Agroécologie dans la pratique 1
Diffuser l’agroécologie et construire la résistance en faveur de la souveraineté alimentaire
L’école d’agroécologie de Shashe
Le Forum des paysans biologiques du Zimbabwe (ZIMSOFF), membre de La Via Campesina (LVC), dirige une école d’agroécologie à Shashe, où l’échange d’expériences issues de l’agriculture paysanne agroécologique est encouragé par le biais d’un apprentissage horizontal entre paysannes et paysans du Zimbabwe et des pays voisins.
Affiliée au réseau LVC d’écoles d’agroécologie, lequel en compte plus de cinquante dans le monde, l’école de Shashe forme la pierre angulaire de l’élaboration collective de stratégies pour lutter contre la dépendance aux engrais et aux produits agrochimiques, et pour survivre au changement climatique. À Shashe, les paysans mettent en œuvre différentes pratiques agroécologiques pour garantir la souveraineté alimentaire, atténuer le changement climatique et réduire la dépendance aux achats d’intrants agricoles, conservant ainsi le revenu agricole dans les mains de la famille. Ces pratiques incluent, notamment, l’utilisation du fumier, le paillage, un labour de terres minimum, la polyculture, ainsi que l’échange et l’utilisation de semences traditionnelles. De telles pratiques constituent les fondations sur lesquelles bâtir un nouvel avenir pour les paysans, au niveau du ZIMSOFF et aussi partout ailleurs dans le monde. En plus des cultures de végétaux, la plupart des paysans élèvent une large variété d’animaux. Nos systèmes agroécologiques sont conçus pour qu’il n’y ait pas de concurrence entre les animaux d’élevage et les hommes concernant la nourriture, mais que les animaux mangent ce que les hommes ne consomment pas, comme les mauvaises herbes et les insectes.
Les familles paysannes du ZIMSOFF explorent également la transformation, le stockage et la conservation des aliments à l’échelle locale. Il s’agit d’activités capitales non seulement pour diminuer les pertes après récolte mais aussi pour encourager la croissance de petites entreprises locales essentielles à l’emploi des jeunes. Le tournesol ou l’arachide sont ainsi transformés pour fabriquer de l’huile de cuisine ou du beurre de cacahuète, respectivement. À Shashe, les paysans créent un marché local dynamique où écouler leurs produits et renforcent leurs liens avec les consommateurs.
En avril 2016, l’école a accueilli vingt paysans mozambicains venus de la province de Manica pour apprendre et échanger des informations sur les semences paysannes et les luttes contre les politiques qui criminalisent leur production et leurs échanges. Les mauvaises politiques favorisent la commercialisation des semences homologuées et certifiées entre les pays membres et fournissent un cadre politique à la privatisation des ressources génétiques. Ceci constitue une attaque contre les semences paysannes. La lutte contre de telles politiques est un aspect complémentaire clé de l’agroécologie ; nos échanges représentent des actions fondamentales pour organiser la résistance et construire la souveraineté semencière des paysans.
L’expérience de Shashe montre que grâce à l’agroécologie, leurs semences et leurs animaux d’élevage, les paysannes et les paysans sont capables de produire des aliments sains à faible coût, dans le respect de la nature, pour leurs familles et le marché. Plus important encore, l’agroécologie leur offre un milieu dans lequel explorer et modeler leur propre développement durable rural, et tisser de meilleurs liens sociaux reposant sur le respect et l’apprentissage mutuel.
Agroécologie dans la pratique 2
Inverser la Révolution Verte
Réseau de semences créoles et locales d’Uruguay
Pendant des milliers d’années, la production d’aliments pour la consommation humaine provenait de l’utilisation de semences « naturelles » par les peuples autochtones, les paysans et les paysannes, les agriculteurs et les agricultrices, c’est-à-dire que grâce à nos connaissances, capacités et aptitudes, nous avons été capables de domestiquer les espèces sauvages, de les adapter, de les améliorer et surtout de les reproduire en vue de satisfaire nos besoins alimentaires. Il est facile de constater que trois des cultures de base, le maïs en Amérique, le blé en Afrique et le riz en Asie, sont à l’origine et le moyen se subsistance de trois modèles de civilisation.
Ensuite, avec les mouvements migratoires, les semences locales ont été transférées vers d’autres territoires, dans des écosystèmes différents, des conditions climatiques et environnementales distinctes. Or, une fois de plus, ce sont les paysans et les paysannes qui furent capables de les adapter et de les reproduire. Telle est l’origine du concept de « semences dites créoles », différent de celui de « semences autochtones ou locales » justement du fait de ce processus d’adaptation.
On estime que les êtres humains ont disposé d’environ 6 000 variétés végétales domestiquées et aptes à la consommation. De nos jours, on n’en utilise que 200 dont seulement 12 sont des cultures de base composant notre régime alimentaire.
A partir de la seconde décennie du siècle dernier, les pays dits « centraux » ont imposé partout dans le monde le modèle de la Révolution verte avec leurs paquets technologiques incluant, entre autres, des semences industrielles, des OGM ainsi que les produits agrotoxiques associés. Cependant, cela n’a pas réussi à combattre sérieusement la faim dans le monde et les impacts économiques, sociaux et environnementaux ont été très graves. Pour autant, il est encore possible de freiner et d’inverser la percée de l’agriculture industrielle à grande échelle dominée par l’agrobusiness et une poignée d’énormes transnationales. En Uruguay, par le truchement du Réseau des semence créoles et locales, nous avons fixé la voie à suivre en démontrant que la majeure partie du matériel génétique créole et local est toujours entre les mains des paysans et paysannes, des agriculteurs et agricultrices familiaux. En effet, ils l’ont conservé et utilisé de génération en génération pour alimenter notre peuple.
Il s’agit en fait de la Souveraineté alimentaire et nous sommes tous d’accord que c’est un DROIT. Pour l’exercer, cela n’est pas seulement le devoir des producteurs d’aliments. Tous et toutes, quelle que soit la place que nous occupons dans la société, nous devons nous joindre aux luttes pour le défendre. Nous ne sommes pas seuls, partout dans le monde, des millions de paysans et de paysannes et de nombreuses communautés font de même. Tant qu’il existera une agricultrice ou un agriculteur possédant des semences, luttant pour un lopin de terre afin de les planter et pour de l’eau afin de les arroser, la vie pourra se perpétuer.
Agroécologie dans la pratique 3
Une solution réelle à la crise agraire en Inde
Agriculture naturelle à budget zéro
L’agriculture naturelle à budget zéro (ANBZ) recouvre à la fois un ensemble de pratiques agroécologiques et un mouvement social paysan présent en Inde, surtout dans l’État du Karnataka, où près de 100 000 paysannes et paysans la pratiquent. Ceci a été réalisé sans aucun financement car l’ANBZ suscite le bénévolat parmi ses membres, véritables protagonistes du mouvement. Le mot « budget » fait référence aux crédits et aux dépenses ; donc, l’expression « budget zéro » signifie sans aucun crédit. Le terme « agriculture naturelle », quant à lui, signifie avec la nature. Le mouvement est le fruit de la collaboration entre Subhash Palekar, scientifique agricole qui a rassemblé les pratiques de l’ANBZ en une trousse à outil, et l’Association paysanne de l’État du Karnataka (KRRS), membre de La Via Campesina (LVC).
L’Inde vit actuellement une crise agraire et ses paysans croulent sous les dettes à cause du prix élevé des intrants, du niveau insuffisant des prix du marché et des mauvaises politiques. Au cours des vingt dernières années, plus de 250 000 paysans indiens se sont suicidés. Plusieurs études ont établi un lien entre ces suicides et le niveau d’endettement. Dans de telles conditions, l’ANBZ promet de mettre fin à la dépendance aux prêts et de diminuer les coûts de production de façon radicale. Les paysans qui ont délaissé les monocultures chimiques pour pratiquer l’ANBZ disent produire à présent bien plus, sans quasiment aucune sortie de fonds.
Les pratiques principales de l’ANBZ sont : la jivamruta, une culture microbienne fabriquée à partir d’urine et de bouse de vache, de farine de légumineuse, de sucre de canne non raffiné et d’une poignée de terre ; la bijamruta, un traitement similaire pour les semences ; une utilisation intensive du paillage et des cultures de couverture ; la régulation de l’humidité. Les besoins en eau de l’ANBZ sont inférieurs de plus de moitié à ceux de l’agriculture conventionnelle, ce qui en fait un modèle adapté aux zones arides. Beaucoup d’autres principes interviennent également, comme les cultures intercalaires, l’utilisation de vers de terre locaux, de vaches de race locale, de murs de retenue d’eau et la gestion écologique des nuisibles.
À l’échelle locale, le mouvement est auto-organisé, dynamique et opère de façon informelle. Les liens entre la plupart des paysans pratiquant l’ANBZ sont plutôt souples, chacun réalisant des activités d’échange de paysan à paysan de façon organisée ou spontanée, ainsi que d’autres actions pédagogiques. Les sessions massives et intenses de formation constituent l’activité principale organisée au niveau central et à l’échelle de l’État. Dispensées par Palekar, ces sessions comptent avec la participation de 300 à 5000 paysans et durent jusqu’à cinq jours.
« Dans le système de l’ANBZ, il y a très peu dépenses. Peu importe le niveau de rendement, je dégage toujours un bénéfice car mes coûts sont minimes. En plus, j’ai ajouté les cultures intercalaires, donc je tire mon revenu de plusieurs types de culture et non pas d’un seul. Pour nous, le rendement n’est pas un concept important. » Belgaum, paysan pratiquant l’ANBZ
Agroécologie dans la pratique 4
Construire le mouvement des agricultures soutenues par les citoyens en Europe
Urgenci Europe
Nous construisons le mouvement des agricultures soutenues par les citoyens (ASC) en Europe. Nous œuvrons à développer les piliers communs de la souveraineté alimentaire et de l’économie solidaire.
Face à l’expansion rapide de notre mouvement, il devenait nécessaire de construire un socle commun ; c’est pourquoi nous avons lancé un processus d’un an pour élaborer une déclaration partagée par l’ensemble des membres d’Urgenci dans toute l’Europe. Ceci ne fut pas tâche facile car, comme l’indique un récent recensement européen sur les ASC, ce mouvement compte près d’un million de membres partout en Europe. Si les pays et les membres n’y participèrent pas tous, le processus n’en fut pas moins collectif et participatif dès le départ. L’objectif était d’aboutir à un accord sur qui nous sommes et ce que nous défendons, une sorte de carte d’identité du mouvement pour aider à nous développer et empêcher la récupération du concept d’ASC par les entreprises.
Les systèmes de paniers, les assemblées alimentaires et autres initiatives d’apparence semblable poussent un peu partout et rognent notre marché. Or, aucune de ces initiatives ne présente la caractéristique unique de partage des risques et des avantages que les consommateurs des ASC partagent avec leurs producteurs !
Le processus d’élaboration de la Déclaration européenne des agricultures soutenus par les citoyens a renforcé à la fois la plate-forme européenne des ASC ainsi que les réseaux locaux et nationaux, en encourageant des discussions essentielles sur ce que nous défendons et les modalités pour diffuser cela auprès du plus grand nombre. De plus, il fut aussi un moyen de nourrir la construction d’un mouvement durable pour l’avenir.
Adoptée le 17 septembre, à l’occasion de la troisième réunion européenne des ASC, organisée à Ostrava (République tchèque), la Déclaration offre la meilleure façon de prendre position au nom de notre mouvement, car si nous ne le faisons pas, quelqu’un d’autre le fera !
Depuis lors, elle a été saluée avec enthousiasme en Europe et dans d’autres pays du monde. Elle a été aussi traduite dans plusieurs langues et a permis aux praticiens de l’ASC qui ne sont pas forcément membres d’Urgenci de se rapprocher de nous. S’il est encore un peu tôt pour l’affirmer, la Déclaration semble s’avérer être un outil puissant nous permettant à tous de construire le mouvement. Et nous sommes tous fiers d’avoir participé à ce processus unique !
Vous pouvez consulter la Déclaration ici.