L’écho des campagnes

L’écho des campagnes 1

Sénégal : Expérience de Circuit court de commercialisation

Depuis octobre 2013, des organisations paysannes participent à une expérimentation de coopérative agricole nommée Sell Sellal, qui facilite la distribution des fruits & légumes sains sur Dakar. Ceux-ci sont écoulés dans des marchés de niche hebdomadaires développés et gérés par la coopérative avec l’appui de Enda Pronat (www.endapronat.org).

« Cette initiative représente un potentiel important pour les producteurs et productrices puisque la coopérative achète les produits à un prix largement supérieur au prix du marché conventionnel (soit 50 à 100 FCFA de plus par kilogramme acheté). » Ndeye Binta Dione, responsable des marchés Sell Sellal

Les principaux résultats de Sell Sellal :
1. Entre 2013et 2016, les volumes des ventes sont multipliés par 10 (avec 1250 t/semaine) ;
2. En 2015, le chiffre d’affaires a atteint 41.946.000 FCFA et a profitéà102 exploitations familiales, 5 collectrices et 7 salariés ;
3. La coopérative est bien structurée et tend vers une autonomie.

« Les consom’acteurs dakarois peuvent désormais consommer des légumes exempts de pesticides et d’engrais chimiques dans les 4 points de distribution installés à Dakar. » Maty Seck, vendeuse de légumes ASD

Parallèlement, la fédération paysanne Woobin, membre de Sell Sellal et appuyée par Enda Pronat, a mis en place en 2015 une nouvelle stratégie de vente en gros, dans une logique d’économie circulaire, garantie par un système de suivi-contrôle-qualité, d’information et de sensibilisation des producteurs sur l’agriculture saine et durable. Ceci a permis en 2016, l’achat de 24.630 tonnes d’oignon aux producteurs à 50 FCFA/kg de plus que le conventionnel, l’accès de légumes sains aux populations des zones rurales et périurbaines, et l’empowerment des femmes.

L’écho des campagnes 2

Lancement d’un nouveau système de panier

Gian Paulo Berta, Les Jardins de Nyon, Suisse romande

Mon nom est Gian Paulo Berta et je me suis le coordinateur de l’ACP (Agriculture Contractuelle de Proximité) « Les Jardins de Nyon » un nouveau projet d’agriculture de proximité, voulu par la ville. Dans un premier temps nous avons dû trouver un lieu pour les livraisons. Nous avons contacté différentes associations existantes mais cela n’a pas fonctionné. Visiblement la perception des milieux associatifs vis-à-vis de l’agriculture contractuelle n’est pas très positive ici. Finalement la commune nous a trouvé un entrepôt. Lorsque nous l’avons visité pour la première fois, il paraissait humide et froid, pas vraiment une salle de bal ! Mais, nous l’avons retapé et aujourd’hui nous sommes satisfaits du résultat. Maintenant nous sommes heureux d’avoir pu débuter les livraisons. C’était important pour nous tous d’entrer dans le vif du sujet, mais nous n’avons par contre pas réussi à obtenir le nombre de contrat que nous espérions. Nous manquons un peu de visibilité, mais je pense surtout qu’il est important de transmettre les valeurs de l’agriculture contractuelle de proximité. Pour convaincre les gens d’adhérer, il faut parler des problématiques alimentaires et agricoles et présenter l’agriculture contractuelle comme une des solutions, avoir un discours positif. Adhérer à une structure d’agriculture contractuelle est un acte simple, accessible, que tout le monde peut réaliser facilement, pour autant que les raisons soient connues. Nous sommes une goutte qui participe au changement. C’est important de le présenter comme cela.

L’écho des campagnes 3

Marchés locaux : Produits sains et accessibles

Lola Esquivel, ATC – Asociación de Trabajadores del Campo (Fédération Syndicale des Travailleurs et Travailleuses Agricoles), Nicaragua

Je suis une productrice affiliée à l ATC. J’ai commencé à aller aux marchés locaux en 2001 puisqu’ils représentaient une option me permettant de générer un revenu et d’améliorer ma qualité de vie et celle de ma famille. Il est important pour moi en tant que productrice de pouvoir montrer directement ce que je produis, sans ça, le rôle des femmes est invisible. Cela permet aussi d’amener des produits frais, sains et accessibles au client.

L’aspect le plus satisfaisant est de passer le produit directement du producteur au consommateur, parce que, en général, les intermédiaires tirent profit des petits producteurs et des consommateurs. Le développement des marchés locaux est aussi une initiative qui contribue à une alimentation équilibrée car la tomate, la courge et autre fruits et légumes que vous y mangez sont des produits naturels cultivés de façon biologique.

Encadres

Encadré 1

La Pêche et l’Agro-Écologie

“Nous disons que notre manière de pêcher est réellement de l’agro-écologie en action… en étant très sélectif dans le poisson que nous attrapons et en respectant l’environnement (…) Nous avons toujours éxisté en interconnectivité avec l’océan, et nous avons finalement un terme qui décrit notre connectivité avec le milieu marin. Le terme d’agroécologie nous aide à décrire le genre de pêche que nous pratiquons depuis 5000 ans.”
Christian Adams, Coastal Links Afrique du Sud, membre du WFPP

Un grand nombre des dynamiques structurelles que nous trouvons dans le secteur de la pêche sont identiques à celles de l’agriculture et de l’élevage en ranch, et dans beacoup de cas les pêcheurs sont aussi des paysans. La pêche à petite échelle doit faire face au modèle de la pêche industrielle de la même manière que les paysans et les éleveurs doivent faire face à l’agriculture industrielle. D’autre part, les principes agroécologiques sont suivis dans la pêche artisanale et l’aquaculture à petite échelle: dans le choix de l’équipement adéquat et l’utilisation des techniques spécifiques aux espèces visées; le respect des saisons et du cycle de vie de chaque espèce; les captures limitées selon les stipulations convenues; et la culture et la protection des zones de mangrove afin d’assurer la durabilité de la biodiversité dans la production et l’alimentation.

Les petites entreprises de pêche sont également confrontées à des difficultés similaires aux fermiers-paysans en matière de commercialisation et de distribution. Comme pour l’agriculture, la concentration du pouvoir entre les distributeurs peut créer un goulot d’étranglement qui diminue les avantages pour les petits producteurs. Un système alternatif d’étiquetage où figurent le lieu d’origine, la méthode de production et la mention du système de certification écologique ont été largement utilisés dans le monde agraire, et nous avons appris que cela était nécessaire mais néanmoins souvent insuffisant. Certaines des stratégies qui sont explorées pour combler cette lacune et créer des liens solides entre les producteurs et les consommateurs, tant pour les systèmes alimentaires agraires que maritimes, sont la vente directe, les marchés locaux, ainsi que des formes de distribution nouvelles et traditionnelles. Voilà un terrain fertile pour l’échange d’idées et de leçons apprises.

Ces efforts illustrent le fait que les principes d’agro-écologie doivent s’appliquer non seulement à l’agriculture et à la pêche mais aussi à la distribution et à la vente de façon à court-circuiter les systèmes de certification écologiques qui peuvent être cooptés par de larges entreprises qui se taillent un large bénéfice en présentant les denrées alimentaires écologiques comme des produits de luxe voués à une élite, sans en faire profiter les producteurs.

Si nous voulons renforcer ce travail, la collaboration entre les acteurs est nécessaires 1) entre les artisans-pêcheurs— en incluant le nombre croissant de femmes et de jeunes— afin de défendre l’accès et le contrôle des zones de pêches et l’accès aux marchés, ainsi que de promouvoir et de valoriser les pratiques agroécologiques existantes 2) entre les pécheurs et les consommateurs, afin de renforcer les canaux de distribution basés sur la confiance, les produits de qualité, locaux, saisonniers et agro-écologiques et 3) entre les groupements de pêcheurs et de paysans afin de créer un échange de savoirs. Il est intéressant de noter que les organisations de pêcheurs ont déjà emprunté la route de la collaboration, en faisant valoir une voix collective et en articulant de vraies alternatives.

Encadré 2

Renverser la vague du tsunami Supermarché

Au niveau agricole, il est facile d’observer l’emprise des grandes entreprises sur notre system alimentaire. Celle-ci est apparente dans l’expansion des monocultures à grande échelle, les paysans et des communautés indigènes déplacés et l’accaparement des terres et de l’eau. Mais cette croissante main mise s’étend à travers la totalité des chaînes d’approvisionnement alimentaire, des grandes fermes jusqu’aux rayons des supermarchés. De fait, le changement rapide de mode de distribution alimentaire, du marché de produits frais au supermarché, a des implications toutes autant dérangeantes que celles de la mutation d’une agriculture paysanne à une agriculture industrielle.

Pensons, par exemple, que dans de nombreux pays en voie de développement de la région Asie-Pacifique, les marchés de produits frais fournissent un moyen de subsistance à des millions de personnes: les petits paysans qui apportent leurs récoltes aux propriétaires de petits étals, les artisans de l’alimentaire, les vendeurs ambulants, et tout un éventail de travailleurs informels tels que les manutentionnaires qui retirent un maigre revenu du secteur. En Inde, presque 40 millions de personnes comptent sur le secteur informel du commerce et sur les marchés de produits frais; en Indonésie plus de 12 millions de personnes dépendent des marchés de produits frais. Des milliers de vendeurs ambulants, travaillant tous les jours pour fournir de la nourriture aux communautés urbaines, sont au cœur même du fonctionnement de villes comme Bangkok et Hanoï. Une enquête sur le statut des vendeurs ambulants réalisée par le Ministère du Commerce d’ Hanoï indique qu’il y a environ 5000 vendeurs de légumes et 9000 vendeurs de fruits dans les quartiers intra-muros de la ville. Les femmes qui constituent 93 pourcent des vendeurs viennent pour 70-80 pourcent des provinces alentours . Une enquête réalisée en 2010 par l’Administration Métropolitaine de Bangkok indique qu’un nombre stupéfiant de vendeurs (40,000) exercent leurs activités chaque jour dans la ville.

Le rapide virement du marché alimentaire mondial vers la domination du supermarché, qui est facilité par le nombre croissant d’accords financiers et de libre-échange, marginalise et, doucement mais surement, prend la place de millions de personnes dont la subsistance dépend du secteur. L’accès à des aliments appropriés et nutritifs est aussi restreint par la manipulation des prix alimentaires et agricoles. Les supermarchés haussent les prix des produits de base et créent une explosion de malbouffe, inondant les marchés locaux de produits alimentaires transformés et affectant ainsi la santé publique.

Cette évolution vers une prédominance du supermarché n’est pas une solution pour nourrir les populations croissantes. Elle aura plutôt comme effet de transférer le contrôle et l’accès à la nourriture à une poignée de distributeurs mondiaux qui sont étroitement liée à l’industrie agroalimentaire. À travers toute la région Asie-Pacifique, on assiste à une prise de conscience et une résistance grandissante des communautés paysannes, des syndicats de colporteurs et des consommateurs contre les distributeurs mondiaux et les chaînes de supermarchés. Il est important de continuer de former des alliances stratégiques et de construire des alternatives qui défient le phénomène de ‘supermarketisation’.

Encadré 3

Le succés des cooperatives au Nicaragua

Federación de Cooperativas para el Desarrollo (La fédération des Coopératives pour le développement) – FECODESA – travaille pour améliorer la condition des petits exploitants agricoles, réduire les risques et augmenter leurs débouchés. FECODESA est une fédération de petites et moyennes coopératives d’agriculteurs au Nicaragua qui rassemble 6,000 familles de petits exploitants/engagées dans de l’agriculture à petite échelle. Les familles produisent leur propre nourriture, et vendent l’excédent sur les marchés locaux, nationaux et internationaux grâce à leurs coopératives et à FECODESA.

FECODESA a adopté les principes de coopération dans leur travail, plaçant l’accent sur le processus démocratique et l’inclusivité des membres dans toutes les décisions et les opérations.
FECODESA a été fondée en 2006 et est devenue une importante coopérative de petits exploitants formellement insérée dans le secteur des coopératives du Nicaragua. FECODESA offre des financements, des nouveaux débouchés et des renforcements de capacités à leurs membres, se faisant elle contribue à augmenter la productivité du sol ainsi que la qualité des produits. De plus, FECODESA participe activement aux consultations initiées par le gouvernement où sont discuté les politiques agricoles et les supports techniques et financiers. La participation de FECODESA dans ces mécanismes de décisions permet de donner un vote et une voix aux petits exploitants qui sont généralement sous représentés.

Les mécanismes du marché
D’organiser les petits exploitants en coopératives les aide a devenir des acteurs décisifs dans l’espace économique et politique associé au secteur de l’agriculture au Nicaragua. Ceci est accompli en organisant d’abord les fermiers en coopératives et ensuite en organisant en réseaux les coopératives qui partagent les mêmes intérêts pour finalement entrer a part entière dans les instances de décisions pour représenter les intérêts des petits exploitants.

Les Clés du succès:
1. Légitimité. FECODEAS a été fondée, appartient et est opérée par de petits exploitants. Ses actions sont motivées par les intérêts communs de ses membres : améliorer les conditions de vie et la prise en compte de l’environnement.
2. Une organisation forte. Toutes les coopératives de FECODESA travaillent a construire leurs propres structures de gouvernance et mécanismes financiers.
3. Des systèmes de gouvernances et des mécanismes financiers transparents et performants. Les opérations de FECODESA opèrent sur des structures qui permettent à ses membres l’accès rapide à l’argent, à la connaissance et aux solutions techniques.
4. Une forte défense des intérêts des petits exploitants tant au niveau local que national. FECODESA a reconnu que l’influence des petits exploitants dans le processus de décision était absolument essentiel pour changer l’équilibre du pouvoir dans le secteur agricole. Depuis 2013 FECODESA a participe activement aux comités nationaux et a la politique de la sécurité alimentaire, l’agriculture biologique et les réseaux de recherche sur l’agriculture et les problèmes climatiques.

Encadré 4

Agriculture biologique et l’expérience du marché communautaire de OFBMI

Organic Farmer of Barangay Macabud (OFBMI) – fermiers/exploitants organiques du Barnagay Macabud – est une coopérative de fermiers composée de Presque cent bénéficiaires de la reforme agraire de la province de Rizal au Philippines. Formée après deux décennies de lutte pour la possession du sol, OFBMI cherche à revitaliser la production agricole dans la région à travers des exploitations communales et d’agro écologie.

Depuis sa fondation en 2014, OFBMI ont vigoureusement engagé le gouvernement pour obtenir l’accès aux services de support nécessaires pour développer les capacités et le revenu des fermiers. Ceci dans le contexte de pauvreté généralisée de la région due a une longue bataille juridique pour la possession des terres avec la plupart des familles vivant de leurs récoltes avec moins de $2 par jour. En un an, OFBMI a reçu des semences et du matériel agricole tel que des déchiqueteuses et des tracteurs manuels.

En faisant parti de PARAGOS-PILIPINAS, une organisation nationale de fermiers et une membre de La Via Campesina, certains des membres de OFBMI ont put recevoir une formation en agro écologie. Ceci, associé avec la possibilité d’accéder au marche spécialise dans les produits biologiques a fortement influencé le décision de OFBMI de se consacrer 100 % a l’organique. En très peu de temps, la plupart des membres ont été capable de produire assez de produits biologiques, tel que du wormcast pour leurs propres besoins et pour les fermes communales.

Mais la plupart du marche biologique est maintenant dominé par de larges coopératives/exploitations avec des capacités de production plus importantes et possédant des certifications de produits biologiques accrédités. OFBMI a reconnu que bien que les prix soient plus compétitifs, ils ne peuvent pas suivre l’augmentation de la demande pour les produits biologiques. Le groupe a décidé de retourner à ses bases. “Pourquoi devrions-nous vendre des légumes aux classes moyennes et supérieures quand la plupart des familles du village ont faim?!” Un fermier s’est exclamé.

Maintenant, OFBMI a fondé un “marché communautaire”, qui vend des produits biologiques à des prix producteurs pour essayer d’attirer l’attention sur non seulement l’aranéologie mais aussi pour procurer une alimentation saine et sécurisée pour même les plus pauvre dans la communauté. D’autres producteurs et vendeurs venant des marches locaux ont été convaincus de venir participer à des formations à l’agriculture biologique que OFBMI organise régulièrement. Les profits sont rarement élevé dans les marche communautaires, mais suffisant pour soutenir and élargir l’initiative pour une alimentation disponible et sécurisée.

Sous les feux de la rampe

Sous les feux de la rampe 1

Reconnaître, soutenir et protéger les marchés territoriaux

[Cet article est extrait du document «Etablissement de liens entre les petits exploitants et les marchés. Ce que le MSC préconise».]

(…) La plus grande partie de la nourriture consommée dans le monde (70%) est produite par les petits producteurs et les travailleurs agricoles. La plupart de ces aliments est canalisée à travers ce que nous proposons d’appeler des «marchés territoriaux», comme expliqué ci-dessous. Seulement 10-12% des produits agricoles est négocié sur le marché international et notamment seulement 9% de la production de lait, 9,8% de la production de viande, 8,9% de la production de riz et 12,5% de la production de céréales[1]. En conséquence, le concept de vouloir «établir des liens entre les petits exploitants et les marchés» est trompeur: dans le monde entier, plus de 80% des petits exploitants opèrent déjà sur des marchés territoriaux qui jouent un rôle primordial pour garantir la sécurité alimentaire et la nutrition[2]. Nous voulons que ces marchés soient reconnus, soutenus et défendus par des politiques publiques appropriées.

Nous proposons d’appeler ces marchés «territoriaux» car ils sont situés dans des territoires spécifiques et sont identifiés à travers ces territoires. Ils peuvent opérer au niveau du village mais aller jusqu’à l’échelle du district, du pays, transfrontalier ou régional. En conséquence, ils ne peuvent pas être définis comme étant des marchés «locaux». Leur organisation et leur gestion peuvent incorporer une dimension formelle plus ou moins forte, mais ils conservent toujours un lien avec les autorités compétentes. En conséquence de sorte ils ne peuvent pas être définis comme étant purement «informels». Ils répondent à la demande alimentaire dans différents types de zones: rurales, périurbaines et urbaines. Ils impliquent d’autres acteurs à petite échelle sur le territoire: grossistes, transporteurs, transformateurs, détailants, commerçants… Parfois, ces autres fonctions sont assurées par des petits exploitants ou leurs associations. Les femmes sont les acteurs clés dans ces marchés, ils leurs fournissent une source importante d’autorité et des revenus dont bénéficient également leurs familles.

Ces marchés sont extrêmement divers, mais ils se distinguent tous par certaines caractéristiques, par rapport aux systèmes d’approvisionnement alimentaire dans le monde et notamment:
– Ils sont directement liés aux systèmes alimentaires locaux, nationaux et/ou régionaux: l’aliment concerné est produit, transformé, commercialisé et consommé dans un «territoire» donné, réduisant d’autant la distance entre les producteurs et les consommateurs/utilisateurs finaux et raccourcissant la longueur du circuit commercial.
– Ils remplissent des fonctions économiques, sociales et culturelles multiples au sein de leurs territoires respectifs – à commencer par, mais sans s’y limiter, la fourniture de nourriture.
– Ils sont les plus rémunérateurs pour les petits exploitants, étant donné qu’ils permettent un plus grand contrôle des conditions d’accès et des prix par rapport aux chaînes de valeur traditionnelles.
– Ils contribuent à l’économie du territoire, étant donné qu’ils permettent de conserver une plus grande part de la valeur ajoutée et de reverser une plus grande part de revenu dans l’exploitation ainsi que dans les économies locales. Ils représentent donc une contribution importante à la lutte contre la pauvreté rurale et contribuent à la création d’emplois.

Dans le monde entier il existe des marchés liés aux territoires. Dans leur grande majorité, ces espaces sont les plus importantes sources pour l’approvisionnement alimentaire dans des régions comme l’Afrique, l’Asie, l’Amérique latine et le Proche-Orient. Ils gagnent également en importance en Europe et en Amérique du Nord. (…) Malgré cela, jusqu’à présent, ces marchés ont été ignorés par les travaux de recherche, par les enquêtes et collectes de données ainsi que par les politiques publiques ou encore lors de la prise de décision d’investissement, de sorte que leur fonctionnement est insuffisamment compris, soutenu et protégé. Cela explique pourquoi il n’existe pas encore de terme convenu pour les décrire.

L’approche territoriale – dont les marchés sont une composante importante – est utilisée de manière croissante et de plus en plus largement dans le contexte de la gestion des ressources naturelles, de la planification du développement (…).

Sous les feux de la rampe 2

Déclaration de La Via Campesina sur le commerce, les marchés et le développement à la CNUCED 2016

[Nairobi – 19 juillet 2016]

La quatorzième session de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED) aura lieu à Nairobi, Kenya, du 17 au 22 juillet 2016. À cette occasion, nous, membres de La Vía Campesina, nous réitérons notre engagement en faveur de la souveraineté alimentaire et du droit à l’alimentation ainsi que notre détermination à mettre fin aux soi-disant projets du néolibéralisme basés sur le « paradigme du libre-échange » et le « développement dicté par le marché », des projets qui ne servent qu’à consolider le contrôle des grandes sociétés sur nos systèmes alimentaires. En tant qu’organe des Nations unies, nous nous attendons à ce que la CNUCED et ses États membres priorisent les processus démocratiques et participatifs visant à obtenir des politiques qui font la promotion de la souveraineté alimentaire. La CNUCED ne doit pas être utilisée pour promouvoir des accords de libre-échange (ALE), y compris les Accords de partenariat économique (APE) de l’Union européenne en Afrique, qui, les uns à la suite des autres, produisent plus de faim, de pauvreté et d’exclusion pour les peuples partout sur la terre.

À propos de la CNUCED

Nous, La Vía Campesina, nous avons chaleureusement accueilli en 2015 la publication du rapport de la CNUCED Smallholder Farmers and Sustainable Commodity Development, qui reconnaît notre rôle vital dans la production d’aliments et les marchés ainsi que le besoin des gouvernements et des institutions multilatérales de travailler directement avec nous pour atteindre les objectifs de développement durable (ODD) des Nations unies. Cependant, nous nous opposons fermement aux nombreuses recommandations du rapport, dont la plupart appuient la marchandisation de notre production agricole. Nous rejetons catégoriquement l’hypothèse sous-jacente du rapport selon laquelle nous ne pourrons être une source d’aliments et de nutrition viable à long terme pour nos populations que si nous devenons des « entreprises commerciales » prospères axées sur la recherche du profit. Nous dénonçons également les tentatives en cours de marchandiser l’alimentation et la nutrition, et nous rappelons à tous les participants réunis à la CNUCED 14 que l’alimentation est un droit humain.

Les actions de la CNUCED que nous observons suivent un paradigme commercial néolibéral dicté par le libre marché qui va totalement à l’encontre du paradigme de la souveraineté alimentaire, un paradigme où les petits paysans sont des acteurs sociaux, culturels et historiques qui prennent des décisions basées sur une diversité de facteurs personnels, éthiques et culturels, non pas exclusivement basées sur le profit, les affaires et le marché. Au lieu d’appuyer les projets de promotion du commerce avancés par les multinationales, nous voulons que la CNUCED nous protège contre les Accords de libre échanges destructeurs et secrets promus par l’antidémocratique Organisation mondiale du commerce (OMC), comme le PTCI (Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement), le PTP (Partenariat transpacifique), l’AECG (Accord économique et commercial global), le TiSA (Accord sur le commerce des services) et les APE et leurs soi-disant mécanismes de règlement des différends entre investisseurs et États (ISDS). Nous, les paysans et paysannes de la planète, nous nourrissons aujourd’hui la majorité de la population mondiale et nous le faisons malgré les nombreux ALE qui visent à déplacer la production et le commerce paysans partout sur la planète.


Production paysanne et marchés locaux

Sur la planète, plus de 80 % des petits paysans évoluent dans les marchés alimentaires locaux et nationaux et la plupart d’entre eux commercent informellement. C’est dans ces marchés hautement diversifiés que transitent la plus grande partie des aliments consommés dans le monde. Ces marchés fonctionnent à l’intérieur d’espaces territoriaux qui vont du local au transfrontalier au régional et ils se trouvent dans des milieux ruraux, périurbains et urbains.

Ces marchés sont directement liés aux systèmes alimentaires locaux, nationaux et/ou régionaux : leurs aliments sont produits, transformés, échangés et consommés dans un espace donné où la valeur ajoutée y est retenue et partagée, tout en contribuant à la création d’emplois. Ils peuvent fonctionner selon des arrangements structurés ou informels qui offrent une plus grande flexibilité aux petits producteurs ; ils imposent moins de barrières à l’entrée et permettent plus de contrôle sur les prix et les conditions du marché. Ces marchés remplissent de multiples fonctions au-delà de l’échange de marchandises et sont des espaces d’interaction sociale et d’échange de connaissances. Ce sont les marchés les plus importants, notamment pour les femmes paysannes, eu égard à l’inclusion et à l’accès, et ils contribuent grandement à la réalisation de notre droit à l’alimentation et à la nutrition.

Les systèmes de récolte de données ignorent souvent les marchés informels malgré leur grande importance. Ainsi, ces marchés ne sont même pas pris en compte dans les processus de définition des politiques publiques. Puisque la plupart des femmes paysannes vendent leurs produits sur les marchés informels, leur contribution essentielle aux systèmes alimentaires, y compris la distribution d’aliments, et à la croissance économique est largement ignorée au moment d’établir les politiques relatives au commerce et au développement. Et ces femmes sont confrontées à des barrières socio-économiques spécifiques dans l’accès aux ressources et aux opportunités de commercialisation, ce qui les marginalise et viole leurs droits encore plus. Étant donné l’importance de la sécurité alimentaire et des moyens de subsistance des petits paysans, les politiques et les investissements publics devraient être orientés pour renforcer, accroître et protéger les marchés locaux et nationaux approvisionnés par les paysans.

Nous appelons la CNUCED et ses États membres à appuyer la collecte de données complètes sur les marchés locaux, nationaux et informels — tant ruraux qu’urbains — liés aux territoires pour améliorer les corpus de données utilisées comme base dans la définition des politiques, y compris des données ventilées par sexe, et à les intégrer en tant qu’élément régulier des systèmes de collecte de données nationaux et internationaux.

Nous recommandons des politiques tarifaires transparentes et équitables pour tous les produits agricoles qui fournissent une rémunération complète du travail et des investissements des petits paysans, y compris les femmes rurales. Les politiques tarifaires doivent donner aux petits paysans un accès opportun et abordable aux informations du marché de manière à leur permettre de prendre des décisions éclairées quant au moment et au lieu de la vente des produits, afin de les protéger contre les abus des acheteurs, notamment dans les marchés concentrés.

Nous demandons que des programmes d’achat publics et institutionnels soient mis en place pour permettre aux petits paysans de compter sur une demande régulière et stable en produits agricoles à des prix équitables et aux consommateurs d’avoir accès à des aliments sains, nutritifs, diversifiés, frais et produits localement, y compris durant les crises et les conflits. Nous voulons que ces programmes d’achat soient utilisés par les institutions publiques comme les écoles, les hôpitaux, les prisons, les maisons de retraites et les administrations. Les cantines de ces institutions pourraient alors être approvisionnées par des aliments produits par les petits paysans; Des mécanismes participatifs doivent être définis pour que les producteurs prennent part au schéma d’approvisionnement. Etant donné les déséquilibres dans les fonds de soutien nationaux des pays développés, nous réitérons notre appel à ce qu’une solution durable soit trouvée au problème du stockage public. Nous redisons notre engagement à construire des programmes d’achat publics et institutionnels robustes.

Pour y parvenir, nous rappelons aux gouvernements nationaux qu’ils doivent garantir un accès juste et équitable à la terre, à l’eau, aux territoires et à la biodiversité et nous les invitons à se référer aux Directives volontaires pour une gouvernance responsable des régimes fonciers applicables aux terres, aux pêches et aux forêts dans le contexte de la sécurité alimentaire nationale.

L’alimentation est un droit humain et elle ne doit pas être traitée comme une simple marchandise. Nous appelons la Conférence de la CNUCED de 2016 à repenser son approche de la question de l’alimentation et son lien avec le commerce et le développement. Les paysans sont au cœur de la production alimentaire. Nous avons besoin de toute urgence de la souveraineté alimentaire et ceci nécessite la protection et la renationalisation des marchés alimentaires nationaux, la promotion de circuits locaux de production et de consommation, la lutte pour la terre, la défense des territoires des peuples autochtones et des réformes agraires en profondeur. Il est nécessaire de s’éloigner des fausses promesses que portent les systèmes de production promus par la révolution verte. Ces systèmes dépendent de volumes importants d’intrants et de capitaux et fonctionnent sur la base de la hypothèse biaisée de la concurrence. La concurrence ne connaît du succès en effet que lorsqu’elle détruit les moyens de subsistance des paysans partout sur la planète.

Nous rappelons aux gouvernements qu’ils ont des obligations en ce qui concerne la prestation de services publics de qualité, indispensables pour assurer une vie digne à la campagne (santé, éducation, etc.). Ces obligations ne peuvent être remplies sans des prix justes qui protègent les paysans locaux contre les sociétés transnationales avides de profits et contre un système d’échange international qui aujourd’hui ne sert que les intérêts de l’agrobusiness et des autres élites privées. En tant qu’organe des Nations unies, la CNUCED devrait s’efforcer d’être cohérente avec ses autres efforts continus, y compris notamment la réalisation effective de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Avec nos alliés à Nairobi et partout sur la planète, nous invitons tout le monde à se joindre à nous dans la lutte pour la souveraineté alimentaire, et pour la fin du « libre échange » que les grandes sociétés privées promeuvent à travers des institutions non démocratiques comme l’Organisation mondiale du commerce (OMC).

[1] FAO (2015) La situation des marchés des produits agricoles 2015–16, FAO (2015) Perspectives de l’alimentation. Les marchés en bref.

[2] T.Reardon et J. Berdequé (à publier), «Agrifood markets and value chains» dans FIDA, Rural Development Report; E. Del Pozo-Vergnes (2013) From survival to competition: informality in agrifood markets in countries under transition. The case of Peru, IIED.

Bulletin n° 27 – Éditorial

Les marchés de petits exploitants

Illustration: Rigel Stuhmiller – www.rigelstuhmiller.com

Dans chaque ville indienne, les vendeurs ambulants poussent leurs chariots d’un quartier à l’autre, proposant à leurs clients des fruits et légumes saisonniers ou pérennes. Sur les côtes, le produit des pêches des petits bateaux sont mis en vente chaque matin et chaque soir et les vendeurs itinérants achêtent le poisson de ces marchés et vont les vendre dans les villages. Les marchés quotidiens de poissons et de fruits de mer sont communs dans les zones côtières dans la région Asie-Pacifique. En Thailande, les marchés sont le meilleur endroit pour trouver les ingrédients traditionnels, les herbes et les épices. Au Cambodge en zone rurale, il est commun de voir le long des routes des étals vendant maïs, gourdes ou autres légumes, fruits de saison, sucre de palme ainsi que viande ou poisson séchés. Des scènes identiques se déroulent tous les jours dans de nombreuses régions du monde à travers des zones climatiques et géographiques variées.

Toutes ces victuailles, crues, cruites ou préservées, sont produites par des petits fermiers locaux, pêcheurs, bergers nomades, éleveurs, producteurs et entrepreneurs—la majorité étant des femmes—à travers différents types de marchés: temporaires, permanents, ambulants, livraisons directes, coopératives, etc. La grande partie de la nourriture consommée dans le monde est produise par des petits exploitants et des travailleurs, et distribués à travers des “marchés territoriaux” qui reflètent la grande diversité de contextes qui caractérisent la production et la distribution de produits alimentaires. Les marchés territoriaux sont une source importante d’emplois et sont un des éléments majeurs de la lutte contre la faim et la pauvreté.

Ces marchés sont de plus en plus menacés par intérêts d’entreprise qui régulent les super- et hypermarchés, l’approvisionnement, les stockage, les certifications, et les systèmes d’innocuité des produits alimentaires. Les entreprises utilisent les accords néo-libéraux de marché et d’investissement, et les systèmes de marchandisation des produits, contrôlant la production, le prix, la distribution et la consommation des produits alimentaires. La protection et le renforcement des marchés de petits producteurs sont des pôles essentiels de la défense de la souveraineté alimentaire, et de la restauration du contrôle sociétal de l’économie.

Shalmali Guttal, Focus on the Global South