Sous les feux de la rampe

Sous les feux de la rampe 1

Le droit de l’homme à une alimentation adéquate ne peut être réalisé pleinement que dans le cadre de la souveraineté alimentaire

Il n’y a rien de plus primaire pour l’être humain que de respirer, se nourrir, et d’étancher sa soif. Ces activités sont fondamentales et sont garanties par l’eau, la nourriture et l’oxygène présents dans notre corps, et dans les aliments, boissons et air que nous consommons. Sans ces éléments, nous ne pouvons grandir, nous devenons faibles, malades et mourons. Les luttes des populations contre l’exploitation, la discrimination, la famine et la malnutrition ont contribué à l’obtention du droit de l’homme à une alimentation adéquate pour tous (parmi d’autres droits), dans le contexte de la souveraineté alimentaire et de celle des peuples.

Manger et nourrir sa famille et les autres sont des actions qui reflètent profondément la richesse et la complexité de la vie de l’homme en société. Nos habitudes alimentaires proviennent de notre nature humaine ; mais elles sont également des produits de l’histoire, ainsi que des luttes et des vies de nos ancêtres. Elles reflètent l’existence de nourriture et d’eau dans notre environnement local, les relations de pouvoir et la capacité à la fois économique et physique d’accéder à la nourriture.

Les débats sur la nourriture sont inséparables de ceux sur l’alimentation et la santé, dans le contexte des droits des femmes et de la souveraineté alimentaire. Ces débats devraient parler de la diversité, quantité, composition nutritionnelle, qualité et type de production alimentaire ; de qui produit quoi, comment et où, et de qui prend ces décisions. On devrait également aborder le sujet de l’accès et du contrôle des ressources productives et de l’accès physique et économique à la nourriture et à l’eau ; ainsi que des méthodes de préparation, de l’information sur la diversité et les régimes alimentaires conseillés ; de la définition d’habitudes alimentaires saines et des risques de consommation de nourritures variées, tels que les aliments ultra-transformés, graisses saturées et aliments génétiquement modifiés, parmi d’autres.

De plus, la définition d’un régime alimentaire sain ne peut être réduite à une ration équilibrée d’aliments de base. La nourriture et la nutrition intègrent de la créativité, de l’amour, de l’attention, de la socialisation, de la culture and de la spiritualité. Ainsi, un régime équilibré est un régime qui répond à toutes ces dimensions et contribue à créer des êtres humains en bonne santé, conscients de leurs droits et responsabilités en tant que citoyens de leur pays et du monde ; conscients de leurs responsabilités environnementales et de la qualité de vie de leurs descendants.

La nourriture pour les Hommes signifie beaucoup plus que l’acte instinctif de rassembler des aliments et de chasser ; acte qui provient exclusivement de la faim. L’idée de nourriture dépasse la simple prise de substances nutritives présentes dans la nature, que nous digérons, et qui se transforme en corps et en vie. A travers son évolution, l’Homme a développé un rapport étroit avec les procédés alimentaires, les transformant en riches rituels qui relient les Hommes à la nature, imprégnés des caractéristiques culturelles de chaque communauté et famille. Lorsqu’ils mangent des plats typiques de leur enfance et de leur culture avec leurs amis et famille, les individus renaissent dans leur dignité humaine, ils réaffirment leur identité, et encore plus à d’autres niveaux qui vont bien au-delà de la consolidation de leur santé physique et mentale.

Le développement de tout être humain dépend du soutien de ses parents, famille, communauté et société depuis le moment de sa conception. Ce soutien se manifeste par de l’amour, de la chaleur, de l’attention, de la stimulation, de l’éducation et de la sécurité, parmi d’autres. Il est inconcevable de séparer la valeur individuelle de chacun de ces facteurs. Les meilleures habitudes alimentaires pour les nourrissons et enfants en bas âge, tel que l’allaitement exclusif jusqu’à l’âge de six mois et encore ensuite jusqu’à l’âge de deux ans ou plus ; combiné à l’introduction opportune de compléments alimentaires adéquats, sont vitales et impliquent toutes ces dimensions. Dans ce sens, il est essentiel de renforcer la responsabilité collective (dans un premier temps au niveau étatique) afin de s’assurer que les conditions appropriées qui permettent aux femmes d’allaiter de façon optimale sans se voir imposer des fardeaux supplémentaires, soient respectées. Dans un tel environnement favorable, les droits des femmes et des enfants sont protégés et respectés, et l’allaitement peut ainsi être accompli comme acte premier de la souveraineté alimentaire.

Promouvoir la souveraineté alimentaire, avec pour objectif la pleine réalisation du droit de l’homme à une alimentation adéquate ainsi que l’alimentation pour tous, requiert forcément la pleine réalisation des droits humains des femmes. L’impact de la violence structurelle contre les femmes et jeunes filles, et les violations systématiques de leurs droits à l’alimentation ont été dissimulées par la vision hégémonique de la sécurité alimentaire et de l’alimentation. Les cas de malnutrition chez les femmes et enfants peuvent être largement attribués à une discrimination sexuelle omniprésente en ce qui concerne l’accès à l’éducation et à l’information, le poids disproportionné des tâches ménagères, le mariage des enfants et les grossesses précoces. En tant que la source de soutien principale, les familles et en particulier les mères sont également les premières cibles de la commercialisation malveillante de produits alimentaires malsains, tels que les substituts de lait maternel et les aliments à fort taux de sucre ou graisse ; et donc reçoivent des informations inadéquates et déroutantes à propos de la manière de nourrir leur famille. Enfin, les politiques et programmes de sécurité alimentaire ne s’attaquent pas de manière efficace à ces problèmes structurels et, au nom de la « promotion de l’égalité des sexes », finissent par accroître davantage le fardeau qui pèsent sur les femmes, en leur donnant encore plus de responsabilités qui, en réalité, devraient être partagées de manière collective.

Cette conceptualisation holistique de la nourriture et de l’alimentation nous fait comprendre que la faim et les différentes formes de malnutrition ne sont pas des processus « naturels ». Ils sont en réalité le résultat d’une exclusion et d’une exploitation à la fois économiques et sociales, et en particulier de :

1. L’accaparement de terres et autres ressources naturelles, des connaissances et pratiques humaines, du travail, de la capacité productive et reproductive et des modes de vie.
2. Des salaires peu élevés et inégaux, et de piètres conditions de travail et autres violations des droits des travailleurs.
3. L’expansion sans discrimination (et la promotion publique) du modèle de production agroalimentaire, qui réduit la diversité et la qualité de la nourriture et qui empoisonne le sol, l’eau, les travailleurs, les communautés de paysans et qui encourage le réchauffement climatique.
4. L’accumulation de terres et de richesses entre les mains de quelques-uns.
5. La violence structurelle contre les femmes et les jeunes filles, y compris de leur droit à l’éducation, les limites imposées à leur autonomie et le contrôle de leur vie et de leur corps.
6. Les pratiques non règlementées de commercialisation qui encouragent la consommation d’aliments transformés tels que les substituts de lait maternel, les aliments génétiquement modifiés, les produits nutriceutiques, les suppléments alimentaires et produits enrichis, ainsi que leur distribution de plus en plus large.

Les luttes pour le droit de l’Homme à l’alimentation n’a pas seulement pour but de satisfaire notre faim et nos besoins nutritionnels, mais également de nous nourrir nous, notre famille, nos amis et même les étrangers, pour nous réaffirmer et nous aider les uns les autres en tant qu’êtres humains dans notre dimension physique, intellectuelle, psychologique et spirituelle. Ce n’est pas sans raison que toutes les fêtes familiales et communautaires ainsi que beaucoup de rituels spirituels impliquent la préparation de nourriture et sa communion. En faisant cela, nous réaffirmons notre identité et notre diversité culturelle dans le contexte de l’universalité d’être humains et nous réalisons notre souveraineté alimentaire.

Sous les feux de la rampe 2

L´entreprise prend le contrôle de l´alimentation et des espaces de politique nutritionnelle

Lors des dernières décennies, des politiques de dérèglement ont mené à une immense concentration du pouvoir des entreprises dans les systèmes alimentaires globaux [Voir La Déclaration Berne & EcoNexus (2013)] et ont consolidé l´influence des entreprises sur les politiques des pouvoirs publics, tous les deux au niveau national et international, terrorisant les communautés et les familles concernant leurs compétences pour transformer la nature et l´alimentation et obtenir une nutrition saine et du bien-être. Sous le parapluie des partenariats publics-privés (PPPs) et des initiatives multilatérales, des entreprises privées assument des fonctions de plus en plus importantes en façonnant des politiques publiques, et en prenant ainsi la relève auprès des fonctions des gouvernements élus, tout en sapant le cœur de la gouvernance démocratique. Cette nouvelle tendance entraîne de sérieuses conséquences pour la souveraineté alimentaire. En fait, les politiques et les interventions destinées à l´alimentaire et la nutrition sont de plus en plus orientées vers des intérêts au profit maximum des corporations et leurs actionnaires, au lieu de se voir orientées vers des besoins physiologiques et nutritionnelles de la population en général et plus spécifiquement, vers les communautés affectées par la faim et la malnutrition, qui deviennent encore plus marginalisées.

En 2010, le Forum Economique Mondial (FEM) a lancé le rapport final de son Globale Redesign Initiative (GRI) [Voir Guide des lecteurs pour l’Initiative Global Redesign à l´University of Massachusetts qui résume les
plus importantes propositions du WEF], dans lequel on propose la radicale restructuration de la gouvernance globale vers un accord multipartenariale dans lequel les entreprises privées prennent part lors des négociations et des processus décisionnels avec les représentants du gouvernement. Même si cela ne peut sembler que des promesses, il s´agit d´une malheureuse réalité, avec la nutrition et les aspects de santé placés au premier plan de l´entreprise pour la reprise des espaces de gouvernance publique. Selon la proposition du GRI, l´Organisation pour l´Alimentation et l´Agriculture (FAO) pourrait être remplacée par : “Alimentation Globale, Agriculture et Initiative Nutrition Redesign ” fonctionnant sous la surveillance étatique et non étatique.

En 2008, le Comité Permanant des NU sur la Nutrition (CPNU) -l´organisme d´harmonisation pour des politiques de nutrition associées et des programmes des Nations Unies- a été effectivement arrêté à cause de sa politique relativement forte concernant l´engagement avec le secteur privé et la circonscription de résistance de la société civile afin d´inclure le secteur privé en tant que comité. Au même temps, les mêmes acteurs qui ont (malheureusement) enfoncé pour la participation du secteur privé au CPNU, et par la suite ont préparé la voie vers le discrédit et l´épuisement des financements, faisaient la promotion d´une nouvelle initiative de portée globale – l´Initiative d´élargissement de la Nutrition (IEN). Opposé au CPNU, qui est responsable des gouvernements, SUN ouvre sa porte à un fort compromis avec un secteur privé en nutrition avec la vision du GRI. Parmi ses membres (y compris ceux du Lead Group), on constate de grandes entreprises transnationales de l´alimentation et des boissons et des agro-businesses [Compagnies participant au SUN : PepsiCo, Mars, Unilever, Syngenta et BASF]. Parmi elles, quelques unes ont été concernées dans le passé dans des abus contre les droits humains, et sont connues par leurs résistances aux règlements de la santé publique.

Le compromis des entreprises privées avec la gouvernance de l´alimentaire et la nutrition à travers PPPs –telles que SUN- présente un vrai risque pour la souveraineté alimentaire. Cela introduit un biais vers des solutions techniques, artificielles et à base des produits locaux, telles que des produits alimentaires thérapeutiques et fortifiés, des semences génétiquement modifiées, et des suppléments nutritionnels, et on détourne l´attention concernant les déterminations sociales et les violations aux droits humains, qui sont à la base de la famine et de la malnutrition. D´ailleurs, on ferme les yeux devant le rôle des entreprises, ce qui entraine de la famine et de la malnutrition à travers des marketings inappropriés sur des substituts du lait maternel et des aliments pas salutaires, un travail abusif et des politiques de sous-traitances, sur la terre et les ressources naturelles, sur la pollution et la destruction des écosystèmes et la biodiversité, etc., et le besoin urgent des règlements obligatoires. Il se peut que l´aspect le plus important soit que cette reprise en charge institutionnelle sur les espaces de la gouvernance de l´alimentaire et la nutrition a de négatives implications pour le riche et complexe processus socioculturel concernant les habitudes alimentaires et la nourriture individuelle au niveau des communautés et chez des familles partout dans le monde, à partir de la promotion des méthodes de production non soutenable et le réchauffement global.

En Novembre de la dernière année, la Deuxième Conférence Internationale sur la Nutrition (CIN2) a eu lieu à Rome. Avant et pendant la conférence, des mouvements sociaux et des organisations de la société civile ont crée une vaste alliance pour défendre les politiques de nutrition et des interventions ayant les personnes – et tout en particulier les communautés et les producteurs alimentaires à la petite échelle- au centre et elles se sont appuyées sur la promotion des droits humains afin d´adapter l´alimentaire et la nutrition dans un vaste cadre de souveraineté alimentaire, d´indivisibilité des droits des femmes et des enfants [La société civile et les déclarations du mouvement social avant et au ICN2 peuvent être trouvées ici]. On a demandé aux États de mettre en place un mécanisme de gouvernance cohérent, capable de suivre et d´assurer un responsable rapport entre les obligations et les engagements des États sur la nutrition, et en même temps, qu´il prenne un engagement avec la société civile, et en particulier, avec les groupes affectés par toute forme de malnutrition. Le Comité de Sécurité Alimentaire Mondiale (CSA) devrait jouer un rôle dans le cadre de cette politique assurant la cohérence pour la sécurité alimentaire et la nutrition, et on lui a demandé d´inclure la nutrition dans son plan de travail. Des mouvements Sociaux et des CSOs ont très fortement exprimé leur opposition à la participation du secteur privé au niveau des politiques de l´alimentaire et la nutrition. Et on a demandé au Comité l´adoption d´un solide intérêt pour les garanties devant toute forme d´engagement avec le secteur privé.

Au début de cette année, il y a eu des tentatives provenant de quelques acteurs afin de ciseler un espace proéminent pour SUN dans le CSA, c´est ainsi que l´on examine son rôle futur en nutrition progressive. A manière de réponse à ces tentatives, le groupe de travail du Mécanisme de la Société Civil (MSC) sur la nutrition a appelé l´établissement d´un processus transparent, informé, et participatif au sein du CSA afin de discuter ses engagement sur la nutrition. Le mois dernier, le groupe de travail du Multi Programme Annuel de Travail (MPAT) a décide que la nutrition deviendra un énorme flux de travail du CSA lors des prochaines années. Et cela entrainera à l´avenir la création d´un groupe de travail.

Il s´agit d´un moment critique pour faire devenir la nutrition plus forte au CSA et pour mettre en place une organisation globale d´harmonisation pouvant assurer une politique cohérente à travers des secteurs favorables aux droits humains, permettant ainsi d´adapter l´alimentation et la nutrition. Cependant, afin d´y parvenir, le CSA doit développer des garanties adéquates pour protéger leur espace politique devant des entreprises ayant des influences exagérées. C´est donc essentiel que les mouvements sociaux et les organisations des sociétés civiles, à travers les lentilles et un cadre de souveraineté alimentaire, qu´ils placent au cœur de la question la dimension du pouvoir lors des discussions sur l´alimentation et la gouvernance nutritionnelle, qu´ils préconisent afin de renforcer les garanties devant des intérêts opposés au sein du CSA, pour rester alerte et contrôler de très près les développements -au sein et bien au-delà du CSA- dans le secteur de la nutrition ; et finalement, qu´il faut résister devant les tentatives des entreprises d´appropriation de cet espace vital et d´un profond détachement de la nutrition concernant l´alimentation, les humains et la nature.

Bulletin n° 22 – Éditorial

Nutrition et souveraineté alimentaire

Illustration: Alapinta crew in Paris

Cette édition de la newsletter Nyéléni est centrée sur la nutrition en tant qu’élément-clé du droit de l’homme à une alimentation adéquate, dans le cadre de la notion de sécurité alimentaire. Ceci met en valeur la fragmentation artificielle de produits alimentaires et de la nutrition, ainsi que les tentatives du secteur privé de s’approprier l’espace politique nutritionnel. Son auteur décrit l’impact que ceci a sur l’alimentation de la population, de même que sur les façons dont les communautés résistent et construisent des modèles alimentaires alternatifs.

L’alimentation humaine concerne l’interaction entre la nourriture et le corps humain, comme la santé et sensation de bien-être qui en découlent. La meilleure source de nutrition demeure l’allaitement, ainsi qu’une alimentation traditionnelle riche et diversifiée, développée par les cultures tout au long de l’histoire. La nutrition ne représente qu’une des dimensions de l’alimentation liées à la santé humaine. La meilleure manière de garantir une alimentation adéquate est par la mise à disposition de régimes diversifiés, sains et équilibrés ; basés sur des aliments frais et produits localement, de manière agroécologique, et préparés selon les pratiques culturelles. La notion de nutrition ne peut être séparée de celle de nourriture, des modèles de production, ou encore des modèles et habitudes alimentaires.

La malnutrition dans toutes ses formes, notamment l’obésité, est le résultat de la pauvreté, de la famine et du manque de nourriture, ou encore de régimes monotones, avec la consommation d’aliments ultra-transformés. Les interventions concernant la nutrition peuvent être essentielles pour inverser les cas les plus graves et prévenir la malnutrition ; cependant, les suppléments alimentaires ou autres interventions similaires ne peuvent remplacer l’accès régulier à des produits locaux et à des régimes équilibrés, à travers l’accès et le contrôle des ressources productives, de salaires adéquats, d’une protection sociale, de la non-discrimination, de la promotion des droits des femmes et de systèmes alimentaires construits avec des principes agroécologiques et de sécurité alimentaire.

Flavio Luiz SchiekValente, FIAN International

L’échos des campagnes

L’écho des campagnes 1

Accaparement des terres par la Dominion Farms au Nigéria

Les paysans de l’Etat Taraba au Nigériaont été expulsés de leurs terres, qu’ils cultivaient depuis des générations, en vue de permettre à l’entreprise américaine Dominion Farms de s’établir sur 30.000 ha pour cultiver du riz. Le projet est soutenu par le gouvernement du Nigéria et la Nouvelle Alliance du G8 pour la Sécurité et la Nutrition en Afrique.
Les terres attribuées à la Dominion Farms font partie d’un projet d’irrigation public dont dépendent des milliers de familles pour leurs besoins en nourriture et leur subsistance. Les populations locales n’ont pas été consultées concernant l’accord passé avec la Dominion Farms et, bien que l’entreprise ait déjà commencé à occuper les terres, ils ignorent complètement s’il existe un plan pour une compensation ou une réinstallation. Les paysans locaux sont opposés au projet de la Dominion Farms. Ils veulent que leurs terres leur soient rendues afin qu’ils continuent à produire des aliments pour leurs familles et le peuple nigérien (…). Certains de ces paysans sont intervenus au cours de la réunion avec l’ ERA*et le CEED**à Gassol et ont déclaré:

“Nous étions heureux lorsque nous avons appris l’arrivée de Dominion Farms mais nous ne savions pas que c’était dans l’intérêt égoïste de quelques membres de l’Etat, du Gouvernement fédéral et des étrangers en charge de Dominion Farms. Nos terres sont bonnes et très riches. (..)Or, lorsque les employés de Dominion Farms sont arrivés avec leurs machines et leurs équipements de travail on nous a demandé d’arrêter de cultiver et même de quitter nos terres qui avaient été entièrement cédées au projet de Dominion Farms. (…)” – Mallam Danladi K Jallo

“Nous parlons d’une seule voix pour nous opposer à Dominion Farms et à leurs activités. Sur ces terres nous avons des étangs poissonneux hérités de nos ancêtres, or Dominion Farm a déclaré qu’ils allaient tous les combler avec du sable afin de disposer de plus d’espace pour leurs cultures. Lorsqu’ils ont commencé les travaux, ils sont venus avec du personnel de sécurité chargé par Dominion Farms d’expulser les paysans qui travaillaient sur leurs terres.”– Alhaji Mairiga Musa

“Nous n’approuvons pas ce système agricole et de culture étranger que nous ne connaissons pas. Ils viennent chez nous pour cultiver. Mais ce que nous constatons c’est que nos terres nous sont enlevées et leur sont distribuées. Et nous ne sommes pris en compte à aucun niveau. Pour le bien de notre avenir et de celui de nos enfants, nous exigeons des autorités gouvernementales de demander à Dominion Farms de ne pas occuper nos terres ” – Rebecca Sule (Mama Tina)

*Environmental Rights Action (ERA), Amis de la Terre Nigéria, ** Center for Environmental Education and Development (CEED), cf. Article et rapport ici.

L’écho des campagnes 2

Prendre soin de nos territoires traditionnels

Ninawá Inu Pareira Nunes –leader du peuple autochtone HuniKui de l’Etat d’Acre (région amazonienne) au nord du Brésil

“Dieu” a créé tout ce qui existe et a donné la vie. Sur notre planète Terre, il existe des êtres vivants, humains, animaux et végétaux, avec de nombreuses spécificités et diverses relations interconnectées. Or, Dieu a créé un élément commun à tous les êtres vivants, le Territoire et les Traditions.

Nous “peuples autochtones” avons beaucoup de coutumes, croyances et traditions en relation directe avec la forêt, l’air, l’eau, la terre et le soleil, en un lien cosmologique et spirituel unique, très profond et respectueux. Pour nous, la terre a une signification de développement durable et de spiritualité par le biais de nos coutumes exprimant notre identité, élément vital et essentiel pour la reproduction physique, spirituelle et culturelle de nos générations futures.
Depuis des temps immémoriaux, nous, “peuples autochtones”, exerçons des rôles fondamentaux et stratégiques dans la protection de la Terre Mère, en limitant la déforestation, conservant les forêts et la biodiversité, ainsi que d’autres richesses de nos territoires pour soutenir notre communauté ou d’autres communautés qui en dépendent pour leur subsistance, leur indépendance financière, leurs conditions de formation académique ou technique. Tout ceci est possible grâce à nos savoirs ancestraux.

De nos jours, la technologie nous oblige à modifier notre tradition pour garantir un modèle de développement pervers et destructeur. Cependant, pour mon peuple Huni Kui, il s’agit d’une grave erreur des gouvernements. Nous avons la preuve qu’il est possible de vivre sans cette technologie destructive. Il est possible de prendre soin de l’environnement de chaque être vivant en étant en relation avec ses spécificités, en créant des viabilités concrètes et nous estimons que d’autres communautés traditionnelles le pensent aussi.

Pour nous, le territoire traditionnel Huni Kui permet de garantir à 100% nos vies, grâce à une sécurité alimentaire selon des méthodes traditionnelles – avec des aliments provenant des rivières, des lacs et des ruisseaux, avec du gibier de la forêt, avec des pommes de terre et autres légumes sains, qui diffèrent des méthodes techniques de production où 70% des aliments et de la nourriture contiennent des produits agro-toxiques. Nos rituels traditionnels, nous permettent de soigner sans intervention scientifique/technologique, sans utiliser des médicaments de laboratoire, qui soignent soit disant les maladies mais causent des effets secondaires dans d’autres parties du corps. Nous en avons une expérience transmise de génération en génération.

Nous avons donc besoin de maintenir nos territoires traditionnels comme étant le milieu de nos relations matérielles et spirituelles avec la terre et avec notre mère, parce qu’ils produisent tout ce que nous avons besoin pour vivre, en harmonie avec les forêts et les animaux, tout en conservant l’équilibre environnemental comme l’air que nous respirons dans le monde entier. Il est possible de vivre dans un monde meilleur sans pour autant détruire la Nature et nos traditions. Un peuple autochtone sans territoire n’a plus de traditions.

Encadrés

Encadré 1

Quatre lois pour les pauvres en Thaïlande

Si vous postez une image de quatre doigts vus du dos de la main, sur les médias sociaux, c’est un signe de solidarité avec la campagne des quatre lois pour les pauvres. La campagne a commencé en 2008 pour répondre à la concentration continue des terres en Thaïlande. Selon des données datant de 2014, 62% des terres privées du pays sont entre les mains de 10% de la population. La ferme la plus grande appartenant à une seule personne est de 631 263 rai (soit 101 000 hectares). Alors que près de 750 000 familles rurales ne possèdent aucune terre, 70% des terres agricoles ne sont pas cultivées . La campagne des quatre lois pour les pauvres cherche à remédier aux disparités dans la propriété de la terre et aux difficultés auxquelles les populations marginalisées sont confrontées quand elles veulent accéder à la terre.

L’objectif principal de cette campagne est de faire approuver par le parlement les quatre lois proposées par les mouvements sociaux afin d’apporter des solutions aux problèmes fonciers de longue date et au manque de justice. La campagne a utilisé les médias sociaux et a organisé des évènements publics afin de mobiliser l’opinion publique. Selon la Constitution thaïlandaise, tout citoyen a le droit de soumettre un projet de loi au Parlement, et ce projet devient loi s’il recueille au moins 50 000 signatures.

Les quatre lois proposées sont:
1. Impôt foncier progressif – la loi imposerait des taux d’imposition foncière différents – particulièrement élevés pour les terres non cultivée – afin d’encourager une utilisation efficace des terres et éviter la concentration des terres. Ceux qui sont propriétaires de grandes étendues de terre seront amenés à utiliser ou à vendre la terre pour éviter de payer beaucoup d’impôts.
2. Impôt foncier sur les terres publiques – Une banque des terres publiques donnera accès aux terres aux personnes et paysan-nes sans terre qui pour-ront la louer ou l’acquérir bon marché afin d’en vivre et d’y habiter. Des fonds recueillis par l’imposition progressive ajoutés à d’autres soutiens fi-nanciers de l’état seront utilisés pour opérer la banque de terres publiques. Cette banque servira également de fond associatif pour la propriété collective et la gestion de la terre et des ressources naturelles.
3. Lois sur les droits de gestion des ressources naturelles et des terres communales – La loi reconnaitra juridiquement les droits collectifs à la terre et aux ressources naturelles à la fois dans la gestion et dans la propriété. La loi établira également une infrastructure juridique afin que les communautés puissent intenter un procès en recours collectif contre des acteurs étatiques et non–étatiques et afin de déterminer les rôles et responsabilités de l’état dans son soutien aux droits collectifs des populations.
4. Lois pour un fond de soutien juridique – Le gouvernement thaïlandais a déclaré que les terres occupées et habitées, à l’origine, par les populations rurales sont dorénavant des «réserves forestières; il en découle que le nombre de personnes qui empiètent sur ces terres, augmente. La loi établi-rait donc un fond qui soutiendrait financièrement les personnes et les com-munautés qui font l’objet de poursuites pénales. Ce fond couvrira les frais de poursuites judiciaires tels que les cautions, les frais de justice, etc.

Les quatre lois sont clairement interdépendantes: elles veulent remédier à l’inégalité foncière et répondre, à la fois aux besoins urgents des populations rurales et aux nécessités de plus long terme. La campagne des quatre lois pour les pauvres est l’une des plus grandes campagnes sur les questions foncières en Thaïlande, elle est dirigée et appuyée par différents mouvements sociaux, des associations et des réseaux de sans terre de différentes régions du pays.

Encadré 2

Réseau Reclaim the Fields en Europe

Reclaim the Fields (RtF) est une myriade de personnes et de projets collectifs dont le but est de reprendre le contrôle de la production d’aliments. Nous sommes déterminés à créer des alternatives au capitalisme par le biais d’une production à petite échelle, coopérative, autonome et qui réponde aux besoins réels, mettant ainsi la théorie en pratique.
Un rôle important du réseau RtF consiste à assurer le lien entre l’action pratique des différents groupes et les luttes politiques mondiales. L’accès à la terre est une question-clé sur laquelle nous travaillons. Le réseau s’étend à toute l’Europe avec une variété de démarches – des fermes collectives, des occupations de terre, des campements de protestation, des projets d’agriculture urbaine, un militantisme contre les OGM, etc. Se retrouver dans un réseau européen permet aux initiatives locales de partager idées et expériences, d’attirer l’attention publique sur des actions concertées et de se soutenir les uns les autres directement.

Les processus d’accaparement de terre – qui existent en Europe comme dans d’autres parties du monde – placent la terre sous contrôle des intérêts d’accumulation du capital. Les personnes et les groupes engagés dans ce réseau résistent contre ces pratiques d’accaparement de terre dans plusieurs endroits, dans différentes circonstances et à l’aide de stratégies diverses. L’occupation réussie et la défense des terres agricoles et des forêts de Notre-Dame des Landes en est un exemple bien connu. Un projet de construction d’aéroport par la société Vinci a été arrêté grâce à la résistance déterminée des paysans locaux et des militants. Maintenant, de nombreux jeunes se sont installés dans cette zone qu’ils nomment la « ZAD » (Zone à Défendre), divers collectifs ont entrepris de redonner vie aux fermes abandonnées et y produisent de la nourriture.

Cette année, la rencontre annuelle de RtF s’est tenue en janvier, à Nottingham au Royaume-Uni et a donné aux militants l’occasion de s’engager dans des débats théoriques et de réorganiser le travail thématique en différents groupes. Pour l’année à venir, un campement a été prévu au Royaume-Uni sur le site d’un projet de méga-prison. Les campements de RtF offrent un programme d’ateliers, permettent de partager les idées avec un plus grand public et de soutenir les luttes locales de la région. En outre, des membres de RtF prévoient une visite en Grèce pour établir des liens avec différents projets.

Ces exemples démontrent l’importance de bâtir des alliances avec d’autres mouvements sociaux car dans nos efforts pour reprendre le contrôle de nos vies, l’agriculture – bien que très importante – n’est qu’une facette de nos luttes.

De plus amples informations sur le réseau et les groupes qui le composent, sont disponibles à www.reclaimedfields.org ou contactez-nous à contact@reclaimthefields.org.

Encadré 3

Le paradigme de Bukittinggi: Vers une révolution agraire*

Les réformes agraires et hydriques du 21ème siècle doivent être des luttes pour la justice visant à démocratiser les structures agraires et bâtir de nouvelles relations sociales, économiques et politiques. Elles intègrent l’espace, le territoire, l’eau et la biodiversité. Afin de remédier à plusieurs décennies de néo-libéralisme, les nouvelles réformes agraires et hydriques doivent être révolutionnaires et transformatives, elles doivent mettre fin à la concentration des terres et de l’eau et résister aux contre-réformes agraires. Cette vision inclut les éléments suivants:

La souveraineté alimentaire: La souveraineté alimentaire doit être le fondement des réformes agraires et hydriques, et le concept de territoire, le pilier central. La souveraineté alimentaire exige que les paysan-nes, les pêcheurs, les éleveurs nomades, les peuples autochtones et les travailleurs ruraux aient accès aux terres agricoles, aux semences, aux races d’élevage, aux forêts, aux pâturages, aux chemins de transhumance, aux zones de pêche, aux étendues d’eau, aux mers, au littoral et aux écosystèmes et qu’ils les contrôlent. Elle ne peut être concrétisée sans la souveraineté sur la terre, les ressources et le droit des producteurs d’aliments de gouverner leurs territoires / leurs domaines, en prenant en compte les coutumes, les règles et accords de protection, d’utilisation et de partage des territoires au-delà des frontières géopolitiques.

Redistribution des pouvoirs: En expropriant et en distribuant des terres privées qui n’ont aucun rôle social, aux familles pauvres sans terre, il s’agit de redistribuer le pouvoir et de modifier les relations de pouvoir en faveur des producteurs d’aliments à petite échelle, de leurs organisations et de leurs mouvements ; c’est l’objectif global de cette redistribution. Une telle redistribution ne peut être effectuée par les mécanismes du marché. Une réforme agraire doit prendre en compte les priorités des paysan-nes, des agriculteurs familiaux, des pêcheurs, des peuples autochtones, des sans terre, des éleveurs nomades et des autres populations rurales, avec une attention particulière aux besoins spécifiques des femmes et des jeunes.

Le droit aux ressources, au territoire et à l’auto-détermination: Les réformes agraires et hydriques doivent garantir aux populations rurales un accès sûr à leurs terres et territoires et le contrôle de ces derniers; elles doivent restaurer la dignité des paysan-nes, des peuples autochtones, des pêcheurs, des éleveurs nomades, des travailleurs et des femmes ainsi que la fierté de leur origine. Elles doivent respecter les droits de la Terre mère, la cosmovision des différentes cultures ainsi qu’une autonomie et une gouvernance locale qui confèrent des droits égaux aux femmes et aux hommes. Les communautés de producteurs d’aliments doivent pouvoir prendre les décisions relatives à l’utilisation, la gestion et la conservation de leurs terres, territoires et ressources en accordant la priorité aux droits des femmes, des jeunes et des groupes historiquement marginalisés.

Défense des terres et territoires: Toutes les mesures possibles qu’elles soient d’ordre juridique, réglementaire ou l’action directe – doivent être utilisées pour défendre les terres, les étendues d’eau, les minéraux et la biodiversité contre les expropriations, les accaparements du capital, la marchandisation et la destruction. La terre et le territoire constituent une richesse collective/sociale et non une propriété individuelle et doivent être défendus en tant que tel, tout en respectant les droits de la Terre mère. La spéculation foncière doit être interdite et il faut empêcher les entreprises privées et publiques d’acquérir de grandes étendues de terre. Plusieurs moyens sont possibles: la propriété collective ou sociale des terres afin d’éviter la parcellisation qui facilite l’entrée sur le marché foncier; l’opposition aux mécanismes du marché dans la gouvernance des terres; des contre accaparement tels que les occupations de terre et les mobilisations dans les espaces et les forums publics visant à apporter un soutien populaire à nos luttes.


Remédier à la pauvreté, au chômage, à la faim et aux migrations de détresse:
La réforme agraire doit créer des conditions favorables à l’amélioration du niveau de vie pour la majorité et à la renaissance et la reconstruction des économies rurales, avec des prestations de services de bonne qualité dans les domaines de la santé de l’éducation, dans l’approvisionnement en électricité, eau, assainissement, transport, loisirs, crédit, banque, marché, etc. Il faut inverser les migrations de détresse des populations rurales, permettre la réinsertion des paysan-nes sur leur terre et assurer un avenir aux jeunes en zones rurales.

Souveraineté foncière rurale-urbaine: Une nouvelle vision doit régir les réalités des zones urbaines dans les domaines de la terre, de l’eau, du logement, de l’alimentation et des services essentiels. Les mêmes forces du capitalisme spéculatif qui accaparent les terres dans les zones rurales sont à l’origine de la spéculation immobilière qui expulse nombre de pauvres urbains. Une forte alliance rurale–urbaine requiert de reconstruire l’interdépendance entre producteurs et consommateurs et de reconsidérer les concepts de justice sociale, politique et environnementale.

Modèles de production, distribution et consommation: Ces modèles doivent refuser l’exploitation, assumer la responsabilité de l’environnement et ralentir le changement climatique. La politique énergétique est de grande importance car les terres, les forêts, les fleuves, les mers et le fond des océans sont utilisés pour alimenter des industries et des modes de vie énergivores. Les modèles de production devraient contribuer à autonomiser et à enrichir les producteurs d’aliments à petite échelle et non les forcer dans le surendettement et dans des chaines de valeur qu’ils ne peuvent contrôler. Les modèles de production et de distribution doivent être fondés sur la souveraineté alimentaire et l’agroécologie et promouvoir la récupération des semences et des races locales, la collecte de l’eau, l’énergie renouvelable générée localement, la renaissance d’une alimentation locale et la reconstruction de systèmes d’alimentation locaux.

Paix, justice et dignité: La souveraineté alimentaire, la réforme agraire et la défense des terres et des territoires sont des luttes pour la paix, la justice, la dignité et la vie. Une nouvelle réforme agraire doit mobiliser des forces qui mettent fin à la guerre et la militarisation de nos systèmes économiques et conteste la criminalisation de nos luttes.

Pour consulter le rapport de synthèse sur la rencontre de Bukit Tinggi, y compris les étapes de concrétisation de la «vision», voir Keeping Land Local, Chapitre 9.

*La rencontre internationale « Réforme agraire et Défense de la terre et des territoires au 21ème siècle, Défi et Avenir » était organisée par La Via Campesina et l’organisation Global Campaign on Agrarian Reform (GCAR) afin de discuter de la conjoncture mondiale et d’identifier les éléments-clés d’une stratégie commune vers une réforme agraire, la souveraineté alimentaire et la défense des terres et des territoires. Plus de 150 représentants des paysan-nes, des pêcheurs, des peuples autochtones, des jeunes, des travailleurs, des femmes, des travailleurs sans terre, des organisations de droits humains et de recherches ont participé à cette rencontre qui a eu lieu à BUKIT Tinggi, Sumatra de l’Ouest, Indonésie, du 10 au 13 juillet, 2012.

Sous les feux de la rampe

Sous les feux de la rampe 1

Ressources naturelles et souveraineté alimentaire

La défense et la lutte pour nos droits à la terre, à l’eau, aux semences, aux races d’élevage, aux pêches, aux forêts, aux océans et à toutes les ressources naturelles dont nous avons besoin pour nous nourrir, et nourrir nos communautés avec dignité, constituent le centre essentiel de la Souveraineté alimentaire.
Mais comment pouvons-nous défendre et lutter pour nos droits aux ressources face aux puissants investisseurs nationaux et internationaux, aux investissements et aux régimes commerciaux déloyaux, à la financiarisation des ressources naturelles, à la cooptation flagrante des Etats par le capital transnational et à la militarisation, à la violence et à la criminalisation à l’encontre de ceux défendant leurs droits aux ressources? Quels rôles pour les politiques et les lois dans ces luttes?

Il n’est pas facile de répondre à ces questions. Le contexte a énormément d’importance. Ce qui fonctionne à un endroit, ou dans une situation donnée, ne fonctionne pas nécessairement ailleurs. Pour autant, nous avons certaines idées qui pourraient nous être utiles, sur lesquelles réfléchir puis les développer.
La loi est l’un des moyens par excellence d’exercice du pouvoir. Tout mouvement populaire, essayant de changer les relations de pouvoir, doit aborder les aspects juridiques pour remettre en question les lois, les politiques et les pratiques injustes et illégitimes. Il en est de même pour élaborer des normes alternatives et un ordre juridique qui sont décisifs à l’heure de créer/ consolider des contre-pouvoirs. Pour les mouvements sociaux se mobilisant pour la Souveraineté alimentaire, la question n’est pas de savoir s’il faut utiliser des stratégies légales mais plutôt quelles stratégies légales utiliser.

Le cadre des droits humains joue donc un rôle fondamental, en particulier lorsqu’il est nécessaire de remettre en cause la législation internationale qui va à l’encontre de l’intérêt des pauvres ruraux, comme le commerce, les régimes d’investissement, environnementaux et de sécurité, ou pour défendre les communautés locales contre les abus perpétrés par les acteurs internationaux. Un droit humain est un droit inhérent à tout être humain sans distinction aucune fondée sur le sexe, l’origine, la race, le lieu de résidence, la religion ou tout autre situation. Les droits humains sont universels, interdépendants et indivisibles, ils visent à protéger la dignité humaine. Ils découlent des besoins et des aspirations de personnes ordinaires, expriment les valeurs éthiques et morales universelles, l’autonomisation de chaque être humain, de leurs communautés et de leurs peuples avec des droits et des réclamations légalement applicables vis-à-vis de leur propre gouvernement ou d’autres gouvernements. Résister à l’oppression est au cœur même des droits humains. Les droits humains s’attaquent explicitement aux inégalités de pouvoir et remettent en question la légitimité des puissants.

La manière d’utiliser le cadre des droits humains peut être très diverse et dépend du contexte. Certains groupes de base et mouvements sociaux utilisent les droits humains et les lois nationales comme stratégies de défense en vue de protéger leurs membres d’abus importants comme la persécution, le harcèlement, les détentions arbitraires, les expulsions forcées violentes et la destruction de cultures, d’animaux ou d’infrastructures agricoles. Dans de tels cas, en recourant aux droits humains et/ou aux droits fondamentaux garantis par la constitution nationale, permet de sauver des vies et fournit des pistes pour des actions susceptibles de recueillir le soutien d’autres secteurs de la société afin de faire face à l’oppression des gouvernements.

D’autres groupes et mouvements utilisent les droits humains et constitutionnels ainsi que les politiques et lois nationales faisant respecter ces droits, pour sensibiliser leurs membres à propos de leurs droits et pour restaurer leur confiance en eux, leur dignité et la conviction que résister à l’oppression est légitime. Il est crucial d’accroître la sensibilisation de l’opinion pour mobiliser et organiser les individus afin qu’ils défendent leurs droits. Par ailleurs, une stratégie légale s’inscrit dans une stratégie plus large visant à modifier la façon dont les conflits pour les ressources sont formulés et perçus par la société. Cette stratégie combine les actions directes et la désobéissance légale – tels que les occupations de terres ou l’entrave à la construction de projets dits de développement – en présentant leurs causes devant les tribunaux ou les autorités administratives.

Les droits humains peuvent également être utilisés pour dénoncer les politiques illégales et les lois telles que les systèmes juridiques favorables aux grandes entreprises dans de nombreux pays et pour soutenir les propositions d’alternatives de la part de peuples en vue de politiques et de lois ouvrant des espaces favorables au dialogue politique qui tiennent compte de la vie des gens.

Bien entendu, les traités sur les droits humains, les constitutions nationales, les lois et les politiques soutenant les droits des peuples ne sont pas d’application directe. Ils doivent toujours être revendiqués par les individus. Jusqu’à présent, Les mobilisations populaires sur le terrain demeurent la seule et principale manière de responsabilisation en matière des droits humains. Les instruments internationaux non contraignants sur les droits humains tels que les Directives pour une gouvernance responsable des régimes fonciers applicable aux terres, aux pêches, aux forêts, ne deviendront effectives que lorsque les mouvements sociaux s’en seront appropriées, les auront réclamées, en auront fait le suivi et les auront mises en application par eux-mêmes. Les instruments volontaires peuvent devenir des outils puissants pour appuyer la dissidence et la résistance aux régimes juridiques destructeurs (comme le commerce et les investissements) et poser les bases pour l’élaboration de politiques alternatives.

Sous les feux de la rampe 2

Initiatives pour le respect et la défense de l’eau

Le 28 juillet 2010, suite à un mouvement inattendu, Le Conseil des Droits humains a adopté, par consensus, la Résolution sur les droits humains à l’eau potable et à l’assainissement (Résolution ONU 64/292). Coparrainé par 74 Etats, ceci souligne l’importance du droit à une eau potable sûre et propre et à un assainissement comme étant un droit humain essentiel afin de pouvoir jouir entièrement de la vie et de tous les droits humains. Promu par les mouvements mondiaux du droit à l’eau et la société civile, cette adoption a été accélérée du fait del’institutionnalisation du droit humain à l’eau et à l’assainissement par certains pays d’Amérique Latine dans leurs constitutions comme la Bolivie, l’Uruguay et le Salvador.

Au moins 165 Etats ont signé plusieurs déclarations reconnaissant le droit à l’eau, y compris les membres du Mouvement des pays non-alignés et du Conseil de l‘Europe. La nomination d’un Rapporteur spécial de l’ONU pour le droit à l’eau potable et à l’assainissement constitue une autre avancée importante vers le respect et la défense de l’eau. La première rapporteuse spéciale, Madame Catarina de Albuquerque, a développé plusieurs instruments en vue de la mise en œuvre de ce droit.

Des acteurs de l’Etat, de la société civile et des communautés ont également mis en route des actions en vue de défendre, protéger et conserver l’eau comme étant un droit, un bien public et un bien commun. Un exemple en est la dotation et la gestion, publiques et communautaires, des services de l’eau pour s’opposer à la marchandisation et la privatisation de ce bien et de promouvoir des options durables, écologiques et favorables aux pauvres pour les populations mondiales n’ayant pas accès à l’eau.

Ceci comprend un partenariat entre entreprises publiques, entre entreprises publiques et communautaires, ainsi qu’entre entreprises communautaires, à savoir des partenariats à but non lucratif, mutuellement bénéfiques entre les opérateurs du secteur publique, les communautés locales, les syndicats et autres groupes de l’économie sociale. Ces partenariats démocratiques visent à “promouvoir la collaboration entre les services publics de l’eau et les différents groupes sur une base non lucrative pour en renforcer la capacité technique et de gestion.” Contrairement aux partenariats public-privé, les partenariats entre entreprises publiques offrent un moyen innovant et pratique de partager l’expertise des gestionnaires publics de l’eau en vue de diffuser les bonnes pratiques et les idées relatives à la gestion de l’eau comme le fait d’en assurer la distribution aux communautés urbaines pauvres, en respectant les droits des travailleurs, en adoptant les principales normes sur le travail et en permettant aux consommateurs de participer à la définition de la tarification de l’eau. Ces partenariats entre entreprises publiques appellent également à renforcer le soutien social et politique nécessaire pour une telle coopération mutuelle.

La protection des bassins versants, amont-aval, constitue également un autre modèle innovateur. Aux Philippines, des organisations civiles et des services publics locaux d’approvisionnement en eau ont autorisé des communautés locales à gérer et entretenir les sources d’eau destinées aux villes. Les services publics ont investi directement dans des pratiques de culture agroécologique et des moyens de subsistance pour la communauté, estimant qu’un “bon environnement donne lieu à une bonne eau.” Il existe divers modèles de protection des bassins et d’approvisionnement en eau car ils dépendent des conditions spécifiques à chaque zone particulière. Mais surtout, ces modèles présentent une nouvelle conception de la gestion de l’eau [Pour plus d’exemples lire: Buenaventura Dargantes, Mary Ann Manahan, Daniel Moss and V. Suresh: Water, Commons, Water Citizenship and Water Security] qui rétablit l’eau comme bien commun et permet que la gouvernance de l’eau relève d’une question de justice sociale et écologique, de démocratisation.

Les droits relatifs à l’eau- à savoir, comment utiliser, affecter et gérer les ressources en eau-ont des implications sur l’application du droit humain à l’eau potable et à l’assainissement et sur une nouvelle conception de la gestion de l‘eau. A l’échelle mondiale, les droits de l’eau ont été utilisés comme instrument politique afin de mettre fin à l’accaparement de l’eau par les grandes entreprises et pour s’opposer aux investissements miniers, de fracturation hydraulique et autres investissements destructeurs. Des groupes de citoyens, des gouvernements locaux et des communautés affectés ont organisé des campagnes en vue de protéger leur eau potable, l’eau destinée à l’irrigation et à l’agriculture, et leur identité. Entre autres exemples notons: la guerre pour l’eau à Cochabamba en l’an 2000 qui a expulsé de Bolivie Aguas del Turnari (entreprise en coparticipation avec Bechtel); au Canada, Dow Chemical vs Québec et Lone Pine, en vue de protéger l’eau contre les pesticides et le fracking; El Salvador contre Pac Rim et le cas le plus récent d‘Infinito Gold contre Costa Rica; ou les communautés du Plachimada (Inde) vs. Coca-Cola et Nestlé qui soutiraient et épuisaient les eaux souterraines.

Bulletin n° 21 – Éditorial

Droits aux ressources naturelles

leaf – An earth that nurishes Illustration@ Anna and Elena Balbusso www.balbusso.com

Alors que le monde titube de crise en crise, la valeur de la terre, de l’eau, des forêts, des minéraux et autres ressources naturelles, en tant que sources de création de richesse, continue à augmenter. Pour ceux ayant des liens de longue date avec la terre, les eaux et les territoires, la plus grande richesse de la nature et la valeur des ressources sont la vie. Or, les crises soulignent le fait que les humains doivent vivre symboliquement avec la nature. Pour autant, nombreux sont ceux qui considèrent que les ressources naturelles sont des choses pouvant être morcelées, emballées, modifiées, achetées, vendues et commercialisées sur des marchés éloignés du lieu de la ressource.
L’articulation des droits aux ressources naturelles reflète ces différences. Les grandes entreprises, les institutions financières et de nombreux gouvernements font la promotion des droits négociables par le biais de titres de propriété, de l’échange de droits de l’eau, ou de l’échange de droits d’émission, etc.
La plupart des gouvernements reconnaissent ceux qui peuvent payer le plus en tant que détenteurs de droits sur la terre, l’eau, les minéraux et les forêts. Pour les paysans, les artisans pêcheurs, les travailleurs, les peuples autochtones et les pauvres ruraux et urbains, leur droit aux ressources est une revendication légitime aux terres et aux écosystèmes enracinée dans le respect de la nature, ainsi que leur droit à l’autodétermination. L’application de ces droits est une précondition nécessaire au développement de systèmes démocratiques et de gouvernance équitable permettant d’assurer la paix et l’harmonie avec la nature.
Les articles de ce numéro décrivent comment à travers le monde les peuples se battent pour garantir et défendre leurs droits aux ressources naturelles et les droits de la nature. Les feux de la rampe 1 et 2 fournissent des informations précieuses concernant les outils pouvant être utilisés pour renforcer nos luttes, qui doivent inclure la défense et l’exigence des notions de droit par cooptation du marché.

Shalmali Guttal, Focus on the Global South

Encadres

Encadré 1

L’agriculture intelligente face au climat : un moteur puissant de l’économie verte

[Bulletin de Nyéléni n.10]

Une initiative de la FAO, et soutenue par la Banque mondiale, l’agriculture intelligente face au climat précise qu’ “aboutir à la sécurité alimentaire et répondre aux défis du changement climatique sont deux objectifs qui doivent être atteints ensemble ” et ” que c’est pour cela que l’agriculture, la pêche et l’exploitation des forêts dans les pays en voie de développement doivent subir de grandes transformations.”

A première vue, “l’agriculture intelligente” ressemble à une initiative positive. Mais à regarder de près, lorsque l’on considère ce qui est inclus, on réalise qu’il ne s’agit que d’une peau neuve pour l’agriculture industrielle puisque que “l’agriculture intelligente” ne fait qu’estomper délibérément la frontière entre la souveraineté alimentaire agroécologique paysanne et celle de l’agriculture contrôlée par les grandes industries. Par exemple, elle ne reconnait pas que c’est bel et bien le système de production alimentaire de masse qui est à l’origine des émissions, ni l’urgence de la dissociation de ce système pour se diriger vers une agroécologie paysanne pour aider à résoudre la crise climatique.

“L’agriculture intelligente” plébiscite l’industrie agroalimentaire pour chapeauter l’agriculture et la récompense même ! Plusieurs importantes sociétés de l’agroalimentaire comme Monsanto (OGM), Yara (fertilisants) et Walmart (géant de la distribution) soutiennent l’agriculture intelligente. Monsanto prétend que l’agriculture OGM est intelligente face au climat parce qu’elle aide l’agriculture sans labour et augmente la tolérance à la sécheresse. Cependant, comme des décennies de pratique l’indiquent, les OGM augmentent l’utilisation d’agro-toxiques, promeut l’agriculture industrielle et de surcroît n’a produit aucune caractéristique utile pour l’adaptation au changement climatique.

De plus, l’agriculture intelligente pousse l’agriculture vers les crédits de compensation carbone ce qui donnera naissance à un autre moteur de spoliation des terres pour les petits producteurs, particulièrement dans les pays de l’hémisphère sud. Elle place ainsi injustement la charge de l’atténuation sur les épaules des plus faibles et qui plus est ont le moins contribué à la crise climatique [Lettre des Sociétés civiles (Septembre 2014)] élargissant par là-même le marché du carbone et son train de spéculations financières [Via Campesina (Septembre 2014), Démasquer l’agriculture intelligente face au climat].

L’agriculture intelligente face au climat “essaie de couvrir ses traces et d’occulter le besoin réel d’une réforme de la terre et de l’agriculture. Elle occulte et ment à propos de la carence en terre et ressources naturelles. La terre et les ressources naturelles sont seulement rares pour les paysans et les petits exploitants parce que les industries les accaparent [Via Campesina (Septembre 2014) Démasquer l’agriculture intelligente face au climat]”. De nombreux gouvernements trouvent l’agriculture intelligente attrayante et participent à ses initiatives.
Mobilisons nous pour y mettre fin !

Sous les feux de la rampe

Sous les feux de la rampe 1

Identité historique de l’agroécologie et appropriation indue

Dans un monde qui prétend privatiser et breveter toutes choses, l’agroécologie a été mise à l’ordre du jour de la gouvernance agroalimentaire mondiale, au sein de laquelle la science, les agences multilatérales, et même le secteur privé demandent que soit reconnu le rôle de l’agroécologie dans la conception de systèmes agricoles durables. Dans un monde qui commence tout juste à reconnaître l’importance des petits producteurs et productrices alimentaires, l’agroécologie court le risque d’être aliénée et dérobée à ses protagonistes historiques.

Eduardo Sevilla Guzmán nous dit [[Eduardo Sevilla Guzmán, Agroecología y agricultura ecológica: hacia una “re” construcción de la soberanía alimentaria, Revista Agroecológica, Université de Murcia, Volume 1, 2006]]: “L’une des caractéristiques des sociétés capitalistes industrielles réside dans la rôle que joue la science, institution au travers de laquelle l’on entend contrôler les évolutions sociales, anticipant l’avenir avec l’objectif de le planifier. Depuis les débuts de la modernisation, la privatisation, la marchandisation, et le tout-scientifique appliqués aux biens communs (air, terre, eau et biodiversité) ont contribué à rendre toujours plus artificiels les cycles et processus physiques, chimiques et biologiques, à l’origine naturels, nécessaires à la production alimentaire.”

C’est pourquoi il est plus urgent que jamais de comprendre comment est apparue l’agroécologie, afin d’adapter de façon pertinente les politiques publiques.Depuis les origines de l’humanité, le savoir a toujours été essentiel à la vie. C’est ainsi que l’agroécologie s’est développée : en partant des savoirs traditionnels accumulés tout au long de l’Histoire par les paysannes et paysans, tout en intégrant les connaissances scientifiques de ces derniers siècles.

Ce sont les paysannes et paysans, ce sont les peuples autochtones qui ont identifié, adapté et intégré de nouveaux éléments aux processus afin d’améliorer toujours davantage la production alimentaire, tout en préservant leurs identités culturelles, dans le respect de la nature. Les savoirs et expériences paysans, pris dans l’étau des différentes facettes du capitalisme, renaissent de leurs sources et se renouvellent, démontrant sans aucun doute, créativité et légitimité à l’appui, que même aujourd’hui il est possible de vivre dignement dans les campagnes, tout en préservant l’identité paysanne et autochtone.

L’agroécologie, c’est le modèle de production, de société, d’économie, d’organisation et de politique qui permet aux petits producteurs et petites productrices de se maintenir dans les campagnes. Il rend aux aliments leur rôle social, en opposition au système capitaliste qui les réduits à de simples marchandises. L’agroécologie a cette particularité, unique, de en pas promouvoir un modèle homogène unique. Au contraire, elle comporte en son sein toutes les agricultures et hydrocultures pratiquées par les paysans et paysannes, petites exploitations familiales, bergers, peuples autochtones, pêcheurs artisanaux, extractivistes de forêts et mangroves, qui défendent la terre et leur territoire, les graines, l’ensemble des biens naturels, la souveraineté alimentaire et le bien-vivre.

Mais l’agroécologie, c’est également un changement radical des rapports sociaux, politiques, économiques et des rapports société-nature. Elle transforme les schémas de production et consommation pour assurer la souveraineté alimentaire des populations rurales et urbaines. Nous savons que l’agroécologie est le seul moyen de nourrir la population mondiale, mais uniquement en la laissant entre les mains de celles et ceux qui l’ont fait naître ; les paysannes et les paysans, les peuples autochtones.

L’agroécologie refait surface et sera amenée à jouer un rôle dans de nombreux domaines qui ont oublié qui sont les vrais acteurs de cette révolution agroalimentaire. C’est pourquoi les gouvernement doivent, dans leurs recommandations, appeler à ce que ce soient les petits producteurs qui mettent en œuvre ces changements politiques, économiques et agroalimentaires, agents de transformation des territoires.

Sous les feux de la rampe 2

L’agroécologie face au changement climatique

Le changement climatique n’est pas une préoccupation récente. La recherche et les débats à gogo, le secteur de l’environnement trémulent à différents niveaux à l’approche de quelque convention ou protocole. Avant et après les évènements – les rapports sont mis en page, les réticences et les désaccords sont enregistrés et les objectifs de réduction d’émission affluent. Il est primordiale que les nations s’accordent sur des traités internationaux et considèrent, de concert, ce qui peut être fait pour limiter les émissions et gérer la température mondiale ainsi que ses effets sur notre planète. C’est primordiale parce qu’en renforçant l’engagement mondial, nous devons renverser les effets inexorables du changement climatique. Ce n’est pas seulement faisable mais aussi économiquement viable et bénéfique.

Le changement climatique est une affaire complexe: Il impacte et est impacté par des questions mondiales, y compris la nourriture, le commerce, la pauvreté, le développement économique, la croissance démographique, le développement durable et la gestion des ressources. Stabiliser le climat est un défi de taille qui exige organisation et progression par étape dans la bonne direction. Il n’en reste pas moins que les plus grosses questions restent ; non seulement le «combien» mais aussi le «comment» – comment réduire ces émissions, comment produire suffisamment de nourriture saine et comment produire de l’énergie propre?

Des solutions de mitigation émanent de tous les domaines sous forme de nouvelles technologies, d’énergie renouvelable propre et même de changements de pratiques de gestion. L’agroécologie est une de ces pratiques qui se préoccupe du «comment» atténuer et s’adapter au changement climatique. L’incertitude de l’augmentation des températures, les schémas pluviométriques inhabituels, la sécheresse et l’émergence d’organismes nuisibles et de maladies exigent une forme d’agriculture qui résiste et un système de production alimentaire qui étaye le transfère des connaissances locales et soutien les expériences en exploitation pour construire une bonne adaptabilité de l’agriculteur. La majorité des activités d’adaptation au changement climatique sont fondées sur des pratiques biologiques. Les systèmes de production biologiques sont le meilleur exemple – et le plus répandu – d’une agriculture à basses émissions. Les systèmes biologiques sont plus endurants que leur pendant industriel en terme de résistance aux chocs et tensions environnementaux – y compris la sécheresse et les inondations.

L’agriculture conventionnelle émet un taux élevé de carbone suite à l’utilisation à outrance de combustibles fossiles et détruit la biodiversité. Pour l’agriculture, l’idée est d’évoluer vers des modèles agroécologiques de production qui permettent une forte économie de combustibles fossiles, présente un excellent potentiel d’atténuation par le renouvellement du sol, de la faune et de la flore et a la flexibilité ainsi que la diversité requise pour s’adapter à des changements de conditions. En fait, l’agriculture peut contribuer au refroidissement de la planète de trois manières : en réduisant l’utilisation de combustibles fossiles (en réduisant et/ou éliminant complètement les intrants chimiques et de synthèse ainsi que leur production) et des engins et moyens de transport utilisant un combustible fossile. L’effet sur la biodiversité sera ainsi positif et ralentira l’émission de carbone biotique.

L’agroécologie peut grandement influencer de manière positive le changement climatique en construisant :
* La résilience de l’agro-écosystème qui considérerait cohérence et durabilité des récoltes – même et surtout – avec le changement climatique;
* La résilience des revenus qui parviendrait à diversifier les options de revenu par l’élevage de volailles, bétail, la pisciculture, etc.
Ceci aide également à la décrocher les pratiques agricoles de la volatilité et de l’instabilité des marchés tout en conservant les atouts sur l’exploitation et en réduisant ou éradiquant la dépendance aux intrants.

L’agroécologie en petite exploitation est non seulement une réponse efficace au défis agricoles complexes mais aussi un moyen peu coûteux pour augmenter les rendements sans apport extérieur à l’exploitation. De plus elle n’exige pas beaucoup de travail supplémentaire, elle est à basse émission et permet un contrôle local sur les décisions de production. Elle offre ainsi un choix de souveraineté alimentaire par rapport à la mono-culture actuelle pour enrailler la crise alimentaire. Plusieurs caractéristiques que l’on retrouve dans des espèces locales ou indigènes gagnent en importante au fur et à mesure que le changement climatique altère l’environnement et affecte les produits. Les graines et récoltes locales ont une meilleure chance de survie dans leur propre milieu face au changement des conditions climatiques. Leur protection, avec celle du savoir-faire local, sont essentiels à leur gestion ainsi que leur élevage et vitale à notre future subsistance.

Sous les feux de la rampe 3

La transformation est possible: l’Agroécologie, un modèle économique populaire et solidaire

Est-il possible de penser à une autre économie comme alternative au modèle hégémonique actuel de produire-distribuer-échanger-consommer des aliments à niveau mondial, caractérisé par des chaînes agroalimentaires contrôlées par un petit nombre de grandes entreprises transnationales qui soumettent le reste des acteurs et empochent la plus grande partie des bénéfices?

Est-ce que le modèle agro-minier exportateur peut coexister parallèlement à la mise en œuvre d’une économie basée sur les principes de réciprocité, autarcie, coopération, justice et solidarité ? Une économie qui redistribue progressivement les biens de production concentrés: terre, capital, technologie et accès aux connaissances.

Peut-on ouvrir une brèche dans cette économie dominante afin de pouvoir construire une autre économie fondée sur l’échange restitutoire –et non extractif– entre société et nature, sur la responsabilité collective et sur des régimes de propriété collectives, communautaires, mixtes, publiques ou autres, différentes de la propriété privée, principe directeur du système des droits des sociétés capitalistes?

Il n’est possible de construire cette “autre économie” que si nous parvenons à établir la souveraineté alimentaire des peuples et, pour se faire, il n’existe d’autre chemin que celui de l’agroécologie. Nous, agriculteurs familiaux, paysans et autochtones, hommes et femmes, avons développé une autre forme de penser et de vivre, en rendant possible l’agroécologie, tant du point de vue productif que du système de valeurs et de relations sociales ayant trait aux aliments. Nous avons besoin de politiques agroalimentaires publiques avec une distribution équitable et la création de marchés locaux. Il ne peut y avoir de sécurité alimentaire sans souveraineté alimentaire et sans le respect de la culture des peuples.

Les paysannes et paysans en agroécologie de MAELA (Mouvement agroécologique de l’Amérique Latine et des Caraïbes) ainsi que leurs organisations, ont développé, au cours de ces deux dernières décennies, diverses formes d’organisation socioéconomique et productive fondées sur le droit à la vie, violé sans arrêt par le système économique dominant. Ce processus les a mené à comprendre la production, le commerce, la distribution et l’accès aux aliments comme étant un processus politique ayant un impact, une cause relative aux droits individuels et collectifs permettant de rendre plus digne la vie tant à la campagne qu’à la ville.

Du local jusqu’à l’international, dans cet ordre de priorité, on a élaboré et développé des actions dans le but d’ouvrir des brèches dans ce système mercantile de l’alimentation:
En créant des marchés locaux agroécologiques ayant une identité, qui permettent de construire des liens directs entre producteurs et consommateurs, tout en étant un espace d’information et d’échange politique et social, générant également des garanties alternatives;
En renforçant les marchés paysans traditionnels, en défendant leur identité culturelle et en leur redonnant un caractère de production paysanne et agroécologique;
En concluant des accords avec des acteurs urbains pour développer des systèmes agroalimentaires paysans sains et équitables.
• En étant créatif pour élaborer des systèmes de commercialisation à niveau régional et international basés sur l’agroécologie par le biais de canaux solidaires nord-sud, sud-sud et paysan à paysan.
• En appliquant diverses stratégies pour venir à bout de la soumission des paysannes et des paysans aux chaînes de valeur conventionnelles, contrôlées par et au service des élites nationales et des transnationales.

Ces processus et systèmes nous ont permis de voir qu’une révolution agroécologique est possible à condition d’en asseoir les bases sur des piliers sociaux, économiques, culturels et d’organisation en faveur de la souveraineté alimentaire des peuples.

Bulletin n° 20 – Éditorial

Agroécologie et le climat

L’agroécologie paysanne, clef de l’ humanite et de la planete

Illustration: Erin Dunn, www.cargocollective.com/erndnn

L’agroécologie existe depuis des décennies et fait objet d’une nombreuse littérature et articles. Multidimensionnelle, basée sur les savoirs, savoir-faire et savoir-être des paysan-nes en fonction de leur environnement naturel, sociétal, culturel elle a été longtemps jugée comme archaïque et peu adaptée au « progrès moderne ». L’agroécologie a été bannie mais revient aujourd’hui sur le devant de la scène. A qui va profiter ce retour ?

L’agriculture agroécologique qui valorise et pérennise les sols, les semences paysannes, les Savoirs paysans, cette agriculture symbole de la diversité des productions et des pratiques, des identités culturelles alimentaires adaptée à leur environnemental sociétal et naturel, se voit accaparée aujourd’hui par l’agriculture industrielle. Celle-ci à l’opposé basée sur le profit, l’uniformité, la standardisation, la concentration avec son cortège de conséquences mortifères.

En effet elle a besoin de rehausser son image et va duper encore une fois les citoyen-nes en prônant une agriculture durable « verte et respectueuse de la nature et des êtres humains » en usurpant le nom d’agroécologie* qui sonne bien dans l’oreille, comme elle usurpe les Savoirs à travers la brevabilité du vivant.
C’est ainsi que des gouvernements aux firmes tout le monde en parle, tout le monde veut en faire. Monsanto, associé à Arvalis, a formé des conseillers en agro-écologie. Pour eux l’agro-écologie s’est de se vanter « réduire » les produits chimiques, en volume pas en concentration, de continuer à promouvoir les semences hybrides, OGM et autres plantes ou animal transgénique, la monoculture, l’élevage hors sol, l’accaparement des terres, de l’eau et des ressources naturelles etc.

Hormis ces pratiques qui vont à l’encontre de l’agroécologie, celle se retrouve sur le seul terrain de la technicité oubliant ses dimensions sociales et sociétales, environnementales et spirituelles.

C’est pourquoi il est urgent que les paysan-nes, les communautés, les organisations paysannes s’organisent pour promouvoir l’agroécologie paysanne, celle liée à la Terre , pour une agriculture familiale multiples et diverses adaptée à son environnement, à ses moyens, à la biodiversité et ses Savoirs, pour une alimentation saine et nutritive respectueuse des agrosystèmes et de la biodiversité, pour un développement socio-économique des terroirs dans une cohésion sociale harmonieuse avec les identités des communautés, pour l’autonomisation des paysan-nes avec comme corollaire l’augmentation de leur revenu et de leur bien-être.

Dans le cadre de la souveraineté alimentaire, l’agroécologie paysanne pratiquée par des millions d’individus et communautés, constitue la clef d’aujourd’hui et de demain pour préserver l’humanité et la planète.

Groupe de travail de l’agroécologie du CIP

*Agroécologie: l’agroécologie paysanne; Agro-écologie: agroécologie accaparée par l’agriculture industrielle.

L’écho des campagnes

L’écho des campagnes 1

Résistance au Cambodge

Ms Oum Sophy, l’une des leaders dans la lutte pour les terres de Lor Peang au Cambodge

Depuis 2006, les habitants de Lor Peang, un village dans l’arrondissement de Kampong Tralach dans la province de Kampong Chhnang au Cambodge ont été impliqué dans un litige foncier avec KDC International, une puissante entreprise privée appartenant à Chea Kheng, l’épouse du ministre de l’Industrie, des Mines et de l’Energie Suy Sem. Depuis la mi-juillet 2014, le village est occupé par la police militaire et KDC International est en train de bâtir un mur autour des terres spoliées des villageois.
Je m’appelle Oum Sophy. Mon mari et deux autres villageois ont été arrêtés après que nous ayons quitté le village pour nous rendre à Phnom Penh ce matin (le 12 août 2014). Nous avions décidé de nous rendre à Phnom Penh pour demander au gouvernement de nous aider à trouver une solution concernant le litige foncier dans notre village. Sur la route, la police militaire a confisqué notre nourriture, notre eau, nos sacs et documents pour les jeter éparpillés le long de la route. Ils voulaient nous empêcher de poursuivre notre route. La plupart des villageois qui marchaient avec nous ont été battus et injuriés par la police et nos enfants pleuraient. Je n’ai pas pu aider mon mari quand j’ai vu que la police le chargeait dans son camion.
La majorité des personnes qui marchaient avec nous aujourd’hui sont des personnes âgées ou des enfants. Je ne voulais pas emmener mes quatre enfants mais je n’avais pas le choix. Mon plus jeune a seulement quatre mois.
Nous voulons la justice pour notre peuple. Cinq de nos représentants ont été arrêtés et nous voulons leur libération. Nous voulons que le gouvernement empêche l’entreprise [KDC International] de construire des murs autour de nos terres, qu’il retire d’urgence la police militaire de notre village, qu’il mette fin à la menace de notre liberté et qu’il nous laisse un environnement sûr afin que nos enfants puissent aller à l’école. Je ne retournerai pas dans mon village jusqu’à ce qu’une solution appropriée règle notre problème.

L’écho des campagnes 2

Stop aux pipelines de la société Enbridge

Winona La Duke, Honor the Earth, Minnesota

L’organisation indigène de l’environnement, Honor the Earth, organise une tournée dans le Nord du Minnesota qui a pour but d’engager les communautés aux abords d’un des nombreux pipelines de sables bitumineux et de pétrole extrait par fracturation hydraulique supposé traverser le Nord du pays. La tournée concerne non seulement la prévention contre la menace des pipelines mais est également une action de solidarité afin d’arrêter à leurs sources les extractions de sables bitumineux et de pétrole dans la zone de Bakken.
C’est la brume du matin. J’observe les chevaux dans la brume. Ensuite nous galopons jusqu’au lac. C’est le lac Rice au milieu du refuge du lac Rice. Le lieu s’appelle Minisinoo, un village traditionnel d’Anishinaabeg*, qui existe ici depuis des millénaires.
« Je n’arrive pas à comprendre pourquoi ils veulent placer le pipeline ici… C’est le fond d’un lac glaciaire qui comporte une vaste quantité de manoomin**… ce qui rend la diversité et la qualité de vie riche. Nous nous sentons menacés. » Notre terre regorge de lacs, de plantes médicinales et de marais. (…) Un oléoduc n’est pas nécessaire ici. La biodiversité et l’époustouflante beauté de l’écosystème est maamaakaajizhichige. C’est extraordinaire.
Le chef de tradition et de cérémonie du village d’East Lake nous accueille, prie pour nous et nous nourrit, nourrit nos esprits, met en pâture nos chevaux et nourrit nos corps. Nous expliquons la logistique du pipeline, abordons le fait qu’une brèche dans le pipeline laisserait s’écouler 75 000 litres à la minute et nous savons tous que ceux-ci se déverseraient directement dans l’eau. (…) La nappe phréatique se trouve seulement à 30 cm sous la surface de la terre. Le pipeline constitue une menace. Et il est associé à un autre projet extrême d’extraction caché dans la région – une exploration minière signée Rio Tinto Zinc/Kennecott Copper : traces de cuivre, de zinc, de diamants de magnésium et d’or, profondément enfouies en dessous du fond glaciaire dont est composé ce pays. L’entreprise, selon des sources, a loué un bâtiment au nord de la ville et cherche et creuse activement aux alentours.
Il n’y a pas de lieu sûr pour se cacher, pour hacher, pour être Anishinaabeg. Nous protégeons donc notre territoire comme nous le faisons depuis des centenaires. Il est toujours magnifique et rempli d’eau propre et de médicaments. Cela vaut tout. Notre eau est plus importante que leur pétrole. Notre mino bimaatisiiwin*** nous percera à jour. Aimons l’eau, pas le pétrole.

*Autonyme souvent utilisé par les peuples Odawa, Ojibwe et Algonquin.
**Du riz sauvage Ojibwe qui constitue leur aliment historique de base.
*** La philosophie Ojibway s’imprègne du concept de l’équilibre des quatre éléments de santé : physique, mental, émotionnel et spirituel.

L’écho des campagnes 3

Les Yaquis protègent leur eau du gouvernement et de l’industrie

Mario Luna, porte-parole de la tribu de Vicam, Sonora, Mexique

En 2010, le gouvernement a annoncé la construction d’un aqueduc qui prélèvera des millions de m³ d’eau du fleuve Yaqui. L’eau fait partie du territoire ancestral yaqui, territoire ratifié partiellement en 1940 par un décret présidentiel.
Même si nous avons gagné aux tribunaux, le gouvernement refuse de suspendre le projet et en plus il encourage la haine envers notre peuple.
Avec la mobilisation, il y eu des procédures judiciaires lancées contre certains d’entre nous et beaucoup de familles se sont vu supprimer les aides gouvernementales. Nous subissons des châtiments, des inspections, des menaces de mort et même des enlèvements.
En 75 ans, le décret nous octroyant le territoire n’a jamais été respecté. La centrale hydroélectrique construite dans les années 50 n’utilise l’eau que pour des questions énergétiques et la Commission nationale de l’eau nous la subtilise ne nous laissant ainsi que 250 millions de m³ des 800 millions de m³ que traite l’entreprise chaque année.
Nous avons été les derniers à être au courant du projet de l’aqueduc, et ce fut par la presse. Les autorités n’ont pas pris la peine de nous consulter alors même qu’il s’agit là d’une obligation inscrite dans plusieurs normes internationales.
Seuls 8% du fleuve Sonora sont utilisés pour la consommation des citoyens, le reste est dédié à l’agriculture. Cependant, le secteur industriel s’impose dans la région. Ford a quasiment doublé ses capacités ; Halcim Apasco est en train d’ouvrir la deuxième centrale la plus grande d’Amérique latine ; Heinekein, la plus grande brasserie du monde, est en train de s’y implanter et Coca-Cola et Pepsico comptent agrandir leurs installations d’aliments transformés. Le gouvernement viole continuellement les moratoires émanant du pouvoir judiciaire de la fédération. Le 15 juillet, le tribunal Colegiado de Hermosillo a annulé la décision du juge qui autorisait la suspension du projet jusqu’à nouvel ordre, avec comme excuse que nous, les Yaquis, avions repris les blocages sur l’autoroute fédérale au niveau de Vicam. Nous résistons pacifiquement, mais nous sommes dans l’œil de la tornade.

L’écho des campagnes 4

Shell to Sea: Rossport en lutte

Gerry Bourke, paysan dans le comté de Mayo, Irlande

Je suis un exploitant agricole du nord-ouest de l’Irlande près d’Erris dans le Comté de Mayo. Depuis treize ans nous menons un combat contre Shell afin de protéger nos terres, notre environnement et notre communauté. Shell voulait faire passer un gazoduc de gaz non traité, hautement volatile et polluant à travers les champs de nos communautés. Ces terres appartiennent à nos familles ; nous les exploitons et en prenons soin depuis des générations. Ce sont des marais et nous rendons ces terres fertiles en y déposant des algues de la mer. Pour nous, les terres représentent tout. Nous avons résisté à Shell et avons été violemment oppressés.
Les peuples ont été battus, abusés, soumis à la loi martiale. Ce sont presque cent plaintes qui ont été déposées contre le comportement de la police. Aucune n’a été suivie. Les peuples ont agi contre Shell, mais Shell était autorisé à se comporter de la sorte. En effet, le géant pétrolier détient sa propre police privée et ses propres services de sécurité tout en étant aidé par l’Etat. Le gouvernement a tracé une ligne autour de nos villages et a déclaré que « l’Etat de droit de l’Etat irlandais ne s’appliquait plus ici ». Comme s’il s’agissait d’un terrain d’essai pour opprimer leur propre peuple. L’Etat a cru qu’il pouvait nous écraser mais au contraire, il nous a éduqués.
Nous avons rencontré des personnes avec des idées et des connaissances qui sont venues nous aider dans notre combat. Nous avons appris énormément de choses sur le fonctionnement du monde et sur la manière dont le gouvernement irlandais peut traiter son peuple quand on parle d’alternatives. Nous espérons à présent que nos connaissances aideront d’autres communautés car c’est en rassemblant les peuples qu’il est possible d’opérer un changement.
Nous devons nous rappeler que tout sur cette île, du dernier brin d’herbe à la lune, appartient au peuple irlandais, c’est-à-dire à nous tous. Nous devons décider ensemble. Notre devoir envers nous-même et tous les autres est de faire entendre nos opinions et d’être responsables de ce qui se passe. Le gouvernement ne le fera jamais pour nous.

L’écho des campagnes 5

Nous ne laisserons pas ProSavana envahir nos terres et nous coloniser !

Ana Paula Taucale, paysanne dans la province de Nampula et membre de l’UNAC (União Nacional de Camponeses), Mozambique

Le gouvernement de mon pays – en collaboration avec le Brésil et le Japon – a accordé une importante portion de terre dans le Corredor de Nacala pour une agriculture à grande échelle destinée à l’exportation. Nous, les paysans de cette région nous nous opposons à ce projet et le considérons comme une invasion qui mènera à un accaparement des terres sans précédent.
Il existe déjà une preuve des effets de la spoliation des terres dans cette région (le Nord du Mozambique) sur les communautés paysannes et en particulier sur les femmes. Dans la province de Nampula, où j’habite et ai mon lopin de terre, on interdit aux femmes de traverser les régions où les entreprises étrangères sont en activité. Nous n’avons plus accès au bois de chauffage, à la nourriture sauvage ou aux racines médicinales utilisées pour nos familles. En soi, il s’agit d’une véritable violation de la loi de la nation du Mozambique. La loi requiert une consultation des communautés avant de céder des terres à des entreprises, donc aussi de donner le droit de veto aux communautés dans le cas où ce genre d’attributions des terres implique la violation de leurs droits.
Nous refusons cet accaparement des terres et nous rejetons le modèle d’agriculture représenté par le programme ProSavana. Nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour l’arrêter.
En juin, nous, représentants de l’UNAC, associés à d’autres organisations dans le pays, avons lancé la Campagne nationale NON à ProSavana. Nous voulons porter cette campagne à un niveau international – des organisations de société civile brésiliennes et japonaises nous ont déjà rejoint – et nous voulons activé un mécanisme juridique au niveau national et auprès des Nations Unies afin de mettre les dirigeants du programme ProSavana face à leurs responsabilités quant au danger qu’ils pourraient causer aux communautés paysannes du Mozambique.

Pour plus d’info sur la campagne ver ici.

L’écho des campagnes 6

Nous sommes prêts à nous battre

Parvati*, Muttagi, Inde

Je ne possède pas de terres mais j’ai une maison. Je suis ouvrière agricole sur des terres qui ne m’appartiennent pas. Je fabrique mon pain à la maison et je le vends pour subvenir à mes besoins. En réalité, mon terrain a été acheté il y a très longtemps et je ne souhaite cela à personne. C’est pour cette raison que j’ai rejoint le mouvement contre le NTPC (National Thermal Power Corporation Limited), une centrale électrique qui fut construite dans mon village.
Qu’allons nous manger si les paysans locaux perdent leurs champs ? Pendant la protestation, les hommes nous ont dit que si nous nous dirigions vers l’entrée, la police n’aurait pas recours à la violence. Mais lorsque nous avons atteint l’entrée de la centrale thermique NTPC, la police nous a frappé à coup de lathis (des longs bâtons en bambou) – même moi je me suis fait frappée. Nous étions terrifiés. C’était la première fois que je me trouvais dans une rixe. La police nous a pourchassés dans des hôtels, dans le commissariat et même dans la gare ! Mais le mouvement des paysans nous a dit de ne pas avoir peur. Un des membres de ma famille est en prison. C’est un étudiant à l’université et ils l’ont juste enlevé ! Je me suis engagée dans le combat contre NTPC. Quand nous, les femmes, travaillons ensemble, vous verrez de quoi nous somme capables !
Nous ne voulons pas de la centrale électrique NTPC. Même s’ils nous donnaient de l’argent nous ne voudrions pas de la centrale. Nous ne voulons pas attraper de maladies comme la tuberculose, l’asthme, etc. Nous ne voulons pas que nos bébés soient infectés dans le ventre de leur mère. Nous avons appris que l’eau aux abords de la centrale thermale est toxique. Nous ne disons que la vérité. Laissez-les nous descendre s’ils le veulent. Et nous ne voulons surtout pas perdre nos terres. Nous ne voulons aucun mort dans notre ou dans leur camp. Ils auraient dû faire une réunion avec nous, les paysans, à propos de l’impact de la centrale électrique avant de commencer les travaux.
Pourquoi le gouvernement a-t-il acheté ces terres ? Pour devenir riche c’est sûr mais que feront les pauvres ? Que nous réserve l’avenir ? Nous sommes prêts à nous battre !
*Le nom a été changé pour protéger l’identité du témoin

L’écho des campagnes 7

Nous sommes contre le projet Pacto-Junin !

Julian Morente, organisation des voisins mécontents à Ingapi, Equateur

Pacto est une paroisse rurale à Ingapi, en Equateur. Ses habitants y ont vécu pendant des siècles grâce à la canne entrelacée, à la banane et au manioc entre autres. Aucun produit agrochimique n’est employé dans nos cultures. Nous travaillons la terre traditionnellement, nourrissant le sol pour que lui nous nourrisse à son tour. Nous faisons la panela (pain de canne à sucre) à partir de nos propres moulages, avec des machines artisanales et des poêles à bois pour le rendre meilleur.
Dans les zones de basse altitude, nous possédons de l’élevage pastoral et nous produisons du lait et de la viande sans avoir recours à des grandes entreprises. Nous distribuons aux niveaux local et régional.
Ici, dans ce versant des Andes, l’industrie minière va s’implanter. Ils ont d’ailleurs déjà commencé à attaquer la montagne à certains endroits.
Le président Correa l’appelle le Projet Pacto-Junin. Il s’agit de plus de 4 000 hectares seulement à Pacto, et à Junin, la destruction a déjà grandement avancé. Où vont-ils nous envoyer ? Nous voulons manger, nous n’avons besoin ni d’or ni de pierres. Ici, ils vont laisser un désert aux futures générations. Les techniciens annoncent une profondeur d’un kilomètre, c’est une aberration. Avec 6 mois de pluie par an, en levant, en ouvrant la montagne d’ici jusqu’au fleuve, les réserves d’eau de la municipalité de Quito vont disparaitre. Je dis, moi, que l’eau est bien plus importante que l’or.
Les études menées sur l’impact environnemental sont désastreuses car fallacieuses. Et tout ça pour protéger l’industrie minière, qui est vorace. L’arrivée de cette industrie est synonyme de produits chimiques fort tel que le cyanure. Elle sous-entend aussi la destruction de collines entières touchant ainsi les forêts, les pâturages, le flux de l’eau et sa composition, largement polluée. Ils disent que nous habitons sur des réserves d’uranium, le gouvernement veut nous donner 300 dollars par hectare. Mais en aucun cas nous n’accepterons cela.