Sous les feux de la rampe 1
Le droit de l’homme à une alimentation adéquate ne peut être réalisé pleinement que dans le cadre de la souveraineté alimentaire
Il n’y a rien de plus primaire pour l’être humain que de respirer, se nourrir, et d’étancher sa soif. Ces activités sont fondamentales et sont garanties par l’eau, la nourriture et l’oxygène présents dans notre corps, et dans les aliments, boissons et air que nous consommons. Sans ces éléments, nous ne pouvons grandir, nous devenons faibles, malades et mourons. Les luttes des populations contre l’exploitation, la discrimination, la famine et la malnutrition ont contribué à l’obtention du droit de l’homme à une alimentation adéquate pour tous (parmi d’autres droits), dans le contexte de la souveraineté alimentaire et de celle des peuples.
Manger et nourrir sa famille et les autres sont des actions qui reflètent profondément la richesse et la complexité de la vie de l’homme en société. Nos habitudes alimentaires proviennent de notre nature humaine ; mais elles sont également des produits de l’histoire, ainsi que des luttes et des vies de nos ancêtres. Elles reflètent l’existence de nourriture et d’eau dans notre environnement local, les relations de pouvoir et la capacité à la fois économique et physique d’accéder à la nourriture.
Les débats sur la nourriture sont inséparables de ceux sur l’alimentation et la santé, dans le contexte des droits des femmes et de la souveraineté alimentaire. Ces débats devraient parler de la diversité, quantité, composition nutritionnelle, qualité et type de production alimentaire ; de qui produit quoi, comment et où, et de qui prend ces décisions. On devrait également aborder le sujet de l’accès et du contrôle des ressources productives et de l’accès physique et économique à la nourriture et à l’eau ; ainsi que des méthodes de préparation, de l’information sur la diversité et les régimes alimentaires conseillés ; de la définition d’habitudes alimentaires saines et des risques de consommation de nourritures variées, tels que les aliments ultra-transformés, graisses saturées et aliments génétiquement modifiés, parmi d’autres.
De plus, la définition d’un régime alimentaire sain ne peut être réduite à une ration équilibrée d’aliments de base. La nourriture et la nutrition intègrent de la créativité, de l’amour, de l’attention, de la socialisation, de la culture and de la spiritualité. Ainsi, un régime équilibré est un régime qui répond à toutes ces dimensions et contribue à créer des êtres humains en bonne santé, conscients de leurs droits et responsabilités en tant que citoyens de leur pays et du monde ; conscients de leurs responsabilités environnementales et de la qualité de vie de leurs descendants.
La nourriture pour les Hommes signifie beaucoup plus que l’acte instinctif de rassembler des aliments et de chasser ; acte qui provient exclusivement de la faim. L’idée de nourriture dépasse la simple prise de substances nutritives présentes dans la nature, que nous digérons, et qui se transforme en corps et en vie. A travers son évolution, l’Homme a développé un rapport étroit avec les procédés alimentaires, les transformant en riches rituels qui relient les Hommes à la nature, imprégnés des caractéristiques culturelles de chaque communauté et famille. Lorsqu’ils mangent des plats typiques de leur enfance et de leur culture avec leurs amis et famille, les individus renaissent dans leur dignité humaine, ils réaffirment leur identité, et encore plus à d’autres niveaux qui vont bien au-delà de la consolidation de leur santé physique et mentale.
Le développement de tout être humain dépend du soutien de ses parents, famille, communauté et société depuis le moment de sa conception. Ce soutien se manifeste par de l’amour, de la chaleur, de l’attention, de la stimulation, de l’éducation et de la sécurité, parmi d’autres. Il est inconcevable de séparer la valeur individuelle de chacun de ces facteurs. Les meilleures habitudes alimentaires pour les nourrissons et enfants en bas âge, tel que l’allaitement exclusif jusqu’à l’âge de six mois et encore ensuite jusqu’à l’âge de deux ans ou plus ; combiné à l’introduction opportune de compléments alimentaires adéquats, sont vitales et impliquent toutes ces dimensions. Dans ce sens, il est essentiel de renforcer la responsabilité collective (dans un premier temps au niveau étatique) afin de s’assurer que les conditions appropriées qui permettent aux femmes d’allaiter de façon optimale sans se voir imposer des fardeaux supplémentaires, soient respectées. Dans un tel environnement favorable, les droits des femmes et des enfants sont protégés et respectés, et l’allaitement peut ainsi être accompli comme acte premier de la souveraineté alimentaire.
Promouvoir la souveraineté alimentaire, avec pour objectif la pleine réalisation du droit de l’homme à une alimentation adéquate ainsi que l’alimentation pour tous, requiert forcément la pleine réalisation des droits humains des femmes. L’impact de la violence structurelle contre les femmes et jeunes filles, et les violations systématiques de leurs droits à l’alimentation ont été dissimulées par la vision hégémonique de la sécurité alimentaire et de l’alimentation. Les cas de malnutrition chez les femmes et enfants peuvent être largement attribués à une discrimination sexuelle omniprésente en ce qui concerne l’accès à l’éducation et à l’information, le poids disproportionné des tâches ménagères, le mariage des enfants et les grossesses précoces. En tant que la source de soutien principale, les familles et en particulier les mères sont également les premières cibles de la commercialisation malveillante de produits alimentaires malsains, tels que les substituts de lait maternel et les aliments à fort taux de sucre ou graisse ; et donc reçoivent des informations inadéquates et déroutantes à propos de la manière de nourrir leur famille. Enfin, les politiques et programmes de sécurité alimentaire ne s’attaquent pas de manière efficace à ces problèmes structurels et, au nom de la « promotion de l’égalité des sexes », finissent par accroître davantage le fardeau qui pèsent sur les femmes, en leur donnant encore plus de responsabilités qui, en réalité, devraient être partagées de manière collective.
Cette conceptualisation holistique de la nourriture et de l’alimentation nous fait comprendre que la faim et les différentes formes de malnutrition ne sont pas des processus « naturels ». Ils sont en réalité le résultat d’une exclusion et d’une exploitation à la fois économiques et sociales, et en particulier de :
1. L’accaparement de terres et autres ressources naturelles, des connaissances et pratiques humaines, du travail, de la capacité productive et reproductive et des modes de vie.
2. Des salaires peu élevés et inégaux, et de piètres conditions de travail et autres violations des droits des travailleurs.
3. L’expansion sans discrimination (et la promotion publique) du modèle de production agroalimentaire, qui réduit la diversité et la qualité de la nourriture et qui empoisonne le sol, l’eau, les travailleurs, les communautés de paysans et qui encourage le réchauffement climatique.
4. L’accumulation de terres et de richesses entre les mains de quelques-uns.
5. La violence structurelle contre les femmes et les jeunes filles, y compris de leur droit à l’éducation, les limites imposées à leur autonomie et le contrôle de leur vie et de leur corps.
6. Les pratiques non règlementées de commercialisation qui encouragent la consommation d’aliments transformés tels que les substituts de lait maternel, les aliments génétiquement modifiés, les produits nutriceutiques, les suppléments alimentaires et produits enrichis, ainsi que leur distribution de plus en plus large.
Les luttes pour le droit de l’Homme à l’alimentation n’a pas seulement pour but de satisfaire notre faim et nos besoins nutritionnels, mais également de nous nourrir nous, notre famille, nos amis et même les étrangers, pour nous réaffirmer et nous aider les uns les autres en tant qu’êtres humains dans notre dimension physique, intellectuelle, psychologique et spirituelle. Ce n’est pas sans raison que toutes les fêtes familiales et communautaires ainsi que beaucoup de rituels spirituels impliquent la préparation de nourriture et sa communion. En faisant cela, nous réaffirmons notre identité et notre diversité culturelle dans le contexte de l’universalité d’être humains et nous réalisons notre souveraineté alimentaire.
Sous les feux de la rampe 2
L´entreprise prend le contrôle de l´alimentation et des espaces de politique nutritionnelle
Lors des dernières décennies, des politiques de dérèglement ont mené à une immense concentration du pouvoir des entreprises dans les systèmes alimentaires globaux [Voir La Déclaration Berne & EcoNexus (2013)] et ont consolidé l´influence des entreprises sur les politiques des pouvoirs publics, tous les deux au niveau national et international, terrorisant les communautés et les familles concernant leurs compétences pour transformer la nature et l´alimentation et obtenir une nutrition saine et du bien-être. Sous le parapluie des partenariats publics-privés (PPPs) et des initiatives multilatérales, des entreprises privées assument des fonctions de plus en plus importantes en façonnant des politiques publiques, et en prenant ainsi la relève auprès des fonctions des gouvernements élus, tout en sapant le cœur de la gouvernance démocratique. Cette nouvelle tendance entraîne de sérieuses conséquences pour la souveraineté alimentaire. En fait, les politiques et les interventions destinées à l´alimentaire et la nutrition sont de plus en plus orientées vers des intérêts au profit maximum des corporations et leurs actionnaires, au lieu de se voir orientées vers des besoins physiologiques et nutritionnelles de la population en général et plus spécifiquement, vers les communautés affectées par la faim et la malnutrition, qui deviennent encore plus marginalisées.
En 2010, le Forum Economique Mondial (FEM) a lancé le rapport final de son Globale Redesign Initiative (GRI) [Voir Guide des lecteurs pour l’Initiative Global Redesign à l´University of Massachusetts qui résume les
plus importantes propositions du WEF], dans lequel on propose la radicale restructuration de la gouvernance globale vers un accord multipartenariale dans lequel les entreprises privées prennent part lors des négociations et des processus décisionnels avec les représentants du gouvernement. Même si cela ne peut sembler que des promesses, il s´agit d´une malheureuse réalité, avec la nutrition et les aspects de santé placés au premier plan de l´entreprise pour la reprise des espaces de gouvernance publique. Selon la proposition du GRI, l´Organisation pour l´Alimentation et l´Agriculture (FAO) pourrait être remplacée par : « Alimentation Globale, Agriculture et Initiative Nutrition Redesign » fonctionnant sous la surveillance étatique et non étatique.
En 2008, le Comité Permanant des NU sur la Nutrition (CPNU) -l´organisme d´harmonisation pour des politiques de nutrition associées et des programmes des Nations Unies- a été effectivement arrêté à cause de sa politique relativement forte concernant l´engagement avec le secteur privé et la circonscription de résistance de la société civile afin d´inclure le secteur privé en tant que comité. Au même temps, les mêmes acteurs qui ont (malheureusement) enfoncé pour la participation du secteur privé au CPNU, et par la suite ont préparé la voie vers le discrédit et l´épuisement des financements, faisaient la promotion d´une nouvelle initiative de portée globale – l´Initiative d´élargissement de la Nutrition (IEN). Opposé au CPNU, qui est responsable des gouvernements, SUN ouvre sa porte à un fort compromis avec un secteur privé en nutrition avec la vision du GRI. Parmi ses membres (y compris ceux du Lead Group), on constate de grandes entreprises transnationales de l´alimentation et des boissons et des agro-businesses [Compagnies participant au SUN : PepsiCo, Mars, Unilever, Syngenta et BASF]. Parmi elles, quelques unes ont été concernées dans le passé dans des abus contre les droits humains, et sont connues par leurs résistances aux règlements de la santé publique.
Le compromis des entreprises privées avec la gouvernance de l´alimentaire et la nutrition à travers PPPs –telles que SUN- présente un vrai risque pour la souveraineté alimentaire. Cela introduit un biais vers des solutions techniques, artificielles et à base des produits locaux, telles que des produits alimentaires thérapeutiques et fortifiés, des semences génétiquement modifiées, et des suppléments nutritionnels, et on détourne l´attention concernant les déterminations sociales et les violations aux droits humains, qui sont à la base de la famine et de la malnutrition. D´ailleurs, on ferme les yeux devant le rôle des entreprises, ce qui entraine de la famine et de la malnutrition à travers des marketings inappropriés sur des substituts du lait maternel et des aliments pas salutaires, un travail abusif et des politiques de sous-traitances, sur la terre et les ressources naturelles, sur la pollution et la destruction des écosystèmes et la biodiversité, etc., et le besoin urgent des règlements obligatoires. Il se peut que l´aspect le plus important soit que cette reprise en charge institutionnelle sur les espaces de la gouvernance de l´alimentaire et la nutrition a de négatives implications pour le riche et complexe processus socioculturel concernant les habitudes alimentaires et la nourriture individuelle au niveau des communautés et chez des familles partout dans le monde, à partir de la promotion des méthodes de production non soutenable et le réchauffement global.
En Novembre de la dernière année, la Deuxième Conférence Internationale sur la Nutrition (CIN2) a eu lieu à Rome. Avant et pendant la conférence, des mouvements sociaux et des organisations de la société civile ont crée une vaste alliance pour défendre les politiques de nutrition et des interventions ayant les personnes – et tout en particulier les communautés et les producteurs alimentaires à la petite échelle- au centre et elles se sont appuyées sur la promotion des droits humains afin d´adapter l´alimentaire et la nutrition dans un vaste cadre de souveraineté alimentaire, d´indivisibilité des droits des femmes et des enfants [La société civile et les déclarations du mouvement social avant et au ICN2 peuvent être trouvées ici]. On a demandé aux États de mettre en place un mécanisme de gouvernance cohérent, capable de suivre et d´assurer un responsable rapport entre les obligations et les engagements des États sur la nutrition, et en même temps, qu´il prenne un engagement avec la société civile, et en particulier, avec les groupes affectés par toute forme de malnutrition. Le Comité de Sécurité Alimentaire Mondiale (CSA) devrait jouer un rôle dans le cadre de cette politique assurant la cohérence pour la sécurité alimentaire et la nutrition, et on lui a demandé d´inclure la nutrition dans son plan de travail. Des mouvements Sociaux et des CSOs ont très fortement exprimé leur opposition à la participation du secteur privé au niveau des politiques de l´alimentaire et la nutrition. Et on a demandé au Comité l´adoption d´un solide intérêt pour les garanties devant toute forme d´engagement avec le secteur privé.
Au début de cette année, il y a eu des tentatives provenant de quelques acteurs afin de ciseler un espace proéminent pour SUN dans le CSA, c´est ainsi que l´on examine son rôle futur en nutrition progressive. A manière de réponse à ces tentatives, le groupe de travail du Mécanisme de la Société Civil (MSC) sur la nutrition a appelé l´établissement d´un processus transparent, informé, et participatif au sein du CSA afin de discuter ses engagement sur la nutrition. Le mois dernier, le groupe de travail du Multi Programme Annuel de Travail (MPAT) a décide que la nutrition deviendra un énorme flux de travail du CSA lors des prochaines années. Et cela entrainera à l´avenir la création d´un groupe de travail.
Il s´agit d´un moment critique pour faire devenir la nutrition plus forte au CSA et pour mettre en place une organisation globale d´harmonisation pouvant assurer une politique cohérente à travers des secteurs favorables aux droits humains, permettant ainsi d´adapter l´alimentation et la nutrition. Cependant, afin d´y parvenir, le CSA doit développer des garanties adéquates pour protéger leur espace politique devant des entreprises ayant des influences exagérées. C´est donc essentiel que les mouvements sociaux et les organisations des sociétés civiles, à travers les lentilles et un cadre de souveraineté alimentaire, qu´ils placent au cœur de la question la dimension du pouvoir lors des discussions sur l´alimentation et la gouvernance nutritionnelle, qu´ils préconisent afin de renforcer les garanties devant des intérêts opposés au sein du CSA, pour rester alerte et contrôler de très près les développements -au sein et bien au-delà du CSA- dans le secteur de la nutrition ; et finalement, qu´il faut résister devant les tentatives des entreprises d´appropriation de cet espace vital et d´un profond détachement de la nutrition concernant l´alimentation, les humains et la nature.