L’écho des campagnes

L’écho des campagnes 1

Vie des éleveurs pastoralistes en Inde pendant le confinement à cause de la COVID19

Anu Verma, South Asia Pastoralist Alliance & MARAG, Inde – WAMIP Asie du Sud 

L’Inde compte 34 millions d’éleveurs à petite échelle qui gèrent un cheptel de plus de 50 millions d’animaux. L’élevage est la deuxième plus grande occupation en Inde après l’agriculture, apportant une contribution significative d’environ 8,5 à 9% au PIB du pays.

 Leur contribution est vitale, car le pastoralisme est le moyen le plus important de soutenir les éleveurs transhumants ou nomades ainsi que les paysans marginaux, en particulier ceux qui vivent dans des zones montagneuses sujettes à la sécheresse où la production agricole n’est pas assurée. Il contribue de manière significative aux moyens de subsistance et à la richesse des communautés en termes de lait, de laine et de viande sans intrants acquis sur le marché.

Les institutions pastorales traditionnelles sont aujourd’hui de plus en plus menacées par les déplacements massifs dus à la concurrence intense de l’agriculture, à la croissance démographique, à la dépossession de leurs troupeaux et à la sécheresse. Bien que le confinement (suite à la Covid-19) ait eu un impact dans tous les secteurs, il y a des différences en ce qui concerne ces éleveurs. Dans tout le pays, ils doivent faire face à un système de police hostile, gardes forestiers y compris. En pleine épidémie, la réglementation et le contrôle de leurs mouvements se sont intensifiés lors de la période la plus cruciale, à savoir leur transhumance vers les pâturages d’été. Alors que certains gouvernements étatiques ont abrogé leurs mouvements, tel que le transport de produits essentiels, les bergers qui s’étaient rendus dans leurs fermes étaient coincés et incapables de rejoindre leurs troupeaux. « Nous ne pouvons pas nous déplacer librement avec nos troupeaux pour le pâturage car les villageois ont peur que nous soyons porteurs du coronavirus », a déclaré Sumer Singh Bhatti, possédant environ 200 chameaux qui se nourrissent dans les zones sèches et désertiques du Rajasthan. « On nous empêchait même parfois d’aller dans les magasins du village pour acheter nos rations alimentaires. Pour ces éleveurs, cette peur du coronavirus est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Avec la chaleur estivale, ils n’arriveront plus à obtenir de l’herbe verte pour le fourrage », a déclaré Mool Singh, un éleveur du village de Nakrasar dans le district de Bikaner au Rajasthan, qui migre en mars de chaque année au Pendjab pour que son troupeau puisse paître sur les résidus du blé.

L’écho des campagnes 2

L’avenir de la transhumance pacifique en Afrique de l’Ouest  260

Hindou Oumarou Ibrahim, coordinatrice de l’Association des Femmes Peules et peuples Autochtones du Tchad et membre du comité exécutif du Comité de Coordination des Peuples Autochtones d’Afrique (IPACC) – WAMIP Afrique Centrale

Puisque les nomades sont difficiles à contrôler, ça n’arrange pas les gouvernements. Plusieurs États ont pris la décision de valoriser plus l’agriculture au détriment de l’élevage nomade. Or dans le sahel, l’élevage présente plus de 40% du PIB de tous les pays Sahéliens et au Tchad, plus de 20%.

Premièrement, les communautés comme les Peuls, les Arabes ou les Touaregs, n’ont pas été considérées à part entière après la colonisation, puisqu’elles ont un style de vie loin de l’imaginaire du développement que l’État avait pensé mettre en œuvre. C’est pour ça que la plupart des nomades n’ont pas accès à l’éducation, à la santé, ni à l’eau potable…

Or dans les écosystèmes Sahélien, l’incertitude sur les ressources fourragères impose aux éleveurs des techniques d’élevage particulières préservant leur capital de production : le bétail et les écosystèmes. En effet, le pastoralisme s’appuie sur une grande aptitude des éleveurs à valoriser des ressources fourragères spontanées dispersées dans des milieux hétérogènes.

Les Etats doivent changer leur manière de voir les nomades et leur valeur environnementale. La plupart des espèces élevées rendent de multiples services comme la fourniture d’aliments riches en protéines, la fumure et l’énergie. Sans l’élevage, on ne pourrait pas atténuer l’insécurité alimentaire. Dans toutes nos maisons, nous mangeons de la viande et utilisons le lait comme complément alimentaire. L’éleveur échange le bétail contre le mil avec les agriculteurs et tout cela fait tourner l’économie circulaire dans les communautés.

L’éleveur n’est pas un problème, il est une solution. Les éleveurs sont le passé, le présent et l’avenir.

L’écho des campagnes 3

Vers un réseau de bergers en Amérique du Nord, une vision de la Sierra Tarahumara

 Projet “De la Oveja a la Cobija” et Red del Desierto / Campo Adentro / F. Marso

La vie des communautés Raramuri (Tarahumara), dans la Sierra Madre Occidental, Chihuahua, Mexique, est fondée sur l’agriculture de subsistance et l’élevage. Le peuple Rarámuri, fort de quelque 50 000 personnes, a survécu au colonialisme en partie parce qu’il est situé dans des régions reculées de la Sierra. Leur mode de vie est étroitement lié aux cérémonies et aux festivités. Il se déroule dans le cadre d’un système d’organisation du travail basé sur des cycles naturels appelés Mawechi. En raison de l’orographie irrégulière de la région, avec de grands ravins et des sols très pauvres, l’élevage de chèvres et de moutons prédomine. Les processus de fragmentation sociale causés par les projets d’exploitation extractive et touristique, ainsi que l’insécurité généralisée due à la présence de mafias du trafic de drogue, ont entraîné une diminution de ces pratiques dans la région.

Récemment, les jeunes Rarámuri ont prêtés une attention et un enthousiasme renouvelés, principalement les femmes, visant à continuer l’élevage de chèvres et de moutons, sur la base d’une gestion extensive utilisant les pâturages rares et dispersés, où le bétail ne peut seul subvenir à ses besoins, en rotation avec le champ de maïs, tout en tirant parti des chaumes et du fumier comme engrais. Ils obtiennent ainsi de la viande, du lait, du cuir et de la laine. Les animaux adultes constituent une sorte de « tirelire » qui peut être capitalisée pour les urgences.

Une association de bergers et de tisserands a été constituée dans cette région, dirigée par la bergère Agripina Viniegra. Elle regroupe 30 femmes Rarámuri qui sont responsables du soin des moutons et de leur exploitation productive, principalement pour la création de textiles en laine. De même, la jeune Association des éleveurs de moutons Raramuri a contacté des bergers des communautés des États de Nuevo León, Coahuila et San Luis Potosí, proposant l’idée de Red del Desierto (réseau du désert).  Ils ont pris également contact avec le peuple Navajo du sud-ouest des États-Unis pour réactiver la région nord-américaine de WAMIP.

L’écho des campagnes 4

Le changement climatique et l’industrie minière menacent d’extinction les éleveurs nomades de Mongolie

Maamankhuu Sodnom, Association d’éleveurs nomades de Mongolie, Mongolie

La Mongolie couvre une superficie de 1.564.116 km2 avec une population de 3,4 millions de personnes, dont 30% pratiquent le pastoralisme. Les bergers mongols gardent principalement des moutons, des chameaux, des chèvres, des bovins (y compris des yaks) et des chevaux. Soixante-dix pour cent des terres mongoles sont utilisées à des fins pastorales, la majeure partie de ce territoire étant des steppes et des déserts stériles et semi-arides. De nos jours, beaucoup de ces nomades s’installent dans les villes en raison d’une combinaison de facteurs, dont le changement climatique.

En Mongolie, le climat peut être extrêmement rude, même dans des conditions normales. Il y a 4 saisons : L’hiver est extrêmement froid et la température descend souvent à -45 °C et l’été peut atteindre des températures de +45 ° C. Notre printemps est toujours venteux et les tempêtes de poussière sont la norme. Au cours des trente dernières années, le désert de Gobi, dans le sud de la Mongolie, a connu un déficit de précipitations pendant l’été, ce qui a considérablement exacerbé l’aridité et affecté négativement l’activité de l’élevage. 

Des niveaux de neige inédits en hiver et des tempêtes de sable au printemps ont contribué à aggraver la situation difficile préexistante, entraînant une accélération de la désertification dans l’ensemble de la région. Les Mongols sont fiers de leur culture pastorale et de leur capacité à subsister grâce à leur bétail, même dans des conditions environnementales extrêmement difficiles, pour autant, les éleveurs nomades sont actuellement menacés d’extinction.

Le deuxième facteur important, menaçant la survie de leur mode de vie, est l’industrie minière qui s’est considérablement développée au cours des 20 dernières années. Dans ma province seulement, il existe quatorze sociétés minières autorisées, Tavan Tolgoi et Oyu Tolgoi étant les plus grandes. Oyu Tolgoi est une société minière de cuivre et d’or qui utilise d’énormes quantités d’eau provenant de sources souterraines déjà épuisées. Il n’y a pas de rivières ou de lacs dans le désert de Gobi, ce qui oblige les éleveurs à creuser des puits afin de puiser l’eau dans les nappes souterraines. Nombre de ces puits se sont déjà complètement asséchés, principalement parce qu’Oyu Tolgoi utilise 950 litres d’eau par seconde. La région autrefois semi-aride est en train d’être transformée en désert à un rythme alarmant.  La compagnie minière Tavan Tolgoi exploite et exporte du charbon vers la Chine sur des chemins de terre non pavés, entraînant une dévastation injustifiée des terres utilisées par les bergers. Les éleveurs mongols ont commencé à protester, mais ils n’ont pas les ressources, l’organisation et le pouvoir nécessaires pour apporter des changements significatifs, car l’économie mongole dépend en grande partie de l’exportation du cuivre et du charbon vers la Chine. De nos jours, nous menons un rude combat pour sauver notre parcours de pâturage.

Encadres

Encadré 1

Bergers pour le climat : l’élevage animal est-il toujours néfaste pour la planète ?

Le rapport annuel publié par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) met en évidence l’importance de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Le bétail, le forage de pétrole et gaz, le fracking, les décharges etc., sont des sources majeures d’émission de méthane d’après le GIEC. Mais dans le débat publique/médiatique/politique, nous devons différencier les différentes sources pour arriver à un débat plus éclairé et juste sur les actions nécessaires pour le climat. C‘est pourquoi WAMIP a conduit une étude scientifique avec l’équipe internationale de chercheurs de PASTRES et publié le rapport « L’élevage animal est-il toujours néfaste pour la planète » [1]

Tous les gaz à effet de serre ne sont pas égaux. Alors que le méthane à un effet réchauffant de courte durée, le CO2 demeure pour toujours. De plus, les émissions par les systèmes d’élevage sont largement variables et l’on doit différencier entre systèmes intensifs et extensifs.

Les systèmes d’élevage pastoraux et extensifs peuvent être en équilibre d’émission de CO2, et leurs émissions de méthane ne sont pas additionnels parce qu’ils sont à des niveaux semblables aux systèmes de la faune sauvage qu’ils remplacent. Cependant, l’élevage intensif est pollueur de CO2 et de méthane et, de ce fait, nous le mouvement pastoraliste sommes en faveur de son démantèlement et sa pénalisation. 

Il est essentiel de réduire les gaz à effet de serre, mais toutes les sources ne sont pas égales : pâturage, élevage intensif ou fracking ne sont pas pareils. L’élevage extensif soutient un grand nombre de personnes, fournit des produits animaliers de grande qualité et peut être bénéfique pour le climat (améliorant la fertilité du sol ou empêchant les incendies).

Par conséquent, nous appuyons la réduction des émissions tout en répondant aux problématiques de justice climatique et en reconnaissant l’élevage extensif non pas comme une part du problème du changement climatique, mais comme une solution[2].


[1]  Le rapport est disponible ici (en anglais)

[2] WAMIP a envoyé une délégation internationale de nomades à Glasgow pour participer aux négociations officielles de COP26 et aussi aux manifestations, y compris un rassemblement de moutons, et a publié un communiqué.

Encadré 2

Réinventer un mode de vie ancestrale : Les écoles de bergers

Face à la menace de disparition du berger dans les zones de montagne d’Espagne, l’organisation à but non lucratif Campo Adentro-INLAND a lancé en 2004 un système de formation théorique et pratique, destiné à la fois aux jeunes intéressés par le métier de berger et aux bergers en activité. Ladite formation permet l’intégration de nouveaux bergers et assure le remplacement générationnel. Des centaines de personnes ont été formées, avec environ 70 candidats chaque année. 

L’école forme, d’une part, les candidats souhaitant démarrer leur propre projet d’élevage avec une orientation agroécologique et développer leur activité selon de nouvelles approches vers une viabilité économique et de la valeur ajoutée au produit.

Les personnes, ayant suivi cette formation, seront équipées également des connaissances nécessaires pour travailler en tant que salariés dans les fermes d’élevage nécessitant du personnel, ou pour l’exécution de services environnementaux tels que l’entretien de coupe-feu.

D’autre part, des cours sont offerts aux bergers en activité afin d’améliorer leurs compétences dans la fabrication de fromages ou d’autres activités selon la demande, ainsi que pour les voyages de formation et d’échange.

Le module théorique est suivi d’un travail pratique au sein du troupeau-école de Campo Adentro INLAND, dont une branche se trouve dans les montagnes de Madrid et une autre dans le nord de la péninsule. Récemment, a été créée une école de berger junior pour les enfants, ainsi qu’un système de bourses de formation gratuite pour les migrants sans papiers intéressés par ce mode de vie.

Une fois que les étudiants, encadrés tout au long de la formation, ont terminé la théorie et la pratique, ils doivent remettre un projet opérationnel.

À ce stade, l’École fournit à l’étudiant diplômé un soutien et des conseils dans les procédures et l’accès possible à la terre. Il est important de jouer un rôle actif dans l’incorporation de l’étudiant, la promotion des systèmes de gestion foncière entre les différents producteurs avec lesquels ils ont été en contact, les formules de transfert de propriété dans le cadre de baux, etc.…, en cas de retraite anticipée, de transfert, de formules d’économie sociale, de coopérativisme, etc….

Encadré 3

Genre et pastoralisme

En 2010, WAMIP a convoqué un Rassemblement mondial d’éleveuses et bergères, à Mera (Gujarat), en Inde, réunissant plus de 100 femmes de communautés d’éleveurs dispersées dans 32 pays différents pour discuter de la myriade de problèmes auxquels sont confrontées les bergères nomades et semi-nomades du monde entier, et comment, unies, elles peuvent s’efforcer de les résoudre. Les participantes ont identifié les questions clés, notamment les marchés, les règles et les droits, l’environnement, les mouvements sociaux, l’éducation et la santé, ainsi qu’un certain nombre de priorités d’action, telles que la représentation, la communication et le réseautage, l’éducation et le renforcement des capacités, le plaidoyer. Elles ont également sélectionné des représentantes pour rédiger la Déclaration de Mera afin d’informer et de soutenir le développement de politiques pastorales, ainsi que de démontrer leur engagement en faveur de la durabilité environnementale et de la protection de la biodiversité et des ressources communes pour les générations futures.

Depuis lors, des progrès ont été réalisés dans l’établissement de liens entre les luttes des éleveuses et bergères dans le cadre des revendications du mouvement féministe. Dans le secteur de l’élevage extensif et du nomadisme, nous revendiquons notre valeur à la fois au sein de ce secteur et de la société, luttant pour exercer notre mode de vie sans inégalités. Nous avons constitué un réseau de soutien mutuel comme espace de résistance et de sensibilisation. La crise sanitaire et sociale causée par la pandémie a entraîné des effets continus sur les soins et le travail essentiel. C’est pourquoi, il est de plus en plus nécessaire de reconnaître l’activité des bergères et des éleveuses qui, depuis leurs territoires, maintiennent la vie et soulignent le grand potentiel et l’énorme capacité des réseaux de femmes à faire face aux adversités. Nous devons mettre en relief le travail de ces femmes qui prennent soin et reproduisent les fondements de la vie, de la campagne et de la société.

Les éleveuses et les bergères défendent la sororité, exigeant l’abolition de toutes les inégalités subies par celles qui se sentent femmes dans un contexte patriarcal et capitaliste. Elles défendent le droit de ne pas être violentées, agressées, violées, assassinées ; exigent l’égalité de salaires, dans la prise de décision, dans l’accès à la terre, dans la distribution des soins; veulent décider de leur mode de vie, de leur sexualité et de leur reproduction, quels que soient leur âge, leur origine ou leur citoyenneté; demandent à exercer leur métier, et à être considérés comme valables, en tant que paysannes et éleveuses, et non en tant que simples « compagnes » ou « aides » des hommes avec lesquels elles travaillent.

Nous exigeons un environnement rural vivable, avec des services de base garantis pour tous : santé, éducation, transports publics, culture, soins aux personnes dépendantes, accès à la terre, à un logement décent et à des services à portée des femmes pour la prévention de la violence sexiste.

En tant qu’éleveuses et bergères, nous exigeons un environnementalisme qui tienne compte de nous comme étant des éléments actifs dans la région, des alliées de la biodiversité et des garantes des milieux naturels. L’élevage extensif est essentiel pour le maintien des écosystèmes, l’entretien des forêts, la prévention des incendies et l’amélioration des pâturages, ainsi que pour la lutte en faveur de la souveraineté alimentaire.  Tout cela à partir d’une méthode de travail féministe, en mettant le bien-être de nos troupeaux et notre territoire avant les résultats économiques, en concentrant la façon dont nous les traitons à partir du soin et du respect de leurs besoins, relation de soins qui s’étend également aux personnes que nous nourrissons avec la viande, le lait ou les produits laitiers que nous produisons.

Dans un cadre capitaliste et ultralibéral, on nous enjoint à croire qu’il n’est plus nécessaire de revendiquer nos droits, que le monde rural est un bien de consommation et que le travail dans l’environnement rural et la façon dont il est abordé, comme l’élevage extensif et le pastoralisme, n’est pas productif et n’a pas d’avenir. Les femmes rurales sont le présent et elles seront l’avenir. Elles deviendront de plus en plus fortes. Nous, les femmes, sommes et serons en première ligne.

Encadré 4

L’Alliance mondiale des peuples autochtones et des éleveurs nomades – WAMIP-  sur l’Année internationale des Parcours et des Bergers  (International Year of Rangelands and Pastoralists – IYRP)

Il y a quelques années, certaines entités travaillant sur l’écologie des prairies (comme l’Université de l’Arizona, l’ILRI, etc.)  ont lancé l’idée de faire campagne en vue d’une déclaration d’une Année des Nations Unies sur les parcours. D’autres organisations y ont adhéré et il a été proposé que l’année comprenne également la reconnaissance des bergers en tant que gardiens des parcours. Cette année, 38 pays et 300 organisations soutiennent l’IYRP. Lors d’une séance publique de la réunion COAG de la FAO en 2018 à Rome, le gouvernement mongol a donc présenté une demande de désignation de l’IYRP. La proposition a été approuvée sans réserve. Depuis, cette proposition a également été approuvée par le Conseil de la FAO et la Conférence de la FAO. Un vote final aura lieu à l’Assemblée générale des Nations Unies à l’automne 2021.

En tant qu’organisations de base composant l’alliance mondiale de WAMIP, nous exprimons notre soutien à l’initiative appelant à une Année internationale des parcours et des bergers (IYRP), comme indiqué dans la lettre adressée au gouvernement de Mongolie. Depuis sa création au sein de divers réseaux, principalement composés de chercheurs sur les prairies et les parcours et d’entités environnementales, nous avons salué l’incorporation de l’élément crucial des peuples éleveurs nomades comme étant les plus touchés par les politiques régissant les parcours et leurs gardiens efficaces pendant des millénaires.

Nous avons été témoins de la façon dont cet appel a recueilli un énorme soutien d’un large éventail d’organisations, comme nous pouvons le voir dans le nombre croissant de membres rejoignant le RISG dans le monde et dans les régions définies. Pour une bonne progression de cet effort, il serait important de s’assurer qu’une définition ouverte de ce qui est considéré comme parcours soit incluse dans tous les documents et déclarations : non seulement les prairies, mais aussi les forêts et les terres cultivées après récolte. Tout aussi importante que la définition des parcours est la connectivité entre eux : les sentiers d’ovins et de bovins ainsi que les droits de mobilité efficaces qui sont essentiels pour assurer l’utilisation durable des parcours.

En ce qui concerne la gouvernance du processus de l’IYRP, nous aimerions ouvrir un processus et créer un groupe de travail spécifique afin d’examiner comment les RISG sont constitués et fonctionnent dans chaque région, en tenant compte des réseaux pastoraux existants, de leur reconnaissance et de leur centralité dans le processus.

Il est important de s’assurer que les sièges octroyés aux éleveurs, qui président et coprésident chaque RISG régional, soient déterminés en accord avec le WAMIP. Par exemple, un processus de consultation préalable et d’accord avec les représentants des éleveurs dans toute décision ou étape concernant l’IYRP.

Une fois l’IYRP approuvé, il sera nécessaire de mettre en œuvre des actions  ad hoc d’ici 2026, des actions qui devraient être convenues et basées sur les préoccupations et les priorités du mouvement pastoral, car, à l’heure actuelle, l’autonomisation des capacités de gestion de la coordination pastorale au niveau régional est cruciale.

Sous les feux de la rampe

Sous les feux de la rampe 1

Digitalisation, agro-industrie et le mouvement pastoraliste

L’un des principaux effets de la mondialisation est la perte d’influence aux niveaux local, national et régional sur les prises de décisions économiques et politiques, un pouvoir qui a glissé aux mains d’acteurs mondialisés. Dans le même temps, nous assistons à un capital financier mondial devenant de plus en plus caché et clandestin. Dans cette même dynamique de mondialisation, des facteurs touchant le système alimentaire tels que la gestion de la terre, la régulation des prix, ou la régulation phytosanitaire, sont de plus en plus déterminés par des acteurs internationaux. Ce procédé de déplacement du pouvoir souverain a des effets multiples sur l’élevage à grande échelle et le pastoralisme.

Projets extractivistes, privatisation de la terre, ou la démarcation de zones naturelles protégées à l’exclusion des communautés locales, sont quelques-uns des principaux problèmes pour les petits producteurs parce qu’ils les dépossèdent de leurs terres.

Dans le même temps, les marchés poussent à générer des économies d’échelle : des macro-fermes avec des milliers d’animaux, et une grande concentration dans la chaine alimentaire des élevages de cochon et volaille. Ce modèle d’élevage exploite les personnes, les animaux et l’environnement, transformant le travail d’élevage du bétail à petite échelle, à une logique industrielle. La robotisation avance considérablement : les machines de traite, les machines d’alimentation, les machines de nettoyage des granges, etc… le tout pour augmenter le volume de production, alors que le prix des produits comme le lait et l’agneau diminue progressivement et celui des intrants tels que les aliments augmente. Cette imposition du capitalisme « croître ou mourir » détruit le secteur laitier et l’élevage familial, et seulement quelques-uns peuvent survivre.

Les organisations comme le Forum Economique Mondial (FEM) ou le Conseil mondial des entreprises pour le développement durable, qui représentent les intérêts des grandes entreprises, sont de plus en plus puissantes au sein de l’ONU. Cela veut dire que l’on fait face à un scénario où la gouvernance publique mondiale est en train d’être privatisée. Preuve en est l‘influence qu’exerce le FEM sur l’ONU en devenant le sponsor officiel du Sommet sur les systèmes alimentaires (UNFSS) qui a été rejeté et boycotté par le mouvement pour la souveraineté alimentaire.

De plus, ce pouvoir excessif que le capital financier exerce sur l’économie réelle s’approfondit avec la digitalisation. Dans le secteur alimentaire, la digitalisation a un impact sur la gestion des terres et des ressources naturelles. Les satellites géostationnaires jouent un rôle de plus en plus important dans la prise de décision. Les nouveaux éco-régimes de la PAC exigeront que 30% des animaux de chaque troupeau soient suivi par GPS. Auparavant, l’UE voulait imposer l’identification de chaque animal par puce électronique. Ces processus entraînent toute une série de conséquences négatives pour les associations liées à la souveraineté alimentaire, parce qu’ils les excluent de la prise de décision. Les questions de gestion territoriale sont digitalisées alors que dans les zones rurales, la connectivité est très précaire. L’application de ce changement dans la matrix technologique est amplifiée par le fossé digital et les problèmes financiers.

La gouvernance même de la digitalisation est privée, il n’y a pas d’entité dédiée à la régulation de ce nouveau champ de conflit. Le mouvement pour la souveraineté alimentaire est en train de créer des alliances avec des mouvements travaillant sur la question technologique, puisque dans le présent et futur proche, il s’agit d’un secteur dans lequel nous devons affirmer nos droits et notre souveraineté. Sans aucun doute, beaucoup de mécanismes et de structures de démocratisation manquent encore. Nous nous battons pour une structure publique internationale pour la technologie.

Il n’est pas suffisant d’exercer une souveraineté aux niveau local et national – nous devons nous organiser pour aussi agir mondialement, avec une stratégie politique qui cherche à obtenir une participation dans les institutions publiques internationales afin de démocratiser ces espaces et de pouvoir les influencer. Ce processus pourrait permettre de défier la mondialisation et l’accumulation incontrôlée de richesse. 

Sous les feux de la rampe 2

Environnementalisme et pastoralisme, une opposition apparente

En septembre de cette année, s’est tenu à Marseille le Congrès de l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature), une puissante organisation rassemblant les principales ONG de conservation de l’environnement. Le même mois, les peuples autochtones et les producteurs alimentaires de différentes parties du monde se sont réunis sous le slogan « Notre terre, notre nature, pour la décolonisation de la conservation de la nature », représentant une réinterprétation alternative de la manière dont la gestion de l’environnement est effectuée, comment et par qui. L’UICN a fait l’objet d’une inspection, tout comme certaines grandes organisations, telles que le WWF ou le Sierra Club, qui ont été accusées de pratiques abusives envers les peuples autochtones et de racisme.

Il y a quelques années, WAMIP dénonçait comment un rapport de l’UICN sur les mesures de

« protection de la nature » dans la région de Ngorongoro (Tanzanie), conseillait «d’évincer les communautés pastoralistes de la région ». En quelques jours, l’armée a violemment expulsé des milliers de personnes du milieu où elles avaient fait paître leurs troupeaux pendant des millénaires, afin de faire place à de nouveaux hôtels et aux safaris touristiques.

Le modèle de conservation, ayant un grand pouvoir économique et dominant l’imaginaire collectif, est de type forteresse. Ce modèle est basé sur la croyance, erronée et raciste, selon laquelle la meilleure façon de protéger la biodiversité est de créer des zones protégées où l’influence humaine est supprimée. Sa philosophie est que les populations autochtones aggravent la perte de biodiversité et la dégradation de l’environnement, malgré le manque de preuves scientifiques et historiques et même de nombreuses preuves du contraire. [3]

Ce modèle, défendu par certaines ONG internationales et transnationales telles que WWF, WCS ou African Parks, se répand dans le monde entier et étaye l’argument de la création de parcs naturels sans tenir compte des connaissances et de l’expérience des peuples pastoralistes et des habitants du monde rural.

Les origines de ce modèle de conservation, type forteresse, sont coloniales et racistes. Depuis 1970, plus de 1900 parcs ou zones protégées ont été créés, dont la plupart se trouvent dans les pays du Sud. Actuellement, des sommets tels que le Congrès de l’UICN impulse le soi-disant 30×30 – un plan visant à convertir 30% de la planète en zones protégées.

A partir d’une position critique au sein de l’environnementalisme, nous dénonçons et luttons activement contre ces fausses mesures qui, loin de présenter des solutions à la situation actuelle d’urgence climatique et sociale, renforcent les intérêts du système économique dominant, basé sur l’exploitation des ressources limitées d’une planète s’étant effondrée depuis longtemps. Comme le démontrent les preuves scientifiques et l’expérience humaine, ce système est non seulement insoutenable, mais aussi directement responsable du chaos climatique et de l’injustice sociale en résultant.

Les seules solutions durables, justes et réelles, ne cèdent pas aux intérêts capitalistes, coloniaux et racistes. Les véritables solutions au chaos climatique dépendent de l’humanité, de notre diversité spécifique, en particulier des peuples autochtones et autres communautés locales ainsi que leur droit à la terre, étant donné que ce sont les divers peuples autochtones qui protègent sur leurs terres 80% les zones les plus riches en biodiversité de la planète.

Nous avons besoin d’un modèle de conservation de la nature qui donne une place centrale aux soins, à la diversité et aux droits de l’homme et qui s’attaque aux causes réelles du chaos climatique, à savoir : la surconsommation et l’exploitation des ressources menées par les pays du Nord et leurs industries.


[1]  Le rapport est disponible ici (en anglais).

[2] WAMIP a envoyé une délégation internationale de nomades à Glasgow pour participer aux négociations officielles de COP26 et aussi aux manifestations, y compris un rassemblement de moutons, et a publié un communiqué.

[3] https://www.survival.es/conservacion

Bulletin n° 46 – Éditorial

Introduire le message des communautés pastorales, une voix du terrain

Illustration par Fernando Garcia Dory, European Shepard Network / WAMIP

Plus de la moitié de la surface de la Terre est couverte de prairies et de pâturages. Pendant des milliers d’années les communautés pastorales ont domestiqué des animaux et géré des écosystèmes de façon durable, créant une diversité de cultures et de systèmes alimentaires adaptés et résilients. La biodiversité a toujours co-existé avec le pastoralisme.

Le pastoralisme est basé sur l’utilisation extensive du territoire, parfois des prairies mais aussi forêts et terres arables après récolte, terres marginales et autres espaces qui très souvent ne sont pas favorables à l’agriculture. Le pastoralisme est pratiqué par 200 à 500 millions de personnes à travers le monde dans des environnements très variés dans presque tous les pays, des terres arides sub-sahariennes d’Afrique au cercle arctique.

Notre mode de vie a existé depuis les temps immémoriaux, évoluant avec le paysage. Mais aujourd’hui le pastoralisme est plus que jamais menacé par l’industrialisation forcée de l’élevage. Nous devons mettre fin à la disparition de pâturages, à l’« accaparement des terres » et aux restrictions de la mobilité qui rendent impossible  le maintien d’un système pastoral viable. Nous sommes actuellement en train de définir une campagne potentielle sur les Droits liés au pastoralisme. Notre identité et notre culture sont érodées alors que les politiques manquent de prendre en compte, de comprendre ou même de reconnaitre l’existence du pastoralisme. Des rendements économiques bas et un manque de reconnaissance a pour conséquence que les jeunes éleveurs dans certains endroits se sentent forcés d’abandonner notre mode de vie ou de s’orienter vers des méthodes agricoles plus intensives. Nous promouvons une Section Jeunes du WAMIP, parce qu’il est souvent difficile pour les jeunes d’accéder à la terre.

Les décisions politiques sont prises avec peu ou sans consultation avec les communautés locales. Nous sommes les usagers traditionnels de la terre mais nous sommes systématiquement exclus des décisions sur la gestion des terres, y compris la réintroduction ou la gestion des prédateurs sauvages ou la désignation de zones de protection de la nature. Les exigences bureaucratiques, privilégiant la production intensive de bétail, imposent un immense et irréaliste fardeau de paperasserie aux éleveurs nomades et semi-nomades.

Mais partout à travers l’Europe et le monde, nous nous organisons en fédérations, construisons des réseaux régionaux et gagnons une reconnaissance internationale par les institutions majeures. Nous luttons pour défendre les intérêts des petits producteurs et pour accroitre notre représentation politique. Nous créons des centres de recherche, nous nous associons avec des institutions scientifiques, formons nos jeunes et développons notre capacité.

WAMIP est une alliance de communautés pastorales et de peuples indigènes mobiles à travers le monde. Nous défendons notre espace commun afin de préserver nos formes de vie pour la poursuite de notre mode de subsistance et identité culturelle, de gérer durablement les ressources communes et d’obtenir le respect complet de nos droits. En tant que mouvement populaire indépendant, nous travaillons avec d’autres organisations de la société civile dans le but d’influencer les politiques aux niveaux national, régional et international, et les organisations supranationales telles que l’ONU et ses agences comme la FAO, CDB etc.

Nous combattons ces courants et maintenons notre mode de vie en innovant et en nous améliorant en permanence. Nous utilisons des races locales qui s’adaptent à un environnement changeant. Nous essayons de sensibiliser les consommateurs et de leur vendre directement. Nous utilisons de nouveaux media pour promouvoir nos traditions culturelles et organiser des évènements festifs.

Certains d’entre nous ont négociés des contrats pour prévenir des incendies, maintenir des patrimoines paysagers et fournir d’autres services environnementaux. Nous sommes les ambassadeurs de notre héritage culturel local, de la production durable et de la Souveraineté Alimentaire.

European Shepherds Networks

L’écho des campagnes

L’écho des campagnes 1

Les paysans et paysannes du Sri Lankan contre les pesticides

Chintaka Rajapakse, MONLAR (Movement for Land and Agricultural Reform), Sri Lanka

L’utilisation de produits agrochimiques a eu des conséquences désastreuses au cours des dernières décennies. L’utilisation généralisée de ces produits chimiques a contaminé les sols et l’eau, ce qui a directement conduit à l’augmentation des cancers et des maladies rénales. Non seulement cela a affecté négativement la santé publique, mais la surutilisation des produits agrochimiques a également sapé la souveraineté alimentaire, détricoté l’équilibre écologique et conduit à l’extinction de nombreuses espèces animales et végétales. Étant donné que presque tous les intrants agricoles utilisés par les paysans sri-lankais sont importés, cela a permis à certaines entreprises de construire des oligopoles. 

C’est dans ce contexte que, en tant que Mouvement pour la réforme agraire et agricole (MONLAR), nous avons soutenu la décision du gouvernement d’interdire l’importation de tous les produits agrochimiques avec effet immédiat. Le ministère de l’Agriculture a déclaré qu’il convertirait la société d’État Ceylon Fertiliser Company Ltd. en une institution qui produirait, fournirait et distribuerait des engrais organiques en association avec les institutions gouvernementales locales.  C’est un pas en avant bienvenu. Nous devons maintenant veiller à ce que cela soit également mis en œuvre dans la pratique.     

Le gouvernement précédent a également pris la décision de promouvoir l’agriculture biologique en 2016. Malheureusement, cette initiative a complètement échoué en 2018 et l’Agence de gestion stratégique d’entreprise (SEMA), qui était chargée de mettre en œuvre le programme, a également été fermée. Nous devons tirer les leçons de l’expérience internationale et veiller à ce que la nouvelle initiative soit mise en œuvre avec succès. Plusieurs agriculteurs s’inquiètent également des implications à court terme de cette décision. Le gouvernement doit reconnaître leurs angoisses et s’assurer que leurs préoccupations et leurs inquiétudes sont immédiatement prises en compte, et établir une feuille de route claire pour la mise en œuvre de cette politique.

L’écho des campagnes 2

Se mobiliser pour l’accès à une alimentation saine

Miriam Nobre, SOF (Sempreviva Organizaçao Feminista), la Marche Mondiale des Femme, Brésil

Au Brésil, la pandémie du Covid19 a rendu plus évidentes les inégalités sociales mais aussi les activités économiques essentielles au maintien de la vie, telles que l’alimentation. L’agriculture familiale s’est vue fort affectée par la suspension des marchés et les contrats publics déjà perturbés par la mauvaise gestion de Bolsonaro. Les réseaux de distribution directe, et en particulier les groupes d’achats responsables, se sont imposés comme alternative. Grâce à cette alliance, les agriculteurs et les quilombolas de Vale do Ribeira dans l’état de São Paulo, comptent plus de membres et ont plus de surfaces cultivables ; ils ont assuré la défense de leurs territoires et de leurs modes de vie face aux menaces des entreprises minières, des barrages et des monocultures avec usage intensif de pesticides.

Pendant cette même période, les groupes et les collectifs alliés de la région métropolitaine de São Paulo ont aussi grandi et marqué leur présence dans les périphéries en garantissant l’accès à une alimentation de qualité aux indiens guaranis, aux élèves privés des repas scolaires, aux travailleurs et aux mères célibataires. Ces initiatives s’opposent au financement de l’alimentation scolaire. Vu qu’il n’y avait plus de classes en présentiel, le Conseil municipal de São Paulo, par exemple, a interrompu l’alimentation scolaire et les achats aux agriculteurs, et a donné une carte d’alimentation d’une valeur de 10 à 20 euros mensuels par enfant. Vu l’augmentation du prix des aliments et du gaz pour la cuisine, cette solution n’est bonne que pour l’administration de la carte Alelo et pour les supermarchés.

Les collectifs qui s’organisent autour de formes multiples et décentralisées de dons, vente et production dans des potagers agroécologiques de la périphérie (re)créent une culture alimentaire basée sur des relations respectueuses entre les personnes et entre elles et la nature. Nous sommes chaque fois plus nombreuses et plus diverses. Le mouvement noir proteste depuis longtemps contre les humiliations et les assassinats du peuple noir et de la périphérie de la part de chaines de supermarché comme Carrefour. Il se joint à ce mouvement pour que nous ayons accès à une alimentation de qualité pour nous-mêmes.

Récupérons notre santé et nos savoirs perdus et libérons les territoires et même la ville, de ces entreprises alimentaires transnationales.

L’écho des campagnes 3

Les hommes et les femmes d’Afrique dénoncent l’hégémonie des entreprises sur les semences et les systèmes alimentaires :  droits des agriculteurs maintenant !

Sabrina Masinjila, African Centre of Biodiversity (ACB)

Dans le cadre de la contre-mobilisation mondiale contre le Sommet des Nations Unies sur les systèmes alimentaires (UNFSS), l’événement en ligne Seed is power: Reclaiming African Seed Sovereignty  (Les semences sont le pouvoir : Réclamons la souveraineté africaine sur les semences) a réuni la société civile et les mouvements dirigés par des agriculteurs pour exprimer leur rejet des lois actuelles sur la protection des semences et de la propriété intellectuelle. Ces lois servent d’instruments servant à enraciner encore plus l’agriculture industrielle, en faisant progresser les intérêts des entreprises au détriment des droits des petits exploitants agricoles, dont les systèmes semenciers gérés par les agriculteurs sont de plus en plus marginalisés, voire criminalisés. Ceci est lié à des systèmes qui renforcent l’endettement, les inégalités, l’exclusion sociale et les crises écologiques.

Au lieu d’adopter des lois sur la protection des semences et des variétés végétales fondées sur l’Union internationale pour la protection des obtentions végétales (UPOV) de 1991, les gouvernements devraient mettre en place des mesures juridiquement contraignantes et distinctes afin de reconnaître et soutenir les droits des agriculteurs à conserver, échanger et vendre des semences, dégagées des impératifs commerciaux des sociétés transnationales. L’autonomie est fondamentale à cet égard – une condition préalable et une composante essentielle de l’exercice des droits par les agriculteurs familiaux, communautaires, et les paysans.  

Ainsi, des protections juridiquement contraignantes et exécutoires sont nécessaires de toute urgence contre les brevets, les lois sur la protection des obtentions végétales, les lois commerciales sur les semences et les informations séquentielles numériques, qui érodent l’exercice des droits des agriculteurs.  Plus important encore, la conception de ces droits doit être fondée sur une vision plus large de la souveraineté alimentaire qui englobe les droits des citadins et des ruraux à une alimentation nutritive et culturellement appropriée – spécialement pour les pauvres et pour les femmes en particulier, qui sont les principales gardiennes des semences et de la vie, or elles existent souvent dans des conditions précaires, sous le poids du patriarcat et de la subordination économique. De tels contextes indiquent clairement comment la semence n’est pas uniquement agricole, mais elle concerne également les relations sociales de soins et de solidarité, également cruciales pour une action progressiste plus large. Les régimes semenciers draconiens constituent donc aussi une attaque directe contre la communauté et contre notre capacité à travailler ensemble en solidarité pour un avenir meilleur.

Pour relever le défi de nos crises écologiques et sociales, les droits des agriculteurs ne doivent pas simplement être défendus, mais activement approfondis et élargis en tant que principe d’organisation essentielle de nos systèmes alimentaires.

Plus d’information ici.

L’écho des campagnes 4

Les paysans et paysannes indiens protestent contre les Lois agricoles

Chukki Nanjudaswamy, Karnataka Rajya Raitha Sangha (KRRS), Inde

Nous assistons à une mutation vers des partenariats public-privé dans les espaces d’élaboration des politiques à travers le monde. Un exemple récent en est le Sommet des Nations Unies sur les systèmes alimentaires provenant d’un partenariat stratégique entre le Forum économique mondial et les Nations Unies. Le Sommet représente une capture hostile de la gouvernance mondiale par les intérêts des entreprises. Mais de telles tendances se produisent également au niveau national.

En 2020, en pleine pandémie, le gouvernement indien a adopté à la hâte trois lois liées à l’agriculture, en utilisant leur majorité brute au parlement, en consultant à peine les agriculteurs afin d’amadouer les entreprises. Sous couvert de réforme, en Inde, ces lois vont inaugurer un système agricole basé sur le marché libre et orienté vers l’exportation, similaire à ceux de l’Europe et des États-Unis. .

Ces lois agricoles tendent à marginaliser les paysans et détruiront leur autonomie au moment de décider quels aliments produire, quand et comment les produire. Les systèmes de marchés publics de l’Inde ont besoin d’être réformés, mais pas dans le sens où ils sont entièrement mis de côté et où un système de marché libre prend complètement le relais.  La nourriture est vitale pour tout le monde.

Partout dans le monde, la mainmise de l’agro-industrie sur l’agriculture a dévasté l’autonomie des producteurs et des consommateurs alimentaires. La nourriture est devenue un objet de spéculation et cela entraîne une perte de la biodiversité et de la nutrition, avec de graves conséquences sur la nature en raison de l’utilisation modifiée des terres, des systèmes de stockage et de transformation industriels ainsi que du transport industriel qui expédie des aliments aux quatre coins du monde.

Les agriculteurs indiens sont maintenant plus que jamais conscients de ces dangers, car ils ont pu constater la disparition des paysans des États-Unis, de l’Europe et du Canada, remplacés par de grandes fermes industrielles. En Inde, des millions de personnes dépendent de l’agriculture, des forêts et de la pêche. C’est pourquoi, depuis plus d’un an, des manifestations font rage dans tout le pays. Nos revendications sont claires : abroger les lois sur l’agriculture, mener des consultations publiques et effectuer des réformes dont les petits agriculteurs ont un besoin urgent. 

Encadres

Encadré 1

Partenariat multi-acteurs: la nouvelle arme des multinationales

Le partenariat multi-acteurs est un modèle de gouvernement en évolution qui réunit divers acteurs ayant un potentiel ‘intérêt’ dans un enjeu, dans le but d’arriver à un accord, ou une solution, formulé conjointement. Par exemple, les acteurs dans un projet de mine de charbon pourraient comprendre les communautés affectées, les fonctionnaires du gouvernement responsables des accords, les compagnies d’investissement, les financeurs du projet, les ONG environnementales, etc. Ici, une présomption totalement illusoire est que tous les acteurs sont égaux en droits, obligations, responsabilités, pouvoir et capabilités. Mais bien que les droits des peuples affectés sur leurs terres dépassent largement les droits des investisseurs externes de les acquérir, leurs capacités à empêcher l’accaparement des terres sont souvent affaiblies par les pouvoirs financiers/politiques des investisseurs. A un niveau mondial, le partenariat multi-acteurs va à l’encontre du multilatéralisme, où les gouvernements (porteurs de responsabilités) prennent des décisions sur les enjeux globaux au nom de leurs citoyens (porteurs de droits) qui se traduisent par des obligations et des engagements que les Etats et les organisations internationales se doivent de mettre en œuvre. Cela comprend de réguler les activités commerciales et de rendre les entreprises responsables quand elles causent des dommages.

L’essor des partenariats multi-acteurs coïncide avec l’intégration du néolibéralisme depuis les années 1980, l’augmentation de la participation des entreprises dans divers secteurs à travers des partenariats publique-privé, l’érosion de la légitimité du système multilatéral, la réduction du financement du développement au niveau national et international, et la montée de la philanthropie de risque où les investisseurs des entreprises financent des objectifs socio-environnementaux. Au cours des 20 dernières années, le partenariat multi-acteurs s’est propagé dans des démarches pour faire face aux enjeux des industries extractives, de l’agriculture industrielle, du changement climatique, de la gouvernance de la terre et de l’environnement, de la nourriture et de l’alimentation, de l’internet, et des Objectifs de développement durable, et a été stimulé par la Global Redesign Initiative et autres plateformes du Forum Economique Mondial (FEM).

Le partenariat multi-acteurs brouille la distinction entre intérêt publique et profit privé, droits de l’homme et intérêts commerciaux. Il permet aux multinationales de dominer le processus de prise de décision sur les questions cruciales de développement et d’éluder la responsabilité légale-matérielle de leurs opérations. Il représente une menace directe pour la démocratie participative et la gouvernance équitable basée sur les droits de l’homme. 

Encadré 2

La tromperie de la nature

« Stimuler une production respectueuse de la nature » est l’une des pistes d’action de l’UNFSS et le terme « respectueuse de la nature » est devenu pratiquement synonyme de « solutions fondées sur la nature » pour la production de produits alimentaires promue par la FAO et d’autres. Les analyses des propositions faites à l’UNFSS, par la FAO et autres espaces, montrent que le terme « respectueuse de la nature » est le dernier concept utilisé pour coopter et affaiblir l’agroécologie. Il met fortement en valeur l’intensification durable en tant que solution plutôt que de réelles transformations et donne priorité aux rendements et à la stabilité, mais ne prend pas en compte les dimensions sociales, culturelles et politiques des transitions vers la durabilité, y compris dynamiques de pouvoir et gouvernance. Par cette mesure, les systèmes de production plus intensifs qui produisent moins d’émission de carbone par unité de rendement sont considérés meilleurs que des systèmes diversifiés à faible niveau d’intrants. « Respectueuse de la nature » reconditionne plusieurs fausses solutions telles que l’agriculture de conservation, l’optimisation des nutriments et l’amélioration de la gestion des plantations sans examiner les motivations des entreprises dans le modèle industriel et ses impacts sociaux et environnementaux.

Un coté encore plus dangereux du cadre « respectueuse de la nature » à l’UNFSS concerne ses liens avec les efforts pour des « solutions fondées sur la nature » en réponse au changement climatique, avec lesquelles des techniques agricoles d’intensification durable peuvent être intégrées dans des projets de crédit et marché de carbone par des entreprises extrêmement polluantes telles que des sociétés d’extraction de combustibles fossiles et des entreprises agro-alimentaire. Les techniques d’intensification durable se prêtent particulièrement bien aux crédits de carbone parce qu’elles sont centrées sur des pratiques uniques développées essentiellement pour générer des crédits de carbone. Le cadrage du « respectueuse de la nature » menace de coopter et de corrompre des solutions réelles comme l’agroécologie et la gestion communautaire de la forêt en les assimilant avec des pratiques douteuses et destructives et en les liant à des mécanismes opaques basés sur le marché. Les « solutions fondées sur la nature » pour le changement climatique sont déjà cooptées par des entreprises de combustibles fossiles et d’agro-alimentaire. Elles affirment investir dans l’intensification durable en tant que solution fondée sur la nature tout en augmentant l’accaparement de terres à grande échelle et en évitant de réduire réellement leurs émissions de carbone.

Encadré 3

Pour un autre système alimentaire sans trucs et astuces

Les systèmes alimentaires se sont convertis, en peu de temps, en systèmes caractérisés par la grande échelle, la mondialisation, l’esprit d’entreprise, la monoculture, l’innovation, la technologie… Ces attributs n’ont de sens que dans une perspective capitaliste basée sur un seul système de production et de consommation cherchant à se réaliser en fantasmant que les personnes ne sont pas des êtres interdépendants et éco-dépendants. Ce modèle privilégie les formules extractivistes qui détruisent les territoires sans même atteindre ce qui devrait être son objectif principal : nourrir toutes les populations.

Ce système a clairement échoué mais est maintenu parce qu’il est capable de soutenir et d’alimenter des intérêts multiples. Un modèle qui a transformé en une marchandise le droit à une alimentation et à une nutrition appropriée, objet de spéculation qui s’appuie, à de nombreux échelons, sur la complicité de différents agents et politiques publiques.  C’est un modèle en échec mais qui, de plus, se base sur une sorte d’illusion rendant invisibles ceux et celles qui soutiennent et alimentent le monde. Ces politiques et ces récits qui prétendent définir un modèle alimentaire à partir des intérêts de quelques-uns et des inégalités de pouvoir, ressemblent à ces trucs et astuces des illusionnistes : d’un côté ils bougent une main et montrent un modèle de développement totalement inégalitaire comme seule possibilité et avec l’autre main, ils cachent les nombreuses inégalités engendrées sur le terrain et les réalités précaires des travailleurs et travailleuses agricoles sans lesquels ce modèle ne pourrait pas fonctionner ; ils occultent aussi les réalités qui démontrent qu’aujourd’hui, il y a moyen d’alimenter les gens d’une manière durable et juste.

Dans cette réalité invisible, on retrouve la production à petite échelle, la perspective communautaire, les initiatives agroécologiques, les travaux des soins inégalement répartis, qui retombent sur les femmes et qui soutiennent le monde, de même que les mains des travailleuses et travailleurs agricoles. Cette année, la pandémie a modifié l’éclairage de ce scénario, elle l’a fait trembler et a montré les dessous de certains trucs ; elle a démontré que cette part que l’on cherche à rendre invisible, a de la force et une capacité à s’adapter et qu’il n’y a pas de trucs capables de prévoir ou d’échapper aux réponses de la nature. C’est pour cela que ceux qui sont le plus proches de la terre mère, qui la connaissent, en prennent soin, la respectent et dialoguent avec elle, sont aussi ceux qui sont capables de comprendre ses réactions et de pouvoir s’adapter même si cela coûte car ce sont les personnes les plus affectées par les changements bien qu’elles soient celles qui refroidissent la planète.

La nécessaire transformation du système alimentaire commence par cette prise de conscience de ces jeux d’illusion, par le regard sur ces réalités dites invisibles, par la vigilance de ce scénario pour qu’il ne tremble pas et ne nous fasse pas perdre l’équilibre. La lutte en ce sens, passe par semer des graines et des articulations pour rester présent sur les territoire, pour maintenir les communautés et leurs savoirs, par chaque récolte, par le fait de nous savoir interdépendants et éco-dépendants, par chaque marché paysan qui fonctionne, par chaque groupe de paysannes qui se rend visible et pour chaque espace où nous agissons pour que les politiques publiques cessent de soutenir ces jeux d’illusion et soutiennent plutôt les réalités paysannes et leur avenir.

Encadré 4

Sommet des Nations Unies sur les systèmes alimentaires : Sommes-nous en transition vers un régime alimentaire corporatif-environnemental ?

On nous a déjà raconté ces contes de fées – comment nous pouvons transformer la nature en un actif financier pour sauver la planète d’une nouvelle destruction de l’environnement. Pour autant, il ne s’agit pas de fournir les bonnes incitations financières. Nous avons besoin d’approches radicales qui guérissent les écosystèmes et ne rémunèrent pas les entreprises pour avoir poursuivi leurs pratiques déloyales tout en participant au « greenwashing ». Pris en otages par les intérêts des grandes entreprises, les organisateurs du Sommet des Nations Unies sur les systèmes alimentaires (UNFSS) ont repris avec bonheur ces vieilles histoires de marchés du carbone et de REDD+, malgré leur échec avéré. Les systèmes alimentaires devraient maintenant être financiarisés et devenir des cibles d’investissements spéculatifs, car cela semble être le seul moyen de financer la transformation « coûteuse » vers des systèmes alimentaires durables. En utilisant le terme générique de « production respectueuse de la nature », un autre label a été ajouté aux nombreuses solutions proposées par les entreprises pour le sommet, basées sur l’innovation numérique, les solutions technologiques, les approches bioéconomiques et axées sur le marché, telles que l’agriculture intelligente face au climat et l’intensification durable. Des solutions centrées sur l’humain, rentables et justes tant socialement qu’écologiquement, telles que l’agroécologie, sont déjà sur la table. Mais ces idées sont noyées au fond de la marmite des grandes solutions d’entreprise et ne tiennent pas compte des différences réelles.

Le Green Deal pour l’Europe abonde déjà de ce narratif « climat-smart » (en faveur du climat). Avec l’initiative « carbon farming », par exemple, un nouveau modèle économique a été créé pour récompenser les agriculteurs qui séquestrent et stockent le carbone. L’UNFSS a pris le train en marche de ce « capitalisme vert » de l’UE, promouvant des approches de capture du carbone afin de créer des systèmes alimentaires « durables » en améliorant la santé des sols. Manifeste dans la nature du capitalisme néolibéral, cette voie est susceptible de permettre une transition vers un « régime alimentaire corporatif-environnemental » (Friedmann, 2005). Ce nouveau troisième régime alimentaire se reflète dans le cadre multipartite de l’UNFSS qui confère aux entreprises une légitimité dans l’élaboration de la gouvernance alimentaire mondiale. Friedmann (2005 : 259) soutient que ce régime induit une lutte pour le « poids des institutions privées, publiques et autoorganisées ». Dans un tel processus, l’alimentation n’est plus une préoccupation publique mais devient un investissement privé.

La trajectoire actuelle de l’UNFSS permet aux sociétés d’investissement financier d’acheter des actions de multinationales agroalimentaires qui contrôlent les modèles proposés de « solution respectueuse de la nature ». Cependant, nous ne pouvons pas permettre au secteur financier de jouer avec les moyens de subsistance des gens. Au nom de la durabilité environnementale, toute la signification de la nourriture passe d’être un bien comestible pour devenir une marchandise financière.  En repensant aux conséquences dévastatrices de la crise alimentaire de 2008, qui a provoqué la faim pour des millions de personnes, il devrait être clair que la nourriture doit être exclue de la spéculation financière. Certes, si ce régime alimentaire corporatif se consolide, il « approfondira les processus de longue date concernant la dépossession et la marginalisation des paysans et des communautés agraires ».  (Friedmann, 2005 : 257). En fin de compte, les petits producteurs pourraient même être exclus de l’ensemble du processus de production alimentaire agricole tandis que le monde commence à « cultiver sans agriculteurs ».

Références:

Friedmann, H. (2005): From Colonialism to Green Capitalism: Social Movements and Emergence of Food Regimes. In: Buttel, F.H. and McMichael, P. (eds.): New directions in the sociology of global development. Research in rural sociology and development, Vol. 11. Oxford: Elsvier, 229-67.

Encadré 5

La numérisation dans l’agriculture indienne

En Inde, l’agriculture est en proie à la précarité, laissant les populations vulnérables et marginalisées à l’abandon (par exemple, les femmes et les travailleurs sans terre), elles sont historiquement exclues de la propriété foncière. La numérisation à grande échelle des chaînes de valeur agricoles va aggraver l’endettement et les asymétries de pouvoir[1].

De manière générale, la numérisation dans l’agriculture comprend trois catégories : la robotique, la surveillance des cultures et des sols et l’analyse prédictive. Tous ces éléments se basent sur un ingrédient crucial : les données.

La valeur économique des données est fondée sur leur capacité à présenter des modèles sous forme de mégadonnées agrégées et à fournir une publicité individualisée et ciblée qui est utilisée par les grandes entreprises comme une opportunité de profit.

Les utilisations des données en agriculture ont une grande portée. L’information sur les ventes et les prix des produits de base peut aider à la commercialisation agricole. Les conditions sont également réunies pour l’automatisation et l’intelligence artificielle (IA) dans les opérations d’entrepôt. Plus menaçant encore, les données des agriculteurs peuvent être utilisées dans des algorithmes de notation de crédit qui déterminent leur accès aux services financiers, à l’exclusion des groupes historiquement vulnérables. 

La numérisation est antérieure à la COVID-19, avec la participation du secteur privé ancrée dans des approches politiques telles que le doublement du revenu des agriculteurs d’ici 2022 et la stratégie nationale d’IA de NITI Aayog. Cependant, l’anéantissement des chaînes d’approvisionnement agricoles au cours des premiers mois de la pandémie a accéléré le rythme et la portée de la numérisation. Les plateformes de commerce électronique, par exemple, ont capitalisé sur le moment : la demande B2B de Ninjacart a augmenté de 300% au cours des premiers mois de la pandémie. 

La pandémie a également stimulé les mesures politiques et législatives. Les lois de réforme agricole ont été adoptées au milieu de la pandémie avec peu de débats parlementaires, encourageant la numérisation dans un modèle financiarisé dirigé par le secteur privé au détriment des agriculteurs et des petits producteurs .[5]  Cela est déjà visible dans les partenariats signés entre le gouvernement et les grandes entreprises technologiques, tels que le protocole d’accord pour la construction de la plate-forme Agristack, signé entre le ministère de l’Agriculture et Microsoft en avril 2021.

Ces tendances peuvent conduire à une consolidation de bout en bout des chaînes de valeur agricoles par plate-forme et par entreprises agricoles. En avançant dans le domaine de la numérisation en l’absence de données appropriées, l’IA et la gouvernance des plateformes laisseront ce secteur prêt à être récupéré par les entreprises, ce qui entraînera une consolidation du marché aux mains de quelques grands acteurs.

Au lieu de cela, le rôle du secteur privé doit être soigneusement négocié, afin de s’assurer que les ressources en données soient orientées vers les besoins fondamentaux des agriculteurs et leur autonomisation autodéterminée. La numérisation dans l’agriculture nécessite également des architectures décentralisées et fédérées qui préservent l’autorité constitutionnelle des gouvernements des États en vue de réglementer ce secteur afin de garantir l’intérêt public.

Finalement, l’engagement avec les problèmes hérités de l’agriculture indienne, tels que les prêts usuraires et les asymétries de pouvoir, en donnant la priorité aux intérêts des paysans et des populations marginalisées constitue un pilier fondamental d’une numérisation responsable et axée sur le développement.


[1] ASHA letter to the Ministry of Agriculture, on file.

Sous les feux de la rampe

Sous les feux de la rampe 1

Résister à la mainmise de l’agro-industrie sur nos systèmes alimentaires !

La mainmise sur l’alimentaire par les systèmes agro-industriels est basé sur la croyance que les sociétés multinationales jouent un rôle essentiel dans l’approvisionnement en nourriture et que leurs intérêts sont alignés sur l’intérêt publique. Ses promoteurs présentent les grandes entreprises comme étant mieux équipées que les gouvernements et que la société civile pour établir les règles et les politiques donnant forme à nos systèmes alimentaires. Il s’agit d’une vision du monde qui permet aux grandes entreprises d’accroitre leur part de terre, d’eau et pêcheries, de quasiment monopoliser le commerce des semences et d’utiliser intensivement pesticides et engrais chimiques. Mais elle échoue à reconnaitre et à faire face aux préjudices causés par les entreprises multinationales. Dans le cas où cette capture par les systèmes agro-industriels arrive à dominer des espaces tels que le Sommet sur les Systèmes Alimentaires (FSS), le Comité de la Sécurité Alimentaire Mondiale de l’ONU (CSA) ou l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), la démocratie, l’auto-détermination et la souveraineté des peuples seront d’avantage mises à mal.

Le FSS a été organisé pour assurer le contrôle par les grandes entreprises des systèmes alimentaires au milieu d’une pression croissante pour répondre aux échecs des systèmes alimentaires industrialisés. A travers le FSS, l’ONU pourrait finir par consolider un nouvel écosystème d’acteurs puissants tentant de privatiser la gouvernance d’un régime alimentaire corporatif-environnemental. Ces acteurs sont des gouvernements du Nord, de l’UE en particulier, des plateformes économiques telles que le Forum Economique Mondial (FEM) et le Conseil mondial des affaires pour le développement durable (WBCSD); des philanthropies comme les fondations Gates, Rockefeller, Stordalen et EAT et la Global Alliance for the Future of Food ; des initiatives multipartenaires telles que la Global Alliance for Improved Nutrition (GAIN) et le Scaling Up Nutrition (SUN); des ONG internationales comme le World Wildlife Fund (WWF) et Care, et des scientifiques favorables aux entreprises.

Notre boycott a contesté avec efficacité la légitimité du FSS et a empêché, pour le moment, la création de nouvelles structures institutionnelles alignées avec les grandes entreprises. Notre préoccupation dans le futur immédiat va être d’en saisir le CSA – y compris le groupe d’experts de haut niveau pour la sécurité alimentaire et la nutrition – et les agences de l’ONU basées à Rome, en particulier la FAO. En tant que mouvement pour la souveraineté alimentaire, nous avons insisté sur la démocratisation de ces institutions pour qu’elles soient davantage réceptives aux demandes des petits producteurs. Au cours des 25 dernières années, nous avons connu des victoires partielles. Cependant, tout cela est maintenant en danger. La coalition multipartite mentionnée précédemment demande maintenant que le CSA et la FAO donnent suite aux résultats du Sommet. Elle veut importer du FSS les méthodes de travail de la gouvernance multipartite, c’est-à-dire ignorer les règles de procédure existantes ; privilégiant les coalitions d’action ad hoc sans règle établie. Ces coalitions manqueront certainement de transparence, d’inclusion multilatérale, de mécanismes de prise de décision et de responsabilités, détourneront les ressources des programmes publiques des agences de l’ONU vers ces initiatives ad hoc, semi-privatisées. Nous devons résister à cette tentative et continuer la lutte afin de consolider nos institutions communes et publiques tout au long du chemin du local au global pour assurer la souveraineté alimentaire. 

Sous les feux de la rampe 2

Grandes entreprises et systèmes alimentaires

Au cours des dernières décennies, la présence des entreprises dans les systèmes alimentaires s’est largement accrue à travers le monde, encouragée par la promotion agressive et l’adoption d’une économie néolibérale et de politiques financières menées par les institutions financières internationales (IFI) et la plus part des gouvernements. Les entreprises sont devenues des acteurs puissants dans pratiquement toutes les sphères liées aux systèmes alimentaires : production, stockage, conditionnement et étiquetage, distribution et commercialisation, sécurité et normes de qualité, financement, préférence des consommateurs, recherche, cadre règlementaire etc.

Par fusions et acquisitions, un petit nombre de société d’agro-chimie et agro-alimentaire transnationales ont formé des méga sociétés et grandement augmenté leur pouvoir économique dans le but de décider quelles cultures doivent être cultivées ; quels équipements, semences et races les agriculteurs doivent utiliser ; les techniques de production, infrastructures et conditions de travail ; l’approvisionnement et prix de détail ; et dominer différents aspects des chaines d’approvisionnement et marchés au niveau national-international.

Grâce à leur facilité d’accès au capital financier, les entreprises sont à même d’investir dans et d’utiliser les dernières technologies numériques pour obtenir de l’information sur les prix, les comportements des consommateurs, la disponibilité de la terre et de l’eau, les propriétés génétiques, etc. et d’exercer un contrôle sur différents composants des systèmes alimentaires.

L’expansion du pouvoir des entreprises sur les politiques nationales, régionales et internationales, ainsi que les cadres règlementaires et de gouvernance sont particulièrement préoccupants. Les entreprises utilisent leur puissance financière et leur large présence sur les marchés pour modeler les politiques, les lois, les règlementations, les programmes socio-environnementaux, les incitations et aides fiscales pour assurer leurs opérations, leurs gains financiers et leur pouvoir sur le marché.  Les lobbyistes et experts des entreprises travaillent directement avec les gouvernements et les fonctionnaires des agences multilatérales pour formuler des accords d’échange-investissement, la protection de la propriété intellectuelle et règles de taxation, les normes de sécurité de l’alimentation et de l’environnement, et des mécanismes d’immunité sur leur responsabilité sociale, environnementale et financière. Les entreprises financent la recherche et l’information afin de promouvoir leurs intérêts dans les débats politiques et accroitre l’acceptation populaire de leurs opérations.

Grace à un réseau complexe et étendu de conseils d’entreprise, de plateformes et du processus multipartite, les grandes entreprises se présentent comme une force nécessaire et positive pour faire face au changement climatique, à la faim, à la destruction de l’environnement, aux pandémies et autres crises, masquant leur propre rôle dans la création et l’aggravation de ces crises. L’UNFSS est dominé par un tel réseau au sein du FEM, et légitimise les partenariats entre agences multilatérales, entreprises et ONG internationales et groupes de réflexions, anéantissant totalement les centaines de millions de petits producteurs et travailleurs qui nourrissent une grande partie de la planète avec des systèmes alimentaires divers et enracinés dans les territoires.

Les prétendues solutions de l’UNFSS aux problèmes pressants auxquels le monde doit faire face sont simplement des mécanismes coûteux contrôlés par les grandes entreprises et des technologies et produits protégés par des brevets qui vont accroitre encore davantage le pouvoir des entreprises sur nos systèmes alimentaires. Elles vont prélever des ressources financières si nécessaires sur les biens publics, les services et les programmes, et perpétuer un système économique injuste, inégalitaire dans lequel les droits des peuples et des communautés viennent après les profits des entreprises. Pour démanteler le pouvoir des entreprises, nous devons remettre en question et changer les structures de gouvernance grâce auxquelles il gagne du terrain.

Bulletin n° 45 – Éditorial

Souveraineté alimentaire – Résister à la mainmise de l’agro-industrie sur nos systèmes alimentaires

Cette année marque les 25 ans de l’introduction du paradigme de souveraineté alimentaire au Somment Mondial de l’Alimentation en 1996 à Rome, en défi direct à la sécurité alimentaire basée sur le marché promu par l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC). La souveraineté alimentaire reconnait l’autonomie et le pouvoir des petits producteurs et des ouvriers agricoles face à l’augmentation du pouvoir des grandes entreprises sur l’ensemble du monde alimentaire. Depuis son lancement, le mouvement de souveraineté alimentaire a grandi, s’est diversifié et a donné naissance à de nombreuses initiatives pour faire face aux injustices historiques et émergentes, aux inégalités, aux abus de droits, et aux oppressions. Aujourd’hui, le mouvement est à la pointe d’un réel changement systémique, avec des millions de personnes à travers le monde engagées et soutenant des économies solidaires, l’agroécologie, les marchés de territoires, les coopératives, la défense de la terre et des territoires, les droits des paysans, des travailleurs, des migrants, des peuples autochtones, des femmes et des personnes vivant dans des crises prolongées.

Ironiquement, cette année, les Nations Unies vont convoquer un Sommet sur les Systèmes Alimentaires (UNFSS) qui est l’opposé polaire de la souveraineté alimentaire. La structure, le contenu, la gouvernance et les résultats de l‘UNFSS sont dominés par des acteurs affiliés au Forum Economique Mondial (FEM), ainsi que des fonctionnaires gouvernementaux et de l’ONU qui estiment que lutter avec succès contre la faim, le chômage, le changement climatique et la perte de biodiversité nécessite la participation centrale des grandes entreprises puisqu’elles disposent de capital, de technologies et d’infrastructures qui surpassent la plus part des nations et tout le système des Nations Unies.

La coïncidence de ces deux moments met clairement en lumière des idées fondamentalement opposées des systèmes alimentaires. L’UNFSS adopte une vision qui sert les intérêts d’un système alimentaire industrialisé, globalisé, contrôlé par les grandes entreprises. En renforçant la dépendance sur les chaînes de valeur mondiales dominées par les multinationales, et sur des mécanismes à forte intensité de capital et de marché, cette approche ne tient pas compte des droits humains et empêche une réelle transformation des systèmes alimentaires.

La souveraineté alimentaire, par contre, s’attaque aux causes profondes de la faim et de la malnutrition, valorise le contrôle démocratique des systèmes alimentaires, confronte les asymétries de pouvoir et appelle à des changements économiques, sociaux et de gouvernance radicaux en vue de construire des systèmes alimentaires justes, égalitaires, ancrés dans les territoires, en harmonie avec la nature, revitalisant la biodiversité et garantissant les droits des peuples et des communautés.

Les grandes entreprises utilisent leurs ressources considérables pour coopter la conceptualisation et la gouvernance des systèmes alimentaires à travers le financement, le commerce, l’investissement et les plateformes multi-acteurs. L’UNFSS est un exemple dangereusement parfait d’un partenariat multi-acteurs conçu par les multinationales, où les grandes entreprises peuvent influencer la prise de décisions publiques au plus haut niveau mais sans engagements d’utilité publique de leur part. Le processus de l’UNFSS a été caractérisé par un manque de transparence dans la prise de décision et la forte implication des grandes entreprises à tous les niveaux de sa structure, créant de sérieux problèmes de responsabilité, de légitimité et de contrôle démocratique de l’ONU.

Au cours de l’année passée, nous avons démontré notre capacité à nous mobiliser à travers de multiples circonscriptions autour du monde contre l’accaparement de la nourriture et de la souveraineté alimentaire par les grandes entreprises. Nous avons réussi à remettre en question la légitimité du Sommet et avons empêché un accord formel sur la création de nouvelles institutions, tel qu’un panel d’experts sur les systèmes alimentaires. La Contre-Mobilisation pour Transformer les Systèmes Alimentaires, organisée les 25-28 juillet derniers, a engagé près de 11000 personnes dans le monde.

La nourriture est un besoin fondamental et un droit de l’homme : les systèmes alimentaires assurent un moyen de subsistance à près d’un tiers de l’humanité et sont intimement connectés à la santé et aux écosystèmes. Nous devons donc continuer à renforcer la convergence des mouvements en faveur des aliments, de la santé, de l’environnement et de la justice climatique, tout en protestant contre les systèmes alimentaires agro-industriels qui détruisent notre planète et nos communautés.

FIAN et Focus on the Global South

L’écho des campagnes

L’écho des campagnes 1

Des illustrations et des bandes-dessinés pour promouvoir la souveraineté alimentaire et les droits des paysan.ne.s

« Le livre d’illustrations sur l’agriculture naturelle publié par Amrita Bhoomi explore les expériences des femmes et des hommes exerçant l’agriculture en milieu rural et leurs pratiques écologiques pour restaurer les sols. Il dénonce aussi les horreurs de l’agriculture industrielle. Grâce à notre travail auprès des paysan.ne.s et des enfants au Centre Amrita Bhoomi, nous avons rassemblé leurs témoignages et contributions en nous servant des figures de l’oiseau blanc local et du lombric généreux pour relier toutes ces histoires », expliquent Chilli et Yemee qui ont travaillé sur cet ouvrage (en kannada uniquement). « En reprenant des symboles et des contes locaux, nous avons créé une histoire pour apprendre aux enfants l’importance de l’agroécologie et de l’agriculture naturelle en tant qu’alternatives. À présent, les écoliers des villages alentours utilisent ce livre et élaborent des petits projets. », ajoute Chukki Nanjudaswamy du Centre Amrita Bhoomi.

De son côté, la Confédération Paysanne, en France, a développé une histoire graphique sur la privatisation du système semencier. Damien Houdebine, Secrétaire National en charge du pôle végétal, nous parle de cette bande-dessinée intitulée Histoire de semences : Résistances à la privatisation du vivant : « Les débats sur les semences et sur les OGM sont très médiatisés mais beaucoup trop d’informations imprécises circulent ! Nous avons voulu créer un matériel accessible, pédagogique et en particulier dirigé vers la jeunesse. Défi réalisé ! La publication de cette bande-dessinée est un vrai succès. Elle est sur toutes les tables, dans toutes les fêtes paysannes, et nous accompagne dans nos actions pour la souveraineté alimentaire ! »

Militant au sein du MNCI Somos Tierra (Mouvement national paysan autochtone) en Argentine, Carlos Julio est aussi l’artiste qui a dessiné les croquis de Droits pour les paysannes. Il explique que « le meilleur compliment que je reçois pour mon travail de dessinateur, c’est quand les camarades du MNCI me disent ‘ce dessin reflète qui je suis’, ‘il exprime nos luttes’, ‘il exprime notre vie’, etc. Un autre compliment qui me touche particulièrement, c’est quand ils me disent ‘ça m’a fait beaucoup rire’. Je sais aussi que quand on a un débat ou qu’on développe des documents, les dessins aident à interroger la réalité et à transmettre un message par-delà les mots. J’ai pris beaucoup de plaisir à faire les illustrations de Droits pour les paysannes et femmes du monde rural ! Montrer la vie paysanne, faire apparaître un sourire, faire réfléchir et discuter. Ce n’est pas rien. »

L’écho des campagnes 2

Voz campesina, le rôle des radios locales pour promouvoir la souveraineté alimentaire

Azul Cordo, Radio Mundo Real

Il y a dix ans, Radio Mundo Real et la Coordination latinoaméricaine des organisations rurales (CLOC-Via Campesina) créèrent Voz Campesina (voix paysanne), un programme radiophonique qui aborde les principaux sujets du mouvement paysan, ses luttes, défis et accomplissements. Il couvre aussi les manifestations organisées par la CLOC et ses alliés.

Voz Campesina, tout en ayant sa propre mission, fait entendre la perspective paysanne et populaire, anticapitaliste, antiraciste, anticoloniale et féministe sur des problématiques qui concernent tout le monde. Ainsi, au cours des douze derniers mois, le programme a proposé une analyse de la pandémie de COVID-19, en expliquant qu’elle est la conséquence de la crise du système néolibéral que nous vivons depuis plusieurs années et en mettant en exergue les solutions déjà mises en œuvre par les paysan.ne.s comme l’agroécologie et la souveraineté alimentaire.

Chaque édition cherche à garantir la représentation des hommes, des femmes et autres personnes, jeunes et moins jeunes, membres de la CLOC et issus des régions d’Amérique du Sud, centrale et des Caraïbes. Les contenus mettent l’accent sur les expériences paysannes en matière d’accès à la terre ainsi que sur l’analyse et la contestation dans les territoires. Le défi consiste à amplifier sa diffusion. Disponible sur les sites Internet de Radio Mundo Real et de la CLOC, le programme peut également être réécouter sur les plates-formes de podcast.

L’écho des campagnes 3

Journaux paysans, exemple de Corée du Sud

Jeungsik Shim, rédacteur en chef de KPL News, Corée du Sud

KPL News est un journal de presse écrite géré et distribué par la Ligue coréenne paysanne (KLP, de son sigle en anglais). Dès sa création en 1990, KPL a compris le besoin de compter sur son propre média. KPL luttait en faveur des questions paysannes mais les médias existants n’y accordaient aucune attention ou déformaient les sujets. Finalement, en 2006, KPL a pris le contrôle d’un hebdomadaire spécialisé dans l’agriculture et a publié le premier numéro de KPL News (Han-kuk-nong-jung en coréen) le 25 septembre.

Spécialisé dans l’agriculture, ce journal paraît toutes les semaines et traite l’information concernant les zones rurales et la population paysanne. Il sort tous les lundis, quatre fois par mois, 48 fois par an et est distribué à plus de 30 000 paysan.ne.s dans tout le pays. Il en existe aussi une version en ligne, qui est actualisée régulièrement de sorte que les lecteurs et les lectrices ne recevant pas la version papier puissent lire le journal partout dans le pays.

L’écho des campagnes 4

L’arpillería, un art pour raconter et ne pas oublier

Blanca Nubia Anaya Díaz, membre du Mouvement social de défense des Ríos Sogamoso et Chucurí (Movimiento Social en defensa de Ríos Sogamoso y Chucurí), Colombie

Affilié au mouvement Ríos Vivos (rivières vivantes) de Colombie, le Mouvement social de défense des fleuves Sogamoso et Chucurí a vu le jour pour lutter contre le barrage Hidrosogamoso.

La technique de l’arpillería est un art qui sert à raconter, d’une autre façon, ce que nous avons vécu. Dans le cadre de nos efforts pour alerter sur le problème et diffuser le message, nous avons pris du fil, des aiguilles, des chutes de tissu et nous sommes mises à broder des scènes de la vie quotidienne sur des toiles de jute.

Nous fabriquons ces souvenirs pour que les personnes qui les voient ne laissent pas les méga-projets causer les mêmes dommages sur leurs territoires. Nous reproduisons ce que nous avons vécu ; c’est pour cela que les scènes montrent des poissons morts et peu de personnes. On utilise du matériel rustique et on étaye le travail avec du collage. Nous voulons montrer aux gens ce que nous avons perdu.

Notre intention est de continuer à faire de l’arpillería car c’est un art très beau. De fils en aiguilles, on bavarde, discute et raconte. En commençant à fabriquer ces souvenirs, nous avons découvert que nos morts n’étaient pas pour rien, que les personnes déplacées de nos communautés n’étaient pas les méchants, que derrière tout cela il y avait un contexte que nous découvrons peu à peu et que nous reproduisons sur du jute.

Nous allons continuer à coudre car nous voulons que les souvenirs empêchent la répétition et apportent la paix. Nous, les femmes, nous luttons pour la paix, armées d’un fil et d’une aiguille.

Encadres

Encadré 1

Le Bulletin Nyéléni facilite une pédagogie des peuples dans la lutte pour la souveraineté alimentaire

En 2007, le Forum de Nyéléni rassemblait les représentant.e.s issu.e.s de mouvements et d’organisations de petits producteurs, de consommateurs ainsi que de la société civile engagés dans la lutte pour la souveraineté alimentaire. Ces participant.e.s ont partagé leurs savoirs, visions, stratégies et pratiques visant à transformer leurs communautés, sociétés et économies grâce aux principes de la souveraineté alimentaire. Les discussions ont révélé la richesse des connaissances créées en permanence par les praticien.ne.s de la souveraineté alimentaire même en proie à des défis sociaux, économiques, environnementaux ou politiques. Elles ont aussi mis en exergue le caractère central de la souveraineté alimentaire en tant que plateforme capable de forger des alliances pour lutter contre le néolibéralisme, le capitalisme mondial, l’autoritarisme ainsi que l’injustice, l’inégalité et la violence sous toutes leurs formes. Les participant.e.s se sont engagé.e.s à bâtir la solidarité entre et au sein des mouvements, cultures et régions en renforçant la communication, l’éducation politique, la sensibilisation et l’apprentissage entre pairs.

Le Bulletin Nyéléni fut créé dans le but de répondre à tous ces engagements : pour donner une voix aux priorités, préoccupations, expériences et connaissances du mouvement pour la souveraineté alimentaire, et pour susciter le dialogue entre secteurs et acteurs.

Le Bulletin se veut un outil d’éducation permettant de contextualiser et d’expliquer des sujets complexes aux acteurs du mouvement, en particulier aux personnes qui sont sur le terrain et en première ligne. Il entend aussi être le conduit par lequel mettre les expériences de vécu de ces acteurs au premier plan. Si des chercheurs alliés sont invités à rédiger des articles, le Bulletin propose avant tout l’analyse et les points de vue des mouvements. Ces analyses sont complétées par les témoignages directs des acteurs de terrain, les informations sur les luttes et initiatives ainsi que des documents de sensibilisation produits par les mouvements partout dans le monde. Ce sont les membres du mouvement qui choisissent les sujets traités par chaque numéro. Les articles sont rédigés dans un style accessible et facile à traduire dans d’autres langues. Il est possible de télécharger le Bulletin et/ou de le lire en ligne gratuitement (en anglais, espagnol et français) sur la page nyeleni.org, la totalité du contenu étant libre de droit.

Encadré 2

Brasil de Fato [1]: une alternative pour la communication populaire contre l’hégémonie des médias de masse

Officiellement inauguré le 25 janvier 2003 à l’occasion du Forum social mondial à Porto Alegre, Brasil de Fato a pour objectif d’ouvrir des pistes dans la bataille contre le modèle dominant en matière de communication. Depuis sa création, ce média traite de sujets économiques et politiques et promeut les activités et les luttes menées par les mouvements sociaux et d’Amérique latine, ce, sous un angle de gauche et en proposant une analyse de la conjoncture et des évènements au niveau national et international.

En tant que moyen de communication alternative, il contribue à l’analyse et à la contextualisation d’un autre Brésil, à savoir, un Brésil en mobilisation permanente. Il identifie les scénarios de lutte politique dans le but d’élaborer un programme de communication traitant des sujets que les grands médias minimisent, voire occultent, à dessein. Les médias de communication alternative affirment la vision d’un autre monde proposé par les théoriciens de gauche, donnent une place au traitement de la critique et la valorisation culturelle que portent les classes populaires et de travailleurs/travailleuses, défendent leurs intérêts politiques et encouragent le débat d’idées. Espace de contestation profondément engagé en faveur d’une transformation, Brasil de Fato est donc porteur d’une vision solidaire internationale, se veut pluraliste sur le plan des idées et constitue source d’information et de réflexion pour les militant.e.s de la lutte sociale.

Grâce aux médias comme Brasil de Fato, il est possible de créer une stratégie de communication face à l’hégémonie des groupes dominants dans le domaine de la communication et de changer l’agenda politique à l’échelle nationale et internationale en y ajoutant les voix des mouvements qui luttent en faveur de la construction d’un autre monde.


[1] Brasil de Fato est un journal en ligne brésilien et une agence de radio, www.brasildefato.com.br

Encadré 3

Chants paysans, porteurs de sagesse, de souvenirs et de résistance

Pour saisir la richesse et la diversité de l’histoire et de l’évolution des pratiques paysannes et autochtones, il suffit d’écouter le nombre infini de chants et chansons présents dans toutes les communautés du monde. Dans cette section, nous proposons deux chansons, d’Ouganda et de Turquie, qui parlent des luttes locales menées par les populations paysannes et autochtones.

Icamo Irudu Laki, Ouganda (en langue Luo/Lango)

Cette chanson a été composée au cours de la période de pénurie alimentaire qui a suivi l’abandon des cultures vivrières locales, dont les semences étaient contrôlées par la population locale, en faveur de nouvelles cultures introduites par le gouvernement. La récolte produite par ces nouvelles cultures a été vendue à bas prix à des intermédiaires, si bien que les paysan.ne.s n’avaient plus les moyens d’acheter de la nourriture pour eux-mêmes et leurs familles. Les nouvelles cultures les ont placé.e.s en situation de dépendance vis-à-vis des négociants en semences et du gouvernement car il leur était impossible de conserver les semences, de les multiplier et de les échanger librement. Les paysan.ne.s ont donc perdu leur souveraineté alimentaire. La chanson les encourage à revenir aux cultures vivrières locales qui favorisent un système semencier géré par les paysan.ne.s et permet de répondre à la malnutrition et à la faim. La chanson explique aussi que manger des cultures locales est similaire au fait de se brosser les dents car ces cultures sont saines et libres de tout produit chimique. Lorsqu’elle est chantée, les femmes prononcent certains mots supplémentaires pour signifier qu’elles sont parvenues à surmonter la pénurie d’aliments au sein de leurs foyers grâce aux cultures vivrières traditionnelles et locales.

Version originale en Luo/Lango

ICAMO IRUDU LAKI          
 Icamo irudu laki X3
 Can dek rac
 Gin omio lango camo ajonga doo
 Can dek rac
  
 Nen ibot Joci gi doo
 Can dek rac
 Gin omio lango camo ajonga doo
 Can dek rac
Traduction
  
MANGEZ ET BROSSEZ-VOUS LES DENTS
Mangez vos aliments locaux et brossez-vous les dents X3
Le manque de nourriture c’est mauvais
La raison que les Langi* mangent des aliments locaux sans pâte ni friture
Le manque de nourriture c’est mauvais

Regardez ça comme ceux de Joci**
Le manque de nourriture c’est mauvais
La raison que les Langi* mangent des aliments locaux sans pâte ni friture
Le manque de nourriture c’est mauvais

*Les Langi sont un peuple agro-pasteur de la sous-région du Lango, située dans le nord de l’Ouganda.

**Joci est le nom d’une personne/un voisin dont la famille n’a pas suffisamment à manger. On peut le remplacer par le nom de toute autre personne en situation de pénurie alimentaire.

İşkencedere’den (Eşkincidere) elime kalan bir çakıl taşı”, Turquie

Cette chanson a été composée au cours de la résistance menée par la population d’Ikızdere contre une société privée bénéficiant de liens étroits avec le gouvernement et avec une très mauvaise réputation pour ce qui est de la destruction des terres et de la nature. Profitant d’un décret présidentiel, l’entreprise ravage actuellement la vallée d’İşkencedere dans le but d’y installer une carrière nécessaire à la construction d’un port à İkizdere, Rize. Emmenés par les paysannes, les villageois d’Ikızdere ont mené des actions pour stopper la destruction de leur vallée en organisant des patrouilles de surveillance et ont saisi la justice pour obtenir une interdiction. Les femmes sont aux premières lignes du combat pour leurs terres et les droits à la nature. Les routes étant bloquées par l’armée, les habitant.e.s surveillent les opérations depuis les arbres en y accédant par les sentiers forestiers et de montagne.

Version originale en turque

İşkencedere’den (Eşkincidere) elime kalan bir çakıl taşı
  
Bir gün Boğacak seni anaların gözyaşı
Hep bulanık akıyor İşkencedereleri
  
İki tabur askerle beklersin dozerleri
Ben köyümde büyüdüm
Bilmiyorum şehri
Vermedin insanlara, dozer kadar değeri
  
Traduction
                
Un caillou d’Eşkencidere dans mes mains.

Un jour, les larmes des mères t’étoufferont.

L’Eşkencidere coule pleine de boue à présent.
Tu as mis deux bataillons de soldats pour attendre les bulldozers. 
Je suis née dans un village ; je ne connais pas la ville.
Pour toi, les gens n’ont pas d’importance, mais les bulldozers, si !

   

Encadré 4

L’École de communication de la CLOC-Via Campesina

En 2020, la Coordination latinoaméricaine des organisations rurales (CLOC-Via Campesina) a organisé la cinquième édition de l’École continentale de communication, dans le cadre de son processus de formation technique, politique et idéologique à but organisationnel. Dans la suite de différentes éditions réalisées par plusieurs pays et toujours à l’intention des chargé.e.s de communication des organisations membres de la CLOC et de ses alliés historiques, l’École de 2020 s’est déroulée en ligne.

La CLOC est une articulation, au niveau continental, des organisations paysannes, autochtones, de femmes et de personnes d’ascendance africaine présentes dans 21 pays d’Amérique latine et des Caraïbes.

La cinquième édition de l’École a été l’occasion d’étudier le contexte actuel des enjeux de communication. En effet, d’un côté, la communication sert d’instrument de manipulation à l’impérialisme à l’encontre de pays progressistes et des mouvements sociaux, tandis que, d’un autre côté, elle peut être un outil populaire au service de la construction et du renforcement du mouvement paysan. Par ailleurs, l’École a permis d’approfondir le concept d’internationalisme et ce qu’il implique pour les luttes des peuples.

Au cours des activités, les chargé.e.s de communication ont pris connaissance et évalué le travail mené par la CLOC sur le continent dans le domaine de la communication en tant que stratégie anti-hégémonique inscrite dans la lutte des classes et au service de la souveraineté alimentaire, de la réforme agraire ainsi que de l’agroécologie.

Des ateliers pratiques furent aussi organisés et permirent de réunir les facilitateurs et facilitatrices experts ainsi que les militant.e.s des organisations de la CLOC et de ses alliés, comme les Mouvements ALBA, la Journée continentale pour la démocratie et contre le néolibéralisme, Radio Mundo Real, Código Sur, sans oublier les chargé.e.s de communication ayant travaillé pour d’anciens gouvernements progressistes, tels que celui du Brésilien Luiz Inácio Lula da Silva.

Les ateliers ont permis aux chargé.e.s de communication de renforcer leurs capacités dans des domaines comme la photographie, la vidéo, l’audio, le graphisme, les réseaux sociaux, les bulletins d’information ou la communication interne.

« Ce fut un espace important pour l’échange de connaissances et leurs mises à jour, particulièrement au regard des nombreuses activités que nous réalisons en tant que militant.e.s et chargé.e.s de communication au sein de nos organisations. Dans l’ensemble, cela a répondu à nos attentes, bien que rien ne soit jamais suffisant lorsqu’il s’agit d’améliorer notre travail et contribuer à la grande bataille des idées sur le plan de la communication ».

– Participante de la cinquième École de communication de la CLOC.

Le très riche processus de formation en communication populaire réalisé lors de cette cinquième École a débouché sur de très nombreux apprentissages, sur l’identification de plusieurs défis et surtout sur un collectif qui ne cesse d’élargir ses rêves et espoirs porteurs de transformation et qui se renforce dans l’esprit révolutionnaire et internationaliste.

Communiquer pour construire et transformer. Unité, lutte et résistance dans nos territoires pour le socialisme et la souveraineté de nos peuples !