L’écho des campagnes 

L’écho des campagnes 1

« L’eau a besoin d’une voix collective » contre les exploitations porcines dans le Yucatan

Ka ́anan Ts ́onot / Guardianes de los Cenotes, témoignage présenté lors de l’anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme en 2022.

Dans le Yucatan au Mexique, les exploitations porcines se sont multipliées très rapidement. Aujourd’hui, la péninsule compte au moins 274 exploitations porcines. Elles se sont développées malgré un contexte environnemental, social et culturel qui aurait dû empêcher leur implantation dans la région. Leur présence affecte la relation métabolique avec les cenotes : des gouffres qui connectent un immense aquifère sous la péninsule aux communautés résidentes.

Dans la ville de Homún, les gardiens des cenotes défendent leur territoire face aux exploitations porcines. Grâce à la mobilisation, des manifestations et des actions en justice, les opérations de l’immense ferme industrielle ont été suspendues en octobre 2018. Pourtant, le risque subsiste jusqu’à la fermeture définitive de la ferme. L’affaire est actuellement en attente d’une décision par le tribunal fédéral pour statuer sur le droit des enfants Maya à un environnement saint et les droits des cenotes.

Dans la région de Homún, les communautés Maya luttent contre l’expansion des exploitations porcines et défendent l’eau et la vie. Voici les mots d’un militant local pour les droits humains : « Les cenotes sont des lieux sacrés pour nos peuples. Ce sont des trésors, des endroits où l’on peut observer la vie et comment la nature fonctionne. La nature n’a pas besoin de voix, de mains, de pieds pour travailler. Nous devons nous arrêter, marquer une pause pour voir la générosité de la nature et l’eau douce en est un exemple. Cette méga-exploitation ne devrait PAS nuire à la ville, et ne tuera PAS la nature de notre ville… L’eau a besoin d’une voix collective… De la même façon que nous avons besoin d’air et d’eau pour vivre, ils ont besoin de nous. »

L’écho des campagnes 2

Comment les éleveurs de l’ouest de l’Inde luttent contre les maladies du bétail

Documenté par des chercheurs à Anthra.

Encore récemment, dans l’ouest de l’Inde, si un troupeau de moutons présentait des symptômes de la clavelée, les bergers se laissaient pousser la barbe et répandaient de grandes quantités de curcuma sur tout le troupeau. Si cette méthode peut sembler saugrenue, elle n’en est pas moins logique. En arborant une barbe et en cessant de se raser, le berger informe les autres bergers de sa communauté qui comprennent que ses animaux sont malades, et qu’ils doivent donc éloigner leurs bêtes et être attentifs aux signes de la maladie. De plus, la poudre de curcuma est réputée pour ses propriétés médicinales et est très utilisée en Inde, pour cuisiner mais aussi comme antiseptique. Ce berger, sa famille et son troupeau s’isoleraient jusqu’à ce que les symptômes diminuent, afin de circonscrire l’infection.

Pendant des années, les bergers et autres éleveurs en Inde ont lutté contre les maladies dans leurs troupeaux en utilisant plusieurs méthodes combinées. Ils ont choisi les espèces et les races adaptées à leur région, géré les pâturages et l’eau pour leurs bêtes grâce à la transhumance, utilisé des plantes et les épices du foyer pour traiter leurs animaux malades et ont adopté des pratiques de « gestion » similaires à l’exemple de la clavelée pour contenir la maladie et éviter sa propagation.

L’écho des campagnes 3

Mon travail est devenu plus dangereux

Bernarda Lopez (pseudonyme), témoignage devant le Congrès des États-Unis

Je viens du Guatemala et je vis aux États-Unis depuis 24 ans, j’ai travaillé dans plusieurs usines de viande Tyson. Pendant la pandémie, mon travail est devenu plus dangereux car je travaillais épaule contre épaule avec mes collègues. Nous devions poursuivre notre travail car nous étions considérés comme des « travailleurs essentiels ». Il est fréquent que des employés viennent travailler tout en étant malades pour éviter les sanctions liées aux absences. J’étais inquiète car mon mari étant en convalescence après une opération chirurgicale et je ne voulais pas qu’il attrape le Covid-19. L’entreprise n’a mis en place aucune mesure de protection concrète et ne nous a pas informés des cas qui se déclaraient.

Nous avons remarqué que certains collègues commençaient à être absents, mais nous n’avons pas su pourquoi. J’ai commencé à voir des symptômes, j’avais mal à la tête et j’étais très fatiguée. Lorsque j’ai informé ma responsable, elle a refusé que je rentre chez moi. Elle m’a dit que si je partais, je recevrais une sanction, que j’ai acceptée car je me sentais vraiment mal. Le lendemain, je suis retournée au travail pour ne pas recevoir une autre sanction et risquer de perdre mon emploi. Après le travail, je me suis rendue dans une clinique et mon test Covid-19 était positif. Inéluctablement, mon mari l’a contracté aussi et est décédé très rapidement.

L’écho des campagnes 4

La pénurie de vétérinaires n’est pas une excuse

Attila Szőcs, Eco Ruralis, Roumanie[1]

Il n’y a presque plus de vétérinaires pour les paysans et les petits agriculteurs dans la campagne rurale de Roumanie : seulement 1 pour 1 000 petites exploitations. Par conséquent, il n’est pas possible de réagir face aux épidémies de peste porcine africaine, qui touchent les élevages de porcs du pays depuis 2017. Les agences vétérinaires du gouvernement se contentent d’ordonner l’abattage massif de tous les porcs dans chaque région affectée.

Dans le cas de petites exploitations, l’agence envoie une équipe qui parcourt les villages, visite chaque exploitation, abat tous les porcs d’une balle dans la tête puis repart en laissant les agriculteurs s’occuper des porcs morts. Les grandes exploitations ont leurs propres équipes de vétérinaires et de gestion et elles sacrifient leurs bêtes sous le contrôle de l’agence. Ces grandes exploitations ont touché des millions d’euros d’indemnités de la part du gouvernement. En janvier dernier, une épidémie a touché la ferme de reproduction d’un exploitant danois et 42 000 porcs ont été abattus.

L’écho des campagnes 5

Des normes injustes engendrent une disparition des paysans

Nicolas Girod, Confédération paysanne[2], France

[Sur l’élevage animal] On a des normes injustes, inappropriées, bâties sur un modèle qui ne correspond pas à toutes les paysannes et paysans. Cela engendre une disparition des paysans et une uniformisation, une mise à l’écart de ce qui ne rentrerait pas dans le moule. Ce que l’on défend au travers de l’agriculture paysanne, c’est une démarche : on peut répondre à l’objectif d’une norme par quantité de moyens. Cela, l’administration a énormément de mal à le prendre en compte.

Nous avons récemment été confrontés à la crise sanitaire de la fièvre catarrhale ovine (FCO).  On appelle cela une maladie de l’exportation. Elle a été utilisée par la France comme rempart à l’importation de viande depuis d’autres pays, qui l’a classée à un niveau de dangerosité qui n’avait pas de rapport avec la réalité. Quand la FCO est arrivée sur le territoire français, ça a été le retour de bâton, les autres pays ont classé la FCO de la même façon et les éleveurs français ne pouvaient plus exporter, tant que la maladie n’avait pas été éradiquée de tout le territoire. Il fallait donc vacciner les bêtes sur la totalité du territoire, même chez les paysans qui n’étaient pas spécialement exposés, comme l’élevage laitier. Nous sommes allés devant le tribunal et on a été reconnus coupables – mais pas condamnés – parce que nous n’avions pas voulu vacciner nos animaux. C’est le genre de choses absurdes qui ne correspondent pas du tout à nos systèmes autonomes d’élevage à l’herbe.

Nicolas Girod a récemment été arrêté suite à sa participation aux manifestations contre les projets de méga-bassines pour l’agriculture industrielle.

L’écho des campagnes 6

Revitaliser la production de viande régionalisée

Julia Smith, Blue Sky Ranch, Colombie-Britannique, Canada

En 2008, des changements de réglementation sur la transformation de la viande ont mené à la fermeture de 80 % des établissements de transformation de viande de Colombie-Britannique. Les personnes qui avant, pouvaient acheter de grandes pièces de bœuf au boucher local, ont alors dû se rendre au supermarché pour acheter du bœuf provenant de la province voisine d’Alberta. L’animal était peut-être né tout près, mais en raison de la fermeture des établissements de transformation, il devait être transporté en Alberta pour son abattage, où il serait ensuite transformé dans l’une des entreprises géantes d’où sort 95 % du bœuf canadien.

En 2018, un groupe d’agriculteurs de Colombie-Britannique a créé l’association de producteurs de viande à petite échelle (Small-Scale Meat Producers Association) qui se bat pour des changements et pour permettre aux exploitations de vendre de la viande locale. En 2021, nous avons obtenu de nouvelles réglementations qui autorisent l’abattage de 25 animaux maximum par exploitation et par an, et nous sommes en train de créer un réseau de bouchers pour soutenir à la fois l’abattage in situ et d’autres opérations de transformation de viande au niveau régional. Cela passe par des projets comme les plans et la construction d’une remorque-abattoir qui pourrait être utilisée par un boucher professionnel qui assurerait des services à plusieurs éleveurs agréés pour l’abattage in situ.

L’écho des campagnes 7

Races locales de poulet

Abdramane Zakaria Traoré, Centre Sahélien pour la Biodiversité

Les races locales de poulet constituent une source vitale de protéine animale, d’œufs et de revenus financiers pour beaucoup de communautés rurales d’Afrique. Élevées selon des systèmes d’agriculture familiale, elles sont souvent accessibles même pour les éleveurs aux ressources limitées, et présentent une résistance remarquable face aux maladies grâce à leur diversité génétique. Les races indigènes sont adaptées à leur environnement particulier et sont plus résilientes face aux conditions environnementales et maladies néfastes que les poulets importés vendus dans le commerce.

Les maladies touchant les volailles peuvent engendrer d’immenses pertes économiques et menacer la sécurité alimentaire. Cependant, les races africaines de poulets ont développé des mécanismes de défense naturels qui leur permettent de résister et de guérir plus rapidement des infections. Elles ont besoin de moins de médicaments pour prévenir et traiter les maladies que les races industrielles, ce qui réduit le risque de développement de résistance aux antibiotiques et la menace pour la santé humaine. En soutenant l’élevage de poulets africains et en préservant leur diversité génétique, nous pouvons renforcer la sécurité alimentaire, réduire la dépendance aux antibiotiques et améliorer la résistance des systèmes d’élevage des volailles, ouvrant ainsi la voie à une vraie transition vers l’agroécologie en Afrique.


[1] L’élevage industriel sous l’emprise des pandémies en série

[2] Article entier disponible ici.

Encadres

Encadré 1

La recherche pandémique pour les personnes[1] (PReP)

Les investissements financiers envahissent les espaces frontaliers pour le bois, le développement urbain, les mines et l’agriculture industrielle (le bétail, les monocultures et le déplacement de paysans causé par l’accaparement des terres). Ces phénomènes fragmentent les écosystèmes forestiers et augmentent le nombre d’interactions entre espèces. Les virus infectent les populations humaines et le rythme effréné du commerce et des déplacements internationaux font circuler la faune et la flore (et les êtres humains infectés) dans le monde entier.

Les principaux scientifiques appellent à davantage de surveillance des forêts, et criminalisent les résidents de ces zones qui dépendent des produits de la forêt. En plus de l’agro-industrie, ils promeuvent « l’intensification durable » dont l’idée sous-jacente est que le déploiement des technologies de la Révolution Verte sur les exploitations existantes protégera les forêts. Néanmoins, les bénéfices de la hausse de production entraînent l’expansion agricole.

À l’inverse, les agroécologistes prônent un modèle de « matrice de la forêt » qui considère les humains comme des composants intégrés essentiels des systèmes écologiques où la production alimentaire est liée à la conversation. Ce cadre écologique rejoint les processus de défense en cours des terres des communautés indigènes, noires et paysannes. L’agroécologie est un processus d’adaptation et de mitigation qui produit des écosystèmes peu gourmands en énergie et riches en biodiversité, bien plus résistants aux évènements météorologiques extrêmes et capables de mieux réguler les cycles épidémiologiques.

Les réponses pharmaceutiques descendantes aux apparitions de maladies infectieuses considèrent les maladies comme des agents isolés externes qui touchent les populations humaines vulnérables. L’intégration de l’agroécologie comme une réponse aux maladies infectieuses permet de voir l’infectiosité et la propagation de la malade comme un symptôme possible (mais pas inévitable) d’interfaces complexes entre humains et non-humains structurées par des régimes raciaux et coloniaux de capital mondial. Pour PReP, l’agroécologie est indispensable pour combattre les maladies infectieuses, tout en confiant l’autonomie sur les terres et les moyens de subsistance aux paysans du monde. 

Encadré 2

Les méga-industries du saumon au Chili polluent, nuisent à la santé et aux pêcheurs locaux !

Depuis des décennies, l’industrie de l’élevage du saumon au Chili occupe et détruit des zones protégées et les territoires ancestraux de Mapuche, Kawesqar et Yagán. Le recours abusif par l’industrie aux antibiotiques et antiparasites engendre une résistance aux antibiotiques qui est vitale pour les traitements médicaux humains et néfaste pour les écosystèmes marins. Cette pratique diminue la résistance naturelle des espèces natives et accroît les maladies qui les affectent.

Les méga-industries du saumon ont introduit au moins 20 pathogènes viraux, bactériens et parasitaires dans les écosystèmes aquatiques du sud du Chili. Ces nouveaux pathogènes ont des répercussions sociales et économiques graves pour les communautés qui récoltent sur le littoral, en particulier sur l’archipel de Chiloé. Les palourdes et autres mollusques bivalves filtrants sont contaminés par des neurotoxines et des toxines gastro-intestinales et les sites sont fermés pour raison sanitaire aux pêcheurs et ramasseurs locaux[2].

Après avoir créé ces zones de « sacrifice environnemental » et après une affaire d’écocide, les grandes entreprises chiliennes et étrangères empochent des milliards de dollars en exportant leurs produits certifiés « respectueux de l’environnement et socialement responsables ». Le fond du problème réside dans le modèle productiviste et tourné vers l’extraction de l’exploitation de la nature, qui met constamment en danger la vie, la santé et la biodiversité sur nos territoires. Nos zones protégées et nos territoires ancestraux ne seront pas des zones sacrificielles pour le colonialisme destructeur du saumon !

Encadré 3

Le processus Nyéléni, vers un forum mondial pour la souveraineté alimentaire en 2025

Les voix de nos alliés

Claudio Schuftan, Mouvement pour la santé des peuples (MPS) et World Public Health Nutrition Association (WPHNA), Hô Chi Minh-Ville 

Nyéléni 2007 a permis de donner le rythme pour les organisations de la société civile (CSO en anglais) d’intérêt public et les mouvements sociaux. L’événement a donné une nouvelle forme à nos revendications aux dirigeants. Quinze ans plus tard, l’heure est venue de redonner du souffle au processus, pour préciser nos revendications mais aussi pour trouver de nouveaux alliés pour y parvenir – et refléter l’importance de la rencontre à Rome en juin 2023.

Le MPS reconnaît que le défi ne réside pas dans l’élaboration d’une nouvelle déclaration qui viendrait d’en haut. Il s’agit plutôt du processus des 18 prochains mois qui rapprochera la lutte de la base pour que le résultat soit vraiment représentatif du monde entier et puisse donner naissance au contre-pouvoir nécessaire.  Le MPS est un réseau regroupant des réseaux de militants pour les droits humains et à la santé et dispose actuellement d’une présence en ligne dans plus de 70 pays. Il a vu le jour en 2000 et s’attaque à la fois aux questions mondiales et nationales. Son secrétariat actuel est basé en Colombie (phmovement.org). Le MPS compte un groupe de travail thématique Alimentation+Nutrition qui correspond aux messages des soutiens et militants de Nyéléni, au vu des liens évidents entre santé et nutrition. Dans le cadre de notre travail, notre groupe allie souveraineté alimentaire, agroécologie, justice climatique et droit à l’alimentation et à la santé. Nous allons communiquer sur le processus Nyéléni aux 3 700 abonné.es de la liste de diffusion phm-exchange, à la fois pour informer nos membres des progrès et pour récolter leurs contributions afin de travailler tous ensemble vers la déclaration de 2025. Nous sommes tous à vos côtés.

Il en va de même pour le travail du WPHNA, une association professionnelle de nutritionnistes dans la santé publique et dont je suis membre du comité exécutif (www.wphna.org). WPHNA soutient fortement les principes Nyéléni. Nous comptons environ 500 membres dans le monde. Vous pouvez également compter sur nous.


[1] Site internet ici ou e-mail rwallace24@gmail.com et alexliebman@gmail.com

[2] Pour plus d’informations, Centro Ecoceanos.

Sous les feux de la rampe

Sous les feux de la rampe 1

Maladies émergentes et agriculture industrielle

En 2008, suite à la réponse internationale catastrophique à l’épidémie de grippe aviaire H5N1 en Asie, nous écrivions : « Le monde est secoué par d’importants changements concernant les maladies mondiales. Nous allons devoir affronter […] des types de maladies plus mortelles et une capacité de propagation accrue. Nous sommes aussi face à une plus grande probabilité qu’émergent zoonoses et pandémies mondiales. Pourtant, la réponse internationale à cette situation nouvelle est très loin jusqu’à présent de refléter l’ampleur de la menace. »[1]

La racine du problème était évidente : l’expansion rapide d’un modèle d’élevage où des milliers de bêtes génétiquement uniformes sont entassées et poussées à grossir le plus vite possible. Ces fermes industrielles sont un bouillon de culture pour l’évolution et la diffusion de souches de maladies mortelles, potentiellement transmissibles aux humains ; en effet la grande majorité des nouvelles maladies qui touchent les humains viennent des animaux (appelées « zoonoses »). La structure mondialisée de l’industrie, avec ses zones de production à forte densité (notamment des zones déboisées où il existe un risque de contact avec des animaux sauvages) et sa priorité mise sur l’exportation d’aliments, de viande et d’animaux sur de longues distances, sont propices à la propagation large et rapide de la maladie.

L’épidémie de grippe aviaire H5N1 aurait dû interroger sur la promotion de l’agriculture et de la viande industrielles. Mais l’inverse s’est produit. Les gouvernements et les agences internationales ont pointé du doigt les petits paysans et les marchés traditionnels. Ils ont mis en place une série de mesures pour protéger les entreprises de viande industrielle et ont profité de l’épidémie pour accroître les échelles et la concentration, en confiant le contrôle de ces exploitations et usines de viande mortifères à des grandes entreprises et des magnats corrompus.

En 2009, une épidémie de peste porcine a éclaté au Mexique, dans les élevages de porcs industriels. Ensuite une épidémie de peste porcine africaine ravageuse a tué des centaines de milliers de porcs dans des zones où l’agriculture industrielle était répandue : la Russie, la Chine et d’autres régions d’Asie. Puis le Covid-19 est apparu, et si son originale animale exacte n’a pas encore été prouvée, les usines de transformation de viande industrielle ont constitué des lieux de forte contamination, touchant des centaines de milliers de travailleurs et travailleuses, leurs familles et leurs amis. Par chance, la grippe aviaire ne s’est pas encore transformée en souche épidémique, mais un nouveau variant tue des millions d’oiseaux sauvages et se diffuse de manière incontrôlée dans les élevages industriels de volailles les plus confinés en Amérique du Nord, au Japon et en Europe.

Sous couvert de « biosécurité », les gouvernements et les agences comme la FAO ou l’Organisation mondiale de la santé animale (OMSA) continuent de promouvoir des mesures visant à industrialiser davantage l’élevage de bétail, sous le contrôle des entreprises.  Les approches reposant sur la diversité, le savoir traditionnel ou la production et les marchés locaux en circuit court sont ignorées voire criminalisées.

Pour mettre un terme à ces pratiques irresponsables et protéger le monde de nouvelles pandémies, nous devons éliminer l’agriculture industrielle et défendre et reconstruire des systèmes d’élevage divers, localisés et en circuit court.

Sous les feux de la rampe 2

La résistance à l’expansion de méga-exploitations porcines et la défense des territoires indigènes, de l’eau, de l’air et de la nature en Amérique latine[2]

Malgré leurs conséquences désastreuses, les exploitations porcines s’exportent des États-Unis dans toute l’Amérique latine. Ces usines de viande s’inscrivent dans le système alimentaire actuel dominant (et en expansion), le complexe céréales-oléagineux-bétail[3] où les céréales et les oléagineux (majoritairement du maïs et du soja génétiquement modifiés) nourrissent un nombre croissant d’animaux destinés à l’élevage alimentaire. Malheureusement, si les choses ne changent pas, d’ici 2029 la production de viande augmentera de 40 millions[4] et la majorité de cette viande sera produite en Amérique latine. Étant donné qu’une grande partie de la viande est exportée, les échanges inégaux ressortent très clairement entre ceux qui profitent de l’exploitation des humains, des animaux non-humains et la nature (l’industrie de la viande), et les communautés (souvent indigènes, paysannes et d’origine africaine) qui sont confrontées à toutes les conséquences néfastes de cette industrie.

Les exploitations porcines gèrent des opérations de production de viande industrielle où des milliers de porcs sont enfermés pour que toute leur énergie serve à la production de viande. La production de viande répondant à cette logique capitaliste pollue l’eau, l’air et les sols. Elle est associée à l’accaparement des terres et les dangers sanitaires (notamment les épidémies) et constitue l’un des principaux facteurs du changement climatique et de la déforestation, engendre de la maltraitance animale et déplace d’autres formes alimentaires plus durables et justes.

Les exploitations porcines sont également responsables de nombreuses violations des droits, notamment les droits aux terres et aux territoires, à un environnement sain, à l’eau, l’alimentation, les droits de la nature, des militants pour les droits humains et des peuples indigènes.[5] 

Sans surprise, la résistance prend de l’ampleur contre l’expansion de l’agrobusiness et plus précisément des exploitations porcines. En 2022, des communautés affectées, des militants, des organisations et des universitaires se sont retrouvés à Yucatan pour débattre du problème croissant des exploitations porcines dans la région. La déclaration de l’Amérique sans méga-exploitations de porcs[6] renforce l’exigence de promouvoir la souveraineté alimentaire, l’agroécologie et la production alimentaire ancestrale plutôt que financer et soutenir l‘agroextractivisme et la nécessité de fermer ces usines de viande.

Plusieurs actions collectives ont eu lieu pour abolir les usines à viande. Entre autres, des consultations citoyennes, des consultations au sein des communautés indigènes, des campagnes, des manifestations, des lieux occupés, des actions en justice.[7]  Lorsqu’ils ont fait entendre leur voix, des paysans et des personnes indigènes ont subi des intimidations, la criminalisation et la répression. Au niveau régional, plusieurs organisations ont demandé à la Commission interaméricaine des droits de l’homme (CIDH) une audience thématique pour débattre des violations des droits humains liées à l’industrie de la viande en Argentine, au Brésil, au Chili, en Équateur, au Mexique et aux États-Unis.


[1] Viral times – La politique des maladies animales émergentes dans le monde.

[2] Il existe de nombreux documents élaborés par le groupe qui publie cet article. Voir ici et ici.

[3] Weis, T. (2013). The ecological hoofprint: The global burden of industrial livestock. Bloomsbury.  

[4] Stiftung, H. B. Meat Atlas 2021.

[5] Pour plus d’informations sur l’industrie de la viande et les violations des droits humains, veuillez consulter la demande d’audience thématique, présentée par 20 organisations et soutenue par 243 en 2022 puis encore en 2023, disponible ici.

[6] La déclaration est disponible ici (en espagnol).

[7] Pour plus d’informations sur le Yucatan et d’autres cas, vous pouvez consulter la carte des témoignages (disponible en espagnol).

Bulletin n° 53 – Éditorial

Maladies émergentes et agriculture industrielle

Illustration : Rini Templeton, www.riniart.com

Qu’est-ce qui rend les aliments surs ?

Au sein des systèmes alimentaires industriels, la « sécurité » revient à gérer les risques élevés engendrés par ce même modèle de production alimentaire. Les aliments sont produits dans des champs de monoculture ou des exploitations agricoles industrielles, où les espèces uniformes de plantes et d’animaux sont extrêmement vulnérables aux ravageurs et aux maladies. Dans ce contexte, les maladies peuvent proliférer ou muter pour prendre des formes encore plus meurtrières et, dans le cas des animaux, se propager aux humains et se diffuser le long des chaînes d’approvisionnement industrielles. Afin de les rendre moins vulnérables, les cultures sont génétiquement modifiées ou arrosées de pesticides toxiques et les animaux sont nourris d’antibiotiques et de médicaments, créant des dangers sanitaires supplémentaires. Ensuite, la plupart des aliments sont fortement transformés et vendus dans des supermarchés, et sont à l’origine de maladies telles que le diabète et le cancer.

Les gouvernements et les entreprises imposent de plus en plus de réglementations et de normes pour faire face à ces risques. En réalité, ils ne font que réduire les excès les plus flagrants, sans menacer les bénéfices des grandes entreprises, et ignorent les systèmes alimentaires reposant sur l’élevage animal, les marchés et l’agroécologie traditionnels, qui présentent moins de risques grâce à la diversité, aux connaissances locales, à la confiance et aux circuits courts. Ces réglementations sont devenues des outils pour étendre le contrôle des grandes entreprises et affaiblir les systèmes alimentaires sains qui continuent à nourrir la majorité de la population mondiale et qui représentent la seule vraie solution face aux dégâts causés par le système alimentaire industriel.

GRAIN