Sous les feux de la rampe

Sous les feux de la rampe 1

Campagne mondiale « Semences paysannes : patrimoine des peuples au service de l’humanité », un moyen de promouvoir la souveraineté alimentaire

Les semences paysannes sont le patrimoine des peuples au service de l’humanité. Les semences représentent la vie, la base de la production alimentaire mondiale, elles sont essentielles afin que les paysans produisent une alimentation saine correspondant à leur culture et cruciales pour les consommateurs et les citoyens qui recherchent une alimentation saine et variée. Les semences font partie de la culture paysanne, elles sont notre héritage, elles nous permettent de résister, de maintenir notre sagesse ancestrale et de défendre notre identité paysanne.

Cependant, sous couvert d’« amélioration » de la productivité des semences, les industries agroalimentaires ont créé un système semencier néolibéral qui a homogénéisé, appauvri et monopolisé les semences, causant ainsi la perte des trois quarts de la diversité des semences et annihilant une diversité que les peuples – grâce au travail des paysans – avaient mis 10 000 années à créer.

Trois sociétés Monsanto-Bayer, Syngenta-ChemChina et Dupont-Dow, contrôlent plus de 50% des semences commerciales du monde – il s’agit, de plus en plus, de semences génétiquement modifiées pour résister aux herbicides et produire des insecticides. Sous l’impulsion de l’OMC (Organisation mondiale du Commerce), la Banque mondiale et le FMI (Fonds monétaire international) et par le biais d’accords de libre-échange et de législations semencières protégeant les droits des obtenteurs telles que l’UPOV (Union pour la Protection des Obtentions végétales), ce système semencier permet uniquement la circulation de ses propres semences, et criminalise la sauvegarde, l’échange, l’utilisation, le don et la vente des semences paysannes locales. La situation est telle que les paysans ont perdu le contrôle sur les semences locales, qu’ils sont criminalisés quand ils utilisent et échangent leurs semences du patrimoine et sont fréquemment sujets à des rafles et à des confiscations de leurs semences. La biodiversité est menacée par l’utilisation d’engrais chimiques, de semences hybrides et d’organismes génétiquement modifiés – y compris les conséquences des nouvelles techniques d’obtention- développés par les sociétés multinationales. Les citoyens n’ont accès à une alimentation saine, variée et appropriée à leur culture, qu’avec difficulté.

La Via Campesina et ses alliés luttent pour changer cette situation. Dans le cadre de sa campagne mondiale « Semences paysannes : patrimoine des peuples au service de l’humanité » lancée à Rome en 2001, La Via Campesina et ses organisations membres ont réalisé des formations, des campagnes d’éducation, de soutien mutuel et d’échange de semences. Le mouvement paysan continue à lutter pour que les législations nationales et les traités internationaux garantissent le droit des paysans à sauvegarder, utiliser, échanger, vendre et protéger leurs semences contre le bio-piratage et la contamination génétique ; nous écrivons des livres sur l’histoire des semences, nous effectuons des études et des cartographies. Le réseau mondial d’écoles agroécologiques de La Via Campesina organise également des foires d’échange de semences. La campagne mondiale promeut ainsi la récupération des systèmes traditionnels pour la préservation, le maintien et l’échange des semences locales et le droit collectif inaliénable des paysans sur leurs semences.

Le 16 octobre 2018, lors de la Journée internationale d’action pour la souveraineté alimentaire des peuples et contre les multinationales, La Via Campesina a intensifié sa campagne en appelant à une action coordonnée nommée « Adoptez une semence[[Pour de plus amples informations se référer à l’encadré 1 de ce document.]] » . Le mouvement en appelle à chaque paysan/ne, chaque famille paysanne ou communauté pour qu’ils s’engagent à adopter une variété de plante, à devenir le gardien de cette semence, à en assurer sa propagation, reproduction et distribution et à s’engager dans la défense collective de leurs droits à les utiliser, échanger, vendre et protéger. Jusqu’à présent, des paysans du Brésil, de la Palestine, du Paraguay, de l’Inde, de Thaïlande, du Zimbabwe, de la Corée du Sud, de l’Indonésie du Canada et de plusieurs autres pays.se sont engagés dans la préservation de variétés natives et dans la formation d’autres paysans aux techniques agroécologiques – par des actions directes et des foires de semences.

Sans semences, il n’y a pas d’agriculture, sans agriculture, il n’y a pas d’alimentation, et sans alimentation il n’y a pas de peuple !

Sous les feux de la rampe 2

L’action « Adoptez une semence » parcourir le monde et les territoires

Les semences paysannes sont un patrimoine des peuples au service de l’humanité. C’est une position du mouvement paysan international et aussi le nom de la campagne lancée par La Via Campesina pour défendre et préserver les semences paysannes. Dans le cadre de cette campagne, La Via Campesina a lancé plusieurs fois et dans plusieurs régions du monde l’action « Adoptez une semence » appelant les paysans et les familles paysannes à échanger et multiplier des semences paysannes.

Lors de la journée internationale d’action pour la souveraineté alimentaire, le 16 octobre 2018, La Via Campesina a lancé un appel à ses organisations membres et alliées et à toutes les familles paysannes, afin de participer à l’action « adoptez une semence » (pour plus d’informations à ce sujet, lisez l’encadré 1). La première expérience était au Brésil et son organisation membre le Mouvement des Petits Agriculteurs (MPA).

L’échange mondial a été organisé au Brésil du 29 août au 4 septembre 2018, où une délégation de LVC a parcouru 1700 km à la visite de familles paysannes. Les délégués, venus de Corée, Costa Rica, Palestine, Suisse et du Zimbabwe, représentent des organisations qui sont déjà impliquées dans la conservation des semences au niveau de leurs pays. Lors de cet échange international, les délégués de LVC ont vu de près l’expérience du MPA (mouvement des petits agriculteurs) dans les états de Sergipe et de Bahia au nord-est du brésil, et le système de « maisons de semences » construites pour stocker les semences des communautés paysannes, chapeautés par une « maison mère des semences » qui stocke toutes les semences du territoire et sert également de lieu de production agricole et de formation. L’échange a été aussi l’occasion de débat et d’information sur les lois semencières, sur les pratiques agroécologiques et des expressions de la culture et l’art rural.

Ce 16 octobre 2019, qui est, rappelons le journée internationale de lutte pour la souveraineté alimentaire des peuples a encore été l’occasion d’un échange international de semences paysannes organisé en Palestine par l’Union des Comités d’Action Agricole (UAWC) et La Via Campesina. Des paysans venus des quatre coins du monde ont participé à l’échange : Honduras, Brézil, Puerto Rico, République Dominicaine, Afrique du Sud, Colombie, Pays Basque, Mozambique, Allemagne et Etats-Unis. L’UAWC est forte d’une grande expérience en matière de préservation des semences paysannes, et a créé sa première maison de semences il y a 17 ans à Hebron. La maison a pu sauver certaines variétés de l’extinction et défier l’occupation israélienne qui imposait des semences hybrides commercialisées par Bayer-Monsanto. Toutes les semences de la banque de l’UAWC proviennent des paysans, et passent un processus de vérification qui dure deux ans dans un laboratoire interne avant d’être redistribuées aux paysans (pour plus d’informations à ce sujet, lisez l’écho des campagnes 1).

Le prochain échange international de semences de La Via Campesina aura lieu en Corée en 2020. Des foires d’échange de semences sont organisées dans plusieurs régions du monde par les membres et les alliés du mouvement. L’action « adopte une semence » est un acte de solidarité, de résistance et de mysticisme qui doit être généralisé partout dans le monde, pour préserver les semences paysannes, base de notre agriculture et de notre vie.

Encadres

Encadré 1

Violence et capitalisme

La violence et le capitalisme ne sont pas étrangers l’un à l’autre, ils sont même jumeaux. Les conditions nécessaires à l’émergence du capitalisme aux XVe et XVIe siècles reposaient sur l’expulsion violente des paysan.ne.sdes terres communales en Europe ainsi que sur le pillage, le génocide et l’esclavage colonial dans l’hémisphère sud. Ce mélange toxique a produit ce que Marx appelle « l’accumulation primitive » de la richesse, qui a elle-même engendré le capitalisme.

De nos jours, à travers ce qui a été décrit comme « l’accumulation par la spoliation », la quête du profit à l’échelle mondiale voit un déploiement de la force dans le but de transformer en marchandises les terres et les ressources détenues en commun et qui pendant longtemps ont résisté au processus. Qu’il s’agisse des peuples autochtones en Amazonie, des petits exploitants agricoles au Honduras, des Massaïs protégeant leurs terres contre l’accaparement promu par le gouvernement dans le Serengeti, en Tanzanie, ou des millions d’Adivasis, ou peuples tribaux, qui défendent les forêts en Inde, l’alliance funeste entre l’expansion capitaliste et l’action de l’État conduit au déplacement de millions de personnes.

Le recours marqué à la force ne se produit pas uniquement lorsque le capitalisme s’étend et qu’il faut chasser les petits exploitants et les peuples autochtones se trouvant sur son chemin. Quand les populations ont la possibilité de faire appel à des institutions démocratiques pour obtenir des réformes de façon pacifique, les élites capitalistes et étatiques emploient souvent des méthodes sortant du cadre constitutionnel pour renverser le processus et préserver leur hégémonie économique et politique. S’en suit souvent un massacre, comme en Indonésie en 1965 et 1966, lorsque les efforts en faveur de la réforme agraire et d’une évolution parlementaire pacifique poussèrent les élites, dirigées par les militaires, à massacrer entre 500 000 et 1 million de personnes. Au Chili, dans les années 1970, les militaires noyèrent dans le sang la voie pacifique choisie par l’Unité populaire en tuant des milliers de personnes. Dans ces deux pays, même si la violence était tout aussi terrible dans les zones urbaines que rurales, elle était singulièrement brutale dans les campagnes et, ce, particulièrement à l’encontre des Indiens mapuches qui défendaient leurs terres communales au Chili.

Aujourd’hui, l’expansion capitaliste, la marchandisation et la préservation des systèmes d’hégémonie politique capitaliste s’associent pour promouvoir une nouvelle vague de violence mondiale. Aux Philippines, les consommateurs de drogues sont désignés comme boucs émissaires responsables des problèmes frappant le pays, lesquels découlent de l’alliance entre économie néolibérale et inégalités agraires extrêmes. Environ 27 000 d’entre eux ont ainsi été soumis à des exécutions extra-judiciaires au cours des trois ans et demi depuis l’arrivée au pouvoir du gouvernement Duterte. En Inde, les Musulmans ont été désignés « ennemis » de la « civilisation hindoue » par le BJP, scellant ainsi l’union entre économie néolibérale et nationalisme hindou et donnant lieu à des actes de violence collective contre les Musulmans, y compris de macabres affaires de lynchage.

Il est malheureux que de larges pans des classes moyennes aient adhéré à la rhétorique et l’idéologie du bouc émissaire promues par les forces de droite. Ce soutien de la classe moyenne, et même de la classe ouvrière, en faveur des forces racistes de droite s’accroît également dans l’hémisphère nord, où il cible les migrants, considérés comme responsables de la destruction des emplois, des inégalités et de la pauvreté qu’engendre la mondialisation menée par les entreprises. Le danger est que ce ressentiment des masses à l’encontre des migrants soit transformé par des démagogues tels que Donald Trump, les partisans du Brexit, Marine Le Pen en France ou Viktor Orban en Hongrie, en des mouvements similaires à ceux du fascisme traditionnel qui ont ravagé l’Europe dans les années 1930.

Plus que jamais, les exigences de justice et de paix nécessitent la création d’un front le plus large possible pour se dresser contre la violence capitaliste et fasciste.

Encadré 2

Contre le conservatisme : nous résistons pour vivre, nous marchons pour transformer !

Le conservatisme est essentiel à la montée de l’extrême-droite. Sa progression, au sein des gouvernements autoritaires du monde entier, joue sur l’idéal de la famille hétéro-patriarcale pour renforcer la division sexuelle du travail et la responsabilité des femmes dans le travail de reproduction de la vie. Les forces de l’extrême-droite s’en prennent au droit à l’avortement, persécutent les sexualités dissidentes, encouragent la violence et le harcèlement à l’encontre des femmes, institutionnalisent le racisme. Il s’agit d’un programme antiféministe qui, dans certains pays et territoires, est associé au discours contre l’Occident. Dans d’autres régions, il qualifie de « désordres » les actions menées par les femmes organisées au sein des mouvements de base. Ensemble, ces régimes exercent une violence brutale contre les femmes qui dirigent des processus de résistance.

Le capitalisme avance en piétinant le corps des femmes, leur travail et la nature, tout en renforçant le pouvoir des entreprises et en étendant la militarisation. Dans de nombreuses parties du monde, les femmes se trouvent au premier rang de la résistance. Elles ont prouvé leur grande capacité de mobilisation : le défi consiste à amplifier l’organisation permanente et populaire. Pour le relever, il faut lutter contre le capitalisme autoritaire et construire des processus capables de réorganiser l’économie, en plaçant au centre la durabilité de la vie. Et opposer au nationalisme notre internationalisme et la solidarité entre les peuples.

Pour les femmes, qui sont aujourd’hui la cible d’attaques, forger des alliances est plus important que jamais. Le néolibéralisme se présente en effet sous diverses formes, fragmentant les identités et dépolitisant des luttes historiques. Le féminisme n’est pas destiné à quelques-unes ; c’est un projet d’égalité, de liberté et d’autonomie pour toutes, réalisable seulement en opérant une transformation systémique, en garantissant la souveraineté et l’autodétermination des peuples. Les femmes se reconnaissent dans la résistance qui sauve des vies et préserve la communauté commune. C’est pourquoi le slogan choisi par la Marche mondiale des femmes pour la 5ème Action internationale en 2020 est « Résistons pour vivre, Marchons pour transformer ! »

Encadré 3

Réseaux sociaux : favoriser la haine tout en optimalisant les profits et le contrôle social

Fausses informations, manipulation de données, promotion de la haine, du racisme et de la misogynie. Il est de plus en plus clair que l’utilisation et les abus perpétrés par l’extrême droite sur les réseaux sociaux s’inscrivent dans sa stratégie de pouvoir. Non seulement pour remporter des élections, mais également dans le but d’encourager la normalisation de la violence en tant qu’élément de bon sens dont a besoin le capitalisme autoritaire pour s’imposer en détruisant les valeurs démocratiques.

De telles utilisations et de tels abus se produisent au sein d’infrastructures d’entreprise auxquelles se connecte une partie importante de la population, comme Facebook. Ces espaces ne sont ni publics ni démocratiques. Bien au contraire : algorithmes et portées sont définis par une entreprise pratiquant l’opacité et dont la richesse s’appuie sur la collecte et la manipulation des données. Son fonctionnement n’est ni rendu public ni remis en question, tandis que les utilisateurs sont tenus d’« accepter » les conditions générales de service alors qu’ils savent bien que Facebook se livre à des expérimentations en manipulant les sentiments, les besoins et les opinions, et en encourageant les extrémismes.

Les données sont transformées en capital. Or, les données ne sont pas là pour être collectées ; elles sont le fruit de la vie et des relations entre les personnes. Que ce soit à travers les applications pour téléphones portables ou les capteurs installés en ville, la surveillance de masse, coordonnée par les États et les entreprises, fait partie de l’optimisation des bénéfices. À ce titre, elle n’est donc pas isolée mais systémique.

Le racisme et la haine envers les pauvres et les femmes ne se multiplient pas seulement en tant qu’idées ; ils se retrouvent également au quotidien et génèrent une situation de fascisme social. Le virtuel se nourrit des vies concrètes de personnes luttant tous les jours contre des conditions de vie où la précarité et la violence sont croissantes. Le virtuel s’appuie sur une base matérielle, qui génère et a besoin de l’extractivisme, de l’énergie et des territoires pour stocker et traiter toutes ces données.

Développer une contre-hégémonie exige de notre part bien plus qu’une bonne stratégie de communication sur les réseaux sociaux. Il s’agit d’une bataille de longue haleine qui passe par l’élargissement de nos alliances anticapitalistes de sorte à collaborer avec celles et ceux qui luttent dans le domaine du numérique, dénoncent l’opacité et développent des technologies libres et non propriétaires.

Plus d’informations sur ce thème dans la newsletter Nyéléni num 37 sur La numérisation du système alimentaire.

Encadré 4

La production paysanne d’aliments, caillou dans la chaussure du système capitaliste

Défis et possibilités de lutte en faveur de la souveraineté alimentaire face à la vague conservatrice qui frappe le monde

C’est dans les champs, dans la production d’aliments, que se livre une partie importante de la lutte contre le système capitaliste. La montée de l’extrême droite dans plusieurs régions du monde entraîne une multiplication des menaces et des violations très graves des droits humains que subissaient déjà auparavant celles et ceux qui travaillent la terre.

Au Brésil, pays qui occupe la première place des taux de violence contre la population rurale, 1 678 paysan.ne.s ont été assassiné.e.s entre 1985 et 2003, selon les chiffres publiés par la CPT (Comissão pastoral da terra, Commission pastorale de la terre). Pour sa part, Global Witnessa indiqué que 2017 a été l’année la plus meurtrière dans le monde rural, depuis que cette ONG a commencé son travail de recensement, puisque 207 paysan.ne.s, militant.e.s de base, autochtones et écologistes furent tué.e.s.

Ces dernières années, l’agro-industrie est devenue la cause principale des conflits dans les campagnes. Les grandes multinationales agroindustrielles, la faiblesse des États (par inaction ou connivence) et les abus commis par les entreprises dans chaque pays ont renforcé plus encore un processus sanguinaire qui assoit le contrôle du capital sur les biens naturels avec la nouvelle vague fasciste mondiale.

« Si nous ne récupérons pas le contrôle sur nos communautés et territoires et si nous n’arrachons pas aux entreprises le pouvoir sur nos aliments, alors nous ne parviendrons pas à la souveraineté alimentaire » a averti le leader paysan Carlos Marentes, figure historique de La Vía Campesina (LVC) et représentant de l’organisation Proyecto de los Trabajadores Agrícolas Fronterizos (Projet pour les travailleurs agricoles frontaliers) en Amérique du nord.

Selon l’agronome féministe Miriam Nobre (Marche mondiale des femmes, Brésil), le néofascisme est représenté dans l’alliance unissant l’agro-industrie au trafic de drogues et à la militarisation, qui menace et spolie en permanence les populations locales, démantèle les politiques publiques et prétend revenir au modèle familial patriarcal pour que les femmes et les jeunes cessent d’être des acteurs clés du changement de système.

En Afrique australe, région confrontée aux régimes répressifs et aux autorités traditionnelles qui contrôlent les territoires et prennent des décisions retirant aux personnes leurs moyens d’existence, Mercia Andrews (Rural Women’s Assembly, Assemblée des femmes rurales) souligne qu’« il est important que les organisations, les mouvements paysans et les mouvements d’agriculteurs luttent contre ce niveau de violation de leurs droits. Dans beaucoup de cas, l’Assemblée des femmes rurales s’unie aux mouvements d’agriculteurs et paysans, et nous avons rejoint plusieurs campagnes revendiquant notre droit à dire NON. »

En Europe, le mouvement fasciste propose un « faux protectionnisme » et la xénophobie, prévient Andoni García, membre du comité de coordination ECVC. « À l’inverse, la souveraineté alimentaire constitue un frein au mouvement fasciste puisqu’elle parle de droits, de politiques publiques conçues à partir du droit à protéger les agricultures locales, les cultures paysannes, tout en respectant les droits individuels et collectifs, dans un esprit de solidarité et non de confrontation », ajoute-t-il.

Ce faux protectionnisme, qui bien souvent renvoie à des nationalismes exacerbés, Roma Malik y fait aussi référence et ajoute qu’il est important de relier la lutte en faveur de la souveraineté alimentaire menée par les organisations paysannes au droit à la terre. « Les entreprises [multinationales] arrivent en nombre, construisent des barrages, des centrales électriques, privatisent les rivières, abattent les forêts, assassinent les personnes ou les expulsent de leurs terres et de leurs maisons. En ce sens, la lutte pour le droit à la terre est aussi une lutte contre les gouvernements fascistes », indique-t-elle.

Carlos Marentes ajoute également que la souveraineté alimentaire « est l’un des objectifs pour faire face à la guerre lancée contre les pauvres, dans un système plus sauvage et prédateur que jamais qui s’emploie à veiller à ce que les multinationales contrôlent la production alimentaire, les moyens de production et la nature ».La clé réside dans le travail d’organisation et d’éveil des consciences pour défendre le droit à la vie, à l’alimentation, à la terre et à protéger les ressources naturelles.

Pour lire les entretiens dans leur intégralité, reportez-vous à la section « Aux premières lignes » de ce bulletin, page 4.

Sous les feux de la rampe

Un rapide aperçu des tendances politiques contemporaines

« Qu’on les qualifie de fascistes, de populistes autoritaires ou de contre-révolutionnaires, il ne fait aucun doute que des mouvements de colère méprisant les idées et les pratiques démocratiques et progressistes, et utilisant la force pour résoudre des conflits sociaux profondément enracinés se développent au niveau mondial. » Walden Bello, Counter Revolution, the Global Rise of the Far Right, page 3. Fernwood Publishing, 2019.

Pour la majorité d’entre nous, le fait d’être confronté à des régimes extrémistes autoritaires et violents, de lutter contre eux et de vivre sous leur domination n’est pas une nouveauté : les histoires de nombreuses sociétés/nations sont traversées de périodes où les dirigeants politiques associent et exploitent le charisme personnel, la ferveur religieuse, les insécurités économiques, la peur des « autres » et les promesses de restaurer des héritages glorieux (généralement imaginaires), afin d’imposer des régimes politiques qui privilégient certaines classes, confessions ou groupes sociaux particuliers, tout en s’attaquant aux droits et libertés fondamentales ainsi qu’à la dignité d’autrui. À de nombreuses reprises, dans le cadre de régimes coloniaux, d’apartheid, fascistes, militaires, dictatoriaux ou même démocratiques, nous avons été témoins de la manière dont la synergie toxique entre les intérêts liés à la classe, à la culture, à la religion et à l’idéologie peut engendrer l’oppression, l’extrême violence et la terreur.

Plus récemment, nous avons assistés à l’émergence de régimes autoritaires qui semblent être la conséquence des crises structurelles provoquées par le capitalisme néolibéral et, paradoxalement, découler des réponses apportées par des forces de gauche et des mouvements populaires progressistes aux ravages du néolibéralisme. Le néolibéralisme et la mondialisation menée par les entreprises ont non seulement échoué à apporter le bien-être social et économique à la majorité, mais ont également détruit l’environnement, affaibli les droits des travailleurs et des travailleuses ainsi que de celles et ceux pratiquant l’agriculture vivrière à petite échelle, miné les organisations ouvrières, exacerbé les inégalités et accru la faim et la malnutrition. À cause de la dérégulation financière et du choix d’accorder la priorité aux intérêts des entreprises plutôt qu’à l’intérêt public, l’épargne des classes moyennes et populaires a perdu en valeur tandis que leur dette a augmenté. Les gens se mobilisent pour demander le changement, mais deux tendances majeures permettent aux forces de droite de détourner ces demandes : 1) dans de nombreux pays, les forces politiques de gauche ont noué des alliances précaires avec les pouvoirs en place afin de se positionner dans le système politique ; 2) les forces de droite ont utilisé leurs propres ressources pour établir l’ère de la post-vérité, où la réalité est délibérément déformée dans le but d’influencer l’opinion publique et les comportements sociaux, ainsi que de renforcer le pouvoir des élites nationales et mondiales.

Alliées aux forces au pouvoir, les forces politiques de gauche se sont avérées incapables de démontrer en quoi leurs propres programmes et visions du changement étaient différents. Les champs politiques et idéologiques ont ainsi été livrés aux forces de droite, lesquelles ont exploité l’anxiété, la désillusion, la colère et le désespoir des millions de personnes malmenées par les crises économico-financières récurrentes, devenues la marque de fabrique du capitalisme mondialisé et de la mondialisation menée par les entreprises.

Bien que les forces de droite se soient présentées en critiques sévères du système actuel, elles ont nié l’implication du néolibéralisme dans les crises économiques et sociales et rejeté la faute sur des secteurs particuliers de la société, en les désignant selon des catégories de classes économiques, de groupes sociaux et de religion. Cela leur a permis d’obtenir le soutien d’un large éventail de classes et de groupes sociaux, y compris les classes moyennes et aisées, et de construire des mouvements basés sur les préjugés et la haine, sans pour autant toucher au système économique capitaliste. S’il est vrai que chaque régime est le produit de conditions historiques singulières à la région où il règne, l’on y retrouve, toutefois, les caractéristiques décrites ci-dessus à des degrés et des nuances variables.

Malgré une rhétorique qui prétend remédier à des conditions socio-économiques de plus en plus difficiles, ces régimes demeurent attachés au capitalisme et au néolibéralisme. Depuis leur arrivée au pouvoir politique, les conditions des classes ouvrières rurales et urbaines ne se sont pas améliorées ; les économies, revenus et emplois promis ne se sont pas non plus concrétisés. Mais, les entreprises et élites proches des régimes en place ont continué à obtenir des contrats leur permettant d’extraire les ressources, de construire de vastes projets d’infrastructures, de promouvoir l’agriculture industrielle et de favoriser le développement immobilier.

De nombreuses forces de droite sont parvenues au pouvoir grâce aux élections et revendiquent des mandats démocratiques pour promulguer des lois et des politiques au service de leurs programmes. Toutefois, ces forces sont opposées à une démocratie libérale dans laquelle tous les citoyens et toutes les citoyennes, sans distinction de classe, de culture ou de religion, jouissent des mêmes droits, des mêmes libertés et de la même égalité devant la loi, et où de solides partis d’opposition sont les garants du contrôle démocratique. Les menaces d’opposition politique que représentent les partis et les organisations sociales sont neutralisées par le biais du démantèlement de certains partis et la création d’alliances de circonstances avec d’autres, ainsi qu’en persécutant tout contestataire dans les médias ou par des moyens juridiques. Les processus démocratiques servent à établir des sociétés de la majorité au sein des quelles toutes les personnes identifiées comme des minorités sont privées de leurs droits, marginalisées et vivent dans l’insécurité.

La réinvention de la vérité et des faits, à travers la construction d’argumentaires présentant des réalités fictives, constituent des stratégies fondamentales pour les nouveaux régimes. Y figurent : le déclin de la nation et la nécessité de faire appel à des dirigeants forts pour ramener le pays à sa grandeur passée ;la supériorité raciale, religieuse et de genre ;les menaces pesant sur la sécurité, l’identité et la souveraineté du pays ; l’amélioration des conditions socio-économiques, etc. Ces argumentaires représentent des éléments essentiels pour que les régimes fascistes soient en mesure de consolider leur pouvoir, et ils sont relayés au public à travers les organes d’information généralistes, les réseaux sociaux, les manuels scolaires, les films, les programmes de divertissement et de service public. Ils fournissent les raisons à la criminalisation et à la violence extrême qui s’abattent sur ceux et celles qui sont présentés comme des ennemis/des menaces (groupes de population spécifiques, migrant.e.s, militant.e.s, avocat.e.s, journalistes, dirigeant.e.s de mouvement, etc.) ainsi qu’au maintien de la population dans un état d’incertitude et d’anxiété justifiant la « main de fer » indispensable pour préserver l’unité de la nation.

Les régimes autoritaires/fascistes menacent la souveraineté alimentaire car ils s’opposent aux droits fondamentaux, à l’égalité, à la diversité, à l’autonomie locale, à la coopération et à la solidarité. Ils soutiennent l’appropriation et le contrôle par le capital transnational des terres, de l’eau, des semences, des richesses naturelles, des ressources publiques et des systèmes alimentaires. Ils privent les populations locales de leur capacité d’action et censurent les voix et actions qui tentent de bâtir, en partant de la base, les démocraties des peuples.

Plus d’informations sur la situation en Asie ici.

L’écho des campagnes

L’écho des campagnes 1

La réforme agraire, une réponse à la pandémie actuelle

Jaime Amorim, membre de la Coordination Nationale du MST et de la Commission Internationale de Coordination de La Via Campesina

Aujourd’hui les drapeaux des luttes historiques comme le drapeau de la réforme agraire deviennent actuels, urgents et nécessaires. Une réforme agraire large, populaire et profonde qui résout définitivement le problème de la concentration des terres, en laissant à l’histoire le mal du latifundium et toute sa structure de pouvoir comme un vestige féodal qui reste au service de l’agrobusiness. Qu’il résout le modèle de développement des campagnes basé sur la monoculture d’agro-exportation.

La pandémie a démontré la fragilité du modèle capitaliste de développement, en particulier le modèle actuel, néo-libéral conservateur, qui détruit les économies locales, la souveraineté nationale, attaque la démocratie et les états démocratiques de droits, promeut les guerres contre les nations, supprime les services publics, avance rapidement sur les ressources naturelles et minérales, précarise la législation du travail, tout cela au nom du développement du capital, tout devient une marchandise au nom de la mondialisation de l’économie. En conséquence, en période de pandémie, le chômage, la faim, la misère, et la violence augmentent. Selon João Pedro Stédile, leader du Mouvement des Sans Terre (MST) du Brésil, dans une interview au journal Brasil de Fato « La pandémie de coronavirus est l’expression la plus tragique de l’étape actuelle du capitalisme et de la crise de civilisation que nous vivons.

La réforme agraire, large et radicale, peut devenir une réponse actuelle et moderne aux crises mondiales actuelles : crise politique, crise environnementale, crise idéologique, crise sociale et crise économique, qui est structurelle et ne peut plus résoudre les problèmes crées par la forme même de l’exploitation et de l’accumulation capitaliste, mais aussi ne peut plus répondre aux défis de la société pour sauver la survie des êtres humains, l’existence humaine peut être menacée et la vie de la planète elle-même. La réforme agraire avec l’agroécologie pour la souveraineté alimentaire et la sortie de la dépendance au marché et aux grands distributeurs alimentaires.

L’écho des campagnes 2

L’accaparement des terres, la justice foncière et les éleveurs

Lorenzo Cotula et Ced Hesse, IIED (Institut international pour l’environnement et le développement)

Au cours des 15 dernières années, l’évolution des prix des matières premières et les politiques publiques biaisées ont favorisé une hausse des investissements commerciaux dans les secteurs des ressources naturelles, notamment l’agriculture, les mines et le pétrole. Les gouvernements de différentes tendances politiques ont vu dans cette vague d’investissements une opportunité économique – pour promouvoir le développement économique, créer des emplois et générer des revenus publics.

Mais les accords ont également suscité des inquiétudes dans le public quant au mode de développement et aux types d’investissements, ainsi qu’à la manière dont les coûts et les bénéfices étaient répartis Plusieurs recherches ont documenté les conflits fonciers et la dépossession en lien avec les projets de plantation de l’agrobusiness et les opérations de l’industrie extractive. Plus récemment, les accords ont diminué en partie suite à l’évolution des prix des matières premières. Mais au niveau local, les pressions se font toujours sentir, en particulier dans les points stratégiques où sont concentrés les minerais, le pétrole, les terres fertiles, l’eau douce et les infrastructures. Plusieurs projets abandonnés ont laissé derrière eux une série de conflits, et de nombreux gouvernements identifient toujours les secteurs des ressources naturelles comme fondement de leur développement national.

Perçues à tort comme « vides » ou « oisives », les pâturages ont longtemps été une cible pour les gouvernements et les entreprises. Dans la région de Karamoja en Ouganda, par exemple, les opérations minières ont empiété sur les terres de pâture (en anglais). Tandis que les bénéfices promis en matière d’écoles, d’hôpitaux, d’emplois et d’eau ne se concrétisent pas, les pasteurs perdent l’accès aux pâturages et aux gisements de minéraux et souffrent de la contamination de l’eau. L’exploitation minière limite également la mobilité des troupeaux et les prive de ressources clés en saison sèche. Ces évolutions compromettent cette pratique de pâturage et sa capacité de soutien en moyens de subsistance locaux.

Dans de tels contextes, des lois biaisées sapent souvent les droits des pasteurs et facilitent la dépossession. Bien que les faits montrent que les pratiques de pâturage sont résistantes et sophistiquées, les droits des pasteurs sur les ressources sont juridiquement protégés de manière variable et souvent limitée dans la pratique – y compris dans les pays où la législation ou même la constitution affirme formellement les droits locaux. Beaucoup de lois foncières conditionnent la protection effective à une « utilisation productive », et les notions biaisées de productivité sapent les revendications des pasteurs en matière de ressources. L’absence de preuve légale de la propriété foncière des pasteurs aggrave souvent le risque de dépossession.

Nous avons besoin de politiques qui soutiennent, plutôt que de miner, les systèmes pastoraux, faisant avancer la justice foncière face à l’accaparement des terres. Bien que chaque contexte est spécifique, il est souvent nécessaire de reconnaître le pastoralisme comme une forme d’usage économique et écologique des ressources ; de protéger les droits collectifs des pasteurs à la terre, à l’eau et au pâturage ; et de faciliter la mobilité des troupeaux lorsque celle-ci assure la subsistance des pasteurs.

L’écho des campagnes 3

Femmes rurales, féminisme de base et droits fonciers

Maria Luisa Mendonça, Réseau pour la Justice Sociale et les Droits Humains, Brésil

Du point de vue des mouvements féminins de base, la défense des droits fondamentaux à la terre et à l’alimentation est une lutte constante. Dans le monde entier, l’expansion de la production agricole destinée à l’exportation, contrôlée par les grands propriétaires terriens et les grandes entreprises, déplace continuellement les communautés rurales. Elles sont forcées de quitter leurs terres et leurs moyens de subsistance, et deviennent vulnérables à l’exploitation du travail dans les grandes plantations ou dans les centres urbains. Elles doivent faire face à la pauvreté et la faim. Le monopole des terres et la spéculation mercantile font augmenter les prix des denrées alimentaires, ce qui affecte de manière disproportionnée les femmes à faible revenu. Le cas du Brésil illustre cette situation, car il présente un des niveaux les plus grands de concentration des terres. Actuellement, on assiste à une re-concentration croissante suite à la spéculation financière internationale sur les marchés fonciers ruraux. Ce processus accroît le monopole sur la terre et étend la monoculture de produits d’exportation, ce qui entraîne la destruction de l’environnement et le déplacement des communautés rurales qui produisent la majorité des aliments destinés aux marchés intérieurs.

Dans ce contexte, la résistance des femmes rurales est cruciale pour faire face simultanément aux crises économique, écologique et alimentaire. Les femmes font face à des défis spécifiques en temps de crise, puisqu’elles assument généralement la responsabilité des tâches sociales du ménage, comme l’alimentation et les soins de santé. Par conséquent, les politiques néolibérales réduisant le soutien gouvernemental aux programmes sociaux et l’augmentation des prix alimentaires représentent une charge supplémentaire pour les femmes qui travaillent. En outre, le déplacement des communautés rurales force les femmes à occuper les pires emplois dans les plantations et les zones urbaines.

Les mouvements ruraux de femmes qui militent pour la réforme agraire et l’utilisation commune des ressources naturelles, y compris les droits fonciers collectifs, seront importants. Les mouvements féminins de base font la promotion d’un nouveau système agricole basé sur les coopératives locales et la production alimentaire écologique. Il existe des mécanismes internationaux de défense des droits humains, mais il faut aussi de la solidarité. En Europe et aux États-Unis notamment, l’opinion publique est de plus en plus consciente qu’il faut soutenir une agriculture à petite échelle, locale et écologique. Pour étendre ce mouvement à l’échelle internationale, nous devons accroître la solidarité entre les organisations de femmes du Global Nord et du Global Sud, ainsi que dans les zones urbaines et rurales, afin de soutenir la production d’aliments sains à un prix abordable pour les femmes à faible revenue dans les zones rurales et urbaines. Nous avons besoin d’alliances solides pour transformer notre système alimentaire.

Résumé de Femmes rurales et féminisme de base.

L’écho des campagnes 4

Les travailleurs agricoles et la terre

Rosalinda Guillén, Développement de communauté à communauté, États-Unis

En tant que travailleurs et travailleuses agricoles, la valeur de ce que nous apportons à une communauté est simplement mise de côté. Nous sommes invisibles. Nos contributions sont invisibles. Cela fait partie de la culture capitaliste dans ce pays.

Nous sommes comme la lie de l’esclavage dans ce pays. Ils s’accrochent à cette mentalité d’esclave pour essayer de tirer profit de la main-d’œuvre la moins chère possible. S’ils nous maintiennent sans terre, si nous n’avons pas la possibilité de faire des racines dans les communautés comme nous le voulons, alors c’est d’autant plus facile de tirer le plus de profit de nous en investissant le moins possible. C’est aussi simple que cela. Nous devons nous intéresser aux travailleurs agricoles de ce pays qui possèdent des terres, où nous pouvons produire. C’est le changement dynamique dont nous avons besoin dans le système alimentaire. Nous savons tous que Cesar Chavez a parlé de la propriété des moyens de production. Je pense que beaucoup de travailleurs agricoles parlent de cela.

Être un peuple sans terre aux États-Unis, rend les travailleurs agricoles beaucoup plus vulnérable, et aux États-Unis, cela est facilement ignoré. Cela n’est même pas discuté au niveau politique ou social. Et on pourrait remonter dans l’histoire quand nos terres nous ont été retirées au Texas, en Arizona, au Nouveau-Mexique et en Californie. C’est un héritage de cette conquête, et nous l’avons accepté. L’idée n’est pas d’utiliser cela pour avoir de la terre. À quoi cela ressemblerait-il ? Je suis allé au Forum social mondial au Brésil et j’ai rencontré les dirigeants du mouvement des travailleurs sans terre. Nous continuons nos échanges depuis lors et ils sont venus nous rendre visite.

Nos discussions avec les dirigeantes du MST lors d’une récente visite à São Paulo nous font croire que nous sommes sur la bonne voie. Il est essentiel d’établir une base solide et audacieuse dans la communauté des travailleurs agricoles pour transformer l’agriculture et l’accès à la terre aux États-Unis. Nous apprenons constamment de la direction indigène de Familias Unidas por la Justicia. Poursuivre le dialogue et la réflexion sur les stratégies avec eux nous aidera à créer de nouvelles façons de faire avec les consommateurs, les marchés et le puissant lobby agricole.

D’autres stratégies, comme gagner suffisamment d’argent pour acheter des terres, ne suffisent pas. L’USDA a mis en place des programmes pour que les travailleurs agricoles latinos puissent posséder des terres. Mais vous vous retrouvez avec peut être quelques agriculteurs latinos qui pratiquent l’agriculture conventionnelle. Les travailleurs agricoles latinos deviennent des agriculteurs latinos qui embauchent des travailleurs agricoles latinos et les exploitent. Ce n’est pas bien. Ce n’est pas ce que nous voulons. Nous voulons changer tout le système. Donc que nous faut il pour cela ?

Résumé d’une interview de David Bacon dans Land Justice : Re-Imagining Land, Food, and the Commons in the United States

L’écho des campagnes 5

Alternatives et opportunités pour la justice foncière à Detroit

Malik Yakini, Réseau de sécurité alimentaire de la communauté noire de Detroit, États-Unis

Les communautés sont construites sur la terre, et nous – en tant qu’êtres humains – en tirons la plupart de nos aliments, fibres et matériaux. Dans notre société actuelle, ne pas posséder de la terre, c’est être sans pouvoir. Si nous espérons créer une société avec une justice possible, alors la question de la répartition du pouvoir et de l’accès à la terre est primordiale. Continuer à accumuler des terres entre les mains des mêmes individus, c’est l’antithèse de la liberté, et il faut lutter contre cela. La logique capitaliste traditionnelle voudrait que vendre la terre au plus offrant et attendre des retombées « goutte à goutte » soient les seules façons pour Detroit de sortir de ses luttes économiques actuelles. Il existe cependant, bien d’autres moyens, plus efficaces, pour renforcer la résilience économique et l’équité.

Il est difficile d’imaginer comment on pourrait arriver à une certaine justice foncière aux États-Unis, compte tenu du passé de vol et de dépossession des terres. Comment peut-on faire justice sans rendre les terres prises par les colons européens aux peuples indigènes ? Comment faire justice aux personnes d’origine africaine dont les ancêtres ont été réduits en esclavage et amenés sur ces terres contre leur volonté ? Faire justice avec des mesures de réparation pour ces actes historiques – est chose impossible pour le moment. Cependant, il existe des mesures qui nous faire progresser.

Dans les cas où les tribunaux peuvent prouver que les États-Unis ont violé des traités ou ont agi de manière frauduleuse, je pense que le gouvernement américain devrait restituer ces terres aux Amérindiens. Je suis également favorable à des réparations pour les Afro-Américains qui sont les descendants des ces Africains réduits en esclavage sur ces terres et qui avec leur travail ont créé une grande part de la prospérité de la nation. En outre, nous devons arrêter de confisquer les terres des agriculteurs afro-américains. Au moment où nous écrivons ces lignes (2016), des terres sont toujours injustement saisies aux propriétaires locaux et les agents du gouvernement sont complices dans cette affaire. Il faut enquêter sur ce phénomène et y mettre fin.

En outre, je pense que des « Community Land Trust » peuvent être établis pour permettre aux communautés d’exercer collectivement leur voix à propos de la terre dans leurs communautés et de jouer un rôle dans les décisions concernant les espaces verts, les projets industriels, le logement, ou tout autre chose qu’elles envisagent elles-mêmes pour le bien-être de leur communauté. Il est important de créer des politiques qui donnent l’accès à la terre au plus grand nombre par opposition aux politiques qui concentrent la propriété entre les mains de quelques-uns, et le soutien aux Community Land Trust pourrait jouer un rôle à cet égard.

Enfin, je pense que pour créer de bonnes analyses sur la question de la terre, nous devons comprendre l’histoire. Il est important de raconter la véritable histoire pour que les gouvernements, les ONG et les organisations communautaires puissent comprendre comment nous en sommes arrivés là. Pour ce faire, nous devons continuer à remettre sur le tapis les histoires de dépossession, de désautonomisation, de résistance et de pouvoir.

Résumé de Land Justice : Re-Imagining Land, Food, and the Commons in the United States.

Encadres

Encadré 1

Les nombreuses facettes de l’accaparement des terres

L’accaparement des terres n’est pas neuf. Mais ce qui est nouveau, c’est l’accaparement massif qui a eu lieu récemment depuis les crises financière et alimentaire de 2008.

« L’accaparement des terres prend différentes formes. Les femmes peuvent être expulsées de leurs terres à la mort de leur mari, les compagnies minières expulsent les paysans et les petits exploitants, ainsi que les plantations, les bases militaires et les projets écotouristiques. Les investisseurs ne sont pas seulement des multinationales ou des institutions financières, mais peuvent aussi être locaux et nationaux ».[Conférence paysanne Internationale : Stop aux accaparements de terres!]

L’accaparement des terres se produit aussi bien dans le Global Sud que dans le Global Nord, sous l’impulsion des élites locales, nationales et transnationales ou d’investisseurs financiers ou des gouvernements. En quête de profits nouveaux et croissants, de vastes étendues de terre sont soit prises de force, soit achetées à bas prix avec l’aide des gouvernements et des élites locales et nationales.

L’enjeu, c’est un changement majeur à savoir qui a le pouvoir de « décider comment la terre et l’eau peuvent être utilisées maintenant et à l’avenir »[L’accaparement de terres, Un livret.]. Le désir de remodeler la terre dans un but de profit conduit à une expansion globale de l’agro-industrie, à des plantations de différentes sortes, à de l’exploitation minière, des projets d’infrastructure et de nombreux autres types d’utilisation. L’agriculture paysanne et la souveraineté alimentaire sont continuellement menacées par des dangers, à mesure que des terres sont perdues et que les paysans sont pris dans des des chaînes d’approvisionnement mondiales.

Cependant, les paysans, les peuples indigènes et leurs communautés continuent de s’organiser et de se mobiliser pour défendre leurs droits à la terre et pour défendre une agriculture qui place l’alimentation, les gens et l’environnement avant les profits.

Encadré 2

Garantir les droits fonciers communautaires en Afrique

Dans un continent où 70 % de la population dépend de l’agriculture, l’accès assuré à la terre et aux ressources naturelles devrait être un droit inaliénable pour tous. Mais c’est loin d’être le cas.

La gouvernance coutumière des terres agricoles, des forêts et des pâturages par les chefs traditionnels des communautés a été annihilée par les lois foncières coloniales et post-coloniales, laissant les communautés rurales incertaines de leurs droits sur les terres dont elles dépendent pour leur alimentation, leurs moyens de subsistance et leur intégrité culturelle.

Les tendances récentes de l’urbanisation, de la croissance économique et des politiques néolibérales ont transformé les ressources naturelles en marchandises et créé des marchés pour la terre en tant qu’actif négociable. La crise financière de 2007/08 et la flambée soudaine des prix des denrées alimentaires et du pétrole ont entraîné un afflux massif de capitaux dans le secteur foncier. Entre 2000 et 2016, les gouvernements africains ont signé 422 accords fonciers à grande échelle avec des investisseurs, et ce pour dix millions d’hectares. L’accaparement des terres a été associé à de multiples violations des droits humains et à des injustices sociales, avec des milliers de communautés expulsées de force et laissées sans ressource. Les femmes et les jeunes, déjà désavantagés en matière d’accès et de contrôle de la terre, sont souvent les plus touchés.

En réponse à cette crise, des lignes directrices globales et continentales ont été mises en place pour établir des principes de bonne gouvernance foncière et définir des politiques protégeant les droits fonciers coutumiers et communautaires, notamment le Cadre et les Lignes directrices de l’Union africaine pour la Politique foncière et les Directives Volontaires des Nations unies sur la Gouvernance Responsable pour l’Occupation des Terres. Mais ces cadres politiques progressistes ont été largement ignorés aux niveaux national et local, où les décisions foncières sont effectivement prises. Ainsi, les droits d’occupation des populations rurales en Afrique, et en particulier des femmes, restent faibles et incertains.

Il est essentiel qu’une pression politique plus forte soit exercée pour accélérer l’institutionnalisation de politiques progressistes pour renforcer les droits fonciers communautaires. Les plaidoyers de la société civile doivent cibler l’Union africaine et les communautés économiques régionales pour qu’elles fassent pression sur leurs États membres afin qu’ils instituent les directives politiques progressistes. Du fait que les politiques du droit à la terre n’intéressent réellement qu’aux niveaux national et local, Il est d’autant plus important que la société civile fasse pression pour une législation nationale plus stricte en la matière et force les gouvernements à rendre des comptes à la Cour Africaine de Justice et des droits humains.

Nous devons promouvoir des systèmes de management pour l’usage des terres en communauté, en mettant en avant les preuves de succès évidentes permettant d’améliorer les moyens de subsistance de manière équitable et durable tout en protégeant et en restaurant les écosystèmes.

Les travaux récents de l’AFSA sur les droits à la terre portent sur une étude intitulée « Tendances politiques et nouvelles opportunités pour le renforcement des droits fonciers communautaires en Afrique », et incluent des ateliers de renforcement des capacités pour la société civile et les organisations confessionnelles, et une série d’études de cas africains ainsi qu’un plaidoyer politique au niveau continental pour promouvoir l’usage communautaire des terres et des systèmes de management.
Nous devons tirer les leçons des principes de bonne gouvernance foncière de nos arrière-grands-parents qui nous ont légué la terre. Nous devons développer et adopter un usage et une gestion durable des terres qui répondent aux besoins de tous qu’ils soient : agriculteurs, bergers, chasseurs, pêcheurs, cueilleurs de fruits sauvages et animaux sauvages.

Pour plus d’informations, consultez le site www.afsafrica.org

Encadré 3

Le climat et l’accaparement des terres

Du point de vue de la base, il y a toujours eu un lien étroit entre les crises climatiques et environnementales et l’accaparement des terres. Par exemple, les causes des crises climatiques et des violations des droits à la terre sont les mêmes – un système économique basé sur l’extraction sans fin de ressources naturelles et où les industries minières tout comme l’agro- industrie et les plantations, y contribuent grandement. En plus, le lien est encore plus évident car ces mêmes projets d’entreprises à l’origine de ces crises sont également responsables des meurtres les plus documentés de défenseurs des droits humains en matière de terre et d’environnement.

Récemment, l’intérêt s’est accru au sujet de l’atténuation et l’adaptation de la terre et la nature au climat . Mais malheureusement, cela fait peser de graves menaces sur les droits collectifs des peuples sur leurs terres et territoires avec une nouvelle vague d’accaparement de terre pour des projets de conservation ; mais la menace vient aussi de la marchandisation et l’intégration de la nature dans les marchés financiers – ce que nous appelons la financiarisation de la nature.
Les « technologies à émissions négatives » (NET ), qui visent à éliminer le carbone de l’atmosphère, constituent un problème majeur. Les pays industrialisés et les entreprises émettrices comptent désormais sur les NET en raison de leur incapacité historique à réduire les émissions aussi rapidement qu’exigé selon les demandes de justice climatique.

L’un des schémas dominants de ces NET consiste à cultiver et à brûler de grandes surfaces d’arbres et de cultures pour la bioénergie, puis à stocker le carbone émis dans des bunkers souterrains. C’est ce que l’on appelle la bioénergie avec capture et stockage du carbone ou BECCS. Selon les estimations, la BECCS pourrait nécessiter jusqu’à 3000 millions d’hectares de terres dans le monde. D’autres options pour les NET sont appelées « solutions climatiques naturelles » ou « solutions basées sur la nature », incluant la restauration des forêts, le reboisement et le boisement. Chaque option aura des effets différents sur l’environnement, les terres et les droits des peuples, selon qui les contrôle et leur mise en œuvre.

Les entreprises considèrent déjà les solutions basées sur la nature comme une opportunité pour compenser leurs émissions. Les compensations permettent aux grands pollueurs historiques comme les compagnies pétrolières de continuer à polluer en transférant leur responsabilité de réduction des émissions avec des projets de conservation dans les communautés du Global Sud. La compensation ne réduit pas les émissions globales et exacerbera donc les effets du climat sur les terres. C’est aussi injuste car cela maintient et étend le contrôle des territoires par les plus responsables du changement climatique. La compensation équivaut à un double accaparement de terres, car les entreprises finissent par contrôler l’utilisation des terres à deux endroits : le site qu’elles détruisent et celui qu’elles déclarent comme compensation.

D’autre part, des solutions décentralisées aux crises de l’environnement et de l’accaparement des terres sont possibles : elles seraient basées sur un contrôle écologique et autonomes et une gouvernance par les populations autochtones, par les peuples des forêts, par les petits producteurs sur leurs propres terres et territoires – comme l’agroécologie pour la souveraineté alimentaire et la gestion communautaire des forêts – . Elles gagnent en importance comme solutions pour la justice environnementale. La gestion communautaire des forêts et des territoires est le meilleur moyen de préserver les écosystèmes tels que les forêts, les mangroves, les zones humides et les plans d’eau. L’agroécologie refroidit le climat en supprimant le besoin d’énergies fossiles, en recyclant les nutriments dans les fermes, en relocalisant les systèmes alimentaires et en arrêtant la destruction de l’environnement pour la production de produits agricoles à des fins lucratives.

Comme toujours, il est vital que les mouvements pour la justice foncière et la justice environnementale travaillent ensemble pour dénoncer les fausses solutions et démontrer notre propre vision pour un futur juste.

Sous les feux de la rampe

Les nouveaux accapareurs de terres à l’échelle mondiale : Wall Street

Depuis la crise financière de 2007-2008, les terres agricoles sont devenues de plus en plus un actif financier important pour les entreprises, ce qui a suscité à la fois des protestations massives de la part des organisations de paysans et une attention significative de la part des institutions internationales. Mais si les efforts de marchandisation des terres agricoles ne sont pas nouveaux, le dernier chapitre de l’histoire de l’accaparement des terres présente des différences marquées : de nouveaux défis apparaissent ainsi que des répercussions sur le plan géographique et des opportunités de solidarité internationale et intersectorielle.

Nouvelles géographies, différentes tactiques, mêmes entreprises

De manière globale aussi bien au Sud qu’au Nord, l’accaparement des terres s’accélère et s’étend souvent avec des liens financiers avec des investisseurs institutionnels du Nord. Les fonds de pension nord-américains et européens et les fondations universitaires investissent des fonds importants dans des projets agricoles à grande échelle dans des régions comme le Cerrado brésilien, où les communautés sont déplacées, les défenseurs des droits à la terre assassinés et les forêts brûlées pour l’agroindustrie [« L’accaparement des terres agricoles au Brésil par Harvard et la TIAA part en fumée.« ]. Pendant ce temps, les petits agriculteurs d’Europe et d’Amérique du Nord continuent à se débattre contre les prix extrêmement bas et les coupes dans les filets de sécurité sociale, ce qui les rend vulnérables à l’accaparement des terres par bon nombre de ces mêmes investisseurs institutionnels.

Alors que l’exploitation des institutions faibles et de la corruption est au cœur de l’accaparement violent des terres dans des endroits comme le Cerrado brésilien, dans le « Global Nord » ce sont des institutions en bonne santé qui soutiennent des tactiques d’investissement de type « prédateur ». Des sociétés financières comme la caisse de retraite américaine TIAA et la dotation de l’université de Harvard ont dépensé des dizaines de milliards de dollars, dont une grande partie provient des fonds de pension des travailleurs du secteur public comme les enseignants, pour acquérir des millions d’hectares de terres agricoles dans des endroits comme l’Illinois et le Mississippi aux États-Unis. Bien que la TIAA soit devenue le plus grand propriétaire institutionnel de terres agricoles au monde, ses objectifs ne visent pas la production alimentaire, mais plutôt sur la spéculation sur la terre et d’autres inputs agricoles essentiels. Bien que ce ne soit pas strictement illégal, le fait que les entreprises ciblent des agriculteurs en détresse financière est une tactique prédatrice qui conduit les agriculteurs à vendre leur seul moyen de subsistance : leur terre.

L’accaparement des terres en Amérique du Nord pourrait augmenter de façon dramatique dans les années à venir. Des décennies de discrimination institutionnelle continue ont laissé de nombreux agriculteurs noirs avec des titres de propriété informels et un statut incertain qui les rend particulièrement vulnérables aux spéculateurs et aux investisseurs fonciers [Atlantique (en anglais)]. Les terres indigènes restent constamment menacées. Les petits agriculteurs en général luttent en Amérique du Nord, car les sociétés agro-industrielles deviennent plus grandes et plus puissantes ; au cours des 15 prochaines années, la moitié des terres agricoles aux États-Unis et au Canada devraient changer de mains, à mesure que les agriculteurs prendront leur retraite. Si rien n’est fait, une grande partie de ces terres pourrait se retrouver entre les mains d’investisseurs et d’entreprises.

Pistes à suivre

Depuis des décennies, les organisations d’agriculteurs et leurs alliés plaident pour des réformes politiques clés visant l’accaparement des terres dans les pays du Nord et du Sud, comme : le renforcement des droits à la terre des communautés marginalisées (comme la propriété des héritiers aux États-Unis, ainsi que les droits à la terre des communautés indigènes et des travailleurs agricoles sans terre) ; la restriction de la propriété foncière des entreprises ; et la mise en œuvre de politiques garantissant un prix juste aux petits agriculteurs pour les maintenir sur leurs terres. Les travailleurs pensionnés en particulier en Amérique du Nord et en Europe, peuvent agir en solidarité avec les agriculteurs et les paysans du monde entier en s’assurant que leur argent n’alimente pas ces pratiques d’accaparement des terres et de spéculation risquée. Ensemble, ces efforts permettront de renforcer les communautés rurales et de protéger la stabilité financière des travailleurs.

Pour plus d’informations sur l’accaparement des terres par les investisseurs institutionnels, consultez le site ici.

L’écho des campagnes

L’écho des campagnes 1

Vie des éleveurs pastoralistes en Inde pendant le confinement à cause de la COVID19

Anu Verma, South Asia Pastoralist Alliance & MARAG, Inde – WAMIP Asie du Sud 

L’Inde compte 34 millions d’éleveurs à petite échelle qui gèrent un cheptel de plus de 50 millions d’animaux. L’élevage est la deuxième plus grande occupation en Inde après l’agriculture, apportant une contribution significative d’environ 8,5 à 9% au PIB du pays.

 Leur contribution est vitale, car le pastoralisme est le moyen le plus important de soutenir les éleveurs transhumants ou nomades ainsi que les paysans marginaux, en particulier ceux qui vivent dans des zones montagneuses sujettes à la sécheresse où la production agricole n’est pas assurée. Il contribue de manière significative aux moyens de subsistance et à la richesse des communautés en termes de lait, de laine et de viande sans intrants acquis sur le marché.

Les institutions pastorales traditionnelles sont aujourd’hui de plus en plus menacées par les déplacements massifs dus à la concurrence intense de l’agriculture, à la croissance démographique, à la dépossession de leurs troupeaux et à la sécheresse. Bien que le confinement (suite à la Covid-19) ait eu un impact dans tous les secteurs, il y a des différences en ce qui concerne ces éleveurs. Dans tout le pays, ils doivent faire face à un système de police hostile, gardes forestiers y compris. En pleine épidémie, la réglementation et le contrôle de leurs mouvements se sont intensifiés lors de la période la plus cruciale, à savoir leur transhumance vers les pâturages d’été. Alors que certains gouvernements étatiques ont abrogé leurs mouvements, tel que le transport de produits essentiels, les bergers qui s’étaient rendus dans leurs fermes étaient coincés et incapables de rejoindre leurs troupeaux. « Nous ne pouvons pas nous déplacer librement avec nos troupeaux pour le pâturage car les villageois ont peur que nous soyons porteurs du coronavirus », a déclaré Sumer Singh Bhatti, possédant environ 200 chameaux qui se nourrissent dans les zones sèches et désertiques du Rajasthan. « On nous empêchait même parfois d’aller dans les magasins du village pour acheter nos rations alimentaires. Pour ces éleveurs, cette peur du coronavirus est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Avec la chaleur estivale, ils n’arriveront plus à obtenir de l’herbe verte pour le fourrage », a déclaré Mool Singh, un éleveur du village de Nakrasar dans le district de Bikaner au Rajasthan, qui migre en mars de chaque année au Pendjab pour que son troupeau puisse paître sur les résidus du blé.

L’écho des campagnes 2

L’avenir de la transhumance pacifique en Afrique de l’Ouest  260

Hindou Oumarou Ibrahim, coordinatrice de l’Association des Femmes Peules et peuples Autochtones du Tchad et membre du comité exécutif du Comité de Coordination des Peuples Autochtones d’Afrique (IPACC) – WAMIP Afrique Centrale

Puisque les nomades sont difficiles à contrôler, ça n’arrange pas les gouvernements. Plusieurs États ont pris la décision de valoriser plus l’agriculture au détriment de l’élevage nomade. Or dans le sahel, l’élevage présente plus de 40% du PIB de tous les pays Sahéliens et au Tchad, plus de 20%.

Premièrement, les communautés comme les Peuls, les Arabes ou les Touaregs, n’ont pas été considérées à part entière après la colonisation, puisqu’elles ont un style de vie loin de l’imaginaire du développement que l’État avait pensé mettre en œuvre. C’est pour ça que la plupart des nomades n’ont pas accès à l’éducation, à la santé, ni à l’eau potable…

Or dans les écosystèmes Sahélien, l’incertitude sur les ressources fourragères impose aux éleveurs des techniques d’élevage particulières préservant leur capital de production : le bétail et les écosystèmes. En effet, le pastoralisme s’appuie sur une grande aptitude des éleveurs à valoriser des ressources fourragères spontanées dispersées dans des milieux hétérogènes.

Les Etats doivent changer leur manière de voir les nomades et leur valeur environnementale. La plupart des espèces élevées rendent de multiples services comme la fourniture d’aliments riches en protéines, la fumure et l’énergie. Sans l’élevage, on ne pourrait pas atténuer l’insécurité alimentaire. Dans toutes nos maisons, nous mangeons de la viande et utilisons le lait comme complément alimentaire. L’éleveur échange le bétail contre le mil avec les agriculteurs et tout cela fait tourner l’économie circulaire dans les communautés.

L’éleveur n’est pas un problème, il est une solution. Les éleveurs sont le passé, le présent et l’avenir.

L’écho des campagnes 3

Vers un réseau de bergers en Amérique du Nord, une vision de la Sierra Tarahumara

 Projet « De la Oveja a la Cobija » et Red del Desierto / Campo Adentro / F. Marso

La vie des communautés Raramuri (Tarahumara), dans la Sierra Madre Occidental, Chihuahua, Mexique, est fondée sur l’agriculture de subsistance et l’élevage. Le peuple Rarámuri, fort de quelque 50 000 personnes, a survécu au colonialisme en partie parce qu’il est situé dans des régions reculées de la Sierra. Leur mode de vie est étroitement lié aux cérémonies et aux festivités. Il se déroule dans le cadre d’un système d’organisation du travail basé sur des cycles naturels appelés Mawechi. En raison de l’orographie irrégulière de la région, avec de grands ravins et des sols très pauvres, l’élevage de chèvres et de moutons prédomine. Les processus de fragmentation sociale causés par les projets d’exploitation extractive et touristique, ainsi que l’insécurité généralisée due à la présence de mafias du trafic de drogue, ont entraîné une diminution de ces pratiques dans la région.

Récemment, les jeunes Rarámuri ont prêtés une attention et un enthousiasme renouvelés, principalement les femmes, visant à continuer l’élevage de chèvres et de moutons, sur la base d’une gestion extensive utilisant les pâturages rares et dispersés, où le bétail ne peut seul subvenir à ses besoins, en rotation avec le champ de maïs, tout en tirant parti des chaumes et du fumier comme engrais. Ils obtiennent ainsi de la viande, du lait, du cuir et de la laine. Les animaux adultes constituent une sorte de « tirelire » qui peut être capitalisée pour les urgences.

Une association de bergers et de tisserands a été constituée dans cette région, dirigée par la bergère Agripina Viniegra. Elle regroupe 30 femmes Rarámuri qui sont responsables du soin des moutons et de leur exploitation productive, principalement pour la création de textiles en laine. De même, la jeune Association des éleveurs de moutons Raramuri a contacté des bergers des communautés des États de Nuevo León, Coahuila et San Luis Potosí, proposant l’idée de Red del Desierto (réseau du désert).  Ils ont pris également contact avec le peuple Navajo du sud-ouest des États-Unis pour réactiver la région nord-américaine de WAMIP.

L’écho des campagnes 4

Le changement climatique et l’industrie minière menacent d’extinction les éleveurs nomades de Mongolie

Maamankhuu Sodnom, Association d’éleveurs nomades de Mongolie, Mongolie

La Mongolie couvre une superficie de 1.564.116 km2 avec une population de 3,4 millions de personnes, dont 30% pratiquent le pastoralisme. Les bergers mongols gardent principalement des moutons, des chameaux, des chèvres, des bovins (y compris des yaks) et des chevaux. Soixante-dix pour cent des terres mongoles sont utilisées à des fins pastorales, la majeure partie de ce territoire étant des steppes et des déserts stériles et semi-arides. De nos jours, beaucoup de ces nomades s’installent dans les villes en raison d’une combinaison de facteurs, dont le changement climatique.

En Mongolie, le climat peut être extrêmement rude, même dans des conditions normales. Il y a 4 saisons : L’hiver est extrêmement froid et la température descend souvent à -45 °C et l’été peut atteindre des températures de +45 ° C. Notre printemps est toujours venteux et les tempêtes de poussière sont la norme. Au cours des trente dernières années, le désert de Gobi, dans le sud de la Mongolie, a connu un déficit de précipitations pendant l’été, ce qui a considérablement exacerbé l’aridité et affecté négativement l’activité de l’élevage. 

Des niveaux de neige inédits en hiver et des tempêtes de sable au printemps ont contribué à aggraver la situation difficile préexistante, entraînant une accélération de la désertification dans l’ensemble de la région. Les Mongols sont fiers de leur culture pastorale et de leur capacité à subsister grâce à leur bétail, même dans des conditions environnementales extrêmement difficiles, pour autant, les éleveurs nomades sont actuellement menacés d’extinction.

Le deuxième facteur important, menaçant la survie de leur mode de vie, est l’industrie minière qui s’est considérablement développée au cours des 20 dernières années. Dans ma province seulement, il existe quatorze sociétés minières autorisées, Tavan Tolgoi et Oyu Tolgoi étant les plus grandes. Oyu Tolgoi est une société minière de cuivre et d’or qui utilise d’énormes quantités d’eau provenant de sources souterraines déjà épuisées. Il n’y a pas de rivières ou de lacs dans le désert de Gobi, ce qui oblige les éleveurs à creuser des puits afin de puiser l’eau dans les nappes souterraines. Nombre de ces puits se sont déjà complètement asséchés, principalement parce qu’Oyu Tolgoi utilise 950 litres d’eau par seconde. La région autrefois semi-aride est en train d’être transformée en désert à un rythme alarmant.  La compagnie minière Tavan Tolgoi exploite et exporte du charbon vers la Chine sur des chemins de terre non pavés, entraînant une dévastation injustifiée des terres utilisées par les bergers. Les éleveurs mongols ont commencé à protester, mais ils n’ont pas les ressources, l’organisation et le pouvoir nécessaires pour apporter des changements significatifs, car l’économie mongole dépend en grande partie de l’exportation du cuivre et du charbon vers la Chine. De nos jours, nous menons un rude combat pour sauver notre parcours de pâturage.

Encadres

Encadré 1

Bergers pour le climat : l’élevage animal est-il toujours néfaste pour la planète ?

Le rapport annuel publié par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) met en évidence l’importance de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Le bétail, le forage de pétrole et gaz, le fracking, les décharges etc., sont des sources majeures d’émission de méthane d’après le GIEC. Mais dans le débat publique/médiatique/politique, nous devons différencier les différentes sources pour arriver à un débat plus éclairé et juste sur les actions nécessaires pour le climat. C‘est pourquoi WAMIP a conduit une étude scientifique avec l’équipe internationale de chercheurs de PASTRES et publié le rapport « L’élevage animal est-il toujours néfaste pour la planète » [1]

Tous les gaz à effet de serre ne sont pas égaux. Alors que le méthane à un effet réchauffant de courte durée, le CO2 demeure pour toujours. De plus, les émissions par les systèmes d’élevage sont largement variables et l’on doit différencier entre systèmes intensifs et extensifs.

Les systèmes d’élevage pastoraux et extensifs peuvent être en équilibre d’émission de CO2, et leurs émissions de méthane ne sont pas additionnels parce qu’ils sont à des niveaux semblables aux systèmes de la faune sauvage qu’ils remplacent. Cependant, l’élevage intensif est pollueur de CO2 et de méthane et, de ce fait, nous le mouvement pastoraliste sommes en faveur de son démantèlement et sa pénalisation. 

Il est essentiel de réduire les gaz à effet de serre, mais toutes les sources ne sont pas égales : pâturage, élevage intensif ou fracking ne sont pas pareils. L’élevage extensif soutient un grand nombre de personnes, fournit des produits animaliers de grande qualité et peut être bénéfique pour le climat (améliorant la fertilité du sol ou empêchant les incendies).

Par conséquent, nous appuyons la réduction des émissions tout en répondant aux problématiques de justice climatique et en reconnaissant l’élevage extensif non pas comme une part du problème du changement climatique, mais comme une solution[2].


[1]  Le rapport est disponible ici (en anglais)

[2] WAMIP a envoyé une délégation internationale de nomades à Glasgow pour participer aux négociations officielles de COP26 et aussi aux manifestations, y compris un rassemblement de moutons, et a publié un communiqué.

Encadré 2

Réinventer un mode de vie ancestrale : Les écoles de bergers

Face à la menace de disparition du berger dans les zones de montagne d’Espagne, l’organisation à but non lucratif Campo Adentro-INLAND a lancé en 2004 un système de formation théorique et pratique, destiné à la fois aux jeunes intéressés par le métier de berger et aux bergers en activité. Ladite formation permet l’intégration de nouveaux bergers et assure le remplacement générationnel. Des centaines de personnes ont été formées, avec environ 70 candidats chaque année. 

L’école forme, d’une part, les candidats souhaitant démarrer leur propre projet d’élevage avec une orientation agroécologique et développer leur activité selon de nouvelles approches vers une viabilité économique et de la valeur ajoutée au produit.

Les personnes, ayant suivi cette formation, seront équipées également des connaissances nécessaires pour travailler en tant que salariés dans les fermes d’élevage nécessitant du personnel, ou pour l’exécution de services environnementaux tels que l’entretien de coupe-feu.

D’autre part, des cours sont offerts aux bergers en activité afin d’améliorer leurs compétences dans la fabrication de fromages ou d’autres activités selon la demande, ainsi que pour les voyages de formation et d’échange.

Le module théorique est suivi d’un travail pratique au sein du troupeau-école de Campo Adentro INLAND, dont une branche se trouve dans les montagnes de Madrid et une autre dans le nord de la péninsule. Récemment, a été créée une école de berger junior pour les enfants, ainsi qu’un système de bourses de formation gratuite pour les migrants sans papiers intéressés par ce mode de vie.

Une fois que les étudiants, encadrés tout au long de la formation, ont terminé la théorie et la pratique, ils doivent remettre un projet opérationnel.

À ce stade, l’École fournit à l’étudiant diplômé un soutien et des conseils dans les procédures et l’accès possible à la terre. Il est important de jouer un rôle actif dans l’incorporation de l’étudiant, la promotion des systèmes de gestion foncière entre les différents producteurs avec lesquels ils ont été en contact, les formules de transfert de propriété dans le cadre de baux, etc.…, en cas de retraite anticipée, de transfert, de formules d’économie sociale, de coopérativisme, etc….

Encadré 3

Genre et pastoralisme

En 2010, WAMIP a convoqué un Rassemblement mondial d’éleveuses et bergères, à Mera (Gujarat), en Inde, réunissant plus de 100 femmes de communautés d’éleveurs dispersées dans 32 pays différents pour discuter de la myriade de problèmes auxquels sont confrontées les bergères nomades et semi-nomades du monde entier, et comment, unies, elles peuvent s’efforcer de les résoudre. Les participantes ont identifié les questions clés, notamment les marchés, les règles et les droits, l’environnement, les mouvements sociaux, l’éducation et la santé, ainsi qu’un certain nombre de priorités d’action, telles que la représentation, la communication et le réseautage, l’éducation et le renforcement des capacités, le plaidoyer. Elles ont également sélectionné des représentantes pour rédiger la Déclaration de Mera afin d’informer et de soutenir le développement de politiques pastorales, ainsi que de démontrer leur engagement en faveur de la durabilité environnementale et de la protection de la biodiversité et des ressources communes pour les générations futures.

Depuis lors, des progrès ont été réalisés dans l’établissement de liens entre les luttes des éleveuses et bergères dans le cadre des revendications du mouvement féministe. Dans le secteur de l’élevage extensif et du nomadisme, nous revendiquons notre valeur à la fois au sein de ce secteur et de la société, luttant pour exercer notre mode de vie sans inégalités. Nous avons constitué un réseau de soutien mutuel comme espace de résistance et de sensibilisation. La crise sanitaire et sociale causée par la pandémie a entraîné des effets continus sur les soins et le travail essentiel. C’est pourquoi, il est de plus en plus nécessaire de reconnaître l’activité des bergères et des éleveuses qui, depuis leurs territoires, maintiennent la vie et soulignent le grand potentiel et l’énorme capacité des réseaux de femmes à faire face aux adversités. Nous devons mettre en relief le travail de ces femmes qui prennent soin et reproduisent les fondements de la vie, de la campagne et de la société.

Les éleveuses et les bergères défendent la sororité, exigeant l’abolition de toutes les inégalités subies par celles qui se sentent femmes dans un contexte patriarcal et capitaliste. Elles défendent le droit de ne pas être violentées, agressées, violées, assassinées ; exigent l’égalité de salaires, dans la prise de décision, dans l’accès à la terre, dans la distribution des soins; veulent décider de leur mode de vie, de leur sexualité et de leur reproduction, quels que soient leur âge, leur origine ou leur citoyenneté; demandent à exercer leur métier, et à être considérés comme valables, en tant que paysannes et éleveuses, et non en tant que simples « compagnes » ou « aides » des hommes avec lesquels elles travaillent.

Nous exigeons un environnement rural vivable, avec des services de base garantis pour tous : santé, éducation, transports publics, culture, soins aux personnes dépendantes, accès à la terre, à un logement décent et à des services à portée des femmes pour la prévention de la violence sexiste.

En tant qu’éleveuses et bergères, nous exigeons un environnementalisme qui tienne compte de nous comme étant des éléments actifs dans la région, des alliées de la biodiversité et des garantes des milieux naturels. L’élevage extensif est essentiel pour le maintien des écosystèmes, l’entretien des forêts, la prévention des incendies et l’amélioration des pâturages, ainsi que pour la lutte en faveur de la souveraineté alimentaire.  Tout cela à partir d’une méthode de travail féministe, en mettant le bien-être de nos troupeaux et notre territoire avant les résultats économiques, en concentrant la façon dont nous les traitons à partir du soin et du respect de leurs besoins, relation de soins qui s’étend également aux personnes que nous nourrissons avec la viande, le lait ou les produits laitiers que nous produisons.

Dans un cadre capitaliste et ultralibéral, on nous enjoint à croire qu’il n’est plus nécessaire de revendiquer nos droits, que le monde rural est un bien de consommation et que le travail dans l’environnement rural et la façon dont il est abordé, comme l’élevage extensif et le pastoralisme, n’est pas productif et n’a pas d’avenir. Les femmes rurales sont le présent et elles seront l’avenir. Elles deviendront de plus en plus fortes. Nous, les femmes, sommes et serons en première ligne.

Encadré 4

L’Alliance mondiale des peuples autochtones et des éleveurs nomades – WAMIP-  sur l’Année internationale des Parcours et des Bergers  (International Year of Rangelands and Pastoralists – IYRP)

Il y a quelques années, certaines entités travaillant sur l’écologie des prairies (comme l’Université de l’Arizona, l’ILRI, etc.)  ont lancé l’idée de faire campagne en vue d’une déclaration d’une Année des Nations Unies sur les parcours. D’autres organisations y ont adhéré et il a été proposé que l’année comprenne également la reconnaissance des bergers en tant que gardiens des parcours. Cette année, 38 pays et 300 organisations soutiennent l’IYRP. Lors d’une séance publique de la réunion COAG de la FAO en 2018 à Rome, le gouvernement mongol a donc présenté une demande de désignation de l’IYRP. La proposition a été approuvée sans réserve. Depuis, cette proposition a également été approuvée par le Conseil de la FAO et la Conférence de la FAO. Un vote final aura lieu à l’Assemblée générale des Nations Unies à l’automne 2021.

En tant qu’organisations de base composant l’alliance mondiale de WAMIP, nous exprimons notre soutien à l’initiative appelant à une Année internationale des parcours et des bergers (IYRP), comme indiqué dans la lettre adressée au gouvernement de Mongolie. Depuis sa création au sein de divers réseaux, principalement composés de chercheurs sur les prairies et les parcours et d’entités environnementales, nous avons salué l’incorporation de l’élément crucial des peuples éleveurs nomades comme étant les plus touchés par les politiques régissant les parcours et leurs gardiens efficaces pendant des millénaires.

Nous avons été témoins de la façon dont cet appel a recueilli un énorme soutien d’un large éventail d’organisations, comme nous pouvons le voir dans le nombre croissant de membres rejoignant le RISG dans le monde et dans les régions définies. Pour une bonne progression de cet effort, il serait important de s’assurer qu’une définition ouverte de ce qui est considéré comme parcours soit incluse dans tous les documents et déclarations : non seulement les prairies, mais aussi les forêts et les terres cultivées après récolte. Tout aussi importante que la définition des parcours est la connectivité entre eux : les sentiers d’ovins et de bovins ainsi que les droits de mobilité efficaces qui sont essentiels pour assurer l’utilisation durable des parcours.

En ce qui concerne la gouvernance du processus de l’IYRP, nous aimerions ouvrir un processus et créer un groupe de travail spécifique afin d’examiner comment les RISG sont constitués et fonctionnent dans chaque région, en tenant compte des réseaux pastoraux existants, de leur reconnaissance et de leur centralité dans le processus.

Il est important de s’assurer que les sièges octroyés aux éleveurs, qui président et coprésident chaque RISG régional, soient déterminés en accord avec le WAMIP. Par exemple, un processus de consultation préalable et d’accord avec les représentants des éleveurs dans toute décision ou étape concernant l’IYRP.

Une fois l’IYRP approuvé, il sera nécessaire de mettre en œuvre des actions  ad hoc d’ici 2026, des actions qui devraient être convenues et basées sur les préoccupations et les priorités du mouvement pastoral, car, à l’heure actuelle, l’autonomisation des capacités de gestion de la coordination pastorale au niveau régional est cruciale.

Sous les feux de la rampe

Sous les feux de la rampe 1

Digitalisation, agro-industrie et le mouvement pastoraliste

L’un des principaux effets de la mondialisation est la perte d’influence aux niveaux local, national et régional sur les prises de décisions économiques et politiques, un pouvoir qui a glissé aux mains d’acteurs mondialisés. Dans le même temps, nous assistons à un capital financier mondial devenant de plus en plus caché et clandestin. Dans cette même dynamique de mondialisation, des facteurs touchant le système alimentaire tels que la gestion de la terre, la régulation des prix, ou la régulation phytosanitaire, sont de plus en plus déterminés par des acteurs internationaux. Ce procédé de déplacement du pouvoir souverain a des effets multiples sur l’élevage à grande échelle et le pastoralisme.

Projets extractivistes, privatisation de la terre, ou la démarcation de zones naturelles protégées à l’exclusion des communautés locales, sont quelques-uns des principaux problèmes pour les petits producteurs parce qu’ils les dépossèdent de leurs terres.

Dans le même temps, les marchés poussent à générer des économies d’échelle : des macro-fermes avec des milliers d’animaux, et une grande concentration dans la chaine alimentaire des élevages de cochon et volaille. Ce modèle d’élevage exploite les personnes, les animaux et l’environnement, transformant le travail d’élevage du bétail à petite échelle, à une logique industrielle. La robotisation avance considérablement : les machines de traite, les machines d’alimentation, les machines de nettoyage des granges, etc… le tout pour augmenter le volume de production, alors que le prix des produits comme le lait et l’agneau diminue progressivement et celui des intrants tels que les aliments augmente. Cette imposition du capitalisme « croître ou mourir » détruit le secteur laitier et l’élevage familial, et seulement quelques-uns peuvent survivre.

Les organisations comme le Forum Economique Mondial (FEM) ou le Conseil mondial des entreprises pour le développement durable, qui représentent les intérêts des grandes entreprises, sont de plus en plus puissantes au sein de l’ONU. Cela veut dire que l’on fait face à un scénario où la gouvernance publique mondiale est en train d’être privatisée. Preuve en est l‘influence qu’exerce le FEM sur l’ONU en devenant le sponsor officiel du Sommet sur les systèmes alimentaires (UNFSS) qui a été rejeté et boycotté par le mouvement pour la souveraineté alimentaire.

De plus, ce pouvoir excessif que le capital financier exerce sur l’économie réelle s’approfondit avec la digitalisation. Dans le secteur alimentaire, la digitalisation a un impact sur la gestion des terres et des ressources naturelles. Les satellites géostationnaires jouent un rôle de plus en plus important dans la prise de décision. Les nouveaux éco-régimes de la PAC exigeront que 30% des animaux de chaque troupeau soient suivi par GPS. Auparavant, l’UE voulait imposer l’identification de chaque animal par puce électronique. Ces processus entraînent toute une série de conséquences négatives pour les associations liées à la souveraineté alimentaire, parce qu’ils les excluent de la prise de décision. Les questions de gestion territoriale sont digitalisées alors que dans les zones rurales, la connectivité est très précaire. L’application de ce changement dans la matrix technologique est amplifiée par le fossé digital et les problèmes financiers.

La gouvernance même de la digitalisation est privée, il n’y a pas d’entité dédiée à la régulation de ce nouveau champ de conflit. Le mouvement pour la souveraineté alimentaire est en train de créer des alliances avec des mouvements travaillant sur la question technologique, puisque dans le présent et futur proche, il s’agit d’un secteur dans lequel nous devons affirmer nos droits et notre souveraineté. Sans aucun doute, beaucoup de mécanismes et de structures de démocratisation manquent encore. Nous nous battons pour une structure publique internationale pour la technologie.

Il n’est pas suffisant d’exercer une souveraineté aux niveau local et national – nous devons nous organiser pour aussi agir mondialement, avec une stratégie politique qui cherche à obtenir une participation dans les institutions publiques internationales afin de démocratiser ces espaces et de pouvoir les influencer. Ce processus pourrait permettre de défier la mondialisation et l’accumulation incontrôlée de richesse. 

Sous les feux de la rampe 2

Environnementalisme et pastoralisme, une opposition apparente

En septembre de cette année, s’est tenu à Marseille le Congrès de l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature), une puissante organisation rassemblant les principales ONG de conservation de l’environnement. Le même mois, les peuples autochtones et les producteurs alimentaires de différentes parties du monde se sont réunis sous le slogan « Notre terre, notre nature, pour la décolonisation de la conservation de la nature », représentant une réinterprétation alternative de la manière dont la gestion de l’environnement est effectuée, comment et par qui. L’UICN a fait l’objet d’une inspection, tout comme certaines grandes organisations, telles que le WWF ou le Sierra Club, qui ont été accusées de pratiques abusives envers les peuples autochtones et de racisme.

Il y a quelques années, WAMIP dénonçait comment un rapport de l’UICN sur les mesures de

« protection de la nature » dans la région de Ngorongoro (Tanzanie), conseillait «d’évincer les communautés pastoralistes de la région ». En quelques jours, l’armée a violemment expulsé des milliers de personnes du milieu où elles avaient fait paître leurs troupeaux pendant des millénaires, afin de faire place à de nouveaux hôtels et aux safaris touristiques.

Le modèle de conservation, ayant un grand pouvoir économique et dominant l’imaginaire collectif, est de type forteresse. Ce modèle est basé sur la croyance, erronée et raciste, selon laquelle la meilleure façon de protéger la biodiversité est de créer des zones protégées où l’influence humaine est supprimée. Sa philosophie est que les populations autochtones aggravent la perte de biodiversité et la dégradation de l’environnement, malgré le manque de preuves scientifiques et historiques et même de nombreuses preuves du contraire. [3]

Ce modèle, défendu par certaines ONG internationales et transnationales telles que WWF, WCS ou African Parks, se répand dans le monde entier et étaye l’argument de la création de parcs naturels sans tenir compte des connaissances et de l’expérience des peuples pastoralistes et des habitants du monde rural.

Les origines de ce modèle de conservation, type forteresse, sont coloniales et racistes. Depuis 1970, plus de 1900 parcs ou zones protégées ont été créés, dont la plupart se trouvent dans les pays du Sud. Actuellement, des sommets tels que le Congrès de l’UICN impulse le soi-disant 30×30 – un plan visant à convertir 30% de la planète en zones protégées.

A partir d’une position critique au sein de l’environnementalisme, nous dénonçons et luttons activement contre ces fausses mesures qui, loin de présenter des solutions à la situation actuelle d’urgence climatique et sociale, renforcent les intérêts du système économique dominant, basé sur l’exploitation des ressources limitées d’une planète s’étant effondrée depuis longtemps. Comme le démontrent les preuves scientifiques et l’expérience humaine, ce système est non seulement insoutenable, mais aussi directement responsable du chaos climatique et de l’injustice sociale en résultant.

Les seules solutions durables, justes et réelles, ne cèdent pas aux intérêts capitalistes, coloniaux et racistes. Les véritables solutions au chaos climatique dépendent de l’humanité, de notre diversité spécifique, en particulier des peuples autochtones et autres communautés locales ainsi que leur droit à la terre, étant donné que ce sont les divers peuples autochtones qui protègent sur leurs terres 80% les zones les plus riches en biodiversité de la planète.

Nous avons besoin d’un modèle de conservation de la nature qui donne une place centrale aux soins, à la diversité et aux droits de l’homme et qui s’attaque aux causes réelles du chaos climatique, à savoir : la surconsommation et l’exploitation des ressources menées par les pays du Nord et leurs industries.


[1]  Le rapport est disponible ici (en anglais).

[2] WAMIP a envoyé une délégation internationale de nomades à Glasgow pour participer aux négociations officielles de COP26 et aussi aux manifestations, y compris un rassemblement de moutons, et a publié un communiqué.

[3] https://www.survival.es/conservacion

Bulletin n° 46 – Éditorial

Introduire le message des communautés pastorales, une voix du terrain

Illustration par Fernando Garcia Dory, European Shepard Network / WAMIP

Plus de la moitié de la surface de la Terre est couverte de prairies et de pâturages. Pendant des milliers d’années les communautés pastorales ont domestiqué des animaux et géré des écosystèmes de façon durable, créant une diversité de cultures et de systèmes alimentaires adaptés et résilients. La biodiversité a toujours co-existé avec le pastoralisme.

Le pastoralisme est basé sur l’utilisation extensive du territoire, parfois des prairies mais aussi forêts et terres arables après récolte, terres marginales et autres espaces qui très souvent ne sont pas favorables à l’agriculture. Le pastoralisme est pratiqué par 200 à 500 millions de personnes à travers le monde dans des environnements très variés dans presque tous les pays, des terres arides sub-sahariennes d’Afrique au cercle arctique.

Notre mode de vie a existé depuis les temps immémoriaux, évoluant avec le paysage. Mais aujourd’hui le pastoralisme est plus que jamais menacé par l’industrialisation forcée de l’élevage. Nous devons mettre fin à la disparition de pâturages, à l’« accaparement des terres » et aux restrictions de la mobilité qui rendent impossible  le maintien d’un système pastoral viable. Nous sommes actuellement en train de définir une campagne potentielle sur les Droits liés au pastoralisme. Notre identité et notre culture sont érodées alors que les politiques manquent de prendre en compte, de comprendre ou même de reconnaitre l’existence du pastoralisme. Des rendements économiques bas et un manque de reconnaissance a pour conséquence que les jeunes éleveurs dans certains endroits se sentent forcés d’abandonner notre mode de vie ou de s’orienter vers des méthodes agricoles plus intensives. Nous promouvons une Section Jeunes du WAMIP, parce qu’il est souvent difficile pour les jeunes d’accéder à la terre.

Les décisions politiques sont prises avec peu ou sans consultation avec les communautés locales. Nous sommes les usagers traditionnels de la terre mais nous sommes systématiquement exclus des décisions sur la gestion des terres, y compris la réintroduction ou la gestion des prédateurs sauvages ou la désignation de zones de protection de la nature. Les exigences bureaucratiques, privilégiant la production intensive de bétail, imposent un immense et irréaliste fardeau de paperasserie aux éleveurs nomades et semi-nomades.

Mais partout à travers l’Europe et le monde, nous nous organisons en fédérations, construisons des réseaux régionaux et gagnons une reconnaissance internationale par les institutions majeures. Nous luttons pour défendre les intérêts des petits producteurs et pour accroitre notre représentation politique. Nous créons des centres de recherche, nous nous associons avec des institutions scientifiques, formons nos jeunes et développons notre capacité.

WAMIP est une alliance de communautés pastorales et de peuples indigènes mobiles à travers le monde. Nous défendons notre espace commun afin de préserver nos formes de vie pour la poursuite de notre mode de subsistance et identité culturelle, de gérer durablement les ressources communes et d’obtenir le respect complet de nos droits. En tant que mouvement populaire indépendant, nous travaillons avec d’autres organisations de la société civile dans le but d’influencer les politiques aux niveaux national, régional et international, et les organisations supranationales telles que l’ONU et ses agences comme la FAO, CDB etc.

Nous combattons ces courants et maintenons notre mode de vie en innovant et en nous améliorant en permanence. Nous utilisons des races locales qui s’adaptent à un environnement changeant. Nous essayons de sensibiliser les consommateurs et de leur vendre directement. Nous utilisons de nouveaux media pour promouvoir nos traditions culturelles et organiser des évènements festifs.

Certains d’entre nous ont négociés des contrats pour prévenir des incendies, maintenir des patrimoines paysagers et fournir d’autres services environnementaux. Nous sommes les ambassadeurs de notre héritage culturel local, de la production durable et de la Souveraineté Alimentaire.

European Shepherds Networks