Encadré 1
Les nombreuses facettes de l’accaparement des terres
L’accaparement des terres n’est pas neuf. Mais ce qui est nouveau, c’est l’accaparement massif qui a eu lieu récemment depuis les crises financière et alimentaire de 2008.
« L’accaparement des terres prend différentes formes. Les femmes peuvent être expulsées de leurs terres à la mort de leur mari, les compagnies minières expulsent les paysans et les petits exploitants, ainsi que les plantations, les bases militaires et les projets écotouristiques. Les investisseurs ne sont pas seulement des multinationales ou des institutions financières, mais peuvent aussi être locaux et nationaux ».[Conférence paysanne Internationale : Stop aux accaparements de terres!]
L’accaparement des terres se produit aussi bien dans le Global Sud que dans le Global Nord, sous l’impulsion des élites locales, nationales et transnationales ou d’investisseurs financiers ou des gouvernements. En quête de profits nouveaux et croissants, de vastes étendues de terre sont soit prises de force, soit achetées à bas prix avec l’aide des gouvernements et des élites locales et nationales.
L’enjeu, c’est un changement majeur à savoir qui a le pouvoir de « décider comment la terre et l’eau peuvent être utilisées maintenant et à l’avenir »[L’accaparement de terres, Un livret.]. Le désir de remodeler la terre dans un but de profit conduit à une expansion globale de l’agro-industrie, à des plantations de différentes sortes, à de l’exploitation minière, des projets d’infrastructure et de nombreux autres types d’utilisation. L’agriculture paysanne et la souveraineté alimentaire sont continuellement menacées par des dangers, à mesure que des terres sont perdues et que les paysans sont pris dans des des chaînes d’approvisionnement mondiales.
Cependant, les paysans, les peuples indigènes et leurs communautés continuent de s’organiser et de se mobiliser pour défendre leurs droits à la terre et pour défendre une agriculture qui place l’alimentation, les gens et l’environnement avant les profits.
Encadré 2
Garantir les droits fonciers communautaires en Afrique
Dans un continent où 70 % de la population dépend de l’agriculture, l’accès assuré à la terre et aux ressources naturelles devrait être un droit inaliénable pour tous. Mais c’est loin d’être le cas.
La gouvernance coutumière des terres agricoles, des forêts et des pâturages par les chefs traditionnels des communautés a été annihilée par les lois foncières coloniales et post-coloniales, laissant les communautés rurales incertaines de leurs droits sur les terres dont elles dépendent pour leur alimentation, leurs moyens de subsistance et leur intégrité culturelle.
Les tendances récentes de l’urbanisation, de la croissance économique et des politiques néolibérales ont transformé les ressources naturelles en marchandises et créé des marchés pour la terre en tant qu’actif négociable. La crise financière de 2007/08 et la flambée soudaine des prix des denrées alimentaires et du pétrole ont entraîné un afflux massif de capitaux dans le secteur foncier. Entre 2000 et 2016, les gouvernements africains ont signé 422 accords fonciers à grande échelle avec des investisseurs, et ce pour dix millions d’hectares. L’accaparement des terres a été associé à de multiples violations des droits humains et à des injustices sociales, avec des milliers de communautés expulsées de force et laissées sans ressource. Les femmes et les jeunes, déjà désavantagés en matière d’accès et de contrôle de la terre, sont souvent les plus touchés.
En réponse à cette crise, des lignes directrices globales et continentales ont été mises en place pour établir des principes de bonne gouvernance foncière et définir des politiques protégeant les droits fonciers coutumiers et communautaires, notamment le Cadre et les Lignes directrices de l’Union africaine pour la Politique foncière et les Directives Volontaires des Nations unies sur la Gouvernance Responsable pour l’Occupation des Terres. Mais ces cadres politiques progressistes ont été largement ignorés aux niveaux national et local, où les décisions foncières sont effectivement prises. Ainsi, les droits d’occupation des populations rurales en Afrique, et en particulier des femmes, restent faibles et incertains.
Il est essentiel qu’une pression politique plus forte soit exercée pour accélérer l’institutionnalisation de politiques progressistes pour renforcer les droits fonciers communautaires. Les plaidoyers de la société civile doivent cibler l’Union africaine et les communautés économiques régionales pour qu’elles fassent pression sur leurs États membres afin qu’ils instituent les directives politiques progressistes. Du fait que les politiques du droit à la terre n’intéressent réellement qu’aux niveaux national et local, Il est d’autant plus important que la société civile fasse pression pour une législation nationale plus stricte en la matière et force les gouvernements à rendre des comptes à la Cour Africaine de Justice et des droits humains.
Nous devons promouvoir des systèmes de management pour l’usage des terres en communauté, en mettant en avant les preuves de succès évidentes permettant d’améliorer les moyens de subsistance de manière équitable et durable tout en protégeant et en restaurant les écosystèmes.
Les travaux récents de l’AFSA sur les droits à la terre portent sur une étude intitulée « Tendances politiques et nouvelles opportunités pour le renforcement des droits fonciers communautaires en Afrique », et incluent des ateliers de renforcement des capacités pour la société civile et les organisations confessionnelles, et une série d’études de cas africains ainsi qu’un plaidoyer politique au niveau continental pour promouvoir l’usage communautaire des terres et des systèmes de management.
Nous devons tirer les leçons des principes de bonne gouvernance foncière de nos arrière-grands-parents qui nous ont légué la terre. Nous devons développer et adopter un usage et une gestion durable des terres qui répondent aux besoins de tous qu’ils soient : agriculteurs, bergers, chasseurs, pêcheurs, cueilleurs de fruits sauvages et animaux sauvages.
Pour plus d’informations, consultez le site www.afsafrica.org
Encadré 3
Le climat et l’accaparement des terres
Du point de vue de la base, il y a toujours eu un lien étroit entre les crises climatiques et environnementales et l’accaparement des terres. Par exemple, les causes des crises climatiques et des violations des droits à la terre sont les mêmes – un système économique basé sur l’extraction sans fin de ressources naturelles et où les industries minières tout comme l’agro- industrie et les plantations, y contribuent grandement. En plus, le lien est encore plus évident car ces mêmes projets d’entreprises à l’origine de ces crises sont également responsables des meurtres les plus documentés de défenseurs des droits humains en matière de terre et d’environnement.
Récemment, l’intérêt s’est accru au sujet de l’atténuation et l’adaptation de la terre et la nature au climat . Mais malheureusement, cela fait peser de graves menaces sur les droits collectifs des peuples sur leurs terres et territoires avec une nouvelle vague d’accaparement de terre pour des projets de conservation ; mais la menace vient aussi de la marchandisation et l’intégration de la nature dans les marchés financiers – ce que nous appelons la financiarisation de la nature.
Les « technologies à émissions négatives » (NET ), qui visent à éliminer le carbone de l’atmosphère, constituent un problème majeur. Les pays industrialisés et les entreprises émettrices comptent désormais sur les NET en raison de leur incapacité historique à réduire les émissions aussi rapidement qu’exigé selon les demandes de justice climatique.
L’un des schémas dominants de ces NET consiste à cultiver et à brûler de grandes surfaces d’arbres et de cultures pour la bioénergie, puis à stocker le carbone émis dans des bunkers souterrains. C’est ce que l’on appelle la bioénergie avec capture et stockage du carbone ou BECCS. Selon les estimations, la BECCS pourrait nécessiter jusqu’à 3000 millions d’hectares de terres dans le monde. D’autres options pour les NET sont appelées « solutions climatiques naturelles » ou « solutions basées sur la nature », incluant la restauration des forêts, le reboisement et le boisement. Chaque option aura des effets différents sur l’environnement, les terres et les droits des peuples, selon qui les contrôle et leur mise en œuvre.
Les entreprises considèrent déjà les solutions basées sur la nature comme une opportunité pour compenser leurs émissions. Les compensations permettent aux grands pollueurs historiques comme les compagnies pétrolières de continuer à polluer en transférant leur responsabilité de réduction des émissions avec des projets de conservation dans les communautés du Global Sud. La compensation ne réduit pas les émissions globales et exacerbera donc les effets du climat sur les terres. C’est aussi injuste car cela maintient et étend le contrôle des territoires par les plus responsables du changement climatique. La compensation équivaut à un double accaparement de terres, car les entreprises finissent par contrôler l’utilisation des terres à deux endroits : le site qu’elles détruisent et celui qu’elles déclarent comme compensation.
D’autre part, des solutions décentralisées aux crises de l’environnement et de l’accaparement des terres sont possibles : elles seraient basées sur un contrôle écologique et autonomes et une gouvernance par les populations autochtones, par les peuples des forêts, par les petits producteurs sur leurs propres terres et territoires – comme l’agroécologie pour la souveraineté alimentaire et la gestion communautaire des forêts – . Elles gagnent en importance comme solutions pour la justice environnementale. La gestion communautaire des forêts et des territoires est le meilleur moyen de préserver les écosystèmes tels que les forêts, les mangroves, les zones humides et les plans d’eau. L’agroécologie refroidit le climat en supprimant le besoin d’énergies fossiles, en recyclant les nutriments dans les fermes, en relocalisant les systèmes alimentaires et en arrêtant la destruction de l’environnement pour la production de produits agricoles à des fins lucratives.
Comme toujours, il est vital que les mouvements pour la justice foncière et la justice environnementale travaillent ensemble pour dénoncer les fausses solutions et démontrer notre propre vision pour un futur juste.