Sous les feux de la rampe

Sous les feux de la rampe 1

Mettons un terme à la promesse des « économies vertes »

Nous vivons à une époque où notre Terre Nourricière peine à accueillir la vie, en raison du capitalisme « financiarisé ». Un système où notre planète et toutes les formes de vie qu’elle abrite (sous terre, dans les forêts et les mers, mais aussi les soins et la santé dans nos foyers et nos communautés) deviennent des biens de consommation pour enrichir les grandes entreprises et le secteur financier. Cette logique s’invite dans les trois conventions dites « de Rio » des Nations Unies[1], élaborées pour mettre un terme à la menace existentielle qui plane sur l’humanité, à savoir le changement climatique, la perte de biodiversité et la désertification.

Les mouvements pour la justice climatique exigent depuis longtemps que les principaux responsables de la crise climatique (les pays historiquement industrialisés et leurs classes les plus aisées) apportent les ressources nécessaires pour aider à la résoudre. La finance est l’un des aspects majeurs des revendications concernant la dette climatique et les dédommagements. Pourtant, alors que les recherches concluent que des billions seraient nécessaires pour le financement de l’action climatique, 100 milliards de dollars américains de finance réelle, publique et démocratique n’ont même pas été atteints. Au lieu de cela, la finance privée néfaste occupe le terrain, armée d’un éventail de nouveaux instruments financiers déconcertants, tels que les paiements pour les services rendus par les écosystèmes, les banques de carbone, les crédits carbone, les compensations basées sur la nature et la conversion de dettes en mesures en faveur de la nature. Certaines banques espèrent que le marché volontaire du carbone, où les acteurs de la finance achètent, vendent, échangent et spéculent sur le carbone, atteindra 1 billion de dollars d’ici 2027, générant des superprofits pour les investisseurs.

En parallèle, le nouveau cadre mondial pour la biodiversité a appelé à mobiliser 200 milliards de dollars américains pour le financement de la biodiversité d’ici 2030 et certains appellent à des marchés de compensation de la biodiversité. À l’instar de la finance climatique existante basée sur le marché, ceux-ci seront définis par le financement mixte où les fonds publics servent à réduire les risques des investissements (et garantir des revenus « adaptés » pour les acteurs privés de la finance). De nouveaux mécanismes comme la conversion de dettes en mesures en faveur de la nature permettent aux États de vendre efficacement leurs territoires protégés aux banques et au secteur de la conservation à grande échelle en échange d’une restructuration de leur dette. Ils sont qualifiés de mécanismes « innovants » mais la seule innovation est la quête de revenus supplémentaires au détriment d’une planète en péril à l’heure où les investissements dans le secteur de l’extraction sont remis en question, ou encore l’octroi d’un contrôle des investisseurs financiers privés sur encore plus de terres et de mers, sans contrôle démocratique. Des initiatives telles que l’engagement 30×30 de l’ONU, visant à conserver 30 % de la surface de la Terre d’ici 2030[2] sont mises en application de telle façon que les communautés sont spoliées et entraînent avec elles de nouvelles formes de revenus pour les grandes entreprises.

La normalisation et l’expansion de ces approches, perçues par beaucoup comme bénéfiques, représentent de grands dangers pour les populations et la planète.

  • En effet, le secteur financier cherche, avant tout, des retours sur investissement. Par conséquent, des communautés locales sont souvent évincées de leurs terres, zones de pêche et territoires, pour les accaparer et en faire des projets carbone et de conservation lucratifs. Parfois, les pratiques traditionnelles des populations locales qui stockent le carbone et protègent la biodiversité sont monétisées, et la majorité des revenus engendrés terminent dans les poches des investisseurs. Le recours à la violence est souvent de mise pour ces spoliations : des milices privées de conservation ou la police et les armées nationales qui prennent le parti des bénéficiaires au sein des grandes entreprises.
  • Cette violence renforce le pouvoir et l’emprise de ces mêmes acteurs qui sont responsables de la destruction de la planète et des violations des droits humains, par le biais de leurs investissements considérables et continus dans l’extraction, l’agrobusiness et les énergies fossiles. L’idée circule que les profits pour ces grandes entreprises peuvent perdurer tandis qu’ils prétendent « sauver » la planète. Mais la crise du contrôle des grandes entreprises, de l’extraction, des profits et de la surconsommation à l’origine des crises ne cesse pas pour autant.
  • En orientant l’argumentation vers des « économies vertes », ils détournent l’attention des réglementations contraignantes et des changements politiques que nous défendons, nécessaires pour mettre fin au chaos climatique et à l’effondrement de la biodiversité. Cet argumentaire dépolitise les sujets d’accès et de contrôle démocratiques des terres, de l’eau, des ressources et des territoires en promettant « trois gagnants » (les personnes, la planète, les profits), ce qui nous détourne de questions essentielles, qui en paye le prix et qui récolte les bénéfices de ces interventions ?

Nous devons empêcher l’émergence de ce nouveau complexe financier-entreprises-écologie. Les peuples qui dépendent de ces terres et territoires et y vivent en harmonie, les communautés du Sud mondial et les travailleurs et travailleuses du monde entier subissent les conséquences de notre système actuel capitaliste et néolibéral destructeur. Pour y mettre un terme, ils doivent disposer d’influence et de contrôle sur la transition. De façon concrète, nous devons exiger la fin de la dette, le respect des promesses en matière de financement public de l’action climatique et pour la biodiversité, le plein respect des droits des paysans, des communautés indigènes et autres communautés affectées, ainsi que des indemnisations par des voies populaires et démocratiques.

Sous les feux de la rampe 2

Remettre en question la « finance bleue »

Au cours de la dernière décennie, les stratégies internationales pour la conservation des océans ont considérablement changé. De plus en plus, les projets de conservation reposent sur la levée de fonds grâce aux marchés financiers et sont ainsi prévus pour garantir des bénéfices aux investisseurs. Beaucoup parlent alors de « finance bleue ». Le soutien international grandit, et est perçu comme un moyen indispensable de combler des lacunes financières imaginaires pour préserver la biodiversité marine. Ce qui peut être considéré comme la financiarisation de la conservation a donné naissance à des « instruments financiers innovants » comme les obligations bleues et la conversion de dettes en mesures en faveur de l’océan.

Les obligations bleues découlent d’une série précédente d’obligations « vertes » ou « sociales ». Le raisonnement de base consiste à lever des capitaux sur le marché international des obligations mais en partant du principe que l’argent servira des objectifs verts et/ou à visée sociale. Une question majeure subsiste, qui définit ce qui est vert et social et qui s’assure que l’argent a effectivement servi des causes vertes et sociales ? Ces questions sont sujettes à polémique. En 2018, la Banque mondiale a aidé le gouvernement des Seychelles à produire la première obligation bleue au monde. Elle était présentée comme une obligation prévue pour soutenir la conservation de l’océan et le développement de l’économie bleue. Dans les faits, c’est l’exemple de ce que l’on appelle le « financement mixte » où les fonds publics (l’aide au développement, par exemple) servent à faciliter les investissements du secteur privé.

L’idée derrière une conversion de la dette implique un bailleur de fonds (l’organisation qui prête l’argent au gouvernement d’un pays en développement) qui ne récupère pas une partie des fonds prêtés. Les économies réalisées par le pays en développement sont ensuite réallouées à la conservation. Le principe semble clair. Néanmoins, les mécanismes impliqués peuvent être très complexes, et chaque conversion de la dette en mesures en faveur de la nature est unique dans sa structure.

La finance bleue est encore à ses balbutiements. Pourtant, les organisations de conservation aux États-Unis, emmenées par The Nature Conservancy ont participé au financement à hauteur de plus de 2,5 milliards de dollars pour la conversion de dettes en mesures en faveur de l’océan dans 5 pays seulement. Une obligation bleue est également l’objectif pour l’initiative des Nations Unies pour un grand mur bleu (« Great Blue Wall Initiative » en anglais).

Malgré le soutien international pour la finance bleue, si elle est en adéquation avec les ambitions mondiales pour l’objectif de biodiversité 30×30, plusieurs raisons expliquent pourquoi les obligations bleues et les conversions de dette menacent les petits producteurs alimentaires. Il peut s’agir de transactions financières opaques qui manipulent les dettes des pays du Sud, entraînant un transfert de richesses et de pouvoirs vers les organisations de conservation américaines qui ne rendent pas de comptes, et qui collaborent désormais étroitement avec des entreprises d’investissement et le secteur bancaire. Elles renforcent davantage l’idée dangereuse que la protection de la nature doit engendrer des revenus infinis pour le secteur privé.

Un manque de financement n’est pas à l’origine de la crise climatique et de biodiversité. Il s’agit de crises d’abondance et de course au profit à court terme, qui sont des problèmes existentiels causés par des marchés financiers mondiaux mal réglementés. Aussi, les solutions pérennes qui mettent en avant la promotion des moyens de subsistance et la souveraineté alimentaire doivent venir d’un changement politique et culturel, et non de la manipulation de la dette.

Pour en savoir plus sur la finance bleue, consultez ici.


[1] I. Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques II. Convention sur la diversité biologique III. Convention sur la lutte contre la désertification.

[2] Un exemple ici.

Bulletin n° 56 – Éditorial

Remettre en question le financement derrière l’accaparement vert et bleu

Illustration : Luisa Rivera, www.luisarivera.cl

Mobiliser des sommes importantes dans la finance privée, pour compenser les finances publiques insuffisantes, devient progressivement un nouvel objectif dans les débats sur le financement du climat et de la biodiversité. Mais cette tendance implique la mercantilisation et la monétisation de la nature à des niveaux hauts alarmants, entraînant de nouveaux accaparements territoriaux et des atteintes à la justice environnementale. Les mécanismes de « l’économie verte » comme les crédits carbone et les marchés de compensation de la biodiversité ainsi que les conversions de dettes en mesures en faveur de la nature ne sont pas seulement erronés, ils sont également dangereux.

Ce bulletin décrit quelques-uns des nombreux projets, aussi variés que déconcertants, qui monétisent les océans, les sols, les algues et les forêts. Une critique majeure porte sur ces approches qui privilégient les gains plutôt qu’une véritable gestion de l’environnement, et des profits pour les investisseurs souvent au détriment des communautés locales. Ces mécanismes provoquent souvent la spoliation des populations autochtones et des petits producteurs, évincés de leurs terres et mers pour y installer à la place des projets de conservation lucratifs. Les avantages annoncés de ces mécanismes financiers atteignent rarement ceux et celles qui en subissent les impacts.

Les témoignages présentés illustrent clairement que les mouvements de peuples autochtones, de pêcheurs et d’agriculteurs répliquent, au sein des différentes plateformes de l’ONU et de leurs propres territoires. Nos mouvements réclament des fonds publics pour le climat et la biodiversité, l’annulation de la dette, des indemnisations, le respect des droits et des savoirs des peuples autochtones et d’autres communautés, une véritable responsabilité et la régulation des grandes entreprises qui profitent depuis longtemps de l’exploitation de l’environnement.

Nous savons que les masques sont tombés, révélant au grand jour les défauts de l’idéologie néolibérale illusoire. Aussi devons-nous combattre ensemble sa prolifération dans la nature et sur nos territoires.

Amis de la Terre International, ETC Group, Transnational Institute

L’écho des campagnes

L’écho des campagnes

Le couloir afroalimentaire dans le Nord du Cauca, Colombie

Julio Cesar Rodriguez Castrillon, Corporación Colombia Joven, Nord du Cauca, Villa Rica Cauca

Le couloir afroalimentaire est une initiative sociale communautaire issue de l’articulation de plusieurs organisations, avec l’objectif de promouvoir et renforcer une dynamique d’organisation alternative pour atteindre la souveraineté alimentaire et le bon respect du droit humain à l’alimentation. Ce rêve me remplit d’espoir, car ces actions permettent de rendre leur dignité aux agriculteurs et agricultrices, et cela participe à donner visibilité et reconnaissance au travail des paysans afro du Nord du Cauca, qui fait partie intégrante du développement des communautés rurales. Je suis convaincu que le Nord du Cauca doit rediriger son modèle de développement actuel, basé sur les monocultures comme la canne à sucre utilisée dans les boissons ultra-transformées, vers le renforcement et la conservation des exploitations traditionnelles et éconatives, vers la conservation des semences créoles et natives, la préservation de l’économie solidaire et la création de circuits courts de commercialisation. Le marché afroalimentaire doit représenter une des meilleures stratégies pour que les agriculteurs et agricultrices, sans recourir à des intermédiaires, vendent leurs produits à prix juste, et en parallèle les communautés bénéficient d’une alimentation saine faite de véritables aliments et selon les traditions culinaires afrocolombiennes. Selon moi, le travail des organisations sociales est essentiel pour que ce défi de vie soit également perçu comme une stratégie pour apporter une solution au plan d’éradication de la faim du gouvernement national, permettant ainsi de revendiquer les espaces opportuns grâce à des plans de développement municipaux et départementaux.

Le processus Nyéléni : vers un forum mondial pour la souveraineté alimentaire en 2025

L’écho de nos alliés

Stefano De Angelis, Fédération Syndicale Mondiale (FSM), www.wftucentral.org

En 2016, la FSM a participé au processus Nyéléni européen. Nous pensons que les thèmes importants de l’alimentation et la nutrition doivent inclure les travailleurs qui sont souvent directement impliqués dans la récolte et la transformation des produits agricoles.

Le syndical traite également au quotidien avec un grand nombre de travailleurs qui achètent des aliments à bas coût en raison de leurs salaires peu élevés, sans connaître les conséquences pour eux et pour les petits producteurs. Cela illustre le besoin fondamental pour une plus grande implication et un partage des connaissances avec les travailleurs (et les associations de consommateurs) sur les questions de la production de bons aliments et de respect de la nature.

La lutte pour la souveraineté alimentaire doit être articulée avec un front uni, avec une coordination entre les agriculteurs, les travailleurs et les consommateurs. C’est indispensable pour surmonter rapidement les particularités de chaque lutte qui nous séparent et nous affaiblissent face à un ennemi bien plus fort.

Au niveau européen, le développement du mouvement pour la souveraineté alimentaire doit passer d’un angle plus académique et de recherche à la construction d’une plateforme pour les revendications (des revendications qui peuvent être présentées aux niveaux européen et régional). Cela étant dit, nous sommes conscients qu’une telle plateforme requiert beaucoup de coordination et de ressources.

Les progrès dans le domaine des droits sont généralement obtenus par des combats locaux et un travail de plaidoyer directement auprès des décideurs. C’est pourquoi il pourrait être utile d’organiser plus d’assemblées, des initiatives et actions de rue sur les sujets de discorde comme la répartition injuste des subventions, les dangers des nouveaux OGM, les coûts élevés auxquels sont confrontés les petits producteurs, etc. Sur ces sujets, solliciter les syndicats peut s’avérer très utile.

Encadres

Encadré 1

Que sont les produits « alimentaires » ultra-transformés ?

Les « aliments » ultra-transformés, ou plutôt faudrait-il parler de « produits comestibles » ultra-transformés ou plus communément « malbouffe » sont des formules industrielles élaborées à partir de substances dérivées d’aliments et additifs naturels qui rendent ces produits plus attrayants et repoussent leur date de péremption. Ils sont souvent riches en sucres libres, amidons raffinés, gras trans ou saturés et sodium. La quantité excessive de ces ingrédients qualifiés d’« essentiels » associée à un apport nutritionnel relativement faible (« calories vides ») et l’ajout d’additifs comme les colorants, les émulsifiants et les exhausteurs de goût rendent ces produits néfastes pour notre santé.  De plus, les caractéristiques sensorielles présentées par ces produits (qui peuvent aller jusqu’à créer une addiction) et leur faible pouvoir de satiété (en raison de la suppression des fibres), le tout dans un emballage coloré et promu avec un marketing agressif provoque une surconsommation de ces produits, et un déplacement consécutif des vrais aliments dans nos régimes alimentaires.  

Le système de classification NOVA a été élaboré pour regrouper différents aliments et aider à distinguer les produits comestibles ultra-transformés des vrais aliments, même les aliments transformés.

Groupe 1 — Aliments non transformés ou faiblement transformés : Il s’agit des aliments naturels comme les fruits, les légumes, les légumineuses, les céréales, les noix, le lait et la viande qui n’ont pas été modifiés ou faiblement modifiés par l’épluchage, la découpe, le concassage, le séchage, la congélation, la cuisson, la pasteurisation ou la fermentation sans alcool. Aucun sel, sucre, huile ou autre additif n’est ajouté.

Groupe 2 — Ingrédients culinaires transformés : Obtenues directement à partir des aliments du groupe 1 ou de la nature, ce sont les substances utilisées pour cuisiner ou assaisonner les plats. Elles incluent le sucre, le sel, les huiles et les graisses. 

Groupe 3 — Aliments transformés : Ce sont les produits alimentaires élaborés en ajoutant les ingrédients culinaires (du groupe 2) aux aliments naturels ou faiblement transformés (du groupe 1) dans le but de les rendre plus durables et agréables. Parmi ces produits se trouvent les fromages frais, les pains frais, les légumes et légumineuses en bouteille ou en conserve (dans de l’eau salée ou de la marinade).

Groupe 4 — Aliments ultra-transformés : Ce groupe comprend des formules industrielles de substances comestibles dérivées d’aliments peu coûteux du groupe 1 et d’autres substances organiques. Il s’agit d’ingrédients que l’on ne trouverait pas dans une cuisine classique (en d’autres termes, des ingrédients purement industriels) comme les isolats de protéine, les additifs cosmétiques comme les colorants et les arômes qui rendent l’aspect et le goût du produit plus attrayants. Ces produits passent par plusieurs étapes de transformation impliquant plusieurs industries, d’où le qualificatif « ultra-transformé ». Par exemple : les chips en sachet et autres en-cas sucrés ou salés, les chocolats, les glaces, les bonbons, les boissons édulcorées, les céréales sucrées et aromatisées pour le petit-déjeuner, les soupes instantanées, les pâtes et plats à base de viande préparés.

Références :  Programme mondial pour la recherche alimentaire, 2023. Ultra-processed foods: a global threat to public health.

Monteiro et al. 2019. Ultra-processed foods: What they are and how to identify them, dans Public Health Nutrition: 22(5), 936-941.

Encadré 2

Approvisionnement direct auprès de petits producteurs alimentaires pour les programmes d’aide alimentaire aux États-Unis

Depuis quelques années, aux États-Unis, des programmes se sont multipliés pour mettre en lien des exploitations locales avec des partenaires d’aide alimentaire comme les banques alimentaires, les points de distribution solidaires et les efforts locaux de la base pour lutter contre la faim. Ces initiatives, sous l’acronyme F2FA (Farm to Food Assistance), présentent une stratégie prometteuse pour aider 44 millions d’Américains à sortir de l’insécurité alimentaire grâce à de vrais aliments plutôt qu’avec des UPP. Elles participent également à redynamiser les économies alimentaires locales et régionales, qui sont au cœur de systèmes alimentaires équitables et reposant sur la communauté. Une étude nationale[1] réalisée en 2022 par Wallace Center sur la Farm to Food Assistance démontre l’impact positif de ces programmes sur les agriculteurs et les communautés.

Même si F2FA ne remet pas totalement en question la nécessité de repenser les actions de lutte contre la faim et d’éradication de la pauvreté aux États-Unis, ces efforts sont transitionnels et bousculent le monopole des grandes entreprises sur les systèmes alimentaires industriels grâce à la redistribution de fonds publics. Par exemple, le Programme d’Accords Coopératifs « Local Food Purchase Assistance » (LFPA) du ministère américain de l’Agriculture encourage des partenariats entre les agences étatiques, les gouvernements indigènes, les banques alimentaires, les points de distribution solidaires et les agriculteurs pour fournir et distribuer des aliments, qui bénéficient aux producteurs locaux socialement défavorisés et les communautés marginalisées, avec un budget de 900 millions de dollars.

Les États de l’Iowa et du Nouveau Mexique[2] font figure d’exemples au sein du programme LFPA, en adoptant des approches très collaboratives, stratégiques et visant l’égalité. Au cours de la première année, ces États ont généré plus de 4 millions de dollars de ventes supplémentaires pour les agriculteurs, leur permettant ainsi de fournir des aliments nutritifs aux communautés dans le besoin.

Encadré 3

Les protéines synthétiques

Les protéines synthétiques présentent une menace directe à la souveraineté alimentaire. Ce nouveau marché sert à protéger les intérêts financiers des grandes entreprises et asseoir davantage la concentration du pouvoir, tandis que ces aliments ultra-transformés et souvent génétiquement modifiés ont d’immenses conséquences économiques, sociales, environnementales et culturelles. L’argent public ne doit pas être alloué à cette technologie. Au contraire, les dirigeants politiques doivent soutenir le secteur agricole, pour garantir un grand nombre d’exploitants des terres. Les institutions de l’UE doivent assurer une évaluation complète et indépendante des potentielles conséquences néfastes des protéines synthétiques avant de les autoriser à intégrer nos assiettes.

Découvrez quels sont les enjeux pour les agriculteurs et les citoyens dans la vidéo d’ECVC sur les protéines synthétiques et la fiche descriptive correspondante :

Vidéo, fiche descriptive et liens vers les deux supports disponibles sur le site en anglais d’ECVC.

Encadré 4

Loi sur le gaspillage alimentaire et droit à l’alimentation en Espagne

De nos jours, se trouver en situation d’exclusion sociale provoque une entrave à la capacité de choix, y compris dans les habitudes alimentaires. La population de manière générale est conditionnée par des facteurs multiples, mais les personnes en situation de pauvreté vivent au quotidien l’absence de la perspective des droits dans l’accès à l’alimentation. Un droit de base comme celui à l’alimentation est rattaché à de nombreuses conditions, des conditions nécessaires pour accéder à un panier de produits considérés comme « basiques » qui, loin de remplir les estomacs, ne fait que continuer à alimenter les intérêts des multinationales ainsi qu’un système alimentaire inégal qui donne la priorité au marché et plutôt qu’aux besoins et de droits de toutes les personnes.

Un autre exemple de tout cela : en Espagne, une loi sur le gaspillage alimentaire est examinée, elle rendra officiel le lien entre les personnes défavorisées et les restes alimentaires. Cette loi prévoit que tout surplus alimentaire soit consommé de façon prioritaire par des personnes en situation de vulnérabilité. Il s’agirait d’une bonne nouvelle s’ils intégraient une différenciation entre les produits selon leur valeur nutritionnelle et mettaient en avant la santé de ces personnes. Mais au lieu de cela, la priorité est mise sur la résolution du problème du gaspillage alimentaire des grandes entreprises, sans véritablement le réduire. Ce projet place les personnes défavorisées comme objets et limite toute possibilité de choix dans leur alimentation.

De plus, dans cette nouvelle formule soutenue par des fonds publics, l’aide ne sera pas gérée par des entités publiques mais par la Croix Rouge, une entité privée. C’est la concrétisation de la privatisation de l’aide sociale, du moins pour le volet alimentaire. L’aide sera gérée via des cartes numériques pour acheter dans de grands supermarchés, ces achats seront limités à certains produits désignés par la grande surface lorsqu’ils seront considérés par celle-ci comme « déchets ».

En parallèle, des initiatives sont déjà en place, organisées par la population pour aider en fournissant des aliments sains et agroécologiques aux plus vulnérables. Avec la perspective d’Alimentación Sostenida por la Comunidad, les producteurs et les consommateurs organisent des groupes de soutien pour assurer une alimentation saine pour les personnes en situation de pauvreté. Cette initiative donne de l’espoir mais elle attriste aussi car une fois de plus, un droit basique comme celui à l’alimentation ne sera pas soutenu par les institutions prenant leurs responsabilités.

Encadré 5

Défis de l’alimentation : lutte contre le régime alimentaire industriel en Amérique latine

Au cours des dernières décennies, nous avons été témoins de la consolidation d’un système alimentaire qui perpétue la pauvreté et les inégalités, favorise les intérêts économiques des grandes industries et affaiblit les écosystèmes et qui, loin de favoriser une alimentation réelle, a entraîné la diminution de la biodiversité et l’hégémonie du régime alimentaire industriel. Ce régime, basé sur la consommation de produits comestibles et buvables ultra-transformés (PCBU en espagnol) a entraîné une hausse préoccupante des cas de surpoids, obésité et maladies non transmissibles (MNT). D’après des chiffres récents, depuis 1975 les cas d’obésité ont été quasiment multipliés par trois et sont désormais responsables de 4 millions de décès par an au niveau mondial. Dans la région des Amériques, les MNT causent 5,5 millions de décès par an, soit 80 % de tous les décès. Chaque année, dans la région, 2,2 millions de personnes de 30 à 69 ans meurent prématurément en raison de ces maladies.

Dans ce contexte, où l’application du Droit Humain à l’Alimentation et la Nutrition Adéquate (DHANA) et la Souveraineté Alimentaire (SOBAL en espagnol) a été considérablement entravée, la société civile a pris la tête de luttes afin de réguler l’immense disponibilité des PCBU et leur part excessive dans la consommation, responsable d’un changement dans les schémas d’alimentation traditionnelle faite de véritables aliments, peu transformés ou préparés à la maison. La lutte pour une régulation de cette industrie inclut un étiquetage d’avertissement clair sur les contenus mauvais pour la santé et la mise en place d’un impôt sur les PCBU ; des avancées normatives recommandées par des entités comme l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) et l’Organisation Panaméricaine de la Santé (OPS). Néanmoins, ces initiatives se heurtent à une ingérence forte des géants de l’industrie alimentaire, qui cherchent coûte que coûte à protéger leurs intérêts commerciaux. Résultat, ils déforment ou bloquent souvent des mesures de régulation visant à protéger la santé publique ou promouvoir une alimentation adéquate. Le combat pour un système alimentaire plus juste et plus sain se retrouve donc pris dans la lutte entre les efforts de la société civile et les intérêts commerciaux qui perpétuent un modèle non durable et mauvais pour la santé humaine et pour la planète.

Pour en savoir plus sur les combats contre le régime alimentaire industriel en Amérique latine, vous pouvez consulter :

Alliance pour la santé alimentaire (Mexique), FIAN Colombie, Projet Squatters et Collectif Duda (Argentine).

Encadré 6

Lutter contre la diffusion des produits « alimentaires » ultra-transformés (UPF)/La malbouffe en Inde

L’Inde est connue comme la capitale du diabète dans le monde : 1 adulte sur 4 est diabétique ou prédiabétique et 1/4 est obèse. La consommation de malbouffe croît rapidement, rendant les régimes alimentaires peu sains et participant à cette épidémie. Même si le gouvernement indien a mis en place des réglementations sur la publicité et l’étiquetage pour lutter contre le marketing agressif de ces produits, ces réglementations sont faites de façon à être inefficaces. Dans ce contexte, le Nutrition Advocacy in Public Interest (NAPi), un groupe de réflexion indépendant centré sur la santé publique, a analysé des publicités et interpellé les célébrités qui y apparaissaient. NAPi a regroupé toutes les preuves scientifiques et les a publiées dans toute l’Inde. En 2022, le gouvernement indien a proposé un projet de loi pour une notation par étoiles sur le devant des emballages de malbouffe qui indique que les aliments préemballés allaient de « moins sains » au « plus sain ». La population indienne a réagi en envoyant des lettres par milliers, réclamant des étiquettes d’avertissement sur les emballages plutôt que les étoiles.  Ce système permet aux personnes d’identifier facilement les produits alimentaires non sains en raison de leur forte teneur en sucre/sel ou graisses. NAPi a aussi mobilisé plusieurs organisations de la société civile ou d’académiques pour publier leur prise de position, réclamant une étiquette d’avertissement sur l’emballage des aliments à forte teneur en sucre/sel ou graisses. Les médias ont pleinement soutenu ce travail. Des groupes de la société civile ont également effectué des signalements auprès des autorités de protection des consommateurs. Appelant à une politique complète, NAPi a lancé le rapport “The Junk Push” en 2023, qui dénonce avec quelle force la publicité promeut la malbouffe. Des experts ont publié des articles d’opinion dans des quotidiens et des analyses dans des journaux vérifiés par des pairs.

#EndTheJunkPush, pour en savoir plus : https://www.napiindia.in/


[1] https://foodsystemsleadershipnetwork.org/wp-content/uploads/2023/12/2023-Wallace-Center-F2FA-Infographic_Final.pdf

[2] https://foodsystemsleadershipnetwork.org/wp-content/uploads/2024/03/Iowa-LFPA-Spotlight.pdf et https://foodsystemsleadershipnetwork.org/wp-content/uploads/2024/03/New-Mexico-LFPA-Spotlight.pdf

Sous les feux de la rampe

Sous les feux de la rampe 1

Comment les produits comestibles ultra-transformés s’imposent et comment retrouver des choix sur ce que nous mangeons

L’omniprésence des UPP dans notre alimentation n’est pas le résultat de choix individuels, comme l’industrie alimentaire aimerait nous le faire croire. Nous sommes contraints de vouloir ces produits. Les UPP sont des formules industrielles élaborées pour être très agréables à consommer (savoureuses), voire addictives, surtout si elles sont consommées dès le plus jeune âge. L’industrie alimentaire investit des milliards dans le marketing et les ventes, en ayant recours à des dessins animés ou des célébrités, en offrant des produits, et en plaçant les produits de façon stratégique dans les magasins. Les gérants de petites boutiques reçoivent des réfrigérateurs et des chariots de marque, tandis que la restauration scolaire et les programmes d’aide publique constituent des marchés lucratifs supplémentaires.

De nombreuses recherches prouvent que les UPP nuisent à notre santé et sont une cause majeure de décès prématurés.[1] Ils entraînent un risque accru d’obésité et autres maladies non transmissibles (MNT), comme les maladies cardiovasculaires (cardiaques), le diabète, le cancer et exacerbent aussi la vulnérabilité aux maladies infectieuses. Bien que ce lien soit reconnu par les autorités sanitaires internationales et régionales, il est vivement contesté par l’industrie alimentaire, qui investit massivement dans des recherches et des campagnes dans les médias pour minimiser les effets négatifs de son produit le plus rentable.

Les inégalités sociales sont un important facteur encourageant la consommation des UPP vecteurs de MNT. Dans les pays à haut revenu et dans les zones urbaines principalement, ces produits sont souvent plus accessibles, tant concrètement que financièrement, que les aliments frais et faiblement transformés. L’une des explications est que leur prix ne reflète pas le véritable coût de production. Même si l’industrie des UPP nous renvoie « l’illusion de la diversité » dans ses produits, ces derniers reposent surtout sur quelques cultures peu onéreuses à rendement fort : le maïs, le blé, le soja, le sucre et l’huile (de palme). La production en monoculture et les chaînes d’approvisionnement mondiales qui y sont associées ont de forts impacts environnementaux, dont le coût n’est pas reflété. Parmi ces impacts : la déforestation, la pollution des eaux, de l’air et des sols aux produits agrotoxiques, l’utilisation excessive d’eau, la perte de biodiversité, les émissions de CO2 dues à la production, au transport et à l’emballage et les déchets plastiques.

S’ajoutent à cela des coûts sociaux : le déplacement de populations rurales (et des méthodes alternatives de produire et échanger), une dépendance et une faible rémunération aux producteurs d’aliments, ainsi que des conditions de travail et des salaires relevant de l’exploitation dans toute la chaîne de l’industrie alimentaire. La production et la distribution à très grande échelle associées aux recettes fiscales pour les entreprises ajoutent encore au bas coût superficiel des UPP.  

Pour récupérer le contrôle sur ce que nous mangeons et disposer d’un vrai choix, nous devons réduire le pouvoir des grandes entreprises sur tout le système alimentaire. Des mesures de réglementation sur les UPP, comme des étiquettes d’avertissement et des régulations du marketing sont requises de toute urgence et constituent des impératifs de santé publique. En parallèle, nous devons également travailler à des alternatives viables. Plus de diversité dans nos assiettes requiert de la diversité dans nos champs, et des aliments de qualité requièrent des sols sains. Pour cela, nous avons besoin de politiques publiques pour une transition vers l’agroécologie, et de soutien aux marchés d’agriculteurs, aux coopératives et autres systèmes de distribution et d’échange basés sur la proximité et la solidarité. De plus, nous devons résoudre les inégalités structurelles qui entravent l’accès aux véritables aliments, notamment en garantissant des salaires et des revenus décents.

Sous les feux de la rampe 2

En Afrique, les UPF représentent d’immenses menaces pour les systèmes alimentaires et les transitions agroécologiques justes

Les systèmes alimentaires changent rapidement en Afrique, à l’image de la tendance mondiale d’une consommation accrue d’aliments ultra-transformés (UPF en anglais). Ce phénomène est visible dans les zones urbaines et rurales, il apparaît dans les zones urbaines côtières et s’étend vers les régions enclavées. La consommation d’aliments dans les zones urbaines repose principalement sur les achats, majoritairement d’aliments ultra-transformés. Dans les zones rurales, moins de la moitié des aliments proviennent du commerce et la plupart de ceux-ci sont encore très peu transformés.  Les importations d’UPF connaissent également une hausse rapide, par exemple les importations de boissons non alcoolisées vers la Communauté de développement de l’Afrique australe ont bondi de 1 200 % entre 1995 et 2010, et les aliments type « en-cas » ont augmenté de 750 %. 

La hausse de la consommation d’UPF en Afrique est liée à un contexte socio-économique et politico-économique changeant ainsi qu’aux inégalités structurelles qui contribuent à rendre les UPF plus accessibles, abordables et attractifs à la fois dans les zones urbaines et rurales. La privatisation des organismes parapublics liés à l’alimentation et la libéralisation des investissements directs étrangers (FDI en anglais) ont fortement participé à l’entrée des UPF en Afrique. Les investissements dans les UPF (brasseries, distilleries, boissons non alcoolisées et produits sucrés) représentent 22 % de tous les FDI dans le système alimentaire et le double des investissements dans les exploitations agricoles et les plantations.  Les UPF sont produits et vendus par des petites et moyennes entreprises et de très grandes entreprises, notamment des géants transnationaux de l’alimentaire comme Nestlé, Unilever et Danone. Les supermarchés se sont considérablement développés sur le continent, et les UPF remplissent les rayons. Ces produits sont également proposés par les vendeurs dans la rue et se trouvent aussi dans les magasins de proximité de tout le continent.

La hausse des UPF consommés en Afrique, en termes de quantité, de fréquence et de nombre de consommateurs s’accompagne inéluctablement d’un déplacement des aliments traditionnels sains et nutritifs, de la diversité alimentaire et agricole et des systèmes agricoles locaux. Ce phénomène est étroitement lié à la pandémie d’obésité qui sévit dans la région, et à d’autres maladies non transmissibles (MNT) liées à l’alimentation comme le diabète de type 2 et les cancers. La multiplication des nouveaux cas de surpoids et d’obésité est assortie de taux élevés constants de sous-nutrition et de carences en micronutriments.

Il existe des lacunes considérables dans les connaissances concernant les interactions entre les consommateurs et les systèmes alimentaires dans le discours actuel sur la souveraineté alimentaire. Même s’il présente des liens clairs avec le combat pour une transition juste des systèmes alimentaires vers l’agroécologie, le discours actuel est souvent orienté vers les zones rurales et assez peu pertinent pour les populations urbaines, les travailleurs agricoles, les travailleurs de l’industrie de l’alimentaire, et d’autres acteurs dans les villes et les campagnes. Ce discours doit être approfondi, et s’attaquer aux facteurs structurels qui entravent l’accès à des régimes alimentaires sains et perpétuent la pauvreté, les inégalités, la faim et la malnutrition dans un cercle infini sur le continent.

Pour en savoir davantage, consultez la fiche descriptive du African Centre for Biodiversity sur les UPF en Afrique.


[1]  Voir : Ultra-processed food exposure and adverse health outcomes: umbrella review of epidemiological meta-analyses.

Bulletin n° 55 – Éditorial

Les aliments ultra-transformés, un « régime alimentaire industriel »

Illustrations : Nikau Hindin, Obesity and Junk Food, 2009, @nikaugabrielle

Les 60 dernières années ont été accompagnées d’une hausse de la production et consommation « d’aliments » ultra-transformés, ou plutôt faudrait-il parler de produits comestibles ultra-transformés (UPP en anglais) tels que les chips en paquet, les gâteaux, les boissons édulcorées ou les plats préparés. Propulsés par l’expansion du système alimentaire industriel, notamment l’approvisionnement mondial et les lieux de vente, ainsi que la concentration et le pouvoir des grandes entreprises au sein de ce système, les UPP remplacent les aliments frais et faiblement transformés et les repas préparés à la maison dans nos régimes alimentaires.  Les schémas alimentaires sont de plus en plus homogénéisés et les traditions culinaires disparaissent. Ce changement est apparu dans les pays à haut revenu puis s’est étendu au reste des pays, et la part de ces produits dans certaines régions dépasse 50 % de l’alimentation humaine.[1] 

Cette édition de la newsletter Nyéléni s’intéresse à la manière dont « le régime alimentaire industriel » basé sur le UPP s’impose dans différentes régions du monde et aux implications pour la santé et la souveraineté alimentaire des personnes. Elle met en avant des exemples de résistance, du retour aux cultures traditionnelles au combat pour des mesures de régulation efficaces. Une chose est sûre, pour retrouver notre souveraineté sur nos assiettes, nous devons voir au-delà de ces assiettes et réformer le système alimentaire tout entier.

FIAN International et AFSA 


[1] Programme mondial pour la recherche alimentaire, 2023 – Ultra-processed foods: a global threat to public health et Alianza por la Salud Alimentaria, 2022 – Planeta Ultraprocesado:Los riesgos para la salud y el medio ambiento de los productos ultraprocesados.

L’écho des campagnes

L’écho des campagnes 1

IPEF: Négociations secrètes sur l’avenir de l’économie indo-pacifique

Alors que les accords commerciaux internationaux continuent d’évoluer, le cadre économique indo-pacifique (IPEF) est en cours de négociation entre plusieurs pays de la région Asie-Pacifique. Sous la houlette des États-Unis, ses membres sont l’Australie, le Brunei Darussalam, les Fidji, l’Inde, l’Indonésie, le Japon, la République de Corée, la Malaisie, la Nouvelle-Zélande, les Philippines, Singapour, la Thaïlande et le Viêt Nam. Malgré ses prétentions à la coopération économique transrégionale, ses détracteurs affirment que l’IPEF est conçu pour promouvoir les intérêts des entreprises américaines et leur permettre d’influencer la réglementation nationale dans des secteurs critiques tels que l’agriculture, le travail, l’environnement, l’industrie manufacturière, les services et la technologie numérique. L’un des principaux points de discorde concernant l’IPEF (comme d’autres accords de commerce et d’investissement) est le caractère secret des négociations, qui exclut tout contrôle public et démocratique, ainsi que tout mécanisme de vérification et d’équilibrage.

Joseph Purugganan, de Focus on the Global South, a résumé les préoccupations de la société civile en déclarant[1]« Le consensus était évident : L’IPEF, bien qu’il soit présenté comme un nouveau modèle de commerce, semble être fortement orienté vers les méga-corporations et les géants de la technologie. Le manque de transparence dans ses négociations et la hâte avec laquelle il a été finalisé, aggravés par le bras de fer géopolitique entre les États-Unis et la Chine dans la région Asie-Pacifique, sont autant de signaux d’alarme. Les gouvernements sont invités à réfléchir attentivement, à placer le bien-être de leurs citoyens au-dessus des bénéfices des entreprises et à s’assurer que l’IPEF, par essence, s’aligne sur les aspirations et les droits de ces citoyens.”

L’écho des campagnes 2

Exclusion et discrimination au Forum Mondial de l’Alimentation de la FAO

Melissa Gómez Gil, MAELA, Colombie

Le Forum Mondial de l’Alimentation de la FAO a mis en évidence l’exclusion et la discrimination des populations et des communautés historiquement marginalisées, telles que les jeunes, les femmes et les communautés rurales. Là-bas, des espaces de dialogue et de partage d’expériences ont été créés, mais sans les outils et les mécanismes d’interprétation. Les conditions d’hébergement et de nourriture n’étaient pas adéquates pour les personnes qui sortions de nos territoires, peut-être pour la première fois, pour aller dans un pays où la valeur de la monnaie nationale est multiplié par trois.

Nous avons senti que notre droit à l’alimentation a été violé en nous offrant leurs miettes parce qu’ils pensent que nous sommes habitués à un système violent d’inégalité sociale et que cela reproduit clairement l’état d’inégalité dans lequel nous vivons dans nos territoires et la xénophobie qui est vécue dans les pays du « premier monde ». Peut-être que l’expérience pour certains a été intéressante pour le simple fait d’être à Rome ou d’être au siège principal de la FAO, mais la vérité est que pour les jeunes du mouvement social cette expérience fut traumatisante et n’offrait pas les garanties ni conditions dignes pour participer.

L’écho des campagnes 3

Tsunami numérique :  Une technologie qui n’est pas discutée avec les populations crée de l’exclusion et de la dépendance

Les témoignages suivants ont été recueillis au cours des deux années de discussion, entre diverses organisations paysannes, autochtones, communautaires locales et d’agriculteurs familiaux, sur la numérisation des systèmes alimentaires, à l’initiative du « Data Work Stream » inauguré par le Comité de la sécurité alimentaire mondiale (CSA) en 2021.

La numérisation dans l’agriculture et l’alimentation est perçue comme un moteur de profit, plus que comme une série d’outils et de processus qui peuvent faciliter le travail dans les champs et bénéficier à la majorité des agriculteurs non industriels. Les gens sont conscients que cette technologie n’a pas été développée par les peuples pour les peuples, mais qu’elle provient du monde des affaires et qu’elle a l’intention de créer une dépendance et une exclusion, tout comme d’autres innovations agricoles au cours de l’histoire.  -Déclaration de vision sur les données du Mécanisme de la société civile et des peuples autochtones (CSIPM)

 « Un agriculteur est désormais contraint de produire de la nourriture d’une manière différente, qui n’est ni conventionnelle ni traditionnelle, mais qui dépend de la technologie.” Moayyad Bsharad, région LVC-MENA, travailleur de la terre.

 La sélection de certaines données et l’ignorance d’autres données sont parfois utilisées pour justifier un objectif politique ou lucratif. Un exemple d’objectif politique nous vient du territoire palestinien occupé de Gaza. – Déclaration de vision de la CSIPM sur les données

« En utilisant la collecte de données sur les systèmes alimentaires à Gaza et leur analyse par l’occupant qui détient le pouvoir, l’occupation israélienne a pu calculer une moyenne de calories par personne qui fait que les gens ne meurent pas de faim mais ne se sentent jamais bien nourris. Par cette militarisation de la nourriture basée sur des données calculées très précisément, l’occupation israélienne visait à exercer une pression directe sur la population de Gaza par le biais d’une forme de punition collective afin de la pousser à abandonner certains choix politiques qu’elle avait faits ». Mariam Mohammad, Coalition de la société civile libanaise / Réseau arabe pour la souveraineté alimentaire


[1] https://focusweb.org/press-release-indo-pacific-economic-framework-ipef-under-scrutiny-civil-society-raise-alarms-on-its-potential-consequences/

Encadres

Encadré 1

Digitalisation des systèmes alimentaires: les ‘Big Data’ (les données massives) ne nous nourriront pas

Lors de sa cinquante et unième session, le Comité de la sécurité alimentaire mondiale (CSA) a émis des recommandations pour la collecte de données sur la sécurité alimentaire. Depuis 2021, le Mécanisme de la Société Civile et des Peuples Autochtones (MSCPA/CSIPM) a insisté sur le fait que la collecte de données ne résoudra pas les problèmes historiques et structurels qui sont au cœur de la faim et de la malnutrition. Des aspects tels que la gouvernance de la numérisation, les conflits d’intérêts (étant donné que les principaux promoteurs de la « recollection des données » sont les techno-titans du monde), l’importance d’autres systèmes de connaissances, les impacts environnementaux des outils numériques et la nécessité d’évaluer la numérisation des systèmes alimentaires ont été portés à l’attention des négociations par le CSIPM. Voici les propos de Patti Naylor, membre de la National Family Farm Coalition et coordinatrice du groupe de travail sur les données de la CSIPM lors de la séance plénière du 24 octobre[1]:

Ces recommandations politiques sont insuffisantes dans de nombreux domaines. Les dangers pour la sécurité alimentaire future et l’environnement n’ont pas été abordés, pas plus que la surveillance et les violations de la vie privée ou le contrôle monopolistique des processus numériques qui permettent aux entreprises de contrôler le système alimentaire mondial. Le document insiste sur les « données » comme outil pour atteindre la sécurité alimentaire, alors que d’énormes quantités de données sont déjà collectées et ne conduisent pas aux politiques nécessaires. L’extraction de données rejoint l’exploitation du travail humain et l’extraction des ressources naturelles. Alors que la gravité des risques devient de plus en plus évidente, ces discussions autour des données et des technologies numériques doivent se poursuivre.

Encadré 2

Le financement pour le développement: une perspective systémique[2]

Les luttes pour la souveraineté alimentaire sont totalement liées aux règles qui régissent l’économie mondiale. Qu’il s’agisse de la façon dont la spéculation et l’instabilité financières affectent les prix des denrées alimentaires, des carburants et des engrais, de la façon dont l’endettement insoutenable et les accords commerciaux injustes, enracinés dans la dynamique coloniale, ont maintenu tant de pays dépendants des importations de denrées alimentaires et de l’exportation de produits de base, ou de la façon dont la déréglementation de la finance mondiale a poussé les agriculteurs et les communautés rurales à quitter leurs terres, celles-ci étant achetées par des acteurs financiers à la recherche d’investissements rentables.

C’est là que le processus de financement du développement des Nations Unies (FdD) intervient en tant qu’espace permettant de faire avancer les changements systémiques dont nous avons besoin de toute urgence. Le processus du FdD est unique, car il s’agit du seul espace démocratique dans lequel la gouvernance économique mondiale est abordée, alors que les questions du changement climatique, des inégalités et des droits de l’homme restent au cœur du processus.

Le Forum pour le développement trouve ses racines historiques dans le mécontentement actif des pays du Sud face aux failles structurelles de l’architecture financière internationale et aux inégalités qui la caractérisent.

L’élan s’appuie sur la coopération internationale pour faire face à de multiples crises. Au cours des derniers mois, le processus de FdD de l’ONU a repris de l’ampleur grâce à deux avancées majeures : l’approbation par consensus d’une résolution présentée par le Groupe africain pour un processus intergouvernemental sur la coopération fiscale aux Nations Unies, et la dynamique qui se crée en vue de la quatrième Conférence sur le financement du développement, qui devrait avoir lieu en 2025.

Les questions de l’évasion fiscale et des flux financiers illicites, qui ont été soulevées par les pays en développement depuis le début du processus de financement du développement, coûtent chaque année aux gouvernements du monde entier des centaines de milliards de dollars en recettes fiscales

perdues. Des décennies de déréglementation économique, de réductions d’impôts sur les sociétés et d’exonérations fiscales pour attirer les investisseurs étrangers ont permis une ruée mondiale vers les terres et la concentration du pouvoir des entreprises dans les systèmes alimentaires.

La quatrième Conférence internationale sur le financement du développement, qui se tiendra en 2025, sera un moment clé pour la mobilisation mondiale et la pression publique en faveur de la justice en matière de dette. Soutenir les demandes d’annulation de la dette et de réforme de l’architecture mondiale de la dette serait également pertinent pour les mouvements en faveur de la souveraineté alimentaire, car de nombreux pays piégés dans la dette ont été contraints de façonner leur économie autour d’exportations agroalimentaires industrielles destructrices à grande échelle, afin de gagner les dollars nécessaires au remboursement de la dette.

Dans la lignée du nouveau processus de Nyéléni et du prochain Forum Mondial de Nyéléni, les stratégies de création de systèmes alimentaires justes et écologiques ne peuvent être renforcées que par des alliances avec des organisations de la société civile et des mouvements sociaux exigeant une transformation systémique de l’architecture financière internationale.

Encadré 3

Le processus Nyéléni: vers un Forum Global de la Souveraineté Alimentaire 2025

Voix de nos alliés

Dražen Šimleša, RIPESS Int. www.ripess.org

Le Réseau intercontinental pour la promotion de l’économie sociale et solidaire (RIPESS Int.) n’envisage pas une économie sociale et solidaire (ESS) réelle et vivante sans souveraineté alimentaire et vice-versa – nos circonscriptions sont inséparables et se soutiennent mutuellement. Nous partons du principe que les polycrises actuelles sont enracinées dans les règles et la conception du système économique actuel. C’est pourquoi nous soutenons les potentiels de transformation dans la lutte globale pour un monde meilleur. Le domaine dans lequel ce système économique et politique destructeur et obsédé par la croissance est le plus visible est notre secteur alimentaire. Nous pouvons l’observer depuis la position des petits agriculteurs et des femmes dans les zones rurales jusqu’à la situation des sols et de la biodiversité, en passant par la santé publique et la monopolisation du secteur alimentaire. C’est pourquoi le travail sur la souveraineté alimentaire et l’agroécologie est important pour une économie sociale et solidaire. Nous considérons nos mouvements comme des ruisseaux d’une même rivière, comme des parties d’un même écosystème.

Au sein de la circonscription de l’ESS, nous travaillons déjà sur de nombreux points de croisement et de chevauchement. Nos membres sont actifs dans la promotion et la mise en œuvre de systèmes alimentaires territoriaux, de fermes collectives et de magasins agricoles (petites coopératives locales), de production et de transformation alimentaires collectives et partagées, de marchés publics territoriaux, de préservation des biens communs (terre, eau, semences, etc.), de solidarité entre producteurs et consommateurs avec des risques et des bénéfices partagés, et d’amélioration générale de la santé. C’est dans ces domaines, entre autres, que l’on peut voir le lien entre l’ESS et l’ES.

Notre contribution se traduit par la mise en évidence des programmes, projets et activités étroitement liés mentionnés ci-dessus.

Nous continuerons à travailler sur la solidarité au sein de nos sociétés et sur la nécessaire transformation de l’économie capitaliste néolibérale qui met en danger la planète, les petits producteurs alimentaires, les femmes, les minorités et tous les autres groupes qui ne suivent pas l’agenda du profit avant tout. RIPESS Int. peut également apporter son soutien au renforcement des capacités et des connaissances par le biais d’activités éducatives et de formations sur l’ESS et les FS.


[1] https://www.csm4cfs.org/fr/declaration-du-groupe-de-travail-sur-les-donnees-du-mscpa-lors-de-la-conference-cfs51/

[2] Pour plus d’information, voir l’article écrit par Flora Sonkin et Iolanda Fresnillo

Sous les feux de la rampe

Sous les feux de la rampe 1

Alerte rouge: ‘SfN’ et ‘la technologie de la nature’ sont des pièges techno-fix !

L’idée de « solutions fondées sur la nature » (SfN) semble positive et inoffensive, mais n’est en fait ni l’une ni l’autre. Il s’agit d’un terme très ambigu, de plus en plus utilisé pour blanchir les profits des entreprises par le biais d’arènes politiques censées s’attaquer aux crises mondiales du climat, de la biodiversité et de l’alimentation.

En raison de cette ambiguïté, la SfN est utilisée pour promouvoir une grande variété de propositions, allant des plantations à la conservation des zones humides, en passant par le génie génétique des plantes et des microbes du sol[1].  Les approches techniques et basées sur le marché, ainsi que l’accent mis sur l' »amélioration » de la nature (y compris en excluant les populations de leurs terres) sont à l’ordre du jour.

En 2022, la SfN a été intégrée dans une série d’accords intergouvernementaux, notamment dans : quatorze résolutions de la cinquième Assemblée des Nations Unies pour l’environnement ; le plan de mise en œuvre de la COP 27 de la CCNUCC à Charm el-Cheikh ; le cadre mondial pour la biodiversité de la Convention sur la diversité biologique Kunming-Montréal ; et une résolution de la COP 14 de la Convention de Ramsar sur les zones humides[2]. Cette évolution s’est accompagnée d’une avalanche de propositions de NbS de la part des entreprises:

“Le nombre de « promesses SfN » des entreprises a explosé. Mais comme il n’y a tout simplement pas assez de nature pour tout le monde, les entreprises font pression sur les moyens technologiques pour « améliorer » la nature, tels que les projets de bioénergie avec captage et stockage du carbone (BECCS) et d’autres technologies de géo-ingénierie. »[3]

Le Forum Economique Mondial (FME/WEF) cimente également de manière insidieuse l’approche technofixe comme essentielle à la SfN, en affirmant que « les solutions basées sur la nature peuvent être transformées par les technologies de la nature en solutions évolutives, transparentes et dignes de confiance »[4].   Le Forum Mondial de l’Environnement (FME/WEF) fait ici un récit soigneusement formulé sur les « technologies de la nature » à connotation positive, afin de promouvoir les technofixes comme la seule voie à suivre. Ce n’est pas seulement faux, c’est aussi une dangereuse distraction des vraies solutions.

Le terme « technofix » est généralement compris comme une solution technique à un problème urgent. Toutefois, il ne s’agit généralement que d’une « solution » qui s’attaque aux symptômes, mais pas aux causes profondes du problème (parce que les promoteurs de la « technofix » feraient faillite).

Les technofixes peuvent également accroître les risques d’impacts négatifs. Par exemple, des technologies de Gestion du Rayonnement Solaire (GRS/SRM) ont été proposées pour réfléchir la lumière du soleil dans l’espace[5].  Ces technologies pourraient avoir des répercussions incalculables sur les conditions météorologiques et la production alimentaire, mais pourraient néanmoins être difficiles à arrêter une fois lancées, en raison du risque de « choc de terminaison » – une accélération rapide du changement climatique qui rendrait l’adaptation infiniment plus difficile qu’elle ne l’est aujourd’hui[6], y compris pour les producteurs de denrées alimentaires.

Il est alarmant de constater que le programme technofix gagne du terrain si rapidement, alors que les conséquences pourraient être si graves. Cela semble être dû en partie au fait que le développement technologique est considéré comme politiquement neutre et toujours progressif – même si ce n’est pas le cas[7]– et en partie à une confiance inconsidérée dans les entreprises pour fournir des technologies pour le bien public. Ces déséquilibres de pouvoir sont rarement révélés ou combattus.

Au sein de la société civile, nous devons collectivement contester et discréditer l’utilisation des techno-fixes dans tous les forums politiques.

Sous les feux de la rampe 2

Le régime mondial de commerce et d’investissement : formaliser le vol et la destruction

Le régime mondial du commerce et de l’investissement repose sur une histoire d’extractivisme et d’exploitation de la nature, de la main-d’œuvre et des richesses par des entreprises provenant principalement du Nord, mais aussi de plus en plus du Sud. Ce régime, dont les racines remontent à l’ère coloniale, est une force politique et économique puissante qui menace la souveraineté alimentaire des peuples, subvertit le multilatéralisme démocratique et met la planète en danger.  La création de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) en 1995 a marqué un tournant dans l’architecture du commerce mondial. De nombreux gouvernements se sont félicités de la mise en place d’un système commercial multilatéral fondé sur des règles. En réalité, les règles de l’OMC ont favorisé les intérêts économiques des pays riches, en plaçant l’accès au marché au centre de toutes les négociations. Ses nombreux accords sur l’agriculture (AsA), les droits de propriété intellectuelle (Accord sur les ADPIC), l’industrie (Négociations sur l’accès aux marchés pour les produits non agricoles – AMNA), les normes de santé/sécurité (Mesures sanitaires et phytosanitaires – SPS), les services (Accord Général sur le Commerce des Services – AGCS), les investissements, les marchés publics, la facilitation des échanges, la pêche, le commerce électronique et les services environnementaux sont conçus pour assurer le contrôle des entreprises sur les biens et les services nécessaires à la vie quotidienne par le biais d’une libéralisation progressive des échanges.

Au cours des deux dernières décennies, l’OMC a été accompagnée par un nouveau type d’accords de libre-échange (ALE) et de partenariats économiques qui peuvent être bilatéraux, plurilatéraux, régionaux et transrégionaux, par exemple le Partenariat Economique Régional Global (PERG/RCEP), l’Accord global et Progressif pour le Partenariat Transpacifique (CPTPP) et, plus récemment, le cadre indo-pacifique pour la prospérité (IPEF en anglais). Ces accords sont plus ambitieux que l’OMC en ce qui concerne la possibilité pour les entreprises étrangères d’opérer sur les marchés nationaux, la protection de la propriété intellectuelle, la protection des investisseurs et l’élaboration d’une réglementation nationale. Les dispositions « ADPIC plus » des ALE permettent aux entreprises pharmaceutiques de s’approprier les données relatives à la sécurité et à l’efficacité des médicaments, d’étendre de facto la durée des brevets et de créer des monopoles pharmaceutiques, ainsi que de retarder considérablement la production et la commercialisation des médicaments génériques. Elles exigent également des pays participants qu’ils adhèrent aux règles de l’Union internationale pour la Protection des Obtentions Végétales (UPOV) et s’y conforment, ce qui favorise les entreprises agro-industrielles et biotechnologiques.

L’une des dispositions les plus dangereuses de ces accords est la protection des droits des investisseurs par le biais de mécanismes de règlement des différends entre investisseurs et États (ISDS), qui permettent aux investisseurs de poursuivre les gouvernements au sujet des politiques publiques, des lois et des réglementations qui limitent leurs activités et leurs profits, notamment en matière de fiscalité, de droit du travail, de droit de l’environnement et de pollution. Les arbitrages ISDS entraînent des coûts énormes pour les contribuables en termes de frais juridiques, de comparutions devant les tribunaux et de paiements de dommages, et découragent les gouvernements de réglementer dans l’intérêt public.

L’OMC et les accords de libre-échange sont le reflet d’une mondialisation axée sur les entreprises et privilégient les opportunités de profit pour ces dernières au détriment des droits et des capacités des petits producteurs de denrées alimentaires, des travailleurs, des peuples indigènes et des autres populations. Ils supplantent les conventions multilatérales sur les droits de l’homme, l’environnement et la biodiversité, et faussent les concepts de durabilité, d’inclusion et de responsabilité. Les échecs structurels de ce modèle et de son régime de gouvernance sont évidents dans les crises alimentaires, financières et de santé publique récurrentes, l’effondrement des chaînes d’approvisionnement, la dépossession des petits producteurs de denrées alimentaires et l’accélération du changement climatique. Les négociations sont caractérisées par des asymétries de pouvoir entre les pays, des accords opaques en coulisses et une coercition qui se fait passer pour un consensus. Ce régime doit être démantelé et la gouvernance en matière de commerce et d’investissement doit être ancrée dans les principes de souveraineté alimentaire, de droits des peuples, de dignité, de solidarité et de respect de la nature.

Sous les feux de la rampe 3

L’hydre aux mille têtes : Comment les entreprises privatisent le processus décisionnel international

Le pouvoir des entreprises, l’industrialisation de l’agriculture, de l’élevage, de la pêche et de l’aquaculture, et la concentration du marché dans les systèmes alimentaires continuent d’augmenter. Le fait de s’asseoir à la table des décisions de diverses institutions publiques internationales a permis de maintenir et d’accroître le pouvoir des entreprises. Comment les entreprises accroissent-elles leur influence au sein des agences des Nations Unies qui traitent des questions importantes liées à la souveraineté alimentaire ?

– Soixante-dix pour cent du budget de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) provient de contributions volontaires, notamment de philanthropies et d’associations d’entreprises. La FAO ne divulgue pas le montant des fonds qu’elle reçoit du secteur privé.

–   La FAO a intensifié sa collaboration avec le secteur des entreprises dans son cadre stratégique pour 2022-2031. Outre Crop-Life International, elle a signé des accords avec l’Association internationale des engrais, Google et Unilever, entre autres. Source.

–  Coca-Cola était l’un des sponsors de la COP 28 sur le climat à Sharm El Sheikh, en Égypte. Le directeur général de l’Abu Dhabi National Oil Company (ADNOC) supervisera le prochain cycle de négociations sur le climat mondial en tant que président de la COP28, organisée par les Émirats Arabes Unis (EAU). Source ici et ici.

– Crop-Life International participe à des groupes d’experts techniques de la Convention sur la Diversité Biologique (CDB). Des associations d’entreprises telles que le Conseil Mondial des affaires pour le Développement Durable et le Forum Economique Mmondial, qui comprennent de grandes entreprises agroalimentaires, ont établi des coalitions pour promouvoir des solutions durables qui protègent les intérêts des entreprises mais ne font rien pour l’environnement. Les exemples incluent des mécanismes de compensation (tels que « Pas de perte nette », « Gain net », « Nature positive » et « Solutions basées sur la nature »), l’autodéclaration, l’autorégulation et l’autocertification. Source.

Un autre moyen d’accroître l’influence des entreprises au sein des institutions de l’ONU consiste à modifier le mode d’élaboration des politiques. Au lieu de s’appuyer sur des processus intergouvernementaux de négociation avec des règles du jeu claires, de nombreuses formes d’initiatives multipartites avec des résultats politiques informels et une forte présence de réseaux favorables aux entreprises se multiplient.

Le sommet des Nations Unies sur les systèmes alimentaires, organisé en 2021 par le secrétaire général des Nations Unies, a été la plus importante de ces initiatives jusqu’à présent. Bien que les gouvernements n’aient pas convenu d’un plan d’action, un centre de coordination des systèmes alimentaires des Nations Unies – hébergé par la FAO et dirigé conjointement par le vice-secrétaire général des Nations Unies et les chefs des agences basées à Rome (FAO, Programme Alimentaire Mondial-PAM et Fonds International de Développement Agricole-FIDA), l’OMS et le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE) – a été créé en tant que structure parallèle aux institutions existantes telles que le Comité des Nations Unies sur la Sécurité Alimentaire Mondiale (CFS). Ce centre bénéficie d’un budget plus de deux fois supérieur à celui du CSA, alors que ce dernier continue à lutter pour son financement. Les gouvernements nationaux ne font pas partie de la structure de gouvernance de ce Hub. En d’autres termes, une bureaucratie onusienne favorable aux entreprises décide de facto des politiques à promouvoir.

Le Forum Mondial de l’Alimentation de la FAO (WFF) est un grand événement qui tente de mettre en relation les investisseurs et les pays. Il s’articule autour de trois piliers principaux : le Forum mondial de la jeunesse, le Forum de la science et de l’innovation et le Forum de l’investissement main dans la main. Il offre une grande plateforme aux acteurs du monde des affaires pour promouvoir leurs solutions commerciales. (Voir l’encadré sur les lectures complémentaires).

La démocratisation de la prise de décision concernant les systèmes alimentaires est au cœur même du mouvement pour la souveraineté alimentaire. Nous devons contrer la mainmise des entreprises sur les Nations Unies. En nous appuyant sur notre vision de la souveraineté alimentaire, de la souveraineté des peuples et des droits de l’homme, nous devons développer davantage nos propositions et nos stratégies pour une gouvernance alimentaire mondiale inclusive et la démocratisation des Nations Unies dans un sens plus large.


[1] https://www.etcgroup.org/sites/www.etcgroup.org/files/files/geoengineering_in_climate_negotiations_final.pdf

[2] https://research-and-innovation.ec.europa.eu/research-area/environment/nature-based-solutions_en

[3] Citation de la declaration Non aux Dépossessions Basées sur la Nature, Mars 2022.

[4] https://www.weforum.org/agenda/2022/12/nature-based-solutions-are-essential-for-tackling-the-climate-and-biodiversity-crises/

[5] https://www.geoengineeringmonitor.org/cat/technologies/solar_radiation/

[6] https://www.geoengineeringmonitor.org/2022/03/high-risk-geoengineering-technologies-wont-reverse-climate-breakdown/

[7] https://www.geoengineeringmonitor.org/2022/03/high-risk-geoengineering-technologies-wont-reverse-climate-breakdown/

[8] https://www.csm4cfs.org/fr/declaration-du-groupe-de-travail-sur-les-donnees-du-mscpa-lors-de-la-conference-cfs51/

[9] https://focusweb.org/press-release-indo-pacific-economic-framework-ipef-under-scrutiny-civil-society-raise-alarms-on-its-potential-consequences/

Bulletin n° 54 – Éditorial

Comment les plateformes multilatérales et autres plateformes internationales affectent-elles la souveraineté alimentaire?

Illustration: Andrea Medina pour ETC Group facebook.com/andreammedinagraphic/

Pour de nombreux gouvernements et décideurs politiques, l’alimentation en est venue à être considérée comme une marchandise plutôt que comme un droit. La gouvernance alimentaire mondiale sert de plus en plus les intérêts des entreprises par le biais d’accords favorables au marché et aux entreprises qui sont normalisés dans un large éventail d’institutions multilatérales. Les moyens de subsistance des populations et la nature font l’objet d’un commerce par le biais d’accords économiques et financiers qui profitent aux entreprises et aux élites dans différents secteurs et pays, mais qui menacent les conditions nécessaires à la souveraineté alimentaire des populations. Cette menace est aujourd’hui aggravée par les approches techno-fixes des entreprises face aux crises du changement climatique et de la biodiversité.

Dans ce numéro de la newsletter Nyéléni, nous décrivons comment les tendances des plateformes multilatérales et internationales ont un impact sur la souveraineté alimentaire qui sera décisif pour l’avenir de l’alimentation et de l’autodétermination des peuples. Nous décrivons les différents processus par lesquels des échanges injustes se perpétuent et des concepts opaques sont promus.

Alors que les forums sur le commerce et l’investissement continuent de faire progresser les systèmes alimentaires industriels et les chaînes d’approvisionnement mondiales, la prolifération de ce que l’on appelle les « solutions fondées sur la nature » (SFN) masque de nouvelles façons de marchandiser la nature, les territoires et les moyens de subsistance.  En assignant à la terre, au sol, à l’eau, aux forêts et à la biodiversité la tâche impossible de compenser la pollution causée par des industries situées ailleurs en échange d’une rémunération monétaire, un nouveau front de fermeture des biens communs s’ouvre, qui est rendu possible, mesuré et contrôlé par les nouvelles technologies. La mainmise des entreprises sur les agendas politiques et économiques est un facteur commun à tous ces scénarios ; elle s’étend et s’intègre dans les institutions multilatérales par le biais du multistakeholderism. Le sommet sur les systèmes alimentaires de 2021 et la création ultérieure d’un centre de coordination des systèmes alimentaires des Nations Unies, qui cherche à détourner la conversation en cours sur la gouvernance alimentaire, en sont un exemple flagrant.  Un autre exemple est la discussion sur les données pour la sécurité alimentaire et la nutrition au sein du Comité de la Sécurité Alimentaire mondiale (CSA), menée par nul autre que la Fondation Bill et Melinda Gates.

Il est clair que nous devons collectivement nous mobiliser et résister à une échelle encore plus grande et plus coordonnée qu’auparavant pour contester et inverser ces tendances dans toute une série d’arènes multilatérales et d’autres arènes de « négociation ».

ETC Group, FIAN International, Focus on the Global South