Sous les feux de la rampe 1
Digitalisation, agro-industrie et le mouvement pastoraliste
L’un des principaux effets de la mondialisation est la perte d’influence aux niveaux local, national et régional sur les prises de décisions économiques et politiques, un pouvoir qui a glissé aux mains d’acteurs mondialisés. Dans le même temps, nous assistons à un capital financier mondial devenant de plus en plus caché et clandestin. Dans cette même dynamique de mondialisation, des facteurs touchant le système alimentaire tels que la gestion de la terre, la régulation des prix, ou la régulation phytosanitaire, sont de plus en plus déterminés par des acteurs internationaux. Ce procédé de déplacement du pouvoir souverain a des effets multiples sur l’élevage à grande échelle et le pastoralisme.
Projets extractivistes, privatisation de la terre, ou la démarcation de zones naturelles protégées à l’exclusion des communautés locales, sont quelques-uns des principaux problèmes pour les petits producteurs parce qu’ils les dépossèdent de leurs terres.
Dans le même temps, les marchés poussent à générer des économies d’échelle : des macro-fermes avec des milliers d’animaux, et une grande concentration dans la chaine alimentaire des élevages de cochon et volaille. Ce modèle d’élevage exploite les personnes, les animaux et l’environnement, transformant le travail d’élevage du bétail à petite échelle, à une logique industrielle. La robotisation avance considérablement : les machines de traite, les machines d’alimentation, les machines de nettoyage des granges, etc… le tout pour augmenter le volume de production, alors que le prix des produits comme le lait et l’agneau diminue progressivement et celui des intrants tels que les aliments augmente. Cette imposition du capitalisme « croître ou mourir » détruit le secteur laitier et l’élevage familial, et seulement quelques-uns peuvent survivre.
Les organisations comme le Forum Economique Mondial (FEM) ou le Conseil mondial des entreprises pour le développement durable, qui représentent les intérêts des grandes entreprises, sont de plus en plus puissantes au sein de l’ONU. Cela veut dire que l’on fait face à un scénario où la gouvernance publique mondiale est en train d’être privatisée. Preuve en est l‘influence qu’exerce le FEM sur l’ONU en devenant le sponsor officiel du Sommet sur les systèmes alimentaires (UNFSS) qui a été rejeté et boycotté par le mouvement pour la souveraineté alimentaire.
De plus, ce pouvoir excessif que le capital financier exerce sur l’économie réelle s’approfondit avec la digitalisation. Dans le secteur alimentaire, la digitalisation a un impact sur la gestion des terres et des ressources naturelles. Les satellites géostationnaires jouent un rôle de plus en plus important dans la prise de décision. Les nouveaux éco-régimes de la PAC exigeront que 30% des animaux de chaque troupeau soient suivi par GPS. Auparavant, l’UE voulait imposer l’identification de chaque animal par puce électronique. Ces processus entraînent toute une série de conséquences négatives pour les associations liées à la souveraineté alimentaire, parce qu’ils les excluent de la prise de décision. Les questions de gestion territoriale sont digitalisées alors que dans les zones rurales, la connectivité est très précaire. L’application de ce changement dans la matrix technologique est amplifiée par le fossé digital et les problèmes financiers.
La gouvernance même de la digitalisation est privée, il n’y a pas d’entité dédiée à la régulation de ce nouveau champ de conflit. Le mouvement pour la souveraineté alimentaire est en train de créer des alliances avec des mouvements travaillant sur la question technologique, puisque dans le présent et futur proche, il s’agit d’un secteur dans lequel nous devons affirmer nos droits et notre souveraineté. Sans aucun doute, beaucoup de mécanismes et de structures de démocratisation manquent encore. Nous nous battons pour une structure publique internationale pour la technologie.
Il n’est pas suffisant d’exercer une souveraineté aux niveau local et national – nous devons nous organiser pour aussi agir mondialement, avec une stratégie politique qui cherche à obtenir une participation dans les institutions publiques internationales afin de démocratiser ces espaces et de pouvoir les influencer. Ce processus pourrait permettre de défier la mondialisation et l’accumulation incontrôlée de richesse.
Sous les feux de la rampe 2
Environnementalisme et pastoralisme, une opposition apparente
En septembre de cette année, s’est tenu à Marseille le Congrès de l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature), une puissante organisation rassemblant les principales ONG de conservation de l’environnement. Le même mois, les peuples autochtones et les producteurs alimentaires de différentes parties du monde se sont réunis sous le slogan « Notre terre, notre nature, pour la décolonisation de la conservation de la nature », représentant une réinterprétation alternative de la manière dont la gestion de l’environnement est effectuée, comment et par qui. L’UICN a fait l’objet d’une inspection, tout comme certaines grandes organisations, telles que le WWF ou le Sierra Club, qui ont été accusées de pratiques abusives envers les peuples autochtones et de racisme.
Il y a quelques années, WAMIP dénonçait comment un rapport de l’UICN sur les mesures de
« protection de la nature » dans la région de Ngorongoro (Tanzanie), conseillait «d’évincer les communautés pastoralistes de la région ». En quelques jours, l’armée a violemment expulsé des milliers de personnes du milieu où elles avaient fait paître leurs troupeaux pendant des millénaires, afin de faire place à de nouveaux hôtels et aux safaris touristiques.
Le modèle de conservation, ayant un grand pouvoir économique et dominant l’imaginaire collectif, est de type forteresse. Ce modèle est basé sur la croyance, erronée et raciste, selon laquelle la meilleure façon de protéger la biodiversité est de créer des zones protégées où l’influence humaine est supprimée. Sa philosophie est que les populations autochtones aggravent la perte de biodiversité et la dégradation de l’environnement, malgré le manque de preuves scientifiques et historiques et même de nombreuses preuves du contraire. [3]
Ce modèle, défendu par certaines ONG internationales et transnationales telles que WWF, WCS ou African Parks, se répand dans le monde entier et étaye l’argument de la création de parcs naturels sans tenir compte des connaissances et de l’expérience des peuples pastoralistes et des habitants du monde rural.
Les origines de ce modèle de conservation, type forteresse, sont coloniales et racistes. Depuis 1970, plus de 1900 parcs ou zones protégées ont été créés, dont la plupart se trouvent dans les pays du Sud. Actuellement, des sommets tels que le Congrès de l’UICN impulse le soi-disant 30×30 – un plan visant à convertir 30% de la planète en zones protégées.
A partir d’une position critique au sein de l’environnementalisme, nous dénonçons et luttons activement contre ces fausses mesures qui, loin de présenter des solutions à la situation actuelle d’urgence climatique et sociale, renforcent les intérêts du système économique dominant, basé sur l’exploitation des ressources limitées d’une planète s’étant effondrée depuis longtemps. Comme le démontrent les preuves scientifiques et l’expérience humaine, ce système est non seulement insoutenable, mais aussi directement responsable du chaos climatique et de l’injustice sociale en résultant.
Les seules solutions durables, justes et réelles, ne cèdent pas aux intérêts capitalistes, coloniaux et racistes. Les véritables solutions au chaos climatique dépendent de l’humanité, de notre diversité spécifique, en particulier des peuples autochtones et autres communautés locales ainsi que leur droit à la terre, étant donné que ce sont les divers peuples autochtones qui protègent sur leurs terres 80% les zones les plus riches en biodiversité de la planète.
Nous avons besoin d’un modèle de conservation de la nature qui donne une place centrale aux soins, à la diversité et aux droits de l’homme et qui s’attaque aux causes réelles du chaos climatique, à savoir : la surconsommation et l’exploitation des ressources menées par les pays du Nord et leurs industries.
[1] Le rapport est disponible ici (en anglais).
[2] WAMIP a envoyé une délégation internationale de nomades à Glasgow pour participer aux négociations officielles de COP26 et aussi aux manifestations, y compris un rassemblement de moutons, et a publié un communiqué.