L’écho des campagnes 

L’écho des campagnes 1

Herman Kumara, Coordinateur National de la NAFSO , Secrétaire Général du Forum mondial des peuples pêcheurs (WFFP)

La crise climatique est utilisée pour satisfaire des intérêts personnels et diffuser de fausses solutions comme le carbone bleu, les solutions dites « basées sur la nature », les digues, l’agenda 30×30, la conversion de dettes en mesures en faveur de l’océan, entre autres. Sous couvert de fausses solutions, les agriculteurs, les pêcheurs, les populations autochtones et les paysans sont évincés de leurs terres, points d’eau et forêts d’origine, privés de leurs droits d’utilisation coutumiers et font face à un bouleversement de leur mode de vie en harmonie avec la nature.  Nous appelons à la vigilance face à l’adoption de solutions climatiques inefficaces comme 30×30, les crédits carbone, les Zones Marines Protégées (en anglais MPA) et la Planification de l’Espace Marin (PEM).

La priorité devrait plutôt être mise sur la restauration des droits d’utilisation légitimes, traditionnels, coutumiers ou autochtones des communautés de pêcheurs et la redistribution de ces droits là où ils ont été bafoués. Les pêcheurs font partie des plus touchés par les tempêtes et les cyclones, et sont victimes de la crise climatique car ils travaillent souvent au grand large et à la merci des éléments. Il appartient à l’État de mettre à disposition de meilleurs systèmes d’alerte précoce ainsi que des opérations de recherche et sauvetage pour garantir la protection et la sécurité des pêcheurs lors des intempéries. Les États doivent privilégier les solutions climatiques impliquant les communautés, en s’appuyant sur les connaissances et les pratiques écologiques traditionnelles des communautés de petits pêcheurs, plutôt que des approches technocrates et reposant sur le marché, à l’instar de digues, tétrapodes, carbone bleu et solutions de conservation basées sur les crédits carbone. Le Forum mondial des pêcheurs (WFFF en anglais) lutte contre cette tendance en renforçant les campagnes visant à éduquer et alerter les dirigeant·es politiques et les communautés face aux fausses solutions, et promouvoir à la place de réelles réponses élaborées en consultation avec les communautés touchées.

L’écho des campagnes 2

Tom Goldtooth lors de la présentation de l’IEN (Indigenous Environmental Network) à l’Instance permanente des Nations Unies sur les questions autochtones, avril 2024

L’an dernier, nous avons demandé une session spéciale [de l’Instance permanente des Nations Unies sur les questions autochtones] pour évoquer les fausses solutions climatiques, l’économie verte et leurs conséquences sur les peuples autochtones. Au cœur de cette demande, un moratoire sur les activités représentant de fausses solutions en attendant que les peuples autochtones affectés du Nord au Sud puissent étudier en profondeur les conséquences et formuler les revendications appropriées…

Je m’implique dans la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques depuis 1998. Notre réseau a réuni plus de 20 ans de preuves indéniables démontrant comment les marchés carbone, la tarification et les mécanismes de compensation carbone ne réduisent pas les émissions à la source.

Les marchés carbone présentent le vide juridique dont beaucoup nous ont parlé. Ils présentent le vide juridique dont l’industrie des énergies fossiles a besoin pour poursuivre l’extraction et la combustion, et qui protège une économie reposant sur l’extraction des énergies fossiles qui bouleverse l’harmonie entre la Terre et le Ciel. Il est grand temps de réclamer un moratoire permanent sur les fausses solutions, négocié dans l’article 6 de l’Accord de Paris [sur le climat]. LA CCNUCC souhaite terminer les négociations cette année, après 2 décennies durant lesquelles les pollueurs ont tiré des bénéfices des violations des droits humains, accaparement des terres, division destructrice et exploitation de la propriété intellectuelle via les marchés carbone et REDD+ (Réduire les émissions issues de la déforestation et la dégradation de la forêt).

Découvrez l’événement en intégralité ici.

L’écho des campagnes 3

Extrait de la Déclaration du Comité international de planification pour la souveraineté alimentaire lors de la Convention sur la diversité biologique de la COP (Conférence des Parties) 15, décembre 2022

[…] Il s’agit de la première COP sur la biodiversité depuis la ratification de la Déclaration des Nations unies sur les droits des paysans (UNDROP), et les petits producteurs alimentaires devraient être respectés en tant que détenteurs de droits en faisant référence à l’UNDROP et à l’UNDRIP (Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones) dans le nouveau cadre mondial pour la biodiversité et la CDB (Convention sur la diversité biologique). Chaque fois que les détenteurs du pouvoir ne respectent pas les droits humains et collectifs des meilleurs gardiens de la biodiversité, vous manquez à votre devoir de protéger la biodiversité.

Nous sommes assis dans ces réunions en tant que personnes de la terre, pour la terre, écoutant de prétendus débats sur la terre et la vie, nous demandant ce qui se passera si vous continuez à séparer les gens de la nature avec de fausses solutions ? Qu’est-ce que la nature pour chacun d’entre vous ici ?

Certains proposent l’information de séquençage numérique (ISN, DSI en anglais) pour sauver la biodiversité, comme si l’on pouvait dématérialiser notre Mère et la recoller en espérant qu’elle fonctionne mieux. Transformer la nature en capital, c’est tout sauf « vivre en harmonie avec la nature ». Les « solutions fondées sur la nature » débattues ici et à la conférence des parties sur le climat inscrivent la nature sur un registre et la vendent ensuite aux pollueurs au détriment de la biodiversité, des terres et des droits des peuples autochtones, des petits producteurs alimentaires et des communautés locales.

Nous sommes assis dans ces salles, témoins sinistres de la cupidité d’une poignée de grands pays exportateurs et de leurs entreprises qui cherchent à détruire 30 ans d’accords multilatéraux. Il est facile de comprendre pourquoi les plus puissants et les moins responsables préfèrent fixer des objectifs pour un soi-disant « monde positif pour la nature » plutôt que de parler de la Terre Mère. Il n’est pas nécessaire d’enfermer les terres loin de ses gardiens attentifs comme le propose l’objectif 30×30, il faut la protéger de la cupidité des entreprises et des États. […]

Encadres

Encadré 1

L’initiative des marchés carbone en Afrique

L’initiative des marchés carbone en Afrique (ACMI d’après le sigle anglais) vise à « participer à l’élaboration et l’exploitation du potentiel des marchés carbone en Afrique ». Son comité de pilotage est formé des principaux chantres des énergies fossiles, de la big tech et de l’agrobusiness, comme la Fondation Gates qui promeut l’agriculture industrielle et les OGM en Afrique, et le Fonds pour la Terre du PDG d’Amazon (The Bezos Earth Fund). L’ACMI affirme « qu’avec des crédits carbone estimés à environ 2 milliards de dollars dans le monde et une croissance potentielle 5-50 x d’ici 2030, les marchés carbones à forte intégrité pourraient apporter des avantages considérables aux peuples d’Afrique et devenir une source majeure de financement de l’action climatique sur le continent. » Ils reconnaissent toutefois qu’il existe « de fortes suspicions que les crédits sont utilisés pour le greenwashing, un prétexte pour continuer à polluer » et que « certains s’interrogent si les crédits carbone, notamment pour les grands projets d’utilisation de terre, ne provoquaient pas pour les Africains la perte de leurs terres pour permettre aux pays riches de continuer à polluer, faisant grandir l’inquiétude d’une forme de recolonisation de l’Afrique ».

Malgré ces réflexions de premier plan et le manque de réponses apportées, l’ACMI s’entête à promouvoir l’expansion et créer l’adhésion aux marchés carbone sur tout le continent. Ce choix va à l’encontre du principe de responsabilité et de justice historiques, qui exige que l’action climatique soit financée par de l’argent public en provenance des gouvernements des pays développés et non en plongeant l’Afrique dans la spirale de la dette. Pour plus d’informations :

Encadré 2

Accaparement des terres par l’économie verte

D’ici 2030, Shell compte compenser 120 mégatonnes (Mt) d’émissions chaque année, soit environ 85 % des émissions annuelles actuelles de CO2 de l’ensemble des citoyens et entreprises des Pays-Bas. En août 2022, Shell était impliqué (par le passé ou à cette époque) dans 30 projets de compensation « basés sur la nature » dans 17 pays. Une analyse de la feuille de route de Shell pour 1,5 °C démontre qu’elle s’apparente beaucoup au programme pour 2 °C, mais avec un plan supplémentaire pour « étendre considérablement des solutions basées sur la nature », en particulier avec la plantation d’arbres sur une superficie « comparable à celle du Brésil ». Lorsque Shell plante des arbres, ils n’en plantent généralement qu’une variété. Il s’agit souvent de l’eucalyptus à pousse rapide, mais potentiellement néfaste pour la biodiversité des zones avoisinantes. Beaucoup de terres sont nécessaires pour compenser les émissions de Shell. Les terres choisies sont souvent situées dans le Sud mondial. Pour cela, Shell utilise des terres (agricoles) appartenant aux communautés locales, ce qui entraîne parfois des violations des droits humains et des pénuries alimentaires.

Pour plus d’informations ici et ici.

Encadré 3

Qu’est-ce que l’agriculture carbone et pourquoi est-ce une fausse solution ? 

L’agriculture carbone est un mécanisme de compensation dans lequel les agriculteurs sont rémunérés pour stocker le carbone et compenser les émissions continues de carbone d’une entreprise, d’un pays ou d’un individu. Les mécanismes d’agriculture carbone prévoient la rémunération des agriculteurs pour qu’ils appliquent des pratiques agricoles « intelligentes » du point de vue climatique censées augmenter la quantité de carbone stocké dans leurs exploitations. Le changement de pratiques sert à vérifier la création de crédits carbones qui sont vendus aux entreprises ou aux gouvernements via les « marchés carbone ». Même si ces acheteurs continuent à émettre des gaz à effet de serre, ils affirment qu’ils les ont « compensées ». La demande pour des compensations augmente, avec 82 pays et 44 % des 2 000 plus grandes entreprises au monde ayant réalisé des engagements pour le « net zéro ». La plupart des mécanismes d’agriculture carbone existants reposent sur le carbone stocké dans les arbres grâce à l’agroforesterie et les plantations d’arbres, mais le nombre de mécanismes d’agrostockage dans le sol est en hausse.

Les compensations par stockage de carbone dans le sol sont dangereuses pour la justice climatique et la souveraineté alimentaire car…

Les compensations par stockage de carbone dans le sol favorisent le monopole de semences et produits agrochimiques non durables et aux mains des grandes entreprises. Ces mécanismes encouragent ou requièrent souvent des pratiques agricoles spécifiques qui reposent sur des semences et produits agrochimiques privés, comme l’utilisation de pesticides affiliés pour contrôler les mauvaises herbes plutôt que de labourer. Les algorithmes et les machines agricoles numériques nécessaires pour obtenir des crédits carbone peuvent requérir des variétés de cultures et des pratiques spécifiques pour fonctionner.

Les compensations par stockage de carbone dans le sol sont un prétexte pour l’accaparement des données, renforcent le pouvoir des entreprises de l’alimentaire et la technologie qui contrôlent les plateformes numériques en charge du suivi et de la commercialisation des crédits par agrostockage.

Les mécanismes d’agrostockage entraînent la consolidation et la mécanisation des exploitations, ce qui donne l’avantage aux plus grandes exploitations car elles peuvent plus facilement adopter les technologies et les pratiques mais aussi générer de grandes quantités de crédits carbone.

Les mécanismes d’agriculture carbone accélèrent la perte de connaissances agricoles traditionnelles en enseignant que les pratiques traditionnelles détériorent les sols et enferment les agriculteurs dans des contrats qui requièrent des pratiques « intelligentes » du point de vue climatique.

Mais tous les types de carbones sont différents. L’idée que « le carbone reste du carbone » derrière les compensations omet la violence, les conséquences sur la santé et les répercussions économiques et socioéconomiques autour des mines, des sites d’extraction d’énergies fossiles et des fermes industrielles. En outre, le carbone écologique dans les sols se saurait compenser l’émission de carbone fossile.

Les mécanismes de compensation détournent de solutions réelles mais aussi les financements publics de l’agroécologie vers l’agriculture carbone.

Encadré 4

Immerger des algues pour réparer le climat : une nouvelle vague de fausses solutions

Alors que la Terre brûle, les investisseurs continuent à trouver des moyens nouveaux et incongrus de générer plus de profits sans réduire les émissions de carbone. Les océans sont désormais en première ligne : une nouvelle industrie des algues (ou macroalgues) envahit les littoraux et les mers sous couvert de l’Accord de Paris sur le changement climatique de 2015. Mi-2023, plus de 1 300 entreprises étaient déjà impliquées dans les algues commerciales, y compris plus de 200 start-ups.

La nouvelle grande promesse orientée vers les bénéfices de cette supposée « révolution de l’algue » est de vendre de crédits carbone, en affirmant que les algues industrielles capturent le carbone. Surfant sur la vague du « carbone bleu », même s’il n’existe pas encore de marché du carbone formel pour la culture de l’algue, des industriels comme Canopy Blue, The Seaweed Company et Running Tide vendent d’ores et déjà des compensations carbone aux entreprises sur le marché volontaire.

Pourtant, leurs promesses ne tiennent pas. Premièrement, les algues ne capturent pas beaucoup de carbone. Une fois les calculs faits, il semble que les écosystèmes d’algues industrielles pourraient s’avérer être des émetteurs nets de CO2. Augmenter la superficie consacrée aux algues industrielles pourrait ainsi relâcher davantage de CO2 dans l’atmosphère, et non moins.

Deuxièmement, développer des monocultures marines et utiliser des intrants chimiques peuvent abîmer les écosystèmes existants, qui capturent naturellement le carbone et forment les moyens de subsistance des communautés locales. Parmi les risques des plantations d’algues : faire de l’ombre aux fonds marins, herbes marines et algues naturelles, altérer les courants océaniques, contaminer la diversité génétique et priver le plancton de ses nutriments vitaux, affectant ainsi les écosystèmes marins mais aussi les moyens de subsistance sur le littoral.

Enfin, les financiers du carbone se tournent vers les océans pour son immensité, et les voient comme une mine d’or inexploitée. Mais les océans ne sont pas vides. Les exploitations industrielles d’algues occuperaient une part considérable des littoraux mondiaux, privant par la même les communautés locales de leur droit à y vivre et y travailler.

Sur terre, l’expansion des monocultures détruit des forêts et ses habitants depuis des décennies. Si nous ne mettons pas un terme de toute urgence à cette supposée « révolution des algues », les plantations industrielles d’algues feront la même chose que sur terre, détruisant dans leur sillage les écosystèmes marins et exacerbant la marginalisation des communautés côtières.

Consultez ce lien pour en savoir plus : « Le mirage des algues : Les algues industrielles ne refroidiront pas le climat et abîment la nature » en anglais.

Encadré 5

Le processus Nyéléni, vers un forum mondial pour la souveraineté alimentaire en 2025

L’écho de nos alliés

Mariam Mayet, Centre Africain pour la Biodiversité, acbio.org.za

Les 10 et 11 juin 2023, j’ai représenté le Centre Africain pour la Biodiversité (ACB en anglais), dans le cadre du mouvement mondial pour la souveraineté alimentaire, lors d’une rencontre de militants de mouvements sociaux organisée par le Comité international de planification pour la souveraineté alimentaire à Rome en Italie.

Le but principal de ma participation était de contribuer à l’élaboration de nouvelles stratégies pour transformer le système mondial vers la justice économique, sociale, de genre, ethnique, climatique et environnementale, pour informer et participer à la création du Processus Nyéléni. Les discussions riches ont abondé sur la nécessité de répondre et de participer à des argumentaires mêlant les crises de la biodiversité, du changement climatique, de l’agriculture et des systèmes alimentaires, en particulier dans le Sud mondial, et renforcer les alternatives au capitalisme qui mène tout droit vers l’écocide.

Nous sommes revenus sur les conséquences de la pandémie de Covid-19, notamment le fait qu’elle a accéléré les processus de désintégration du projet capitaliste via : la hausse forte des inégalités dans le monde, la dégradation économique, la précarité et la vulnérabilité, l’autoritarisme et le fascisme, le racisme, les féminicides, les conflits et les soulèvements sociaux. Nous nous sommes engagés envers le Processus Nyéléni comme des acteurs incontournables dans le soutien de la résistance active contre l’extractivisme et le monopole capitaliste. Notre résistance s’appuiera sur une analyse et une réflexion critiques, et la déconstruction et la remise en cause des arguments industriels et faux sur la transformation.

Nous sommes conscients que le capitalisme, même s’il vit ses dernières années, se nourrit intensément de l’extraction et la dépossession (en cherchant constamment et avidement de nouveaux territoires à exploiter), en particulier en Afrique, continent riche en ressources biologiques et minérales. La rencontre de Rome constituait un point de départ important pour le Processus Nyéléni, perçu comme une occasion de renforcer et soutenir des espaces démocratiques et progressifs ancrés dans des organisations et réseaux démocratiques et reposant sur les masses, poussant pour une transformation systémique du système alimentaire mondial.

Sous les feux de la rampe

Sous les feux de la rampe 1

Mettons un terme à la promesse des « économies vertes »

Nous vivons à une époque où notre Terre Nourricière peine à accueillir la vie, en raison du capitalisme « financiarisé ». Un système où notre planète et toutes les formes de vie qu’elle abrite (sous terre, dans les forêts et les mers, mais aussi les soins et la santé dans nos foyers et nos communautés) deviennent des biens de consommation pour enrichir les grandes entreprises et le secteur financier. Cette logique s’invite dans les trois conventions dites « de Rio » des Nations Unies[1], élaborées pour mettre un terme à la menace existentielle qui plane sur l’humanité, à savoir le changement climatique, la perte de biodiversité et la désertification.

Les mouvements pour la justice climatique exigent depuis longtemps que les principaux responsables de la crise climatique (les pays historiquement industrialisés et leurs classes les plus aisées) apportent les ressources nécessaires pour aider à la résoudre. La finance est l’un des aspects majeurs des revendications concernant la dette climatique et les dédommagements. Pourtant, alors que les recherches concluent que des billions seraient nécessaires pour le financement de l’action climatique, 100 milliards de dollars américains de finance réelle, publique et démocratique n’ont même pas été atteints. Au lieu de cela, la finance privée néfaste occupe le terrain, armée d’un éventail de nouveaux instruments financiers déconcertants, tels que les paiements pour les services rendus par les écosystèmes, les banques de carbone, les crédits carbone, les compensations basées sur la nature et la conversion de dettes en mesures en faveur de la nature. Certaines banques espèrent que le marché volontaire du carbone, où les acteurs de la finance achètent, vendent, échangent et spéculent sur le carbone, atteindra 1 billion de dollars d’ici 2027, générant des superprofits pour les investisseurs.

En parallèle, le nouveau cadre mondial pour la biodiversité a appelé à mobiliser 200 milliards de dollars américains pour le financement de la biodiversité d’ici 2030 et certains appellent à des marchés de compensation de la biodiversité. À l’instar de la finance climatique existante basée sur le marché, ceux-ci seront définis par le financement mixte où les fonds publics servent à réduire les risques des investissements (et garantir des revenus « adaptés » pour les acteurs privés de la finance). De nouveaux mécanismes comme la conversion de dettes en mesures en faveur de la nature permettent aux États de vendre efficacement leurs territoires protégés aux banques et au secteur de la conservation à grande échelle en échange d’une restructuration de leur dette. Ils sont qualifiés de mécanismes « innovants » mais la seule innovation est la quête de revenus supplémentaires au détriment d’une planète en péril à l’heure où les investissements dans le secteur de l’extraction sont remis en question, ou encore l’octroi d’un contrôle des investisseurs financiers privés sur encore plus de terres et de mers, sans contrôle démocratique. Des initiatives telles que l’engagement 30×30 de l’ONU, visant à conserver 30 % de la surface de la Terre d’ici 2030[2] sont mises en application de telle façon que les communautés sont spoliées et entraînent avec elles de nouvelles formes de revenus pour les grandes entreprises.

La normalisation et l’expansion de ces approches, perçues par beaucoup comme bénéfiques, représentent de grands dangers pour les populations et la planète.

  • En effet, le secteur financier cherche, avant tout, des retours sur investissement. Par conséquent, des communautés locales sont souvent évincées de leurs terres, zones de pêche et territoires, pour les accaparer et en faire des projets carbone et de conservation lucratifs. Parfois, les pratiques traditionnelles des populations locales qui stockent le carbone et protègent la biodiversité sont monétisées, et la majorité des revenus engendrés terminent dans les poches des investisseurs. Le recours à la violence est souvent de mise pour ces spoliations : des milices privées de conservation ou la police et les armées nationales qui prennent le parti des bénéficiaires au sein des grandes entreprises.
  • Cette violence renforce le pouvoir et l’emprise de ces mêmes acteurs qui sont responsables de la destruction de la planète et des violations des droits humains, par le biais de leurs investissements considérables et continus dans l’extraction, l’agrobusiness et les énergies fossiles. L’idée circule que les profits pour ces grandes entreprises peuvent perdurer tandis qu’ils prétendent « sauver » la planète. Mais la crise du contrôle des grandes entreprises, de l’extraction, des profits et de la surconsommation à l’origine des crises ne cesse pas pour autant.
  • En orientant l’argumentation vers des « économies vertes », ils détournent l’attention des réglementations contraignantes et des changements politiques que nous défendons, nécessaires pour mettre fin au chaos climatique et à l’effondrement de la biodiversité. Cet argumentaire dépolitise les sujets d’accès et de contrôle démocratiques des terres, de l’eau, des ressources et des territoires en promettant « trois gagnants » (les personnes, la planète, les profits), ce qui nous détourne de questions essentielles, qui en paye le prix et qui récolte les bénéfices de ces interventions ?

Nous devons empêcher l’émergence de ce nouveau complexe financier-entreprises-écologie. Les peuples qui dépendent de ces terres et territoires et y vivent en harmonie, les communautés du Sud mondial et les travailleurs et travailleuses du monde entier subissent les conséquences de notre système actuel capitaliste et néolibéral destructeur. Pour y mettre un terme, ils doivent disposer d’influence et de contrôle sur la transition. De façon concrète, nous devons exiger la fin de la dette, le respect des promesses en matière de financement public de l’action climatique et pour la biodiversité, le plein respect des droits des paysans, des communautés indigènes et autres communautés affectées, ainsi que des indemnisations par des voies populaires et démocratiques.

Sous les feux de la rampe 2

Remettre en question la « finance bleue »

Au cours de la dernière décennie, les stratégies internationales pour la conservation des océans ont considérablement changé. De plus en plus, les projets de conservation reposent sur la levée de fonds grâce aux marchés financiers et sont ainsi prévus pour garantir des bénéfices aux investisseurs. Beaucoup parlent alors de « finance bleue ». Le soutien international grandit, et est perçu comme un moyen indispensable de combler des lacunes financières imaginaires pour préserver la biodiversité marine. Ce qui peut être considéré comme la financiarisation de la conservation a donné naissance à des « instruments financiers innovants » comme les obligations bleues et la conversion de dettes en mesures en faveur de l’océan.

Les obligations bleues découlent d’une série précédente d’obligations « vertes » ou « sociales ». Le raisonnement de base consiste à lever des capitaux sur le marché international des obligations mais en partant du principe que l’argent servira des objectifs verts et/ou à visée sociale. Une question majeure subsiste, qui définit ce qui est vert et social et qui s’assure que l’argent a effectivement servi des causes vertes et sociales ? Ces questions sont sujettes à polémique. En 2018, la Banque mondiale a aidé le gouvernement des Seychelles à produire la première obligation bleue au monde. Elle était présentée comme une obligation prévue pour soutenir la conservation de l’océan et le développement de l’économie bleue. Dans les faits, c’est l’exemple de ce que l’on appelle le « financement mixte » où les fonds publics (l’aide au développement, par exemple) servent à faciliter les investissements du secteur privé.

L’idée derrière une conversion de la dette implique un bailleur de fonds (l’organisation qui prête l’argent au gouvernement d’un pays en développement) qui ne récupère pas une partie des fonds prêtés. Les économies réalisées par le pays en développement sont ensuite réallouées à la conservation. Le principe semble clair. Néanmoins, les mécanismes impliqués peuvent être très complexes, et chaque conversion de la dette en mesures en faveur de la nature est unique dans sa structure.

La finance bleue est encore à ses balbutiements. Pourtant, les organisations de conservation aux États-Unis, emmenées par The Nature Conservancy ont participé au financement à hauteur de plus de 2,5 milliards de dollars pour la conversion de dettes en mesures en faveur de l’océan dans 5 pays seulement. Une obligation bleue est également l’objectif pour l’initiative des Nations Unies pour un grand mur bleu (« Great Blue Wall Initiative » en anglais).

Malgré le soutien international pour la finance bleue, si elle est en adéquation avec les ambitions mondiales pour l’objectif de biodiversité 30×30, plusieurs raisons expliquent pourquoi les obligations bleues et les conversions de dette menacent les petits producteurs alimentaires. Il peut s’agir de transactions financières opaques qui manipulent les dettes des pays du Sud, entraînant un transfert de richesses et de pouvoirs vers les organisations de conservation américaines qui ne rendent pas de comptes, et qui collaborent désormais étroitement avec des entreprises d’investissement et le secteur bancaire. Elles renforcent davantage l’idée dangereuse que la protection de la nature doit engendrer des revenus infinis pour le secteur privé.

Un manque de financement n’est pas à l’origine de la crise climatique et de biodiversité. Il s’agit de crises d’abondance et de course au profit à court terme, qui sont des problèmes existentiels causés par des marchés financiers mondiaux mal réglementés. Aussi, les solutions pérennes qui mettent en avant la promotion des moyens de subsistance et la souveraineté alimentaire doivent venir d’un changement politique et culturel, et non de la manipulation de la dette.

Pour en savoir plus sur la finance bleue, consultez ici.


[1] I. Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques II. Convention sur la diversité biologique III. Convention sur la lutte contre la désertification.

[2] Un exemple ici.

Bulletin n° 56 – Éditorial

Remettre en question le financement derrière l’accaparement vert et bleu

Illustration : Luisa Rivera, www.luisarivera.cl

Mobiliser des sommes importantes dans la finance privée, pour compenser les finances publiques insuffisantes, devient progressivement un nouvel objectif dans les débats sur le financement du climat et de la biodiversité. Mais cette tendance implique la mercantilisation et la monétisation de la nature à des niveaux hauts alarmants, entraînant de nouveaux accaparements territoriaux et des atteintes à la justice environnementale. Les mécanismes de « l’économie verte » comme les crédits carbone et les marchés de compensation de la biodiversité ainsi que les conversions de dettes en mesures en faveur de la nature ne sont pas seulement erronés, ils sont également dangereux.

Ce bulletin décrit quelques-uns des nombreux projets, aussi variés que déconcertants, qui monétisent les océans, les sols, les algues et les forêts. Une critique majeure porte sur ces approches qui privilégient les gains plutôt qu’une véritable gestion de l’environnement, et des profits pour les investisseurs souvent au détriment des communautés locales. Ces mécanismes provoquent souvent la spoliation des populations autochtones et des petits producteurs, évincés de leurs terres et mers pour y installer à la place des projets de conservation lucratifs. Les avantages annoncés de ces mécanismes financiers atteignent rarement ceux et celles qui en subissent les impacts.

Les témoignages présentés illustrent clairement que les mouvements de peuples autochtones, de pêcheurs et d’agriculteurs répliquent, au sein des différentes plateformes de l’ONU et de leurs propres territoires. Nos mouvements réclament des fonds publics pour le climat et la biodiversité, l’annulation de la dette, des indemnisations, le respect des droits et des savoirs des peuples autochtones et d’autres communautés, une véritable responsabilité et la régulation des grandes entreprises qui profitent depuis longtemps de l’exploitation de l’environnement.

Nous savons que les masques sont tombés, révélant au grand jour les défauts de l’idéologie néolibérale illusoire. Aussi devons-nous combattre ensemble sa prolifération dans la nature et sur nos territoires.

Amis de la Terre International, ETC Group, Transnational Institute

L’écho des campagnes

L’écho des campagnes

Le couloir afroalimentaire dans le Nord du Cauca, Colombie

Julio Cesar Rodriguez Castrillon, Corporación Colombia Joven, Nord du Cauca, Villa Rica Cauca

Le couloir afroalimentaire est une initiative sociale communautaire issue de l’articulation de plusieurs organisations, avec l’objectif de promouvoir et renforcer une dynamique d’organisation alternative pour atteindre la souveraineté alimentaire et le bon respect du droit humain à l’alimentation. Ce rêve me remplit d’espoir, car ces actions permettent de rendre leur dignité aux agriculteurs et agricultrices, et cela participe à donner visibilité et reconnaissance au travail des paysans afro du Nord du Cauca, qui fait partie intégrante du développement des communautés rurales. Je suis convaincu que le Nord du Cauca doit rediriger son modèle de développement actuel, basé sur les monocultures comme la canne à sucre utilisée dans les boissons ultra-transformées, vers le renforcement et la conservation des exploitations traditionnelles et éconatives, vers la conservation des semences créoles et natives, la préservation de l’économie solidaire et la création de circuits courts de commercialisation. Le marché afroalimentaire doit représenter une des meilleures stratégies pour que les agriculteurs et agricultrices, sans recourir à des intermédiaires, vendent leurs produits à prix juste, et en parallèle les communautés bénéficient d’une alimentation saine faite de véritables aliments et selon les traditions culinaires afrocolombiennes. Selon moi, le travail des organisations sociales est essentiel pour que ce défi de vie soit également perçu comme une stratégie pour apporter une solution au plan d’éradication de la faim du gouvernement national, permettant ainsi de revendiquer les espaces opportuns grâce à des plans de développement municipaux et départementaux.

Le processus Nyéléni : vers un forum mondial pour la souveraineté alimentaire en 2025

L’écho de nos alliés

Stefano De Angelis, Fédération Syndicale Mondiale (FSM), www.wftucentral.org

En 2016, la FSM a participé au processus Nyéléni européen. Nous pensons que les thèmes importants de l’alimentation et la nutrition doivent inclure les travailleurs qui sont souvent directement impliqués dans la récolte et la transformation des produits agricoles.

Le syndical traite également au quotidien avec un grand nombre de travailleurs qui achètent des aliments à bas coût en raison de leurs salaires peu élevés, sans connaître les conséquences pour eux et pour les petits producteurs. Cela illustre le besoin fondamental pour une plus grande implication et un partage des connaissances avec les travailleurs (et les associations de consommateurs) sur les questions de la production de bons aliments et de respect de la nature.

La lutte pour la souveraineté alimentaire doit être articulée avec un front uni, avec une coordination entre les agriculteurs, les travailleurs et les consommateurs. C’est indispensable pour surmonter rapidement les particularités de chaque lutte qui nous séparent et nous affaiblissent face à un ennemi bien plus fort.

Au niveau européen, le développement du mouvement pour la souveraineté alimentaire doit passer d’un angle plus académique et de recherche à la construction d’une plateforme pour les revendications (des revendications qui peuvent être présentées aux niveaux européen et régional). Cela étant dit, nous sommes conscients qu’une telle plateforme requiert beaucoup de coordination et de ressources.

Les progrès dans le domaine des droits sont généralement obtenus par des combats locaux et un travail de plaidoyer directement auprès des décideurs. C’est pourquoi il pourrait être utile d’organiser plus d’assemblées, des initiatives et actions de rue sur les sujets de discorde comme la répartition injuste des subventions, les dangers des nouveaux OGM, les coûts élevés auxquels sont confrontés les petits producteurs, etc. Sur ces sujets, solliciter les syndicats peut s’avérer très utile.

Encadres

Encadré 1

Que sont les produits « alimentaires » ultra-transformés ?

Les « aliments » ultra-transformés, ou plutôt faudrait-il parler de « produits comestibles » ultra-transformés ou plus communément « malbouffe » sont des formules industrielles élaborées à partir de substances dérivées d’aliments et additifs naturels qui rendent ces produits plus attrayants et repoussent leur date de péremption. Ils sont souvent riches en sucres libres, amidons raffinés, gras trans ou saturés et sodium. La quantité excessive de ces ingrédients qualifiés d’« essentiels » associée à un apport nutritionnel relativement faible (« calories vides ») et l’ajout d’additifs comme les colorants, les émulsifiants et les exhausteurs de goût rendent ces produits néfastes pour notre santé.  De plus, les caractéristiques sensorielles présentées par ces produits (qui peuvent aller jusqu’à créer une addiction) et leur faible pouvoir de satiété (en raison de la suppression des fibres), le tout dans un emballage coloré et promu avec un marketing agressif provoque une surconsommation de ces produits, et un déplacement consécutif des vrais aliments dans nos régimes alimentaires.  

Le système de classification NOVA a été élaboré pour regrouper différents aliments et aider à distinguer les produits comestibles ultra-transformés des vrais aliments, même les aliments transformés.

Groupe 1 — Aliments non transformés ou faiblement transformés : Il s’agit des aliments naturels comme les fruits, les légumes, les légumineuses, les céréales, les noix, le lait et la viande qui n’ont pas été modifiés ou faiblement modifiés par l’épluchage, la découpe, le concassage, le séchage, la congélation, la cuisson, la pasteurisation ou la fermentation sans alcool. Aucun sel, sucre, huile ou autre additif n’est ajouté.

Groupe 2 — Ingrédients culinaires transformés : Obtenues directement à partir des aliments du groupe 1 ou de la nature, ce sont les substances utilisées pour cuisiner ou assaisonner les plats. Elles incluent le sucre, le sel, les huiles et les graisses. 

Groupe 3 — Aliments transformés : Ce sont les produits alimentaires élaborés en ajoutant les ingrédients culinaires (du groupe 2) aux aliments naturels ou faiblement transformés (du groupe 1) dans le but de les rendre plus durables et agréables. Parmi ces produits se trouvent les fromages frais, les pains frais, les légumes et légumineuses en bouteille ou en conserve (dans de l’eau salée ou de la marinade).

Groupe 4 — Aliments ultra-transformés : Ce groupe comprend des formules industrielles de substances comestibles dérivées d’aliments peu coûteux du groupe 1 et d’autres substances organiques. Il s’agit d’ingrédients que l’on ne trouverait pas dans une cuisine classique (en d’autres termes, des ingrédients purement industriels) comme les isolats de protéine, les additifs cosmétiques comme les colorants et les arômes qui rendent l’aspect et le goût du produit plus attrayants. Ces produits passent par plusieurs étapes de transformation impliquant plusieurs industries, d’où le qualificatif « ultra-transformé ». Par exemple : les chips en sachet et autres en-cas sucrés ou salés, les chocolats, les glaces, les bonbons, les boissons édulcorées, les céréales sucrées et aromatisées pour le petit-déjeuner, les soupes instantanées, les pâtes et plats à base de viande préparés.

Références :  Programme mondial pour la recherche alimentaire, 2023. Ultra-processed foods: a global threat to public health.

Monteiro et al. 2019. Ultra-processed foods: What they are and how to identify them, dans Public Health Nutrition: 22(5), 936-941.

Encadré 2

Approvisionnement direct auprès de petits producteurs alimentaires pour les programmes d’aide alimentaire aux États-Unis

Depuis quelques années, aux États-Unis, des programmes se sont multipliés pour mettre en lien des exploitations locales avec des partenaires d’aide alimentaire comme les banques alimentaires, les points de distribution solidaires et les efforts locaux de la base pour lutter contre la faim. Ces initiatives, sous l’acronyme F2FA (Farm to Food Assistance), présentent une stratégie prometteuse pour aider 44 millions d’Américains à sortir de l’insécurité alimentaire grâce à de vrais aliments plutôt qu’avec des UPP. Elles participent également à redynamiser les économies alimentaires locales et régionales, qui sont au cœur de systèmes alimentaires équitables et reposant sur la communauté. Une étude nationale[1] réalisée en 2022 par Wallace Center sur la Farm to Food Assistance démontre l’impact positif de ces programmes sur les agriculteurs et les communautés.

Même si F2FA ne remet pas totalement en question la nécessité de repenser les actions de lutte contre la faim et d’éradication de la pauvreté aux États-Unis, ces efforts sont transitionnels et bousculent le monopole des grandes entreprises sur les systèmes alimentaires industriels grâce à la redistribution de fonds publics. Par exemple, le Programme d’Accords Coopératifs « Local Food Purchase Assistance » (LFPA) du ministère américain de l’Agriculture encourage des partenariats entre les agences étatiques, les gouvernements indigènes, les banques alimentaires, les points de distribution solidaires et les agriculteurs pour fournir et distribuer des aliments, qui bénéficient aux producteurs locaux socialement défavorisés et les communautés marginalisées, avec un budget de 900 millions de dollars.

Les États de l’Iowa et du Nouveau Mexique[2] font figure d’exemples au sein du programme LFPA, en adoptant des approches très collaboratives, stratégiques et visant l’égalité. Au cours de la première année, ces États ont généré plus de 4 millions de dollars de ventes supplémentaires pour les agriculteurs, leur permettant ainsi de fournir des aliments nutritifs aux communautés dans le besoin.

Encadré 3

Les protéines synthétiques

Les protéines synthétiques présentent une menace directe à la souveraineté alimentaire. Ce nouveau marché sert à protéger les intérêts financiers des grandes entreprises et asseoir davantage la concentration du pouvoir, tandis que ces aliments ultra-transformés et souvent génétiquement modifiés ont d’immenses conséquences économiques, sociales, environnementales et culturelles. L’argent public ne doit pas être alloué à cette technologie. Au contraire, les dirigeants politiques doivent soutenir le secteur agricole, pour garantir un grand nombre d’exploitants des terres. Les institutions de l’UE doivent assurer une évaluation complète et indépendante des potentielles conséquences néfastes des protéines synthétiques avant de les autoriser à intégrer nos assiettes.

Découvrez quels sont les enjeux pour les agriculteurs et les citoyens dans la vidéo d’ECVC sur les protéines synthétiques et la fiche descriptive correspondante :

Vidéo, fiche descriptive et liens vers les deux supports disponibles sur le site en anglais d’ECVC.

Encadré 4

Loi sur le gaspillage alimentaire et droit à l’alimentation en Espagne

De nos jours, se trouver en situation d’exclusion sociale provoque une entrave à la capacité de choix, y compris dans les habitudes alimentaires. La population de manière générale est conditionnée par des facteurs multiples, mais les personnes en situation de pauvreté vivent au quotidien l’absence de la perspective des droits dans l’accès à l’alimentation. Un droit de base comme celui à l’alimentation est rattaché à de nombreuses conditions, des conditions nécessaires pour accéder à un panier de produits considérés comme « basiques » qui, loin de remplir les estomacs, ne fait que continuer à alimenter les intérêts des multinationales ainsi qu’un système alimentaire inégal qui donne la priorité au marché et plutôt qu’aux besoins et de droits de toutes les personnes.

Un autre exemple de tout cela : en Espagne, une loi sur le gaspillage alimentaire est examinée, elle rendra officiel le lien entre les personnes défavorisées et les restes alimentaires. Cette loi prévoit que tout surplus alimentaire soit consommé de façon prioritaire par des personnes en situation de vulnérabilité. Il s’agirait d’une bonne nouvelle s’ils intégraient une différenciation entre les produits selon leur valeur nutritionnelle et mettaient en avant la santé de ces personnes. Mais au lieu de cela, la priorité est mise sur la résolution du problème du gaspillage alimentaire des grandes entreprises, sans véritablement le réduire. Ce projet place les personnes défavorisées comme objets et limite toute possibilité de choix dans leur alimentation.

De plus, dans cette nouvelle formule soutenue par des fonds publics, l’aide ne sera pas gérée par des entités publiques mais par la Croix Rouge, une entité privée. C’est la concrétisation de la privatisation de l’aide sociale, du moins pour le volet alimentaire. L’aide sera gérée via des cartes numériques pour acheter dans de grands supermarchés, ces achats seront limités à certains produits désignés par la grande surface lorsqu’ils seront considérés par celle-ci comme « déchets ».

En parallèle, des initiatives sont déjà en place, organisées par la population pour aider en fournissant des aliments sains et agroécologiques aux plus vulnérables. Avec la perspective d’Alimentación Sostenida por la Comunidad, les producteurs et les consommateurs organisent des groupes de soutien pour assurer une alimentation saine pour les personnes en situation de pauvreté. Cette initiative donne de l’espoir mais elle attriste aussi car une fois de plus, un droit basique comme celui à l’alimentation ne sera pas soutenu par les institutions prenant leurs responsabilités.

Encadré 5

Défis de l’alimentation : lutte contre le régime alimentaire industriel en Amérique latine

Au cours des dernières décennies, nous avons été témoins de la consolidation d’un système alimentaire qui perpétue la pauvreté et les inégalités, favorise les intérêts économiques des grandes industries et affaiblit les écosystèmes et qui, loin de favoriser une alimentation réelle, a entraîné la diminution de la biodiversité et l’hégémonie du régime alimentaire industriel. Ce régime, basé sur la consommation de produits comestibles et buvables ultra-transformés (PCBU en espagnol) a entraîné une hausse préoccupante des cas de surpoids, obésité et maladies non transmissibles (MNT). D’après des chiffres récents, depuis 1975 les cas d’obésité ont été quasiment multipliés par trois et sont désormais responsables de 4 millions de décès par an au niveau mondial. Dans la région des Amériques, les MNT causent 5,5 millions de décès par an, soit 80 % de tous les décès. Chaque année, dans la région, 2,2 millions de personnes de 30 à 69 ans meurent prématurément en raison de ces maladies.

Dans ce contexte, où l’application du Droit Humain à l’Alimentation et la Nutrition Adéquate (DHANA) et la Souveraineté Alimentaire (SOBAL en espagnol) a été considérablement entravée, la société civile a pris la tête de luttes afin de réguler l’immense disponibilité des PCBU et leur part excessive dans la consommation, responsable d’un changement dans les schémas d’alimentation traditionnelle faite de véritables aliments, peu transformés ou préparés à la maison. La lutte pour une régulation de cette industrie inclut un étiquetage d’avertissement clair sur les contenus mauvais pour la santé et la mise en place d’un impôt sur les PCBU ; des avancées normatives recommandées par des entités comme l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) et l’Organisation Panaméricaine de la Santé (OPS). Néanmoins, ces initiatives se heurtent à une ingérence forte des géants de l’industrie alimentaire, qui cherchent coûte que coûte à protéger leurs intérêts commerciaux. Résultat, ils déforment ou bloquent souvent des mesures de régulation visant à protéger la santé publique ou promouvoir une alimentation adéquate. Le combat pour un système alimentaire plus juste et plus sain se retrouve donc pris dans la lutte entre les efforts de la société civile et les intérêts commerciaux qui perpétuent un modèle non durable et mauvais pour la santé humaine et pour la planète.

Pour en savoir plus sur les combats contre le régime alimentaire industriel en Amérique latine, vous pouvez consulter :

Alliance pour la santé alimentaire (Mexique), FIAN Colombie, Projet Squatters et Collectif Duda (Argentine).

Encadré 6

Lutter contre la diffusion des produits « alimentaires » ultra-transformés (UPF)/La malbouffe en Inde

L’Inde est connue comme la capitale du diabète dans le monde : 1 adulte sur 4 est diabétique ou prédiabétique et 1/4 est obèse. La consommation de malbouffe croît rapidement, rendant les régimes alimentaires peu sains et participant à cette épidémie. Même si le gouvernement indien a mis en place des réglementations sur la publicité et l’étiquetage pour lutter contre le marketing agressif de ces produits, ces réglementations sont faites de façon à être inefficaces. Dans ce contexte, le Nutrition Advocacy in Public Interest (NAPi), un groupe de réflexion indépendant centré sur la santé publique, a analysé des publicités et interpellé les célébrités qui y apparaissaient. NAPi a regroupé toutes les preuves scientifiques et les a publiées dans toute l’Inde. En 2022, le gouvernement indien a proposé un projet de loi pour une notation par étoiles sur le devant des emballages de malbouffe qui indique que les aliments préemballés allaient de « moins sains » au « plus sain ». La population indienne a réagi en envoyant des lettres par milliers, réclamant des étiquettes d’avertissement sur les emballages plutôt que les étoiles.  Ce système permet aux personnes d’identifier facilement les produits alimentaires non sains en raison de leur forte teneur en sucre/sel ou graisses. NAPi a aussi mobilisé plusieurs organisations de la société civile ou d’académiques pour publier leur prise de position, réclamant une étiquette d’avertissement sur l’emballage des aliments à forte teneur en sucre/sel ou graisses. Les médias ont pleinement soutenu ce travail. Des groupes de la société civile ont également effectué des signalements auprès des autorités de protection des consommateurs. Appelant à une politique complète, NAPi a lancé le rapport “The Junk Push” en 2023, qui dénonce avec quelle force la publicité promeut la malbouffe. Des experts ont publié des articles d’opinion dans des quotidiens et des analyses dans des journaux vérifiés par des pairs.

#EndTheJunkPush, pour en savoir plus : https://www.napiindia.in/


[1] https://foodsystemsleadershipnetwork.org/wp-content/uploads/2023/12/2023-Wallace-Center-F2FA-Infographic_Final.pdf

[2] https://foodsystemsleadershipnetwork.org/wp-content/uploads/2024/03/Iowa-LFPA-Spotlight.pdf et https://foodsystemsleadershipnetwork.org/wp-content/uploads/2024/03/New-Mexico-LFPA-Spotlight.pdf

Sous les feux de la rampe

Sous les feux de la rampe 1

Comment les produits comestibles ultra-transformés s’imposent et comment retrouver des choix sur ce que nous mangeons

L’omniprésence des UPP dans notre alimentation n’est pas le résultat de choix individuels, comme l’industrie alimentaire aimerait nous le faire croire. Nous sommes contraints de vouloir ces produits. Les UPP sont des formules industrielles élaborées pour être très agréables à consommer (savoureuses), voire addictives, surtout si elles sont consommées dès le plus jeune âge. L’industrie alimentaire investit des milliards dans le marketing et les ventes, en ayant recours à des dessins animés ou des célébrités, en offrant des produits, et en plaçant les produits de façon stratégique dans les magasins. Les gérants de petites boutiques reçoivent des réfrigérateurs et des chariots de marque, tandis que la restauration scolaire et les programmes d’aide publique constituent des marchés lucratifs supplémentaires.

De nombreuses recherches prouvent que les UPP nuisent à notre santé et sont une cause majeure de décès prématurés.[1] Ils entraînent un risque accru d’obésité et autres maladies non transmissibles (MNT), comme les maladies cardiovasculaires (cardiaques), le diabète, le cancer et exacerbent aussi la vulnérabilité aux maladies infectieuses. Bien que ce lien soit reconnu par les autorités sanitaires internationales et régionales, il est vivement contesté par l’industrie alimentaire, qui investit massivement dans des recherches et des campagnes dans les médias pour minimiser les effets négatifs de son produit le plus rentable.

Les inégalités sociales sont un important facteur encourageant la consommation des UPP vecteurs de MNT. Dans les pays à haut revenu et dans les zones urbaines principalement, ces produits sont souvent plus accessibles, tant concrètement que financièrement, que les aliments frais et faiblement transformés. L’une des explications est que leur prix ne reflète pas le véritable coût de production. Même si l’industrie des UPP nous renvoie « l’illusion de la diversité » dans ses produits, ces derniers reposent surtout sur quelques cultures peu onéreuses à rendement fort : le maïs, le blé, le soja, le sucre et l’huile (de palme). La production en monoculture et les chaînes d’approvisionnement mondiales qui y sont associées ont de forts impacts environnementaux, dont le coût n’est pas reflété. Parmi ces impacts : la déforestation, la pollution des eaux, de l’air et des sols aux produits agrotoxiques, l’utilisation excessive d’eau, la perte de biodiversité, les émissions de CO2 dues à la production, au transport et à l’emballage et les déchets plastiques.

S’ajoutent à cela des coûts sociaux : le déplacement de populations rurales (et des méthodes alternatives de produire et échanger), une dépendance et une faible rémunération aux producteurs d’aliments, ainsi que des conditions de travail et des salaires relevant de l’exploitation dans toute la chaîne de l’industrie alimentaire. La production et la distribution à très grande échelle associées aux recettes fiscales pour les entreprises ajoutent encore au bas coût superficiel des UPP.  

Pour récupérer le contrôle sur ce que nous mangeons et disposer d’un vrai choix, nous devons réduire le pouvoir des grandes entreprises sur tout le système alimentaire. Des mesures de réglementation sur les UPP, comme des étiquettes d’avertissement et des régulations du marketing sont requises de toute urgence et constituent des impératifs de santé publique. En parallèle, nous devons également travailler à des alternatives viables. Plus de diversité dans nos assiettes requiert de la diversité dans nos champs, et des aliments de qualité requièrent des sols sains. Pour cela, nous avons besoin de politiques publiques pour une transition vers l’agroécologie, et de soutien aux marchés d’agriculteurs, aux coopératives et autres systèmes de distribution et d’échange basés sur la proximité et la solidarité. De plus, nous devons résoudre les inégalités structurelles qui entravent l’accès aux véritables aliments, notamment en garantissant des salaires et des revenus décents.

Sous les feux de la rampe 2

En Afrique, les UPF représentent d’immenses menaces pour les systèmes alimentaires et les transitions agroécologiques justes

Les systèmes alimentaires changent rapidement en Afrique, à l’image de la tendance mondiale d’une consommation accrue d’aliments ultra-transformés (UPF en anglais). Ce phénomène est visible dans les zones urbaines et rurales, il apparaît dans les zones urbaines côtières et s’étend vers les régions enclavées. La consommation d’aliments dans les zones urbaines repose principalement sur les achats, majoritairement d’aliments ultra-transformés. Dans les zones rurales, moins de la moitié des aliments proviennent du commerce et la plupart de ceux-ci sont encore très peu transformés.  Les importations d’UPF connaissent également une hausse rapide, par exemple les importations de boissons non alcoolisées vers la Communauté de développement de l’Afrique australe ont bondi de 1 200 % entre 1995 et 2010, et les aliments type « en-cas » ont augmenté de 750 %. 

La hausse de la consommation d’UPF en Afrique est liée à un contexte socio-économique et politico-économique changeant ainsi qu’aux inégalités structurelles qui contribuent à rendre les UPF plus accessibles, abordables et attractifs à la fois dans les zones urbaines et rurales. La privatisation des organismes parapublics liés à l’alimentation et la libéralisation des investissements directs étrangers (FDI en anglais) ont fortement participé à l’entrée des UPF en Afrique. Les investissements dans les UPF (brasseries, distilleries, boissons non alcoolisées et produits sucrés) représentent 22 % de tous les FDI dans le système alimentaire et le double des investissements dans les exploitations agricoles et les plantations.  Les UPF sont produits et vendus par des petites et moyennes entreprises et de très grandes entreprises, notamment des géants transnationaux de l’alimentaire comme Nestlé, Unilever et Danone. Les supermarchés se sont considérablement développés sur le continent, et les UPF remplissent les rayons. Ces produits sont également proposés par les vendeurs dans la rue et se trouvent aussi dans les magasins de proximité de tout le continent.

La hausse des UPF consommés en Afrique, en termes de quantité, de fréquence et de nombre de consommateurs s’accompagne inéluctablement d’un déplacement des aliments traditionnels sains et nutritifs, de la diversité alimentaire et agricole et des systèmes agricoles locaux. Ce phénomène est étroitement lié à la pandémie d’obésité qui sévit dans la région, et à d’autres maladies non transmissibles (MNT) liées à l’alimentation comme le diabète de type 2 et les cancers. La multiplication des nouveaux cas de surpoids et d’obésité est assortie de taux élevés constants de sous-nutrition et de carences en micronutriments.

Il existe des lacunes considérables dans les connaissances concernant les interactions entre les consommateurs et les systèmes alimentaires dans le discours actuel sur la souveraineté alimentaire. Même s’il présente des liens clairs avec le combat pour une transition juste des systèmes alimentaires vers l’agroécologie, le discours actuel est souvent orienté vers les zones rurales et assez peu pertinent pour les populations urbaines, les travailleurs agricoles, les travailleurs de l’industrie de l’alimentaire, et d’autres acteurs dans les villes et les campagnes. Ce discours doit être approfondi, et s’attaquer aux facteurs structurels qui entravent l’accès à des régimes alimentaires sains et perpétuent la pauvreté, les inégalités, la faim et la malnutrition dans un cercle infini sur le continent.

Pour en savoir davantage, consultez la fiche descriptive du African Centre for Biodiversity sur les UPF en Afrique.


[1]  Voir : Ultra-processed food exposure and adverse health outcomes: umbrella review of epidemiological meta-analyses.

Bulletin n° 55 – Éditorial

Les aliments ultra-transformés, un « régime alimentaire industriel »

Illustrations : Nikau Hindin, Obesity and Junk Food, 2009, @nikaugabrielle

Les 60 dernières années ont été accompagnées d’une hausse de la production et consommation « d’aliments » ultra-transformés, ou plutôt faudrait-il parler de produits comestibles ultra-transformés (UPP en anglais) tels que les chips en paquet, les gâteaux, les boissons édulcorées ou les plats préparés. Propulsés par l’expansion du système alimentaire industriel, notamment l’approvisionnement mondial et les lieux de vente, ainsi que la concentration et le pouvoir des grandes entreprises au sein de ce système, les UPP remplacent les aliments frais et faiblement transformés et les repas préparés à la maison dans nos régimes alimentaires.  Les schémas alimentaires sont de plus en plus homogénéisés et les traditions culinaires disparaissent. Ce changement est apparu dans les pays à haut revenu puis s’est étendu au reste des pays, et la part de ces produits dans certaines régions dépasse 50 % de l’alimentation humaine.[1] 

Cette édition de la newsletter Nyéléni s’intéresse à la manière dont « le régime alimentaire industriel » basé sur le UPP s’impose dans différentes régions du monde et aux implications pour la santé et la souveraineté alimentaire des personnes. Elle met en avant des exemples de résistance, du retour aux cultures traditionnelles au combat pour des mesures de régulation efficaces. Une chose est sûre, pour retrouver notre souveraineté sur nos assiettes, nous devons voir au-delà de ces assiettes et réformer le système alimentaire tout entier.

FIAN International et AFSA 


[1] Programme mondial pour la recherche alimentaire, 2023 – Ultra-processed foods: a global threat to public health et Alianza por la Salud Alimentaria, 2022 – Planeta Ultraprocesado:Los riesgos para la salud y el medio ambiento de los productos ultraprocesados.

L’écho des campagnes

L’écho des campagnes 1

IPEF: Négociations secrètes sur l’avenir de l’économie indo-pacifique

Alors que les accords commerciaux internationaux continuent d’évoluer, le cadre économique indo-pacifique (IPEF) est en cours de négociation entre plusieurs pays de la région Asie-Pacifique. Sous la houlette des États-Unis, ses membres sont l’Australie, le Brunei Darussalam, les Fidji, l’Inde, l’Indonésie, le Japon, la République de Corée, la Malaisie, la Nouvelle-Zélande, les Philippines, Singapour, la Thaïlande et le Viêt Nam. Malgré ses prétentions à la coopération économique transrégionale, ses détracteurs affirment que l’IPEF est conçu pour promouvoir les intérêts des entreprises américaines et leur permettre d’influencer la réglementation nationale dans des secteurs critiques tels que l’agriculture, le travail, l’environnement, l’industrie manufacturière, les services et la technologie numérique. L’un des principaux points de discorde concernant l’IPEF (comme d’autres accords de commerce et d’investissement) est le caractère secret des négociations, qui exclut tout contrôle public et démocratique, ainsi que tout mécanisme de vérification et d’équilibrage.

Joseph Purugganan, de Focus on the Global South, a résumé les préoccupations de la société civile en déclarant[1]“Le consensus était évident : L’IPEF, bien qu’il soit présenté comme un nouveau modèle de commerce, semble être fortement orienté vers les méga-corporations et les géants de la technologie. Le manque de transparence dans ses négociations et la hâte avec laquelle il a été finalisé, aggravés par le bras de fer géopolitique entre les États-Unis et la Chine dans la région Asie-Pacifique, sont autant de signaux d’alarme. Les gouvernements sont invités à réfléchir attentivement, à placer le bien-être de leurs citoyens au-dessus des bénéfices des entreprises et à s’assurer que l’IPEF, par essence, s’aligne sur les aspirations et les droits de ces citoyens.”

L’écho des campagnes 2

Exclusion et discrimination au Forum Mondial de l’Alimentation de la FAO

Melissa Gómez Gil, MAELA, Colombie

Le Forum Mondial de l’Alimentation de la FAO a mis en évidence l’exclusion et la discrimination des populations et des communautés historiquement marginalisées, telles que les jeunes, les femmes et les communautés rurales. Là-bas, des espaces de dialogue et de partage d’expériences ont été créés, mais sans les outils et les mécanismes d’interprétation. Les conditions d’hébergement et de nourriture n’étaient pas adéquates pour les personnes qui sortions de nos territoires, peut-être pour la première fois, pour aller dans un pays où la valeur de la monnaie nationale est multiplié par trois.

Nous avons senti que notre droit à l’alimentation a été violé en nous offrant leurs miettes parce qu’ils pensent que nous sommes habitués à un système violent d’inégalité sociale et que cela reproduit clairement l’état d’inégalité dans lequel nous vivons dans nos territoires et la xénophobie qui est vécue dans les pays du « premier monde ». Peut-être que l’expérience pour certains a été intéressante pour le simple fait d’être à Rome ou d’être au siège principal de la FAO, mais la vérité est que pour les jeunes du mouvement social cette expérience fut traumatisante et n’offrait pas les garanties ni conditions dignes pour participer.

L’écho des campagnes 3

Tsunami numérique :  Une technologie qui n’est pas discutée avec les populations crée de l’exclusion et de la dépendance

Les témoignages suivants ont été recueillis au cours des deux années de discussion, entre diverses organisations paysannes, autochtones, communautaires locales et d’agriculteurs familiaux, sur la numérisation des systèmes alimentaires, à l’initiative du “Data Work Stream” inauguré par le Comité de la sécurité alimentaire mondiale (CSA) en 2021.

La numérisation dans l’agriculture et l’alimentation est perçue comme un moteur de profit, plus que comme une série d’outils et de processus qui peuvent faciliter le travail dans les champs et bénéficier à la majorité des agriculteurs non industriels. Les gens sont conscients que cette technologie n’a pas été développée par les peuples pour les peuples, mais qu’elle provient du monde des affaires et qu’elle a l’intention de créer une dépendance et une exclusion, tout comme d’autres innovations agricoles au cours de l’histoire.  -Déclaration de vision sur les données du Mécanisme de la société civile et des peuples autochtones (CSIPM)

 “Un agriculteur est désormais contraint de produire de la nourriture d’une manière différente, qui n’est ni conventionnelle ni traditionnelle, mais qui dépend de la technologie.” Moayyad Bsharad, région LVC-MENA, travailleur de la terre.

 La sélection de certaines données et l’ignorance d’autres données sont parfois utilisées pour justifier un objectif politique ou lucratif. Un exemple d’objectif politique nous vient du territoire palestinien occupé de Gaza. – Déclaration de vision de la CSIPM sur les données

“En utilisant la collecte de données sur les systèmes alimentaires à Gaza et leur analyse par l’occupant qui détient le pouvoir, l’occupation israélienne a pu calculer une moyenne de calories par personne qui fait que les gens ne meurent pas de faim mais ne se sentent jamais bien nourris. Par cette militarisation de la nourriture basée sur des données calculées très précisément, l’occupation israélienne visait à exercer une pression directe sur la population de Gaza par le biais d’une forme de punition collective afin de la pousser à abandonner certains choix politiques qu’elle avait faits”. Mariam Mohammad, Coalition de la société civile libanaise / Réseau arabe pour la souveraineté alimentaire


[1] https://focusweb.org/press-release-indo-pacific-economic-framework-ipef-under-scrutiny-civil-society-raise-alarms-on-its-potential-consequences/

Encadres

Encadré 1

Digitalisation des systèmes alimentaires: les ‘Big Data’ (les données massives) ne nous nourriront pas

Lors de sa cinquante et unième session, le Comité de la sécurité alimentaire mondiale (CSA) a émis des recommandations pour la collecte de données sur la sécurité alimentaire. Depuis 2021, le Mécanisme de la Société Civile et des Peuples Autochtones (MSCPA/CSIPM) a insisté sur le fait que la collecte de données ne résoudra pas les problèmes historiques et structurels qui sont au cœur de la faim et de la malnutrition. Des aspects tels que la gouvernance de la numérisation, les conflits d’intérêts (étant donné que les principaux promoteurs de la “recollection des données” sont les techno-titans du monde), l’importance d’autres systèmes de connaissances, les impacts environnementaux des outils numériques et la nécessité d’évaluer la numérisation des systèmes alimentaires ont été portés à l’attention des négociations par le CSIPM. Voici les propos de Patti Naylor, membre de la National Family Farm Coalition et coordinatrice du groupe de travail sur les données de la CSIPM lors de la séance plénière du 24 octobre[1]:

Ces recommandations politiques sont insuffisantes dans de nombreux domaines. Les dangers pour la sécurité alimentaire future et l’environnement n’ont pas été abordés, pas plus que la surveillance et les violations de la vie privée ou le contrôle monopolistique des processus numériques qui permettent aux entreprises de contrôler le système alimentaire mondial. Le document insiste sur les “données” comme outil pour atteindre la sécurité alimentaire, alors que d’énormes quantités de données sont déjà collectées et ne conduisent pas aux politiques nécessaires. L’extraction de données rejoint l’exploitation du travail humain et l’extraction des ressources naturelles. Alors que la gravité des risques devient de plus en plus évidente, ces discussions autour des données et des technologies numériques doivent se poursuivre.

Encadré 2

Le financement pour le développement: une perspective systémique[2]

Les luttes pour la souveraineté alimentaire sont totalement liées aux règles qui régissent l’économie mondiale. Qu’il s’agisse de la façon dont la spéculation et l’instabilité financières affectent les prix des denrées alimentaires, des carburants et des engrais, de la façon dont l’endettement insoutenable et les accords commerciaux injustes, enracinés dans la dynamique coloniale, ont maintenu tant de pays dépendants des importations de denrées alimentaires et de l’exportation de produits de base, ou de la façon dont la déréglementation de la finance mondiale a poussé les agriculteurs et les communautés rurales à quitter leurs terres, celles-ci étant achetées par des acteurs financiers à la recherche d’investissements rentables.

C’est là que le processus de financement du développement des Nations Unies (FdD) intervient en tant qu’espace permettant de faire avancer les changements systémiques dont nous avons besoin de toute urgence. Le processus du FdD est unique, car il s’agit du seul espace démocratique dans lequel la gouvernance économique mondiale est abordée, alors que les questions du changement climatique, des inégalités et des droits de l’homme restent au cœur du processus.

Le Forum pour le développement trouve ses racines historiques dans le mécontentement actif des pays du Sud face aux failles structurelles de l’architecture financière internationale et aux inégalités qui la caractérisent.

L’élan s’appuie sur la coopération internationale pour faire face à de multiples crises. Au cours des derniers mois, le processus de FdD de l’ONU a repris de l’ampleur grâce à deux avancées majeures : l’approbation par consensus d’une résolution présentée par le Groupe africain pour un processus intergouvernemental sur la coopération fiscale aux Nations Unies, et la dynamique qui se crée en vue de la quatrième Conférence sur le financement du développement, qui devrait avoir lieu en 2025.

Les questions de l’évasion fiscale et des flux financiers illicites, qui ont été soulevées par les pays en développement depuis le début du processus de financement du développement, coûtent chaque année aux gouvernements du monde entier des centaines de milliards de dollars en recettes fiscales

perdues. Des décennies de déréglementation économique, de réductions d’impôts sur les sociétés et d’exonérations fiscales pour attirer les investisseurs étrangers ont permis une ruée mondiale vers les terres et la concentration du pouvoir des entreprises dans les systèmes alimentaires.

La quatrième Conférence internationale sur le financement du développement, qui se tiendra en 2025, sera un moment clé pour la mobilisation mondiale et la pression publique en faveur de la justice en matière de dette. Soutenir les demandes d’annulation de la dette et de réforme de l’architecture mondiale de la dette serait également pertinent pour les mouvements en faveur de la souveraineté alimentaire, car de nombreux pays piégés dans la dette ont été contraints de façonner leur économie autour d’exportations agroalimentaires industrielles destructrices à grande échelle, afin de gagner les dollars nécessaires au remboursement de la dette.

Dans la lignée du nouveau processus de Nyéléni et du prochain Forum Mondial de Nyéléni, les stratégies de création de systèmes alimentaires justes et écologiques ne peuvent être renforcées que par des alliances avec des organisations de la société civile et des mouvements sociaux exigeant une transformation systémique de l’architecture financière internationale.

Encadré 3

Le processus Nyéléni: vers un Forum Global de la Souveraineté Alimentaire 2025

Voix de nos alliés

Dražen Šimleša, RIPESS Int. www.ripess.org

Le Réseau intercontinental pour la promotion de l’économie sociale et solidaire (RIPESS Int.) n’envisage pas une économie sociale et solidaire (ESS) réelle et vivante sans souveraineté alimentaire et vice-versa – nos circonscriptions sont inséparables et se soutiennent mutuellement. Nous partons du principe que les polycrises actuelles sont enracinées dans les règles et la conception du système économique actuel. C’est pourquoi nous soutenons les potentiels de transformation dans la lutte globale pour un monde meilleur. Le domaine dans lequel ce système économique et politique destructeur et obsédé par la croissance est le plus visible est notre secteur alimentaire. Nous pouvons l’observer depuis la position des petits agriculteurs et des femmes dans les zones rurales jusqu’à la situation des sols et de la biodiversité, en passant par la santé publique et la monopolisation du secteur alimentaire. C’est pourquoi le travail sur la souveraineté alimentaire et l’agroécologie est important pour une économie sociale et solidaire. Nous considérons nos mouvements comme des ruisseaux d’une même rivière, comme des parties d’un même écosystème.

Au sein de la circonscription de l’ESS, nous travaillons déjà sur de nombreux points de croisement et de chevauchement. Nos membres sont actifs dans la promotion et la mise en œuvre de systèmes alimentaires territoriaux, de fermes collectives et de magasins agricoles (petites coopératives locales), de production et de transformation alimentaires collectives et partagées, de marchés publics territoriaux, de préservation des biens communs (terre, eau, semences, etc.), de solidarité entre producteurs et consommateurs avec des risques et des bénéfices partagés, et d’amélioration générale de la santé. C’est dans ces domaines, entre autres, que l’on peut voir le lien entre l’ESS et l’ES.

Notre contribution se traduit par la mise en évidence des programmes, projets et activités étroitement liés mentionnés ci-dessus.

Nous continuerons à travailler sur la solidarité au sein de nos sociétés et sur la nécessaire transformation de l’économie capitaliste néolibérale qui met en danger la planète, les petits producteurs alimentaires, les femmes, les minorités et tous les autres groupes qui ne suivent pas l’agenda du profit avant tout. RIPESS Int. peut également apporter son soutien au renforcement des capacités et des connaissances par le biais d’activités éducatives et de formations sur l’ESS et les FS.


[1] https://www.csm4cfs.org/fr/declaration-du-groupe-de-travail-sur-les-donnees-du-mscpa-lors-de-la-conference-cfs51/

[2] Pour plus d’information, voir l’article écrit par Flora Sonkin et Iolanda Fresnillo