Sous les feux de la rampe

Sous les feux de la rampe 1

Alerte rouge: ‘SfN’ et ‘la technologie de la nature’ sont des pièges techno-fix !

L’idée de “solutions fondées sur la nature” (SfN) semble positive et inoffensive, mais n’est en fait ni l’une ni l’autre. Il s’agit d’un terme très ambigu, de plus en plus utilisé pour blanchir les profits des entreprises par le biais d’arènes politiques censées s’attaquer aux crises mondiales du climat, de la biodiversité et de l’alimentation.

En raison de cette ambiguïté, la SfN est utilisée pour promouvoir une grande variété de propositions, allant des plantations à la conservation des zones humides, en passant par le génie génétique des plantes et des microbes du sol[1].  Les approches techniques et basées sur le marché, ainsi que l’accent mis sur l'”amélioration” de la nature (y compris en excluant les populations de leurs terres) sont à l’ordre du jour.

En 2022, la SfN a été intégrée dans une série d’accords intergouvernementaux, notamment dans : quatorze résolutions de la cinquième Assemblée des Nations Unies pour l’environnement ; le plan de mise en œuvre de la COP 27 de la CCNUCC à Charm el-Cheikh ; le cadre mondial pour la biodiversité de la Convention sur la diversité biologique Kunming-Montréal ; et une résolution de la COP 14 de la Convention de Ramsar sur les zones humides[2]. Cette évolution s’est accompagnée d’une avalanche de propositions de NbS de la part des entreprises:

“Le nombre de “promesses SfN” des entreprises a explosé. Mais comme il n’y a tout simplement pas assez de nature pour tout le monde, les entreprises font pression sur les moyens technologiques pour “améliorer” la nature, tels que les projets de bioénergie avec captage et stockage du carbone (BECCS) et d’autres technologies de géo-ingénierie.”[3]

Le Forum Economique Mondial (FME/WEF) cimente également de manière insidieuse l’approche technofixe comme essentielle à la SfN, en affirmant que “les solutions basées sur la nature peuvent être transformées par les technologies de la nature en solutions évolutives, transparentes et dignes de confiance”[4].   Le Forum Mondial de l’Environnement (FME/WEF) fait ici un récit soigneusement formulé sur les “technologies de la nature” à connotation positive, afin de promouvoir les technofixes comme la seule voie à suivre. Ce n’est pas seulement faux, c’est aussi une dangereuse distraction des vraies solutions.

Le terme “technofix” est généralement compris comme une solution technique à un problème urgent. Toutefois, il ne s’agit généralement que d’une “solution” qui s’attaque aux symptômes, mais pas aux causes profondes du problème (parce que les promoteurs de la “technofix” feraient faillite).

Les technofixes peuvent également accroître les risques d’impacts négatifs. Par exemple, des technologies de Gestion du Rayonnement Solaire (GRS/SRM) ont été proposées pour réfléchir la lumière du soleil dans l’espace[5].  Ces technologies pourraient avoir des répercussions incalculables sur les conditions météorologiques et la production alimentaire, mais pourraient néanmoins être difficiles à arrêter une fois lancées, en raison du risque de “choc de terminaison” – une accélération rapide du changement climatique qui rendrait l’adaptation infiniment plus difficile qu’elle ne l’est aujourd’hui[6], y compris pour les producteurs de denrées alimentaires.

Il est alarmant de constater que le programme technofix gagne du terrain si rapidement, alors que les conséquences pourraient être si graves. Cela semble être dû en partie au fait que le développement technologique est considéré comme politiquement neutre et toujours progressif – même si ce n’est pas le cas[7]– et en partie à une confiance inconsidérée dans les entreprises pour fournir des technologies pour le bien public. Ces déséquilibres de pouvoir sont rarement révélés ou combattus.

Au sein de la société civile, nous devons collectivement contester et discréditer l’utilisation des techno-fixes dans tous les forums politiques.

Sous les feux de la rampe 2

Le régime mondial de commerce et d’investissement : formaliser le vol et la destruction

Le régime mondial du commerce et de l’investissement repose sur une histoire d’extractivisme et d’exploitation de la nature, de la main-d’œuvre et des richesses par des entreprises provenant principalement du Nord, mais aussi de plus en plus du Sud. Ce régime, dont les racines remontent à l’ère coloniale, est une force politique et économique puissante qui menace la souveraineté alimentaire des peuples, subvertit le multilatéralisme démocratique et met la planète en danger.  La création de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) en 1995 a marqué un tournant dans l’architecture du commerce mondial. De nombreux gouvernements se sont félicités de la mise en place d’un système commercial multilatéral fondé sur des règles. En réalité, les règles de l’OMC ont favorisé les intérêts économiques des pays riches, en plaçant l’accès au marché au centre de toutes les négociations. Ses nombreux accords sur l’agriculture (AsA), les droits de propriété intellectuelle (Accord sur les ADPIC), l’industrie (Négociations sur l’accès aux marchés pour les produits non agricoles – AMNA), les normes de santé/sécurité (Mesures sanitaires et phytosanitaires – SPS), les services (Accord Général sur le Commerce des Services – AGCS), les investissements, les marchés publics, la facilitation des échanges, la pêche, le commerce électronique et les services environnementaux sont conçus pour assurer le contrôle des entreprises sur les biens et les services nécessaires à la vie quotidienne par le biais d’une libéralisation progressive des échanges.

Au cours des deux dernières décennies, l’OMC a été accompagnée par un nouveau type d’accords de libre-échange (ALE) et de partenariats économiques qui peuvent être bilatéraux, plurilatéraux, régionaux et transrégionaux, par exemple le Partenariat Economique Régional Global (PERG/RCEP), l’Accord global et Progressif pour le Partenariat Transpacifique (CPTPP) et, plus récemment, le cadre indo-pacifique pour la prospérité (IPEF en anglais). Ces accords sont plus ambitieux que l’OMC en ce qui concerne la possibilité pour les entreprises étrangères d’opérer sur les marchés nationaux, la protection de la propriété intellectuelle, la protection des investisseurs et l’élaboration d’une réglementation nationale. Les dispositions “ADPIC plus” des ALE permettent aux entreprises pharmaceutiques de s’approprier les données relatives à la sécurité et à l’efficacité des médicaments, d’étendre de facto la durée des brevets et de créer des monopoles pharmaceutiques, ainsi que de retarder considérablement la production et la commercialisation des médicaments génériques. Elles exigent également des pays participants qu’ils adhèrent aux règles de l’Union internationale pour la Protection des Obtentions Végétales (UPOV) et s’y conforment, ce qui favorise les entreprises agro-industrielles et biotechnologiques.

L’une des dispositions les plus dangereuses de ces accords est la protection des droits des investisseurs par le biais de mécanismes de règlement des différends entre investisseurs et États (ISDS), qui permettent aux investisseurs de poursuivre les gouvernements au sujet des politiques publiques, des lois et des réglementations qui limitent leurs activités et leurs profits, notamment en matière de fiscalité, de droit du travail, de droit de l’environnement et de pollution. Les arbitrages ISDS entraînent des coûts énormes pour les contribuables en termes de frais juridiques, de comparutions devant les tribunaux et de paiements de dommages, et découragent les gouvernements de réglementer dans l’intérêt public.

L’OMC et les accords de libre-échange sont le reflet d’une mondialisation axée sur les entreprises et privilégient les opportunités de profit pour ces dernières au détriment des droits et des capacités des petits producteurs de denrées alimentaires, des travailleurs, des peuples indigènes et des autres populations. Ils supplantent les conventions multilatérales sur les droits de l’homme, l’environnement et la biodiversité, et faussent les concepts de durabilité, d’inclusion et de responsabilité. Les échecs structurels de ce modèle et de son régime de gouvernance sont évidents dans les crises alimentaires, financières et de santé publique récurrentes, l’effondrement des chaînes d’approvisionnement, la dépossession des petits producteurs de denrées alimentaires et l’accélération du changement climatique. Les négociations sont caractérisées par des asymétries de pouvoir entre les pays, des accords opaques en coulisses et une coercition qui se fait passer pour un consensus. Ce régime doit être démantelé et la gouvernance en matière de commerce et d’investissement doit être ancrée dans les principes de souveraineté alimentaire, de droits des peuples, de dignité, de solidarité et de respect de la nature.

Sous les feux de la rampe 3

L’hydre aux mille têtes : Comment les entreprises privatisent le processus décisionnel international

Le pouvoir des entreprises, l’industrialisation de l’agriculture, de l’élevage, de la pêche et de l’aquaculture, et la concentration du marché dans les systèmes alimentaires continuent d’augmenter. Le fait de s’asseoir à la table des décisions de diverses institutions publiques internationales a permis de maintenir et d’accroître le pouvoir des entreprises. Comment les entreprises accroissent-elles leur influence au sein des agences des Nations Unies qui traitent des questions importantes liées à la souveraineté alimentaire ?

– Soixante-dix pour cent du budget de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) provient de contributions volontaires, notamment de philanthropies et d’associations d’entreprises. La FAO ne divulgue pas le montant des fonds qu’elle reçoit du secteur privé.

–   La FAO a intensifié sa collaboration avec le secteur des entreprises dans son cadre stratégique pour 2022-2031. Outre Crop-Life International, elle a signé des accords avec l’Association internationale des engrais, Google et Unilever, entre autres. Source.

–  Coca-Cola était l’un des sponsors de la COP 28 sur le climat à Sharm El Sheikh, en Égypte. Le directeur général de l’Abu Dhabi National Oil Company (ADNOC) supervisera le prochain cycle de négociations sur le climat mondial en tant que président de la COP28, organisée par les Émirats Arabes Unis (EAU). Source ici et ici.

– Crop-Life International participe à des groupes d’experts techniques de la Convention sur la Diversité Biologique (CDB). Des associations d’entreprises telles que le Conseil Mondial des affaires pour le Développement Durable et le Forum Economique Mmondial, qui comprennent de grandes entreprises agroalimentaires, ont établi des coalitions pour promouvoir des solutions durables qui protègent les intérêts des entreprises mais ne font rien pour l’environnement. Les exemples incluent des mécanismes de compensation (tels que “Pas de perte nette”, “Gain net”, “Nature positive” et “Solutions basées sur la nature”), l’autodéclaration, l’autorégulation et l’autocertification. Source.

Un autre moyen d’accroître l’influence des entreprises au sein des institutions de l’ONU consiste à modifier le mode d’élaboration des politiques. Au lieu de s’appuyer sur des processus intergouvernementaux de négociation avec des règles du jeu claires, de nombreuses formes d’initiatives multipartites avec des résultats politiques informels et une forte présence de réseaux favorables aux entreprises se multiplient.

Le sommet des Nations Unies sur les systèmes alimentaires, organisé en 2021 par le secrétaire général des Nations Unies, a été la plus importante de ces initiatives jusqu’à présent. Bien que les gouvernements n’aient pas convenu d’un plan d’action, un centre de coordination des systèmes alimentaires des Nations Unies – hébergé par la FAO et dirigé conjointement par le vice-secrétaire général des Nations Unies et les chefs des agences basées à Rome (FAO, Programme Alimentaire Mondial-PAM et Fonds International de Développement Agricole-FIDA), l’OMS et le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE) – a été créé en tant que structure parallèle aux institutions existantes telles que le Comité des Nations Unies sur la Sécurité Alimentaire Mondiale (CFS). Ce centre bénéficie d’un budget plus de deux fois supérieur à celui du CSA, alors que ce dernier continue à lutter pour son financement. Les gouvernements nationaux ne font pas partie de la structure de gouvernance de ce Hub. En d’autres termes, une bureaucratie onusienne favorable aux entreprises décide de facto des politiques à promouvoir.

Le Forum Mondial de l’Alimentation de la FAO (WFF) est un grand événement qui tente de mettre en relation les investisseurs et les pays. Il s’articule autour de trois piliers principaux : le Forum mondial de la jeunesse, le Forum de la science et de l’innovation et le Forum de l’investissement main dans la main. Il offre une grande plateforme aux acteurs du monde des affaires pour promouvoir leurs solutions commerciales. (Voir l’encadré sur les lectures complémentaires).

La démocratisation de la prise de décision concernant les systèmes alimentaires est au cœur même du mouvement pour la souveraineté alimentaire. Nous devons contrer la mainmise des entreprises sur les Nations Unies. En nous appuyant sur notre vision de la souveraineté alimentaire, de la souveraineté des peuples et des droits de l’homme, nous devons développer davantage nos propositions et nos stratégies pour une gouvernance alimentaire mondiale inclusive et la démocratisation des Nations Unies dans un sens plus large.


[1] https://www.etcgroup.org/sites/www.etcgroup.org/files/files/geoengineering_in_climate_negotiations_final.pdf

[2] https://research-and-innovation.ec.europa.eu/research-area/environment/nature-based-solutions_en

[3] Citation de la declaration Non aux Dépossessions Basées sur la Nature, Mars 2022.

[4] https://www.weforum.org/agenda/2022/12/nature-based-solutions-are-essential-for-tackling-the-climate-and-biodiversity-crises/

[5] https://www.geoengineeringmonitor.org/cat/technologies/solar_radiation/

[6] https://www.geoengineeringmonitor.org/2022/03/high-risk-geoengineering-technologies-wont-reverse-climate-breakdown/

[7] https://www.geoengineeringmonitor.org/2022/03/high-risk-geoengineering-technologies-wont-reverse-climate-breakdown/

[8] https://www.csm4cfs.org/fr/declaration-du-groupe-de-travail-sur-les-donnees-du-mscpa-lors-de-la-conference-cfs51/

[9] https://focusweb.org/press-release-indo-pacific-economic-framework-ipef-under-scrutiny-civil-society-raise-alarms-on-its-potential-consequences/

Bulletin n° 54 – Éditorial

Comment les plateformes multilatérales et autres plateformes internationales affectent-elles la souveraineté alimentaire?

Illustration: Andrea Medina pour ETC Group facebook.com/andreammedinagraphic/

Pour de nombreux gouvernements et décideurs politiques, l’alimentation en est venue à être considérée comme une marchandise plutôt que comme un droit. La gouvernance alimentaire mondiale sert de plus en plus les intérêts des entreprises par le biais d’accords favorables au marché et aux entreprises qui sont normalisés dans un large éventail d’institutions multilatérales. Les moyens de subsistance des populations et la nature font l’objet d’un commerce par le biais d’accords économiques et financiers qui profitent aux entreprises et aux élites dans différents secteurs et pays, mais qui menacent les conditions nécessaires à la souveraineté alimentaire des populations. Cette menace est aujourd’hui aggravée par les approches techno-fixes des entreprises face aux crises du changement climatique et de la biodiversité.

Dans ce numéro de la newsletter Nyéléni, nous décrivons comment les tendances des plateformes multilatérales et internationales ont un impact sur la souveraineté alimentaire qui sera décisif pour l’avenir de l’alimentation et de l’autodétermination des peuples. Nous décrivons les différents processus par lesquels des échanges injustes se perpétuent et des concepts opaques sont promus.

Alors que les forums sur le commerce et l’investissement continuent de faire progresser les systèmes alimentaires industriels et les chaînes d’approvisionnement mondiales, la prolifération de ce que l’on appelle les “solutions fondées sur la nature” (SFN) masque de nouvelles façons de marchandiser la nature, les territoires et les moyens de subsistance.  En assignant à la terre, au sol, à l’eau, aux forêts et à la biodiversité la tâche impossible de compenser la pollution causée par des industries situées ailleurs en échange d’une rémunération monétaire, un nouveau front de fermeture des biens communs s’ouvre, qui est rendu possible, mesuré et contrôlé par les nouvelles technologies. La mainmise des entreprises sur les agendas politiques et économiques est un facteur commun à tous ces scénarios ; elle s’étend et s’intègre dans les institutions multilatérales par le biais du multistakeholderism. Le sommet sur les systèmes alimentaires de 2021 et la création ultérieure d’un centre de coordination des systèmes alimentaires des Nations Unies, qui cherche à détourner la conversation en cours sur la gouvernance alimentaire, en sont un exemple flagrant.  Un autre exemple est la discussion sur les données pour la sécurité alimentaire et la nutrition au sein du Comité de la Sécurité Alimentaire mondiale (CSA), menée par nul autre que la Fondation Bill et Melinda Gates.

Il est clair que nous devons collectivement nous mobiliser et résister à une échelle encore plus grande et plus coordonnée qu’auparavant pour contester et inverser ces tendances dans toute une série d’arènes multilatérales et d’autres arènes de “négociation”.

ETC Group, FIAN International, Focus on the Global South

L’écho des campagnes 

L’écho des campagnes 1

« L’eau a besoin d’une voix collective » contre les exploitations porcines dans le Yucatan

Ka ́anan Ts ́onot / Guardianes de los Cenotes, témoignage présenté lors de l’anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme en 2022.

Dans le Yucatan au Mexique, les exploitations porcines se sont multipliées très rapidement. Aujourd’hui, la péninsule compte au moins 274 exploitations porcines. Elles se sont développées malgré un contexte environnemental, social et culturel qui aurait dû empêcher leur implantation dans la région. Leur présence affecte la relation métabolique avec les cenotes : des gouffres qui connectent un immense aquifère sous la péninsule aux communautés résidentes.

Dans la ville de Homún, les gardiens des cenotes défendent leur territoire face aux exploitations porcines. Grâce à la mobilisation, des manifestations et des actions en justice, les opérations de l’immense ferme industrielle ont été suspendues en octobre 2018. Pourtant, le risque subsiste jusqu’à la fermeture définitive de la ferme. L’affaire est actuellement en attente d’une décision par le tribunal fédéral pour statuer sur le droit des enfants Maya à un environnement saint et les droits des cenotes.

Dans la région de Homún, les communautés Maya luttent contre l’expansion des exploitations porcines et défendent l’eau et la vie. Voici les mots d’un militant local pour les droits humains : « Les cenotes sont des lieux sacrés pour nos peuples. Ce sont des trésors, des endroits où l’on peut observer la vie et comment la nature fonctionne. La nature n’a pas besoin de voix, de mains, de pieds pour travailler. Nous devons nous arrêter, marquer une pause pour voir la générosité de la nature et l’eau douce en est un exemple. Cette méga-exploitation ne devrait PAS nuire à la ville, et ne tuera PAS la nature de notre ville… L’eau a besoin d’une voix collective… De la même façon que nous avons besoin d’air et d’eau pour vivre, ils ont besoin de nous. »

L’écho des campagnes 2

Comment les éleveurs de l’ouest de l’Inde luttent contre les maladies du bétail

Documenté par des chercheurs à Anthra.

Encore récemment, dans l’ouest de l’Inde, si un troupeau de moutons présentait des symptômes de la clavelée, les bergers se laissaient pousser la barbe et répandaient de grandes quantités de curcuma sur tout le troupeau. Si cette méthode peut sembler saugrenue, elle n’en est pas moins logique. En arborant une barbe et en cessant de se raser, le berger informe les autres bergers de sa communauté qui comprennent que ses animaux sont malades, et qu’ils doivent donc éloigner leurs bêtes et être attentifs aux signes de la maladie. De plus, la poudre de curcuma est réputée pour ses propriétés médicinales et est très utilisée en Inde, pour cuisiner mais aussi comme antiseptique. Ce berger, sa famille et son troupeau s’isoleraient jusqu’à ce que les symptômes diminuent, afin de circonscrire l’infection.

Pendant des années, les bergers et autres éleveurs en Inde ont lutté contre les maladies dans leurs troupeaux en utilisant plusieurs méthodes combinées. Ils ont choisi les espèces et les races adaptées à leur région, géré les pâturages et l’eau pour leurs bêtes grâce à la transhumance, utilisé des plantes et les épices du foyer pour traiter leurs animaux malades et ont adopté des pratiques de « gestion » similaires à l’exemple de la clavelée pour contenir la maladie et éviter sa propagation.

L’écho des campagnes 3

Mon travail est devenu plus dangereux

Bernarda Lopez (pseudonyme), témoignage devant le Congrès des États-Unis

Je viens du Guatemala et je vis aux États-Unis depuis 24 ans, j’ai travaillé dans plusieurs usines de viande Tyson. Pendant la pandémie, mon travail est devenu plus dangereux car je travaillais épaule contre épaule avec mes collègues. Nous devions poursuivre notre travail car nous étions considérés comme des « travailleurs essentiels ». Il est fréquent que des employés viennent travailler tout en étant malades pour éviter les sanctions liées aux absences. J’étais inquiète car mon mari étant en convalescence après une opération chirurgicale et je ne voulais pas qu’il attrape le Covid-19. L’entreprise n’a mis en place aucune mesure de protection concrète et ne nous a pas informés des cas qui se déclaraient.

Nous avons remarqué que certains collègues commençaient à être absents, mais nous n’avons pas su pourquoi. J’ai commencé à voir des symptômes, j’avais mal à la tête et j’étais très fatiguée. Lorsque j’ai informé ma responsable, elle a refusé que je rentre chez moi. Elle m’a dit que si je partais, je recevrais une sanction, que j’ai acceptée car je me sentais vraiment mal. Le lendemain, je suis retournée au travail pour ne pas recevoir une autre sanction et risquer de perdre mon emploi. Après le travail, je me suis rendue dans une clinique et mon test Covid-19 était positif. Inéluctablement, mon mari l’a contracté aussi et est décédé très rapidement.

L’écho des campagnes 4

La pénurie de vétérinaires n’est pas une excuse

Attila Szőcs, Eco Ruralis, Roumanie[1]

Il n’y a presque plus de vétérinaires pour les paysans et les petits agriculteurs dans la campagne rurale de Roumanie : seulement 1 pour 1 000 petites exploitations. Par conséquent, il n’est pas possible de réagir face aux épidémies de peste porcine africaine, qui touchent les élevages de porcs du pays depuis 2017. Les agences vétérinaires du gouvernement se contentent d’ordonner l’abattage massif de tous les porcs dans chaque région affectée.

Dans le cas de petites exploitations, l’agence envoie une équipe qui parcourt les villages, visite chaque exploitation, abat tous les porcs d’une balle dans la tête puis repart en laissant les agriculteurs s’occuper des porcs morts. Les grandes exploitations ont leurs propres équipes de vétérinaires et de gestion et elles sacrifient leurs bêtes sous le contrôle de l’agence. Ces grandes exploitations ont touché des millions d’euros d’indemnités de la part du gouvernement. En janvier dernier, une épidémie a touché la ferme de reproduction d’un exploitant danois et 42 000 porcs ont été abattus.

L’écho des campagnes 5

Des normes injustes engendrent une disparition des paysans

Nicolas Girod, Confédération paysanne[2], France

[Sur l’élevage animal] On a des normes injustes, inappropriées, bâties sur un modèle qui ne correspond pas à toutes les paysannes et paysans. Cela engendre une disparition des paysans et une uniformisation, une mise à l’écart de ce qui ne rentrerait pas dans le moule. Ce que l’on défend au travers de l’agriculture paysanne, c’est une démarche : on peut répondre à l’objectif d’une norme par quantité de moyens. Cela, l’administration a énormément de mal à le prendre en compte.

Nous avons récemment été confrontés à la crise sanitaire de la fièvre catarrhale ovine (FCO).  On appelle cela une maladie de l’exportation. Elle a été utilisée par la France comme rempart à l’importation de viande depuis d’autres pays, qui l’a classée à un niveau de dangerosité qui n’avait pas de rapport avec la réalité. Quand la FCO est arrivée sur le territoire français, ça a été le retour de bâton, les autres pays ont classé la FCO de la même façon et les éleveurs français ne pouvaient plus exporter, tant que la maladie n’avait pas été éradiquée de tout le territoire. Il fallait donc vacciner les bêtes sur la totalité du territoire, même chez les paysans qui n’étaient pas spécialement exposés, comme l’élevage laitier. Nous sommes allés devant le tribunal et on a été reconnus coupables – mais pas condamnés – parce que nous n’avions pas voulu vacciner nos animaux. C’est le genre de choses absurdes qui ne correspondent pas du tout à nos systèmes autonomes d’élevage à l’herbe.

Nicolas Girod a récemment été arrêté suite à sa participation aux manifestations contre les projets de méga-bassines pour l’agriculture industrielle.

L’écho des campagnes 6

Revitaliser la production de viande régionalisée

Julia Smith, Blue Sky Ranch, Colombie-Britannique, Canada

En 2008, des changements de réglementation sur la transformation de la viande ont mené à la fermeture de 80 % des établissements de transformation de viande de Colombie-Britannique. Les personnes qui avant, pouvaient acheter de grandes pièces de bœuf au boucher local, ont alors dû se rendre au supermarché pour acheter du bœuf provenant de la province voisine d’Alberta. L’animal était peut-être né tout près, mais en raison de la fermeture des établissements de transformation, il devait être transporté en Alberta pour son abattage, où il serait ensuite transformé dans l’une des entreprises géantes d’où sort 95 % du bœuf canadien.

En 2018, un groupe d’agriculteurs de Colombie-Britannique a créé l’association de producteurs de viande à petite échelle (Small-Scale Meat Producers Association) qui se bat pour des changements et pour permettre aux exploitations de vendre de la viande locale. En 2021, nous avons obtenu de nouvelles réglementations qui autorisent l’abattage de 25 animaux maximum par exploitation et par an, et nous sommes en train de créer un réseau de bouchers pour soutenir à la fois l’abattage in situ et d’autres opérations de transformation de viande au niveau régional. Cela passe par des projets comme les plans et la construction d’une remorque-abattoir qui pourrait être utilisée par un boucher professionnel qui assurerait des services à plusieurs éleveurs agréés pour l’abattage in situ.

L’écho des campagnes 7

Races locales de poulet

Abdramane Zakaria Traoré, Centre Sahélien pour la Biodiversité

Les races locales de poulet constituent une source vitale de protéine animale, d’œufs et de revenus financiers pour beaucoup de communautés rurales d’Afrique. Élevées selon des systèmes d’agriculture familiale, elles sont souvent accessibles même pour les éleveurs aux ressources limitées, et présentent une résistance remarquable face aux maladies grâce à leur diversité génétique. Les races indigènes sont adaptées à leur environnement particulier et sont plus résilientes face aux conditions environnementales et maladies néfastes que les poulets importés vendus dans le commerce.

Les maladies touchant les volailles peuvent engendrer d’immenses pertes économiques et menacer la sécurité alimentaire. Cependant, les races africaines de poulets ont développé des mécanismes de défense naturels qui leur permettent de résister et de guérir plus rapidement des infections. Elles ont besoin de moins de médicaments pour prévenir et traiter les maladies que les races industrielles, ce qui réduit le risque de développement de résistance aux antibiotiques et la menace pour la santé humaine. En soutenant l’élevage de poulets africains et en préservant leur diversité génétique, nous pouvons renforcer la sécurité alimentaire, réduire la dépendance aux antibiotiques et améliorer la résistance des systèmes d’élevage des volailles, ouvrant ainsi la voie à une vraie transition vers l’agroécologie en Afrique.


[1] L’élevage industriel sous l’emprise des pandémies en série

[2] Article entier disponible ici.

Encadres

Encadré 1

La recherche pandémique pour les personnes[1] (PReP)

Les investissements financiers envahissent les espaces frontaliers pour le bois, le développement urbain, les mines et l’agriculture industrielle (le bétail, les monocultures et le déplacement de paysans causé par l’accaparement des terres). Ces phénomènes fragmentent les écosystèmes forestiers et augmentent le nombre d’interactions entre espèces. Les virus infectent les populations humaines et le rythme effréné du commerce et des déplacements internationaux font circuler la faune et la flore (et les êtres humains infectés) dans le monde entier.

Les principaux scientifiques appellent à davantage de surveillance des forêts, et criminalisent les résidents de ces zones qui dépendent des produits de la forêt. En plus de l’agro-industrie, ils promeuvent « l’intensification durable » dont l’idée sous-jacente est que le déploiement des technologies de la Révolution Verte sur les exploitations existantes protégera les forêts. Néanmoins, les bénéfices de la hausse de production entraînent l’expansion agricole.

À l’inverse, les agroécologistes prônent un modèle de « matrice de la forêt » qui considère les humains comme des composants intégrés essentiels des systèmes écologiques où la production alimentaire est liée à la conversation. Ce cadre écologique rejoint les processus de défense en cours des terres des communautés indigènes, noires et paysannes. L’agroécologie est un processus d’adaptation et de mitigation qui produit des écosystèmes peu gourmands en énergie et riches en biodiversité, bien plus résistants aux évènements météorologiques extrêmes et capables de mieux réguler les cycles épidémiologiques.

Les réponses pharmaceutiques descendantes aux apparitions de maladies infectieuses considèrent les maladies comme des agents isolés externes qui touchent les populations humaines vulnérables. L’intégration de l’agroécologie comme une réponse aux maladies infectieuses permet de voir l’infectiosité et la propagation de la malade comme un symptôme possible (mais pas inévitable) d’interfaces complexes entre humains et non-humains structurées par des régimes raciaux et coloniaux de capital mondial. Pour PReP, l’agroécologie est indispensable pour combattre les maladies infectieuses, tout en confiant l’autonomie sur les terres et les moyens de subsistance aux paysans du monde. 

Encadré 2

Les méga-industries du saumon au Chili polluent, nuisent à la santé et aux pêcheurs locaux !

Depuis des décennies, l’industrie de l’élevage du saumon au Chili occupe et détruit des zones protégées et les territoires ancestraux de Mapuche, Kawesqar et Yagán. Le recours abusif par l’industrie aux antibiotiques et antiparasites engendre une résistance aux antibiotiques qui est vitale pour les traitements médicaux humains et néfaste pour les écosystèmes marins. Cette pratique diminue la résistance naturelle des espèces natives et accroît les maladies qui les affectent.

Les méga-industries du saumon ont introduit au moins 20 pathogènes viraux, bactériens et parasitaires dans les écosystèmes aquatiques du sud du Chili. Ces nouveaux pathogènes ont des répercussions sociales et économiques graves pour les communautés qui récoltent sur le littoral, en particulier sur l’archipel de Chiloé. Les palourdes et autres mollusques bivalves filtrants sont contaminés par des neurotoxines et des toxines gastro-intestinales et les sites sont fermés pour raison sanitaire aux pêcheurs et ramasseurs locaux[2].

Après avoir créé ces zones de « sacrifice environnemental » et après une affaire d’écocide, les grandes entreprises chiliennes et étrangères empochent des milliards de dollars en exportant leurs produits certifiés « respectueux de l’environnement et socialement responsables ». Le fond du problème réside dans le modèle productiviste et tourné vers l’extraction de l’exploitation de la nature, qui met constamment en danger la vie, la santé et la biodiversité sur nos territoires. Nos zones protégées et nos territoires ancestraux ne seront pas des zones sacrificielles pour le colonialisme destructeur du saumon !

Encadré 3

Le processus Nyéléni, vers un forum mondial pour la souveraineté alimentaire en 2025

Les voix de nos alliés

Claudio Schuftan, Mouvement pour la santé des peuples (MPS) et World Public Health Nutrition Association (WPHNA), Hô Chi Minh-Ville 

Nyéléni 2007 a permis de donner le rythme pour les organisations de la société civile (CSO en anglais) d’intérêt public et les mouvements sociaux. L’événement a donné une nouvelle forme à nos revendications aux dirigeants. Quinze ans plus tard, l’heure est venue de redonner du souffle au processus, pour préciser nos revendications mais aussi pour trouver de nouveaux alliés pour y parvenir – et refléter l’importance de la rencontre à Rome en juin 2023.

Le MPS reconnaît que le défi ne réside pas dans l’élaboration d’une nouvelle déclaration qui viendrait d’en haut. Il s’agit plutôt du processus des 18 prochains mois qui rapprochera la lutte de la base pour que le résultat soit vraiment représentatif du monde entier et puisse donner naissance au contre-pouvoir nécessaire.  Le MPS est un réseau regroupant des réseaux de militants pour les droits humains et à la santé et dispose actuellement d’une présence en ligne dans plus de 70 pays. Il a vu le jour en 2000 et s’attaque à la fois aux questions mondiales et nationales. Son secrétariat actuel est basé en Colombie (phmovement.org). Le MPS compte un groupe de travail thématique Alimentation+Nutrition qui correspond aux messages des soutiens et militants de Nyéléni, au vu des liens évidents entre santé et nutrition. Dans le cadre de notre travail, notre groupe allie souveraineté alimentaire, agroécologie, justice climatique et droit à l’alimentation et à la santé. Nous allons communiquer sur le processus Nyéléni aux 3 700 abonné.es de la liste de diffusion phm-exchange, à la fois pour informer nos membres des progrès et pour récolter leurs contributions afin de travailler tous ensemble vers la déclaration de 2025. Nous sommes tous à vos côtés.

Il en va de même pour le travail du WPHNA, une association professionnelle de nutritionnistes dans la santé publique et dont je suis membre du comité exécutif (www.wphna.org). WPHNA soutient fortement les principes Nyéléni. Nous comptons environ 500 membres dans le monde. Vous pouvez également compter sur nous.


[1] Site internet ici ou e-mail rwallace24@gmail.com et alexliebman@gmail.com

[2] Pour plus d’informations, Centro Ecoceanos.

Sous les feux de la rampe

Sous les feux de la rampe 1

Maladies émergentes et agriculture industrielle

En 2008, suite à la réponse internationale catastrophique à l’épidémie de grippe aviaire H5N1 en Asie, nous écrivions : « Le monde est secoué par d’importants changements concernant les maladies mondiales. Nous allons devoir affronter […] des types de maladies plus mortelles et une capacité de propagation accrue. Nous sommes aussi face à une plus grande probabilité qu’émergent zoonoses et pandémies mondiales. Pourtant, la réponse internationale à cette situation nouvelle est très loin jusqu’à présent de refléter l’ampleur de la menace. »[1]

La racine du problème était évidente : l’expansion rapide d’un modèle d’élevage où des milliers de bêtes génétiquement uniformes sont entassées et poussées à grossir le plus vite possible. Ces fermes industrielles sont un bouillon de culture pour l’évolution et la diffusion de souches de maladies mortelles, potentiellement transmissibles aux humains ; en effet la grande majorité des nouvelles maladies qui touchent les humains viennent des animaux (appelées « zoonoses »). La structure mondialisée de l’industrie, avec ses zones de production à forte densité (notamment des zones déboisées où il existe un risque de contact avec des animaux sauvages) et sa priorité mise sur l’exportation d’aliments, de viande et d’animaux sur de longues distances, sont propices à la propagation large et rapide de la maladie.

L’épidémie de grippe aviaire H5N1 aurait dû interroger sur la promotion de l’agriculture et de la viande industrielles. Mais l’inverse s’est produit. Les gouvernements et les agences internationales ont pointé du doigt les petits paysans et les marchés traditionnels. Ils ont mis en place une série de mesures pour protéger les entreprises de viande industrielle et ont profité de l’épidémie pour accroître les échelles et la concentration, en confiant le contrôle de ces exploitations et usines de viande mortifères à des grandes entreprises et des magnats corrompus.

En 2009, une épidémie de peste porcine a éclaté au Mexique, dans les élevages de porcs industriels. Ensuite une épidémie de peste porcine africaine ravageuse a tué des centaines de milliers de porcs dans des zones où l’agriculture industrielle était répandue : la Russie, la Chine et d’autres régions d’Asie. Puis le Covid-19 est apparu, et si son originale animale exacte n’a pas encore été prouvée, les usines de transformation de viande industrielle ont constitué des lieux de forte contamination, touchant des centaines de milliers de travailleurs et travailleuses, leurs familles et leurs amis. Par chance, la grippe aviaire ne s’est pas encore transformée en souche épidémique, mais un nouveau variant tue des millions d’oiseaux sauvages et se diffuse de manière incontrôlée dans les élevages industriels de volailles les plus confinés en Amérique du Nord, au Japon et en Europe.

Sous couvert de « biosécurité », les gouvernements et les agences comme la FAO ou l’Organisation mondiale de la santé animale (OMSA) continuent de promouvoir des mesures visant à industrialiser davantage l’élevage de bétail, sous le contrôle des entreprises.  Les approches reposant sur la diversité, le savoir traditionnel ou la production et les marchés locaux en circuit court sont ignorées voire criminalisées.

Pour mettre un terme à ces pratiques irresponsables et protéger le monde de nouvelles pandémies, nous devons éliminer l’agriculture industrielle et défendre et reconstruire des systèmes d’élevage divers, localisés et en circuit court.

Sous les feux de la rampe 2

La résistance à l’expansion de méga-exploitations porcines et la défense des territoires indigènes, de l’eau, de l’air et de la nature en Amérique latine[2]

Malgré leurs conséquences désastreuses, les exploitations porcines s’exportent des États-Unis dans toute l’Amérique latine. Ces usines de viande s’inscrivent dans le système alimentaire actuel dominant (et en expansion), le complexe céréales-oléagineux-bétail[3] où les céréales et les oléagineux (majoritairement du maïs et du soja génétiquement modifiés) nourrissent un nombre croissant d’animaux destinés à l’élevage alimentaire. Malheureusement, si les choses ne changent pas, d’ici 2029 la production de viande augmentera de 40 millions[4] et la majorité de cette viande sera produite en Amérique latine. Étant donné qu’une grande partie de la viande est exportée, les échanges inégaux ressortent très clairement entre ceux qui profitent de l’exploitation des humains, des animaux non-humains et la nature (l’industrie de la viande), et les communautés (souvent indigènes, paysannes et d’origine africaine) qui sont confrontées à toutes les conséquences néfastes de cette industrie.

Les exploitations porcines gèrent des opérations de production de viande industrielle où des milliers de porcs sont enfermés pour que toute leur énergie serve à la production de viande. La production de viande répondant à cette logique capitaliste pollue l’eau, l’air et les sols. Elle est associée à l’accaparement des terres et les dangers sanitaires (notamment les épidémies) et constitue l’un des principaux facteurs du changement climatique et de la déforestation, engendre de la maltraitance animale et déplace d’autres formes alimentaires plus durables et justes.

Les exploitations porcines sont également responsables de nombreuses violations des droits, notamment les droits aux terres et aux territoires, à un environnement sain, à l’eau, l’alimentation, les droits de la nature, des militants pour les droits humains et des peuples indigènes.[5] 

Sans surprise, la résistance prend de l’ampleur contre l’expansion de l’agrobusiness et plus précisément des exploitations porcines. En 2022, des communautés affectées, des militants, des organisations et des universitaires se sont retrouvés à Yucatan pour débattre du problème croissant des exploitations porcines dans la région. La déclaration de l’Amérique sans méga-exploitations de porcs[6] renforce l’exigence de promouvoir la souveraineté alimentaire, l’agroécologie et la production alimentaire ancestrale plutôt que financer et soutenir l‘agroextractivisme et la nécessité de fermer ces usines de viande.

Plusieurs actions collectives ont eu lieu pour abolir les usines à viande. Entre autres, des consultations citoyennes, des consultations au sein des communautés indigènes, des campagnes, des manifestations, des lieux occupés, des actions en justice.[7]  Lorsqu’ils ont fait entendre leur voix, des paysans et des personnes indigènes ont subi des intimidations, la criminalisation et la répression. Au niveau régional, plusieurs organisations ont demandé à la Commission interaméricaine des droits de l’homme (CIDH) une audience thématique pour débattre des violations des droits humains liées à l’industrie de la viande en Argentine, au Brésil, au Chili, en Équateur, au Mexique et aux États-Unis.


[1] Viral times – La politique des maladies animales émergentes dans le monde.

[2] Il existe de nombreux documents élaborés par le groupe qui publie cet article. Voir ici et ici.

[3] Weis, T. (2013). The ecological hoofprint: The global burden of industrial livestock. Bloomsbury.  

[4] Stiftung, H. B. Meat Atlas 2021.

[5] Pour plus d’informations sur l’industrie de la viande et les violations des droits humains, veuillez consulter la demande d’audience thématique, présentée par 20 organisations et soutenue par 243 en 2022 puis encore en 2023, disponible ici.

[6] La déclaration est disponible ici (en espagnol).

[7] Pour plus d’informations sur le Yucatan et d’autres cas, vous pouvez consulter la carte des témoignages (disponible en espagnol).

Bulletin n° 53 – Éditorial

Maladies émergentes et agriculture industrielle

Illustration : Rini Templeton, www.riniart.com

Qu’est-ce qui rend les aliments surs ?

Au sein des systèmes alimentaires industriels, la « sécurité » revient à gérer les risques élevés engendrés par ce même modèle de production alimentaire. Les aliments sont produits dans des champs de monoculture ou des exploitations agricoles industrielles, où les espèces uniformes de plantes et d’animaux sont extrêmement vulnérables aux ravageurs et aux maladies. Dans ce contexte, les maladies peuvent proliférer ou muter pour prendre des formes encore plus meurtrières et, dans le cas des animaux, se propager aux humains et se diffuser le long des chaînes d’approvisionnement industrielles. Afin de les rendre moins vulnérables, les cultures sont génétiquement modifiées ou arrosées de pesticides toxiques et les animaux sont nourris d’antibiotiques et de médicaments, créant des dangers sanitaires supplémentaires. Ensuite, la plupart des aliments sont fortement transformés et vendus dans des supermarchés, et sont à l’origine de maladies telles que le diabète et le cancer.

Les gouvernements et les entreprises imposent de plus en plus de réglementations et de normes pour faire face à ces risques. En réalité, ils ne font que réduire les excès les plus flagrants, sans menacer les bénéfices des grandes entreprises, et ignorent les systèmes alimentaires reposant sur l’élevage animal, les marchés et l’agroécologie traditionnels, qui présentent moins de risques grâce à la diversité, aux connaissances locales, à la confiance et aux circuits courts. Ces réglementations sont devenues des outils pour étendre le contrôle des grandes entreprises et affaiblir les systèmes alimentaires sains qui continuent à nourrir la majorité de la population mondiale et qui représentent la seule vraie solution face aux dégâts causés par le système alimentaire industriel.

GRAIN

L’écho des campagnes 

L’écho des campagnes 1

Du forum international aux campagnes 1

Kusnan, Centre national pour les semences, Serikat Petani Indonesia (SPI), Tuban, province de Java oriental, Indonésie

Le mouvement mondial pour la souveraineté alimentaire, qui a organisé son premier forum à Nyéléni au Mali en 2007, a joué un rôle déterminant pour apporter une clarté politique et une compréhension commune du sens de « souveraineté alimentaire » selon les différentes réalités nationales.

Depuis plusieurs décennies en Indonésie, Serikat Petani Indonesia se bat pour une réforme agraire qui garantirait la souveraineté alimentaire de nos territoires. Nous appelons ces régions des « zones de souveraineté alimentaire ».

Je me trouve actuellement à Tuban, dans la province de Java oriental dans une zone de souveraineté alimentaire qui a été épargnée par l’accaparement à grande échelle à des fins industrielles. Ici nous cultivons nos terres en tant que communauté et sommes autonomes quant à nos outils, semences et méthodes de culture. Notre système de coopérative est organisé et géré par des paysans qui partagent la philosophie de l’agroécologie. Dans le système de production qu’ils ont bâti, le bétail, les cultures et la nature cohabitent harmonieusement et les fonctions de chaque élément se complètent.

Nous plantons des espèces diverses de cultures comme du riz, du maïs, des fruits, des légumes et de l’horticulture. Nous sommes opposés à toute forme de monoculture industrielle. Nous avons recours à la mécanisation agricole à petite échelle, qui garantit l’autonomie des paysans qui l’utilisent. Nos semences sont créées et produites en choisissant et en croisant des semences locales afin d’améliorer leurs propriétés génétiques, leur rendement et leur résistance au changement climatique.

Nos pratiques agricoles s’appuient sur la sagesse locale et les savoirs ancestraux, et nous avons recours à des engrais biologiques solides issus des déchets animaux ainsi que des engrais biologiques contenant plusieurs types de microbactéries. Ils permettent de décomposer la matière organique dans la terre et favorisent un équilibre écologique dans un écosystème équilibré. Cette approche garantit la présence de macro et micronutriments et contrôle les nuisibles et les maladies, nous permettant ainsi de produire des aliments sains et nutritifs.

Pour vendre nos produits, nous avons créé la coopérative des paysans indonésiens, une entité paysanne qui transforme et distribue la production dans les zones rurales et les villes de la zone de souveraineté alimentaire. Ce système de coopérative assure une approche durable et équitable de l’agriculture, met la priorité sur les besoins de la communauté et aide à protéger notre souveraineté alimentaire.

L’écho des campagnes 2

Du forum international aux campagnes 2

Ibrahima Coulibaly, Coordination Nationale des Organisations Paysannes du Mali (CNOP-Mali)

Le combat pour la souveraineté alimentaire au Mali dure depuis le forum de Nyéléni en 2007. Il s’est concrétisé sur le terrain avec comme objectifs de s’opposer au modèle de production et de distribution dominé par les intérêts privés et de soutenir l’économie locale afin de lutter contre la faim et la pauvreté.

En 15 ans, la Coordination Nationale des Organisations Paysannes du Mali (CNOP-Mali) a fait de Nyéléni notre guide vers l’avenir de l’agriculture familiale en plaçant l’agroécologie paysanne au cœur de la souveraineté alimentaire.

L’engagement de la CNOP a donné lieu à l’organisation d’un forum international sur l’agroécologie au Mali en 2015, la création d’un système allant de l’identification d’un vivier de formateurs paysans à la création de 12 modules autour des pratiques de travail de la terre, une charte sur les agriculteurs relais et un manifeste sur l’agroécologie. De plus, une plateforme sur l’agroécologie paysanne au Mali a vu le jour à l’initiative de la CNOP en avril 2017, accompagnée d’un système de formation des paysans formateurs en agroécologie paysanne pour parvenir à la justice économique, sociale et environnementale.

Aujourd’hui, ce système compte plusieurs milliers de producteurs formés et engagés dans la pratique de l’agroécologie. Un défi subsiste néanmoins : appliquer une approche qui lève les obstacles à la multiplication des marchés pour les produits agroécologiques et biologiques. Comment pouvons-nous passer des marchés ciblés à des marchés à plus grande échelle ? Comment impliquer de façon structurelle les paysans dans la consultation avec les parties prenantes aux systèmes alimentaires ? Enfin, comment garantir une position politique de la part des dirigeants politiques, à la fois au niveau national et au sein des organismes de gouvernance régionale ainsi que de l’Union Africaine ? Il est indispensable de fournir des réponses à toutes ces questions.

L’écho des campagnes 3

Un aperçu des difficultés et de la résilience des communautés de pêcheurs

Md. Mujibul Haque Munir, COAST Foundation, Bangladesh

Récemment, j’ai effectué des visites dans les villes de Cox’s Bazar, Bhola et Sunamganj pour évaluer la situation actuelle en amont de notre consultation régionale. J’ai pu constater la résilience et la force des communautés de pêcheurs malgré toutes les difficultés qu’ils rencontrent.

À Cox’s Bazar, j’ai vu par moi-même la réalité douloureuse causée par la crise des Rohingya. La région est réputée pour sa tradition de pêche en mer mais les pêcheurs font face à de nombreux obstacles. Ils demandent un enregistrement officiel et des contrats écrits pour protéger leurs emplois et garantir des indemnités justes en cas d’accident. De nombreux pêcheurs ont connu des expériences insatisfaisantes quant à l’aide fournie par le bureau local de la pêche : seuls quelques-uns d’entre eux ont reçu des équipements de sécurité essentiels. Les difficultés financières étaient elles aussi évidentes au vu du maigre revenu mensuel des pêcheurs et leur dépendance aux avances données par les propriétaires des bateaux. Leurs familles pâtissent de ces difficultés, notamment leur accès à l’éducation et aux soins de santé.

En me rendant à Bhola, j’ai constaté les effets destructeurs des catastrophes naturelles sur la région littorale. Les cyclones récents ont dévasté les communautés. Les pêcheurs locaux ont fait preuve d’une résilience extraordinaire en ne ménageant aucun effort pour reconstruire leurs vies. Pourtant, une assistance immédiate sous la forme d’abris, d’eau potable et de soutien aux moyens de subsistance était indispensable pour les sortir de l’ornière. Renforcer la préparation et la résilience face aux catastrophes dans la région est primordial pour atténuer les conséquences d’épisodes futurs et protéger les populations et les moyens de subsistance.

À Sunamganj, une région jalonnée de rivières et de zones humides, j’ai découvert des défis bien différents. Les inondations, l’érosion et les maladies transmises par l’eau faisaient partie des préoccupations majeures. Malgré les obstacles, la communauté a fait montre d’une grande capacité d’adaptation, en trouvant des moyens innovants de lutter contre les inondations fréquentes. Néanmoins, des solutions à long terme comme la construction de digues, des systèmes d’alerte rapide et des centres de soins améliorés sont requis de toute urgence pour assurer leur bien-être. Améliorer leur résilience est crucial dans cet environnement singulier.

Les membres de la communauté, les autorités locales et les organisations humanitaires m’ont expliqué en détail les difficultés et les solutions possibles. Des efforts conjoints impliquant toutes les parties prenantes sont nécessaires pour faire face aux enjeux multiples auxquels sont confrontées ces communautés : avant tout, il convient d’assurer un soutien gouvernemental approprié, la sécurité financière, des mesures de sécurité et l’accès aux services essentiels. En reconnaissant les apports des communautés de pêcheurs et en apportant notre soutien, nous pouvons leur donner les outils et créer un avenir plus durable et prospère.

L’écho des campagnes 4

Un plan alimentaire populaire par les personnes, pour les personnes !

Jessie Power, Alliance Australienne pour la souveraineté alimentaire (AFSA)

En 2012, la Australian Food Sovereignty Alliance (AFSA) a présenté son plan alimentaire populaire original en réponse au plan alimentaire national du gouvernement australien, abandonné depuis. À la différence du plan alimentaire national du gouvernement, élaboré sans la participation des petits paysans et des communautés locales, le plan alimentaire populaire reflétait les préoccupations et les attentes des consommateurs, des paysans, des organisations de communautés, des entreprises alimentaires indépendantes et des groupes militants. Le processus du plan alimentaire populaire a été mené selon un modèle de démocratie participative dans l’élaboration de politiques : ouverte, inclusive et démocratique. En effet nous connaissions l’ampleur des défis et l’urgence du travail à accomplir pour transformer notre système alimentaire défaillant, et nous savions que la prise de décisions était plus pertinente si elle était proche des personnes affectées.

Grâce au travail de collectivisation autour du plan alimentaire populaire, le mouvement pour la souveraineté alimentaire en Australie est né comme une alliance de paysans, d’organisations de systèmes alimentaires et de personnes prêtes à s’engager personnellement en faveur de la justice alimentaire. Onze ans plus tard, l’alliance AFSA s’est mue en organisation de la société civile menée par les paysans et à la tête de la lutte pour la souveraineté alimentaire. Forts d’une décennie de contributions politiques aux gouvernements fédéraux, étatiques et locaux, nous devons désormais actualiser le plan alimentaire populaire et en faire un cadre politique et un plan d’action de la base pour obtenir la souveraineté alimentaire en Australie.

Le 1er juin, l’alliance AFSA a publié le projet de loi actualisé pour un plan alimentaire populaire. Il appellera tous les acteurs du militantisme et de la transformation des systèmes alimentaires à prendre part aux actions et recommandations politiques populaires pour tous les niveaux de la gouvernance australienne. Nos partenaires internationaux sont également invités à nous aider à rassembler des études de cas qui illustrent la souveraineté alimentaire et l’agroécologie en action. Ainsi, nos gouvernements comprendront que « nous, le peuple » devons avoir le contrôle et décider de nos systèmes alimentaires et agricoles. D’ailleurs, les peuples indigènes et les petits producteurs alimentaires le font déjà avec succès depuis des millénaires !

Depuis 2019, le système alimentaire australien a connu plusieurs ondes de choc : des incendies catastrophiques, la pandémie de Covid-19 et des inondations destructrices sur la côte est. Le gouvernement australien a donné la priorité à l’agriculture industrielle et les producteurs alimentaires à grande échelle se sont préparés à l’exportation grâce à des politiques favorables, des lois et des réglementations inadaptées aux échelles. Pourtant, trois années de crise systémique ont démontré que les petits producteurs alimentaires sont les plus à même de faire face à ces catastrophes et nourrir les communautés locales. Nous prévoyons de présenter notre plan alimentaire populaire actualisé 2023 lors du sommet annuel Food Sovereignty Convergence, organisé en octobre comme un appel à une action nouvelle face à ces crises.

Si vous souhaitez participer au plan alimentaire populaire actualisé 2023 ou envoyer une étude de cas à inclure, écrivez-nous à coordinator@afsa.org.au

Encadres

Encadré 1

Comprendre la mobilisation historique des paysans en Inde

En Inde, le comité pour le marché des producteurs agricoles (ou Agricultural Producers’ Market Committee, APMC) propose aux paysans un espace régulé pour vendre collectivement leurs produits, à l’abri de la volatilité des prix. Le prix de soutien minimum ou MSP est une autre politique qui garantit une rémunération minimale pour les paysans, pour qu’ils puissent rentrer dans leurs frais de production et engendrer des bénéfices.

Pourtant en 2020 le gouvernement indien a fait passer trois lois sans consultation préalable, provoquant des contestations paysannes dans tout le pays. La première loi permettait à des entités privées de mettre en place des marchés privés déréglementés : les paysans craignaient qu’une telle mesure n’anéantisse le système APMC et leur pouvoir de négociation collectif. La deuxième loi autorisait l’agriculture sous contrat et a suscité l’inquiétude d’une concentration de l’agriculture par les entreprises et de conflits fonciers. La troisième loi levait les limites de stocks et d’autres mécanismes de régulation des marchandises agricoles. D’après les paysans, ces lois ouvraient la voie à une privatisation massive du système agricole indien sans aucun garde-fou légal pour le MSP en vigueur.

Les paysans de tout le pays se sont mobilisés contre ces lois et après 15 mois de manifestations, le gouvernement indien a cédé à la pression populaire et abrogé les trois lois agricoles controversées en 2021. Malheureusement, plus de 750 paysans auraient perdu la vie durant la contestation. S’il est vrai que le fonctionnement d’APMC doit s’améliorer, la mobilisation paysanne illustre la nécessité de consulter les parties prenantes avant de légiférer et souligne l’importance de protéger le pouvoir de négociation collectif des paysans et les MSP dans le secteur agricole indien.

Encadré 2

Feuille de route du Processus Nyéléni

Après une année d’échanges et de discussions avec les membres du CIP, nous avons débuté le processus de création d’alliances avec d’autres secteurs. Pendant les 18 mois suivants, le processus Nyéléni entrera sans sa phase principale.

La première rencontre bilan du comité de pilotage international de Nyéléni a actuellement lieu (juin 2023) à Rome. À l’occasion de cette rencontre nous souhaitons créer une base solide pour une coordination dynamique avec les secteurs qui ne font pas partie du CIP.

Le comité de pilotage servira ensuite à établir les consignes pour mener six réunions régionales (Amérique latine, Asie et Pacifique, Amérique du Nord, Afrique, Europe, Afrique du Nord et Moyen-Orient), organisées de septembre 2023 à septembre 2024. Différents acteurs venus de différents secteurs prendront part à ces rencontres régionales afin d’entendre des points de plus régionaux les plus inclusifs possible.

Lors de la dernière phase, le forum mondial Nyéléni s’inspirera des résultats des consultations régionales pour ouvrir des discussions trans-régionales et trans-thématiques et préparer les analyses et propositions définitives. En parallèle, le forum aura d’autres objectifs : par exemple, (re)dynamiser et renforcer le mouvement pour la souveraineté alimentaire, encourager la solidarité entre acteurs et secteurs, donner une impulsion pour faire entendre les voix des organisations de la base et des personnes, et proposer une feuille de route commune aux mouvements sociaux pour les années à venir.

Le forum en lui-même n’est pas l’objectif principal du processus Nyéléni. La finalité sera la mise en application des décisions prises et des consignes fixées au cours du processus.

Encadré 3

Pouvoir, violence et systèmes alimentaires : Enseignements tirés d’une allocution de Michael Fakhri, Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à l’alimentation

« Le droit à l’alimentation est synonyme de célébrer la vie par la nourriture en communion avec les autres. » Voilà la définition pratique du droit à l’alimentation choisie par Michael Fakhri, Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à l’alimentation lors de son discours d’ouverture au Palais de la Paix de La Haye en avril.[1]  Il a révélé que le mouvement mondial pour la souveraineté alimentaire l’avait inspiré pour devenir Rapporteur spécial, car il donne toute sa force au droit à l’alimentation. C’est une force bâtie sur des relations réciproques et non sur le pouvoir des riches, obtenu en agissant comme les « gardiens des biens indispensables à la vie ».

Il a énuméré quatre formes de violences sur nos systèmes alimentaires qu’il est nécessaire d’éradiquer pour faire avancer le droit à l’alimentation, notamment : 1) La discrimination comme résultat du déni du droit à l’alimentation en raison de la classe sociale de la personne ou d’autres marqueurs d’identité. 2) La violence corporelle envers les personnes suite à un conflit armé ou d’autres formes de domination et de soumission. 3) La violence écologique causée par le système alimentaire industriel tant sur le climat que sur la nature. 4) La disparition des populations en vidant les paysages pour faire place à l’extraction des ressources et l’accumulation du capital.

Ces quatre formes de violence sur nos systèmes alimentaires constituent un obstacle majeur au mouvement pour la souveraineté alimentaire et au-delà. Elles illustrent le besoin pressant d’établir un contre-pouvoir grâce aux processus de convergence et de création d’alliances qui sont au cœur même des rencontres mondiales Nyéléni. L’efficacité d’exploiter à bon escient le pouvoir du mouvement mondial pour la souveraineté alimentaire a été démontrée, soit par la négociation de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des paysans ou en mettant au jour l’accaparement du sommet sur les systèmes alimentaires par les grandes entreprises. Comme Michael Fakhri l’a déclaré, la faim et la malnutrition sont toujours des questions politiques et non les conséquences de pénuries, aussi il reste encore de nombreux combats à mener.


[1] Un enregistrement vidéo de la conférence est disponible ici

Sous les feux de la rampe

Sous les feux de la rampe 1

Solidarité et unité pour affronter les crises mondiales : Vers le troisième forum mondial pour la souveraineté alimentaire

Le Comité international de planification pour la souveraineté alimentaire (CIP) organise le troisième forum mondial pour la souveraineté alimentaire en 2025 en Inde.

Le CIP construit désormais un Processus Nyéléni et exhorte les militants au sein et au-delà du mouvement pour la souveraineté alimentaire à proposer une réponse et créer des alliances avec des mouvements pour la justice climatique, des syndicats, des groupes féministes et des organisations environnementales pour encourager des propositions communes pour un changement systémique. Le mouvement pour la souveraineté alimentaire est confronté à des menaces systémiques et doit collaborer avec d’autres groupes luttant contre différentes formes d’oppression pour obtenir la justice sociale, ethnique, de genre, économique, intergénérationnelle et environnementale.

Avec le processus Nyéléni, nous mettons en place un « Dialogue de savoir » pour unifier et renforcer les méthodes des organisations territoriales qui s’opposent au néolibéralisme et créent des systèmes alimentaires et économiques équitables et durables. Ce processus pluriannuel donne lieu à des consultations démocratiques dans les régions du monde entier ; et les résultats et propositions qui en découleront seront présentés lors du forum mondial en Inde en 2025. À cette occasion, les représentants parleront des stratégies pour des systèmes alimentaires justes et écologiques et réaffirmeront leur engagement mondial commun contre les crises multidimensionnelles engendrées par des forces telles que le capitalisme libéral et le commerce destructeur.

Inde : Théâtre d’une lutte remarquable pour la souveraineté alimentaire

Entre 2025 et 2021, l’Inde a connu des mobilisations historiques de paysans pour la souveraineté alimentaire. En pleine pandémie, le gouvernement indien a fait passer trois lois controversées qui allaient dans le sens d’une privatisation massive du système agricole indien, sans aucune protection juridique du plafonnement des prix en place. Même si la politique de soutien minimum assurait une certaine protection, il ne s’agissait pas pour autant d’une garantie juridique et les paysans affirmaient que les nouvelles législations pourraient même supprimer ces protections.

Dans ce contexte, l’organisation Samyukt Kisan Morcha (SKM) regroupant différents syndicats paysans a mené des protestations contre les trois lois polémiques pendant 15 mois. Cette contestation s’est transformée en mouvement public ; poussant des millions de paysans à manifester dans les rues de New Delhi et ailleurs, bravant les mesures de répression et les protocoles stricts contre le Covid-19 mis en place par le gouvernement. Le mouvement a reçu énormément de solidarité et de soutien de la part de nombreux secteurs, pour engendrer une grève publique nationale. Finalement, le parlement a cédé à la pression populaire en 2021 et a abrogé les trois lois agricoles controversées. Cette lutte fructueuse des paysans est une source d’inspiration pour des mouvements similaires pour la souveraineté alimentaire dans le monde entier. C’est la preuve des résultats possibles d’alliances intersectorielles dans des combats communs.

Le forum Nyéléni à venir en Inde vise à prendre exemple sur la lutte remarquable des paysans indiens pour renouveler et renforcer le mouvement pour la souveraineté alimentaire. Il aura également pour but de promouvoir la solidarité, donner une impulsion, faire entendre les voix des organisations de la base et proposer une feuille de route commune aux mouvements sociaux pour les années à venir.

Il convient de rappeler que le forum en lui-même n’est pas la finalité de ce processus. L’objectif principal est plutôt de mettre en application les décisions et consignes établies pendant le processus.   Espérons ensemble et mobilisons-nous pour la souveraineté alimentaire !

Sous les feux de la rampe 2

Nyéléni nous appelle à renforcer l’articulation sociale et populaire

Nous vivons à une époque où il est de plus en plus évident que les crises d’inégalités sociales et économiques, environnementales, alimentaires, sanitaires, immobilières et démocratiques au niveau national et mondial sont profondément liées. De leur côté, les grandes entreprises et les multinationales promeuvent et appliquent des changements drastiques et rapides pour accumuler entre plus de pouvoir grâce à ces crises. Des changements qui provoquent le recul des droits conquis par les populations et en tentant souvent de coopter nos propositions et récits, afin de déguiser leurs fausses solutions, d’avancer sur la voie de la privatisation, mercantilisation et financiarisation des services publics, des terres, de la nature et des données et de renforcer l’exploitation des travailleurs et travailleuses.

D’ailleurs, un contexte de montée du fascisme leur est particulièrement favorable. Un projet d’extrême droite et profondément conservateur sur le plan social, économique, politique et culturel, qui voit à long terme et bénéficie de l’appui (par soutien ou omission) des moyens de communication dominants. Il œuvre pour faire régner dans la société un sentiment commun extrêmement conservateur : élitiste et aporophobe, raciste, xénophobe, misogyne, machiste, homophobe et transphobe, antipacifiste et antidémocratique. Un projet qui ignore et attaque toute forme d’organisation de défense des intérêts populaires.

Mais cette interconnexion des crises encourage aussi les mouvements sociaux et populaires à voir au-delà de leurs missions spécifiques et renouer avec des voies de convergence populaires pour ralentir cette poussée conservatrice et transformer nos réalités. Des voies de convergences qui, grâce aux accords et en travaillant sur les nuances et les divergences, permettent d’élaborer des réponses systémiques.

Unissons-nous et resserrons les rangs sur le chemin de l’unité, sans perdre de vue la menace urgente à laquelle nous sommes confronté(e)s. Une volonté politique de la part des organisations sera nécessaire, ainsi que des ressources et l’engagement des camarades pour articuler les stratégies, propositions et requêtes communes issues des objectifs thématiques des mouvements sociaux et populaires.

Comme nous le disions dans le bulletin n° 48[1], Nyéléni est le territoire et le processus pour articuler « notre analyse et nos positions, rendre nos combats visibles et résister à la criminalisation, renforcer les liens de solidarité, construire des accords multisectoriels et se mettre d’accord sur des initiatives pour transformer les systèmes alimentaires et nos sociétés. »

Le processus Nyéléni nous appelle à unir nos forces pour renforcer la mobilisation populaire de résistance, mais aussi de défense des droits et de la souveraineté des peuples et des biens communs, et pour bâtir la justice sociale, ethnique, de genre, économique, intergénérationnelle et environnementale.


[1] Bulletin n° 48 – Le processus Nyéléni : Vers un forum global pour la souveraineté alimentaire.

Bulletin n° 52 – Éditorial

Processus Nyéléni : Reconnaître le pouvoir des mouvements populaires

Illustration : Andrés Mateo Ayala Luna @calma_88

En 2007, le Comité international de planification pour la souveraineté alimentaire (CIP) a joué un rôle déterminant pour fédérer les petits producteurs alimentaires et leurs alliés afin de définir une vision commune de la souveraineté alimentaire et mettre en application des stratégies pour y parvenir. Depuis, un mouvement mondial fort pour la souveraineté alimentaire a émergé et a gagné davantage de reconnaissance politique. Ensemble nous sommes parvenus à la démocratisation des questions d’alimentation et agriculture mondiales, en obtenant notamment la réforme du Comité des Nations Unies de la sécurité alimentaire mondiale. Nos combats ont également influencé les politiques sur la souveraineté alimentaire dans divers contextes nationaux. Nous avons aussi garanti la reconnaissance politique des paysans comme jouissant de droits grâce à la ratification de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des paysans et des autres personnes travaillant dans les zones rurales.

Pourtant, nos réussites sont aujourd’hui menacées en raison d’une longue période de crises systémiques. Partout dans le monde, nous constatons un retour en force des partis politiques de droite, de régimes autoritaires, et de la main-mise des grandes entreprises sur les espaces de gouvernance démocratique, accompagné d’un démantèlement du système multilatéral des Nations Unies. Les violations des droits humains contre les paysans et les communautés indigènes ainsi que le changement climatique, la perte de biodiversité, les conflits armés et la faim se multiplient rapidement. En outre, les menaces répétées envers la souveraineté alimentaire émanent de conjonctures entrepreneuriales basées sur les tendances où les entreprises de fonds d’investissement spéculatif et les géants de la technologie numérique s’unissent pour alimenter un système de production agroalimentaire à bout de souffle.

Dans ce contexte, le CIP milite pour un nouveau processus international Nyéléni, d’ici le prochain forum mondial Nyéléni en Inde en 2025. En reconnaissant le pouvoir des mouvements populaires, nous souhaitons renforcer la solidarité et l’unité en connectant les causes locales et mondiales. Nous nous efforçons d’adopter un point de vue réunissant les différentes sections pour répondre efficacement à la crise multidimensionnelle mondiale.

En travaillant avec des mouvements pour la justice climatique, les droits des travailleurs, féministes, pour l’économie solidaire, contre la guerre, de jeunes et autres, nous voulons nous opposer à l’hégémonie des grandes entreprises sur les espaces de gouvernance, protéger les droits humains et collectifs dans le monde entier, les écosystèmes et assurer une vie digne sur Terre pour les générations présentes et à venir.

CIP pour la souveraineté alimentaire, La Via Campesina, Les Amis de la Terre International, Transnational Institute