Barrer la route a la gouvernance industrielle du système alimentaire
Illustration: Daniel Pudles, danielpudles.co.uk
De nos océans et nos côtes, en passant par nos terres et jusqu’au plus profond des minéraux de notre planète, une dangereuse menace plane sur nos relations économiques et politiques actuelles dans le monde entier, il s’agit de l’accaparement de l’espace publique de décision par les entreprises privées. Depuis des décennies, la société civile et les mouvements sociaux se sont battus pour renforcer démocratiquement ces espaces dans le but d’atteindre la souveraineté alimentaire des populations. Seulement, ce processus est aujourd’hui sévèrement ébranlé.
Dans cette Newsletter de Nyéléni, nous élevons notre voix contre le pouvoir grandissant des multinationales et l’impact négatif que ce pouvoir a sur la vie des populations. Nous sommes désormais témoins de la reproduction de relations coloniales, à travers lesquelles des acteurs privés, comme les multinationales, ont affaibli et troublé le rôle des États, notamment dans les espaces de décision intergouvernementaux, l’ONU y compris, et toutes les tentatives d’établir une gouvernance mondiale multipartite sont systématiquement écartées.
L’eau, les semences, la terre, ainsi que d’autres ressources naturelles essentielles, se retrouvent progressivement concentrées dans les mains d’un petit groupe de multinationales. Cette « industrialisation » a été développée dans un contexte d’initiatives mondiales comme la Global Redesign Initiative (GRI), menée par le Forum Économique Mondiale (FEM). Cela représente une privatisation grandissante de la gouvernance du système alimentaire et nutritionnel des populations, et les initiatives basées sur la logique du GRI, comme l’initiative Renforcement de la nutrition (Scaling-up Nutrition, SUN), l’Initiative sur la Pêche Côtière (CFI) ou le Nouvelle Alliance du G8 pour la Sécurité Alimentaire et la Nutrition pour l’Afrique ne sont en aucun cas des solutions satisfaisantes pour les populations.
De telles initiatives sont aussi le signe d’une érosion du rôle des États dans les forums internationaux et, ainsi, de la souveraineté des populations, puisqu’ils placent la spéculation privée au dessus des intérêts publics. Cela conduit à une sorte de « colonialisme industriel », où même la cartographie génétique des semences, comme proposée par DivSeek, apparaît comme une forme de dépossession des paysans.
De surcroît, l’absence de politiques publiques et d’engagement de la part des États face à leur obligations en termes de droits humains a permis aux multinationales de continuer leurs activités en toute impunité. Comme référé dans cette édition, les crimes commis par les multinationales contre les communautés au Nigéria ou la privatisation des villes au Honduras montrent à quel point il est urgent que les États mettent en place une réglementation des activités des multinationales. C’est également pour cette raison que la société civile appelle à la mise en place d’instruments internationaux contraignants, dans le but de pleinement réglementer et sanctionner les activités des multinationales comme première étape à la protection et à la réaffirmation de la souveraineté des peuples dans le monde.
Ensemble, avec l’aide des mouvements sociaux et des organisations de la société civile, nous devons conjuguer nos efforts pour réinventer et reconstruire les espaces de politique publique aux niveaux local, national, régional et international. Les peuples ne pourront exercer leur souveraineté que si ces différentes sphères sont fortement liées.
Sofia Monsalve, FIAN International