Sous les feux de la rampe

Sous les feux de la rampe 1

Maladies émergentes et agriculture industrielle

En 2008, suite à la réponse internationale catastrophique à l’épidémie de grippe aviaire H5N1 en Asie, nous écrivions : « Le monde est secoué par d’importants changements concernant les maladies mondiales. Nous allons devoir affronter […] des types de maladies plus mortelles et une capacité de propagation accrue. Nous sommes aussi face à une plus grande probabilité qu’émergent zoonoses et pandémies mondiales. Pourtant, la réponse internationale à cette situation nouvelle est très loin jusqu’à présent de refléter l’ampleur de la menace. »[1]

La racine du problème était évidente : l’expansion rapide d’un modèle d’élevage où des milliers de bêtes génétiquement uniformes sont entassées et poussées à grossir le plus vite possible. Ces fermes industrielles sont un bouillon de culture pour l’évolution et la diffusion de souches de maladies mortelles, potentiellement transmissibles aux humains ; en effet la grande majorité des nouvelles maladies qui touchent les humains viennent des animaux (appelées « zoonoses »). La structure mondialisée de l’industrie, avec ses zones de production à forte densité (notamment des zones déboisées où il existe un risque de contact avec des animaux sauvages) et sa priorité mise sur l’exportation d’aliments, de viande et d’animaux sur de longues distances, sont propices à la propagation large et rapide de la maladie.

L’épidémie de grippe aviaire H5N1 aurait dû interroger sur la promotion de l’agriculture et de la viande industrielles. Mais l’inverse s’est produit. Les gouvernements et les agences internationales ont pointé du doigt les petits paysans et les marchés traditionnels. Ils ont mis en place une série de mesures pour protéger les entreprises de viande industrielle et ont profité de l’épidémie pour accroître les échelles et la concentration, en confiant le contrôle de ces exploitations et usines de viande mortifères à des grandes entreprises et des magnats corrompus.

En 2009, une épidémie de peste porcine a éclaté au Mexique, dans les élevages de porcs industriels. Ensuite une épidémie de peste porcine africaine ravageuse a tué des centaines de milliers de porcs dans des zones où l’agriculture industrielle était répandue : la Russie, la Chine et d’autres régions d’Asie. Puis le Covid-19 est apparu, et si son originale animale exacte n’a pas encore été prouvée, les usines de transformation de viande industrielle ont constitué des lieux de forte contamination, touchant des centaines de milliers de travailleurs et travailleuses, leurs familles et leurs amis. Par chance, la grippe aviaire ne s’est pas encore transformée en souche épidémique, mais un nouveau variant tue des millions d’oiseaux sauvages et se diffuse de manière incontrôlée dans les élevages industriels de volailles les plus confinés en Amérique du Nord, au Japon et en Europe.

Sous couvert de « biosécurité », les gouvernements et les agences comme la FAO ou l’Organisation mondiale de la santé animale (OMSA) continuent de promouvoir des mesures visant à industrialiser davantage l’élevage de bétail, sous le contrôle des entreprises.  Les approches reposant sur la diversité, le savoir traditionnel ou la production et les marchés locaux en circuit court sont ignorées voire criminalisées.

Pour mettre un terme à ces pratiques irresponsables et protéger le monde de nouvelles pandémies, nous devons éliminer l’agriculture industrielle et défendre et reconstruire des systèmes d’élevage divers, localisés et en circuit court.

Sous les feux de la rampe 2

La résistance à l’expansion de méga-exploitations porcines et la défense des territoires indigènes, de l’eau, de l’air et de la nature en Amérique latine[2]

Malgré leurs conséquences désastreuses, les exploitations porcines s’exportent des États-Unis dans toute l’Amérique latine. Ces usines de viande s’inscrivent dans le système alimentaire actuel dominant (et en expansion), le complexe céréales-oléagineux-bétail[3] où les céréales et les oléagineux (majoritairement du maïs et du soja génétiquement modifiés) nourrissent un nombre croissant d’animaux destinés à l’élevage alimentaire. Malheureusement, si les choses ne changent pas, d’ici 2029 la production de viande augmentera de 40 millions[4] et la majorité de cette viande sera produite en Amérique latine. Étant donné qu’une grande partie de la viande est exportée, les échanges inégaux ressortent très clairement entre ceux qui profitent de l’exploitation des humains, des animaux non-humains et la nature (l’industrie de la viande), et les communautés (souvent indigènes, paysannes et d’origine africaine) qui sont confrontées à toutes les conséquences néfastes de cette industrie.

Les exploitations porcines gèrent des opérations de production de viande industrielle où des milliers de porcs sont enfermés pour que toute leur énergie serve à la production de viande. La production de viande répondant à cette logique capitaliste pollue l’eau, l’air et les sols. Elle est associée à l’accaparement des terres et les dangers sanitaires (notamment les épidémies) et constitue l’un des principaux facteurs du changement climatique et de la déforestation, engendre de la maltraitance animale et déplace d’autres formes alimentaires plus durables et justes.

Les exploitations porcines sont également responsables de nombreuses violations des droits, notamment les droits aux terres et aux territoires, à un environnement sain, à l’eau, l’alimentation, les droits de la nature, des militants pour les droits humains et des peuples indigènes.[5] 

Sans surprise, la résistance prend de l’ampleur contre l’expansion de l’agrobusiness et plus précisément des exploitations porcines. En 2022, des communautés affectées, des militants, des organisations et des universitaires se sont retrouvés à Yucatan pour débattre du problème croissant des exploitations porcines dans la région. La déclaration de l’Amérique sans méga-exploitations de porcs[6] renforce l’exigence de promouvoir la souveraineté alimentaire, l’agroécologie et la production alimentaire ancestrale plutôt que financer et soutenir l‘agroextractivisme et la nécessité de fermer ces usines de viande.

Plusieurs actions collectives ont eu lieu pour abolir les usines à viande. Entre autres, des consultations citoyennes, des consultations au sein des communautés indigènes, des campagnes, des manifestations, des lieux occupés, des actions en justice.[7]  Lorsqu’ils ont fait entendre leur voix, des paysans et des personnes indigènes ont subi des intimidations, la criminalisation et la répression. Au niveau régional, plusieurs organisations ont demandé à la Commission interaméricaine des droits de l’homme (CIDH) une audience thématique pour débattre des violations des droits humains liées à l’industrie de la viande en Argentine, au Brésil, au Chili, en Équateur, au Mexique et aux États-Unis.


[1] Viral times – La politique des maladies animales émergentes dans le monde.

[2] Il existe de nombreux documents élaborés par le groupe qui publie cet article. Voir ici et ici.

[3] Weis, T. (2013). The ecological hoofprint: The global burden of industrial livestock. Bloomsbury.  

[4] Stiftung, H. B. Meat Atlas 2021.

[5] Pour plus d’informations sur l’industrie de la viande et les violations des droits humains, veuillez consulter la demande d’audience thématique, présentée par 20 organisations et soutenue par 243 en 2022 puis encore en 2023, disponible ici.

[6] La déclaration est disponible ici (en espagnol).

[7] Pour plus d’informations sur le Yucatan et d’autres cas, vous pouvez consulter la carte des témoignages (disponible en espagnol).

Bulletin n° 53 – Éditorial

Maladies émergentes et agriculture industrielle

Illustration : Rini Templeton, www.riniart.com

Qu’est-ce qui rend les aliments surs ?

Au sein des systèmes alimentaires industriels, la « sécurité » revient à gérer les risques élevés engendrés par ce même modèle de production alimentaire. Les aliments sont produits dans des champs de monoculture ou des exploitations agricoles industrielles, où les espèces uniformes de plantes et d’animaux sont extrêmement vulnérables aux ravageurs et aux maladies. Dans ce contexte, les maladies peuvent proliférer ou muter pour prendre des formes encore plus meurtrières et, dans le cas des animaux, se propager aux humains et se diffuser le long des chaînes d’approvisionnement industrielles. Afin de les rendre moins vulnérables, les cultures sont génétiquement modifiées ou arrosées de pesticides toxiques et les animaux sont nourris d’antibiotiques et de médicaments, créant des dangers sanitaires supplémentaires. Ensuite, la plupart des aliments sont fortement transformés et vendus dans des supermarchés, et sont à l’origine de maladies telles que le diabète et le cancer.

Les gouvernements et les entreprises imposent de plus en plus de réglementations et de normes pour faire face à ces risques. En réalité, ils ne font que réduire les excès les plus flagrants, sans menacer les bénéfices des grandes entreprises, et ignorent les systèmes alimentaires reposant sur l’élevage animal, les marchés et l’agroécologie traditionnels, qui présentent moins de risques grâce à la diversité, aux connaissances locales, à la confiance et aux circuits courts. Ces réglementations sont devenues des outils pour étendre le contrôle des grandes entreprises et affaiblir les systèmes alimentaires sains qui continuent à nourrir la majorité de la population mondiale et qui représentent la seule vraie solution face aux dégâts causés par le système alimentaire industriel.

GRAIN

L’écho des campagnes 

L’écho des campagnes 1

Du forum international aux campagnes 1

Kusnan, Centre national pour les semences, Serikat Petani Indonesia (SPI), Tuban, province de Java oriental, Indonésie

Le mouvement mondial pour la souveraineté alimentaire, qui a organisé son premier forum à Nyéléni au Mali en 2007, a joué un rôle déterminant pour apporter une clarté politique et une compréhension commune du sens de « souveraineté alimentaire » selon les différentes réalités nationales.

Depuis plusieurs décennies en Indonésie, Serikat Petani Indonesia se bat pour une réforme agraire qui garantirait la souveraineté alimentaire de nos territoires. Nous appelons ces régions des « zones de souveraineté alimentaire ».

Je me trouve actuellement à Tuban, dans la province de Java oriental dans une zone de souveraineté alimentaire qui a été épargnée par l’accaparement à grande échelle à des fins industrielles. Ici nous cultivons nos terres en tant que communauté et sommes autonomes quant à nos outils, semences et méthodes de culture. Notre système de coopérative est organisé et géré par des paysans qui partagent la philosophie de l’agroécologie. Dans le système de production qu’ils ont bâti, le bétail, les cultures et la nature cohabitent harmonieusement et les fonctions de chaque élément se complètent.

Nous plantons des espèces diverses de cultures comme du riz, du maïs, des fruits, des légumes et de l’horticulture. Nous sommes opposés à toute forme de monoculture industrielle. Nous avons recours à la mécanisation agricole à petite échelle, qui garantit l’autonomie des paysans qui l’utilisent. Nos semences sont créées et produites en choisissant et en croisant des semences locales afin d’améliorer leurs propriétés génétiques, leur rendement et leur résistance au changement climatique.

Nos pratiques agricoles s’appuient sur la sagesse locale et les savoirs ancestraux, et nous avons recours à des engrais biologiques solides issus des déchets animaux ainsi que des engrais biologiques contenant plusieurs types de microbactéries. Ils permettent de décomposer la matière organique dans la terre et favorisent un équilibre écologique dans un écosystème équilibré. Cette approche garantit la présence de macro et micronutriments et contrôle les nuisibles et les maladies, nous permettant ainsi de produire des aliments sains et nutritifs.

Pour vendre nos produits, nous avons créé la coopérative des paysans indonésiens, une entité paysanne qui transforme et distribue la production dans les zones rurales et les villes de la zone de souveraineté alimentaire. Ce système de coopérative assure une approche durable et équitable de l’agriculture, met la priorité sur les besoins de la communauté et aide à protéger notre souveraineté alimentaire.

L’écho des campagnes 2

Du forum international aux campagnes 2

Ibrahima Coulibaly, Coordination Nationale des Organisations Paysannes du Mali (CNOP-Mali)

Le combat pour la souveraineté alimentaire au Mali dure depuis le forum de Nyéléni en 2007. Il s’est concrétisé sur le terrain avec comme objectifs de s’opposer au modèle de production et de distribution dominé par les intérêts privés et de soutenir l’économie locale afin de lutter contre la faim et la pauvreté.

En 15 ans, la Coordination Nationale des Organisations Paysannes du Mali (CNOP-Mali) a fait de Nyéléni notre guide vers l’avenir de l’agriculture familiale en plaçant l’agroécologie paysanne au cœur de la souveraineté alimentaire.

L’engagement de la CNOP a donné lieu à l’organisation d’un forum international sur l’agroécologie au Mali en 2015, la création d’un système allant de l’identification d’un vivier de formateurs paysans à la création de 12 modules autour des pratiques de travail de la terre, une charte sur les agriculteurs relais et un manifeste sur l’agroécologie. De plus, une plateforme sur l’agroécologie paysanne au Mali a vu le jour à l’initiative de la CNOP en avril 2017, accompagnée d’un système de formation des paysans formateurs en agroécologie paysanne pour parvenir à la justice économique, sociale et environnementale.

Aujourd’hui, ce système compte plusieurs milliers de producteurs formés et engagés dans la pratique de l’agroécologie. Un défi subsiste néanmoins : appliquer une approche qui lève les obstacles à la multiplication des marchés pour les produits agroécologiques et biologiques. Comment pouvons-nous passer des marchés ciblés à des marchés à plus grande échelle ? Comment impliquer de façon structurelle les paysans dans la consultation avec les parties prenantes aux systèmes alimentaires ? Enfin, comment garantir une position politique de la part des dirigeants politiques, à la fois au niveau national et au sein des organismes de gouvernance régionale ainsi que de l’Union Africaine ? Il est indispensable de fournir des réponses à toutes ces questions.

L’écho des campagnes 3

Un aperçu des difficultés et de la résilience des communautés de pêcheurs

Md. Mujibul Haque Munir, COAST Foundation, Bangladesh

Récemment, j’ai effectué des visites dans les villes de Cox’s Bazar, Bhola et Sunamganj pour évaluer la situation actuelle en amont de notre consultation régionale. J’ai pu constater la résilience et la force des communautés de pêcheurs malgré toutes les difficultés qu’ils rencontrent.

À Cox’s Bazar, j’ai vu par moi-même la réalité douloureuse causée par la crise des Rohingya. La région est réputée pour sa tradition de pêche en mer mais les pêcheurs font face à de nombreux obstacles. Ils demandent un enregistrement officiel et des contrats écrits pour protéger leurs emplois et garantir des indemnités justes en cas d’accident. De nombreux pêcheurs ont connu des expériences insatisfaisantes quant à l’aide fournie par le bureau local de la pêche : seuls quelques-uns d’entre eux ont reçu des équipements de sécurité essentiels. Les difficultés financières étaient elles aussi évidentes au vu du maigre revenu mensuel des pêcheurs et leur dépendance aux avances données par les propriétaires des bateaux. Leurs familles pâtissent de ces difficultés, notamment leur accès à l’éducation et aux soins de santé.

En me rendant à Bhola, j’ai constaté les effets destructeurs des catastrophes naturelles sur la région littorale. Les cyclones récents ont dévasté les communautés. Les pêcheurs locaux ont fait preuve d’une résilience extraordinaire en ne ménageant aucun effort pour reconstruire leurs vies. Pourtant, une assistance immédiate sous la forme d’abris, d’eau potable et de soutien aux moyens de subsistance était indispensable pour les sortir de l’ornière. Renforcer la préparation et la résilience face aux catastrophes dans la région est primordial pour atténuer les conséquences d’épisodes futurs et protéger les populations et les moyens de subsistance.

À Sunamganj, une région jalonnée de rivières et de zones humides, j’ai découvert des défis bien différents. Les inondations, l’érosion et les maladies transmises par l’eau faisaient partie des préoccupations majeures. Malgré les obstacles, la communauté a fait montre d’une grande capacité d’adaptation, en trouvant des moyens innovants de lutter contre les inondations fréquentes. Néanmoins, des solutions à long terme comme la construction de digues, des systèmes d’alerte rapide et des centres de soins améliorés sont requis de toute urgence pour assurer leur bien-être. Améliorer leur résilience est crucial dans cet environnement singulier.

Les membres de la communauté, les autorités locales et les organisations humanitaires m’ont expliqué en détail les difficultés et les solutions possibles. Des efforts conjoints impliquant toutes les parties prenantes sont nécessaires pour faire face aux enjeux multiples auxquels sont confrontées ces communautés : avant tout, il convient d’assurer un soutien gouvernemental approprié, la sécurité financière, des mesures de sécurité et l’accès aux services essentiels. En reconnaissant les apports des communautés de pêcheurs et en apportant notre soutien, nous pouvons leur donner les outils et créer un avenir plus durable et prospère.

L’écho des campagnes 4

Un plan alimentaire populaire par les personnes, pour les personnes !

Jessie Power, Alliance Australienne pour la souveraineté alimentaire (AFSA)

En 2012, la Australian Food Sovereignty Alliance (AFSA) a présenté son plan alimentaire populaire original en réponse au plan alimentaire national du gouvernement australien, abandonné depuis. À la différence du plan alimentaire national du gouvernement, élaboré sans la participation des petits paysans et des communautés locales, le plan alimentaire populaire reflétait les préoccupations et les attentes des consommateurs, des paysans, des organisations de communautés, des entreprises alimentaires indépendantes et des groupes militants. Le processus du plan alimentaire populaire a été mené selon un modèle de démocratie participative dans l’élaboration de politiques : ouverte, inclusive et démocratique. En effet nous connaissions l’ampleur des défis et l’urgence du travail à accomplir pour transformer notre système alimentaire défaillant, et nous savions que la prise de décisions était plus pertinente si elle était proche des personnes affectées.

Grâce au travail de collectivisation autour du plan alimentaire populaire, le mouvement pour la souveraineté alimentaire en Australie est né comme une alliance de paysans, d’organisations de systèmes alimentaires et de personnes prêtes à s’engager personnellement en faveur de la justice alimentaire. Onze ans plus tard, l’alliance AFSA s’est mue en organisation de la société civile menée par les paysans et à la tête de la lutte pour la souveraineté alimentaire. Forts d’une décennie de contributions politiques aux gouvernements fédéraux, étatiques et locaux, nous devons désormais actualiser le plan alimentaire populaire et en faire un cadre politique et un plan d’action de la base pour obtenir la souveraineté alimentaire en Australie.

Le 1er juin, l’alliance AFSA a publié le projet de loi actualisé pour un plan alimentaire populaire. Il appellera tous les acteurs du militantisme et de la transformation des systèmes alimentaires à prendre part aux actions et recommandations politiques populaires pour tous les niveaux de la gouvernance australienne. Nos partenaires internationaux sont également invités à nous aider à rassembler des études de cas qui illustrent la souveraineté alimentaire et l’agroécologie en action. Ainsi, nos gouvernements comprendront que « nous, le peuple » devons avoir le contrôle et décider de nos systèmes alimentaires et agricoles. D’ailleurs, les peuples indigènes et les petits producteurs alimentaires le font déjà avec succès depuis des millénaires !

Depuis 2019, le système alimentaire australien a connu plusieurs ondes de choc : des incendies catastrophiques, la pandémie de Covid-19 et des inondations destructrices sur la côte est. Le gouvernement australien a donné la priorité à l’agriculture industrielle et les producteurs alimentaires à grande échelle se sont préparés à l’exportation grâce à des politiques favorables, des lois et des réglementations inadaptées aux échelles. Pourtant, trois années de crise systémique ont démontré que les petits producteurs alimentaires sont les plus à même de faire face à ces catastrophes et nourrir les communautés locales. Nous prévoyons de présenter notre plan alimentaire populaire actualisé 2023 lors du sommet annuel Food Sovereignty Convergence, organisé en octobre comme un appel à une action nouvelle face à ces crises.

Si vous souhaitez participer au plan alimentaire populaire actualisé 2023 ou envoyer une étude de cas à inclure, écrivez-nous à coordinator@afsa.org.au

Encadres

Encadré 1

Comprendre la mobilisation historique des paysans en Inde

En Inde, le comité pour le marché des producteurs agricoles (ou Agricultural Producers’ Market Committee, APMC) propose aux paysans un espace régulé pour vendre collectivement leurs produits, à l’abri de la volatilité des prix. Le prix de soutien minimum ou MSP est une autre politique qui garantit une rémunération minimale pour les paysans, pour qu’ils puissent rentrer dans leurs frais de production et engendrer des bénéfices.

Pourtant en 2020 le gouvernement indien a fait passer trois lois sans consultation préalable, provoquant des contestations paysannes dans tout le pays. La première loi permettait à des entités privées de mettre en place des marchés privés déréglementés : les paysans craignaient qu’une telle mesure n’anéantisse le système APMC et leur pouvoir de négociation collectif. La deuxième loi autorisait l’agriculture sous contrat et a suscité l’inquiétude d’une concentration de l’agriculture par les entreprises et de conflits fonciers. La troisième loi levait les limites de stocks et d’autres mécanismes de régulation des marchandises agricoles. D’après les paysans, ces lois ouvraient la voie à une privatisation massive du système agricole indien sans aucun garde-fou légal pour le MSP en vigueur.

Les paysans de tout le pays se sont mobilisés contre ces lois et après 15 mois de manifestations, le gouvernement indien a cédé à la pression populaire et abrogé les trois lois agricoles controversées en 2021. Malheureusement, plus de 750 paysans auraient perdu la vie durant la contestation. S’il est vrai que le fonctionnement d’APMC doit s’améliorer, la mobilisation paysanne illustre la nécessité de consulter les parties prenantes avant de légiférer et souligne l’importance de protéger le pouvoir de négociation collectif des paysans et les MSP dans le secteur agricole indien.

Encadré 2

Feuille de route du Processus Nyéléni

Après une année d’échanges et de discussions avec les membres du CIP, nous avons débuté le processus de création d’alliances avec d’autres secteurs. Pendant les 18 mois suivants, le processus Nyéléni entrera sans sa phase principale.

La première rencontre bilan du comité de pilotage international de Nyéléni a actuellement lieu (juin 2023) à Rome. À l’occasion de cette rencontre nous souhaitons créer une base solide pour une coordination dynamique avec les secteurs qui ne font pas partie du CIP.

Le comité de pilotage servira ensuite à établir les consignes pour mener six réunions régionales (Amérique latine, Asie et Pacifique, Amérique du Nord, Afrique, Europe, Afrique du Nord et Moyen-Orient), organisées de septembre 2023 à septembre 2024. Différents acteurs venus de différents secteurs prendront part à ces rencontres régionales afin d’entendre des points de plus régionaux les plus inclusifs possible.

Lors de la dernière phase, le forum mondial Nyéléni s’inspirera des résultats des consultations régionales pour ouvrir des discussions trans-régionales et trans-thématiques et préparer les analyses et propositions définitives. En parallèle, le forum aura d’autres objectifs : par exemple, (re)dynamiser et renforcer le mouvement pour la souveraineté alimentaire, encourager la solidarité entre acteurs et secteurs, donner une impulsion pour faire entendre les voix des organisations de la base et des personnes, et proposer une feuille de route commune aux mouvements sociaux pour les années à venir.

Le forum en lui-même n’est pas l’objectif principal du processus Nyéléni. La finalité sera la mise en application des décisions prises et des consignes fixées au cours du processus.

Encadré 3

Pouvoir, violence et systèmes alimentaires : Enseignements tirés d’une allocution de Michael Fakhri, Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à l’alimentation

« Le droit à l’alimentation est synonyme de célébrer la vie par la nourriture en communion avec les autres. » Voilà la définition pratique du droit à l’alimentation choisie par Michael Fakhri, Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à l’alimentation lors de son discours d’ouverture au Palais de la Paix de La Haye en avril.[1]  Il a révélé que le mouvement mondial pour la souveraineté alimentaire l’avait inspiré pour devenir Rapporteur spécial, car il donne toute sa force au droit à l’alimentation. C’est une force bâtie sur des relations réciproques et non sur le pouvoir des riches, obtenu en agissant comme les « gardiens des biens indispensables à la vie ».

Il a énuméré quatre formes de violences sur nos systèmes alimentaires qu’il est nécessaire d’éradiquer pour faire avancer le droit à l’alimentation, notamment : 1) La discrimination comme résultat du déni du droit à l’alimentation en raison de la classe sociale de la personne ou d’autres marqueurs d’identité. 2) La violence corporelle envers les personnes suite à un conflit armé ou d’autres formes de domination et de soumission. 3) La violence écologique causée par le système alimentaire industriel tant sur le climat que sur la nature. 4) La disparition des populations en vidant les paysages pour faire place à l’extraction des ressources et l’accumulation du capital.

Ces quatre formes de violence sur nos systèmes alimentaires constituent un obstacle majeur au mouvement pour la souveraineté alimentaire et au-delà. Elles illustrent le besoin pressant d’établir un contre-pouvoir grâce aux processus de convergence et de création d’alliances qui sont au cœur même des rencontres mondiales Nyéléni. L’efficacité d’exploiter à bon escient le pouvoir du mouvement mondial pour la souveraineté alimentaire a été démontrée, soit par la négociation de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des paysans ou en mettant au jour l’accaparement du sommet sur les systèmes alimentaires par les grandes entreprises. Comme Michael Fakhri l’a déclaré, la faim et la malnutrition sont toujours des questions politiques et non les conséquences de pénuries, aussi il reste encore de nombreux combats à mener.


[1] Un enregistrement vidéo de la conférence est disponible ici

Sous les feux de la rampe

Sous les feux de la rampe 1

Solidarité et unité pour affronter les crises mondiales : Vers le troisième forum mondial pour la souveraineté alimentaire

Le Comité international de planification pour la souveraineté alimentaire (CIP) organise le troisième forum mondial pour la souveraineté alimentaire en 2025 en Inde.

Le CIP construit désormais un Processus Nyéléni et exhorte les militants au sein et au-delà du mouvement pour la souveraineté alimentaire à proposer une réponse et créer des alliances avec des mouvements pour la justice climatique, des syndicats, des groupes féministes et des organisations environnementales pour encourager des propositions communes pour un changement systémique. Le mouvement pour la souveraineté alimentaire est confronté à des menaces systémiques et doit collaborer avec d’autres groupes luttant contre différentes formes d’oppression pour obtenir la justice sociale, ethnique, de genre, économique, intergénérationnelle et environnementale.

Avec le processus Nyéléni, nous mettons en place un « Dialogue de savoir » pour unifier et renforcer les méthodes des organisations territoriales qui s’opposent au néolibéralisme et créent des systèmes alimentaires et économiques équitables et durables. Ce processus pluriannuel donne lieu à des consultations démocratiques dans les régions du monde entier ; et les résultats et propositions qui en découleront seront présentés lors du forum mondial en Inde en 2025. À cette occasion, les représentants parleront des stratégies pour des systèmes alimentaires justes et écologiques et réaffirmeront leur engagement mondial commun contre les crises multidimensionnelles engendrées par des forces telles que le capitalisme libéral et le commerce destructeur.

Inde : Théâtre d’une lutte remarquable pour la souveraineté alimentaire

Entre 2025 et 2021, l’Inde a connu des mobilisations historiques de paysans pour la souveraineté alimentaire. En pleine pandémie, le gouvernement indien a fait passer trois lois controversées qui allaient dans le sens d’une privatisation massive du système agricole indien, sans aucune protection juridique du plafonnement des prix en place. Même si la politique de soutien minimum assurait une certaine protection, il ne s’agissait pas pour autant d’une garantie juridique et les paysans affirmaient que les nouvelles législations pourraient même supprimer ces protections.

Dans ce contexte, l’organisation Samyukt Kisan Morcha (SKM) regroupant différents syndicats paysans a mené des protestations contre les trois lois polémiques pendant 15 mois. Cette contestation s’est transformée en mouvement public ; poussant des millions de paysans à manifester dans les rues de New Delhi et ailleurs, bravant les mesures de répression et les protocoles stricts contre le Covid-19 mis en place par le gouvernement. Le mouvement a reçu énormément de solidarité et de soutien de la part de nombreux secteurs, pour engendrer une grève publique nationale. Finalement, le parlement a cédé à la pression populaire en 2021 et a abrogé les trois lois agricoles controversées. Cette lutte fructueuse des paysans est une source d’inspiration pour des mouvements similaires pour la souveraineté alimentaire dans le monde entier. C’est la preuve des résultats possibles d’alliances intersectorielles dans des combats communs.

Le forum Nyéléni à venir en Inde vise à prendre exemple sur la lutte remarquable des paysans indiens pour renouveler et renforcer le mouvement pour la souveraineté alimentaire. Il aura également pour but de promouvoir la solidarité, donner une impulsion, faire entendre les voix des organisations de la base et proposer une feuille de route commune aux mouvements sociaux pour les années à venir.

Il convient de rappeler que le forum en lui-même n’est pas la finalité de ce processus. L’objectif principal est plutôt de mettre en application les décisions et consignes établies pendant le processus.   Espérons ensemble et mobilisons-nous pour la souveraineté alimentaire !

Sous les feux de la rampe 2

Nyéléni nous appelle à renforcer l’articulation sociale et populaire

Nous vivons à une époque où il est de plus en plus évident que les crises d’inégalités sociales et économiques, environnementales, alimentaires, sanitaires, immobilières et démocratiques au niveau national et mondial sont profondément liées. De leur côté, les grandes entreprises et les multinationales promeuvent et appliquent des changements drastiques et rapides pour accumuler entre plus de pouvoir grâce à ces crises. Des changements qui provoquent le recul des droits conquis par les populations et en tentant souvent de coopter nos propositions et récits, afin de déguiser leurs fausses solutions, d’avancer sur la voie de la privatisation, mercantilisation et financiarisation des services publics, des terres, de la nature et des données et de renforcer l’exploitation des travailleurs et travailleuses.

D’ailleurs, un contexte de montée du fascisme leur est particulièrement favorable. Un projet d’extrême droite et profondément conservateur sur le plan social, économique, politique et culturel, qui voit à long terme et bénéficie de l’appui (par soutien ou omission) des moyens de communication dominants. Il œuvre pour faire régner dans la société un sentiment commun extrêmement conservateur : élitiste et aporophobe, raciste, xénophobe, misogyne, machiste, homophobe et transphobe, antipacifiste et antidémocratique. Un projet qui ignore et attaque toute forme d’organisation de défense des intérêts populaires.

Mais cette interconnexion des crises encourage aussi les mouvements sociaux et populaires à voir au-delà de leurs missions spécifiques et renouer avec des voies de convergence populaires pour ralentir cette poussée conservatrice et transformer nos réalités. Des voies de convergences qui, grâce aux accords et en travaillant sur les nuances et les divergences, permettent d’élaborer des réponses systémiques.

Unissons-nous et resserrons les rangs sur le chemin de l’unité, sans perdre de vue la menace urgente à laquelle nous sommes confronté(e)s. Une volonté politique de la part des organisations sera nécessaire, ainsi que des ressources et l’engagement des camarades pour articuler les stratégies, propositions et requêtes communes issues des objectifs thématiques des mouvements sociaux et populaires.

Comme nous le disions dans le bulletin n° 48[1], Nyéléni est le territoire et le processus pour articuler « notre analyse et nos positions, rendre nos combats visibles et résister à la criminalisation, renforcer les liens de solidarité, construire des accords multisectoriels et se mettre d’accord sur des initiatives pour transformer les systèmes alimentaires et nos sociétés. »

Le processus Nyéléni nous appelle à unir nos forces pour renforcer la mobilisation populaire de résistance, mais aussi de défense des droits et de la souveraineté des peuples et des biens communs, et pour bâtir la justice sociale, ethnique, de genre, économique, intergénérationnelle et environnementale.


[1] Bulletin n° 48 – Le processus Nyéléni : Vers un forum global pour la souveraineté alimentaire.

Bulletin n° 52 – Éditorial

Processus Nyéléni : Reconnaître le pouvoir des mouvements populaires

Illustration : Andrés Mateo Ayala Luna @calma_88

En 2007, le Comité international de planification pour la souveraineté alimentaire (CIP) a joué un rôle déterminant pour fédérer les petits producteurs alimentaires et leurs alliés afin de définir une vision commune de la souveraineté alimentaire et mettre en application des stratégies pour y parvenir. Depuis, un mouvement mondial fort pour la souveraineté alimentaire a émergé et a gagné davantage de reconnaissance politique. Ensemble nous sommes parvenus à la démocratisation des questions d’alimentation et agriculture mondiales, en obtenant notamment la réforme du Comité des Nations Unies de la sécurité alimentaire mondiale. Nos combats ont également influencé les politiques sur la souveraineté alimentaire dans divers contextes nationaux. Nous avons aussi garanti la reconnaissance politique des paysans comme jouissant de droits grâce à la ratification de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des paysans et des autres personnes travaillant dans les zones rurales.

Pourtant, nos réussites sont aujourd’hui menacées en raison d’une longue période de crises systémiques. Partout dans le monde, nous constatons un retour en force des partis politiques de droite, de régimes autoritaires, et de la main-mise des grandes entreprises sur les espaces de gouvernance démocratique, accompagné d’un démantèlement du système multilatéral des Nations Unies. Les violations des droits humains contre les paysans et les communautés indigènes ainsi que le changement climatique, la perte de biodiversité, les conflits armés et la faim se multiplient rapidement. En outre, les menaces répétées envers la souveraineté alimentaire émanent de conjonctures entrepreneuriales basées sur les tendances où les entreprises de fonds d’investissement spéculatif et les géants de la technologie numérique s’unissent pour alimenter un système de production agroalimentaire à bout de souffle.

Dans ce contexte, le CIP milite pour un nouveau processus international Nyéléni, d’ici le prochain forum mondial Nyéléni en Inde en 2025. En reconnaissant le pouvoir des mouvements populaires, nous souhaitons renforcer la solidarité et l’unité en connectant les causes locales et mondiales. Nous nous efforçons d’adopter un point de vue réunissant les différentes sections pour répondre efficacement à la crise multidimensionnelle mondiale.

En travaillant avec des mouvements pour la justice climatique, les droits des travailleurs, féministes, pour l’économie solidaire, contre la guerre, de jeunes et autres, nous voulons nous opposer à l’hégémonie des grandes entreprises sur les espaces de gouvernance, protéger les droits humains et collectifs dans le monde entier, les écosystèmes et assurer une vie digne sur Terre pour les générations présentes et à venir.

CIP pour la souveraineté alimentaire, La Via Campesina, Les Amis de la Terre International, Transnational Institute

L’écho des campagnes 

L’écho des campagnes 1

L’initiative des colis alimentaires : reconstruire des systèmes alimentaires menés par des femmes à Gaza

La plateforme urbaine et périurbaine de Gaza (GUPAP en anglais) et la plateforme urbaine des femmes entreprenant dans l’agriculture (UWAF en anglais), Palestine.

Dans la bande de Gaza, la GUPAP a soutenu la formation de la plateforme urbaine des femmes entreprenant dans l’agriculture (UWAF) en 2019 pour fédérer et donner du pouvoir aux productrices et travailleuses agricoles, et créer un système alimentaire indépendant et résilient pour tous les Palestiniens. Dans le contexte de crise prolongée à Gaza, l’insécurité alimentaire et le manque d’accès à des terres, semences et espèces de qualité, à l’eau et à la mer ont provoqué un déclin de l’autosuffisance, et renforcent l’exposition des communautés locales à la faim. Les stratégies entre GUPAP et UWAF tentent de réduire la dépendance aux marchés internationaux, promouvoir et utiliser ce qui est disponible à proximité, diminuer l’empreinte écologique de la production et distribution alimentaire et reconstruire des exploitations tenues par des femmes.

Parmi les initiatives notables, une collecte de fonds participative pour acheter des aliments locaux à 52 agricultrices ayant perdu leur source de revenus dans les bombardements de mai 2021, et la distribution de nourriture à des femmes dans des situations de vulnérabilité sociale et médicale, grâce aux colis alimentaires contenant des céréales, des produits frais, des conserves et des aliments thérapeutiques. L’initiative était soutenue par des ONG locales et le Ministère de l’Agriculture pour identifier les bénéficiaires, contrôler la qualité des denrées alimentaires et distribuer les colis. 

L’initiative des colis alimentaires était une approche reposant sur la communauté, contrôlée et menée par des femmes. Elle a aidé 52 agricultrices en vendant leurs produits à des prix justes, et 473 femmes et leurs familles en situation de grande vulnérabilité.  C’est bien la preuve que la solidarité entre productrices à petite échelle, entrepreneurs, pouvoirs locaux et population peut être mise à contribution pour élaborer des solutions locales dans le contexte de crise prolongée qui touche Gaza.

Ce témoignage est issu du rapport suivant :  Campagne marketing solidaire pour renforcer la résilience des membres de la UWAD dans la bande de Gaza.

L’écho des campagnes 2

L’agroécologie cubaine et la résilience face aux ouragans

Le Mouvement Agroécologique Paysan A Paysan (MACAC dans ses sigles espagnols) est un mouvement de la base appartenant à l’Association Nationale cubaine de Petits Agriculteurs (ANAP en espagnol), elle-même membre du mouvement international paysan La Vía Campesina. En son sein, les campesinos (agriculteurs paysans) membres de l’ANAP transforment depuis 1997 leurs systèmes de production en appliquant les principes de l’agroécologie.

La résilience révolutionnaire

« Dans une ferme agroécologique, si une chose échoue, une autre réussira.  Nous avons toujours quelque chose à manger. Peu importe ce qu’il se passe. » — Nini, fermier agroécologique et membre de l’ANAP

En raison de la géographie de l’île, Cuba est vulnérable aux déclins de la production agricole en raison de

catastrophes naturelles permanentes. La forte résilience biologique et humaine des systèmes agroécologiques face aux conséquences du changement climatique est sans aucun doute un facteur clé de la réussite du MACAC.

Depuis des années, les agriculteurs cubains ont constaté les avantages de l’agroécologie en cas d’ouragan : les fermes à plus forte intégration d’agroécologie ont moins été affectées lors de ces événements. Cela s’explique en partie par le fait que les systèmes agroécologiques sont moins exposés à l’érosion et aux glissements de terrain car ils appliquent davantage de méthodes de conservation des sols (culture en courbes de niveau, contrôle des ravins, cultures de couverture etc). Moins de cultures sont détruites lorsque plusieurs strates de végétation existent. Outre le fait que les cultures ne sont pas totalement détruites dans les fermes agroécologiques en cas d’ouragan (contrairement aux monocultures conventionnelles), les exploitations à plus forte intégration d’agroécologie se remettent bien plus rapidement.

La hausse des prix de l’alimentation sur le marché international ainsi que ceux des intrants nécessaires à l’agriculture conventionnelle nous pousse à chercher un modèle alternatif qui crée moins de dépendance. L’agroécologie et le MACAC ouvrent la voie vers la souveraineté alimentaire à Cuba : ils garantissent une meilleure résilience face aux aléas climatiques, la restauration des sols abîmés par l’utilisation intensive d’agrochimiques, des aliments sains, tout en représentant un modèle, une source d’idées et d’inspiration pour les autres pays.

Plus d’informations en anglais, here.

L’écho des campagnes 3

De la crise à l’agroécologie

Ferdinand Wafula, Bio Gardening Innovations (BIOGI), Kenya.

Les bouleversements mondiaux poussent les petits exploitants de l’Ouest du Kenya à s’adapter. Comme des milliers d’autres familles à Khwisero, dans le comté de Kakamega, George et Violet changent leurs méthodes agricoles.

George était venu de Nairobi avec sa famille il y a deux ans. Pendant la pandémie, il était peintre et vendait les produits d’une entreprise. En raison du Covid-19 et de la fermeture de nombreuses entreprises, il a perdu son emploi. Une aubaine pour Violet, sa femme, qui voyait en lui de la main-d’œuvre supplémentaire pour cultiver les champs.

Travailler la terre avec sa femme amenait son lot de joies et de difficultés. Le manque de précipitations, des plantations tardives, et la hausse forte des prix des marchandises de base, notamment les intrants agricoles, n’ont pas épargné George.

Le maïs n’était plus une denrée de base. Les récoltes n’étaient plus bonnes. Une famille jeune avec des enfants en bas âge ne pouvait pas vivre avec trois sacs au lieu de six.

Violet a rapidement eu connaissance d’une formation en agriculture respectueuse de la nature, par le biais d’autres exploitants. En 2021, BIOGI l’a formée pour être elle-même formatrice. L’ONG BIOGI, sise à Vihiga, travaille dans le sous-comté de Khwisero à Kakamega.

La diversité des cultures, l’intégration du bétail et la fertilité des sols grâce à des intrants biologiques se sont fait une place sur ses terres fertiles et l’espoir a germé à nouveau. Des cultures locales poussent dans son exploitation, comme des patates douces, du manioc, des légumes verts locaux, des cacahuètes ou encore des bananes.

« Je ne suis plus inquiète à cause des intrants », se réjouit-elle. « Je fabrique des biostimulants et utilise des patates douces et des cacahuètes pour compléter voire remplacer le maïs. »

La famille a très vite adopté les formations de BIOGO et AFSA. Le projet Sols Sains, Aliments Sains (en anglais Healthy Soils Healthy Food Project) est appliqué dans sa ferme. La famille remercie les soutiens de l’initiative et espère en apprendre davantage grâce à des interactions et des formations à l’avenir.

L’écho des campagnes 4

Comment les petits producteurs au Sri Lanka font-ils face à la crise alimentaire ?

S.M.N. Maheshika Premachandra, Mouvement pour une réforme foncière et agricole (MONLAR en anglais), Sri Lanka.

Alors que le Sri Lanka fait face à la pire crise économique depuis des années, près de 30 % de ses habitants sont en proie à l’insécurité alimentaire, et un habitant sur quatre doit régulièrement se passer d’un repas. Si l’accès aux aliments et donc à un régime alimentaire nutritif est compliqué pour le reste du pays, les petits producteurs ruraux ont réussi à subvenir aux besoins alimentaires de leurs foyers grâce à leurs pratiques agricoles.

Au Sri Lanka, environ 1,65 million de petits producteurs fournissent 80 % de la production alimentaire totale. Selon les estimations, 40 % des foyers du pays vivent de l’agriculture, 94 % participent à des activités liées aux cultures et 12 % à l’élevage de bétail. Dans les campagnes du pays, les fermiers ont pu nourrir leurs familles, et leurs voisins ont pu partager ou acheter leurs produits frais. Leurs méthodes agricoles n’ont pas été affectées par les pénuries d’engrais ou pesticides chimiques. Au contraire, ils ont su expérimenter et étendre des pratiques agricoles naturelles car la demande en aliments sur les marchés locaux a augmenté et ils avaient une meilleure expérience de l’agriculture sans produits chimiques. Néanmoins, les foyers ruraux et urbains piochent dans leurs économies ou s’endettent pour acheter des produits non-périssables de première nécessité en raison de la hausse des prix sur les marchés.

Pourtant dans le secteur des « grandes exploitations agricoles » comme les plantations de thé ou autres « domaines », plus de la moitié des foyers subissent l’insécurité alimentaire, et ce depuis des années. Ces foyers s’en sortent moins bien que les populations urbaines ou d’autres communautés rurales. La plupart des communautés de l’intérieur du pays ne possèdent pas de terres à cultiver : ils n’auraient même pas assez de place pour faire pousser un petit arbre à piment. Beaucoup de jeunes femmes dans ces foyers situés sur des domaines sont contraintes de chercher des emplois comme femmes de ménage au Moyen-Orient. D’ailleurs au premier trimestre de cette année, une part importante de la migration pour raison professionnelle venait de communautés vivant sur ces domaines.

Encadres

Encadré 1

Des solutions transformatives à la crise alimentaire systémique mondiale

En 2022, une consultation sur le terrain à l’échelle mondiale sur les répercussions de la crise alimentaire, et les propositions qui en ont découlé ont illustré le quotidien des petits producteurs et communautés dans le monde, touchés par la crise alimentaire et architectes des réponses[1]. Le constat était sans appel :

La pauvreté, les prix excessifs fixés par les entreprises et les fournisseurs alimentaires attachés aux marchés signifiaient que même si les aliments étaient disponibles, ils restaient trop chers pour des millions de personnes Les conflits, les guerres et la violence d’état continuent, et la nourriture est utilisée comme arme géopolitique. Les pays et populations les moins émetteurs de gaz à effet de serre ont été les plus touchés par les conséquences du changement climatique. Les événements météorologiques extrêmes et les récoltes perdues ont engendré la perte de moyens de subsistance pour les populations indigènes et les petits producteurs alimentaires. Les inégalités entre les genres persistent, aussi les femmes et la communauté LGBTQI sont particulièrement vulnérables en cas de crises et de pénuries. Des inégalités multiples combinent souvent les discriminations de classe, privilège social, race/ethnie, caste, genre, profession, religion et âge. Le système alimentaire néolibéral en quête de profit pour les entreprises participe à beaucoup de ces problèmes et n’est pas à même de les résoudre.

À la place, les communautés de petits producteurs et des citoyens appartenant à plusieurs groupes marginalisés issus de la base, largement ignorés par l’État dans les réponses aux crises, se sont rassemblés pour trouver leurs propres solutions. En fonction de leurs propres pratiques, plusieurs requêtes ont été formulées.  De manière générale, les réponses politiques doivent adopter une approche complète axée sur le respect des droits humains, en reconnaissant les plus touchés comme titulaires de droits et la responsabilité des gouvernements comme dépositaires de devoirs.

À court terme, les mouvements exigent que l’apport de l’aide alimentaire soutienne les systèmes alimentaires, cultures et initiatives au niveau local. Il ne saurait devenir un autre moyen pour les grandes entreprises pour distribuer des produits hautement transformés. Les petits producteurs doivent recevoir des intrants disponibles localement à l’instar de semences endémiques ou des engrais biologiques pour nourrir leurs communautés. La fiscalité sur les superprofits des entreprises et sur l’extrême richesse est indispensable pour financer les mesures sociales.

À moyen terme, les mouvements exigent des législations pour mettre un terme à la spéculation alimentaire et renforcer les pouvoirs des autorités de régulation du marché et des finances. Ils appellent à la fin de la dette illégitime et rappellent la nécessité de restructurer et annuler les dettes privées et publiques dans les pays en développement. Un moratoire sur l’utilisation et la transformation de marchandises agricoles à usage non-alimentaire, comme les agrocarburants, est indispensable.

À long terme, nous devons sortir de la dépendance aux importations alimentaires et soutenir l’approvisionnement alimentaire national, transformer les systèmes alimentaires grâce à l’agroécologie et parvenir à la souveraineté alimentaire. Cela requiert des systèmes de gouvernance qui garantissent les droits humains et le multilatéralisme démocratique.

Dans les faits, il faut des mesures pour limiter le pouvoir des grandes entreprises. Le commerce et les investissements doivent être réaffectés pour bénéficier aux personnes et aux communautés, et non aux grandes entreprises. Les accords de libre-échange doivent cesser et les accords existants de l’OMC doivent être abrogés.

Les mesures positives qui nous mettront sur la voie pour atteindre ces objectifs à long terme ne manquent pas, par exemple : utiliser efficacement les commandes publiques et les réserves alimentaires, construire les marchés territoriaux, un retour aux semences et espèces indigènes, une réforme agraire intégrale et populaire et un engagement pour appliquer la déclaration des Nations Unies sur les droits des paysans et des autres personnes travaillant dans les zones rurales et la déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. En résumé, nous avons besoin de davantage de contrôle démocratique sur les systèmes alimentaires à tous les niveaux.

Encadré 2

Notre avenir est public !

Entre le 29 novembre et le 2 décembre, plus d’un millier de représentants venus de plus de cent pays, issus de mouvements de la base, des militants, des défenseurs des droits humains, d’organisations pour le développement, des mouvements féministes, des syndicats et autres organisations de la société civile se sont retrouvés en décembre 2022 à Santiago (Chili) et en ligne pour discuter su rôle majeur des services publics dans notre avenir.[2] Des centaines d’organisations dans les domaines de la justice socio-économique et les services publics, de l’éducation et la santé, les soins, l’énergie, l’alimentation, le logement, l’eau, le transport et la protection sociale se sont réunis pour lutter contre les effets néfastes de la commercialisation des services publics, reprendre le contrôle public démocratique et réimaginer une économie véritablement égalitaire et axée sur les droits humains, qui bénéficie aux personnes et à la planète.

Pour la première fois depuis le début du processus il y a 5 ans, l’alimentation s’est invitée dans cette conversation. Puisque l’alimentation ne constitue pas un service public, lors de ce dialogue transsectoriel, nous avons abordé les liens entre les services publics et les politiques publiques nécessaires pour garantir le droit à l’alimentation. De plus, notre dialogue s’est intéressé à ce que nous entendions par le retour au public et comment démocratiser notre économie grâce au renforcement de la transition agroécologique.

Nos conclusions ont rappelé que la nourriture est si essentielle à notre survie et notre bien-être qu’elle doit être au cœur des politiques et services publics. La nourriture est intrinsèquement liée à la santé, aux soins, l’éducation, le travail, le transport, l’eau, le climat, les agences politiques et la démocratie participative.  Elle doit être prioritaire comme droit humain dans le cadre d’une compréhension totale, complexe et interdépendante des droits humains. Doivent y figurer les droits des petits producteurs alimentaires, des travailleurs et des femmes, en incluant les droits collectifs et le droit à la souveraineté alimentaire. Les systèmes alimentaires sont le vecteur de la reproduction perpétuelle des cycles vivants, rendant la santé humaine indissociable de bases écologiques saines pour la Terre Nourricière.

De nombreuses voix se sont élevées pour une union entre secteurs, régions et mouvements afin de définir des stratégies communes et de nouvelles alliances pour parvenir à la souveraineté alimentaire, passer à l’agroécologie dans le monde entier et garantir le respect des droits de tous les acteurs des systèmes alimentaires.  Concrètement, nous avons discuté du rôle de la réforme agraire dans les transitions agroécologiques, l’importance de la dimension des soins dans les systèmes alimentaires, le rôle de l’alimentation dans les commandes publiques pour les institutions publiques (écoles, hôpitaux, prisons etc) et le besoin de renforcer et mieux coordonner les campagnes existantes contre les agrotoxiques.


[1] Plus d’informations et rapport complet ici.

[2] À lire : « Notre avenir est public : Déclaration de Santiago pour les services publics »

Sous les feux de la rampe

Sous les feux de la rampe 1

Enfermés par les marchés

Le monde est confronté à la troisième crise alimentaire mondiale en 50 ans, qui aggravera considérablement l’insécurité alimentaire et économique pour des centaines de millions de personnes dans le monde. Le rapport récent sur L’état de la sécurité alimentaire et de la nutrition dans le monde (SOFI dans son acronyme anglais) déplore l’échec des efforts mondiaux pour mettre fin à la famine, malnutrition et insécurité alimentaire, en hausse depuis 2014. 

Les dirigeants politiques imputent ce triste constat au ralentissement économique dû à la pandémie de Covid-19, l’accélération du changement climatique, et l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Il ne fait aucun doute que la pandémie a engendré une hausse préoccupante de la faim, l’insécurité alimentaire, la perte d’emplois et de revenus, la pauvreté et des inégalités. Toutefois le rapport SOFI démontre que les niveaux de famine dans le monde étaient déjà hauts avant l’arrivée de la pandémie en 2020.  La guerre entre la Russie et l’Ukraine a bouleversé les exportations de céréales et les chaînes d’approvisionnement dans la région de la mer Noire, entraînant une forte augmentation des prix des céréales, de l’énergie, des engrais et d’autres produits.  Hélas les dirigeants politiques ne semblent pas reconnaître le rôle des marchés des biens de consommation, des géants de l’agrobusiness et des investisseurs financiers dans cette situation de prix volatils de l’alimentation et d’économies vulnérables face aux crises alimentaires récurrentes.

Derrière ces crises fréquentes se trouvent les structures des marchés, les réglementations et des arrangements commerciaux et financiers qui soutiennent un système alimentaire mondial industriel dominé par les grandes entreprises. Ils permettent une concentration verticale et horizontale du marché ainsi que la spéculation financière sur les marchandises. Au cours des dernières décennies, les entreprises financières ont investi dans la production, la transformation, la vente des marchandises, l’agrochimie, les technologies numériques, la logistique (le transport et le stockage) et les accords fonciers à grande échelle. De plus en plus, nous les retrouvons derrière l’accaparement des terres, de l’eau et des ressources, et la spoliation dans les campagnes.

Selon Michael Fakhri, Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à l’alimentation : « les prix de l’alimentation grimpent en flèche non pas à cause d’un problème d’offre et de demande, mais en raison de la spéculation sur les prix des marchandises sur de futurs marchés. » 

Chaque État a répondu différemment à la crise selon les réserves alimentaires, les capacités de production, les niveaux de dette et le pouvoir d’achat. Les pays à faibles revenus importateurs de leur alimentation sont confrontés à de nombreux défis : endettement élevé, perte de valeur des devises, financement et infrastructure insuffisants pour renforcer la disponibilité d’aliments produits localement. En raison de la guerre, de plus en plus de pays ont réduit leurs exportations pour répondre à leurs besoins nationaux. Si ces mesures sont compréhensibles, elles ont participé à la hausse des prix des marchandises agricoles.

Les réponses multilatérales à la crise se sont concentrées sur le fonctionnement des chaînes d’approvisionnement mondiales pour les marchandises agricoles et intrants (notamment les engrais) en levant les interdictions et restrictions sur les exportations et en soutenant d’avantage la libéralisation du commerce et des investissements. Aucune mesure n’a été proposée pour mettre un terme à la spéculation sur les aliments, réglementer les marchés alimentaires et reprendre les marchés alimentaires des mains des grandes entreprises.

Pour en savoir plus :

FAO, FIDA, UNICEF, PAM et OMS. 2021. L’État de la sécurité alimentaire et de la nutrition dans le monde 2021. Transformer les systèmes alimentaires pour une alimentation saine et abordable. Rome : FAO.

FAO, FIDA, UNICEF, PAM et OMS. 2022. L’État de la sécurité alimentaire et de la nutrition dans le monde 2022. Réorienter les politiques alimentaires et agricoles pour rendre l’alimentation saine plus abordable . Rome : FAO.

Réunion du Conseil de sécurité des Nations Unies en formule Arria sur les conflits et la faim Michael Fakhri, Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à l’alimentation, 21 avril 2022, en anglais.

La crise alimentaire mondiale, cette époque, en anglais

La chaîne de valeur mondiale est-elle en train de rompre ? , en anglais.

Le multilatéralisme partisan des grandes entreprises et l’insécurité alimentaire, en anglais.

Sous les feux de la rampe 2

Cinq solutions réelles à la crise alimentaire en Afrique

Lorsque les premiers Européens ont foulé le sol africain, ils ont fait germer la crise alimentaire. Des dizaines de millions d’Africains ont été emmenées dans les Caraïbes pour transformer des biens de consommation, surtout du sucre. Avant l’arrivée des Européens, l’Afrique disposait d’un système socio-économique et alimentaire prospère et bien géré. Avec la colonisation, la priorité est devenue l’extraction de matières premières en Afrique pour alimenter l’industrialisation de l’Europe. L’Afrique s’est vue réduite à produire quelques marchandises destinées à l’exportation, empêchant ainsi la diversification des systèmes agricoles, vectrice du développement local et des marchés régionaux. Depuis l’indépendance des États, les mécanismes internes et pour l’organisation autonome et la croissance ont été entravés par la dette résultant d’investissements centrés sur les donateurs, les programmes d’ajustements structurels du FMI et une dépendance croissante aux ressources extérieures, notamment pour l’alimentation.

Le Covid-19 et la guerre entre la Russie et l’Ukraine ont exacerbé la crise alimentaire en Afrique. Les prix de l’alimentation, des intrants agricoles et de l’énergie ont grimpé en flèche. Comment l’Afrique sortira-t-elle de l’ornière ? Comment l’Afrique réussira-t-elle à produire assez d’aliments nutritifs et sains tout en assurant sa culture alimentaire et la justice du système alimentaire sans conséquences néfastes sur l’environnement ?

Au-delà des discours

Il nous faut mettre un terme aux discours de révolution verte, où le système alimentaire africain n’est vu que sous le prisme de la productivité. Selon cette théorie, la solution se trouverait dans une augmentation de la production d’aliments riches en calories, surtout trois céréales (le maïs, le riz et le blé) grâce à un recours accru aux produits agrochimiques toxiques et aux semences hybrides ou OGM. De vastes terrains reviendraient ainsi à l’agrobusiness. Loin d’améliorer la productivité, cette méthode nuirait à la sécurité alimentaire, à l’environnement, aggraverait les carences alimentaires et menacerait les cultures alimentaires et droits humains. Ça suffit !

Sur la voie de l’agroécologie

Plusieurs rapports de recherche et des déplacements en personne dans des fermes gérées en harmonie avec la nature, en associant les connaissances locales et des technologies de pointe, ont prouvé qu’il était possible de produire plus d’aliments nutritifs sans pour autant nuire à l’environnement. L’agroécologie répond aux nombreuses crises auxquelles l’humain et la planète sont confrontés. Pour éviter la catastrophe, l’Afrique doit se tourner vers l’agroécologie.

Allègement de la dette

Le poids de la dette accentue la faim et entrave considérablement les investissements agricoles en Afrique. Seuls quelques pays ont alloué 10 % de leur PIB à l’agriculture. Trente-trois pays africains sont parmi les pays les moins développés et la majorité est fortement endettée. Les gouvernements africains sombrent dans la dette en raison de la crise climatique et investissent les fonds issus de prêts conditionnels dans de fausses solutions d’adaptation. Les Nations Unies estiment que les pays pourraient débourser 168 milliards de dollars supplémentaires au cours des dix prochaines années pour de tels programmes d’adaptation.  Nous devons militer pour un allègement de la dette et une restructuration.

Une politique alimentaire correcte

Nous appelons une politique alimentaire continentale et nationale ainsi que des systèmes de gouvernance qui mettent la priorité sur une alimentation saine et durable pour toute la population. Ils garantiront des politiques cohérentes et établiront des structures de gouvernance pour la mise en application. Une politique alimentaire correcte place les personnes avant les bénéfices, lutte contre le dumping alimentaire et encourage la culture et consommation d’aliments sains et locaux.

Soutenir les marchés territoriaux et les entrepreneurs agroécologiques

Le territoire africain est rempli de marchés territoriaux. Ces mêmes marchés font figure de centres économiques, culturels et politiques pour de nombreuses petites communautés. Aussi ces centres doivent être prévus pour promouvoir la gastronomie locale et résister aux difficultés. Ces marchés territoriaux ont été essentiels pour de nombreuses communautés rurales durant l’épidémie de Covid-19. De plus, nous devons soutenir les entrepreneurs agroécologiques émergents dans leur quête de solutions pour fournir des aliments sains aux consommateurs et créer des emplois pour des millions de jeunes en Afrique, la plupart du temps des femmes et jeunes filles.

L’héritage colonial et la mainmise des élites sur notre système alimentaire ne disparaîtront pas d’un claquement de doigts. Nous devons organiser et définir notre stratégie, et nous battre pour le changement. Il appartient au mouvement de proposer des solutions, se concentrer sur la transition agroécologique et être efficace. Pour répondre à la crise alimentaire, le mouvement doit valoriser la production et consommation d’aliments locaux.

Seule la souveraineté alimentaire, vectrice d’autosuffisance et de contrôle local, pourra nous aider à éviter la catastrophe alimentaire à venir.

Bulletin n° 51 – Éditorial

Des solutions de la base à la crise alimentaire mondiale

Illustration: Carlos Julio Sánchez pour LVC.

En 2008 de nombreux experts, des paysans aux dirigeants politiques, ont alerté sur la combinaison de crises menaçant le système alimentaire industriel. Nos mouvements tiraient déjà la sonnette d’alarme sur le contrôle croissant des entreprises, la commercialisation de l’alimentation, l’accaparement des ressources, les injustices économiques et la destruction des terres des petits producteurs alimentaires par l’agriculture industrielle à grande échelle, très dépendante des énergies fossiles et autres matériaux d’origine minière. Quinze ans plus tard, nous constatons la récurrence des crises dans le système alimentaire capitaliste. L’intensification des impacts environnementaux, les guerres et conflits autour des ressources, la hausse de la dette ainsi que les injustices et inégalités structurelles exacerbent l’effet de ces crises sur nos populations.

La souveraineté alimentaire reste la réponse à la crise alimentaire. Plus que jamais, nos communautés et États doivent se tourner vers une production alimentaire agroécologique. Dans cette édition, nous détaillerons les connaissances dont nous disposons et les propositions politiques pour parvenir à des solutions. Mais nous devons gagner en puissance pour empêcher les entreprises en quête de minerais et de bénéfices de prendre le contrôle sur notre système alimentaire. La crise alimentaire est l’une des facettes des causes plus profondes des crises simultanées : la destruction de l’environnement, le retour en force du patriarcat et la criminalisation croissante des militants pour les droits dénonçant le capital, qui gangrène tous les aspects de notre vie, de l’alimentation aux engagements sociaux en passant par nos interactions avec la nature.

De nombreux mouvements ont uni leurs forces pour dénoncer les causes de ces crises multiples et interconnectées, et exigent notamment la justice climatique, la fin des énergies fossiles où la responsabilité incombe avant tout aux États développés et pollueurs historiques puis aux consommateurs privilégiés dans le monde entier, l’annulation des dettes illégitimes et déclarer illégaux les investissements commerciaux et régimes fiscaux injustes. Les mouvements féministes nous montrent la voie d’économies reposant sur la vie et les soins, la justice transversale et la construction d’un pouvoir politique. Les mouvements contre le racisme, la colonisation et pour la paix, et tous les pourfendeurs de l’oppression nous proposent des modèles de communautés. Ils nous ramènent à des pratiques d’antan de solidarité entre agriculteurs, femmes, populations indigènes, éleveurs, pêcheurs et travailleurs, et la nécessité d’être solidaires envers les migrants, les réfugiés et les demandeurs d’asile.

Prenant acte du besoin de construire et renforcer nos mouvements à tous les niveaux en partant des plus bas, et à bâtir la cohésion entre les régions et populations victimes d’injustices, nous créons le processus Nyéléni 2021-2025 pour offrir un espace où se réunir. Nous invitons tous les mouvements à nous rejoindre. Pour la souveraineté alimentaire sans attendre !  

AFSA, Focus on the Global South et Les Amis de la Terre International