimes pluviométriques, des sécheresses aux inondations, conduisant á des pertes de récoltes, une érosion accrue des pâturages, et de manière plus importante, des crises alimentaires [West CT, Roncoli C, Ouattara F (2008) Local perceptions and regional climate trends on the Central Plateau of Burkina Faso. Land Degradation & Development 19 (3):289-304. doi:10.1002/ldr]. Mais l’accès á l’eau et la forte utilisation de produits chimiques dans la production agricole affligent l’agriculture périurbaine.

Le défi de la souveraineté alimentaire dans les interfaces urbain-rural au Burkina Faso peut fournir des liens politiques important entre les agriculteurs ruraux et urbains. Tous deux doivent aborder le besoin de production accrue de nourriture et désintoxiquer le processus de production alimentaire. Sécuriser la propriété foncière et fournir un soutien très nécessaire á l’échelle de bassins hydrauliques, en incluant une restructuration du système agricole sont aussi des demandes communes.