L’ Agroécologie en pratique

L’ Agroécologie en pratique 1

De paysan à paysan : un modèle pour construire des alternatives anti-hégémoniques

Les exemples les plus significatifs du développement de l’Agroécologie à une plus grande échelle sont liés à des processus organisationnels, en particulier ceux au sein desquels les paysan-ne-s jouent le rôle de protagoniste. Pour nous, passer à une plus grande échelle ne signifie pas reproduire de façon linéaire des modèles préconçus, ni prendre quelque chose de petit et le rendre plus grand ; il s’agit plutôt de renforcer et de multiplier plein de petits processus. Afin d’intégrer plus de personnes et de territoires au sein du mouvement pour l’Agroécologie, il est essentiel de travailler à la consolidation des organisations paysannes dans le développement de leurs propres processus sociaux, territoriaux et politiques.

La méthode de paysan à paysan est souple et repose sur un ensemble de concepts/actions/possibilités unis dans le but d’assembler les Agroécologies, la (re)construction et l’articulation des territoires et aider à l’émergence des paysan-ne-s en tant qu’acteurs politiques – trois dimensions si interdépendantes et interpénétrées qu’il est difficile de déterminer à quel moment l’une finit et à quel moment une autre commence.

Il s’agit d’un processus où Ies acteurs assurent la coproduction de savoirs à travers l’échange d’idées, d’expériences et d’innovations dans le domaine de la production agroécologique et où les expérimentations et innovations qui réussissent sont systématisées de façon collective et utilisées comme exemple pour motiver les autres ainsi que renforcer et élargir la production agroécologique. Ces processus ont généralement un lien avec d’autres domaines de formation comme les Écoles paysannes, espaces d’organisation et d’articulation au niveau local, national et international, la coopération Sud-Sud et les processus entre organisations paysannes.

Après avoir démarré en Amérique centrale au début des années soixante-dix, le mouvement Campesino a Campesino (de paysan à paysan) pour l’agriculture durable est désormais largement reconnu comme l’une des meilleures façons de développer et de promouvoir l’Agroécologie. Les agricultrices et les agriculteurs partagent non seulement des informations et des techniques mais aussi des concepts agroécologiques abstraits, des savoirs et une sagesse, au moyen de modèles, de démonstrations, d’activités ludiques, de chansons, de poèmes et de récits.

Le Mouvement agroécologique de paysan à paysan (Movimiento agroecológico de Campesino a Campesino ou MACAC, en espagnol) est un exemple emblématique adopté par l’Association nationale de petits agriculteurs (ANAP), à Cuba, qui a joué un rôle décisif pour aider le pays à survivre à la crise générée par l’effondrement du bloc socialiste en Europe et au durcissement de l’embargo commercial américain. L’Agroécologie a largement contribué à stimuler la production paysanne d’aliments sans être tributaire des importations de produits chimiques agricoles coûteux et rares, ce, en remplaçant tout d’abord les intrants qui n’étaient plus disponibles par d’autres plus écologiques, puis en opérant une transition vers des systèmes agricoles plus diversifiés et intégrés sur le plan agroécologique. Ces pratiques ont permis d’obtenir des bienfaits supplémentaires, notamment la résilience au changement climatique. Le MACAC repose sur l’émulation des paysan-ne-s par leurs pairs ; il représente une « pédagogie de l’expérience » et une « pédagogie de l’exemple ».
Pour en savoir plus ici (en anglais uniquement).

L’ Agroécologie en pratique 2

Les femmes et la terre au Tadjikistan

Zan va Zamin (Femmes et Terre) est une organisation de base créée en 1999 par un petit groupe de femmes militantes au Tadjikistan. Son objectif est de garantir la sécurité foncière et l’accès à la terre, la préservation de la biodiversité et des savoirs traditionnels, et la création d’associations et de coopératives d’agricultrices et d’agriculteurs. Jusqu’à présent, l’organisation a aidé plus de 1200 femmes à obtenir des titres de propriété sur leurs terres. En plus de mettre à disposition des crèches locales, elle encourage les femmes et les personnes âgées à jouer leur rôle de gardien-ne-s et de passeurs/passeuses du patrimoine agricole. Elle a appuyé la création de plus de trente banques de semences pour permettre l’accès des agricultrices et des agriculteurs à plusieurs variétés de semences. Les douze écoles paysannes qu’elle compte produisent au moins mille tonnes de légumes par an, tandis que les jardins et pépinières communautaires fournissent de petits arbres et entretiennent plus de 10 000 arbres fruitiers. Elle a également fourni aux populations locales des séchoirs solaires pour légumes, des serres fonctionnant à l’énergie solaire et des fours à basse consommation. Grâce à ce travail remarquable, Zan va Zamin contribue à créer des écosystèmes plus résilients, à réduire les pénuries alimentaires, à renforcer la Souveraineté Alimentaire et à améliorer les revenus au niveau local.
Pour en savoir plus ici (en anglais uniquement).

L’ Agroécologie en pratique 3

La mobilisation en faveur de l’innovation institutionnelle


« Le travail que nous avons mené pendant tant d’années en faveur de l’Agroécologie et de la Souveraineté Alimentaire dispose désormais, en Uruguay, d’un cadre légal qui nous permettra de continuer à avancer »

Silvana Machado, Réseau national des semences locales

En décembre 2018, le Parlement uruguayen a promulgué le Plan national d’Agroécologie en loi, suite à l’initiative impulsée par les femmes et les hommes engagé-e-s dans la production agroécologique familiale et par des organisations sociales, à l’origine du mouvement pour la Souveraineté Alimentaire en Uruguay. Cette victoire est le fruit d’un long processus de discussion engagé lors de la cinquième édition de la Fête nationale des semences locales, en avril 2014, et dans le cadre duquel se sont tenus plusieurs séminaires et ateliers organisés au cours des éditions successives, ainsi que des rencontres régionales et nationales du Réseau national des semences natives et locales et du Réseau de l’Agroécologie. Le débat parlementaire a souligné que cette nouvelle législation cible les femmes et les hommes engagé-e-s dans la production familiale d’aliments et leur rôle dans la défense de la biodiversité, des territoires et des bassins versants. De plus, il a mis en avant l’accumulation d’expérience d’actions menées pendant plus de trois décennies au niveau des territoires pour créer des collectifs de promotion de l’Agroécologie. L’approbation de cette loi confère un caractère formel qui était nécessaire d’un point de vue critique du système agroalimentaire en Uruguay et dans la région, à partir de la défense du droit à l’alimentation et de la Souveraineté Alimentaire.
Pour en savoir plus ici (en espagnol uniquement).

L’ Agroécologie en pratique 4

De l’Atelier Paysan à Farm Hack*

« Chez moi, c’est très difficile de mettre la main sur quelque chose qui soit entre le tracteur et la truelle. C’est juste qu’il n’y a pas grand-chose entre les deux. Du coup, j’aime bien venir dans des endroits comme cet [évènement Farm Hack] et en tirer énergie et inspiration. Pollinisation-croisée, échange d’idées, complaintes sur la météo… Des tas de choses. C’est vraiment fructueux. »
Kate Collins. Maraîchère, R.U.

L’Atelier Paysan, en France, et Farm Hack, au Royaume-Uni, font partie d’une approche menée par les acteurs locaux dans l’élaboration, la modification et le partage de la conception d’outils agricoles, de machines et autres innovations. Ces initiatives mettent en exergue une approche de paysan à paysan pour apprendre et créer des plateformes destinées à permettre aux paysan-ne-s de se rassembler pour « hacker » et mettre à profit leur ingéniosité collective dans l’élaboration de technologies adaptées à leurs pratiques agroécologiques. Ces initiatives s’attachent à développer une souveraineté technique et technologique pour les paysan-ne-s grâce aux plateformes open source (« en libre »), à la promotion de l’autonomie des paysan-ne-s et à la réappropriation par ces derniers des savoirs et des compétences.

À l‘Atelier Paysan, la formation de paysan à paysan, d’agriculteur à agriculteur et d’ingénieur/formateur à agriculteur se fait de façon horizontale mais aussi à travers une personne-référent, à savoir, l’un des ingénieurs de la coopérative. À la fin de la formation chaque participant-e rentre sur son exploitation avec un outil qu’il ou elle sait comment construire, réparer et éventuellement adapter à ses propres besoins. Plus de 80 dates de formation sont disponibles chaque année. Ces formations à l’auto-construction durent entre deux et cinq jours. Les processus participatifs pour construire des technologies peuvent durer pendant plusieurs mois.

Le Farm Hack implique, en général, deux éléments principaux et complémentaires : une plateforme Web et des évènements. Une plateforme Web sert à partager les inventions au moyen d’une approche open source ou Creative Commons. Les innovations des paysan-ne-s sont mises à disposition des autres membres de la communauté. Les évènements Farm Hack regroupent des femmes et des hommes paysans, cultivateurs, fabricants, ingénieurs et programmateurs informatiques, afin de montrer et de partager des outils, des compétences et des idées grâce à des démonstrations sur place, des ateliers pratiques, des séminaires, des activités ludiques et des échanges culturels. Ces deux éléments se rejoignent lorsque les outils présentés au cours des évènements sont postés sur Internet. Pour en savoir plus ici.

Tout en donnant la possibilité aux paysan-ne-s d’acquérir plusieurs compétences (par ex., technologies adaptées à l’Agroécologie paysanne, souveraineté technologique, innovation proposée par l’utilisateur, animation de réseau sociotechnique, documents open source), ces initiatives jouent un rôle important dans la création des réseaux entre les personnes et donc dans le renforcement des mouvements sociaux.

*Tiré de www.eurovia.org/fr/eaken-fr/

Encadres

Encadré 1

L’innovation dont nous ne voulons pas

Le discours sur les solutions « innovantes » est en train de s’imposer au sein de différentes sphères politiques, sociales et économiques. Dans le débat sur l’Agroécologie, il existe un lien étroit entre les organisations des agriculteurs à grande échelle, certains universitaires, de grandes ONG, des philanthropes ainsi que des institutions et les intérêts de l’agro-industrie transnationale dans la promotion d’argumentaires soi-disant apolitiques présentés comme des options « triplement avantageuses » (triple win, en anglais) permettant d’obtenir des bénéfices économiques, atteindre la sécurité alimentaire et réussir l’adaptation au changement climatique et l’atténuation de ses effets. Ils cherchent à intégrer certaines pratiques agroécologiques au modèle agro-industriel dominant tout en maintenant les caractéristiques structurelles et les relations de dépendance qui ont amené à la crise mondiale actuelle.

Selon l’Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE) et l’International Agri-Food Network, « l’agro-écologie consiste en l’étude de la relation qu’ont les cultures agricoles avec leur environnement ». En effet, le Comité consultatif économique et industriel auprès de l’OCDE (Business at OECD, en anglais) envisage l’Agroécologie au sens étroit de discipline scientifique apparue dans les années soixante, et critique celles et ceux qui la définissent comme un système de production agricole fondé sur des pratiques précises ou comme un mouvement social ou politique. L’argument avancé est que « cette variété risque de prêter à confusion et de détourner l’attention des discussions sur les modalités permettant d’atteindre les ODD ». Enfin, ces acteurs préconisent « un mélange de pratiques, d’outils et de technologies adaptés à chaque situation », y compris l’agriculture de précision et autres « approches innovantes ».

En tant que société, notre but ultime n’est pas seulement d’atteindre les ODD. Si nous souhaitons véritablement bâtir un monde juste pour les générations présentes et à venir, notre ligne de mire doit porter sur des changements structurels plus profonds. En outre, il est devenu évident, par exemple, qu’en restant dans le business as usual le monde n’atteindra absolument pas la cible fixée par les ODD d’éradiquer la faim d’ici 2030.

Il faut vraiment faire attention aux multiples réinterprétations du concept d’Agroécologie proposées par différents acteurs et groupes d’intérêt. Agriculture industrielle et Agroécologie ne sont ni des concepts ni des pratiques interchangeables, et elles ne peuvent coexister. Elles représentent deux visions totalement différentes du développement, du bien-être et des rapports entre les êtres humains et leur environnement.

Encadré 2

Les propositions que nous rejetons

La numérisation de l’agriculture: Le prochain numéro du Bulletin sera consacré à cette inquiétante stratégie agroindustrielle!

L’agriculture intelligente face au climat; elle renforce le statu quo: C’est en 2009 que la FAO a commencé à parler d’« agriculture intelligente face au climat ». Il s’agissait alors d’un moyen d’intégrer l’agriculture (et son rôle en termes d’atténuation, d’adaptation et de sécurité alimentaire) aux négociations sur le climat [Voir l’article publié par la FAO « Une agriculture intelligente peut atténuer le changement climatique » à l’occasion du lancement de son rapport Food Security and Agricultural Mitigation in Developing Countries: Options for Capturing Synergies (2009). S’en suivirent deux conférences de la FAO consacrées à l’agriculture intelligente face au climat, organisées par la Banque mondiale et un petit groupe de gouvernements, en 2010 et 2012.]. Lancée en 2014, l’Alliance mondiale pour une agriculture intelligente face aux changements climatiques (GACSA, de son sigle en anglais) [Ici et liste des membres (en anglais uniquement).] rassemble des gouvernements nationaux, des lobbies agroindustriels (dont la majorité représentent l’industrie des engrais)[Soixante pour cent des membres du secteur privé au sein de l’Alliance représente l’industrie des engrais (GRAIN, 2015 ; CIDSE, 2015). « Les six géants (BASF, Bayer, Dow, DuPont, Monsanto, Syngenta) constituent les moteurs de l’agriculture industrielle. Avec un revenu cumulé de plus de 65 milliards de dollars dans les secteurs de l’agrochimie, des semences et des caractères biotechnologiques, ces entreprises contrôlent déjà les trois-quarts du marché mondial de l’agrochimie et 63 % du marché des semences commerciales. » (Groupe ETC, 2016).], le Groupe consultatif pour la recherche agricole internationale (CGIAR, le plus grand réseau au monde d’agronomes travaillant dans des instituts publics), des universités et des ONG. Le rapport publié en 2017 par le Panel international d’experts sur les systèmes alimentaires durables (IPES-Food) sous le titre Too big to feed montre que les grands groupes de l’agrochimie et leurs lobbies jouissent aujourd’hui d’une forte représentation dans les alliances et initiatives majeures en faveur de l’agriculture intelligente face au climat. Typique des remèdes technologiques, l’agriculture intelligente face au climat cherche à résoudre un problème créé par la technologie ratée des biotechnologies (cultures tolérantes aux herbicides) et à trouver un nouveau moyen pour transformer la nature en marchandise et se l’approprier. De plus, si elle prétend recourir à des approches agroécologiques (par ex., l’agroforesterie), l’agriculture intelligente face au climat n’exclut pas les pratiques et les technologies qui affaiblissent ou sont incompatibles avec ces mêmes approches.
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L’intensification durable: Alors que l’expression « intensification durable » existe depuis vingt ans, elle est employée couramment depuis peu et a aussi été intégrée à l’agriculture intelligente face au climat. Au départ, l’intensification durable a été conçue en tant qu’approche reposant sur trois postulats fondamentaux concernant la sécurité alimentaire et la production agricole au 21ème siècle. Premièrement, le monde a besoin de produire beaucoup plus d’aliments dans les décennies à venir pour nourrir une population croissante ; deuxièmement, on ne peut pas étendre les superficies de terres arables de façon significative ; et troisièmement, la production agricole doit devenir plus durable et plus efficace au niveau de l’utilisation des ressources afin de préserver le capital naturel dont dépend l’agriculture. Pris ensemble, ces trois postulats impliquent qu’il faut intensifier la production agricole réalisée sur les terres arables existantes de sorte à répondre à une demande plus forte mais sans nuire à l’environnement. Cependant, la première hypothèse ne tient pas compte des preuves, déjà mises en avant par la FAO et beaucoup d’autres, de l’importance des mesures visant à redistribuer les aliments et à réduire les déchets plutôt que celles visant à augmenter la production, ces dernières étant d’ailleurs liées à la très critiquée « Économie verte ».
Plus info ici.

Le forçage génétique: Le forçage génétique est un nouvel outil permettant d’imposer des caractéristiques génétiquement modifiées à des populations entières d’insectes, de plantes et autres organismes. Cette technologie invasive représente une tentative délibérée de créer une nouvelle forme de pollution génétique. Il est possible que les forceurs génétiques poussent des espèces vers l’extinction et affaiblissent une agriculture et une alimentation équitables et durables. Ici l’appel signé par les leaders du mouvement pour l’alimentation du monde entier et ici le rapport du Groupe ETC intitulé Forcer l’agriculture.

CropLife International: Avec son réseau mondial, « voix et principaux défenseurs de l’industrie de la science des végétaux » et comptant parmi ses membres BASF, Bayer et Syngenta (en anglais uniquement), CropLife International retient les six éléments principaux de l’Agroécologie en s’appuyant sur une vision qui parle des agriculteurs comme de simples récepteurs d’appui technique et utilisateurs de technologie (comme les produits biotechnologiques) qu’offrent ces entreprises (en anglais uniquement).

Les méga-fusions: Certains acteurs se félicitent de la hausse soudaine de méga-fusions dans le secteur agroalimentaire ainsi que de la consolidation de la concentration des entreprises sur l’ensemble de la chaîne alimentaire industrielle (semences, agrochimie, engrais, génétique appliquée à l’élevage, produits pharmaceutiques vétérinaires et machines agricoles) car ils y voient la création d’un terrain dynamique propice à l’innovation. Toutefois, si les dépenses en R&D dans le secteur sont élevées (sept milliards de dollars en 2013), le champ d’application demeure restreint. En effet, l’industrie se concentre sur les cultures et les technologies offrant les rendements commerciaux les plus élevés ; par exemple, 40 % de la recherche privée en matière de sélection végétale ne porte que sur une seule culture, le maïs. Qui plus est, la tendance commune qui se dégage est que ces grands groupes achètent des marques émergeantes « saines » ou « durables » pour combler leurs lacunes en matière d’innovation et, dans le même temps, étouffent l’innovation et compromettent l’engagement envers plus de durabilité de la part des plus petites entreprises.
Plus info ici (en anglais uniquement).

Encadré 3

Le processus de la FAO sur l’Agroécologie

Lancé en septembre 2014, le processus de la FAO sur l’Agroécologie a compté avec la tenue de deux colloques internationaux (en 2014 et en 2018), plusieurs séminaires et réunions au niveau régional (en 2015 et en 2016) ainsi qu’une réunion entre la FAO et le Comité international de planification pour la Souveraineté Alimentaire (CIP) et ses alliés (en 2017). À travers ce processus, les organisations et les mouvements sociaux œuvrant à la promotion de la Souveraineté Alimentaire ont pu porter leurs propositions et revendications en faveur de l’Agroécologie dans des espaces de dialogue avec les gouvernements, les institutions internationales, les universitaires et autres organisations sociales.

Mais, la FAO étant une hydre à mille têtes, il y existe aussi des tentatives pour arrêter définitivement la progression de l’Agroécologie. Citons, à titre d’exemple, la volonté de reproduire le processus suivi pour l’Agroécologie et de l’appliquer aux biotechnologies agricoles en 2016 et 2017. Grâce à la pression exercée par les organisations et les mouvements sociaux, unis au sein du CIP, nous avons réussi à le stopper mais les mêmes acteurs au sein de la FAO sont parvenus à ouvrir un autre front en relayant le discours sur l’innovation nécessaire en agriculture comme voie permettant de sortir des crises alimentaires, environnementales et climatiques qui frappent le monde.

C’est dans ce contexte que la question a été inscrite à l’ordre du jour de la réunion du Comité de l’agriculture de la FAO (COAG), qui s’est déroulée du 1er au 5 octobre 2018, et qu’un colloque international sur l’innovation agricole au service des agriculteurs familiaux a eu lieu à la fin du mois de novembre 2018, à Rome.

Un accent très important a été mis sur la promotion de l’innovation (entendue principalement au sens d’innovation technologique) pour parvenir à une agriculture et à des systèmes alimentaires durables et pour s’adapter au changement climatique. Au cours des prochaines années, l’innovation va devenir un cadre très pertinent. Ainsi, la plupart des gouvernements ont souligné le rôle central de l’investissement consenti par le secteur privé, négligeant totalement le fait que les femmes et les hommes engagé-e-s dans la production vivrière à petite échelle constituent les premiers investisseurs majeurs en agriculture, représentent des acteurs clés et innovent depuis des siècles. Cependant, sous la pression des mouvements sociaux, le COAG a reconnu, en 2018, que « l’innovation n’est pas un but en soi [et] certaines formes d’innovation peuvent contribuer à la dégradation de l’environnement, perturber les moyens d’existence ou accentuer les inégalités. Il convient de comprendre quels types d’innovation doivent être encouragés, où, comment et pour qui (…)».

À présent, la FAO développe, en collaboration avec les organisations de la société civile et les universitaires, un cadre analytique pour réaliser une évaluation multidimensionnelle de l’Agroécologie ainsi qu’un guide sur son application, l’objectif étant d’accompagner la prise de décisions fondées sur des éléments concrets en matière d’Agroécologie.
Pour les organisations et les mouvements sociaux membres du CIP, les travaux pour combler les lacunes importantes concernant les données fondées sur des éléments concrets relatives à l’Agroécologie et les efforts visant à démultiplier l’Agroécologie et à la faire passer à l’échelle supérieure devraient être menés dans le cadre de la recherche-action participative et d’un dialogue rapproché avec les universitaires. Ils devraient encourager la capacité des personnes engagées dans la production vivrière et de leurs communautés à expérimenter, évaluer et diffuser les innovations ; et également contribuer à tisser des liens entre les différents systèmes de savoirs pour faire émerger des solutions systémiques en faveur de systèmes alimentaires et agricoles véritablement sains et durables.

Encadré 4

L’École paysanne multimédia

En novembre 2015, l’Association nationale de petits agriculteurs (ANAP) de Cuba, La Via Campesina International (LVC) et le Collectif Komanilel ont lancé la série de cours vidéo « L’École paysanne multimédia, un outil audiovisuel pour transposer l’Agroécologie à plus grande échelle ». L’objectif du cours est de contribuer à diffuser l’Agroécologie dans le monde entier. Il a été mis au point conjointement avec le réseau des écoles paysannes d’Agroécologie créé par La Via Campesina et présent dans pratiquement tous les pays où le mouvement compte des membres. La formation porte sur les dimensions techniques, politiques et méthodologiques. Les supports virtuels expliquent les concepts et les pratiques proposés par la méthode Campesino a Campesino (de paysan à paysan) pour disséminer l’Agroécologie, en s’inspirant de l’expérience réussie à Cuba. L’École paysanne multimédia est disponible sur Internet en anglais, en espagnol, en français et en portugais à l’adresse : agroecologia.espora.org

Sous les feux de la rampe

Sous les feux de la rampe 1

De quelle innovation a-t-on besoin ?

Le discours dominant sur l’innovation englobe aussi bien l’Agroécologie que la biotechnologie, en passant par les « approches en faveur d’une agriculture durable». Par conséquent, il est essentiel de reconnaître l’existence de visions radicalement opposées sur les façons d’affronter les crises mondiales et de définir et mettre en œuvre les processus et produits innovants, ainsi que sur la question des acteurs et bénéficiaires principaux.

Les technologies, les innovations et les pratiques qui sont choisies aujourd’hui détermineront l’avenir des systèmes agroalimentaires [Nous nous référons à l’ensemble des éléments qui composent les systèmes alimentaires (environnement, individus, apports, processus, infrastructures, institutions etc.) et à toutes les activités allant de la pré-production et la production à la transformation, le conditionnement, le transport, la distribution, la commercialisation, la préparation, la consommation et la gestion des résidus. Ce cadre inclut aussi les intrants et les produits associés à chaque activité, y compris les résultats sur le plan socioéconomique et environnemental. Tiré du rapport du HLPE publié en 2014.] et des moyens d’existence des populations du monde entier. Il est donc fondamental que les femmes et les hommes qui prennent les décisions et que celles et ceux qui produisent les aliments, et les autres acteurs, se posent les bonnes questions pour orienter leurs choix.

En ce sens, l’innovation ne doit pas uniquement consister à proposer une technologie ou une boîte à outil dont on ne choisit que quelques éléments, ni seulement se centrer sur la productivité. L’innovation doit plus particulièrement se concentrer sur les processus sociaux, économiques, culturels, écologiques, environnementaux, institutionnels, organisationnels et liés aux politiques publiques.
Pour qu’une innovation puisse reconfigurer les systèmes alimentaires et contribuer à leur durabilité, elle doit être développée selon une approche holistique et pluridisciplinaire de sorte à générer un changement systémique entraînant un effet positif sur les vies des populations. Par ailleurs, le fait d’innover pour transformer ces systèmes ne se résume pas seulement à introduire des inventions révolutionnaires ou « disruptives », ou encore de nouveaux besoins, marchés et espaces d’application ; il implique, plutôt, une adaptation ou une évolution, ainsi qu’une amélioration et/ou un élargissement considérable des techniques et pratiques déjà existantes.

Le défi consiste à évaluer les innovations en cours dans les systèmes agroalimentaires. Pour cela, il est nécessaire d’élaborer un cadre et un ensemble d’indicateurs, et/ou une analyse de plusieurs scénarii, l’objectif étant de mesurer les caractéristiques d’une innovation et ses effets par rapport à la durabilité des systèmes concernés, ainsi que d’aider à informer les options et actions stratégiques. Afin de contribuer à l’élaboration d’un tel cadre, nous proposons, ci-après, une liste non-exhaustive de treize critères interconnectés.

i. Dimensions sociales, économiques et institutionnelles. Il faut évaluer si les innovations :
– encouragent la participation de la population au processus décisionnel, à la gestion des biens naturels et aux processus de suivi et d’évaluation, en donnant un rôle de premier plan aux plus vulnérables et marginalisés.
– forgent la justice sociale et économique, en renforçant l’inclusion économique et la cohésion sociale afin d’améliorer les moyens d’existence et réduire activement les inégalités, en encourageant et en consolidant les liens et la solidarité entre les zones rurales et urbaines ainsi qu’entre les générations, et en soutenant les modèles sociaux et publics de propriété et de gestion.
– contribuent à l’éradication de la faim, en garantissant un approvisionnement alimentaire suffisant et l’égalité d’accès, ce qui, en retour, contribue à renforcer l’autosuffisance alimentaire.
– promeuvent la consommation d’aliments variés, nutritifs et salubres pour une alimentation saine, diversifiée, culturellement appropriée et durable.
– bénéficient aux femmes et aux hommes engagé-e-s dans la production vivrière à petite échelle ainsi qu’aux travailleuses et aux travailleurs, en créant des conditions de vie dignes, en rendant effective leur participation au processus décisionnel, et en reconnaissant et préservant leurs savoirs.
– forgent la justice de genre et respectent la diversité, en reconnaissant et valorisant le travail productif et reproductif réalisé par les femmes, en encourageant l’égalité des droits sur les ressources et d’accès à celles-ci, la participation effective au processus décisionnel, et en contribuant à éradiquer toutes les formes de violence et d’oppression envers les femmes.

ii. Dimensions environnementales. Il faut évaluer si les innovations :
– sont efficaces, et permettent de réduire au minimum les pertes et déchets alimentaires, le transport intervenant dans la production et la distribution des aliments, ainsi que les impacts environnementaux connexes grâce à des systèmes alimentaires localisés ou relocalisés.
– contribuent à la justice énergétique, en tenant compte des systèmes et des types de production, de distribution et de consommation énergétiques dans le but de créer, déployer et exploiter l’innovation, tout en réduisant le plus possible les impacts sociaux et environnementaux de l’énergie et en assurant un accès juste et suffisant à celle-ci.
– contribuent à la justice environnementale, au regard des conséquences à court et à long termes sur l’environnement liées à leur utilisation bien après leur durée de vie utile, et de leur capacité à préserver la biodiversité et l’eau, ainsi qu’en tenant compte des questions relatives au travail soulevées par les innovations au niveau de la production alimentaire sans oublier les problèmes des travailleuses et des travailleurs agricoles migrant-e-s.
– contribuent à la justice climatique, en s’attaquant aux causes structurelles du changement climatique générées par les systèmes agroalimentaires dans le but de renforcer la résilience des populations par rapport aux prochaines crises.

iii. Dimensions liées au processus de mise en œuvre. Il faut évaluer si les innovations :
– seront disponibles et accessibles, pour toutes les personnes et institutions à tous les niveaux et dans tous les territoires.
– sont utiles, utilisables et durables dans le temps, en étant efficaces à court et à long termes dans l’exécution de la tâche prévue.
– ont un effet multiplicateur, pour arriver à une adoption généralisée à tous les niveaux et dans tous les territoires avec un impact positif.

Pour qu’une innovation soit considérée comme acceptable du point de vue social, culturel, environnemental, politique et économique, elle doit prendre en compte et remplir au moins la plupart, sinon la totalité, de ces critères.

Plus d’info ici.

Sous les feux de la rampe 2

Pourquoi l’Agroécologie est la voie qu’il faut soutenir

L’Agroécologie est une approche multidimensionnelle, fondée sur les savoirs, savoir-faire et modes de vies des paysan-ne-s et des peuples autochtones, enracinée dans leur environnement naturel, social et culturel respectif [Pour en savoir plus sur l’Agroécologie, lisez le Bulletin Nyéléni n°20 : Agroécologie et le climat]. Il s’agit d’un concept vivant qui continue d’évoluer à mesure qu’il est adapté à des réalités uniques et variées. Il offre un cadre cohérent qui conceptualise ces pratiques et leurs effets (et leur renforcement réciproque) ainsi qu’une compréhension holistique de notre place dans les cycles naturels et de la façon dont les systèmes alimentaires doivent s’adapter aux systèmes bio-culturels dont ils dépendent et les restaurer.

L’Agroécologie propose une vision à long terme allant plus loin que la production agricole pour englober et transformer le système alimentaire dans sa totalité. Elle constitue un outil de lutte et de résistance pour construire la Souveraineté Alimentaire des peuples (en português uniquement). Elle appelle à opérer un changement de paradigme sur plusieurs plans, y compris la recherche, la consommation et l’élaboration des politiques, dans le but d’atteindre la Souveraineté Alimentaire des populations rurales et urbaines. Partout dans le monde, l’Agroécologie garantit la diversité de l’alimentation et des cultures alimentaires adaptées à leurs milieux naturels et sociaux.

De plus, des données concluantes indiquent que l’Agroécologie permet d’augmenter les rendements de façon significative chez celles et ceux qui en ont le plus besoin, à savoir, les femmes et les hommes engagé-e-s dans la production vivrière de subsistance et marginalisée au niveau des zones dépendant des pluies sans besoin de recourir à des infrastructures coûteuses et gourmandes en ressources comme l’irrigation ou les semences industrielles.

Les femmes et les hommes engagé-e-s dans la production vivrière à petite échelle, particulièrement les paysan-ne-s et l’agriculture familiale, sont les premiers innovateurs en agriculture, ce, depuis des milliers d’années. Ces femmes et ces hommes sont les principaux concepteurs de systèmes agricoles agroécologiques, y compris l’agroforesterie et l’agrosylvopastoralisme, ainsi que les principaux sélectionneurs de végétaux du monde. En comparaison, la contribution du secteur privé et des instituts de recherche est minuscule, particulièrement lorsque l’on considère les systèmes agroécologiques ainsi que les variétés de cultures et les races d’animaux adaptées aux conditions locales. Ce sont ces processus d’innovation pilotés et menés par les agricultrices et les agriculteurs qu’il faut soutenir, sans oublier les processus Campesino a Campesino (de paysan à paysan) pour stimuler l’innovation paysanne et la mise en commun des résultats.

Il existe une multitude de techniques agricoles écologiques mises au point par au moins 75 % des deux milliards de personnes engagées dans la production à petite échelle, principalement des femmes sur 500 millions de petites exploitations qui nourrissent entre 70 et 80 % du monde. La majorité des aliments consommés aujourd’hui provient des 2,1 millions de variétés sélectionnées par les paysan-ne-s.

En conclusion, l’Agroécologie constitue l’approche innovante à soutenir ; une Agroécologie pratiquée par et selon les principes de celles et ceux qui, pendant des millénaires, l’ont maintenue : les femmes et les hommes engagé-e-s dans la production vivrière à petite échelle.

Pour en savoir plus : Innover pour des systèmes agricoles et alimentaires durables, et L’Agroécologie à la croisée des chemins, Bulletin Nyéléni n° 28 .

L’écho des campagnes

L’écho des campagnes 1

La dématérialisation des semences

Alimata Traoré, Présidente de la Convergence des Femmes Rurales pour la Souveraineté Alimentaire (COFERSA), Mali

« Et qu’arriverait-il s’il y avait une coupure d’énergie après avoir mis toutes nos semences dans un ordinateur, et quoi alors? » C’est comme ça que les femmes de mon organisation, COFERSA, réagirent quand je leur ai expliqué ce que les gouvernements discutaient à la septième session de l’Organe de Gouvernance du Traité International sur les Ressources Génétiques des Plantes pour l’Alimentation et l’Agriculture (ITPGRFA) á Kigali en octobre 2017.

Nous, les communautés paysannes, nous travaillons avec des êtres vivants dans nos champs. C’est comme ça que nous préservons la biodiversité. Ma communauté a sélectionné une variété de sorgho qui est résistante à la sécheresse si on utilise une technique de culture appelée zaï [Zai est une technique traditionnelle ouest africaine selon laquelle des puits sont creusés dans un micro-bassin en utilisant une hache pique avec un petit manche (appelée daba), et les semences sont ensuite semées. Cette manière particulière de cultiver permet la concentration d’eau et d’engrais en zones arides et semi-arides.]. Et maintenant, une compagnie deviendrait son propriétaire parce qu’elle maitrise les TI? Jusqu’à récemment, les chercheurs et compagnies étaient venues dans nos villages pour nous demander des semences, afin de les développer davantage et de les vendre. Des développements récents en biotechnologie et séquence génétique ont changé ceci : les sélectionneurs de l’industrie n’ont plus besoin d’accès aux semences matérielles. Elles analysent maintenant la représentation digitalisée des séquences génétiques sur leurs écrans d’ordinateur.

Quand nous parlons de la dématérialisation des ressources génétiques, nous nous référons à la séquence du génome des organismes vivants, la collecte massive de connaissances paysannes sur les caractéristiques de ces organismes, et enfin la digitalisation et la conservation de ces informations sur d’énormes bases de données électroniques. Les compagnies déposent alors des brevets sur ces séquences génétiques, ce qui leur permet de nous forcer à payer des droits de licence si la même séquence est trouvée sur nos semences. La dématérialisation est pour cela la nouvelle manière de capturer la richesse créée par les communautés paysannes au cours des siècles, en outrepassant les textes internationaux qui reconnaissent nos droits.

Nous, les paysans d’Afrique nous ne sommes pas arriérés, ni contre la technologie. Nous l’utilisons quand cela nous sert à renforcer nos combats, mais nous demandons que nos droits soient respectés et protégés. Ceux qui peuvent utiliser toutes ces technologies informatiques et ces bases de données sont les grandes compagnies multinationales. Ce n’est pas pour nous. A cause de cela, nous nous opposons aux brevets sur l’information génétique. Et nous luttons pour la protection de nos systèmes de semences paysannes, qui nous permettent de jouer un rôle comme gardiens et garants de la biodiversité et de la vie. Aucune machine ou software ne pourra jamais remplacer nos connaissances paysannes.

L’écho des campagnes 2

Moi, Campesino: Numérique, rural, autodéterminé

Réflexions de la communauté FarmHack.org sur la numérisation dans le mouvement d’agriculture alternative aux États-Unis

Même dans ce monde hyper connecté, nous—jeunes et moins-jeunes—agriculteurs de l’agroécologie américaine, passons la majeure partie de notre temps à l’extérieur, connectés plus souvent à l’écosystème qu’à Internet. Il s’agit souvent d’un grand écart entre la subsistance et le marché, entre les écologies sauvages et domestiquées, avec les mains dans l’agriculture, les soins aux enfants ou la gestion du matériel, un smartphone entre les dents! Aux États-Unis, de nombreuses fermes comptent sur les smartphones (pour la tenue des registres, le marketing, la gestion des commandes et des clients, des boutiques en ligne et des portails de marché) afin de rester en contact quotidien avec nos réseaux de collaborateurs et une clientèle de plus en plus habituée aux relations directes avec les producteurs.

Aux États-Unis nous avons des mouvements sociaux convergents qui ont façonné la culture et les pratiques de notre écosystème d’outils agricoles open source. Celles-ci incluent une coïncidence avec un essor de l’infrastructure Internet ouverte, notamment Wikipedia, Creative Commons, Craiglist, Napster, Tor-Drupal, etc. En tant que génération éduquée depuis l’école primaire avec des ordinateurs, nous sommes assez aptes à trouver des informations avec des mots-clés en ligne, des vidéos sur YouTube de Google aux documents historiques protégés pour l’usage commun à www.archive.org.

Nous sommes également assez aptes à construire notre propre infrastructure là où il n’y en a pas, FarmHack.org en est un excellent exemple. FarmHack.org est né en 2008 d’une communauté d’agriculteurs qui s’est réunie au Massachusetts Institute of Technology (MIT) et a travaillé à créer une plateforme permettant d’héberger un service de partage d’outils agricoles, par le biais d’un site Web très simple et de rencontres en personne, ainsi que d’une communauté internationale diffuse de praticiens travaillant ensemble en ligne. FarmHack.org a cherché à devenir une plateforme open-source permettant aux agriculteurs de partager leurs approches novatrices pour combler les lacunes [Les petits et moyens producteurs de légumes constatent en particulier qu’il existe des «lacunes en équipement» alors que nous travaillons à la reconstruction de la diversité des systèmes de culture et des régions devenues concentrées et simplifiées.] existantes en matière d’équipement avec leurs homologues petits exploitants [Se référer à l’article sur FarmHack and Atelier Paysan dans le bulletin 36 de Nyéléni, L’agroécologie : véritable innovation réalisée par et pour les peuples] de part le monde. Aujourd’hui le mouvement des jeunes agriculteurs, le mouvement des logiciels open source et les mouvements du «droit de réparer» [Les agriculteurs qui achètent des tracteurs auprès des grandes entreprises de machines agricoles ne sont souvent pas autorisés à les réparer.Une clause dans le contrat d’achat exige que seuls les réparateurs accrédités… soient autorisés à réparer les machines. Le mouvement du «droit de réparer» remet en question et affirme le droit des agriculteurs de réparer leurs propres machines.] convergent au sein des communautés FarmHack et Gathering for Open Ag Tech (GOAT). Cela ne se produit pas seulement aux États-Unis, au Canada québécois par exemple de fortes collaborations sont également en cours.

La vision de l’agroindustrie de l’agriculture sans agriculteurs est «une agriculture de précision». Les entreprises d’intrants agricoles et les sociétés de machines agricoles (par exemple, John Deere) ont massivement investi dans les mégadonnées, les technologies de l’information et de la communication, ces dernières années. «L’agriculture de précision» implique un modèle de mécanisation extrême dans la production agricole, ceci étant rendu possible par la convergence de nouvelles technologies numériques puissantes et du traitement algorithmique du big data. Dans cette «vision», la technologie et les données sont utilisées pour consolider toujours davantage le contrôle des entreprises sur le système alimentaire et les monopoles. Les entreprises de machinerie agricole — tout comme les entreprises d’intrants agricoles — sont aujourd’hui des entreprises de big data. Ils équipent leurs machines de capteurs et de puces qui collectent et analysent toutes sortes de données, à tout moment — données météorologiques, humidité du sol, parasites, historique des cultures, etc. Celles-ci sont transformées en grands ensembles de données exécutés au moyen d’algorithmes d’apprentissage automatique qui informent ensuite les machines agricoles automatisées.

À cela, nous opposons une vision communautaire forte pour une « agriculture de décision » qui met en avant notre autonomie et nos droits. En plus de construire nos propres outils et notre matériel, que nous pouvons nous-mêmes contrôler (par exemple, du matériel agricole basé sur le vélo, du matériel monté sur tracteur à faire soi-même, «à la Atelier», etc.), nous développons nos propres logiciels et applications open source (par exemple: un logiciel de gestion adaptative appelé «farmOS»). Nous avons également commencé à utiliser des drones, des capteurs (par exemple pour surveiller des serres, des clôtures, etc.), des données volumineuses et des observations basées sur la technologie pour améliorer nos systèmes agricoles et les adapter aux conditions locales et au changement climatique. Un grand nombre de ces pratiques partagent les mêmes réflexions et les mêmes approches que les communautés de la science citoyenne telles que Publiclab.org, et aident les communautés à responsabiliser leurs élus vis-à-vis de la justice environnementale à l’aide d’outils de surveillance à faible coût. Publiclab a mis l’accent sur les tests de sol à effectuer soi-même (pour la contamination) et la surveillance du carbone (utilisant la spectrométrie). Nos stratégies sont axées sur la communication et le partage des connaissances agricoles pertinentes au niveau local, par-delà les frontières culturelles, géographiques et linguistiques.

Nous sommes à un carrefour intéressant où le coût et l’accessibilité des outils numériques sont en train d’effectuer un volte face. La prochaine génération de microcontrôleurs open source et d’appareils connectés à Internet, ainsi que les batteries et les moteurs associés, coûtent beaucoup moins cher, sont plus accessibles et évolutifs pour les petits producteurs et peuvent même déjà avoir des avantages économiques par rapport aux systèmes propriétaires à grande échelle.
Les outils de contrôle de la climatisation à faible coût, une automatisation simple, la surveillance des animaux et les processus à valeur ajoutée à la ferme ne sont que quelques exemples d’utilisation présentant un potentiel intéressant pour les petits exploitants.

Des outils de communication à faible coût sont également essentiels pour partager et améliorer les connaissances pratiques liées aux complexités de l’agriculture régénérative, et constituent le fondement de la valorisation des fonctions écosystémiques. Même les conceptions matérielles simples et la fabrication de matériel sur les batteries de serveurs et au niveau local sont rendues plus efficaces avec des outils de communication poste à poste pour échanger et adapter les conceptions aux conditions locales. Nous explorons même des réseaux peer to peer (entre particuliers) pouvant créer des réseaux de communication d’agriculteurs fonctionnels externes à Internet.

Encadres

Encadré 1

L’internet des vaches

Contribution du Groupe ETC, plus d’informations ici en anglais

On pourrait penser que c’est une plaisanterie, mais c’est un aspect supplémentaire de l’invasion des technologies digitales dans l’agriculture et l’alimentation, qui se dirige vers une agriculture sans agriculteurs, industrialisée depuis les semences jusqu’à notre assiette ou notre verre de lait, et contrôlée par les grandes entreprises de l’agrobusiness, des machines et de l’informatique.

Des entreprises comme IBM, Microsoft, Huawei offrent des paquets technologiques pour ce qu’elles appellent « l’internet des vaches ». Il s’agit de dispositifs digitaux (colliers et/ou puces) qui se placent sur chaque vache, pour mesurer leur pulsations, leur température, leur pic de fertilité et autres conditions de santé et liées au système digestif. Les données se transmettent par internet à un nuage de ces mêmes compagnies, qui les emmagasinent dans des systèmes de grandes données (Big Data), les analysent avec l’intelligence artificielle et envoie les alertes que le programme estime pertinent a un ordinateur ou téléphone de l’entreprise agricole, du propriétaire ou de l’hacienda. Il y a aussi des puces interactives qui peuvent diriger le bétail pour le traire quand il est l’heure, connecté à un système automatisé de traite installé préalablement à la mesure de la vache en question. Chaque dispositif est associé á une vache en particulier.

Cela fait dix ans qu’il existe des systèmes satellitaires de monitorat de bétail dans différentes zones. La différence aujourd’hui est que la collecte de données est beaucoup plus ample, les données sont sur chaque animal, et toute l’information va à un nuage de ces entreprises, ou selon les contrats, il peut y avoir les nuages partagés de Bayer- Monsanto ou de machines agricoles comme John Deere.
Il y a aussi l’internet des cochons et des moutons, avec des bases semblables. L’idée n’est pas que le processus se termine dans chaque ferme, mais que le monitorat suive chaque animal en transaction de tête de bétail, grâce à l’usage de « blockchain » et criptomonnaies, ou à l’abattoir, pour les chaines de certification qui incluent le suivi jusqu’á la transformation, vente au détail (dépecé) et jusqu’au réfrigérateur.

Tant IBM que Microsoft ont avancé dans des systèmes digitaux qui regroupent toute la production agricole d’une hacienda. Le package qu’offre Microsoft, appelé « Farmbeats », offre un système de monitorat permanent de la condition des sols, de l’humidité et de l’eau, de l’état des cultures (si elles ont besoin d’irrigation, s’il y a des maladies, pestes, etc), données climatiques, données sur la météo (direction du vent, pluies, etc), afin de prévenir depuis le nuage de Microsoft quand et où semer, irriguer, appliquer fertilisants ou agrochimiques, quand récolter, etc
Pour résoudre le thème de la connectivité rurale, élément clé du système, mais qui manque dans les zones rurales, Microsoft utilise les « espaces blancs de télévision », qui sont des canaux télévisés hors d’usage. Cela permet d’utiliser un router dans chaque ferme, en connectant des senseurs, drones, puces, téléphones ou ordinateurs avec internet dans un rayon de quelques kilomètres et envoyer l’information au nuage de la compagnie.

Les plus grosses entreprises de l’agrobusiness comme Bayer, Syngenta, Corteva et Basf ont des divisions digitales avec des projets de cette teneur et depuis 2012, elles ont des accords de collaborations ou des entreprises conjointes avec les grossistes en machinerie (John Deere, AGCO, CNH, Kubota) dans des systèmes de Big Data, des nuages d’emmagasinement et d’informatique, et des entreprises de drones. Par exemple, Precisionhwak, Raven, Sentera et Agribotix sont des entreprises neuves crées en collaboration entre les multinationales de semences-agrochimiques et celles de machines.

De nouveau, comme avec les transgéniques, les entreprises prétendent que cela est nécessaire pour alimenter une population mondiale croissante, afin d’augmenter la production, épargner l’eau et être « durables ». En réalité il s’agit d’agriculture sans agriculteurs, orientée au remplacement des petites fermes par les grandes entreprises, où depuis les semences jusqu’á l’assiette, le contrôle est effectué par une chaine de transnationales qui ne laissent aucune marge de décision aux agriculteurs.rices.

Chaque ferme apporte en plus une grande quantité de données que les entreprises s’approprient, en construisant des cartes sur des régions entières, ce qui leur permet de visualiser et négocier des projets bien au delà de chaque ferme, en passant outre les agriculteurs et paysan.ne.s.

Ce sont des projets qui avancent, mais cela ne veut pas dire qu’ils fonctionnent. Les réelles connaissances sur les champs et les animaux, ce qui donne l’alimentation et nourrit la majeure partie de la planète, ce sont les formes de vie paysanne. Ces paquets technologiques sont de nouvelles formes d’attaque contre elle.

Encadré 2

L’accaparement vert numérique au Brésil

Ici en anglais.

La région du Cerrado au Brésil, une des plus biodiverses de la planète, a été témoin de l’expansion généralisée de l’agribusiness, spécialement dans la région appelée MATOPIBA [MATOPIBA est l’acronyme pour une superficie de terre de 73.173.485 hectares dans les Etats du Maranhão, Tocantins, Piauí, et Bahia], qui est idéale aux plantations de soja en raison de son terrain comportant des plateaux et des terres basses.

Vu que certaines zones du MATOPIBA (en particulier les terres basses) ont encore une couverture de végétation native du Cerrado, les fermes industrielles et les compagnies d’agribusiness veulent atteindre ces terres, afin de se conformer á la loi brésilienne. Le Code Brésilien de la Foret (Loi 12651/2012) requiert que les propriétaires terriens gardent au moins 20% de leurs terres dans le biome du Cerrado – ce qu’on appelle les « réserves légales ». Parce que les plateaux ont été presque complètement déforestés pour l’établissement de plantations de soja, les compagnies d’agribusiness étendent leurs fermes vers les terres basses, où les villages locaux sont situés.

Ceux qui accaparent les terres utilisent le Registre Rural Environnemental (Cadastre Rural, CAR) comme instrument pour formaliser leurs demandes sur les terres. Le CAR est un système en ligne, sur lequel n’importe qui peut enregistrer de l’information environnementale ou sur l’usage des terres, aucune preuve de propriété n’est requise. Bien que selon la législation le CAR n’a aucune valeur comme titre de propriété, les compagnies d’agribusiness l’utilisent comme preuve de leur occupation et usage de la terre. C’est le cas des « zones de réserves légales » – la plupart d’entre elles couvertes de végétation native ; qui sont enregistrées comme partie de leur propriété, alors que ces biens sont traditionnellement utilisés par les communautés locales.

Les communautés qui tentent d’enregistrer leurs terres dans le CAR découvrent souvent qu’elles ont déjà été enregistrées par les propriétaires de plantations. Malgré les faiblesses du CAR, plusieurs initiatives ont malheureusement promu ce système, tel qu’un projet coordonné par le PNUD et Conservation International avec l’objectif d’encourager la production « durable » de soja dans le Cerrado.

Encadré 3

Numérisation des pêcheries

Au cours des dernières décennies, pour de multiples raisons, la collecte des données concernant les océans s’est énormément développée. Ces données concernent le fret des navires, la création de cartes du plancher océanique et la gestion des stocks de poissons, ce qui a permis le développement des allocations de quotas et le système du Total Admissible des Captures (TAC). Il s’agit cependant de se questionner sur le type de programme politico-économique que mobilisera la collecte de données massives et les conséquences que cela entraînera pour les communautés de petits pêcheurs. L’utilisation de plus en plus répandue de ces données et la numérisation de l’espace océanique doivent être envisagées à la lumière de changements politico-économiques historiques en ce qui concerne l’usage et le contrôle de l’espace océanique et, en particulier, dans le cadre de l’Economie Bleue.


Données et pêcheries

Les données relatives aux pêcheries ont commencé à être exploitées alors même que surgissaient des discussions sur l’utilisation des stocks nationaux de poissons, lesquelles reposaient sur un discours de durabilité écologique et d’efficacité économique. Ces données ont permis le développement du système de TAC, qui est élaboré par des scientifiques spécialisés dans la pêche grâce à des enquêtes destinées à rassembler des données sur les tailles de populations des espèces de poissons commercialisées. La collecte de ces données s’est trouvée chaque jour davantage numérisée à l’aide d’appareils GPS embarqués et du stockage automatisé des informations sur des ordinateurs. La possibilité d’enregistrer les captures en temps réel signifie que les TAC et les quotas restants, ou les captures qui excèdent les quotas, peuvent immédiatement être détectés. Même si ces informations participent à la compréhension générale des populations d’espèces et de leurs répartitions dans les océans, la nature quantitative et scientifique de ces données fragilise les connaissances traditionnelles des pêcheurs locaux, qui leur permettent pourtant de protéger la durabilité des écosystèmes océaniques.

Les systèmes de gestion basés sur des quotas et les modèles de partage des captures comme les quotas individuels transférables (TIQ) ont été rendus possibles grâce à la numérisation des données relatives aux stocks de poissons. Ces types de systèmes de gestion sont soutenus par des organisations environnementales qui défendent la mise en œuvre de tels modèles afin de faire progresser la préservation des océans. Ces modèles sont cependant régulièrement décriés, puisqu’ils découlent de la privatisation des ressources publiques et sont associés avec l’injuste répartition des ressources des pêcheries.


Données et Economie Bleue

Le rôle croissant des données dans la gestion des océans est mise en avant dans le contexte de l’augmentation des tensions exercées sur l’océan et les ressources océaniques, qui constitueraient une frontière économique susceptible de résoudre une myriade de crises, notamment alimentaire, énergétique et climatique.

L’augmentation des données massives transforme l’océan en un objectif financier asservi au profit économique, plutôt qu’elle n’ouvre la possibilité d’une alimentation variée et nourrissante. Le programme reposant sur le marché de l’économie bleue se concentre sur l’implication du secteur privé dans les développements basés sur l’exploitation des océans. Selon le discours de l’Economie Bleue, les industries émergentes qui reposent sur les océans sont dotées de capacités élevées en matière de croissance, d’innovation et de création d’emplois, et peuvent contribuer à la sécurité énergétique, à la gestion du changement climatique et à la sécurité alimentaire. Mais ces discours sont également associés à la dépossession et à l’appropriation des ressources et des espaces océaniques.

Différentes innovations ont rendu plus facile l’accroissement de la collecte des données destinées à la gestion des océans dans la perspective d’une économie bleue en expansion. Les données satellitaires ont augmenté de manière exponentielle et devraient doubler d’ici 2020. Grâce à une résolution spatiale et spectrale accrue, chaque instrument pourra enregistrer davantage de données et l’observation sera moins limitée. Les drones et les véhicules aériens non habités permettent de collecter les données plus facilement et de manière moins onéreuse. Afin que les données massives contribuent à la croissance d’un riche écosystème d’informations, des interfaces de programmation d’application avancées sont élaborées pour permettre de traiter rapidement et économiquement les immenses quantités de données collectées.

Conséquences

Les pêcheurs ont une connaissance approfondie des populations de poissons, des cycles de reproduction et des techniques de pêches auxquelles ils ont recours pour protéger les stocks de poissons. La nature quantitative et scientifique des calculs de TAC néglige ce savoir, en réduisant l’information à des données scientifiques plutôt qu’en les combinant de manière globale avec les savoirs traditionnels. La vision de la nutrition est devenue technique par nature et la nourriture est toujours davantage considérée comme un produit plutôt que comme faisant partie des communs. Cette vision réductrice, fragmentée et individualiste de la nourriture fait le deuil d’une perspective envisageant les droits de l’homme.

La numérisation creuse l’écart entre les producteurs et les consommateurs, elle entraîne un traitement de la production alimentaire toujours plus automatisé et délocalisés et dépossède les pêcheurs de leur savoir et de leurs accès aux ressources océaniques. Le pouvoir bascule ainsi des systèmes physiques de production alimentaire et des activités de pêche vers des acteurs financiers souvent méconnus, qui bénéficient d’un accès à et d’un contrôle de ces technologies. Cela concentre le pouvoir politique et économique entre les mains d’acteurs éloignés du terrain, qui sont impliqués dans le royaume immatériel de l’information et des moyens financiers, soulignant de nouveau la lutte des classes et les inégalités oppressives. En outre, toutes ces données massives sous-tendent des décisions politiques, par exemple celle de déterminer l’utilisation de l’espace océanique à l’aide d’outils techniques comme la planification spatiale marine. Ces données sont mobilisées pour soutenir un certain type de programme politico-économique, et si cela implique le discours de plus en plus dominant de l’économie bleue, les conséquences seraient dévastatrices pour les petits pêcheurs du monde entier dotés d’un faible pouvoir politique.

Sous les feux de la rampe

La numérisation des aliments

Registres fonciers numériques; séquençage et édition de gène ; capteurs dans les machines agricoles robotisées ; robots utilisés pour la cueillette des fruits ; blockchains [Pour une définition des blockchains et d’autre termes clés, voir le glossaire (en anglais) page 6 et 7 du rapport du groupe ETC] assurant la traçabilité dans les chaînes de valeur mondiales ; contrôle sanitaire du bétail 24 heures sur 24 ; protection des droits de propriété intellectuelle (DPI) sur les plateformes numériques ; Intelligence artificielle (IA) en sélection végétale ; localisation des ressources halieutiques par satellite et attribution des droits de pêche ; commerce et distribution automatisés ; e-commerce de produits alimentaires ; nutrition et mise en forme personnalisées avec des applications pour smartphone—le « meilleur des mondes » (en référence au roman dystopiste d’Aldous Huxley) des technologies numériques transforme tous les aspects de nos systèmes alimentaires pour le meilleur et pour le pire. Cette liste incomplète est un petit échantillon de la gamme d’applications des technologies numériques. Au cours des dix dernières années la numérisation est devenue de plus en plus visible et influente dans la production, la transformation, le stockage, le conditionnement, la vente au détail et le commerce des produits alimentaires.

Acteurs, initiatives et récits

Les gouvernements, les entreprises et les institutions politiques présentent la numérisation dans l’alimentation et l’agriculture comme une solution aux principaux problèmes auxquels le monde est confronté. Les entreprises et les financiers pour leur part y voient une formidable opportunité de générer des profits.

Au cours des dix derniers mois, l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) a organisé deux événements internationaux sur la numérisation et la technologie [Symposium international sur l’innovation pour l’agriculture familiale, Novembre 2018, Séminaire international sur la transformation de l’agriculture numérique, Mai 2019.]. En 2018, «l’e-agriculture» était à l’ordre du jour des conférences régionales de la FAO pour l’Europe et l’Asie centrale. La Banque mondiale a consacré des panels spéciaux sur la numérisation et la technologie blockchain pour l’administration des terres lors de ses conférences annuelles sur les terres et la pauvreté [Des experiences ont lieu au Brésil, en Géorgie, en Ukraine, en Suède, en Inde, en Australie, à Dubai, au Honduras, aux États Unis, et au Ghana. Graglia, J.M., Mellon, C. « Blockchain and Property in 2018: at the end of the beginning ». Document présenté à la Conférence annuelle de la Banque mondiale sur la terre et la pauvreté, 2018. En anglais]. Des méga-fusions entre les plus grandes entreprises de semences et de produits agrochimiques du monde (notamment la fusion Bayer-Monsanto) ont sensibilisé le public à la concentration élevée d’entreprises dans la chaîne alimentaire industrielle et aux investissements massifs des grandes entreprises dans les secteurs de l’agrochimie, les machines agricoles et la distribution alimentaire et TIC [En anglais]. Dans plusieurs pays, des géants du commerce électronique tels qu’Amazon, Uber, Walmart, Alibaba et GRAB se sont étendus à la vente au détail de produits alimentaires en ligne. La concurrence entre les entreprises pour la vente au détail de produits alimentaires en Inde [La face changeante de la vente au détail de denrées alimentaires en Inde in Dématérialisation de l’alimentation. Aborder de front les défis de l’ère numérique] et la bataille pour le contrôle de la technologie 5G entre la Chine et les États-Unis sont révélatrices des importantes sommes d’argent en jeu dans les technologies et l’infrastructure numériques.

La récente poussée en faveur de la numérisation découle de la quatrième révolution industrielle (4IR), promue agressivement par les entreprises dans le cadre du Forum économique mondial (WEF), qui la décrit comme une «fusion de technologies qui brouille les frontières entre le physique, le numérique et les sphères biologiques. » Tandis que 4IR va au-delà de l’alimentation, il a remplacé le paradigme de la «révolution verte», qui avait été légitimée par la nécessité d’accroître la production agricole. Les technologies numériques et les mégadonnées sont des aspects essentiels du nouveau paradigme car ils permettent de renforcer le contrôle exercé par les entreprises sur le système alimentaire mondial.

La numérisation de l’agriculture alimentaire va d’applications relativement simples, telles que les drones pour la cartographie des terres et le marketing direct en ligne, à l’agriculture numérique plus complexe. Le terme agriculture numérique fait ici référence à l’intégration de technologies de pointe (intelligence artificielle, capteurs, robotique, drones, etc.), d’appareils et de réseaux de communication dans un seul système, et à leur application à la production, à la gestion, au traitement et au marketing. Ce nouveau paradigme nous promet des miracles : une plus grande efficacité dans la production alimentaire et l’utilisation des ressources et de l’énergie, la durabilité, la transparence, la précision, et la création de nouveaux marchés et d’opportunités économiques. Les pays en développement, en particulier les pays africains, sont séduits par les promesses des donateurs, des agences internationales et des fondations d’entreprise selon lesquelles la numérisation leur permettra de «faire un bond en avant» en s’engageant dans des voies respectueuses du climat. Toutefois la technologie et l’infrastructure nécessaires à ce scénario optimiste proviennent bien évidemment d’entreprises qui recherchent à réaliser des bénéfices pour leurs actionnaires et non pour le bien public.

Implications pour l’homme et l’environnement

Les partisans de la numérisation soulignent ses avantages supposés pour les personnes marginalisées et les petits producteurs d’aliments : l’administration foncière numérisée augmentera la sécurité du bail ou de la tenure ; l’attribution des droits de pêche par satellite assurera la transparence et la sécurité des pêcheurs artisanaux ; des blockchains relieront directement les producteurs aux consommateurs éliminant ainsi l’exploitation par des intermédiaires ; l’agriculture numérique réduira les coûts d’intrants et augmentera l’efficacité de l’irrigation et de la production. Le commerce électronique est largement présenté comme la passerelle pour la création de nouveaux marchés et la commercialisation des produits agricoles [Un exemple ici].

Certes les petits producteurs d’aliments et les groupes marginalisés peuvent tirer un avantage considérable des technologies numériques. Mais il ne faut pas oublier que ces technologies sont déployées dans un contexte de fortes inégalités nationales-globales en matière d’accès aux biens et services essentiels, ainsi qu’aux technologies de l’information et au numérique (fracture numérique)[La Banque mondiale reconnaît qu’il existe un triple fossé: ruralité, le genre et l’accès au numérique.]. À moins de remédier efficacement à ces inégalités, les nouvelles technologies reproduiront et approfondiront les schémas de discrimination existants. De plus, la fabrication et l’utilisation de matériel informatique et d’intelligence artificielle (micro-puces, semi-conducteurs, écrans à cristaux liquides, téléphones portables, ordinateurs, batteries, etc.) ont de grands impacts sur l’environnement. Ceux-ci incluent l’exploitation minière, les émissions de composés volatils, les vapeurs acides, les solvants et les métaux dans l’air et l’eau, une consommation d’énergie élevée, la production et le traitement de déchets et les émissions de gaz à effet de serre provenant du transport et du stockage.

Les communautés locales expérimentent également avec les nouvelles technologies pour affirmer et renforcer leurs droits. Au Brésil femmes autochtones utilisent des drones dans le cadre de leurs stratégies de cartographie et de protection de leurs territoires. D’autres communautés utilisent des images satellite pour surveiller et attirer l’attention du public sur la déforestation par les entreprises agroalimentaires [La transformation des terres en un actif financier mondialisé in Dématérialisation de l’alimentation. Aborder de front les défis de l’ère numérique]. Aux États-Unis, les petits exploitants voient un potentiel dans l’utilisation de capteurs, de puces (qui sont devenues nettement moins chères ces dernières années) et de logiciels open-source pour éliminer les avantages d’échelle de l’agriculture industrielle sur les petits producteurs. Dans certains pays d’Asie du Sud-Est les petits producteurs vendent des produits agroécologiques aux consommateurs par le biais de la vente au détail en ligne.

Le développement et l’application rapides des technologies numériques ont des incidences importantes sur les conditions de vie, le travail, la production, les interactions sociales, le commerce, l’environnement, les politiques publiques et la gouvernance. Afin de formuler des stratégies pour traiter la numérisation, nous devons améliorer notre propre compréhension et engager des réflexions et des débats critiques.

Nous espérons que les questions ci-dessous stimuleront ces processus.
1. Qui sont les acteurs développant les technologies numériques et à quelles fins?
2. Qui a accès aux technologies numériques, qui les contrôle, et à quelles fins?
3. À qui appartiennent les énormes quantités de données créées chaque jour par nous tous et qui a le droit de les utiliser et d’en tirer un avantage économique?
4. Comment les applications et les impacts des technologies numériques devraient-ils être surveillés et évalués? Comment ces technologies devraient-elles être régies et réglementées pour le bien public?
5. Comment faut-il évaluer les risques découlant des technologies numériques et surveiller leur application?
6. Comment pouvons-nous remettre en question le discours dominant qui associe l’innovation à la technologie, afin de mettre en valeur et promouvoir les innovations, les pratiques et les connaissances paysannes et autochtones [Voir le bulletin 36 de Nyéléni, L’agroécologie : véritable innovation réalisée par et pour les peuples]?
7. Quels sont les liens entre les innovations, les pratiques et les connaissances paysannes et autochtones et les technologies numériques?
8. Comment pouvons-nous utiliser les technologies numériques pour faire progresser la souveraineté alimentaire et l’agroécologie? Quel type de technologies? Dans quelles conditions? Comment devraient-elles être régies?

Ce sont des questions complexes et leur trouver des réponses nécessitera du temps, de l’énergie, une réflexion critique et une pensée créative. Cependant, le moment est venu de relever ce défi.

L’écho des campagnes

L’écho des campagnes 1

Une maison de semences locales dirige la lutte pour la souveraineté alimentaire en Palestine

Syndicat de comités de travailleurs agricoles, Palestine

Dans les territoires occupés de Palestine, une maison de semences locales œuvre à la récupération des semences et de la biodiversité en tant que biens communs et publics depuis le début des années 2000.

La maison de semences locales est sans aucun doute, l’action la plus significative qui contribue à l’accomplissement de la souveraineté alimentaire en Palestine. Établie à Hébron en 2003, par le Syndicat de comités de travailleurs agricoles (UAWC), cette maison est la première et la seule de ce type en Palestine. Y sont sauvegardées, protégées, préservées, stockées et reproduites 45 variétés de légumes et de plantes locales venant de 12 familles de plantes dont beaucoup sont menacées d’extinction. On y trouve des semences de blé, d’orge, de froment, de chou-fleur, de rutabaga, de niébé, d’aubergine, de courge, d’okra, de courge amère, de concombre serpent. Toutes ces semences proviennent directement de paysans palestiniens et sont soumises à un processus de vérification de deux ans avant d’être stockées et mises à disposition d’autres paysans.

La maison est composée de 4 unités : une pièce de réception des semences, un laboratoire, un séchoir et une pièce de stockage où les semences sont stockées pendant cinq années au plus. Afin de protéger cet énorme patrimoine génétique d’évènements catastrophiques, des échantillons de ces semences sont également stockés à long terme à des température inférieures à zéro. Après avoir consigné les performances des semences : pourcentage de germination, croissance et floraison des plants, l’UAWC offre ces semences gratuitement aux paysans palestiniens, au moins deux saisons par an.

Cela contribue à l’augmentation des revenus des paysans. En outre, grâces à ces semences, les paysans luttent mieux contre les effets de l’accaparement de l’eau par l’occupation israélienne, ainsi que contre le réchauffement climatique, car elles sont résistantes à la sécheresse et ne requièrent pas d’irrigation. A l’opposé des variétés de semences hybrides vendues par les sociétés israéliennes et multinationales telles que Bayer-Monsanto, les semences paysannes sont fertilisées par un fumier animal et ne requièrent ni pesticide chimique ni herbicide à base de glyphosate.

« Nous avions l’habitude d’acheter des semences à coût élevé aux sociétés israéliennes » dit Mahmoud Abu Kharatabel, paysan et membre de l’UAWC de longue date. « Mais, aujourd’hui, grâce à la banque de semences, nombre d’entre nous peuvent planter entre 90 et 95 pour cent de semences locales » déclare-t-il avec fierté.

La maison de semences travaille avec des paysans d’importance-clé tel que Abu Kharatabel, qui ont établi une procédure en trois étapes. Une fois que le paysan a reçu les semences, les a plantées et récoltées, les nouvelles semences sont divisées en trois groupes. Le premier groupe appartient au paysan pour ces besoins de l’année présente. Le deuxième groupe est stocké et sera planté pendant la saison suivante. Et le troisième groupe revient à la maison des semences pour le bénéfice d’autres paysans et pour continuer à construire la souveraineté alimentaire en Palestine.

« Quand un paysan a ses propres semences et peut les reproduire, cela veut dire qu’il peut choisir quoi planter et quand planter » explique Do’aZayed, coordinatrice de la banque de semences de l’UAWC « Voilà pourquoi nous avons établi cette maison de semences locales », puis elle a résumé ainsi : « la souveraineté semencière est la première étape de la souveraineté alimentaire ».

L’écho des campagnes 2

Prendre soin c’est également pouvoir expérimenter

Communauté Niagui, Sénégal

Les rives du fleuve Casamance abritent des kilomètres de mangroves. Mariama Sonko nous montre les structures en bois où s’accrochent les huîtres[1] que les paysan(ne)s de la région de Ziguinchor élèvent dans le cadre de leurs moyens de vie et de leur souveraineté alimentaire. Il s’agit de la communauté de Niagui, sur la côte atlantique de l’Afrique, au Sénégal. Nous sommes dans la savane, avec une multitude d’arbres, d’arbustes et de zones humides.

Les habitants de Niagui sont très impliqués dans leur souveraineté alimentaire, avec des semences qui leur permettent de cultiver leurs propres aliments. Mariama Sonko, l’une des membres de la communauté qui poursuit la tradition de conserver les semences, nous montre les rangées de pots en terre cuite de différentes tailles alignés sur les murs en pisé d’une maison dans un quartier de la communauté : « La terre cuite régule la température, ce qui est fondamental pour conserver les semences. Nous fabriquons des récipients spéciaux et en les stockant ainsi, nous les échangeons plus facilement. Les femmes fabriquent les pots avec leurs couvercles en inscrivant différentes phrases sur les côtés pour nous aider à réfléchir sur les semences et leur importance. »

Mariama Sonko précise qu’ils n’ont pas l’intention de promouvoir les banques de semences,  » parce que le plus important est la conservation à long terme des semences  » actives « , c’est-à-dire des semences qui sont en permanence dans les champs, et qui sont semées et échangées entre récolte et récolte. L’une des variétés de riz, la plus répandue dans la région, est la variété « brikissa », qui est échangée tout le temps et dure environ 50 jours avant d’être semée ».

C’est avec une grande fierté qu’elle poursuit son histoire :  » C’est une de ces femmes, qu’en ville on appelle  » analphabète « , qui a commencé à reconstituer les variétés traditionnelles, car elle a compris que les variétés  » améliorées « , conventionnelles, commerciales, érodaient nos semences traditionnelles, beaucoup plus résistantes et adaptables aux aléas du climat et à l’humidité. Ce sont les femmes qui transmettent le soin et la connaissance de nos semences de génération en génération. Elles proviennent de la confiance que nous avons en nous-mêmes.

Les semences conventionnelles ne permettent pas aux gens d’observer, de calculer, d’expérimenter, parce qu’elles viennent avec des prescriptions précises qui nous enlèvent toutes possibilités. Nous parlons d’une vingtaine de variétés de riz, plus du sorgho, du maïs et du mil. Nous ne voulons pas centraliser les soins. Nous favorisons l’autonomie parce que les conditions changent, la fertilité des sols se perd, il y a un manque de précipitations, il y a une demande de semences. Nous maintenons les pratiques, mais les conditions changent.

[1] Dans les mangroves, les agriculteurs cultivent des huîtres sur des cordes tissées sur des cadres.

Encadres

Encadré 1

Adoptez Une Semence, une action pour la vie

Le 16 octobre 2018, La Via Campesina a relancé sa Campagne mondiale « Semences paysannes, patrimoine des peuples au service de l’humanité », pour ce faire elle a appelé à l’action Adopte Une Semence. Comment y participer ?

Nous cherchons à ce que chaque paysan(ne) ou communauté s’engage à adopter une variété de semences, quelle que soit sa culture. Celle qui suscite le plus d’intérêt, pour son identité, son territoire ou dans le cadre de l’affirmation de la vie et de la culture paysannes. Chaque participant doit devenir le gardien de cette semence et le garant de sa propagation. L’idée est de créer un grand réseau de semences paysannes, de récupérer des semences et d’étendre la production pour atteindre la Souveraineté alimentaire des peuples.

Grâce à cette action, nous voulons que des milliers de communautés renforcent la biodiversité et récupèrent les variétés, garantissant ainsi la souveraineté alimentaire et la capacité de production. Il s’agit d’une action pour la vie, afin d’empêcher les multinationales de s’approprier les semences paysannes, de diminuer notre autonomie et notre biodiversité. Sans semences paysannes, l’agriculture paysanne devient l’otage des multinationales !

Vous pouvez commencer par votre communauté et inviter d’autres personnes, l’important est de faire le premier pas ! Nous voulons en savoir plus sur votre communauté et la variété récupérée, écrivez-nous à :
lvcweb@viacampesina.org

Nos semences paysannes
La semence paysanne a une valeur inestimable. Elle est synonyme d’autonomie pour les intrants et la prise de décisions, car si nous possédons des semences, nous décidons quand et comment les planter.
Les semences sont le lien pour la continuité de l’agriculture paysanne et la production d’aliments sains pour les travailleurs/travailleuses et les consommateurs/consommatrices. Nous parviendrons à la souveraineté alimentaire que si les semences sont sous la protection des paysans, des communautés et des peuples du monde.
Développer cette action, c’est garantir le droit à une alimentation de qualité pour la campagne et la ville !

Encadré 2

Lutte pour les droits semenciers : de nouvelles menaces pour le Traité sur les semences

Le Traité international sur les ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture (Traité sur les semences) a été adopté en 2001 et est entré en vigueur il y a 15 ans. C’est le seul instrument mondial, multilatéral, obligatoire de gouvernance qui reconnaisse les droits collectifs des paysans à leurs semences. Le Traité facilite et règlemente l’accès aux semences -patrimoine commun de l’humanité- stockées dans des banques de gènes liées au Système multilatéral et qui garantit leur disponibilité pour les générations futures.

Bien qu’il s’agisse d’un compromis déséquilibré et instable, le Traité reflète les rapports de force et les opinions de : (1) l’industrie semencière exigeant un accès facilité aux semences paysannes tout en promettant de partager les avantages monétaires et non-monétaires ; et (2) les paysans demandant des garanties pour leurs droits collectifs à sauvegarder, utiliser et échanger les semences ainsi que pour les générations futures. L’industrie a lamentablement échoué à tenir sa promesse de partager les avantages, et elle a, en plus, renforcé les législations de protection des variétés de plantes qui violent les droits de paysans. En conséquence, en 2013, les parties contractantes ont décidé de mettre en place un groupe de travail visant à améliorer le fonctionnement du système multilatéral et un Accord de transfert de matériel (ATM : L’Accord de transfert de matériel est un modèle obligatoire pour les parties qui désirent offrir ou recevoir du matériel dans le cadre du système multilatéral.) permettant d’avoir accès aux RPGAA (Ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture).

Nouvelles menaces
La récente révolution technologique en génomique a rendu le séquençage d’information génétique de semences très facile et abordable. Aujourd’hui la biotechnologie avancée est capable de créer de nouvelles semences en utilisant uniquement des informations de séquençage numérique (DSI) acquises par les semences physiques. Cette nouvelle technologie perturbe le lien entre le matériel (germoplasme) et ses résultats dérivés [Dématérialisation]. La création de nouvelles populations ou variétés, utilisant uniquement le DSI, et leur brevetage, va augmenter les cas de biopiraterie et va grandement limiter les droits des paysans sur leurs semences. C’est le moyen le plus facile d’accélérer l’érosion de la biodiversité et de menacer notre futur.

Le système multilatéral du Traité n’offre pas, à l’heure actuelle, de réponse adéquate aux technologies génétiques qui sont à la disposition de l’industrie. Sa portée n’est pas suffisamment définie, il faudrait clarifier si le DSI doit être considéré selon les règles du ATM ou si les RPAA, telles qu’elles sont définies par les termes du Traité n’incluent pas le DSI. Si des décisions rapides ne sont pas prises ou tout au moins des discussions engagées à ce sujet, l’industrie aura un accès libre aux informations de séquençage génétique à volonté, profitant de cette lacune dans les réglementations.

Le DSI pose également de nouveaux défis aux mouvements sociaux, qui doivent concevoir de nouvelles stratégies pour parer à cette nouvelle forme de capture. Jusqu’à présent, il est bien clair que les plus grands bénéficiaires de ce « patrimoine de l’humanité » dans les banques de gènes sont les industries semencières. La plupart des pays les plus développés sont complices dans ces nouvelles menaces, car ils travaillent la main dans la main avec l’industrie pour s’approprier les ressources phytogénétiques existantes pour l’agriculture et l’alimentation par le biais de brevets. Cependant, les paysans souhaitant gérer de façon dynamique leur biodiversité bénéficieraient d’un système multilatéral effectif et un ATM efficace.

La Via Campesina et ses alliés ont rejeté et dénoncé les nouvelles tentatives de l’industrie d’utiliser la biologie synthétique et le génomique pour contourner les réglementations du Traité et enfreindre l’article 9 du traité sur les semences relatif au droit des paysans à sauvegarder, utiliser, échanger et vendre leurs semences, ainsi que la Convention sur la diversité biologique (CDB), dans ses protocoles et la Commission sur les ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture. Nous dénonçons fortement cette stratégie de l’industrie qui apparait clairement dans les pays développés et parmi d’autres organisations.

Nous rappelons aux Parties contractantes du Traité et aux autres espaces de prise de décision d’intervenir et de considérer les obligations des régimes privés de propriété intellectuelle comme appartenant à la sphère des droits économiques et de respecter l’application effective des droits des paysans qui émanent de la sphère des droits humains.

Il y a deux grands moyens d’empêcher l’appropriation de toute la diversité agricole et du contrôle de la chaine alimentaire par les sociétés multinationales : (1) assurer la prédominance des droits des paysans sur les droits des obtenteurs et des détenteurs de brevets et (2) faire respecter le droit des peuples à définir eux-mêmes ce dont ils ont besoin pour garantir leur souveraineté alimentaire.

Les négociations lors de la dernière réunion de l’Organe directeur du Traité ont démontré que le bloc des pays industrialisés se refuse à discuter de cette question et veut la reporter à plus tard, menaçant le multilatéralisme qui caractérise le système onusien ; plus particulièrement les États-Unis qui présidaient la session, et ont biaisé les procédures de discussion. Une nouvelle possibilité de discuter de cette question se présentera lors de la CDB où La Via Campesina et ses alliés feront pression pour défendre les droits des agriculteurs familiaux de petite échelle et des générations futures.

Encadré 3

Droits paysans et notre lutte pour les semences

L’article 19 de la Déclaration des Nations Unies sur les Droits des paysans et autres personnes travaillant dans les zones rurales (UNDROP – La Déclaration des Nations Unies sur les Droits des paysans et autres personnes travaillant dans les zones rurales a été officiellement adoptée par l’Assemblée générale de l’ONU en décembre 2018.) reconnait le droit des paysans et des autres personnes travaillant dans les zones rurales à maintenir, contrôler, protéger et développer leurs propres semences et leurs savoirs traditionnels. Selon ce même article, les paysans et autres personnes travaillant dans les zones rurales ont droit à : (1) la protection de leurs savoirs traditionnels ; (2) participer de façon équitable au partage des avantages émanant de l’utilisation des ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture (RPGAA) ; (3) participer à la prise de décisions relatives à la préservation et à l’utilisation durable des RPGAA ; (4) sauvegarder, utiliser, échanger leurs semences ou tout matériel de propagation préservés à la ferme.

En outre, l’UNDROP demande aux États de s’assurer que les paysans ont suffisamment de semences de bonne qualité et à des prix abordables à leur disposition à l’époque de la plantation. Les paysans doivent pouvoir être autonomes en ce qui concerne leurs propres semences ou d’autres semences ou variétés disponibles localement qu’ils désirent cultiver.

Selon les termes de la Déclaration, les États sont responsables de la prise de mesures appropriées visant à soutenir le système semencier paysan et à promouvoir l’utilisation des semences paysannes et l’agro-biodiversité, s’assurant que la recherche et le développement agricole prennent en compte les besoins des paysans et des autres personnes travaillant dans les zones rurales. Cela signifie que les paysans doivent être inclus dans la définition des priorités et dans toute action de recherche et développement, leur expérience doit être prise en compte.

Enfin, l’UNDROP rappelle aux États qu’ils doivent s’assurer que toutes législations semencières, toutes lois sur la propriété intellectuelle et la protection des variétés de plantes, tous régimes de certification et toutes lois sur le marketing des semences, respectent et prennent en compte les besoins et les réalités des paysans et des autres personnes travaillant dans les zones rurales.

Encadré 4

Illégaliser nos semences en Amérique Latine

Les gouvernements latino-américains cherchent à homogénéiser légalement les semences. Le Mexique, le Honduras, le Costa Rica, El Salvador, la Colombie, l’Equateur, le Chili, l’Argentine, le Pérou, le Brésil, le Paraguay, le Venezuela, ont proposé et débattu des lois sur les semences. Beaucoup d’entre elles se heurtent à la résistance des communautés, des organisations sociales et des peuples. Ces lois suivent sans réserve les directives définies par les grandes transnationales semencières : Bayer-Mosanto, Corteva-Agriscience, ChemChina (Syngenta), Vilmorin&Cie-Limograin.

Les agences des Nations Unies telles que l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), la Conférence sur le commerce et le développement ou l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle sont des organes importants qui agissent en faveur de ces normes, élaborent des lois types et enseignent aux gouvernements comment les appliquer.

Les lois de commercialisation définissent les critères qui doivent être remplis pour que les semences arrivent sur le marché. Elles ne peuvent être commercialisées que si elles appartiennent à une variété répondant à trois exigences importantes : elles doivent être « distinctes », « homogènes » et « stables ». Les lois sur la propriété intellectuelle sont des règlements qui reconnaissent qu’une personne ou une entité, une entreprise semencière, est l’unique propriétaire d’une semence présentant certaines caractéristiques et a le droit légal d’empêcher d’autres personnes ou entités de l’utiliser, la produire, l’échanger ou la vendre. Il existe deux grands types de systèmes de « propriété intellectuelle » pour les semences : les brevets et la protection des obtentions végétales, qui confère des droits à quiconque « obtient » une variété, même si sa condition actuelle remonte à des milliers d’années. Les accords de commerce et d’investissement représentent un outil utilisé par les entreprises pour forcer les gouvernements à adopter et à promouvoir les droits des entreprises sur les semences.

Ces lois cherchent donc à rendre illégaux les systèmes locaux, paysans et autochtones d’utilisation, d’échange, de production et d’amélioration des variétés locales. Elles permettent aux entreprises de définir des politiques nationales en matière de semences, de recherche et d’agriculture. Elles créent un système de certification et de surveillance contrôlé par des sociétés privées. Elles obligent les communautés et les peuples à accepter les normes fixées par les transnationales et à être contrôlés par des organismes privés s’ils souhaitent continuer à échanger des semences « légales ». Elles reportent, minimisent ou éliminent tout souci de conservation de la diversité agricole. Elles prétendent réglementer des traditions millénaires d’utilisation et d’échange de semences. Elles imposent des normes industrielles à l’agriculture, facilitant ainsi la privatisation des semences. Elles cherchent à qualifier et à classer toutes les semences, même locales et autochtones, afin que la propriété des semences par les entreprises soit respectée. Ainsi, quiconque produit des semences sera contrôlé, quelle que soit la semence qu’il produit ou la façon dont il l’échange.

Poème

La mission des semences

Une semence de vie tombe dans les bras du vent du Nord,
Née d’un beau fruit charnu,
Gigantesques bourgeonnements de rêves et de luttes !
Femmes brûlées, femmes assassinées,
Femmes en résistance, femmes à la conquête de leurs droits.
Semences multipliées, ressuscitant l’utopie à chaque cycle,
Recourir à la terre de ce monde immense

Aujourd’hui, les semences c’est toi, c’est moi,
Prêtes, en attendant de tomber dans le giron de la Terre-mère,
Ecoute…. Elle te réclame !
Chaque grain de terre est une bouche réclamant justice !
Qui peut supporter le silence de la terre improductive ?
Cimetière vivant de l’espoir, semant haine et exclusion.

Les semences c’est toi, c’est moi,
La charrue -notre organisation – a déjà creusé des sillons dans la terre,
Allons dormir dans cette terre,
Laissons-la nous raconter le secret de la mission !
Sentons la pluie : chacun et chacune de nos camarades se joignent à la lutte.
Qu’en notre sein s’épanouissent le rêve et l’engagement !
Et lorsqu’ils seront trop grands, que nous ne pouvons plus les contenir,
Alors nous éclaterons et ne serons plus semences !

Nous serons militants et militantes, poussant comme les plantes, et nous trouverons
Un grand soleil rouge, brillant au zénith – La nouvelle société !
Et nous sentirons son baiser sur notre bouche.
Alors nous ne serons plus plantes, nous deviendrons fruits !
Nous nous alimenterons de nos luttes et de nos conquêtes,
Nous-mêmes et ceux que nous aimons
Jusqu’au jour de notre mort, tels des fruits mûrs….

Et ces fruits tomberont comme des larmes sur la terre et se transformeront en semences.
Et ainsi de suite, éternellement…
Jusqu’au jour où auront disparu la maudite houe et la faucille de la domination,
Menaçant le bourgeonnement de la terre.
Alors, soulagée elle soupirera et immédiatement la naissance aura lieu :
Nous mangerons,
Nous célèbrerons,
Nous danserons au son de la harpe et des guitares !
Et nous chanterons avec la voix du cœur !

Parce que nos yeux, emplis de tendresse, pourront finalement voir,
La semence enfin transformée en récolte !

(Poème original en espagnol de Daniel Salvado)

Aux premières lignes

Aux premières lignes

Ces entretiens ont été réalisés avec le soutien spécifique de Real World Radio

1. La souveraineté alimentaire s’oppose à la montée du fascisme car elle nous permet d’organiser la vie différemment

« En organisant la vie différemment, en questionnant la manière dont nous nous alimentons et ce que nous mangeons, en soutenant les producteurs et les productrices à petite échelle et en répartissant les tâches domestiques afin qu’elles ne reposent pas exclusivement sur les épaules des femmes, la souveraineté alimentaire nous aide à résister à la montée du fascisme », affirme l’agronome et militante féministe de la Marche mondiale des femmes au Brésil, Miriam Nobre.

Parmi les menaces principales pesant sur la souveraineté alimentaire, elle relève les attaques ciblant les peuples autochtones et la population d’origine africaine qui voient leurs territoires pillés, les persécutions et les violences physiques contre les femmes considérées comme des « sorcières », ainsi que la critique émise par les figures religieuses néo-pentecôtistes à l’encontre des rituels communautaires qui assurent une transmission des savoirs entre les générations, par exemple lors des semis de maïs.

« Aux tentatives menées par les secteurs conservateurs afin de revenir au modèle de la famille patriarcale, s’ajoutent le démantèlement des politiques publiques aidant au maintien des jeunes à la campagne, ainsi que l’alliance entre l’agro-industrie, le trafic de drogues et la militarisation. Tout ceci constitue une menace permanente pour les populations. Nous devons lutter pour le droit des jeunes générations à être paysans et pour qu’ils puissent pratiquer l’agroécologie », ajoute-t-elle.
Intégralité de l’entretien ici.

2. La lutte pour la souveraineté alimentaire : une bataille contre l’offensive fasciste

Figure historique de La Vía Campesina International, le leader paysan Carlos Marentes évoque avec Real World Radio les défis qui se dressent sur la route de la souveraineté alimentaire « en cette période politique caractérisée par une oligarchie et un conservatisme toujours plus extrêmes, des États penchant vers l’extrême droite avec des positions néofascistes terribles, comme aux États-Unis. »

Carlos Marentes est membre de l’organisation Proyecto de los Trabajadores Agrícolas Fronterizos (Projet pour les travailleurs agricoles frontaliers) située à la frontière entre la ville états-unienne d’El Paso, au Texas, et la ville mexicaine de Juárez, dans l’État de Chihuahua. L’organisation fait partie de La Vía Campesina International.

Le dirigeant explique que son organisation aide les travailleurs et les travailleuses ruraux à se syndicaliser pour lutter en faveur de la souveraineté alimentaire. Selon lui, cette lutte s’articule de deux manières : d’une part, le travail contre « cette guerre menée par (le président des États-Unis) Donald Trump et les secteurs les plus rétrogrades de la société qui apparaissent dans différents pays » ; et , d’autre part, la reconstruction de l’économie paysanne et de l’économie des communautés rurales et autochtones, de sorte à éviter les déplacements de population.
Intégralité de l’entretien ici.


3. Une loi controversée sur la citoyenneté en Inde déclenche une nouvelle vague de mobilisations contre l’extrême-droite

Une nouvelle loi sur la citoyenneté et discriminatoire à l’encontre des Musulmans et des franges les plus pauvres de la société indienne a déclenché une vague massive de manifestations qui défient l’extrême-droite et sont essentielles dans la lutte pour les droits à la terre.

« Ils ne veulent pas des Musulmans, ils ne veulent pas des populations tribales, ils ne veulent pas des Dalits (ou« intouchables »qui sont les plus pauvres et les plus discriminés dans le système de castes en Inde), ils ne veulent pas des pauvres ni de la classe ouvrière. Tout ce nationalisme, qui concentre le pouvoir entre quelques mains, doit être contesté », affirme la militante Roma Malik, de l’organisation All India Union of Forest Working People (Union indienne des personnes travaillant dans la forêt), à l’occasion d’un entretien accordé à Real World Radio. « Et je sens que la lutte pour la terre est la lutte fondamentale, où les femmes sont en première ligne ; elles défient déjà le gouvernement fasciste », souligne-t-elle.

La dirigeante considère que la lutte pour la souveraineté alimentaire menée par les organisations paysannes doit veiller à que celles et ceux qui cultivent des aliments jouissent du droit à la terre et à la possession des moyens de production.
Intégralité de l’entretien ici.


4. Les discours fascistes/nationalistes profitent de la crise dans les campagnes européennes pour promouvoir des politiques néolibérales

Paysan au Pays basque et membre du comité de coordination de La Vía Campesina Europe (ECVC), Andoni García alerte, dans un entretien avec Real World Radio, sur le fait que l’utilisation du « sentiment nationaliste » dans les discours politiques de droite est une caractéristique de la montée des forces conservatrices et fascistes sur le continent.

Contrairement à d’autres pays européens, « le gouvernement espagnol ne cache pas qu’il est néolibéral ou qu’il ne soutient pas les politiques publiques ; mais il exploite le sentiment d’abandon et d’impuissance des personnes qui habitent à la campagne ainsi que l’absence de réponse à la crise afin de coopter les agriculteurs et construire un discours xénophobe contre les migrants venant travailler en Europe », affirme Andoni García.

ECVC avertit également de la criminalisation à l’encontre des agriculteurs et des agricultrices (en particulier contre l’élevage) menée par certains mouvements militant en faveur du bien-être animal et a annoncé que les conflits entre les zones urbaines et rurales seront traités au cours de la prochaine assemblée de LVC Europe, prévue en avril 2020.

Pour lutter contre la montée du fascisme, Andoni García indique qu’il faut attirer l’attention sur la Déclaration des Nations Unis sur les droits des paysans et que les partis de gauche doivent réfléchir aux façons de remédier aux problèmes auxquels sont confronté.e.s les paysan.ne.s car la réponse actuelle n’est pas adaptée.
Intégralité de l’entretien ici.

5. Le droit de dire NON

Les femmes rurales du sud de l’Afrique résistent contre l’avancée patriarcale des milices et des gouvernements dictatoriaux dans certains pays de la région, affirme la militante et coordinatrice régionale de la Rural Women’s Assembly (Assemblée des femmes rurales) Mercia Andrews.

« L’Assemblée des femmes rurales s’allie aux mouvements des agriculteurs, aux mouvements paysans, et nous avons rejoint des campagnes revendiquant notre droit à dire NON. Nous avons le droit de déterminer quelle forme prend le développement dans ces zones. Nous avons le droit de dire NON à l’exploitation minière, NON à l’agro-industrie. Nous avons le droit de dire NON à la façon dont les forêts sont rasées », souligne Mercia Andrews.

Les actions menées par l’Assemblée des femmes rurales se concentrent sur la défense des communs, contre l’invasion des multinationales ainsi que l’accaparement des terres et des ressources. La défense de la souveraineté alimentaire et des semences locales est au cœur de leurs luttes et de leurs campagnes.
Intégralité de l’entretien ici.

L’écho des campagnes

L’écho des campagnes 1

Les femmes jouent un rôle essentiel

Evangeline Gonzales, PANGISDA-Women (Progressive Alliance of Fisherfolk in the Philippines,Alliance progressiste des pêcheurs des Philippines), Philippines

La politique néolibérale conduite par l’administration du président Duterte porte atteinte au droit à l’alimentation en poussant à la destruction, à la récupération et à la privatisation des terres et de l’eau. Ces politiques (1) nous volent notre droit à produire notre alimentation, (2) privilégient l’importation comme principale approche pour répondre aux besoins alimentaires locaux, et (3) encouragent le monopole d’une poignée d’entreprises sur la production alimentaire, leur octroyant le pouvoir de dicter les prix des denrées dont la plupart est hors de portée des pauvres. Priver les peuples de leur droit à l’alimentation est une violation de leur droit à la vie. Les femmes sont les plus gravement touchées par ces politiques car elles ont la responsabilité principale de nourrir leurs familles.

Actuellement, un tiers des personnes pratiquant l’agriculture (34,3%) et la pêche (34%) sont considérées pauvres. Cette situation est aggravée par l’autoritarisme de l’administration Duterte. Le gouvernement exerce un harcèlement physique, émotionnel et psychique à l’encontre de tous ceux et de toutes celles qui s’opposent aux politiques de Duterte, comme en témoigne le nombre de dirigeants locaux tués, torturés, criminalisés et intimidés sous ce gouvernement. La confiscation de notre droit à l’alimentation, de notre droit à la liberté de parole et d’expression ainsi que de notre droit à une vie paisible reflète le fascisme de l’administration Duterte.

Nous devons vaincre la peur créée par la tyrannie du gouvernement actuel. Les femmes jouent un rôle essentiel. Elles ont la capacité, la sagesse et la force de contribuer à la lutte contre l’autoritarisme et le fascisme. Au temps de la dictature de Marcos, les gens ont surmonté leur peur et se sont unis dans la lutte pour renverser le gouvernement fasciste. Beaucoup furent tués, emprisonnés ou victimes de disparitions forcées. Pour lutter contre la dictature de Marcos, nous avons dû organiser et sensibiliser la population avec patience, application, prudence et détermination pour bâtir la solidarité et la résistance.

Nous devons encourager la solidarité et la résistance face aux lois et politiques pratiquées contre la population et qui exacerbent la pauvreté et les difficultés que nous connaissons. Une action concrète pour défendre la souveraineté alimentaire consiste à lutter contre des politiques telles que la loi de tarification du riz et les prétendus projets de développement comme la remise en état de la baie de Manille. Nous devons également partager et vulgariser les connaissances, les pratiques et les systèmes des populations en matière de gestion des ressources naturelles. Nous devons soutenir la production locale et contribuer à enrichir les valeurs et principes portés par la souveraineté alimentaire. Nous croyons fermement que les femmes se lèveront, se battront et lutteront pour nourrir leurs familles et leurs communautés, pour le droit des peuples à l’alimentation, pour la souveraineté alimentaire ainsi que pour l’avenir.

L’écho des campagnes 2

Faire progresser l’unité populaire pour résister au conservatisme et construire la souveraineté alimentaire

Francisca« Pancha » Rodriguez, ANAMURI, Chili

Pendant des décennies, l’Association nationale des femmes rurales et autochtones du Chili (ANAMURI) a été au premier rang de la résistance face au néolibéralisme, mais aussi de la construction d’articulations sociales et populaires pour avancer vers la souveraineté de son peuple. Des décennies de construction d’organisations et de mouvements, à travers la formation politique et l’approfondissement de propositions en partenariat avec divers secteurs de la population pour inverser les désastres du « miracle » chilien.

Dire qu’aujourd’hui « le Chili s’est réveillé » ne saurait être expliqué sans le processus d’articulation populaire poursuivi au cours des dix dernières années, en commençant parles mobilisations étudiantes de 2011 jusqu’à la plateforme de lutte contre l’Accord de partenariat transpacifique (ou PTP), laquelle a permis de faire comprendre aux gens ordinaires les conséquences du PTP sur notre droit à l’alimentation et, partant, que la défense de notre souveraineté alimentaire n’est pas seulement l’affaire des paysan.ne.s mais de l’ensemble de la population organisée.

La réaction populaire si forte qu’a suscité l’oppression est le fruit de ce processus d’accumulation politique. En tant que projet de lutte contre le système s’opposant au conservatisme culturel, politique et religieux, la souveraineté alimentaire constitue un outil central afin de pouvoir travailler la souveraineté populaire à partir d’un lieu concret et différent pour la majorité des personnes.

L’écho des campagnes 3

Les principes démocratiques étayent le droit des peuples à l’alimentation

Suraphon Songruk, SPFT (Southern Peasant’s Federation of Thailand, Fédération paysanne du sud de la Thaïlande), Surat Thani, Thaïlande

Les principes démocratiques étayent le droit des peuples à l’alimentation. Par opposition, si un pays est gouverné par un régime autoritaire, les habitants sont privés de leurs libertés politiques et civiles, ainsi que de leurs droits économiques, sociaux et culturels, y compris le droit à l’alimentation. Dans un tel contexte, les pouvoirs politiques et économiques sont concentrés entre les mains d’un régime autoritaire ou oligarchique qui maintient le monopole des productions et des systèmes alimentaires. L’autoritarisme mine les droits des peuples et le contrôle qu’ils exercent sur leurs terres, leurs forêts et leur eau en tant que sources de nourriture. La population perd alors tout droit d’accéder à l’alimentation et de définir son propre système alimentaire.

La souveraineté alimentaire promeut les droits humains et la dignité. Les mouvements populaires peuvent légitimement utiliser ce concept comme moyen, stratégie et objectif pour rassembler personnes et mouvements partageant les mêmes idées afin d’accroître leur pouvoir de négociation. Les habitants peuvent utiliser le concept de souveraineté alimentaire pour protéger leurs territoires et leurs ressources en tant que sources de production alimentaire. Il s’agit d’un concept progressiste qui renforce les luttes des peuples. Il garantit que les personnes puissent accéder à une alimentation sûre et crée un système respectueux de l’environnement.

La souveraineté alimentaire est le principe fondateur de la souveraineté des peuples.
La construction de la souveraineté alimentaire représente le point de départ permettant aux populations de se libérer de l’emprise des entreprises sur l’alimentation. En définitive, la souveraineté alimentaire donne aux mouvements populaires et aux producteurs et productrices d’aliments à petite échelle les moyens d’agir pour résister à l’autoritarisme.

L’écho des campagnes 4

Les entreprises privées et l’armée travaillent ensemble

Monsieur Suon Sorn, village d’Ou Kansaeng, commune de Samraong, municipalité de Samraong, province d’Oddar Meanchey, Cambodge

Prétextant le conflit frontalier entre le Cambodge et Thaïlande, la dictature politique a mis en œuvre une ordonnance qui autorise l’armée à être basée à l’intérieur de nos forêts communautaires. L’armée rase les forêts et vend les terres à de puissants fonctionnaires hauts placés au sein du gouvernement, à des compagnies privées ainsi qu’à d’autres groupes privilégiés. Ces personnes volent aux populations les forêts, leurs ressources en eau et leurs systèmes alimentaires locaux, ce qui porte atteinte à leur droit à l’alimentation. Selon la structure de gouvernance du Cambodge, le contrôle et le pouvoir central appartiennent à l’armée, et il est très difficile pour les habitants de s’opposer aux militaires. Le gouvernement ne prête aucune attention aux problèmes de la population, dont les droits à l’alimentation, à la terre, à l’eau et aux ressources naturelles sont bafoués.

Entreprises privées et armée travaillent ensemble : les entreprises paient l’armée, et en retour l’armée les protège. Si nous restons dépendants de ces entreprises, nous courrons au désastre. La souveraineté alimentaire est un élément important pour soutenir et renforcer nos communautés ainsi que pour lutter contre ce qu’imposent les militaires et les entreprises. Ces dernières vendent des produits agricoles dangereux, notamment des engrais, des semences et d’autres intrants. Nous devons revenir à la voie naturelle et écologique. Si nous n’achetons pas les produits proposés par les entreprises, elles ne feront pas de bénéfices et ne seront plus en mesure de soutenir l’armée. Nous pouvons commencer par de petites actions, construire la solidarité et le partage au sein de la population, et contribuer à changer le système en partant du niveau local. Au Cambodge, l’idée de « souveraineté » peut être difficile à comprendre, au début, pour la société civile et les différentes communautés, mais grâce à l’éducation populaire, la formation, le partage des connaissances et les discussions sur les principes et les valeurs de la souveraineté alimentaire, de plus en plus de personnes rejoindront le mouvement.

L’écho des campagnes 5

L’agriculture en Palestine, pilier de la solidité et de la souveraineté

Joseph Schechla et Murad al-Husani, HLRN (Réseau pour le droit au logement et à la terre), Palestine

Les paysan.ne.s palestinien.ne.s constituent la première ligne de résistance à l’occupation et la colonisation, bien plus efficace que de piètres négociations. En effet, selon les Accords d’Oslo, la majorité des terres agricoles en Cisjordanie (67%) est classifiée comme faisant partie de la « zone C ». Ces terres sont sous le contrôle direct de l’armée d’occupation. Dans cette région, les occupants cherchent à concentrer la population palestinienne dans les centres urbains des dénommées zones A (la croupe de l’État palestinien) de sorte à empêcher sa présence sur les terres.

Les forces israéliennes décrètent des ordonnances militaires qui se substituent à la loi souveraine (en violation directe de l’article 43 de la Convention de La Haye) et entravent tous les aspects du secteur agricole, ce qui empêche la population palestinienne d’accéder à ses terres et de les cultiver. Cela provoque l’abandon et la dégradation des terres agricoles, à la suite de quoi Israël impose un prétexte « légal » selon le quel ces terres sont « inexploitées ». Ce cercle vicieux doublé d’une impasse juridique conduit à transférer la propriété foncière à « l’État » (occupant). Les statistiques suivantes montrent l’ampleur et la férocité de l’attaque de l’occupation israélienne contre l’agriculture locale :

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Ces statistiques indiquent clairement comment l’occupation s’emploie à supprimer l’agriculture comme moyen efficace de résistance contre la colonisation. Ce sont les mains fermes et constantes des paysan.ne.s plantant les oliviers emblématiques dans la terre occupée de Palestine, ce sont leurs pieds qui confèrent à la terre sa fertilité. Le souffle des paysan.ne.s apporte brillance et saveur aux fruits, car il existe une relation symbiotique entre le paysan palestinien et la terre qui crée une identité que rien ne saurait effacer.