Sous les feux de la rampe

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Qui fait pression pour faire passer les ALE?

Les accords de libre-échange et d’investissement (ALE) sont des accords entre deux gouvernements ou plus en dehors du cadre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Beaucoup d’élites de pays tels que les États-Unis, les pays membres de l’Union Européenne (UE), le Japon et l’Australie, ont voulu sortir du cadre de l’OMC arguant qu’elle ne va pas assez loin dans l’établissement de règles mondiales en faveur de leurs entreprises et de leurs objectifs géopolitiques, et en parallèle les discussions multilatérales avancent doucement. Depuis le début de ce siècle, ces élites cherchent à conclure de puissants accords au niveau bilatéral et régional aux moyens d’application redoutables. L’idée est qu’en poussant les pays à s’engager davantage et de manière plus détaillée dans la liberté d’entreprise par l’entremise de ces accords, un marché mondial uniformisé et entièrement ouvert au commerce entre transnationales et au mouvement de capitaux, puisse être construit à partir de la base.

Il n’est pas surprenant que ces accords soient conçus dans le secret. Dans cet état de fait, le rôle des parlements se limite à la conception d’objectifs généraux et le public se voit refusé l’accès aux textes de négociation. Les lobbyistes des entreprises sont activement consultés tout au long du processus pour arriver à une issue qui leur est favorable. En effet, les entreprises transnationales et les coalitions d’entreprises sont des acteurs prépondérants dans les processus de conception de ces accords. Par exemple, lors de la phase initiale des négociations entre les États-Unis et l’UE sur le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement, les grandes sociétés agro-industrielles telles que Cargill et Coca-Cola représentaient les premiers groupes d’intérêts donnant aux négociateurs des indications cadrant avec leurs intérêts[1].

Les ALE englobent une grande variété de domaines-des droits de propriété intellectuelle (DPI), jusqu’aux télécommunications en passant par l’énergie et la sécurité alimentaire- détaillant précisément ce que peuvent et ne peuvent pas faire les pays dans un grand nombre de domaines alors que ces derniers ouvrent leurs marchés aux investisseurs étrangers. En conséquence, les gouvernements signataires sont forcés de réécrire leurs lois et prendre des engagements contraignants empêchant tout retour en arrière. Par le biais de ces accords, les entreprises obtiennent même le droit d’examiner les ébauches de politiques et projets de règlementations qui, selon elles, peuvent les concerner et avoir un effet sur l’ALE avec le pays partenaire.

Actuellement, des mouvements sociaux luttent contre de nouveaux ALE puissants tels que :
– l’AECG entre la Canada et L’Union Européenne (le Parlement européen a ratifié l’accord, mercredi 15 février 2017) ;
– TTIP entre les États-Unis et l’UE ;
– TPP entre les États-Unis, le Japon et 10 autres pays (les États-Unis se sont retirés de l’accord mais cela ne veut pas dire que l’accord est abandonné) ;
– RCEP entre les membres de l’ASEAN, la Chine, l’Inde, le Japon, l’Australie, la Corée et la Nouvelle-Zélande ;
– l’ACS, concernant uniquement les services, entre les États-Unis, l’UE, le Japon et 20 autres pays ;
– Les APE imposés par l’UE en Afrique ;
– et les accords bilatéraux pour lesquels l’UE, l’Inde, le Vietnam, le Mexique, le Japon, le Mercosur, le Chili etc. font pression.

En plus de conférer un pouvoir politique et règlementaire, tous ces traités donneraient aux entreprises accès aux ressources naturelles, à de nouveaux marchés et aux marchés du travail.

Bien que certains de ces accords semblent être menacés par les nouveaux gouvernements de droite dans des pays tels que le Royaume-Uni et les États-Unis, qui ont promis de remplacer une série d’anciens accords commerciaux par de nouveaux, cela ne veut pas forcément dire que les anciens accords vont simplement disparaitre. Ils changeront peut-être de forme ou de partenariat ou encore avanceront plus lentement. De plus, ce serait une erreur de croire à la propagande selon laquelle les nouveaux et « meilleurs » accords d’échange et d’investissement sauveront les emplois locaux ou auront des effets positifs pour les agriculteurs, les consommateurs, les petites entreprises et l’environnement.

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Les mécanismes de règlement des différends entre investisseurs et États (ISDS), quels sont les enjeux?

L’un des points le plus menaçant des accords de libre-échange et des traités d’investissement est le « mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États » (ISDS). Le mécanisme remonte à l’époque coloniale lorsque les puissances impériales voulaient protéger leurs entreprises opérant à l’étranger dans l’extraction de minéraux et la production de cultures commerciales. Elles ont mis au point des textes légaux qui ont évolués pour donner lieu aux traités d’investissements actuels dont l’objectif est de protéger les investisseurs de la « discrimination » et de l’expropriation par les États étrangers.

À cette fin, les traités octroient aux sociétés transnationales (STN) un droit spécial leur permettant d’assujettir les gouvernements étrangers à une arbitration contraignante lorsqu’elles considèrent avoir été lésées. Cela veut dire que les STN peuvent poursuivre en justice les gouvernements lorsque ceux-ci adoptent des politiques publiques qui limiteraient leurs investissements et leurs profits, telles que des lois anti-tabac ou des réglementations visant à réduire la pollution atmosphérique.

Les entreprises nationales ne jouissent pas de ce même droit : la simple menace d’une poursuite pourrait donner lieu à l’élaboration de politiques (effet paralysant). Les différends en matière d’investissements internationaux sont portés devant des panels spéciaux d’arbitration, habituellement devant la Banque mondiale à Washington ou des cours d’arbitration comme celle de La Haye. Cela leur permet de contourner purement et simplement les cours nationales sous prétexte qu’elles peuvent être biaisées. Les procédures sont menées par des avocats privés et dans le secret, sans possibilité de faire appel.

Au cours des 15 dernières années, les différends entre investisseurs et États ont augmenté de manière spectaculaire. Dans la plupart des cas, les demandes des investisseurs ont été entièrement ou partiellement satisfaites. Les gouvernements ont dû payer des récompenses s’élevant à des millions, si ce n’est des milliards, de dollars (c’est-à-dire de l’argent du contribuable qui pourrait servir l’intérêt général). À cause de cette menace, certains gouvernements mettent en attente leurs traités d’investissements le temps de repenser leurs stratégies.

Le mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États porte un coup à la souveraineté alimentaire à plusieurs égards. Il dote les entreprises de moyens juridiques considérables pour renverser les politiques nationales soutenant les petits agriculteurs, les marchés locaux et l’environnement. Les initiatives de lutte contre le changement climatique dans le secteur alimentaire-par exemple la promotion de circuits courts en accordant la préférence aux producteurs locaux ou en les subventionnant- peuvent être remise en cause par les transnationales si elles considèrent qu’elles leur porteraient préjudice. Récemment, le Canada a empêché une entreprise américaine d’aller de l’avant avec l’exploitation d’une mine à ciel ouvert à Nouvelle-Écosse car les dommages pour la communauté de pécheurs locale auraient été trop importants. L’entreprise a traduit le Canada devant un tribunal ISDS et a remporté le procès, ce qui a couté aux contribuables canadiens 100 millions de dollars. Le Mexique a dû payer 90 millions de dollars à Cargill à cause d’une taxe sur les boissons contenant des taux élevés de sirop de maïs (un édulcorant produit par cette entreprise conduisant à l’obésité). La taxe contribuait à protéger l’industrie de canne à sucre du pays, représentant de centaines de milliers d’emplois, de l’afflux de sirop américain subventionné.

Le mécanisme ISDS octroie aux investisseurs étrangers plus de droits que ceux dont bénéficient les investisseurs nationaux, et ils l’utilisent à leur avantage dans les secteurs de l’agriculture et de la pêche. Les accords d’échange stipulent en général que les investisseurs étrangers devraient bénéficier d’un traitement identique que les investisseurs nationaux concernant l’accès aux terres agricoles et aux zones de pêche (principe de traitement national). Le mécanisme ISDS octroie à ces entreprises un moyen supplémentaire pour user d’un droit dont les entreprises nationales (ou les agriculteurs ou pêcheurs et leurs coopératives) ne bénéficient pas. Quelquefois les investisseurs nationaux dans l’agroalimentaire implantent des entreprises à l’étranger et ensuite investissent dans leurs pays dans le seul but de bénéficier de ces protections supplémentaires.

La clé pour renforcer la souveraineté alimentaire dans le contexte du commerce international et même régional est que les états privilégient les producteurs d’aliments nationaux et locaux par le moyen de subventions et de politiques d’achat. Ces subventions et traitements préférentiels sont généralement interdits par des accords de libre-échange (bien qu’ils soient largement utilisés par de grands acteurs tels que les Etats-Unis ou l’UE), et le mécanisme ISDS offre aux entreprises étrangères un outil pour que les producteurs nationaux soutenus par de telles politiques ne menacent pas leurs profits.

[1] Corporate Europe Observatory, « TTIP : a corporate lobbying paradise », 14 juillet 2015, .