L’écho des campagnes 

L’écho des campagnes 1

Du forum international aux campagnes 1

Kusnan, Centre national pour les semences, Serikat Petani Indonesia (SPI), Tuban, province de Java oriental, Indonésie

Le mouvement mondial pour la souveraineté alimentaire, qui a organisé son premier forum à Nyéléni au Mali en 2007, a joué un rôle déterminant pour apporter une clarté politique et une compréhension commune du sens de « souveraineté alimentaire » selon les différentes réalités nationales.

Depuis plusieurs décennies en Indonésie, Serikat Petani Indonesia se bat pour une réforme agraire qui garantirait la souveraineté alimentaire de nos territoires. Nous appelons ces régions des « zones de souveraineté alimentaire ».

Je me trouve actuellement à Tuban, dans la province de Java oriental dans une zone de souveraineté alimentaire qui a été épargnée par l’accaparement à grande échelle à des fins industrielles. Ici nous cultivons nos terres en tant que communauté et sommes autonomes quant à nos outils, semences et méthodes de culture. Notre système de coopérative est organisé et géré par des paysans qui partagent la philosophie de l’agroécologie. Dans le système de production qu’ils ont bâti, le bétail, les cultures et la nature cohabitent harmonieusement et les fonctions de chaque élément se complètent.

Nous plantons des espèces diverses de cultures comme du riz, du maïs, des fruits, des légumes et de l’horticulture. Nous sommes opposés à toute forme de monoculture industrielle. Nous avons recours à la mécanisation agricole à petite échelle, qui garantit l’autonomie des paysans qui l’utilisent. Nos semences sont créées et produites en choisissant et en croisant des semences locales afin d’améliorer leurs propriétés génétiques, leur rendement et leur résistance au changement climatique.

Nos pratiques agricoles s’appuient sur la sagesse locale et les savoirs ancestraux, et nous avons recours à des engrais biologiques solides issus des déchets animaux ainsi que des engrais biologiques contenant plusieurs types de microbactéries. Ils permettent de décomposer la matière organique dans la terre et favorisent un équilibre écologique dans un écosystème équilibré. Cette approche garantit la présence de macro et micronutriments et contrôle les nuisibles et les maladies, nous permettant ainsi de produire des aliments sains et nutritifs.

Pour vendre nos produits, nous avons créé la coopérative des paysans indonésiens, une entité paysanne qui transforme et distribue la production dans les zones rurales et les villes de la zone de souveraineté alimentaire. Ce système de coopérative assure une approche durable et équitable de l’agriculture, met la priorité sur les besoins de la communauté et aide à protéger notre souveraineté alimentaire.

L’écho des campagnes 2

Du forum international aux campagnes 2

Ibrahima Coulibaly, Coordination Nationale des Organisations Paysannes du Mali (CNOP-Mali)

Le combat pour la souveraineté alimentaire au Mali dure depuis le forum de Nyéléni en 2007. Il s’est concrétisé sur le terrain avec comme objectifs de s’opposer au modèle de production et de distribution dominé par les intérêts privés et de soutenir l’économie locale afin de lutter contre la faim et la pauvreté.

En 15 ans, la Coordination Nationale des Organisations Paysannes du Mali (CNOP-Mali) a fait de Nyéléni notre guide vers l’avenir de l’agriculture familiale en plaçant l’agroécologie paysanne au cœur de la souveraineté alimentaire.

L’engagement de la CNOP a donné lieu à l’organisation d’un forum international sur l’agroécologie au Mali en 2015, la création d’un système allant de l’identification d’un vivier de formateurs paysans à la création de 12 modules autour des pratiques de travail de la terre, une charte sur les agriculteurs relais et un manifeste sur l’agroécologie. De plus, une plateforme sur l’agroécologie paysanne au Mali a vu le jour à l’initiative de la CNOP en avril 2017, accompagnée d’un système de formation des paysans formateurs en agroécologie paysanne pour parvenir à la justice économique, sociale et environnementale.

Aujourd’hui, ce système compte plusieurs milliers de producteurs formés et engagés dans la pratique de l’agroécologie. Un défi subsiste néanmoins : appliquer une approche qui lève les obstacles à la multiplication des marchés pour les produits agroécologiques et biologiques. Comment pouvons-nous passer des marchés ciblés à des marchés à plus grande échelle ? Comment impliquer de façon structurelle les paysans dans la consultation avec les parties prenantes aux systèmes alimentaires ? Enfin, comment garantir une position politique de la part des dirigeants politiques, à la fois au niveau national et au sein des organismes de gouvernance régionale ainsi que de l’Union Africaine ? Il est indispensable de fournir des réponses à toutes ces questions.

L’écho des campagnes 3

Un aperçu des difficultés et de la résilience des communautés de pêcheurs

Md. Mujibul Haque Munir, COAST Foundation, Bangladesh

Récemment, j’ai effectué des visites dans les villes de Cox’s Bazar, Bhola et Sunamganj pour évaluer la situation actuelle en amont de notre consultation régionale. J’ai pu constater la résilience et la force des communautés de pêcheurs malgré toutes les difficultés qu’ils rencontrent.

À Cox’s Bazar, j’ai vu par moi-même la réalité douloureuse causée par la crise des Rohingya. La région est réputée pour sa tradition de pêche en mer mais les pêcheurs font face à de nombreux obstacles. Ils demandent un enregistrement officiel et des contrats écrits pour protéger leurs emplois et garantir des indemnités justes en cas d’accident. De nombreux pêcheurs ont connu des expériences insatisfaisantes quant à l’aide fournie par le bureau local de la pêche : seuls quelques-uns d’entre eux ont reçu des équipements de sécurité essentiels. Les difficultés financières étaient elles aussi évidentes au vu du maigre revenu mensuel des pêcheurs et leur dépendance aux avances données par les propriétaires des bateaux. Leurs familles pâtissent de ces difficultés, notamment leur accès à l’éducation et aux soins de santé.

En me rendant à Bhola, j’ai constaté les effets destructeurs des catastrophes naturelles sur la région littorale. Les cyclones récents ont dévasté les communautés. Les pêcheurs locaux ont fait preuve d’une résilience extraordinaire en ne ménageant aucun effort pour reconstruire leurs vies. Pourtant, une assistance immédiate sous la forme d’abris, d’eau potable et de soutien aux moyens de subsistance était indispensable pour les sortir de l’ornière. Renforcer la préparation et la résilience face aux catastrophes dans la région est primordial pour atténuer les conséquences d’épisodes futurs et protéger les populations et les moyens de subsistance.

À Sunamganj, une région jalonnée de rivières et de zones humides, j’ai découvert des défis bien différents. Les inondations, l’érosion et les maladies transmises par l’eau faisaient partie des préoccupations majeures. Malgré les obstacles, la communauté a fait montre d’une grande capacité d’adaptation, en trouvant des moyens innovants de lutter contre les inondations fréquentes. Néanmoins, des solutions à long terme comme la construction de digues, des systèmes d’alerte rapide et des centres de soins améliorés sont requis de toute urgence pour assurer leur bien-être. Améliorer leur résilience est crucial dans cet environnement singulier.

Les membres de la communauté, les autorités locales et les organisations humanitaires m’ont expliqué en détail les difficultés et les solutions possibles. Des efforts conjoints impliquant toutes les parties prenantes sont nécessaires pour faire face aux enjeux multiples auxquels sont confrontées ces communautés : avant tout, il convient d’assurer un soutien gouvernemental approprié, la sécurité financière, des mesures de sécurité et l’accès aux services essentiels. En reconnaissant les apports des communautés de pêcheurs et en apportant notre soutien, nous pouvons leur donner les outils et créer un avenir plus durable et prospère.

L’écho des campagnes 4

Un plan alimentaire populaire par les personnes, pour les personnes !

Jessie Power, Alliance Australienne pour la souveraineté alimentaire (AFSA)

En 2012, la Australian Food Sovereignty Alliance (AFSA) a présenté son plan alimentaire populaire original en réponse au plan alimentaire national du gouvernement australien, abandonné depuis. À la différence du plan alimentaire national du gouvernement, élaboré sans la participation des petits paysans et des communautés locales, le plan alimentaire populaire reflétait les préoccupations et les attentes des consommateurs, des paysans, des organisations de communautés, des entreprises alimentaires indépendantes et des groupes militants. Le processus du plan alimentaire populaire a été mené selon un modèle de démocratie participative dans l’élaboration de politiques : ouverte, inclusive et démocratique. En effet nous connaissions l’ampleur des défis et l’urgence du travail à accomplir pour transformer notre système alimentaire défaillant, et nous savions que la prise de décisions était plus pertinente si elle était proche des personnes affectées.

Grâce au travail de collectivisation autour du plan alimentaire populaire, le mouvement pour la souveraineté alimentaire en Australie est né comme une alliance de paysans, d’organisations de systèmes alimentaires et de personnes prêtes à s’engager personnellement en faveur de la justice alimentaire. Onze ans plus tard, l’alliance AFSA s’est mue en organisation de la société civile menée par les paysans et à la tête de la lutte pour la souveraineté alimentaire. Forts d’une décennie de contributions politiques aux gouvernements fédéraux, étatiques et locaux, nous devons désormais actualiser le plan alimentaire populaire et en faire un cadre politique et un plan d’action de la base pour obtenir la souveraineté alimentaire en Australie.

Le 1er juin, l’alliance AFSA a publié le projet de loi actualisé pour un plan alimentaire populaire. Il appellera tous les acteurs du militantisme et de la transformation des systèmes alimentaires à prendre part aux actions et recommandations politiques populaires pour tous les niveaux de la gouvernance australienne. Nos partenaires internationaux sont également invités à nous aider à rassembler des études de cas qui illustrent la souveraineté alimentaire et l’agroécologie en action. Ainsi, nos gouvernements comprendront que « nous, le peuple » devons avoir le contrôle et décider de nos systèmes alimentaires et agricoles. D’ailleurs, les peuples indigènes et les petits producteurs alimentaires le font déjà avec succès depuis des millénaires !

Depuis 2019, le système alimentaire australien a connu plusieurs ondes de choc : des incendies catastrophiques, la pandémie de Covid-19 et des inondations destructrices sur la côte est. Le gouvernement australien a donné la priorité à l’agriculture industrielle et les producteurs alimentaires à grande échelle se sont préparés à l’exportation grâce à des politiques favorables, des lois et des réglementations inadaptées aux échelles. Pourtant, trois années de crise systémique ont démontré que les petits producteurs alimentaires sont les plus à même de faire face à ces catastrophes et nourrir les communautés locales. Nous prévoyons de présenter notre plan alimentaire populaire actualisé 2023 lors du sommet annuel Food Sovereignty Convergence, organisé en octobre comme un appel à une action nouvelle face à ces crises.

Si vous souhaitez participer au plan alimentaire populaire actualisé 2023 ou envoyer une étude de cas à inclure, écrivez-nous à coordinator@afsa.org.au

Encadres

Encadré 1

Comprendre la mobilisation historique des paysans en Inde

En Inde, le comité pour le marché des producteurs agricoles (ou Agricultural Producers’ Market Committee, APMC) propose aux paysans un espace régulé pour vendre collectivement leurs produits, à l’abri de la volatilité des prix. Le prix de soutien minimum ou MSP est une autre politique qui garantit une rémunération minimale pour les paysans, pour qu’ils puissent rentrer dans leurs frais de production et engendrer des bénéfices.

Pourtant en 2020 le gouvernement indien a fait passer trois lois sans consultation préalable, provoquant des contestations paysannes dans tout le pays. La première loi permettait à des entités privées de mettre en place des marchés privés déréglementés : les paysans craignaient qu’une telle mesure n’anéantisse le système APMC et leur pouvoir de négociation collectif. La deuxième loi autorisait l’agriculture sous contrat et a suscité l’inquiétude d’une concentration de l’agriculture par les entreprises et de conflits fonciers. La troisième loi levait les limites de stocks et d’autres mécanismes de régulation des marchandises agricoles. D’après les paysans, ces lois ouvraient la voie à une privatisation massive du système agricole indien sans aucun garde-fou légal pour le MSP en vigueur.

Les paysans de tout le pays se sont mobilisés contre ces lois et après 15 mois de manifestations, le gouvernement indien a cédé à la pression populaire et abrogé les trois lois agricoles controversées en 2021. Malheureusement, plus de 750 paysans auraient perdu la vie durant la contestation. S’il est vrai que le fonctionnement d’APMC doit s’améliorer, la mobilisation paysanne illustre la nécessité de consulter les parties prenantes avant de légiférer et souligne l’importance de protéger le pouvoir de négociation collectif des paysans et les MSP dans le secteur agricole indien.

Encadré 2

Feuille de route du Processus Nyéléni

Après une année d’échanges et de discussions avec les membres du CIP, nous avons débuté le processus de création d’alliances avec d’autres secteurs. Pendant les 18 mois suivants, le processus Nyéléni entrera sans sa phase principale.

La première rencontre bilan du comité de pilotage international de Nyéléni a actuellement lieu (juin 2023) à Rome. À l’occasion de cette rencontre nous souhaitons créer une base solide pour une coordination dynamique avec les secteurs qui ne font pas partie du CIP.

Le comité de pilotage servira ensuite à établir les consignes pour mener six réunions régionales (Amérique latine, Asie et Pacifique, Amérique du Nord, Afrique, Europe, Afrique du Nord et Moyen-Orient), organisées de septembre 2023 à septembre 2024. Différents acteurs venus de différents secteurs prendront part à ces rencontres régionales afin d’entendre des points de plus régionaux les plus inclusifs possible.

Lors de la dernière phase, le forum mondial Nyéléni s’inspirera des résultats des consultations régionales pour ouvrir des discussions trans-régionales et trans-thématiques et préparer les analyses et propositions définitives. En parallèle, le forum aura d’autres objectifs : par exemple, (re)dynamiser et renforcer le mouvement pour la souveraineté alimentaire, encourager la solidarité entre acteurs et secteurs, donner une impulsion pour faire entendre les voix des organisations de la base et des personnes, et proposer une feuille de route commune aux mouvements sociaux pour les années à venir.

Le forum en lui-même n’est pas l’objectif principal du processus Nyéléni. La finalité sera la mise en application des décisions prises et des consignes fixées au cours du processus.

Encadré 3

Pouvoir, violence et systèmes alimentaires : Enseignements tirés d’une allocution de Michael Fakhri, Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à l’alimentation

« Le droit à l’alimentation est synonyme de célébrer la vie par la nourriture en communion avec les autres. » Voilà la définition pratique du droit à l’alimentation choisie par Michael Fakhri, Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à l’alimentation lors de son discours d’ouverture au Palais de la Paix de La Haye en avril.[1]  Il a révélé que le mouvement mondial pour la souveraineté alimentaire l’avait inspiré pour devenir Rapporteur spécial, car il donne toute sa force au droit à l’alimentation. C’est une force bâtie sur des relations réciproques et non sur le pouvoir des riches, obtenu en agissant comme les « gardiens des biens indispensables à la vie ».

Il a énuméré quatre formes de violences sur nos systèmes alimentaires qu’il est nécessaire d’éradiquer pour faire avancer le droit à l’alimentation, notamment : 1) La discrimination comme résultat du déni du droit à l’alimentation en raison de la classe sociale de la personne ou d’autres marqueurs d’identité. 2) La violence corporelle envers les personnes suite à un conflit armé ou d’autres formes de domination et de soumission. 3) La violence écologique causée par le système alimentaire industriel tant sur le climat que sur la nature. 4) La disparition des populations en vidant les paysages pour faire place à l’extraction des ressources et l’accumulation du capital.

Ces quatre formes de violence sur nos systèmes alimentaires constituent un obstacle majeur au mouvement pour la souveraineté alimentaire et au-delà. Elles illustrent le besoin pressant d’établir un contre-pouvoir grâce aux processus de convergence et de création d’alliances qui sont au cœur même des rencontres mondiales Nyéléni. L’efficacité d’exploiter à bon escient le pouvoir du mouvement mondial pour la souveraineté alimentaire a été démontrée, soit par la négociation de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des paysans ou en mettant au jour l’accaparement du sommet sur les systèmes alimentaires par les grandes entreprises. Comme Michael Fakhri l’a déclaré, la faim et la malnutrition sont toujours des questions politiques et non les conséquences de pénuries, aussi il reste encore de nombreux combats à mener.


[1] Un enregistrement vidéo de la conférence est disponible ici

Sous les feux de la rampe

Sous les feux de la rampe 1

Solidarité et unité pour affronter les crises mondiales : Vers le troisième forum mondial pour la souveraineté alimentaire

Le Comité international de planification pour la souveraineté alimentaire (CIP) organise le troisième forum mondial pour la souveraineté alimentaire en 2025 en Inde.

Le CIP construit désormais un Processus Nyéléni et exhorte les militants au sein et au-delà du mouvement pour la souveraineté alimentaire à proposer une réponse et créer des alliances avec des mouvements pour la justice climatique, des syndicats, des groupes féministes et des organisations environnementales pour encourager des propositions communes pour un changement systémique. Le mouvement pour la souveraineté alimentaire est confronté à des menaces systémiques et doit collaborer avec d’autres groupes luttant contre différentes formes d’oppression pour obtenir la justice sociale, ethnique, de genre, économique, intergénérationnelle et environnementale.

Avec le processus Nyéléni, nous mettons en place un « Dialogue de savoir » pour unifier et renforcer les méthodes des organisations territoriales qui s’opposent au néolibéralisme et créent des systèmes alimentaires et économiques équitables et durables. Ce processus pluriannuel donne lieu à des consultations démocratiques dans les régions du monde entier ; et les résultats et propositions qui en découleront seront présentés lors du forum mondial en Inde en 2025. À cette occasion, les représentants parleront des stratégies pour des systèmes alimentaires justes et écologiques et réaffirmeront leur engagement mondial commun contre les crises multidimensionnelles engendrées par des forces telles que le capitalisme libéral et le commerce destructeur.

Inde : Théâtre d’une lutte remarquable pour la souveraineté alimentaire

Entre 2025 et 2021, l’Inde a connu des mobilisations historiques de paysans pour la souveraineté alimentaire. En pleine pandémie, le gouvernement indien a fait passer trois lois controversées qui allaient dans le sens d’une privatisation massive du système agricole indien, sans aucune protection juridique du plafonnement des prix en place. Même si la politique de soutien minimum assurait une certaine protection, il ne s’agissait pas pour autant d’une garantie juridique et les paysans affirmaient que les nouvelles législations pourraient même supprimer ces protections.

Dans ce contexte, l’organisation Samyukt Kisan Morcha (SKM) regroupant différents syndicats paysans a mené des protestations contre les trois lois polémiques pendant 15 mois. Cette contestation s’est transformée en mouvement public ; poussant des millions de paysans à manifester dans les rues de New Delhi et ailleurs, bravant les mesures de répression et les protocoles stricts contre le Covid-19 mis en place par le gouvernement. Le mouvement a reçu énormément de solidarité et de soutien de la part de nombreux secteurs, pour engendrer une grève publique nationale. Finalement, le parlement a cédé à la pression populaire en 2021 et a abrogé les trois lois agricoles controversées. Cette lutte fructueuse des paysans est une source d’inspiration pour des mouvements similaires pour la souveraineté alimentaire dans le monde entier. C’est la preuve des résultats possibles d’alliances intersectorielles dans des combats communs.

Le forum Nyéléni à venir en Inde vise à prendre exemple sur la lutte remarquable des paysans indiens pour renouveler et renforcer le mouvement pour la souveraineté alimentaire. Il aura également pour but de promouvoir la solidarité, donner une impulsion, faire entendre les voix des organisations de la base et proposer une feuille de route commune aux mouvements sociaux pour les années à venir.

Il convient de rappeler que le forum en lui-même n’est pas la finalité de ce processus. L’objectif principal est plutôt de mettre en application les décisions et consignes établies pendant le processus.   Espérons ensemble et mobilisons-nous pour la souveraineté alimentaire !

Sous les feux de la rampe 2

Nyéléni nous appelle à renforcer l’articulation sociale et populaire

Nous vivons à une époque où il est de plus en plus évident que les crises d’inégalités sociales et économiques, environnementales, alimentaires, sanitaires, immobilières et démocratiques au niveau national et mondial sont profondément liées. De leur côté, les grandes entreprises et les multinationales promeuvent et appliquent des changements drastiques et rapides pour accumuler entre plus de pouvoir grâce à ces crises. Des changements qui provoquent le recul des droits conquis par les populations et en tentant souvent de coopter nos propositions et récits, afin de déguiser leurs fausses solutions, d’avancer sur la voie de la privatisation, mercantilisation et financiarisation des services publics, des terres, de la nature et des données et de renforcer l’exploitation des travailleurs et travailleuses.

D’ailleurs, un contexte de montée du fascisme leur est particulièrement favorable. Un projet d’extrême droite et profondément conservateur sur le plan social, économique, politique et culturel, qui voit à long terme et bénéficie de l’appui (par soutien ou omission) des moyens de communication dominants. Il œuvre pour faire régner dans la société un sentiment commun extrêmement conservateur : élitiste et aporophobe, raciste, xénophobe, misogyne, machiste, homophobe et transphobe, antipacifiste et antidémocratique. Un projet qui ignore et attaque toute forme d’organisation de défense des intérêts populaires.

Mais cette interconnexion des crises encourage aussi les mouvements sociaux et populaires à voir au-delà de leurs missions spécifiques et renouer avec des voies de convergence populaires pour ralentir cette poussée conservatrice et transformer nos réalités. Des voies de convergences qui, grâce aux accords et en travaillant sur les nuances et les divergences, permettent d’élaborer des réponses systémiques.

Unissons-nous et resserrons les rangs sur le chemin de l’unité, sans perdre de vue la menace urgente à laquelle nous sommes confronté(e)s. Une volonté politique de la part des organisations sera nécessaire, ainsi que des ressources et l’engagement des camarades pour articuler les stratégies, propositions et requêtes communes issues des objectifs thématiques des mouvements sociaux et populaires.

Comme nous le disions dans le bulletin n° 48[1], Nyéléni est le territoire et le processus pour articuler « notre analyse et nos positions, rendre nos combats visibles et résister à la criminalisation, renforcer les liens de solidarité, construire des accords multisectoriels et se mettre d’accord sur des initiatives pour transformer les systèmes alimentaires et nos sociétés. »

Le processus Nyéléni nous appelle à unir nos forces pour renforcer la mobilisation populaire de résistance, mais aussi de défense des droits et de la souveraineté des peuples et des biens communs, et pour bâtir la justice sociale, ethnique, de genre, économique, intergénérationnelle et environnementale.


[1] Bulletin n° 48 – Le processus Nyéléni : Vers un forum global pour la souveraineté alimentaire.

Bulletin n° 52 – Éditorial

Processus Nyéléni : Reconnaître le pouvoir des mouvements populaires

Illustration : Andrés Mateo Ayala Luna @calma_88

En 2007, le Comité international de planification pour la souveraineté alimentaire (CIP) a joué un rôle déterminant pour fédérer les petits producteurs alimentaires et leurs alliés afin de définir une vision commune de la souveraineté alimentaire et mettre en application des stratégies pour y parvenir. Depuis, un mouvement mondial fort pour la souveraineté alimentaire a émergé et a gagné davantage de reconnaissance politique. Ensemble nous sommes parvenus à la démocratisation des questions d’alimentation et agriculture mondiales, en obtenant notamment la réforme du Comité des Nations Unies de la sécurité alimentaire mondiale. Nos combats ont également influencé les politiques sur la souveraineté alimentaire dans divers contextes nationaux. Nous avons aussi garanti la reconnaissance politique des paysans comme jouissant de droits grâce à la ratification de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des paysans et des autres personnes travaillant dans les zones rurales.

Pourtant, nos réussites sont aujourd’hui menacées en raison d’une longue période de crises systémiques. Partout dans le monde, nous constatons un retour en force des partis politiques de droite, de régimes autoritaires, et de la main-mise des grandes entreprises sur les espaces de gouvernance démocratique, accompagné d’un démantèlement du système multilatéral des Nations Unies. Les violations des droits humains contre les paysans et les communautés indigènes ainsi que le changement climatique, la perte de biodiversité, les conflits armés et la faim se multiplient rapidement. En outre, les menaces répétées envers la souveraineté alimentaire émanent de conjonctures entrepreneuriales basées sur les tendances où les entreprises de fonds d’investissement spéculatif et les géants de la technologie numérique s’unissent pour alimenter un système de production agroalimentaire à bout de souffle.

Dans ce contexte, le CIP milite pour un nouveau processus international Nyéléni, d’ici le prochain forum mondial Nyéléni en Inde en 2025. En reconnaissant le pouvoir des mouvements populaires, nous souhaitons renforcer la solidarité et l’unité en connectant les causes locales et mondiales. Nous nous efforçons d’adopter un point de vue réunissant les différentes sections pour répondre efficacement à la crise multidimensionnelle mondiale.

En travaillant avec des mouvements pour la justice climatique, les droits des travailleurs, féministes, pour l’économie solidaire, contre la guerre, de jeunes et autres, nous voulons nous opposer à l’hégémonie des grandes entreprises sur les espaces de gouvernance, protéger les droits humains et collectifs dans le monde entier, les écosystèmes et assurer une vie digne sur Terre pour les générations présentes et à venir.

CIP pour la souveraineté alimentaire, La Via Campesina, Les Amis de la Terre International, Transnational Institute