La souveraineté alimentaire, un droit pour tous

Cette déclaration a été faite en septembre 2001, à Rome à l’issue du forum de la société sur la souveraineté alimentaire qui se tenait parallèlement au Sommet +5 de la FAO sur l’Alimentation.

L’échec de la Déclaration de 1996 et la nouvelle Déclaration Officielle

Les mouvements sociaux, les organisations environnementales, de paysans, de pêcheurs, de bergers, de peuples indigènes, de femmes ainsi que les syndicats et les ONG réunis ici à Rome expriment leur mécontentement et leur rejet de la déclaration du Sommet Mondial de l’Alimentation : cinq ans après.

Loin d’analyser et corriger les problèmes qui ont empêché de progresser, depuis les cinq dernières années, dans la lutte contre la faim, ce nouveau plan d’action associe à la fois l’erreur d’employer une nouvelle fois « le médicament qui a échoué » avec des propositions destructives qui rendront la situation encore plus dramatique.

Le Plan d’Action de 1996 n’a pas échoué par un défaut de volonté politique et de ressources, mais parce qu’il a favorisé des politiques qui aboutissent à la famine, qui supportent la libéralisation de l’économie des Pays du Sud et l’homogénéité culturelle, et qui sont soutenues par l’intervention de forces militaires après l’échec d’une première série de mesures. Les seules politiques qui peuvent éradiquer la faim sont celles basées sur la dignité et la vie des communautés. Nous affirmons que ceci est non seulement possible mais également de la plus haute nécessité.

Depuis 1996, les gouvernements et les institutions internationales ont administré la globalisation et la libéralisation, permettant ainsi d’intensifier les causes structurelles de la faim et de la malnutrition. Ils ont obligé l’ouverture des marchés au dumping des produits agricoles, à la privatisation des institutions d’aide économique et social, à la privatisation et à la commercialisation des terres, des eaux, des forêts et des ressources de la pêche publiques et communales. Nous rappelons, en outre, la brutale répression des mouvements sociaux qui résistent au Nouvel Ordre Mondial.

Cette politique a ouvert les portes à une monopolisation et une concentration sauvage des ressources et des processus de production dans les mains de quelques grandes corporations. L’imposition de modèles de production intensifs et dépendant de l’extérieur a détruit l’environnement et les modes de vie de nos communautés. De plus, ce système a crée une insécurité alimentaire et a mis l’accent sur des gains de productivité à court terme en utilisant des technologies dangereuses tels que les OGM.

Il en a résulté le déplacement des populations, une migration démesurée, la perte d’emploi et par conséquent de moyens de subsistance, la destruction des terres et des autres ressources nécessaires à la survie des personnes, une augmentation de la polarisation entre riches et pauvres – aussi bien à l’intérieur des pays qu’entre le Nord et le Sud- et enfin, une augmentation de la pauvreté dans le monde et de la faim dans la plupart des pays.

Il n’y aura pas de progrès en ce qui concerne la lutte contre la faim sans un renversement de ces politiques et de ces tendances. Toutefois la présente déclaration n’offre aucun espoir à ce sujet. Elle accentue au contraire la libéralisation du commerce- la force qui met le plus en péril les modes de vie traditionnels. Elle a affaibli le concept du droit à l’alimentation. Elle propose une augmentation des ajustements des structures néolibérales en ce qui concerne les programmes de l’HIPC. Elle recommande de mettre l’accent sur l’ingénierie génétique et biotechnologique. Enfin elle n’a pas réussi à renforcer une production gérée par les pauvres et destinée aux marchés locaux, ni à redistribuer radicalement l’accès aux ressources productives qui est fondamental si l’on veut que les choses changent vraiment.

La Souveraineté Alimentaire : L’Approche fondamentale

Face au projet de l’Alliance Internationale contre la Faim, qui est pire que le « toujours plus de médicaments », nous opposons le concept de Souveraineté Alimentaire en tant que base sur laquelle nous délimitons les actions et les stratégies requises pour mettre fin véritablement à la famine.

Qu’est ce que la Souveraineté Alimentaire ? La Souveraineté Alimentaire est le droit des populations, des communautés, et des pays a définir leur propre politique alimentaire, agricole, territoriale ainsi que de travail et de pêche, lesquelles doivent être écologiquement, socialement, économiquement et culturellement adaptées a chaque spécificité. La Souveraineté Alimentaire inclue un véritable droit à l’alimentation et à la production alimentaire, ce qui signifie que toutes les populations ont droit à une alimentation saine, culturellement et nutritionnellement appropriée, ainsi qu’à des ressources de production alimentaire et à la capacité d’assurer leur survie et celle de leur société.
La Souveraineté Alimentaire rend nécessaire les mesures suivantes :

– Accorder la priorité a la production alimentaire destinée aux marchés nationaux et locaux, basée sur des systèmes de production diversifiés et agroécologiques fonctionnant selon un modèle familial et paysan.
– Assurer aux fermiers des prix équitables, ce qui implique la protection des marchés internes, du dumping et des importations à bas prix.
– L’accès au territoire, aux eaux, aux forets, aux zones de pêche et aux autres ressources productives par le biais d’une redistribution naturelle, contrairement à celle qui est faite par les forces du marché, ou par des « réformes agricoles assistées par le marché » qui sont sponsorisées par le marché.
– La reconnaissance et la promotion du rôle des femmes dans la production alimentaire et l’accès et le contrôle équitables sur les ressources productives.
– Le contrôle de la Communauté sur les ressources productives face à la propriété des corporations sur la terre, l’eau et les ressources, notamment génétiques. La protection des semences, qui constituent la base de l’alimentation et de la vie elle-même, afin d’en permettre un libre échange et une libre utilisation par les cultivateurs, ce qui implique l’absence de brevets sur la vie et un moratoire sur les cultures génétiquement modifiées qui aboutissent à une pollution génétique de l’indispensable diversité génétique des plantes et des animaux.
– Des investissements publics en faveur des activités productives des familles et des communautés, orientés vers le renforcement, le contrôle local et la production alimentaire destinée à la population et aux marchés locaux.

La Souveraineté Alimentaire signifie la primauté des droits des populations et des communautés à l’alimentation et à la production alimentaire, au-delà des intérêts du marché. Cela implique le support et la promotion des marchés locaux et des producteurs sur la production destinée à l’exportation et les importations alimentaires.

Pour atteindre la Souveraineté Alimentaire :

– Il nous faudra renforcer les mouvements sociaux, et développer les organisations de paysans, femmes, des peuples indigènes, des travailleurs, des pêcheurs et des personnes citadines les plus pauvres dans chaque pays. Nous promouvrons la solidarité et la coopération régionale et internationale, et renforcerons nos luttes communes. Nous devrons lutter afin de mettre en place de véritables réformes dans le secteur de l’agriculture et de la pêche, des réformes sur les forets et les pâturages, et réaliser une redistribution globale et intégrale des ressources productives en faveur des pauvres et des « sans-terre ». Nous combattrons afin d’obtenir une solide garantie des droits des travailleurs à organiser, à contracter collectivement ainsi qu’à obtenir des conditions de travail sûres et dignes et des salaires suffisants.
– Il sera nécessaire de lutter pour un accès égal des femmes aux ressources productives et pour la fin des structures patriarcales de l’agriculture et des aspects socio-économiques et culturels de l’alimentation. Nous combattrons pour le droit des Populations Autochtones à leurs cultures, à leurs terres et à leurs ressources productives. Nous réclamons l’arrêt des politiques économiques néolibérales imposées par la Banque Mondiale, l’OMC, le FMI et les pays du Nord et la fin des autres accords de libre-échange multilatéraux et régionaux, tels que le [?NEPAD] et le FTAA. Nous demandons que l’agriculture ne figure plus parmi les prérogatives de l’OMC Il nous faudra lutter en faveur de l’arrêt de l’ingénierie génétique et la brevetabilité des organismes vivants et demander l’interdiction immédiate de « terminator » ainsi que des autres technologies de restriction génétique. Nous réclamons l’arrêt de l’utilisation des OGM dans l’aide alimentaire
– Nous demandons un arrêt immédiat des guerres aux populations et pour le territoire qui ont lieu dans le monde et un arrêt de la répression des mouvements de population, de même qu’une fin immédiate de l’occupation illégale de la Palestine, des embargos de Cuba et de l’Irak, et de l’utilisation de l’alimentation comme un instrument de chantage
– Nous demandons un soutien au développement et à la diffusion des systèmes de production agroécologiques Nous réclamons une Convention sur la Souveraineté Alimentaire afin d’inscrire les Principes de la Souveraineté Alimentaire dans le droit international et d’instituer la Souveraineté Alimentaire en tant que ligne directrice principale des politiques en matière d’Alimentation et d’Agriculture

– [*Enfin, les politique uniformes telles que celles qui proviennent de la Banque Mondiale, de l’OMC et du [?FMI] doivent être remplacées par « un monde avec de la place pour plusieurs mondes », dans lequel la force et la dignité humaine soient bâties à partir de la solidarité et le respect pour la diversité et afin que tous les pays et toutes les populations aient le droit de définir leurs propres politiques. Dans ce but, nous sommes déterminés à bâtir une conscience sociale et un mouvement de lutte afin de mettre en échec l’OMC à Cancun en septembre 2003.*]