L’écho des campagnes

L’écho des campagnes 1

Vie des éleveurs pastoralistes en Inde pendant le confinement à cause de la COVID19

Anu Verma, South Asia Pastoralist Alliance & MARAG, Inde – WAMIP Asie du Sud 

L’Inde compte 34 millions d’éleveurs à petite échelle qui gèrent un cheptel de plus de 50 millions d’animaux. L’élevage est la deuxième plus grande occupation en Inde après l’agriculture, apportant une contribution significative d’environ 8,5 à 9% au PIB du pays.

 Leur contribution est vitale, car le pastoralisme est le moyen le plus important de soutenir les éleveurs transhumants ou nomades ainsi que les paysans marginaux, en particulier ceux qui vivent dans des zones montagneuses sujettes à la sécheresse où la production agricole n’est pas assurée. Il contribue de manière significative aux moyens de subsistance et à la richesse des communautés en termes de lait, de laine et de viande sans intrants acquis sur le marché.

Les institutions pastorales traditionnelles sont aujourd’hui de plus en plus menacées par les déplacements massifs dus à la concurrence intense de l’agriculture, à la croissance démographique, à la dépossession de leurs troupeaux et à la sécheresse. Bien que le confinement (suite à la Covid-19) ait eu un impact dans tous les secteurs, il y a des différences en ce qui concerne ces éleveurs. Dans tout le pays, ils doivent faire face à un système de police hostile, gardes forestiers y compris. En pleine épidémie, la réglementation et le contrôle de leurs mouvements se sont intensifiés lors de la période la plus cruciale, à savoir leur transhumance vers les pâturages d’été. Alors que certains gouvernements étatiques ont abrogé leurs mouvements, tel que le transport de produits essentiels, les bergers qui s’étaient rendus dans leurs fermes étaient coincés et incapables de rejoindre leurs troupeaux. « Nous ne pouvons pas nous déplacer librement avec nos troupeaux pour le pâturage car les villageois ont peur que nous soyons porteurs du coronavirus », a déclaré Sumer Singh Bhatti, possédant environ 200 chameaux qui se nourrissent dans les zones sèches et désertiques du Rajasthan. « On nous empêchait même parfois d’aller dans les magasins du village pour acheter nos rations alimentaires. Pour ces éleveurs, cette peur du coronavirus est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Avec la chaleur estivale, ils n’arriveront plus à obtenir de l’herbe verte pour le fourrage », a déclaré Mool Singh, un éleveur du village de Nakrasar dans le district de Bikaner au Rajasthan, qui migre en mars de chaque année au Pendjab pour que son troupeau puisse paître sur les résidus du blé.

L’écho des campagnes 2

L’avenir de la transhumance pacifique en Afrique de l’Ouest  260

Hindou Oumarou Ibrahim, coordinatrice de l’Association des Femmes Peules et peuples Autochtones du Tchad et membre du comité exécutif du Comité de Coordination des Peuples Autochtones d’Afrique (IPACC) – WAMIP Afrique Centrale

Puisque les nomades sont difficiles à contrôler, ça n’arrange pas les gouvernements. Plusieurs États ont pris la décision de valoriser plus l’agriculture au détriment de l’élevage nomade. Or dans le sahel, l’élevage présente plus de 40% du PIB de tous les pays Sahéliens et au Tchad, plus de 20%.

Premièrement, les communautés comme les Peuls, les Arabes ou les Touaregs, n’ont pas été considérées à part entière après la colonisation, puisqu’elles ont un style de vie loin de l’imaginaire du développement que l’État avait pensé mettre en œuvre. C’est pour ça que la plupart des nomades n’ont pas accès à l’éducation, à la santé, ni à l’eau potable…

Or dans les écosystèmes Sahélien, l’incertitude sur les ressources fourragères impose aux éleveurs des techniques d’élevage particulières préservant leur capital de production : le bétail et les écosystèmes. En effet, le pastoralisme s’appuie sur une grande aptitude des éleveurs à valoriser des ressources fourragères spontanées dispersées dans des milieux hétérogènes.

Les Etats doivent changer leur manière de voir les nomades et leur valeur environnementale. La plupart des espèces élevées rendent de multiples services comme la fourniture d’aliments riches en protéines, la fumure et l’énergie. Sans l’élevage, on ne pourrait pas atténuer l’insécurité alimentaire. Dans toutes nos maisons, nous mangeons de la viande et utilisons le lait comme complément alimentaire. L’éleveur échange le bétail contre le mil avec les agriculteurs et tout cela fait tourner l’économie circulaire dans les communautés.

L’éleveur n’est pas un problème, il est une solution. Les éleveurs sont le passé, le présent et l’avenir.

L’écho des campagnes 3

Vers un réseau de bergers en Amérique du Nord, une vision de la Sierra Tarahumara

 Projet « De la Oveja a la Cobija » et Red del Desierto / Campo Adentro / F. Marso

La vie des communautés Raramuri (Tarahumara), dans la Sierra Madre Occidental, Chihuahua, Mexique, est fondée sur l’agriculture de subsistance et l’élevage. Le peuple Rarámuri, fort de quelque 50 000 personnes, a survécu au colonialisme en partie parce qu’il est situé dans des régions reculées de la Sierra. Leur mode de vie est étroitement lié aux cérémonies et aux festivités. Il se déroule dans le cadre d’un système d’organisation du travail basé sur des cycles naturels appelés Mawechi. En raison de l’orographie irrégulière de la région, avec de grands ravins et des sols très pauvres, l’élevage de chèvres et de moutons prédomine. Les processus de fragmentation sociale causés par les projets d’exploitation extractive et touristique, ainsi que l’insécurité généralisée due à la présence de mafias du trafic de drogue, ont entraîné une diminution de ces pratiques dans la région.

Récemment, les jeunes Rarámuri ont prêtés une attention et un enthousiasme renouvelés, principalement les femmes, visant à continuer l’élevage de chèvres et de moutons, sur la base d’une gestion extensive utilisant les pâturages rares et dispersés, où le bétail ne peut seul subvenir à ses besoins, en rotation avec le champ de maïs, tout en tirant parti des chaumes et du fumier comme engrais. Ils obtiennent ainsi de la viande, du lait, du cuir et de la laine. Les animaux adultes constituent une sorte de « tirelire » qui peut être capitalisée pour les urgences.

Une association de bergers et de tisserands a été constituée dans cette région, dirigée par la bergère Agripina Viniegra. Elle regroupe 30 femmes Rarámuri qui sont responsables du soin des moutons et de leur exploitation productive, principalement pour la création de textiles en laine. De même, la jeune Association des éleveurs de moutons Raramuri a contacté des bergers des communautés des États de Nuevo León, Coahuila et San Luis Potosí, proposant l’idée de Red del Desierto (réseau du désert).  Ils ont pris également contact avec le peuple Navajo du sud-ouest des États-Unis pour réactiver la région nord-américaine de WAMIP.

L’écho des campagnes 4

Le changement climatique et l’industrie minière menacent d’extinction les éleveurs nomades de Mongolie

Maamankhuu Sodnom, Association d’éleveurs nomades de Mongolie, Mongolie

La Mongolie couvre une superficie de 1.564.116 km2 avec une population de 3,4 millions de personnes, dont 30% pratiquent le pastoralisme. Les bergers mongols gardent principalement des moutons, des chameaux, des chèvres, des bovins (y compris des yaks) et des chevaux. Soixante-dix pour cent des terres mongoles sont utilisées à des fins pastorales, la majeure partie de ce territoire étant des steppes et des déserts stériles et semi-arides. De nos jours, beaucoup de ces nomades s’installent dans les villes en raison d’une combinaison de facteurs, dont le changement climatique.

En Mongolie, le climat peut être extrêmement rude, même dans des conditions normales. Il y a 4 saisons : L’hiver est extrêmement froid et la température descend souvent à -45 °C et l’été peut atteindre des températures de +45 ° C. Notre printemps est toujours venteux et les tempêtes de poussière sont la norme. Au cours des trente dernières années, le désert de Gobi, dans le sud de la Mongolie, a connu un déficit de précipitations pendant l’été, ce qui a considérablement exacerbé l’aridité et affecté négativement l’activité de l’élevage. 

Des niveaux de neige inédits en hiver et des tempêtes de sable au printemps ont contribué à aggraver la situation difficile préexistante, entraînant une accélération de la désertification dans l’ensemble de la région. Les Mongols sont fiers de leur culture pastorale et de leur capacité à subsister grâce à leur bétail, même dans des conditions environnementales extrêmement difficiles, pour autant, les éleveurs nomades sont actuellement menacés d’extinction.

Le deuxième facteur important, menaçant la survie de leur mode de vie, est l’industrie minière qui s’est considérablement développée au cours des 20 dernières années. Dans ma province seulement, il existe quatorze sociétés minières autorisées, Tavan Tolgoi et Oyu Tolgoi étant les plus grandes. Oyu Tolgoi est une société minière de cuivre et d’or qui utilise d’énormes quantités d’eau provenant de sources souterraines déjà épuisées. Il n’y a pas de rivières ou de lacs dans le désert de Gobi, ce qui oblige les éleveurs à creuser des puits afin de puiser l’eau dans les nappes souterraines. Nombre de ces puits se sont déjà complètement asséchés, principalement parce qu’Oyu Tolgoi utilise 950 litres d’eau par seconde. La région autrefois semi-aride est en train d’être transformée en désert à un rythme alarmant.  La compagnie minière Tavan Tolgoi exploite et exporte du charbon vers la Chine sur des chemins de terre non pavés, entraînant une dévastation injustifiée des terres utilisées par les bergers. Les éleveurs mongols ont commencé à protester, mais ils n’ont pas les ressources, l’organisation et le pouvoir nécessaires pour apporter des changements significatifs, car l’économie mongole dépend en grande partie de l’exportation du cuivre et du charbon vers la Chine. De nos jours, nous menons un rude combat pour sauver notre parcours de pâturage.

Encadres

Encadré 1

Bergers pour le climat : l’élevage animal est-il toujours néfaste pour la planète ?

Le rapport annuel publié par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) met en évidence l’importance de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Le bétail, le forage de pétrole et gaz, le fracking, les décharges etc., sont des sources majeures d’émission de méthane d’après le GIEC. Mais dans le débat publique/médiatique/politique, nous devons différencier les différentes sources pour arriver à un débat plus éclairé et juste sur les actions nécessaires pour le climat. C‘est pourquoi WAMIP a conduit une étude scientifique avec l’équipe internationale de chercheurs de PASTRES et publié le rapport « L’élevage animal est-il toujours néfaste pour la planète » [1]

Tous les gaz à effet de serre ne sont pas égaux. Alors que le méthane à un effet réchauffant de courte durée, le CO2 demeure pour toujours. De plus, les émissions par les systèmes d’élevage sont largement variables et l’on doit différencier entre systèmes intensifs et extensifs.

Les systèmes d’élevage pastoraux et extensifs peuvent être en équilibre d’émission de CO2, et leurs émissions de méthane ne sont pas additionnels parce qu’ils sont à des niveaux semblables aux systèmes de la faune sauvage qu’ils remplacent. Cependant, l’élevage intensif est pollueur de CO2 et de méthane et, de ce fait, nous le mouvement pastoraliste sommes en faveur de son démantèlement et sa pénalisation. 

Il est essentiel de réduire les gaz à effet de serre, mais toutes les sources ne sont pas égales : pâturage, élevage intensif ou fracking ne sont pas pareils. L’élevage extensif soutient un grand nombre de personnes, fournit des produits animaliers de grande qualité et peut être bénéfique pour le climat (améliorant la fertilité du sol ou empêchant les incendies).

Par conséquent, nous appuyons la réduction des émissions tout en répondant aux problématiques de justice climatique et en reconnaissant l’élevage extensif non pas comme une part du problème du changement climatique, mais comme une solution[2].


[1]  Le rapport est disponible ici (en anglais)

[2] WAMIP a envoyé une délégation internationale de nomades à Glasgow pour participer aux négociations officielles de COP26 et aussi aux manifestations, y compris un rassemblement de moutons, et a publié un communiqué.

Encadré 2

Réinventer un mode de vie ancestrale : Les écoles de bergers

Face à la menace de disparition du berger dans les zones de montagne d’Espagne, l’organisation à but non lucratif Campo Adentro-INLAND a lancé en 2004 un système de formation théorique et pratique, destiné à la fois aux jeunes intéressés par le métier de berger et aux bergers en activité. Ladite formation permet l’intégration de nouveaux bergers et assure le remplacement générationnel. Des centaines de personnes ont été formées, avec environ 70 candidats chaque année. 

L’école forme, d’une part, les candidats souhaitant démarrer leur propre projet d’élevage avec une orientation agroécologique et développer leur activité selon de nouvelles approches vers une viabilité économique et de la valeur ajoutée au produit.

Les personnes, ayant suivi cette formation, seront équipées également des connaissances nécessaires pour travailler en tant que salariés dans les fermes d’élevage nécessitant du personnel, ou pour l’exécution de services environnementaux tels que l’entretien de coupe-feu.

D’autre part, des cours sont offerts aux bergers en activité afin d’améliorer leurs compétences dans la fabrication de fromages ou d’autres activités selon la demande, ainsi que pour les voyages de formation et d’échange.

Le module théorique est suivi d’un travail pratique au sein du troupeau-école de Campo Adentro INLAND, dont une branche se trouve dans les montagnes de Madrid et une autre dans le nord de la péninsule. Récemment, a été créée une école de berger junior pour les enfants, ainsi qu’un système de bourses de formation gratuite pour les migrants sans papiers intéressés par ce mode de vie.

Une fois que les étudiants, encadrés tout au long de la formation, ont terminé la théorie et la pratique, ils doivent remettre un projet opérationnel.

À ce stade, l’École fournit à l’étudiant diplômé un soutien et des conseils dans les procédures et l’accès possible à la terre. Il est important de jouer un rôle actif dans l’incorporation de l’étudiant, la promotion des systèmes de gestion foncière entre les différents producteurs avec lesquels ils ont été en contact, les formules de transfert de propriété dans le cadre de baux, etc.…, en cas de retraite anticipée, de transfert, de formules d’économie sociale, de coopérativisme, etc….

Encadré 3

Genre et pastoralisme

En 2010, WAMIP a convoqué un Rassemblement mondial d’éleveuses et bergères, à Mera (Gujarat), en Inde, réunissant plus de 100 femmes de communautés d’éleveurs dispersées dans 32 pays différents pour discuter de la myriade de problèmes auxquels sont confrontées les bergères nomades et semi-nomades du monde entier, et comment, unies, elles peuvent s’efforcer de les résoudre. Les participantes ont identifié les questions clés, notamment les marchés, les règles et les droits, l’environnement, les mouvements sociaux, l’éducation et la santé, ainsi qu’un certain nombre de priorités d’action, telles que la représentation, la communication et le réseautage, l’éducation et le renforcement des capacités, le plaidoyer. Elles ont également sélectionné des représentantes pour rédiger la Déclaration de Mera afin d’informer et de soutenir le développement de politiques pastorales, ainsi que de démontrer leur engagement en faveur de la durabilité environnementale et de la protection de la biodiversité et des ressources communes pour les générations futures.

Depuis lors, des progrès ont été réalisés dans l’établissement de liens entre les luttes des éleveuses et bergères dans le cadre des revendications du mouvement féministe. Dans le secteur de l’élevage extensif et du nomadisme, nous revendiquons notre valeur à la fois au sein de ce secteur et de la société, luttant pour exercer notre mode de vie sans inégalités. Nous avons constitué un réseau de soutien mutuel comme espace de résistance et de sensibilisation. La crise sanitaire et sociale causée par la pandémie a entraîné des effets continus sur les soins et le travail essentiel. C’est pourquoi, il est de plus en plus nécessaire de reconnaître l’activité des bergères et des éleveuses qui, depuis leurs territoires, maintiennent la vie et soulignent le grand potentiel et l’énorme capacité des réseaux de femmes à faire face aux adversités. Nous devons mettre en relief le travail de ces femmes qui prennent soin et reproduisent les fondements de la vie, de la campagne et de la société.

Les éleveuses et les bergères défendent la sororité, exigeant l’abolition de toutes les inégalités subies par celles qui se sentent femmes dans un contexte patriarcal et capitaliste. Elles défendent le droit de ne pas être violentées, agressées, violées, assassinées ; exigent l’égalité de salaires, dans la prise de décision, dans l’accès à la terre, dans la distribution des soins; veulent décider de leur mode de vie, de leur sexualité et de leur reproduction, quels que soient leur âge, leur origine ou leur citoyenneté; demandent à exercer leur métier, et à être considérés comme valables, en tant que paysannes et éleveuses, et non en tant que simples « compagnes » ou « aides » des hommes avec lesquels elles travaillent.

Nous exigeons un environnement rural vivable, avec des services de base garantis pour tous : santé, éducation, transports publics, culture, soins aux personnes dépendantes, accès à la terre, à un logement décent et à des services à portée des femmes pour la prévention de la violence sexiste.

En tant qu’éleveuses et bergères, nous exigeons un environnementalisme qui tienne compte de nous comme étant des éléments actifs dans la région, des alliées de la biodiversité et des garantes des milieux naturels. L’élevage extensif est essentiel pour le maintien des écosystèmes, l’entretien des forêts, la prévention des incendies et l’amélioration des pâturages, ainsi que pour la lutte en faveur de la souveraineté alimentaire.  Tout cela à partir d’une méthode de travail féministe, en mettant le bien-être de nos troupeaux et notre territoire avant les résultats économiques, en concentrant la façon dont nous les traitons à partir du soin et du respect de leurs besoins, relation de soins qui s’étend également aux personnes que nous nourrissons avec la viande, le lait ou les produits laitiers que nous produisons.

Dans un cadre capitaliste et ultralibéral, on nous enjoint à croire qu’il n’est plus nécessaire de revendiquer nos droits, que le monde rural est un bien de consommation et que le travail dans l’environnement rural et la façon dont il est abordé, comme l’élevage extensif et le pastoralisme, n’est pas productif et n’a pas d’avenir. Les femmes rurales sont le présent et elles seront l’avenir. Elles deviendront de plus en plus fortes. Nous, les femmes, sommes et serons en première ligne.

Encadré 4

L’Alliance mondiale des peuples autochtones et des éleveurs nomades – WAMIP-  sur l’Année internationale des Parcours et des Bergers  (International Year of Rangelands and Pastoralists – IYRP)

Il y a quelques années, certaines entités travaillant sur l’écologie des prairies (comme l’Université de l’Arizona, l’ILRI, etc.)  ont lancé l’idée de faire campagne en vue d’une déclaration d’une Année des Nations Unies sur les parcours. D’autres organisations y ont adhéré et il a été proposé que l’année comprenne également la reconnaissance des bergers en tant que gardiens des parcours. Cette année, 38 pays et 300 organisations soutiennent l’IYRP. Lors d’une séance publique de la réunion COAG de la FAO en 2018 à Rome, le gouvernement mongol a donc présenté une demande de désignation de l’IYRP. La proposition a été approuvée sans réserve. Depuis, cette proposition a également été approuvée par le Conseil de la FAO et la Conférence de la FAO. Un vote final aura lieu à l’Assemblée générale des Nations Unies à l’automne 2021.

En tant qu’organisations de base composant l’alliance mondiale de WAMIP, nous exprimons notre soutien à l’initiative appelant à une Année internationale des parcours et des bergers (IYRP), comme indiqué dans la lettre adressée au gouvernement de Mongolie. Depuis sa création au sein de divers réseaux, principalement composés de chercheurs sur les prairies et les parcours et d’entités environnementales, nous avons salué l’incorporation de l’élément crucial des peuples éleveurs nomades comme étant les plus touchés par les politiques régissant les parcours et leurs gardiens efficaces pendant des millénaires.

Nous avons été témoins de la façon dont cet appel a recueilli un énorme soutien d’un large éventail d’organisations, comme nous pouvons le voir dans le nombre croissant de membres rejoignant le RISG dans le monde et dans les régions définies. Pour une bonne progression de cet effort, il serait important de s’assurer qu’une définition ouverte de ce qui est considéré comme parcours soit incluse dans tous les documents et déclarations : non seulement les prairies, mais aussi les forêts et les terres cultivées après récolte. Tout aussi importante que la définition des parcours est la connectivité entre eux : les sentiers d’ovins et de bovins ainsi que les droits de mobilité efficaces qui sont essentiels pour assurer l’utilisation durable des parcours.

En ce qui concerne la gouvernance du processus de l’IYRP, nous aimerions ouvrir un processus et créer un groupe de travail spécifique afin d’examiner comment les RISG sont constitués et fonctionnent dans chaque région, en tenant compte des réseaux pastoraux existants, de leur reconnaissance et de leur centralité dans le processus.

Il est important de s’assurer que les sièges octroyés aux éleveurs, qui président et coprésident chaque RISG régional, soient déterminés en accord avec le WAMIP. Par exemple, un processus de consultation préalable et d’accord avec les représentants des éleveurs dans toute décision ou étape concernant l’IYRP.

Une fois l’IYRP approuvé, il sera nécessaire de mettre en œuvre des actions  ad hoc d’ici 2026, des actions qui devraient être convenues et basées sur les préoccupations et les priorités du mouvement pastoral, car, à l’heure actuelle, l’autonomisation des capacités de gestion de la coordination pastorale au niveau régional est cruciale.

Sous les feux de la rampe

Sous les feux de la rampe 1

Digitalisation, agro-industrie et le mouvement pastoraliste

L’un des principaux effets de la mondialisation est la perte d’influence aux niveaux local, national et régional sur les prises de décisions économiques et politiques, un pouvoir qui a glissé aux mains d’acteurs mondialisés. Dans le même temps, nous assistons à un capital financier mondial devenant de plus en plus caché et clandestin. Dans cette même dynamique de mondialisation, des facteurs touchant le système alimentaire tels que la gestion de la terre, la régulation des prix, ou la régulation phytosanitaire, sont de plus en plus déterminés par des acteurs internationaux. Ce procédé de déplacement du pouvoir souverain a des effets multiples sur l’élevage à grande échelle et le pastoralisme.

Projets extractivistes, privatisation de la terre, ou la démarcation de zones naturelles protégées à l’exclusion des communautés locales, sont quelques-uns des principaux problèmes pour les petits producteurs parce qu’ils les dépossèdent de leurs terres.

Dans le même temps, les marchés poussent à générer des économies d’échelle : des macro-fermes avec des milliers d’animaux, et une grande concentration dans la chaine alimentaire des élevages de cochon et volaille. Ce modèle d’élevage exploite les personnes, les animaux et l’environnement, transformant le travail d’élevage du bétail à petite échelle, à une logique industrielle. La robotisation avance considérablement : les machines de traite, les machines d’alimentation, les machines de nettoyage des granges, etc… le tout pour augmenter le volume de production, alors que le prix des produits comme le lait et l’agneau diminue progressivement et celui des intrants tels que les aliments augmente. Cette imposition du capitalisme « croître ou mourir » détruit le secteur laitier et l’élevage familial, et seulement quelques-uns peuvent survivre.

Les organisations comme le Forum Economique Mondial (FEM) ou le Conseil mondial des entreprises pour le développement durable, qui représentent les intérêts des grandes entreprises, sont de plus en plus puissantes au sein de l’ONU. Cela veut dire que l’on fait face à un scénario où la gouvernance publique mondiale est en train d’être privatisée. Preuve en est l‘influence qu’exerce le FEM sur l’ONU en devenant le sponsor officiel du Sommet sur les systèmes alimentaires (UNFSS) qui a été rejeté et boycotté par le mouvement pour la souveraineté alimentaire.

De plus, ce pouvoir excessif que le capital financier exerce sur l’économie réelle s’approfondit avec la digitalisation. Dans le secteur alimentaire, la digitalisation a un impact sur la gestion des terres et des ressources naturelles. Les satellites géostationnaires jouent un rôle de plus en plus important dans la prise de décision. Les nouveaux éco-régimes de la PAC exigeront que 30% des animaux de chaque troupeau soient suivi par GPS. Auparavant, l’UE voulait imposer l’identification de chaque animal par puce électronique. Ces processus entraînent toute une série de conséquences négatives pour les associations liées à la souveraineté alimentaire, parce qu’ils les excluent de la prise de décision. Les questions de gestion territoriale sont digitalisées alors que dans les zones rurales, la connectivité est très précaire. L’application de ce changement dans la matrix technologique est amplifiée par le fossé digital et les problèmes financiers.

La gouvernance même de la digitalisation est privée, il n’y a pas d’entité dédiée à la régulation de ce nouveau champ de conflit. Le mouvement pour la souveraineté alimentaire est en train de créer des alliances avec des mouvements travaillant sur la question technologique, puisque dans le présent et futur proche, il s’agit d’un secteur dans lequel nous devons affirmer nos droits et notre souveraineté. Sans aucun doute, beaucoup de mécanismes et de structures de démocratisation manquent encore. Nous nous battons pour une structure publique internationale pour la technologie.

Il n’est pas suffisant d’exercer une souveraineté aux niveau local et national – nous devons nous organiser pour aussi agir mondialement, avec une stratégie politique qui cherche à obtenir une participation dans les institutions publiques internationales afin de démocratiser ces espaces et de pouvoir les influencer. Ce processus pourrait permettre de défier la mondialisation et l’accumulation incontrôlée de richesse. 

Sous les feux de la rampe 2

Environnementalisme et pastoralisme, une opposition apparente

En septembre de cette année, s’est tenu à Marseille le Congrès de l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature), une puissante organisation rassemblant les principales ONG de conservation de l’environnement. Le même mois, les peuples autochtones et les producteurs alimentaires de différentes parties du monde se sont réunis sous le slogan « Notre terre, notre nature, pour la décolonisation de la conservation de la nature », représentant une réinterprétation alternative de la manière dont la gestion de l’environnement est effectuée, comment et par qui. L’UICN a fait l’objet d’une inspection, tout comme certaines grandes organisations, telles que le WWF ou le Sierra Club, qui ont été accusées de pratiques abusives envers les peuples autochtones et de racisme.

Il y a quelques années, WAMIP dénonçait comment un rapport de l’UICN sur les mesures de

« protection de la nature » dans la région de Ngorongoro (Tanzanie), conseillait «d’évincer les communautés pastoralistes de la région ». En quelques jours, l’armée a violemment expulsé des milliers de personnes du milieu où elles avaient fait paître leurs troupeaux pendant des millénaires, afin de faire place à de nouveaux hôtels et aux safaris touristiques.

Le modèle de conservation, ayant un grand pouvoir économique et dominant l’imaginaire collectif, est de type forteresse. Ce modèle est basé sur la croyance, erronée et raciste, selon laquelle la meilleure façon de protéger la biodiversité est de créer des zones protégées où l’influence humaine est supprimée. Sa philosophie est que les populations autochtones aggravent la perte de biodiversité et la dégradation de l’environnement, malgré le manque de preuves scientifiques et historiques et même de nombreuses preuves du contraire. [3]

Ce modèle, défendu par certaines ONG internationales et transnationales telles que WWF, WCS ou African Parks, se répand dans le monde entier et étaye l’argument de la création de parcs naturels sans tenir compte des connaissances et de l’expérience des peuples pastoralistes et des habitants du monde rural.

Les origines de ce modèle de conservation, type forteresse, sont coloniales et racistes. Depuis 1970, plus de 1900 parcs ou zones protégées ont été créés, dont la plupart se trouvent dans les pays du Sud. Actuellement, des sommets tels que le Congrès de l’UICN impulse le soi-disant 30×30 – un plan visant à convertir 30% de la planète en zones protégées.

A partir d’une position critique au sein de l’environnementalisme, nous dénonçons et luttons activement contre ces fausses mesures qui, loin de présenter des solutions à la situation actuelle d’urgence climatique et sociale, renforcent les intérêts du système économique dominant, basé sur l’exploitation des ressources limitées d’une planète s’étant effondrée depuis longtemps. Comme le démontrent les preuves scientifiques et l’expérience humaine, ce système est non seulement insoutenable, mais aussi directement responsable du chaos climatique et de l’injustice sociale en résultant.

Les seules solutions durables, justes et réelles, ne cèdent pas aux intérêts capitalistes, coloniaux et racistes. Les véritables solutions au chaos climatique dépendent de l’humanité, de notre diversité spécifique, en particulier des peuples autochtones et autres communautés locales ainsi que leur droit à la terre, étant donné que ce sont les divers peuples autochtones qui protègent sur leurs terres 80% les zones les plus riches en biodiversité de la planète.

Nous avons besoin d’un modèle de conservation de la nature qui donne une place centrale aux soins, à la diversité et aux droits de l’homme et qui s’attaque aux causes réelles du chaos climatique, à savoir : la surconsommation et l’exploitation des ressources menées par les pays du Nord et leurs industries.


[1]  Le rapport est disponible ici (en anglais).

[2] WAMIP a envoyé une délégation internationale de nomades à Glasgow pour participer aux négociations officielles de COP26 et aussi aux manifestations, y compris un rassemblement de moutons, et a publié un communiqué.

[3] https://www.survival.es/conservacion

Bulletin n° 46 – Éditorial

Introduire le message des communautés pastorales, une voix du terrain

Illustration par Fernando Garcia Dory, European Shepard Network / WAMIP

Plus de la moitié de la surface de la Terre est couverte de prairies et de pâturages. Pendant des milliers d’années les communautés pastorales ont domestiqué des animaux et géré des écosystèmes de façon durable, créant une diversité de cultures et de systèmes alimentaires adaptés et résilients. La biodiversité a toujours co-existé avec le pastoralisme.

Le pastoralisme est basé sur l’utilisation extensive du territoire, parfois des prairies mais aussi forêts et terres arables après récolte, terres marginales et autres espaces qui très souvent ne sont pas favorables à l’agriculture. Le pastoralisme est pratiqué par 200 à 500 millions de personnes à travers le monde dans des environnements très variés dans presque tous les pays, des terres arides sub-sahariennes d’Afrique au cercle arctique.

Notre mode de vie a existé depuis les temps immémoriaux, évoluant avec le paysage. Mais aujourd’hui le pastoralisme est plus que jamais menacé par l’industrialisation forcée de l’élevage. Nous devons mettre fin à la disparition de pâturages, à l’« accaparement des terres » et aux restrictions de la mobilité qui rendent impossible  le maintien d’un système pastoral viable. Nous sommes actuellement en train de définir une campagne potentielle sur les Droits liés au pastoralisme. Notre identité et notre culture sont érodées alors que les politiques manquent de prendre en compte, de comprendre ou même de reconnaitre l’existence du pastoralisme. Des rendements économiques bas et un manque de reconnaissance a pour conséquence que les jeunes éleveurs dans certains endroits se sentent forcés d’abandonner notre mode de vie ou de s’orienter vers des méthodes agricoles plus intensives. Nous promouvons une Section Jeunes du WAMIP, parce qu’il est souvent difficile pour les jeunes d’accéder à la terre.

Les décisions politiques sont prises avec peu ou sans consultation avec les communautés locales. Nous sommes les usagers traditionnels de la terre mais nous sommes systématiquement exclus des décisions sur la gestion des terres, y compris la réintroduction ou la gestion des prédateurs sauvages ou la désignation de zones de protection de la nature. Les exigences bureaucratiques, privilégiant la production intensive de bétail, imposent un immense et irréaliste fardeau de paperasserie aux éleveurs nomades et semi-nomades.

Mais partout à travers l’Europe et le monde, nous nous organisons en fédérations, construisons des réseaux régionaux et gagnons une reconnaissance internationale par les institutions majeures. Nous luttons pour défendre les intérêts des petits producteurs et pour accroitre notre représentation politique. Nous créons des centres de recherche, nous nous associons avec des institutions scientifiques, formons nos jeunes et développons notre capacité.

WAMIP est une alliance de communautés pastorales et de peuples indigènes mobiles à travers le monde. Nous défendons notre espace commun afin de préserver nos formes de vie pour la poursuite de notre mode de subsistance et identité culturelle, de gérer durablement les ressources communes et d’obtenir le respect complet de nos droits. En tant que mouvement populaire indépendant, nous travaillons avec d’autres organisations de la société civile dans le but d’influencer les politiques aux niveaux national, régional et international, et les organisations supranationales telles que l’ONU et ses agences comme la FAO, CDB etc.

Nous combattons ces courants et maintenons notre mode de vie en innovant et en nous améliorant en permanence. Nous utilisons des races locales qui s’adaptent à un environnement changeant. Nous essayons de sensibiliser les consommateurs et de leur vendre directement. Nous utilisons de nouveaux media pour promouvoir nos traditions culturelles et organiser des évènements festifs.

Certains d’entre nous ont négociés des contrats pour prévenir des incendies, maintenir des patrimoines paysagers et fournir d’autres services environnementaux. Nous sommes les ambassadeurs de notre héritage culturel local, de la production durable et de la Souveraineté Alimentaire.

European Shepherds Networks