Sous les feux de la rampe

Sous les feux de la rampe

Le rôle de la communication rurale populaire dans les luttes des peuples

Dans toute lutte, la communication constitue un outil fondamental mais qui s’avère absolument essentiel pour les luttes disséminées sur l’ensemble d’un territoire. La lutte paysanne peut physiquement couvrir des milliers de kilomètres entre personnes, mais elle est unifiée. En zone rurale, la communication populaire remplit plusieurs fonctions : transmettre les connaissances, résister aux grands groupes de média privés, reconnaître d’autres communautés, aller là où les médias dominants ne vont pas, travailler à partir de la solidarité, contribuer à l’éducation populaire et appuyer la lutte.

Nous avons interrogé plusieurs personnes sur la question de la communication rurale populaire : Viviana Catrileo, du Chili, dirigeante de l’Association nationale des femmes rurales et autochtones (ANAMURI) qui est membre de la Coordination latinoaméricaine des organisations rurales (ou CLOC-La Via Campesina) ; Elizabeth Mpofu, du Zimbabwe, coordinatrice générale de La Via Campesina ; Anuka De Silva du Mouvement pour la terre et la réforme agricole au Sri Lanka (MONLAR) et membre du Comité de coordination internationale (CCI) de La Via Campesina, ainsi que du média paysan Visura Radio.

« La communication rurale populaire existe sous différentes formes et s’appuie sur nos traditions de populations paysannes et peuples autochtones. Celles-ci englobent les chansons paysannes, les misticas, la peinture, l’art, la danse, entres autres », explique Elizabeth Mpofu au sujet du rôle joué par la communication au sein des communautés. Cette communication est essentielle pour les échanges entre générations et vise plusieurs objectifs : « Il s’agit non seulement d’affirmer notre identité et notre appartenance, mais aussi de perpétuer notre harmonie avec la Terre Mère, notre source de vie, notre gratitude à l’égard des sources d’alimentation, et de préserver la dignité de l’humanité et le respect envers elle ».

Conter les histoires de lutte et de résistance, transmettre les leçons et enseignements à propos des formes d’organisations et de sociétés sont des fonctions essentielles. Particulièrement lorsque, comme le décrit Viviana Catrileo, « la modernité et les conceptions capitalistes du développement détruisent la valeur de la vie pluridimensionnelle dans nos territoires, sa diversité culturelle et spirituelle, en lien avec la philosophie du kvme mogen, ou ‘vivre bien’, exprimée à son maximum ».

Selon Anuka De Silva, il faut des médias populaires car les populations n’ont pas de place au sein des médias de communication de masse et n’y ont, bien souvent, pas accès non plus. « Nous avons vraiment besoin de construire un groupe solidaire de médias forts pour la lutte des peuples », ajoute-t-elle.

La communication populaire relie les personnes, unit les luttes, encourage la solidarité et traverse les frontières. Citant l’expérience de La Via Campesina, Elizabeth Mpofu raconte que le slogan de ce large mouvement mondial, ‘Globalisons la lutte ! Globalisons l’espoir !’, s’est concrétisé grâce aux médias citoyens et locaux qui « ont créé un réseau solidaire mondial et forgé des alliances ». « Grâce au travail d’éveil des consciences réalisé par les médias alternatifs, nous avons pu élargir et relier nos luttes, et construire le mouvement pour la souveraineté alimentaire », ajoute-t-elle. Au Sri Lanka, Visura Radio aide à diffuser les connaissances des paysan.ne.s, à formuler les problèmes liés à la santé et l’environnement, ainsi qu’à relayer les témoignages montrant qu’il est possible de construire une réalité plus vivable et ses avantages. Voilà comment elle contribue au renforcement et au développement de la souveraineté alimentaire.

Mais toute initiative défiant le pouvoir fait inévitablement face à des risques et des difficultés. Anuka De Silva raconte qu’« ici, l’armée est au pouvoir et tente de nous contrôler ; nous avons reçu des menaces par rapport à notre sécurité ». Viviana Catrileo souligne aussi qu’« il est de plus en plus dangereux et difficile de rêver et de communiquer à partir d’un angle anti-hégémonique surtout lorsque ce sont nous, les pauvres et les spoliés, qui entendons faire notre propre communication comme alternative au modèle néolibéral » . Et d’ajouter : « La criminalisation des contestations sociales retombe aussi sur les médias populaires et les personnes qui y travaillent car eux aussi représentent une menace pour l’ordre établi ».

De même, le maintien de l’indépendance économique ou le manque de moyens matériels sont des difficultés importantes. La gestion du temps et le nombre insuffisant de personnes pour réaliser le travail (très souvent les salariés n’ont pas de ressources) sont aussi des questions que les médias populaires doivent surmonter pour continuer leur travail.

La communication s’inscrit dans un tout. Selon Elizabeth Mpofu, elle fait partie des ingrédients qui contribuent au plat final. « La Via Campesina est comme une marmite qu’on cuisine et où l’on mélange et associe différents ingrédients pour obtenir un bon plat sain et savoureux ; la personne qui le déguste peut identifier chacun des ingrédients tout en appréciant l’ensemble qu’ils constituent. Voilà l’importance qu’accorde La Via Campesina à la communication rurale populaire : elle englobe et épouse toute la diversité pour construire une voix collective ».

Dans cette diversité se trouve l’intersection des luttes, le besoin d’une communication populaire, rurale et depuis un angle féministe. « Ce féminisme qui cherche à rendre justice aux femmes dans la lutte historique des peuples et leurs révolutions est une invitation à ajouter les voix que les sociétés patriarcales ont rendues anonymes et marginales pendant des siècles. », assure Catrileo. Elle souligne aussi l’intersection avec le territoire : « Les luttes paysannes et populaires dans lesquelles nous nous inscrivons en tant que femmes s’expriment de façon claire dans les territoires, le respect et les soins apportés à la Terre Mère ainsi que dans la défense de la biodiversité dont dépend l’équilibre de la nature ».

La communication rurale populaire est un élément clé dans la lutte des peuples. Elle accompagne, construit, diffuse et unit les luttes tout en enseignant à vivre selon d’autres modes. « À chaque rencontre de La Via Campesina, nous chantons, dansons, faisons des misticas et échangeons des informations d’une manière qui encourage non pas la concurrence entre les membres mais plutôt la complémentarité », conclut Elizabeth Mpofu.

Bulletin n° 44 – Éditorial

La communication au service de la souveraineté alimentaire : culture des peuples et éducation populaire

Illustration : Chille et Yemee, École d’agroécologie Amrita Bhoomi, Inde.

La souveraineté alimentaire, parmi les multiples idées qu’elle comprend, consiste à défendre la foultitude de diversités qu’abrite notre planète et à célébrer les millions de pratiques, goûts, cultures et coutumes qui sont les nôtres. Le rôle que jouent les cultures rurales populaires des personnes pratiquant l’agriculture paysanne, l’agriculture familiale, la pêche artisanale et issues de peuples autochtones est un pilier important de cette lutte pour la souveraineté alimentaire. Ces populations sont les dépositaires d’une tradition riche et variée de formes de communication orales et visuelles, que ce soit à travers le folklore, les contes et légendes, les proverbes et chansons, les peintures murales et bien d’autres. Ces différentes formes de communication servent aussi à se souvenir et à garder une trace des histoires de lutte et de survie humaines.

Or, aujourd’hui, cette diversité se trouve menacée. Tout comme le modèle agroindustriel impose une vision homogène et unique du système agroalimentaire mondial, l’ensemble « internationalo-industrio-médiatique » a lui aussi produit une forme centralisée et unique de communication du courant dominant. Aujourd’hui, une poignée de multinationales contrôle la plupart de ce que nous lisons ou regardons, ainsi que les façons dont les gens accèdent à l’information.

Malgré ces défis, les populations et communautés organisées, partout dans le monde, résistent à cette marginalisation de la culture des peuples. La présente édition du Bulletin Nyéléni parle des démarches de communication populaires et dirigées par les communautés, dans toute leur richesse et s’inspirant de la culture, du contexte ainsi que des symboles locaux. Ce bulletin explore le caractère central de ces approches en matière de pédagogie au sein des populations paysannes, d’agriculteurs familiaux, artisans pêcheurs et peuples autochtones, ainsi que leur aspect crucial concernant la formation politique et l’éducation populaire mais également comme élément essentiel dans notre lutte pour la souveraineté alimentaire.

Les Amis de la Terre International, Real World Radio et La Via Campesina

L’écho des campagnes

L’écho des campagnes 1

Travailleurs dans l’agriculture et l’alimentation

Extraits de Faire Entendre les Voix du Terrain pages 9-13    

Durant la pandémie, les autorités gouvernementales ont qualifié les travailleurs agricoles et du secteur alimentaire de « travailleurs essentiels », ce qui signifie qu’ils ont dû continuer à travailler dans des conditions dans lesquelles ils sont traité comme facilement remplaçables, les employeurs négligeant souvent de mettre en place des mesures de protection adéquates[1]. Le travail qu’ils font est essentiel ; leur santé et leur vie, il semble au contraire, ne le sont pas. C’est le cas des ouvriers des chaînes d’approvisionnement alimentaire qui participent à nourrir la planète – mais qui, paradoxalement, sont le moins à même de se nourrir eux-mêmes parce que leur salaire ou revenu est insuffisant pour assurer leur sécurité alimentaire par l’accès à une nourriture suffisante, saine et nourrissante.  Les risques sont élevés dans les industries alimentaires et agricoles en raison de faiblesses systémiques. 5% seulement des ouvriers agricoles bénéficient d’un système d’inspection du travail ou d’une protection légale de leur droit à la santé et à la sécurité. Les foyers de COVID-19 dans des usines de transformation de la viande à travers le monde donne la meilleure illustration des risques élevés et du prix payé par les ouvriers de la viande en assurant l’approvisionnement alimentaire des marchés, magasins, supermarchés, cantines, restaurants, cafés et bars. Des dizaines de milliers d’ouvriers dans les usines de transformation de la viande ont attrapé la maladie à cause d’une combinaison de facteurs : des mauvaises conditions de travail souvent majoritairement des travailleurs migrants, des conditions de travail et de santé et sécurité fréquemment insuffisantes et surpeuplées, et dans certain cas, des conditions d’habitation insalubres[2].  L’industrie mondiale de la transformation de la viande est contrôlée par un petit nombre de grandes multinationales avec un pouvoir important sur les ouvriers et les gouvernements. COVID-19 a mis en évidence comment les entreprises utilisent leur poids politique pour influencer les gouvernements[3]. Alors que des bénéfices colossaux sont réalisés et des dividendes sont payés aux actionnaires, la pandémie est utilisée pour geler les salaires et les avantages de la protection sociale.

Pour plus d’information: Le COVID-19 et ses répercussions sur l’agriculture et la sécurité alimentaire.

Instruments et outils de l’OIT en agriculture :

  • Convention sur l’inspection du travail (agriculture), 1969 (nº 129)
  • Convention sur le droit d’association (agriculture), 1921 (nº 11)
  • Convention sur les plantations, 1958 (nº 110)
  • Convention sur les organisations de travailleurs ruraux, 1975 (nº 141)
  • Convention sur la santé et la sécurité dans l’agriculture, 2001 (nº 184)
  • Recommandation sur les socles de protection sociale, 2012 (nº 202)
  • La sécurité et la santé dans l’agriculture. Recueil de directives pratiques, 2011

L’écho des campagnes 2

Paysans et petits exploitants familiaux

Extraits de Faire Entendre les Voix du Terrain pages 20-24

Les associations de paysans/petits agriculteurs familiaux soulignent que la pandémie a révélé l’insoutenabilité et les insuffisances du système alimentaire global contrôlé par des grandes entreprises, et les inégalités et faiblesses qu’il reproduit. Les mesures de confinement ont impacté de manière disproportionnée les paysans et leurs communautés et d’autant plus les pauvres et les classes ouvrières. Les Etats ont profité de la pandémie pour exercer un contrôle autoritaire plus étendu sur les populations. On a observé une croissance des cas d’expropriation des terres et des ressources en eau, des assassinats de leaders sociaux, ainsi que des violences domestiques à l’encontre des femmes. La pandémie a été utilisée comme une opportunité pour avancer des réformes néolibérales et pro-entreprises dans des pays de toutes les régions. Les fermetures de marchés locaux (fermiers, hebdomadaires,  marchés de village etc.) tout en gardant les supermarchés ouverts ont eu des effets désastreux sur les moyens de subsistance des petits producteurs, et n’ont pas étaient justifiées par les besoins de sécurité.

Paysans at agriculteurs familiaux ont été à l’origine de la mise en place d’initiatives et mécanismes pour les personnes et communautés vulnérables. Les associations de paysans ont organisé des campagnes de dissémination d’information sur la prévention de la contagion, ont appelé à des mesures pour protéger les ouvriers agricoles et du secteur alimentaire, et dénoncé les violences contre les leaders et les peuples, en particulier les femmes. Ils ont appelé à des changements radicaux des systèmes alimentaires pour davantage d’équité et durabilité, et des politiques publiques sociales adéquates et des mécanismes de protection des plus vulnérables. Celles-ci comprennent la production domestique d’aliments pour la consommation domestique ; des marchés territoriaux avec des chaines d’approvisionnement courtes et des liens efficaces entre zones rurales et urbaines ; l’agroécologie ; une régulation des prix en faveur des producteurs plutôt que des intermédiaires ; l’accès aux et le contrôle des ressources naturelles par les producteurs ; des aides aux fermes familiales et aux associations de femmes et des financements directs de leur organisations ; et des mesures financières adaptées y compris des taux d’intérêts bas à crédit.

L’écho des campagnes 3

Pecheurs

Extraits de Faire Entendre les Voix du Terrain pages 14-17

Des millions d’hommes et de femmes sont directement impliqués dans la pêche artisanale, y compris la transformation et la commercialisation du poisson et dépendent du poisson comme source saine et abordable de protéine. Les pécheurs rapportent que les confinements indiscriminés démontre une tendance préexistante à minimiser le rôle du poisson dans les systèmes alimentaires. En même temps, les mesures de distanciation sociale et la fermeture des marchés locaux ont empêché de nombreux petits pêcheurs d’aller pêcher. La stigmatisation en raison du virus des marchés de produits frais où le poisson est souvent commercialisé a aussi créé des problèmes. Les femmes représentent 80 à 90 % du secteur post-récolte et travaillent à proximité des installations de traitement et de vente au détail, ce qui les expose à un risque plus élevé de contracter le COVID-19. Dans les usines de transformation du monde entier, les femmes ont tendance à occuper des postes temporaires et moins bien rémunérés, n’ont pas accès aux protections sociales après avoir perdu leur emploi, sont plus susceptibles d’être licenciées et ne peuvent pas défendre leurs droits au travail. Beaucoup de pêcheurs migrants ont étés bloqués sur des bateaux ou dans les ports, incapables de rentrer chez eux, vivant dans des conditions de vie exiguës sans eau ni nourriture adéquates. Pendant ce temps, les bateaux-usines congélateurs, et ceux qui pratiquent la pêche industrielle pour produire de la farine de poisson sont autorisés à poursuivre leurs activités. D’autre part, il y a de nombreux exemples de communautés de pêcheurs qui ont contribué à remédier à l’insécurité alimentaire des populations dans leurs communautés. À Oaxaca, au Mexique, les pêcheurs locaux ont donné leur temps et utilisent leurs bateaux pour fournir chaque semaine 50 à 60 tonnes de produits de la mer gratuitement à leurs communautés . Dans le Kwazulu-Natal, en Afrique du Sud, ils se sont organisés pour fournir 100 colis de nourriture aux plus démunis.

L’écho des campagnes 4

Peuples Autochtones

Extraits de Faire Entendre les Voix du Terrain pages 17-19

Les associations de peuples autochtones ont rapporté que le COVID-19 a aggravé de nombreux problèmes structurels préexistants tels que le manque d’infrastructures de base : eau, électricité, routes non-goudronnées. Les effets sur la santé des populations autochtones en raison de la pollution engendrée par les mines situées sur leurs territoires exacerbent l’injustice, la discrimination, les inégalités, les violations du droit à l’alimentation et à la nutrition, du droit à la santé et d’autres droits de l’Homme qu’elles subissaient déjà. La perte de la biodiversité et des habitats où vivent de nombreuses populations autochtones génère les conditions nécessaires au développement de maladies infectieuses telles que l’actuel COVID-19.

Les principales activités des peuples autochtones – production agricole de subsistance, pêche à petite échelle, élevage et cueillette – ont été affectés par les mesures de confinement.

En certains endroits, une eau propre et des installations sanitaires simples ne sont pas disponibles dans les communautés, augmentant leur vulnérabilité. Face à cette situation, les peuples autochtones ont mis en place leurs propres initiatives de contrôle sanitaire, par le biais de pratiques ancestrales ou actuelles. Des jeunes voix autochtones témoignent : «  la pandémie a révélé les inégalités, la discrimination, la sectorisation, la division des classes et les fondamentalismes des sociétés dominantes envers les peuples autochtones ». De même, «on constate des actes de criminalisation lorsqu’ils défendent leurs droits. Ceci est également une pandémie ». En regardant vers l’avenir, les peuples autochtones sont clairs qu’ils continueront à promouvoir la souveraineté alimentaire, la souveraineté traditionnelle, garantir un logement décent, relancer leurs formes traditionnelles d’aide sanitaire, promouvoir des actions de protection des personnes âgées détentrices de savoirs traditionnels avec une approche anticoloniale et une responsabilisation. Ils doivent préserver les pratiques communautaires, les pratiques traditionnelles.

L’écho des campagnes 5

Pasteurs

Extraits de Faire Entendre les Voix du Terrain page 41

Les associations pastorales de 12 pays d’Afrique de l’Ouest ont noté que le COVID-19 a renforcé des crises multiples affectant des territoires déjà fortement touchés par l’insécurité qui règne dans la région depuis plusieurs années.

L’un des risques est la mort du bétail en raison de la limitation des déplacements et des migrations saisonnières. La migration saisonnière est une pratique développée pour faire face aux chocs. S’ils ne peuvent pas la pratiquer, l’ensemble de leurs mécanismes de résilience sera menacé et nous risquons d’assister à une récurrence de la famine entraînant un éclatement des familles et un exode massif vers les centres urbains.

On pourrait observer une recrudescence des conflits ruraux et une réduction significative de l’offre de protéines animales pour les populations locales.

D’autres pasteurs en Iran et en Mongolie font aussi face à l‘impact des mesures de confinement. Le report de la migration saisonnière pourrait entraîner une perte de poids et des maladies chez le bétail en raison de la hausse des températures dans les zones d’hivernage, ainsi que des dépenses supplémentaires pour l’achat d’aliments et d’eau. Les éleveurs ne peuvent plus vendre les matières premières, notamment la laine, le cachemire, ainsi que les produits carnés parce que les marchés locaux, les usines et les lieux touristiques sont fermés.

L’écho des campagnes 6

Urbains précaires en situation d’insécurité alimentaire

Extraits de Faire Entendre les Voix du Terrain page 25-29

L’incidence des infections par le virus COVID-19 est plus élevée dans les villes qu’ailleurs, où les inégalités socio-territoriales dans les zones urbaines contribuent de manière significative aux inégalités dans l’accès à une alimentation adéquate. Les consommateurs qui achètent leurs aliments dans les supermarchés ont vu leur approvisionnement gravement perturbé, en particulier au début de la pandémie du Covid-19. En outre, il a été constaté une augmentation de la consommation de produits industrialisés, de faible qualité nutritionnelle. L’un des programmes publics de sécurité alimentaire et nutritionnelle les plus pertinents, qui a été abandonné dans de nombreuses villes, est l’alimentation scolaire. Une enquête de la FAO montre que parmi les villes ayant répondu à une enquête électronique, 88% ont déclaré avoir suspendu l’offre de repas fournis aux élèves. En revanche, la livraison aux consommateurs dans le cadre de l’agriculture soutenue par la communauté (AMAP) a été autorisée unilatéralement dans tous les pays, même lorsque d’autres formes de vente directe ont été arrêtées, principalement parce que les aliments ne sont pas emballés et sont manipulés en toute sécurité par les producteurs.

L’écho des campagnes 7

Les femmes

Extraits de Genre, COVID-19 et systèmes alimentaires : impacts, réponses communautaires et revendications politiques féministes.

Nous pensons que le droit à l’alimentation, la sécurité alimentaire et la nutrition ainsi que la souveraineté alimentaire ne seront jamais réalisés sans assurer le plein respect, la protection et la réalisation des droits des femmes et le démantèlement des relations de pouvoir patriarcales, féodales et néolibérales.

Nous voulons aller au – delà de l’ objectif universellement accepté d’égalité entre les sexes et d’autonomisation des femmes, qui n’affirme pas explicitement la centralité des droits des femmes, la reconnaissance de notre autodétermination, de notre autonomie et de notre pouvoir de décision dans tous les aspects de notre vie et de notre corps, y compris la nourriture que nous produisons et consommons. Nous reconnaissons, à la lumière de cette pandémie, la nécessité de déconstruire le discours dominant sur les femmes qui sont très souvent présentées comme des victimes ayant besoin de politiques de lutte contre la pauvreté et d’aide sociale.

Nous considérons que le système alimentaire mondial actuel est construit sur la discrimination fondée sur le sexe et la violation des droits des femmes et qu’il perpétue ces pratiques. Afin de parvenir à une société juste et équitable dans laquelle les femmes peuvent pleinement jouir de leurs droits et de leur autodétermination, nous devons mettre au centre le modèle alternatif de consommation et de production fondé sur l’agroécologie et le paradigme de la souveraineté alimentaire.

Nous considérons que toute revendication politique doit être fondée sur des principes féministes clés tels que la justice, l’égalité et l’équité entre les genres, la non-discrimination et l’intersectionnalité, la participation et la reconnaissance.

L’écho des campagnes 8

La jeunesse

Extraits de La jeunesse exige une transformation radicale de nos systèmes alimentaires.

Le Covid-19 et les réponses des gouvernements ont des effets dévastateurs sur les jeunes et sur nos communautés dans le monde entier. Nous subissons les effets combinés d’une crise sanitaire aiguë, d’une crise alimentaire actuelle et imminente, et d’une crise climatique – qui sont toutes des conséquences de crises systémiques bien plus larges.

En cette période de crises multiples, les jeunes sont confrontés à plusieurs défis. Alors que les marchés échouent, que les écoles ferment et que les emplois disparaissent, nous voyons les opportunités disparaître et notre avenir s’effriter. Cependant, nous ne restons pas les bras croisés.

En tant que communauté de jeunes du monde entier, nous sommes actifs dans le développement de solutions aux défis auxquels nos communautés sont confrontées : nous nous organisons pour continuer à fournir une alimentation à nos communautés et à prendre soin des personnes âgées ainsi que de nos enfants ; nous réduisons la distance entre le producteur et le consommateur ; nous défendons les programmes d’alimentation scolaire et les marchés locaux ; nous reconstruisons les économies et les territoires ruraux, en veillant à ce que les jeunes puissent rester et revenir à la campagne ; nous prenons soin de la terre et la soignons en cultivant des aliments nourrissants grâce à l’agroécologie ; nous nous opposons à la violence domestique contre les femmes et les filles ainsi qu’au racisme, à l’homophobie, à la xénophobie et au patriarcat ; et nous défendons les droits des travailleurs et des migrants ainsi que les droits des populations rurales. Nous imaginons également de nouvelles façons d’organiser le monde : en envisageant des systèmes alimentaires sains, durables et dignes, et en prenant des mesures pour les réaliser.


[1] En Anglais.

[2] En Anglais.

[3] https://www.oxfam.org/fr/publications/covid-19-les-profits-de-la-crise

Encadres

Encadré 1

COVID- 19 souligne pourquoi les chaînes mondiales d’approvisionnement alimentaire contrôlées par des entreprises doivent disparaître

La pandémie du COVID-19 a montré la fragilité des chaînes mondiales d’approvisionnement alimentaire qui ont de manière croissante dominé la production et la distribution alimentaires autant dans le Nord que dans le Sud au niveau mondial.  La chaîne s’est déjà brisée dans l’un de ses maillons les plus critiques : le travail des migrants. Les travailleurs ont été victimes du COVID-19 du fait qu’ils n’avaient pas le matériel de protection de base , comme des masques, et qu’ils travaillent dans des conditions de surpeuplement qui se moquent des règles de distance sociale. Mais la chaîne d’approvisionnement mondial n’est pas seulement menacée par des problèmes au niveau de la production et de la transformation mais aussi par des goulets d’étranglement au niveau du transport et en particulier dans des centres comme Rosario, en Argentine, en raison de la peur des gens de ce que le transport de longue distance soit un transmetteur majeur du virus. La crise alimentaire mondiale de 2007-2008 aurait dû souligner la vulnérabilité des  chaînes d’approvisionnement mondiales contrôlées par des entreprises mais elles se sont étendues davantage.

Quels changements du système alimentaire mondial s’imposent à nous suite à cette débâcle du COVID -19 ? La mesure, sans doute la plus importante, est de rendre la production alimentaire dans les mains de systèmes durables de petits producteurs locaux. De plus, la production locale, moins intensive en carbone, est meilleure pour le climat que la production basée sur des chaînes d’approvisionnement.

Les technologies de l’agriculture paysanne traditionnelle et autochtone devraient être respectées car elles sont pleines de sagesse et représentent l’évolution d’un équilibre largement favorable entre la communauté et la biosphère. On dit qu’il ne faut pas rater l’occasion d’une bonne crise. Le bon côté de la crise du COVID-19 est l’opportunité qu’elle représente pour la souveraineté alimentaire.

Article complet.

Encadré 2

Relocalisation des systèmes alimentaires et agroécologie, les pistes à suivre

La crise du COVID-19 a démontré la résilience des systèmes alimentaires locaux et des filières courtes d’approvisionnement. Ceux-ci sont davantage capables d’innover en temps de crise tout en nourrissant les gens avec des aliments locaux et sains sans être dépendants d’un grand nombre de liens dans la chaîne d’approvisionnement.

Les initiatives les plus efficaces pour lutter contre les crises du COVID sont nées de diverses communautés locales organisées à différents niveaux, travaillant parfois avec des instances gouvernementales coopérantes et des autorités publiques.  Elles ont mobilisé et organisé la distribution de parcelles de terre, de repas cuisinés, livrés des biens essentiels, du matériel de protection sanitaire, des semences, des intrants de production et d’autres aides de subsistance pour les familles et les communautés vulnérables, dans leur propre pays tout comme dans d’autres pays et régions.

Dans chaque région, les fermes familiales, les pêcheurs, les organisations de consommateurs ont créé et renforcé des liens directs entre l’agriculture communautaire (AMAP), les pêcheries communautaires ainsi que des livraisons directes aux ménages, l’extension de coopératives alimentaires et les programmes sociaux. Là où c’était possible, les producteurs ont utilisé des plateformes en ligne pour vendre leur produit en direct. Des plans d’aide mutuelle comme les soupes populaires  jusqu’aux AMAP et cliniques communautaires ont aidé à pallier la faim et la pauvreté.

Les propositions les plus importantes pour un changement systémique exigées par ces communautés sont : l’agroécologie et la relocalisation des systèmes alimentaires – encourageant la production agroécologique-, l’économie sociale et la protection sociale, la vente en coopérative et les circuits courts d’approvisionnement, ainsi que l’assurance d’un environnement de travail sûr et le fonctionnement adéquat de marchés alimentaires territoriaux, de même que d’autres moyens de fournir des denrées alimentaires produites localement par de petits producteurs notamment via des marchés publics. 

Sous les feux de la rampe

Sous les feux de la rampe 1

Voix du terrain : Seule une transformation radicale du système alimentaire pourrait venir à bout du COVID-19

L’émergence, l’expansion et les impacts dévastateurs de la pandémie du COVID-19 accentuent les injustices systémiques existantes et évitables. La manière dont nous construisons, organisons et gouvernons nos systèmes alimentaires est déterminante et module ces injustices. Des décennies de politiques néolibérales, réduisant le rôle de l’état et privilégiant un système alimentaire de marché libre, ont conduit à ce démantèlement des politiques et des régulations publiques et ont donné la priorité à l’exportation de produits de base et aux profits des industries alimentaires au détriment des moyens de subsistance des petits producteurs, des systèmes alimentaires locaux et de la souveraineté alimentaire. COVID-19 est la plus récente d’une série de maladies contagieuses et de crises liées au système alimentaire industriel et ce ne sera pas la dernière.

Les plus affectés par la pandémie sont : les femmes, les jeunes, les réfugiés et les migrants, les travailleurs et les petits producteurs, les sans-terre, les urbains précaires en situation d’insécurité alimentaire et les autochtones. Beaucoup de gens n’ont pas pu se confiner car ils dépendent de salaires journaliers, sont sans réserves financières et n’ont pas de système de protection sociale ou d‘aide publique pour les soutenir en temps de crise. COVID-19 a mis en évidence combien la soi-disante compétitivité du modèle agricole industriel se construit sur une importante insécurité et l’exploitation des travailleurs, sur les bas salaires et les mauvaises conditions de travail ainsi que sur les risques environnementaux et de santé.

COVID-19 rend encore plus criante la nécessité de transformer le système alimentaire vers un système de souveraineté alimentaire, d’agroécologie, basé sur les droits humains et la justice. Cette crise ne peut pas se résoudre avec des mesures d’urgence et des plans de relance qui perpétuent le même système.

Or peu de gouvernements ont répondu en visant l’application des droits humains ou en se centrant sur les besoins des communautés marginalisées. Les politiques officielles et les soutiens financiers ont favorisé surtout les entreprises, les grands producteurs et les chaînes d’approvisionnement mondiales leur assurant ainsi le capital et la force de travail dont ils ont besoin pour poursuivre leurs activités. Les réponses gouvernementales ont été et continuent d’être le reflet des inégalités historiques, économiques et sociales dans et entre les pays. Aujourd’hui, les pays en développement sont confrontés à un nouveau spectre de fuite des capitaux, de prêts importants assortis de conditions entraînant une augmentation de la dette, et de politiques d’ajustement structurel imminentes.

Des rapports de terrain montrent que les réponses officielles reflètent le plus souvent des approches cloisonnées, sans préparation et coordination. Il y a également une coopération internationale insuffisante pour faire face aux facteurs qui ont conduit à l’émergence et l’expansion dévastatrice du COVID-19 ainsi que pour répondre adéquatement aux besoins à court terme et à la reprise à long terme.

De manière inquiétante, nombreux sont les gouvernements qui invoquent des mesures d’urgence – au nom du contrôle de la pandémie- qui leur permettent de contrôler presque tous les aspects de gouvernance et de sécurité sans contrôle démocratique. Ces pouvoirs ont été utilisés pour criminaliser la dissidence et pour imposer brutalement des confinements injustes. Bien que les gouvernements et les institutions mondiales parlent de “reconstruire en mieux”, leurs politiques montrent davantage de soutien aux grandes entreprises, favorisant la numérisation des entreprises et les nouvelles technologies. A l’opposé, les réponses communautaires ont mis en avant des valeurs de communauté, de solidarité, de résilience, de durabilité et de dignité humaine. Ces deux approches ne peuvent pas coexister. 

Les mouvements du terrain ont des demandes claires, basées sur les évidences de ce qui est nécessaire pour une Juste Relance après le COVID-19 :

1. Rompre avec les approches néolibérales du passé

2. Mettre en œuvre la Souveraineté Alimentaire

3. Réaffirmer la primauté de la sphère publique.

4. Renforcer la gouvernance alimentaire mondiale basée sur les droits humains.

Nous revendiquons un changement de paradigme qui donne aux systèmes alimentaires, le statut de biens communs pour le bien-être des populations et de la planète, qui soit basé sur l’importance des droits humains, qui mette la souveraineté alimentaire en pratique, reconnaisse la primauté des politiques publiques et renforce un modèle de gouvernance inclusif, démocratique, cohérent pour rendre effectif le droit à une nourriture adéquate pour tous, maintenant et dans le futur.

Sous les feux de la rampe 2

L’Agroécologie peut-elle arrêter le COVID- 21, 22, et 23?

Les agents pathogènes émergent de manière récurrente d’un système agroalimentaire mondial fondé sur les inégalités, l’exploitation du travail et cette sorte d’extractivisme débridé qui vole aux communautés leurs ressources naturelles et sociales. En réponse, certains représentants de l’industrie proposent d’intensifier davantage l’agriculture sous prétexte de préserver des zones “sauvages”, une approche qui, tout en soutenant le modèle de l’agrobusiness, entraîne une plus grande déforestation et la propagation de maladies. 

Ce type d’approche “land sparing” laisse de côté de nombreux paysans, autochtones et petits agriculteurs qui sont intégrés dans l’écosystème des forêts et produisent des aliments et des fibres pour un usage local et régional. De fait, la préservation des terres paysannes et autochtones maintient des niveaux élevés d’agro-biodiversité et de vie sauvage qui empêchent les agents pathogènes de se répandre.

Pandemic Research for the People (PReP) est une organisation de paysans, de membres de communautés et de chercheurs examinant comment l’agriculture pourrait être ré-imaginée pour stopper les coronavirus et en premier lieu, l’émergence d’autres agents pathogènes. Nous défendons l’agroécologie, une approche largement expérimentée, à la fois environnementale par rapport aux paysans, aux pauvres et aux autochtones, qui envisage l’agriculture comme partie de l’écologie grâce à qui l’humanité produit son alimentation. Une matrice agroécologique diversifiée de parcelles agricoles, d’agroforesterie, de pâturages toutes intégrées dans la forêt, peut conserver la diversité bioculturelle, rendant plus difficile pour les maladies zoonotiques  de passer la ligne des infections, de s’échapper et de voyager ensuite sur le réseau mondial. Cette diversité soutient également des conditions économiques et sociales des peuples qui cultivent la terre. 

Les agroécologies paysannes sont bien plus qu’une affaire de terres et d’alimentation, toutes importantes soient-elles. Elles permettent de stopper des pandémies et d’autres biens sociaux naissent de ce contexte global. Les agroécologies se basent sur des politiques pratiques qui placent l’organisation et le pouvoir dans les mains des travailleurs, des précaires, des autochtones, des personnes “racisées”.  Elles remplacent la dynamique des formes d’urbanisation et d’industrialisation agricole écologiquement (et épidémiologiquement) néfastes, opérant en faveur d’un capitalisme racial et patriarcal. Elles placent la planète et les gens avant les profits dont seuls quelques-uns profitent. 

Bulletin n° 43 – Éditorial

Souveraineté alimentaire en temps de pandémie

Ilustration: Travailleurs Agricoles – Cueilleurs de fruits et légumes – Portrait de Travailleurs Essentiels #6 par Carolyn Olson, carolynolson.ne

Au moment où l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) a déclaré le 30 janvier 2020 que le COVID19 était une urgence de santé publique au niveau international, personne ne s’imaginait l’amplitude des dommages que ferait cette maladie à travers le monde et combien de temps cela durerait. Au vu du parcours mortel que créait le COVID de pays en pays, il est devenu évident que les actions ou inactions gouvernementales tout comme le contexte politique, économique et social, étaient autant responsables que le virus, des impacts causés.

La pandémie du COVID-19 est loin de faiblir : les infections continuent de surgir dans de nombreux pays avec l’émergence de nouveaux variants plus contagieux du SARS-COV-2 virus. Les vaccins tant attendus ont commencé circuler mais pourraient bien être hors d’atteinte pour la majorité du monde pendant des mois ou même des années suite à une sorte d’”apartheid vaccinale”. Malgré la disponibilité limitée des vaccins -vu le temps nécessaire à la production et au testing -, beaucoup de pays riches ont acheté des stocks de vaccins suffisants pour immuniser leur population au moins deux fois; et ils soutiennent le contrôle de monopole des compagnies pharmaceutiques sur les vaccins via les droits de propriété intellectuelle légalement applicables dans l’Organisation Mondiale du Commerce .

Cette édition de la Nyéléni newsletter présente des extraits de documents et de recherches menées par des praticiens et des défenseurs de la souveraineté alimentaire, et en particulier, Faire Entendre les Voix du Terrain: de la pandémie COVID-19 à une transformation radicale de nos systèmes alimentaires, préparés par le Mécanisme de la Société Civile et les Peuples Autochtones pour les relations avec le Comité de Sécurité Alimentaire Mondiale. Les liens vers les rapports et les documents sont joints aux extraits.

Focus on the Global South et les Amis de la Terre International

L’écho des campagnes

L’écho des campagnes 1

Changement climatique et petits pêcheurs

Fatima Majeed, Pakistan Fisherfolk Forum, Ibrahim Haidery, Karachi, Pakistan 

Le changement climatique a eu de profondes conséquences sur nos vies de petits pêcheurs et pêcheuses. Il a perturbé la saison de la pêche, augmenté le niveau de la mer et réduit les ressources en poissons. Le nombre de petits pêcheurs a diminué, car ils ne peuvent plus subvenir à leurs besoins grâce à la pêche. Les femmes, en particulier, sont forcées d’accepter de travailler dans de petites usines afin de gagner un peu d’argent pour se nourrir et nourrir leur famille.  

Dans les familles de petits pêcheurs au Pakistan, la plupart des tâches ménagères sont assurées par les femmes : elles gèrent les dépenses du foyer, l’éducation des enfants, les joies et les peines de la famille. Les petits pêcheurs ne consomment pas le poisson qu’ils attrapent, il s’agit de leur source de revenus. Lorsque les captures sont faibles ou inexistantes, leur situation est pire que celle des travailleurs journaliers. La plupart des petits pêcheurs et de leurs familles n’ont pas accès à trois repas par jour. À chaque fois, presque toute la nourriture sur la table correspond à l’intégralité de ce qu’un pêcheur a pu ramener ce jour-là.  

À travers ses campagnes de sensibilisation, le Pakistan Fisherfolk Forum, membre du World Forum of Fisher Peoples (WFFP) et du Global Network for the Right to Food and Nutrition, revendique la formulation de politiques de pêche durables au niveau de chaque province, afin de pallier aux effets du changement climatique. Ce Forum exige également la suppression de plusieurs centrales au charbon et barrages au Pakistan, et réclame une production d’énergie renouvelable respectueuse du climat et qui corresponde aux besoins des communautés et des individus.  

L’écho des campagnes  2

He Kai kei aku ringa – De la nourriture produite de mes propres mains

Moko Morris, Te Waka Kai Ora Aotearoa, affiliations tribales à Te Ātiawa et Te Aitanga a Mahaki, Aotearoa, Nouvelle-Zélande

Inspiré par La Via Campesina, Te Waka Kai Ora Aotearoa (Autorité biologique nationale maorie d’Aotearoa) a développé un système indigène de certification pour les aliments produits en conformité avec les valeurs traditionnelles maories. Hua Parakore – c’est ainsi que s’appelle ce système de certification – signifie littéralement ” un produit pur” ou “kai atua” – les aliments donnés par les dieux. Hua Parakore fait référence à la profonde connexion que nous entretenons avec la nature et à notre manière de prendre soin de nos territoires, des écosystèmes et de la biodiversité. Nous espérons que bientôt, celui qui traversera notre pays pourra immédiatement apercevoir sur les Marae (maisons de réunion), sur les fermes, sur les écoles, sur les crèches, le logo proclamant notre attachement à une production alimentaire reposant sur des valeurs indigènes, parlant de notre histoire et renforçant la souveraineté alimentaire.

Un nouveau projet de loi déposé devant le Parlement entend mettre en place une unique norme nationale pour les produits biologiques. L’objectif de cette loi est de soutenir le secteur biologique, mais sans tenir aucunement compte de notre système, pourtant bien connu et respecté.

Aucune disposition de la loi ne prévoit d’endosser l’esprit du Te Tiriti o Waitangi (Traité de Waitangi), signé entre la couronne britannique et le peuple maori en 1840, et qui oblige le gouvernement de la Nouvelle-Zélande à respecter et à protéger les droits du peuple maori. Cette obligation englobe la protection des droits à nos taonga (trésors), c’est-à-dire, entre autres, nos territoires, ainsi que les Ngā Hua Māori (produits de la Nature) et les  Kai Atua (aliments donnés par les dieux). 

La loi actuelle renforce donc le projet colonialiste et méconnaît nos droits. Au lieu de reconnaître, de protéger et de promouvoir à Aotearoa/Nouvelle-Zélande les systèmes alimentaires indigènes qui nous ont permis de nous nourrir durant des siècles tout en respectant la nature, le gouvernement soutient un secteur alimentaire biologique guidé par des intérêts commerciaux et qui débouchera sur un paysage de monoculture. Nous demeurons attachés à notre droit à l’alimentation et à notre autodétermination. 

L’écho des campagnes 3

Reconnaissance juridique des systèmes fonciers coutumiers au Mali

Massa Koné, Convergence malienne contre l’accaparement des terres

La loi foncière malienne, dite Code domanial et foncier, reconnaît le principe des droits fonciers coutumiers des communautés, mais ces dispositions ne sont pas mises en œuvre en pratique. Les titres fonciers que les investisseurs maliens et internationaux acquièrent auprès des services de l’État à coups d’abus de pouvoir, de violence, etc., prennent le pas sur les droits fonciers coutumiers des communautés qui vivent sur les terres concernées depuis des décennies. Grâce à des années de mobilisation et de revendication populaires, le gouvernement malien a fini par approuver une nouvelle loi sur les terres agricoles (LFA) en 2017, suivis de deux décrets d’application en 2018. Alors que les cadres juridiques hérités de l’époque coloniale allouaient toutes les terres à l’État, la LFA reconnaît qu’il existe des terres agricoles appartenant aux communautés, ce qui constitue un précédent historique.

La sécurité et la gestion foncières des terres communautaires se trouvent maintenant entre les mains des communautés, à travers les “commissions foncières villageoises”, qui sont établies après débats et validation des assemblées villageoises. Ces commissions comportent au moins sept membres désignés, parmi lesquels des femmes, des jeunes et des représentants des différentes activités agricoles présentes dans le village. La terre ne se trouve donc plus entre les mains de quelques hommes, comme les chefs de village, les chefs de terre ou les chefs par lignage, qui en avaient jusqu’alors toute la responsabilité. En outre, les accords sur la gestion des terres et des ressources naturelles locales, qui sont les règles de base à respecter, sont transcrits et déposées collectivement auprès des autorités administratives et juridiques. Les commissions foncières ont trois fonctions principales : (1) gérer tous les problèmes liés au foncier ; (2) prévenir et gérer les conflits ; (3) établir un certificat de propriété des terres qui sera légalisé par les autorités et offrira le même degré de protection juridique qu’un titre de propriété foncière. 

La LFA créé donc un espace pour que les communautés gèrent elles-mêmes leurs ressources selon des droits collectifs et conformément aux règles définies par chaque communauté. Il s’agit d’une manière de protéger les populations rurales contre l’accaparement des terres et la spéculation foncière, et d’offrir la possibilité de développer la pratique de l’agroécologie. La lutte n’est cependant pas terminé. Les mouvements sociaux, les organisations paysannes et certaines organisations de la société civile soutiennent actuellement l’application de la loi, en particulier en accompagnant la création des commissions foncières villageoises en plaçant chaque communauté au centre du processus. En outre, le Code domanial et foncier est actuellement en cours de révision et une mobilisation permanente est nécessaire pour garantir qu’il le soit conformément à la LFA, à une période ou de nombreux acteurs entendent renverser la vapeur face aux avancées permises par la loi.

Encadres

Encadré 1

Vieille histoire, nouvelles menaces : la numérisation de la terre en Indonésie

Dans le monde entier, les technologies numériques sont de plus en plus appliquées à la gouvernance des territoires. Les tenants de la numérisation affirment que cela permettra de renforcer l’efficacité de l’administration foncière et de sécuriser le droit de propriété (voir le bulletin Nyéléni sur la numérisation). Imagerie satellite numérique, drones, bases de données électroniques et technologie de la blockchain sont utilisés pour cartographier, délimiter et enregistrer des terres, pour stocker des données relatives aux parcelles et pour faciliter leur transaction. Ces technologies sont souvent propulsées par de gros projets financés par des donateurs, dont l’objectif principal est de consolider la privatisation et la marchandisation des terres, ainsi que d’attirer les investissements des entreprises.

Le Programme pour l’accélération de la réforme agraire indonésienne (One Map Project), financé par la Banque mondiale, en est un bon exemple. Approuvé en 2018, ce programme de 240 millions de dollars se concentre sur une cartographie exhaustive des terres et des forêts, ainsi que sur le cadastre des terres et la délivrance de titres de propriété individuels. Les données et les cartes sont intégrées à un registre foncier et à un cadastre numérique, appelé e-Land. Selon la Banque mondiale, e-Land fournira des informations sur les droits de propriété, non seulement à destination du public et des agences gouvernementales, mais aussi pour les “banques commerciales, les facilitateurs du marché de l’immobilier et les experts fonciers.” Le projet se trouve donc dans la droite ligne des politiques menées par la Banque mondiale en Indonésie et ailleurs, et qui consistent à soutenir les marchés fonciers et à créer un environnement favorable aux affaires.

Les organisations paysannes, comme Serikat Petania Indonesia (SPI) font remarquer que ce projet ne résout pas le principal problème foncier de l’Indonésie, à savoir l’extrême concentration de la propriété foncière et l’absence de protection des droits coutumiers sur la forêt. Les communautés indigènes et paysannes sont souvent exclues des cartographies numériques officielles. Le SPI et des communautés locales produisent donc leurs propres cartographies à l’aide d’outils numériques, comme des GPS, afin de questionner la cartographie officielle et les revendications des entreprises sur la terre, et d’affirmer leurs droits. Plutôt que de soutenir la réforme agraire, le projet pose donc un nouveau problème aux communautés et aux organisations sociales : la bataille des données numériques.

Encadré 2

Une gestion de forêt communautaire pour favoriser la biodiversité et préserver le climat

La gestion de forêt communautaire est un outil extrêmement efficace pour la préservation des forêts. Les peuples indigènes et autres peuples de la forêt ont recours à la biodiversité ; ils se basent bien souvent sur des connaissances ancestrales et renforcent la biodiversité des forêts où ils vivent. La pratique du peuple des Ngobes, au sud du Costa Rica et dans le nord du Panama, en est un bon exemple : ils tressent des chapeaux et des chaussures de haute qualité avec de nombreuses variétés de fibres de palmiers et de lianes qu’ils récoltent dans la forêt. Une femme ngobe peut identifier des dizaines de plantes de la forêt qui lui serviront à fabriquer des produits tressés. Pour obtenir des paniers durables, les Ngobes utilisent des lianes “cucharilla” ; pour fabriquer rapidement des chapeaux rustiques, ils tressent des lianes “estrella” ; pour des chapeaux plus élaborés, ils collectent les fibres de trois ou quatre palmiers des sous-bois. Nous avons demandé à l’une de ces femmes s’il lui arrivait parfois de se trouver à court de lianes ou de palmes. “Jamais !” a-t-elle répondu. “Nous récoltons les lianes à la lune décroissante pour qu’elles ne sèchent pas lorsque nous les taillons. Nous ne récoltons que certaines feuilles des palmiers, seulement à la bonne phase lunaire, et pendant la saison des pluies nous accueillons un festival des lianes, auquel toute la communauté participe, avec les jeunes, pour récolter nos lianes dans la forêt.”

Les systèmes agroforestiers du peuple Bribri et d’autres peuples indigènes du Costa Rica sont de véritables jardins, qui comportent une riche diversité de haricots, de citrouilles, différentes variétés de banane plantain et de cacao, du maïs, du riz et de multiples espèces d’arbres qui régulent avec sagesse et précision la lumière éclairant l’ensemble. Il s’agit d’un impressionnant mélange de biodiversité et d’agroforesterie, qui intègre connaissances ancestrales et forêt primaire. Il n’est donc pas surprenant qu’une étude analysant plus de 500 expériences de gestion d’un “héritage commun” parvienne à la conclusion que “la plupart de ces groupes ont fait preuve de capacités essentielles pour améliorer le bien-être de la communauté et obtenir des résultats bénéfiques, non seulement en termes économiques, mais aussi en matière d’amélioration des ressources, comme les bassins, les forêts et pour la gestion des nuisibles.”

Pour davantage d’informations : Baltondao J. Y. Rojas I. 2008. Los Ngobes y el Bosque (Les Ngobes et la forêt). Asociación de Comunidades Ecologistas La Ceiba- Amigos de la Tierra.CR. 64 pp. www.coecoceiba.org (en espagnol uniquement)
Pretty J., 2003. Social Capital and the Collective Management of Resources (Capital social et gestion collective des ressources), Sciencie #302, Dic 2003, 1912-1913 (en anglais uniquement)

L’écho des campagnes

L’écho des campagnes 1

Les femmes dans la lutte pour la souveraineté alimentaire – Nous voulons continuer à jouer notre rôle : nourrir l’humanité

Extrait de l’entretien avec Francisca Rodriguez de Anamuri, CLOC-Via Campesina, Chile.

Les paysans du monde entier sont des gens, des communautés, des organisations et des familles d’une grande diversité. Nous représentons des cultures et des visions du monde différentes.

Les discussions et les débats sur la souveraineté alimentaire nous ont permis de reconnaître et de valoriser nos activités paysannes ; nous avons ainsi réaliés que les femmes ont joué un rôle essentiel dans le développement de l’agriculture et continuent à jouer un rôle clef dans la production de la nourriture et sa transformation.

Nous avons grandement mis en avant la question de l’agriculture et de l’agroécologie, non pas comme quelque chose de neuf en train d’émerger, mais comme une redécouverte des pratiques ancestrales mises au point depuis l’origine de l’agriculture et jusqu’à aujourd’hui.

Jamais dans l’histoire la campagne n’a été reconnue à sa juste valeur pour assurer la survie de l’humanité ; nous sommes les gardiennes de la terre, nous vivons là où se trouvent les ressources, et notre tâche est de lutter pour les préserver pour nous et pour les générations futures.

Nous sommes fières d’être ce que nous sommes, nous ne voulons pas migrer de force vers les villes ou à l’étranger, nous voulons continuer à remplir notre rôle fondamental : nourrir l’humanité grâce à notre travail, nos connaissances et nos biens naturels, en assurant que le droit à la nourriture est garanti à tous sans exception, et que l’on prend soin de Mère Terre qui nous nourrit.

L’écho des campagnes 2

Souveraineté alimentaire : défis et espoirs pour les communautés de pêcheurs

Ibu Zainab, membre de Solidaritas Perempuan Anging Mammiri – Sulawesi, Indonésie.

Le défi auquel font face les pêcheuses dans notre lutte pour la souveraineté alimentaire réside dans la manière dont les entreprises et les sociétés s’accaparent l’océan, source de nos vies. Ces sociétés nient notre droit d’accès à l’océan, polluent l’environnement côtier et déclenchent même des conflits au sein des communautés. Notre gouvernement n’a jamais écouté nos revendications, mais a plutôt pris parti pour ces sociétés.

En tant que femmes, notre identité comme pêcheuses n’est également pas reconnue et est souvent liée au rôle de nos maris pêcheurs. Je souhaite que le gouvernement protège notre droit à la nourriture et notre accès aux ressources maritimes de telle sorte que nous puissions pêcher et subvenir à nos besoins en tant que petites productrices alimentaires. Il doit exister une solution pour que le combat pour trouver un terrain d’entente entre les intérêts des entreprises, les programmes gouvernementaux et les droits des communautés ne marginalise pas les pêcheuses. Comme l’Indonésie est un archipel, les pêcheurs et pêcheuses sont les héros de la nation, ils et elles assurent un régime sain à la population (le poisson comme source principale de protéines) ; nos droits doivent être respectés, protégés et garantis.

L’écho des campagnes 3

L’importance des alliances pour la souveraineté alimentaire du point de vue de deux paysannes étatsuniennes

Comment l’organisation en alliances intersectorielles s’organise par rapport aux efforts globaux pour la souveraineté alimentaire ?
Patti Naylor, membre de l’USFSA (Alliance étatsunienne pour la souveraineté alimentaire) et du comité de coordination de la Société civile et des mécanismes autochtones pour l’Amérique du Nord.

En tant que paysanne, je constate en regardant autour de moi à quel point l’agriculture dominée par les entreprises ne soutient ni les communautés rurales, ni les modes de vie paysan, ni les sources de vie de la Terre Mère. Pas plus qu’elle ne produit d’aliments sains, faisant plutôt le choix d’une chaîne d’approvisionnement longue et complexe pour obtenir des aliments extrêmement transformés. La souveraineté alimentaire doit remplacer ce désastreux système. Rassembler nos organisations et construire notre force collective grâce à des alliances est actuellement indispensable, en cette période où l’agriculture industrielle gagne en rapidité et en puissance dans le monde entier et devient une force qui pourrait devenir inarrêtable. Le moment est critique. Les injustices du capitalisme, les conséquences du changement climatique et les perturbations des marchés territoriaux dues à la COVID-19 mettent les producteurs de nourriture dans des situations difficiles.

Tout comme à l’époque d’autres grands bouleversements passés, les fermier·e·s, les pêcheur·se·s, les paysan·ne·s et les travailleur·se·s ruraux·les qui ne peuvent pas survivre économiquement vont quitter leur ferme et leur communauté. La production d’aliments locaux et même la capacité à organiser une résistance s’en trouveront nettement diminuées. Les zones rurales seront dépeuplées à mesure que les personnes partiront vers la ville pour trouve du travail. Ces changements pourraient être irréversibles. Nous reconnaissons l’urgence de ces situations et nous devons donc continuer à élaborer des alliances solides, qui reposent sur des objectifs communs clairement définis, afin d’atteindre la souveraineté alimentaire pour tous.

Pouvez-vous nous en dire plus sur l’Alliance étatsunienne pour la souveraineté alimentaire ?
Jennifer Taylor, coordinatrice nationale de l’Alliance étatsunienne pour la souveraineté alimentaire (USFSA).

Dans la lignée de la déclaration de du Forum Nyéléni de 2007 pour la souveraineté alimentaire, l’USFSA comptent parmi ses membres des familles de paysan·ne·s, des pêcheur·se·s, des rancher·use·s, des travailleur·se·s agricoles, des femmes, des jeunes, des travailleur·se·s urbain·e·s et ruraux·les, des consommateurs, etc., qui considèrent que l’alimentation est indispensable à l’humanité et qu’une nourriture saine et culturellement appropriée, produite grâce aux méthodes écologiques saines et durables des systèmes d’exploitation agroécologique sont à la base de systèmes alimentaires et d’environnements sains, et que l’agroécologie est pleine d’avantages : qu’il faut mettre en place des actions pour la souveraineté alimentaire.

L’USFSA considère que le droit à l’alimentation est un droit fondamental ; en tant que petite fermière BIPOC (pour “black, Indigenous and people of color”, c’est-à-dire “noirs, Autochtones et personnes de couleur”) qui pratique l’agroécologie et l’agriculture biologique, promotrice du bien-être et de la qualité de la vie, je voudrais mettre l’accent sur notre droit fondamental de l’accès à des aliments nutritifs de qualité. Il s’agit également de soutenir des exploitations bien portantes et des environnements sains pour les communautés, et de renforcer les communautés. Il s’agit là d’un droit à une souveraineté alimentaire locale et mondiale de qualité, qui inclue les populations paysannes défavorisées, les paysan·ne·s noir·e·s et autochtones et les paysan·ne·s de couleur et leur communauté. Ce droit est fondamental pour renforcer de manière participative les capacités des petit·e·s paysan·ne·s qui pratiquent l’agroécologie et l’agriculture biologique et celles de leur communauté, et pour obtenir des systèmes alimentaires sains au niveau local comme au niveau mondial. L’USFSA soutient des stratégie de renforcement participatif des capacités qui promeuvent le bien-être, les modes de vie et les capacités des paysan·ne·s noir·e·s, autochtones et de couleur et leur communauté aux niveaux local et mondial.

L’écho des campagnes 4

L’agroécologie n’est pas simplement un ensemble de pratique, mais un mode de vie

Anuka Desilva, MONLAR/ LVC, Sri Lanka.

L’agroécologie n’est pas simplement un ensemble de pratique, mais un mode de vie. C’est tout autant une question de nourrir nos sols, nos champs, que de solidarité entre les personnes. Sans solidarité entre les personnes, il n’y a pas d’agroécologie.

Au Sri Lanka, le jeune collectif des paysans de Dikkubura à Ahangama (district de Galle) a assisté à des sessions de formation agroécologique, rencontré des paysans d’autres régions, étudié et débattu de questions qui ne concernent pas uniquement les pratiques dans les champs, mais aussi des questions de politique alimentaire en général.

Grâce à différentes sessions de formation, notre collectif a appris et échangé des informations sur la préparation du beejamrutha,du jeevamrutha, du ghana jeevamrutha, de l’agniastra et d’autres préparations utilisées dans l’agriculture naturelle. Nous avons également été formés en horticulture sur terrains secs et à différentes techniques de greffe en horticulture. Il a également été question de différentes techniques de conservation des semences. Voilà pour les aspects pratiques ; mais nous ne nous sommes pas arrêtés là. Nous avons également étudié les dynamiques du système alimentaire mondial, à présent concentré entre les mains des entreprises transnationales. Nous avons analysé les incidences des accords de libre-échange sur l’autonomie de la production et de la consommation locales. Nous avons étudié les inégalités de genre et de caste en lien avec la propriété de la terre en Asie du sud, et bien plus. Les sessions de formation conjuguent donc souvent aspects pratiques et politiques de la paysannerie.

L’agroécologie se trouve en son centre, puisqu’elle offre aux gens l’autonomie nécessaire pour concevoir leurs systèmes alimentaires en fonction des ressources locales et du travail local. C’est un système qui nous permet de produire de la nourriture en harmonie avec la nature, et de donner avant tout la priorité à la souveraineté alimentaire de la communauté locale.

Si nous ne sommes pas clairs à ce niveau, il ne suffira pas d’un éventail de pratiques durables pour faire avancer l’agroécologie. Et les sessions de formation qui se tiennent grâce à LVC concernent les aspects pratiques et les aspects politiques de l’agroécologie afin d’en faire un instrument qui permette d’atteindre la souveraineté alimentaire.

L’écho des campagnes 5

Souveraineté alimentaire : défis et espoirs pour les communautés pastorales

Fernando Garcia, Campo Adentro, Réseau européen des bergers – WAMIP, Espagne.

En avril, alors que la crise de la COVID-19 était à son apogée, différents représentants de mouvements sociaux du mouvement pour la souveraineté alimentaire ont écrit une lettre intitulée “COVID-19 – Les producteurs alimentaires à petite échelle sont solidaires et se battront pour offrir une alimentation saine à tous.”(https://www.foodsovereignty.org/fr/covid-19/).

Nous pouvons difficilement envisager les retombées qu’aura cette crise.
D’un côté, se fait jour une inquiétude croissante en ce qui concerne l’absence de viabilité de nos modèles alimentaires, et en particulier le danger que représentent les systèmes d’élevage intensifs et les fermes-usines, liés à des perturbations de l’écosystème dues à l’expansion de l’agrobusiness industriel (comme la déforestation pour laisser la place à des plantations de palmiers à huile).

D’un autre côté, le changement climatique est plus présent que jamais, et l’importance des producteurs alimentaires à petite échelle n’a jamais été plus criante. La crise est une sorte de “test de stress”, comme disent les économistes, pour l’ensemble d’un système alimentaire qui alimente une population urbaine en pleine expansion et repose sur des transports et une circulation mondialisés. Peut-être que certaines des tendances que nous avons observées jusqu’à présent pourraient changer.

La crise frappe probablement plus durement les petites entreprises (comme les commerces de proximité et les restaurants), qui sont en général plus étroitement liés aux petits producteurs. Certains acteurs – le commerce électronique en tête – peuvent promouvoir une numérisation encore plus rapide des systèmes alimentaires téléguidés par les intérêts des entreprises et par leur profit.

Les pastoralistes d’Europe et du monde entier envisagent ce scénario avec beaucoup d’inquiétude, mais aussi avec une forme de confiance qui accompagne la certitude d’être un rouage vital de la solution. Nous espérons que les mouvements écologistes ne simplifieront pas le slogan “la viande, c’est fini” en imposant une version urbaine, occidentale et ethnocentrée, du véganisme mais qu’ils promouvront plutôt une consommation responsable de produits animaux de qualité, sains et locaux, issus des systèmes pastoralistes.

Les organisations locales, liées par une nouvelle Alliance mondiale des peuples autochtones transhumants (WAMIP ), sont à présent actifs dans différents espaces et travaillent à faire le lien entre les discussions sur l’agroécologie et sur la souveraineté alimentaire (nées dans le berceau des luttes paysannes) et les particularités du pastoralisme. Ensemble, nous avons rédigé et accepté la Déclaration des droits des paysans – et des pastoralistes, et nous devons nous assurer que de véritables espaces de participation et de reconnaissance mettent les pastoralistes au premier plan – comme la Plateforme des connaissances pastorales de la FAO, ou les initiatives du Programme mondial pour un élevage durable et du Partenariat pour l’évaluation et la performance environnementales de l’élevage. Nous avons travaillé à ce que le comité sur l’agriculture de la FAO transmette notre proposition de célébrer 2026 comme l’année internationale des pâturages et des pastoralistes, et qu’elle fasse confiance Comité international de planification pour la souveraineté alimentaire et à d’autres initiatives de la société civile.

Le plus difficile est de rester sur le qui-vive en dépit des distances et de prendre le temps de consolider des alliances, en plus du travail quotidien… mais si nous ne le faisons pas, les politiques anti-pastoralistes et les intérêts économiques mettront en danger notre mode de vie et menaceront les territoires et les paysages que nous préservons grâce à nos animaux.

L’écho des campagnes 6

Les fruits de la souveraineté alimentaire – jeunesse organisée

David Otieno, Jeunesse de la ligue des paysans kényans / LVC, Kénya.

La souveraineté alimentaire correspond à la prise de contrôle totale, par les producteurs et les consommateurs de nourriture, du processus de production de nourriture, c’est-à-dire des graines, de la terre, des marchés, des intrants et de la distribution. Nous, la jeunesse, sommes indispensables à la réalisation de la souveraineté alimentaire. Notre plus grande force repose dans notre capacité collective à vivre et à construire un monde plus équitable.

Au sein de LCV, nous nous sommes organisés grâce à des formations pour créer des groupes de jeunes qui luttent pour corriger un système alimentaire global défaillant, qui repose sur un agrobusiness responsable du changement climatique. Nous, la jeunesse, nous sommes ainsi organisés pour placer les membres de LVC qui produisent, distribuent et consomment de la nourriture au centre du système et des politiques alimentaires, en lieu et place des demandes du marché et des exigences des entreprises, comme le fait l’agrobusiness.

En Afrique, au sein de LCV d’Afrique du sud et de l’est, notre organisation de jeunes s’est trouvée au premier rang pour réclamer des terres en friche afin d’y produire de la nourriture. En Afrique du Sud par exemple, des jeunes, membres de la Campagne pour la souveraineté alimentaire et du Mouvement des sans-terre, eux-mêmes membres de LVC, se sont engagés dans une campagne d’occupation qui visait à transformer des terrains en friche en des terres pour la production alimentaire.

Au Kenya, au sein du collectif de la jeunesse de la Ligue des paysans kenyans, nous nous engageons veiller à ce que les graines et la nourriture soient distribuées aux membres et aux personnes fragiles qui se trouvent en situation de précarité à cause de la pandémie de la COVID-19. Nous aidons également des membres plus âgés à labourer et à planter leurs champs, et nous tenons un suivi des graines parmi les membres, pour en faciliter la répartition.

Les groupes de jeune du Mouvement des sans terre se sont également investis dans des processus de reconstruction, en particulier après le cyclone Idai qui a touché une bonne partie de l’Afrique du Sud ; ils et elles se sont également impliqués dans des initiatives de solidarité pendant la pandémie de coronavirus.

En repensant au Forum de Nyéléni pour la souveraineté alimentaire qui s’est tenu en 2007 dans un petit village malien, on se rend compte que la souveraineté alimentaire et la jeunesse sont étroitement liées : la lutte pour la souveraineté alimentaire aide les jeunes à s’organiser, et les jeunes en retour soutiennent la lutte pour la souveraineté alimentaire.

Encadres

Encadré 1

Pourquoi le bulletin Nyéléni a-t-il été créé ?

Le Forum international sur la souveraineté alimentaire – Nyéléni, tenu au Mali en 2007, a rassemblé plus de 500 représentants d’organisations/de mouvements de petits producteurs, de consommateurs et d’organisations de la société civile de l’alimentation, tous impliqués dans le renforcement et le développement de la souveraineté alimentaire, du niveau local au niveau mondial. Pendant ce Forum, les participants de 80 pays ont partagé connaissances, visions, stratégies et pratiques adoptées pour transformer leurs communautés, leurs sociétés et leurs économies selon les principes de la souveraineté alimentaire. Ces discussions ont révélé la richesse des connaissances créées en continu par les praticiens de la souveraineté alimentaire lorsqu’ils étaient confrontés aux défis sociaux, économiques, environnementaux et politiques. Elles ont également fait ressortir le rôle central et l’urgence de la souveraineté alimentaire en tant que plateforme pour construire des alliances et des stratégies de résistance au néolibéralisme, au capitalisme mondial, à l’autoritarisme et à toutes les formes d’injustice, d’inégalité et de violence. Les participants se sont engagés à promouvoir une solidarité, une unité et une cause commune au sein et entre mouvements, circonscriptions, genres, cultures et régions en renforçant la communication, l’éducation politique, la sensibilisation et l’apprentissage par les pairs.

Le bulletin Nyéléni a été créé pour répondre à ces engagements : donner la voix aux priorités, préoccupations, expériences et savoirs du mouvement pour la souveraineté alimentaire et favoriser le dialogue entre secteurs/acteurs. Le bulletin a été conçu comme un outil d’information et d’éducation pour contextualiser et expliquer des problèmes complexes aux acteurs du mouvement – plus particulièrement ceux sur le terrain et en première ligne – et pour faire part de leurs expériences aux acteurs de premier plan. Le bulletin est édité 4 fois par an en anglais, espagnol et français et est partagé dans le monde entier sur les réseaux sociaux et par les médias classiques.

Les sujets abordés dans chaque numéro du bulletin sont arrêtés par les membres du mouvement et les articles sont écrits dans des styles et des longueurs faciles à comprendre et à traduire. Tandis que des chercheurs/universitaires sont invités à présenter des analyses, chaque bulletin contient des témoignages d’acteurs du terrain et des informations sur les luttes, initiatives et documents de sensibilisation de mouvements du monde entier. La finalité du bulletin était et demeure de promouvoir une formation des gens impliqués dans la construction et la pratique de la souveraineté alimentaire.

Encadré 2

Canción – La Cumbia del Campesinx

La cumbia del agronegocio, la bailan los asesinos,
La cumbia del agronegocio, la bailan los asesinos,
El pueblo nunca la baila, unidos, jamás vencidos,
El pueblo nunca la baila, unidos, jamás vencidos!

La cumbia del campesino, la baila el pueblo unido,
La cumbia del campesino, la baila el pueblo unido,
Esa sí que la bailamos, porque estamos convencidos,
Esa sí que la bailamos, porque estamos convencidos,

¡Soberanía Alimentaria, queremos Reforma Agraria!
¡Soberanía Alimentaria, queremos Reforma Agraria!

¡Pasito por aquí, pasito por acá, queremos la Reforma Agraria Integral!
¡Pasito por aquí, pasito por acá, queremos la Reforma Agraria Integral!

Chanson – La cumbia des paysan.ne.s

La cumbia de l’agrobusiness, les meurtriers la danse,
La cumbia de l’agrobusiness, les meurtriers la danse,
Le peuple ne la danse jamais, uni, jamais vaincu,
Le peuple ne la danse jamais, uni, jamais vaincu !

La cumbia des paysans, le peuple la danse uni,
La cumbia des paysans, le peuple la danse uni,
Nous la dansons avec notre détermination,
Nous la dansons avec notre détermination,

Souveraineté alimentaire, nous voulons une réforme agraire !
Souveraineté alimentaire, nous voulons une réforme agraire !

Un pas de côté, un pas de l’autre, nous voulons une réforme agraire totale !
Un pas de côté, un pas de l’autre, nous voulons une réforme agraire totale !