L’écho des campagnes
L’écho des campagnes 1
Maroc : s’approprier la souveraineté alimentaire pour les marchés !
Ali Aznague, Réseau Siyada
Dans la région arabe, l’agriculture est au cœur des politiques néo-libérales qui accordent des aides financières généreuses aux grands investisseurs tout en marginalisant les petits exploitants. L’OMC, les principales institutions donatrices (comme le FMI et la Banque mondiale) et les grands accords de libre-échange ont exacerbé cette situation.
Au Maroc, la politique agricole s’articule autour de deux plans stratégiques visant à promouvoir l’agriculture commerciale et destinée à l’exportation : le « Plan Maroc Vert (2008-2018) » et « Génération Green 2020-2030 ». Comble de l’ironie, le gouvernement garde le concept de « souveraineté alimentaire » mais retire le contenu politique et social. De même, les politiques agricoles de la République Arabe d’Égypte, à l’instar de l’article 79 de la Constitution de 2014 définissent les principes de souveraineté alimentaire. Or les pratiques actuelles suivent une logique mercantile plutôt qu’utiliser le potentiel de la souveraineté alimentaire pour l’émancipation.
La situation dans la région arabe devient de plus en plus difficile et complexe en raison de la hausse des prix des aliments, le retour de forces contre-révolutionnaires et la guerre d’extermination menée par Israël contre le peuple palestinien. Aussi, il est urgent de construire un mouvement agricole militant contre la faim et la marchandisation des aliments, et pour renforcer la pression pour l’adoption des vrais principes de souveraineté alimentaire autant dans les paroles que dans les actions. Le principal slogan du « Réseau Siyada dans la Région Arabe » implique la création de relations de partenariat avec les pays du Sud mondial, reposant sur la coopération et mettant un terme à la dépendance alimentaire.
L’écho des campagnes 2
La politique des prix de soutien en Inde
Nandini Jayaram, Association des Paysans de l’État du Karnataka (KRRS), Inde
Les pénuries alimentaires des années 1960 en Inde ont poussé le gouvernement à adopter des mesures favorisant la productivité agricole. La politique des prix de soutien a vu le jour à cette époque, avec la création de la Commission des Prix Agricoles en 1965, ensuite transformée en Commission pour les Coûts et Prix Agricoles (CACP en anglais) en mars 1985. Avant chaque saison de culture, cette entité annonce les Prix Minimums de Soutien (MSP) pour 23 cultures comme les céréales, les légumineuses, les oléagineux et les cultures commerciales. Les MSP constituent une sécurité pour les agriculteurs, car ils garantissent une rémunération juste pour leurs produits même si les prix du marché venaient à tomber sous un certain seuil. Ils encouragent également la culture de denrées stratégiques, évitant ainsi les pénuries de céréales alimentaires de base. Le gouvernement fournit des céréales alimentaires à prix MSP pour leur vente dans le Système de Distribution Public (PDS), apportant des aliments subventionnés à des millions de personnes. Il s’agit donc d’une mesure qui favorise la souveraineté alimentaire.
Les mouvements paysans appellent depuis longtemps à une révision des calculs des coûts par la CACP, en incluant les locations et les intérêts pour les possessions de terres et les actifs immobilisés fixes et pour suivre l’inflation. Nous souhaitons également des garanties juridiques pour les MSP afin d’empêcher les achats sous le prix annoncé. Il n’existe actuellement pas de soutien juridique pour les MSP, ce qui pousse beaucoup d’agriculteurs et agricultrices à vendre leurs cultures à prix très bas en raison de mécanismes de commandes inadaptés et de problèmes d’accès au marché.
L’écho des campagnes 3
La Loi d’Orientation Agricole du Mali
Ibrahim Sidibe, CNOP, Mali
Le Mali régule les marchés de façon générale, et concernant le commerce de produits agricoles, cette responsabilité a été confiée à la Loi d’Orientation Agricole (LOA) et la Politique de Développement Agricole (PDA). Promulguée en 2006, la LOA englobe toutes les activités économiques dans les secteurs agricoles et para-agricoles comme l’agriculture, l’élevage de bétail, la pêche et la pisciculture, l’aquaculture, l’apiculture, la chasse, la sylviculture, la cueillette, la transformation, le transport, le commerce, la distribution et d’autres services agricoles, ainsi que leurs fonctions sociales et environnementales. Elle vise à garantir la souveraineté alimentaire et à devenir le moteur de l’économie nationale dans le but de garantir le bien-être des populations.
La PDA repose sur la responsabilité de l’État, les collectivités territoriales, les professionnels de l’agriculture, les paysans et la société civile. Elle met en avant la promotion de la souveraineté alimentaire, la réduction de la pauvreté dans les campagnes, les progrès sociaux des femmes, des jeunes et des hommes dans les régions rurales et en périphérie des villes, les partenariats et la création de marchés communs dans des espaces économiques larges au niveau local, régional et international. Suite aux évolutions des contextes nationaux et internationaux (à l’instar de la Déclaration de Paris et des nouvelles modalités de l’aide au développement), le Mali et ses Partenaires Techniques et Financiers se sont formellement engagés depuis 2008 envers une approche sectorielle pour le secteur agricole. Actuellement, les ventes institutionnelles et organisationnelles ne sont pas encore formalisées, nous sommes encore en cours de négociations d’un cadre adapté.
L’écho des campagnes 4
La loi sur la chaîne alimentaire en Espagne
Andoni García, COAG, Espagne
La loi sur la chaîne alimentaire, promulguée en Espagne en 2013, tend à améliorer le fonctionnement de la chaîne alimentaire en exigeant des contrats écrits aux producteurs où figurent les prix. Elle a été amendée en février 2020 pour garantir légalement que les prix payés aux différentes étapes de la chaîne alimentaire, à commencer par la rémunération des agriculteurs, couvrent les prix de production. Ce changement répond aux demandes des associations agricoles qui revendiquaient des prix justes. En décembre 2021, la loi a été amendée une fois de plus pour intégrer la directive européenne sur les pratiques commerciales déloyales et plusieurs propositions de la COAG, aboutissant à des éléments de réglementation majeurs au sein du cadre politique européen.
Deux organismes importants veillent à l’application de la loi sur la chaîne alimentaire : l’Agence d’Information et de Contrôle Alimentaires (AICA), qui reçoit les griefs des agriculteurs et autres entités, mène des inspections sur les abus tarifaires, contractuels ou autres, et l’Observatoire de la Chaîne Alimentaire, qui procède à des études sur les prix et les coûts sur toute la chaîne de valeur pour chaque production agricole et de bétail. La réforme de 2021 interdit également la vente à perte par la grande distribution, pour garantir que les produits ne soient pas vendus sous le prix d’achat. Néanmoins, la loi rencontre des limites en raison des lois sur la concurrence, qui empêchent les négociations collectives sur les prix, la fixation des prix ou une relation stricte entre les études de coûts et de prix et les contrats. De plus, la loi protège les agriculteurs et éleveurs de bétail individuellement et non pas collectivement, à l’exception de certaines coopératives.
L’écho des campagnes 5
Marchés territoriaux en Colombie
Juliana Millán, RENAF, Colombie
RENAF a créé une campagne visant à identifier les marchés territoriaux dans tout le pays, pour améliorer leur visibilité et leur succès commun. L’objectif est de comprendre et de partager les nombreuses façons de fonctionner de ces différents marchés, la variété de leurs formes d’association et de production, y compris la production traditionnelle sans besoin ou utilisation d’agrochimiques. L’accès à ces informations donne plus de pouvoirs aux membres de RENAF et autres petits producteurs régionaux. Cela a permis des réponses collectives à l’échelle du réseau en cas de crise comme la pandémie de Covid-19, en donnant plus de pouvoir aux marchés territoriaux et en permettant leur survie, tout en participant à la diversité alimentaire écologique.
L’écho des campagnes 6
Le système de gestion de l’approvisionnement canadien
Cathy Holtslander, Union Nationale des Fermiers, Canada
Le système de gestion de l’approvisionnement canadien assure la stabilité des secteurs laitiers, des poules pondeuses, des poulets de chair, des dindes et des œufs d’incubation en contrôlant la quantité produite, évitant les pénuries et en empêchant que le marché canadien ne soit inondé par les importations à prix cassé. Une formule de fixation des tarifs transparente, qui prend en compte les coûts de production, garantit aux éleveurs un revenu juste. Par conséquent, le Canada n’est pas touché par de fortes fluctuations des prix et de l’offre, et le gouvernement n’a donc pas besoin de fournir des aides massives aux éleveurs.
Les exploitations sont petites à moyennes, surtout si on les compare à celles des États-Unis. Chaque exploitation est régie par les agriculteurs élus à leur office provincial de commercialisation, d’après les régulations provinciales en vertu du cadre législatif fédéral. La gestion de l’approvisionnement permet aux paysans d’investir dans l’équipement, la formation, l’élevage, la génétique et la gestion des terres en vue de l’avenir. Ils doivent également produire une quantité correcte au moment opportun, en respectant des normes de qualité.
Le système protège également les produits laitiers, les œufs et la volaille des fluctuations des taux de change entre devises et d’autres chocs touchant les secteurs du système agricole et alimentaire orientés vers les exportations et dépendants des importations. Il évite également la concurrence pour les marchés d’agriculteurs dans d’autres pays qui nourrissent leurs propres populations.
Les nations « laitières » dépendantes des exportations (USA, Europe, Nouvelle-Zélande, Australie, Argentine) s’en prennent souvent au système pour accéder au marché canadien. Au Canada, les grandes entreprises attaquent le système à la fois pour tirer les prix reversés aux agriculteurs sous les coûts de production (ce qui profite à la transformation alimentaire), et comme outil de négociation commerciale pour obtenir des concessions pour d’autres secteurs.
Certains petits exploitants qui vendent directement leur production aimeraient voir plus de flexibilité dans le système. Pour être plus à même de surmonter ces défis, les organismes de gestion de l’approvisionnement peuvent renforcer et étendre les mécanismes pour les nouveaux entrants en permettant un accès moins onéreux aux quotas de production et en favorisant des systèmes de production alternatifs qui mettent en avant le renouvellement, la résilience et la réponse aux attentes des consommateurs pour plus de diversité. Il conviendrait également de définir une approche triple à la formule de tarification de la production pour garantir que les coûts environnementaux et sociaux ne soient pas externalisés.