Sous les feux de la rampe

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La déclaration des Nations unies sur les droits paysans et paysannes et des travailleurs en zones rurales

Introduction
Les paysan-ne-s et les personnes vivant dans les zones rurales, tels que les pêcheurs artisanaux, les éleveurs ou les travailleurs agricoles, représentent encore aujourd’hui la moitié de la population mondiale. La grande majorité d’entre eux subissent constamment des violations de leurs droits : ils souffrent de manière disproportionnée de la faim et de la malnutrition, subissent l’accaparement de leurs terres, de leurs ressources aquatiques, halieutiques, forestières, semencières et sont dépossédés de leurs moyens de subsistance. Ils ne peuvent ni maintenir ou développer leur économie locale, ni gagner un revenu leur permettant de vivre dignement. Il arrive fréquemment qu’ils soient enfermés, harcelés, criminalisés, voire tués pour la défense de leurs droits. De plus, les femmes vivant en zone rurale supportent généralement une part plus importante de travail non rémunéré et subissent des discriminations plus importantes pour accéder aux ressources naturelles ou productives, aux services financiers, à l’information, à l’emploi ou à la sécurité sociale et subissent encore de multiples violences qui revêtent de multiples formes.

Depuis 2001, Le mouvement international paysan La Via Campesina (LVC) plaide pour une reconnaissance des droits des paysans au sein du système des droits de l’Homme des Nations Unies. Après huit années de discussions internes, LVC a présenté en 2009 sa propre déclaration des droits des paysannes et paysans, dans laquelle les paysans exprimèrent de manière synthétique leurs aspirations et leurs demandes. Peu de temps après, en 2010, le Conseil des Droits de l’Homme des Nations Unies (CDH) mandata son comité consultatif d’élaborer une étude préliminaire analysant les moyens de renforcer les droits des paysannes et paysans et des autres personnes. Cette étude recommande (a) d’implémenter de manière plus efficace les normes existantes, (b) de combler les lacunes normatives par le droit international et (c) d’élaborer un nouvel instrument législatif sur les droits des personnes travaillant en zone rurale (Par. 63). En septembre 2012, le Conseil des Droits de l’Homme passa une résolution établissant un groupe de travail intergouvernemental ayant le mandat d’élaborer un projet de déclaration des droits des paysannes et paysans et autres personnes travaillant dans les zones rurales.

Pertinence de la déclaration
L’ancien Rapporteur spécial des Nations Unies pour le droit à l’alimentation, Olivier de Schutter, a déclaré qu’il y a « quatre raisons principales d’adopter un nouvel instrument international relatif aux droits des paysans et autres personnes travaillant dans les zones rurales : c’est un outil nécessaire en droit international ; il permettra de combattre plus efficacement la faim dans le monde ; il sera un moyen de protéger l’agriculture familiale de la pression de l’agro-industrie ; il permettra également d’améliorer l’accès aux moyens de production dans les zones rurales. » Il a également souligné que « l’adoption d’une déclaration sur les droits des paysans et autres personnes travaillant en zone rurale augmentera la visibilité sur les droits déjà reconnus en droit international tout en permettant de faire reconnaître de nouveaux droits, comme le droit à la terre, le droit aux semences ou le droit à une compensation pour les pertes provoquées par les subsides accordés aux agriculteurs dans d’autres pays» .

Mobiliser pour les droits des paysans, des petits pêcheurs, des éleveurs et des autres personnes travaillant dans les zones rurales
Dans des pays comme l’Indonésie ou la Colombie, les paysan-ne-s ont historiquement toujours dû faire face à une profonde discrimination et à une violence omniprésente. L’appel pour la reconnaissance des droits des paysans a permis d’attirer l’attention de la population locale et a été un atout majeur pour leur permettre de faire respecter leurs droits. Cela leur a permis de renforcer leurs capacités de mobilisation et d’organisation ainsi que leurs revendications pour des politiques et des lois qui protègent et promeuvent leurs droits. Ces dernières années, plusieurs lois et politiques prenant spécifiquement en compte la situation des paysans ont été adoptées en Indonésie. En Colombie, les revendications des paysan-ne-s et des populations rurales ont figuré parmi les priorités de l’agenda politique national après des décennies de négligence.

Marche à suivre
Le groupe de travail intergouvernemental chargé d’élaborer le projet de déclaration a tenu sa quatrième session en mai 2017 [Voir la déclaration conjointe sur les droits des paysans et autres personnes travaillant dans les zones rurales avec the International Union of Food, Agricultural, Hotel, Restaurant, Catering, Tobacco and AlliedWorkers’ Associations (IUF), the World Forum of Fisher Peoples (WFFP), the World Alliance of Mobile Indigenous Peoples (WAMIP), International IndianTreaty Council (IITC), the Federation of Rural AdultCatholicMovements (FIMARC), and the Centro de EstudiosLegales y Sociales (CELS) présentée à la fin de la seconde session en février 2015.]. Mise à part l’importance d’avoir une déclaration des Nations Unies affirmant les droits des personnes travaillant en zone rurale, le processus d’élaboration a le potentiel de devenir un outil permettant :
• d’approfondir le dialogue et le rassemblement de différents groupes de personnes vivant en zone rurale et ;
• de sensibiliser la population et de contribuer au renforcement des capacités des mouvements de la société civile.
La reconnaissance des droits des personnes vivant en zone rurale dépasse le CDH des Nations Unies. Elle peut être réclamée aux autres agences de l’ONU, et de manière encore plus importante, aux autorités locales, nationales et régionales. Il appartient à tous, citoyens et organisations, de se joindre à cette lutte selon leurs moyens.

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Le droit à la résistance

Trente-cinq paysans philippins, dont dix femmes, risque d’être emprisonnés à la suite d’une accusation de vol des propriétaires de plantation de cocotiers qui ont rassemblé un total de 19 plaintes à leur encontre. La culture de noix de coco est une zone agricole sensible au niveau de la distribution des terres dans la cadre du programme des réformes agraires. Aujourd’hui, les paysans doivent récolter plus de 22 000 dollars pour pouvoir payer leur propre caution et leur garantir une liberté temporaire. Malheureusement, la pauvreté et la récente destruction de leurs récoltes après le passage d’un typhon les empêche de réunir la somme demandée. Certains se retrouvent ainsi contraints de se cacher, emportant avec eux leurs enfants et forçant donc leur déscolarisation pour un certain temps. La criminalisation est l’un des outils utilisés par les propriétaires et les intérêts commerciaux pour harceler les paysans sans terre et les communautés rurales. Ils se servent ainsi du système législatif pour s’opposer aux réformes agraires qui menacent leur monopole de contrôle et de possession des terres. De nombreux cas, similaires à celui-là, ont été recensés dans des pays du Sud où les institutions et les structures judiciaires sont en train de devenir des instruments de répression et où les procédures judiciaires sont manipulées par ceux qui détiennent les richesses et le pouvoir politique.

La violence autour des luttes des peuples pour la souveraineté alimentaire devient affreusement banale et commune dans le monde. Elle apparait sous la forme de menaces, d’intimidation, de force physique et d’abus de pouvoir des autorités publiques, des élites et des acteurs non-étatiques. Du Cambodge au Brésil, les communautés rurales sont de plus en plus confrontées au danger de la violence lorsqu’ils se battent pour défendre leurs terres, leurs eaux, leurs forêts, leurs ressources, leurs moyens de subsistance et leurs droits de l’emprise des extractivistes, des mesures et projets destructeurs, souvent au nom du « développement ». Les femmes, les jeunes et les enfants sont les plus exposés. Amener les responsables des violations des droits humains en justice se solde par des échecs systématiques et ne fait que renforcer la culture de l’impunité tout en représentant un déni du droit à la justice des victimes.

La violence, l’abus de pouvoir et l’impunité ne sont pas inconnus au monde rural, mais la violation des droits des peuples et la criminalisation des défenseurs des droits se sont étendus et ont atteint des niveaux alarmants ces dernières années [Voir Bulletin Nyéléni n°14 et Newsletter Volume III No. 4, August 2016]. Cette croissance peut être attribuée au rapprochement entre intérêts politiques et commerciaux, aux lois répressives ainsi qu’au modèle de développement qui criminalise ceux qui s’opposent à l’accaparement des terres, à la déforestation, à l’industrie minière, aux barrages et aux injustices socio-économiques. Les communautés locales et les mouvements populaires en marche pour la construction de la souveraineté alimentaire sont les premières cibles visées car la souveraineté alimentaire entrave la croissance et le développement économiques basés sur des investissements à grande échelle, sur l’agriculture industrielle, les systèmes alimentaires, la privatisation et l’extractivisme. Le moyen le plus efficace et le plus simple pour nuire à la souveraineté alimentaire est d’affaiblir ses défenseurs. La violence physique et légale est devenue une arme de premier choix pour les entreprises, les élites et de nombreux gouvernements pour réduire au silence les dissidents et les opposants mais aussi et surtout pour empêcher les peuples d’imaginer des mondes différents du paradigme économique dominant.

Cependant, les mouvements des communautés et des peuples autour du monde s’organisent pour mettre un terme à la criminalisation des petits producteurs et à l’impunité des états et des entreprises dans des pays où les espaces pour une réelle démocratie se réduisent, voire sont inexistants, c’est le cas notamment pour l’Inde, le Pakistan, les Philippines, le Cambodge, la Thaïlande, l’Equateur, le Brésil et bien d’autres… Ces luttes veulent défendre la dignité humaine et naturelle, protéger les droits fondamentaux et les libertés mais aussi obtenir une comptabilité exacte de la part des institutions, des structures et des personnes au pouvoir. L’engagement indéfectible des mouvements populaires pour défendre la souveraineté alimentaire montre toute l’importance du renforcement et de la défense des alternatives au néolibéralisme et au pouvoir entrepreneurial, tout en articulant le bien-être et le progrès depuis les points de vue des victimes de différentes formes d’injustices, et notamment les femmes.