Agroécologie en action

Agroécologie en action 1

Reproduction et échangedes semences

Les pratiques historiques de reproduc- tion des semences sur le site même et d’échange avec les voisines et les voi- sins constituent des stratégies fonda-mentales pour la souveraineté alimen- taire et l’agroécologie. Elles permettent l’élaboration, le développement et la conserva- tion de systèmes alimentaires diversifi és, com- plexes, autonomes et plus résistants. Grâce à la reproduction des semences, il est possible de disposer d’une quantité suffi sante de semences pour chaque famille ou ferme ainsi que de les planter au moment considéré comme le plus opportun. Ceci permet d’intégrer dans le système de reproduction la dynamique familiale et les conditions climatiques. En outre, comme le déclare Blanca, membre de la Red de Semillas Nativas y Criollas (Réseau des semences locales) d’Uruguay: “Lorsque tu produis ta propre semence, la semence vient «garantie», parce que tu sais ce que tu sèmes et quel va en être le comportement.” Comme la semence se développe dans les champs dans un dialogue permanent entre les producteurs/ productrices et l’environnement, sa gestion devient donc plus facile et elle s’adapte mieux aux conditions locales, ce qui la rend plus résistante et moins dépendante des in- trants. Les semences ainsi produites peuvent être utilisées à diverses fi ns: produire des ali- ments pour la famille et la communauté, ou les animaux, et comme engrais vert. Selon Pablo, également membre du Réseau, dans la región de Tacuarembó, en Uruguay: “L’échange est fondamental parce que si, une année, tu les perds, tu sais que ton voisin ou ta voisine en a. Ainsi, la communauté ne les perd jamais entièrement. C’est pourquoi le travail en groupe et en réseau est capital.” Dans le cas de notre réseau, Red Nacional de Semillas Nati-vas y Criollas, l’existence de 24 groupes locaux a permis de récupérer, reproduire et échanger des semences dans diverses conditions, en-richissant par-là les systèmes de production agroécologiques. L’autonomie ne se construit pas au niveau individuel mais au niveau du groupe ou de la communauté et en échangeant avec d’autres groupes et communautés. De plus, la pratique de l’échange enrichit les relations entre voisins et le tissus social tant comunautaire que regional et national. C’est pourquoi il est important pour le réseau d’organiser diverses formes de rencontres tout au long de l’année: rencontres locales de groupes, rencontres nationales et régionales; et tous les deux ans une rencontre nationale de tous les membres du réseau, hommes et femmes. Lors de ces rencontres, une fête est organisée avec des échanges de semences et de savoirs. Afi n de permettre la continuité de ce processus de de coévolution avec les semences, il est im- portant que les personnes puissent rester dans les campagnes. Il faut donc continuer à lutter pour que les gens puissent vivre et produire en se maintenant dans leurs territoires.

Agroécologie en action 2

L’agroécologie comme modèle de production

Ramrati Devi est une petite agricultrice de Gorakhpur dans l’Uttar Pradesh. Son mari était agriculteur mais comme beaucoup en Inde, il a abandonné suite une succession de maigres rendements conduisant à des pertes à chaque récolte. C’est alors que Ramrati à décidé de prendre les choses en main. Elle a rejoint le Laghu Seemant Krishak Mocha ou le Front des petits agriculteurs marginaux du Uttar Pradesh. Là, elle y a appris des pratiques agroécologiques. A l’aide de techniques agricoles biologiques, aujourd’hui, elle a transformé les choses autour de sa famille.
De simples pratiques comme les récoltes multiples sur son exploitation d’environ 0,4 hectare ont produit de bonnes récoltes et une diversité alimentaire. Elle fait pousser jusqu’à trente deux types différents de cultures y compris le blé, la
moutarde, la canne à sucre, l’ail, la coriandre, les épinards et les pommes-de-terre pour les besoins quotidiens de sa famille. Celle-ci composée de douze personnes dépend de cette production vivrière. Ramrati est un exemple à suivre ; à présent, elle prêche pour l’agroécologie.

En plus de son accent sur l’entretien de l’environnement et l’inclusion sociale par le biais d’un encadrement participatif, les modèles agroécologiques ont obtenus des résultats économiques impressionnants en terme de production, productivité, nutrition et efficacité.
Ils contribuent aussi considérablement à la souveraineté et sécurité alimentaire. Les modèles agroécologiques redéfinissent la relation entre les agriculteurs, l’agriculture et la nature où, au lieu de machine, les familles de fermiers sont à l’ouvrage ; au lieu d’intrants extérieurs coûteux, seuls les sous produits de l’exploitation sont utilisés sous forme de biopesticides et biofertilisants ; au lieu de monoculture, la biodiversité ; et où les agricultrices sont à pied d’égalité avec les agriculteurs faisant valoir leur expertise en graine, désherbage, battage et récolte.

L’agroécologie gagne rapidement en notoriété comme paradigme dominant pour les petits agriculteurs démunis dans le monde. Les agriculteurs adoptent cette technique de production non seulement pour en vivre mais aussi pour résister à la poussée du modèle industriel à travers la révolution verte et ensuite la révolution génétique. A l’heure où les coûts de production ne cessent d’augmenter parallèlement à l’endettement et aux suicides à grande échelle, les agriculteurs doivent changer leurs pratiques agricoles et s’orienter vers des pratiques plus holistiques et écologiques. La diversité des modèles agroécologiques tels qu’ils sont appliqués en Inde leur offre cette option sous forme d’agriculture naturelle, agriculture naturelle zéro budget, permaculture, agriculture biologique, Rishi Kheti.
De nombreux agriculteurs/rices comme Ramrati Devi doivent essaimer le paradigme agroécologique pour vaincre le capitalisme et l’agriculture néolibérale orientée vers l’export qui mettent en péril la survie de million de petits agriculteurs en Inde et dans le monde.

L’écho des campagnes

L’écho des campagnes 1

La lutte pour protéger la planète fait partie de notre lutte de tous les jours pour la vie

María Everarda, Guatemala, CONAVIGUA

Je m’appelle Everarda de León. J’ai 42 ans et je suis née dans la ville de Maya Achí. Je travaille pour le comité de coordination national des veuves du Guatemala (CONAVIGUA), une organisation membre de La Vía Campesina. Nous ne possédons pas de terres. À la place, nous louons des lopins dans lesquels nous semons des haricots, du maïs et des légumes. Aujourd’hui, les changements climatiques compliquent énormément la production. Nous croyons que c’est un résultat de la destruction de notre Terre mère. Depuis l’an 2000, même la production de cultures vivrières est devenue difficile. Le rendement des terres a dégringolé, les rivières se sont asséchées et les barrages hydroélectriques ont détruit nos coteaux.

La lutte pour protéger la planète fait partie de notre lutte de tous les jours pour la vie ; pour les capitalistes, la terre n’est qu’une autre marchandise. La propriété de la terre est de plus en plus concentrée, les fermes de plus en plus grandes. Nous voulons une réforme agraire complète fondée sur des principes et des valeurs. Cette réforme devra être inclusive, pas seulement pour assurer la souveraineté alimentaire, mais aussi la survie des communautés. J’ai deux enfants. La vie est très difficile pour les enfants de nos jours. Je pense que les luttes des femmes ont donné aux nouvelles générations la possibilité d’une vie digne. Elles ont ouvert la voie à la possibilité d’une vie rurale épanouie, en harmonie avec la Terre mère.

L’écho des campagnes 2

Il revient aux jeunes de réaliser le rêve d’une réforme agraire !

Zainal Fuad, Indonésie, SPI

Je m’appelle Zainal Fuad. Ma famille vit au Java oriental. Nous produisons de la cassave, du maïs et des arachides. Je siège au Conseil national de l’Indonesian Peasant Union (SPI, syndicat paysan de l’Indonésie) – lequel est aussi membre de La Via Campesina en Asie de l’Est et du Sud-est.
En Indonésie, avant l’indépendance, les Hollandais se sont emparés de millions d’hectares de terres. Même si après l’indépendance la terre a été nationalisée au moyen de réformes agraires qui ont commencé dans les années 1960, ce fut un échec à cause de la vague de capitalisme qui nous a frappés, que poussaient agressivement les grandes sociétés privées et l’État. Ce processus se poursuit même maintenant.

Le SPI milite en faveur de la réforme agraire en occupant des terres ! Nous avons ciblé l’occupation d’un million d’hectares de terres d’ici 2019, tout en faisant pression sur le gouvernement pour qu’il distribue environ 9 millions d’hectares. Ce mouvement est important pour nos paysans qui ne disposent que de très petites superficies ou sont sans terre. Nous avons besoin de terres pour subvenir à nos besoins. Sur les terres occupées, nous produisons en appliquant les méthodes agroécologiques et distribuons notre production à travers nos coopératives. C’est un grand défi que de mobiliser les jeunes et les garder sur la terre. Nous avons relevé ce défi parce que nous croyons qu’il revient aux jeunes de réaliser le rêve d’une réforme agraire !

L’écho des campagnes 3

Nous maintenons toujours une relation spéciale avec notre terre

Themba Chauke, Afrique du Sud, LPM

Je m’appelle Themba Chauke, membre du mouvement des sans terre (Landless People’s movement) d’Afrique du Sud. En Afrique du Sud, nous connaissons une des pires sécheresses dont on se souvienne. Causée par El Niño, elle fait augmenter de plus en plus le prix des aliments. Il est urgent que le gouvernement mette en œuvre une réforme agraire favorisant une forme d’agriculture que les gens peuvent comprendre. C’est ce que nous appelons l’agriculture paysanne ou l’agroécologie. Nous n’y utilisons pas d’intrants agrochimiques — à la place, nous utilisons ce que nous avons ainsi que les semences en notre possession. Ma famille provient de la région où se trouve maintenant le Parc national Kruger. Elle a été expulsée de ces terres à l’époque de l’apartheid, dans les années 1960. Mais nous maintenons toujours une relation spéciale avec notre terre d’origine et nous y pratiquons nos rituels. Lorsque je grandissais, j’allais souvent aux champs pour voir ce que ma communauté faisait sur les fermes — je voulais aider et apprendre. C’est ainsi que j’ai appris l’agriculture. Je dis même à ma jeune fille de 11 ans qu’elle doit respecter cette forme d’agriculture et qu’elle devrait toujours appuyer les petits paysans. Dans le réseau de La Via Campesina, les paysans et paysannes apprennent les uns des autres de nouvelles techniques d’agroécologie, une activité très importante dans le contexte actuel.

L’écho des campagnes 4

Être paysan signifie être fier!

Attila Szocs, Roumanie, Eco Ruralis

Je m’appelle Attila Szocs. Je suis un producteur de semences de la Roumanie et je suis membre d’une organisation paysanne appelée Eco Ruralis. Je produis des semences paysannes que je distribue dans notre réseau. Des membres d’Eco Ruralis et moi, nous travaillons une ferme collective située à proximité de notre siège social où nous produisons nos semences. À la Conférence internationale sur la réforme agraire, j’ai eu le plaisir de connaître le travail du MST et ses idées à propos de la gestion des terres. La réforme agraire est devenue un besoin urgent en Europe et en Europe de l’Est. En Roumanie, trois paysans disparaissent chaque heure et le pays adopte l’agro-industrie. C’est important de garder les paysans et paysannes sur la terre et aussi de s‘assurer que nos jeunes se passionnent pour l’agriculture. La réforme agraire constitue une alternative. Nous avons besoin de ce concept pour produire de manière agroécologique et les paysans roumains sont les seules personnes qui peuvent le faire dans la société roumaine. C’est aussi important que La Via Campesina soit présente en Roumanie. L’énergie et l’enthousiasme du mouvement sont une inspiration et il est important pour nos membres d’observer cette énergie et de savoir qu’être paysan signifie être fier.

L’écho des campagnes

L’écho des campagnes 1

Les pêcheurs disent non a l’initiative des pêches côtières

Forum mondial des Communautés de Pêcheurs (WFFP) et Forum Mondial des Pêcheurs et des Travailleurs de la Pêche (WFF)

La FAO, la Banque mondiale, la Conservation internationale et d’autres ont lancé en juin 2015 l’initiative de pêche côtière, un vaste programme dont le but est de réformer les politiques en matière de pêche dans le monde. Sur une période de quatre ans, 235 millions de dollars américains seront distribués pour des projets dans les pays d’Amérique latine, d’Afrique, et d’Asie de Sud-est.

Nous, en tant que représentants de plus de 20 millions de pêcheurs, souhaitons exprimer notre opposition ferme à cette initiative, qui est en contradiction flagrante avec l’application de la récente mesure visant à sécuriser la pêche artisanale durable [Disponible ici].

Le document faisant état du cadre du programme [Disponible ici] de cette initiative a été mis sur pied et rédigé par un processus venant d’en haut, impliquant exclusivement les personnes du Fonds pour l’environnement mondial, l’un des plus grands sponsors de cette initiative. L’initiative viole le principe fondamental de participation de la directive évoquée plus haut, qui met l’accent sur le fait que les communautés de pêche artisanale affectées doivent être impliquées dans la décision avant que celle-ci ne soit prise. Nous étions réduits au niveau des autres « parties prenantes », elles-mêmes sur un pied d’égalité avec les représentants du secteur privé, des universitaires, etc., alors que nous représentons ceux qui sont les plus touchés par cette initiative.

Par conséquent, il est désormais évident pour nous que les programmes pour les pays ciblés par l’initiative mettent tous l’accent sur la mise en œuvre d’une approche fondée sur les droits de pêche. Une telle approche ne tient pas compte des systèmes de gestion et de gouvernance locale existant et il ne parvient pas à reconnaître que les problèmes liés à la pêche résultent principalement d’une mauvaise gouvernance ou gestion, ainsi que de l’inefficacité due au manque de propriété privée [Voir « L’accaparement mondial des mers »]. Le processus de privatisation découlant de l’approche fondée sur les droits de pêche sert clairement les intérêts d’une petite élite, tandis qu’elle dépossède fort malheureusement une grande majorité.

L’introduction de cette approche dans les pays ciblés et partout ailleurs serait en contraste direct avec le contenu progressif de la directive susmentionnée, qui souligne la nécessité d’une approche fondée sur les droits de l’homme, un outil essentiel à la réduction de la pauvreté. Dans cette optique, l’initiative introduit des politiques donnant clairement la priorité aux intérêts du secteur privé et/ou ne tenant pas compte des préoccupations environnementales.

Par conséquent, nous avons refusé une invitation à devenir membre du comité de direction de l’initiative. Accepter l’invitation, alors que le contenu de cette initiative est déjà explicitement défini, légitimerait les politiques communes de la pêche et contre lesquelles nous avons passé des années à lutter. Ce serait un énorme coup donné à la mise en œuvre de la directive volontaire visant à assurer la durabilité de la pêche artisanale, pour laquelle nous continuons à nous battre.

L’écho des campagnes 2

Wilmar : aucune terre a vendre*

Amis de la Terre, États-Unis et Nigéria

Le palmier à huile est originaire d’Afrique de l’Ouest et l’huile de palme, dans sa forme la plus brute, est un aliment de base du régime alimentaire de l’Afrique de l’Ouest. Cependant, ce qui n’est pas originaire de cette région, et qui a des effets néfastes dans la forêt tropicale de l’État nigérian de Cross River, c’est l’expansion à l’échelle industrielle des plantations de palmiers à huile par la plus grande entreprise de commerce d’huile de palme, Wilmar International. Depuis 2010, Wilmar a acquis 30 000 hectares de terres pour les plantations de palmier à huile dans le Sud-Est du Nigéria et l’entreprise a déjà élargi sa banque de terres à des centaines de milliers d’hectares.

Le Nigéria est l’un des dix pays africains signataires de la Nouvelle Alliance pour la sécurité alimentaire et la nutrition, stratégie des pays du G8 visant à mobiliser des investissements étrangers à grande échelle dans le secteur agricole africain. En tant que partenaire de la Nouvelle Alliance, Wilmar pourrait obtenir une « garantie de l’acquisition de terres », tirer profit des « salaires bas » et recevoir des congés fiscaux dans un processus destiné à « facilité les affaires au Nigéria ». Cependant, la Nouvelle Alliance pourrait causer plus de mal que de bien aux petits producteurs, en augmentant les risques d’expropriation de terres et en fragilisant les droits et les régimes fonciers.

Le rapport des Amis de la Terre, « Exploitation et vaines promesses : expropriation de terre nigériane par Wilmar [Disponible ici]» révèle que la récente acquisition de Wilmar dans l’État de Cross River a déplacé la population locale et qu’elle menace désormais les zones forestières protégées abritant la plus grande biodiversité de l’Afrique. Un agriculteur récemment déplacé par les activités de Wilmar au Nigéria a affirmé : « en prenant nos terres, Wilmar nous déclare morts ».

Par conséquent, Wilmar International et ses filiales au Nigéria doivent :
1. Mettre fin à leurs plans d’expansion avec effet immédiat ;
2. Publier tous les plans de concession, les évaluations de l’impact socio-environnemental, les politiques d’emploi, les procès-verbaux des consultations communautaires ;
3. Réviser entièrement et examiner leurs protocoles visant à obtenir un consentement libre, préalable et éclairé en cohérence avec les meilleures pratiques mondiales, et rependre un processus de consultation ouverte avec la population affectée.

Par ailleurs, le gouvernement nigérian doit encourager et favoriser la production agricole des petits exploitants et entamer un processus de réforme de son régime foncier en adéquation avec les Directives volontaires de la FAO sur la gouvernance responsable du régime foncier, de la pêche et de la sylviculture dans le contexte de la sécurité alimentaire nationale.

Selon les Amis de la Terre Nigéria et le Centre de développement des ressources de la forêt tropicale, si Wilmar n’améliore pas ses activités, l’entreprise ferait mieux de plier bagage et de s’en aller.

*Basé sur « Exploitation et vaines promesses : expropriation de terres nigérianes par Wilmar», résumé, disponible ici.

L’écho des campagnes 3

Accaparement des villes par les industries au Honduras : une menace particulière contre les femmes*

Andrea Nuila et Ismael Moreno

Les « charter cities » (villes à chartes) sont des petites villes dans l’État: il s’agit de territoires attribués à une tierce personne. Pendant la période législative 2010-2013, le Congrès national de Honduras, constitué en majorité par des législateurs ayant soutenu le coup d’État de 2009, a approuvé la loi sur les charters cities. Les citoyens y ont vu un acte de trahison envers le pays et ont contraint la Cour suprême à déclarer cette loi inconstitutionnelle en octobre 2012. Malgré cela, une nouvelle version de la loi a tout de même été approuvée en 2013.

Pour l’élite d’affaires et politique, les villes à chartes ne sont pas inhabituelles. Elles sont une forme élargie de l’industrie de maquila, imposée depuis les années 90 : un véritable paradis fiscal pour le trafic des êtres humains est pratiqué avec l’accord de politiques qui ignorent le Code du travail et licencient des travailleurs arbitrairement.
La soi-disant loi organique pour l’emploi et le développement économique (projet de loi des villes à chartes) permet que des morceaux de territoire soient remis et administrés par un ou plusieurs groupes de pays ou par des sociétés transnationales, créant de villes autonomes destinées à encourager les investissements étrangers.

Une ville à chartes dans le territoire d’un pays avec une société économique, sociale et politique en faillite ne fera qu’approfondir les inégalités et les déséquilibres à l’extrême. Les femmes et les organisations féministes ont particulièrement élevé leur voix contre cela et elles ont fait part de leurs préoccupations concernant les impacts négatifs que ces « zones spéciales »auront inévitablement sur le corps et la vie des femmes à l’échelle nationale.

Il est important de mettre en évidence que les femmes au Honduras vivent déjà dans une société patriarcale extrêmement violente (1 femme est tuée toutes les 16 heures), renforcée par l’impunité, la criminalisation des défenseurs des droits des femmes et la discrimination institutionnelle contre les femmes. Dans les zones rurales, où la majorité des villes à chartes sont prévues, des taux élevés de violence contre les femmes font rage, tout comme une augmentation croissante des expulsions et un accès limité aux soins de santé et aux ressources naturelles.

Les paysans, les femmes autochtones et d’origines africaines seront, sans aucun doute, les groupes les plus touchés de la construction de ces villes. Selon le chef de Garifuna, Miriam Miranda, avec la construction des villes à chartes, le gouvernement hondurien met 70% du territoire Garifuna (des communautés d’origine africaine) à risque.

Un État absent et la possibilité des villes à chartes de fournir des services publics, de décider sur les normes locales et sur la réglementation fiscale ne feront que mettre les femmes dans une position davantage vulnérable.

*Texte basé sur « A Charter City Amidst a Tattered Society » publié dans Le journal du droit à l’alimentation 2015 du FIAN, vol. 10.

L’écho des campagnes 4

Dématérialisation des semences : le cas de « DivSeek »*

Via Campesina

Après une semaine de discussions ardues au siège de la FAO à Rome, le 9 Octobre 2015, le Conseil d’administration du Traité international sur les ressources génétiques des plantes pour l’agriculture alimentaire, le Traité sur les semences, devait choisir à sa sixième session entre la peste et le choléra, c’est-à-dire accepter comme fait accompli ses« arrangements de gouvernance » irréguliers, pour ainsi dire, ou sombrer dans une crise ouverte.

Afin de prévenir un éclatement immédiat, il a été déclaré comme valide:
1. L’engagement de son secrétariat au programme DivSeek qui organise la biopibiopratie au niveau mondial. DivSeek vise à séquencer les génomes de toutes les variétés des ressources génétiques des plantes stockées dans les banques de gènes, en travaillant à la publication électronique de l’information génétique sur les semences confiées à des banques de gènes, dont le Traité sur les semences est responsable. Elle permettra la propriété de toutes les plantes qui contiennent ces séquences et qui ont une caractéristique liée. Tout cela sans prendre en compte l’interdiction de brevets ni le partage des avantages, violant ainsi les règles du traité.
2. Une résolution laissant les agriculteurs sans possibilité de se défendre contre cette violation des droits, qui sont pourtant stipulés dans le traité. Les brevets sur les informations génétiques publiés par DivSeek vont en effet interdire aux agriculteurs de cultiver les semences qu’ils ont données gracieusement aux groupes visés par le traité.
3. Le renouvellement du contrat de son secrétaire général, qui a été effectué secrètement, violant ainsi les règles de procédure.

Depuis la ratification de la Convention sur la diversité biologique en 1992, l’industrie des semences a accumulé une énorme dette en puisant dans l’immense réservoir de semences paysannes dans les champs à travers le monde, sans partager aucun des profits générés. En 2013, à Oman, le Conseil d’administration du traité exigeait à l’industrie des semences de trouver une solution équitable. Jusqu’à présent, aucun progrès n’a été réalisé. Bien au contraire, avec DivSeek, l’industrie organise le pillage en laissant toutes les semences, dans leur forme dématérialisée, échapper au contrôle du Traité, et permettant ainsi le brevetage sans aucune restriction.

Via Campesina attend une réaction forte de la part de tous les gouvernements, qui,à Rome, ont reconnu ces détournements inacceptables au vu des objectifs du traité, afin que ce même traité soit remis sur la bonne voie. Via Campesina espère que la prochaine consultation sur les droits des agriculteurs (article 9 du traité) organisée par l’Indonésie en 2016 donner la priorité à ces droits, en garantissant la souveraineté alimentaire contre le vol de semences par les droits de propriété de l’industrie.

*Article de presse disponible ici.

Encadrés

Encadré 1

Réforme agraire classique vs…

Dans le passé, des réformes agraires ont été gagnées dans de nombreux pays parce que les grandes propriétés étaient perçues comme des entités improductives qui nuisaient à la croissance. Les propriétaires terriens concentraient leurs efforts sur une production élevée n’exigeant que de faibles investissements et en général ne parvenaient même pas à utiliser la moitié des terres en leur possession. C’était clairement injuste : une poignée de propriétaires possédait de grandes étendues de terres sous-travaillées alors que des millions de familles étaient sans terre.

Des alliances de classes ont été forgées entre la paysannerie et le capital industriel national, un processus qui a soutenu le mouvement pour la réforme agraire. C’est ainsi que les paysans ont pu rendre les terres inexploitées des grandes sociétés à nouveau productives et contribuer à la croissance économique nationale. Ces réformes agraires ont été fragmentaires, favorisant les intérêts des paysans au détriment de ceux des bergers, des peuples forestiers et d’autres habitants ruraux. Ce furent des réformes partielles et inadéquates et, qui plus est, les conditions actuelles ont rendu non viables les alliances sur lesquelles reposaient ces réformes. C’est parce que le capital financier transforme maintenant les grandes fermes improductives en agrobusiness et exploitations minières, de sorte qu’il n’y a plus d’argument capitaliste en faveur de la réforme agraire en tant que moyen d’assurer la croissance.

Encadré 2

… Réforme agraire populaire

La réforme agraire classique est inadéquate et de toute façon ne peut plus se réaliser ; ainsi, il faut lancer un nouvel appel : pour une « Réforme agraire populaire. » L’idée derrière cet appel est que les paysans, les peuples autochtones, les bergers, les pêcheurs et d’autres groupes sociaux du monde rural luttent ensemble pour le contrôle collectif de la terre, pour la production d’aliments sains en harmonie avec la nature, en harnachant l’agroécologie et en puisant dans les enseignements et pratiques populaires anciens.

Ce type de réforme agraire exige ses propres alliances de classe, mais à l’exclusion des secteurs capitalistes nationaux. À la place, il faut forger des alliances entre les populations rurales et urbaines. Pour y parvenir, il faut produire durablement au plan environnemental. Il faut montrer que la gestion collective des terres en vue de produire des aliments sains dans le respect de l’environnement donne de meilleurs résultats pour la société et la Terre mère que l’exploitation par le capital. La gestion collective des terres constitue une manière d’assurer une vie digne, la production d’aliments sains, le respect d’atouts naturels comme le sol, l’eau, les forêts et la biodiversité. De plus, elle contribue à réduire les émissions de gaz à effet de serre. Les vastes étendues de monocultures, les mines à ciel ouvert, les pesticides, les OGM, les déchets toxiques, la misère, la migration et les changements climatiques sont des marques des terres du capital.

Encadré 3

La Caravane ouest africaine pour le droit des paysans à la terre, à l’eau et aux semences

Plus de 400 représentants et représentantes de 15 pays africains [Le Niger, le Nigeria, le Togo et le Bénin ont rejoint la Caravane à Ouagadougou, Burkina Faso. Le Ghana l’a rejoint à Bobo-Dioulasso, Burkina Faso. La Côte d’Ivoire l’a rejoint à Sikasso, Mali ; la Mauritanie à Rosso, au nord du Sénégal, la Guinée Conakry à Tambacounda (Sénégal). La Gambie, la Guinée Bissau, la Sierra Léone l’ont rejoint à Kaolack, Sénégal.] ont participé à la Caravane qui a parcouru et traversé trois pays d’Afrique de l’Ouest (Burkina Faso, Mali et Sénégal) pour dénoncer l’accaparement massif de terres, d’eau et de territoires paysans par l’agrobusiness international.

L’idée d’une caravane pour dénoncer l’accaparement des terres a d’abord été soulevée lors du Forum social africain de 2014 à Dakar. Le dialogue s’est poursuivi en mars 2015 lors du Forum social mondial à Tunis et en juin 2015, plusieurs organisations de 11 pays ouest-africains ont fondé la Convergence globale des luttes pour la terre et l’eau [En Afrique de l’Ouest, plus de 300 organisations et réseaux représentent les victimes de l’accaparement des terres et de l’eau dans les zones rurales, périurbaines et urbaines ; des expulsés des districts populaires, des jeunes, des femmes et des ONG des 15 pays de la CÉDÉAO et de l’Union économique et monétaire ouest-africaine.].

La Caravane veut sensibiliser et mobiliser les collectivités pour faire avancer les luttes pour le droit à l’alimentation, à la terre, à l’eau et aux semences paysannes et interpeller les autorités pour qu’elles respectent les conventions, les mécanismes et les lignes directrices régionaux et internationaux relatifs à la terre et au développement agricole.
La Caravane a commencé au Burkina Faso le 3 mars, a traversé le Mali et a terminé à Dakar, Sénégal, le 19 mars. Au cours du trajet de 2 300 km et de 17 jours, il y a eu environ 3 arrêts par pays où la Caravane a recueilli les préoccupations des paysans et paysannes, a pris connaissance des problèmes liés à l’accès à la terre, à l’eau et à la préservation des semences paysannes et a également rencontré des dirigeants politiques et administratifs. Tout au long de son parcours, la Caravane a été témoin de plusieurs cas de violation des droits des paysans ; la plupart de ces cas concernaient des accaparements de terres impulsés par les institutions de Bretton Woods avec la complicité de gouvernements.

Des bannières et des affiches exprimaient clairement les messages d’opposition « Halte au projet Jatropha, mettons fin au silence et à l’indifférence des autorités, » « souveraineté alimentaire = souveraineté des peuples, » « La terre, l’eau et les semences paysannes sont ma vie »… « Ne touchez pas à ma terre, ma terre, ma vie. »
Ibrahim Coulibaly du ROPPA (Réseau des organisations paysannes et des producteurs agricoles de l’Afrique de l’Ouest) a déclaré : « Chaque jour, nous rencontrons des paysans dépossédés de leurs terres. Des élus locaux et des chefs de village… qui concluent des marchés corrompus avec l’agro-industrie et bloquent par la suite l’accès des gens à l’eau et aux semences. Ces projets sonnent le glas de notre région. »
La terre et l’eau sont des biens communs, pas des marchandises, et notre patrimoine commun. Il faut que chaque collectivité les protège, les conserve et les gère pour le bien commun de tous et de toutes. En Afrique de l’Ouest, plus de 70 % de la population dépend de l’agriculture paysanne, laquelle nourrit près de 80 % de la population de la région. L’accès des collectivités à la terre, à l’eau, aux forêts, à la pêche et aux semences, et leur contrôle sur ceux-ci, sont donc vitaux et doivent être protégés et appliqués en tant que droits.

Le 8 mars, les femmes rurales partout en Afrique de l’Ouest se sont également prononcées en faveur de leur droit à la terre. Elles n’ont pas un accès adéquat et garanti à la terre ni à l’appui financier ; elles sont les premières victimes de l’accaparement des terres et des autres ressources naturelles.
De manière plus importante, la Caravane a renforcé la construction d’un fort mouvement de lutte pour les droits des peuples basés sur la souveraineté alimentaire.
Le dernier jour, à Dakar, le livre vert de la Convergence, une synthèse qui énumère tant les revendications que les propositions concernant la terre, l’eau et les semences, a été remis au président du Sénégal, Macky Sall, président de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CÉDÉAO).

Pour en savoir plus sur la Caravane, veuillez consulter la page www.caravaneterreeau.info

Encadré 4

Nouvelles d’une lutte emblématique pour la terre : la ZAD de Notre dame des Landes

En Europe, le terme de « réforme agraire » est peu utilisé. Certes, des voix s’élèvent pour parler d’accès à la terre pour les jeunes, de droits d’usage du sol et de droits collectifs par opposition à la propriété privée. Mais, l’habitude n’est pas aux grands mouvements de masse d’occupation de terres, comme au Brésil ou au Honduras pour demander une redistribution des cartes. Dans ce contexte, la résistance au projet d’aéroport de Notre Dame des Landes, en France à quelques kilomètres de Nantes sort de l’ordinaire. Il s’agit d’une vraie lutte pour la terre qui va bien au-delà du classique « not in my backyard [« pas dans mon jardin »]».
En 1974, la ZAD, pour les porteurs du projet d’aéroport veut dire Zone d’Aménagement Différé. Elle s’étend sur une surface de 1200 Hectares et une association de défense des exploitants concernés par l’aéroport est constituée. En 40 Ans, le projet évolue à maintes reprises.

Aujourd’hui, il s’agit de la construction d’une plate-forme économique d’envergure internationale allant de Nantes à Saint-Nazaire. L’acronyme ZAD a été rebaptisé par les opposants au projet en « Zone À Défendre ». Soixante lieux de vie (maisons occupées collectivement, cabanes, roulottes et autres habitats de toute sorte) ont vu le jour et des centaines d’hectares de terres ont été repris à l’entreprise privée porteuse du projet pour être cultivés (parcelles de maraîchage, pâtures, champs de céréales…). La ZAD aujourd’hui, est un lieu d’expérimentations multiples, un lieu pour apprendre à vivre ensemble, à cultiver la terre, à être plus autonomes. Elle est connue dans plusieurs pays d’Europe. En France, de nombreux collectifs locaux de soutien existent et sont prêts à se mobiliser en cas de menace imminente d’expulsions des zadistes.

A l’automne 2015, malgré l’interpellation de la Commission Européenne qui stipule qu’aucun travaux ne devraient être entamés avant qu’une réponse satisfaisante, de la part de la France n’aie été donnée sur la mise en place des mesures de compensations environnementale, le premier ministre français a réaffirmé sa volonté de mener à bout le projet. En pleine COP21, alors que d’un côté, la diplomatie française se targuait de mener des négociations d’envergure pour obtenir un engagement de tous les pays de la planète à réduire leur émissions de CO2 , des procédures d’expulsion des locataires et agriculteurs restés sur la ZAD étaient relancées. En réponse, de fortes mobilisations citoyennes ont eu lieu à Nantes et dans plusieurs villes de France début 2016. Le gouvernement a alors annoncé la tenue d’un référendum, rapidement renommé « consultation », et limitée géographiquement à un seul département français, celui de la Loire-Atlantique.

Pour le moment, la Coordination des opposants (plus de 50 groupes – associations, collectifs, syndicats et mouvements politiques) tout en dénonçant ce simulacre de démocratie, a décidé d’appeler les citoyens à aller voter massivement NON pour ne pas laisser le champ libre aux porteurs du projet. Une telle consultation ne peut en effet pas à elle seule légitimer un projet d’aéroport ruineux, destructeur de terres nourricières, et de zones humides d’une grande richesse biologique.

En décembre 2015, une quarantaine de paysan.ne.s de la Via Campesina s’était rendue sur la ZAD pour apporter son soutien à cette lutte emblématique pour la terre. Souhaitons que la consultation des semaines à venir ne soit qu’une étape supplémentaire dans ce long combat pour l’arrêt définitif d’un projet de bétonnage inutile. Une étape de plus pour qu’en Europe, comme partout dans le monde, la conscience de l’importance de la terre pour produire notre alimentation continue de grandir.

L’écho des campagnes

L’écho des campagnes 1

Sénégal : Expérience de Circuit court de commercialisation

Depuis octobre 2013, des organisations paysannes participent à une expérimentation de coopérative agricole nommée Sell Sellal, qui facilite la distribution des fruits & légumes sains sur Dakar. Ceux-ci sont écoulés dans des marchés de niche hebdomadaires développés et gérés par la coopérative avec l’appui de Enda Pronat (www.endapronat.org).

« Cette initiative représente un potentiel important pour les producteurs et productrices puisque la coopérative achète les produits à un prix largement supérieur au prix du marché conventionnel (soit 50 à 100 FCFA de plus par kilogramme acheté). » Ndeye Binta Dione, responsable des marchés Sell Sellal

Les principaux résultats de Sell Sellal :
1. Entre 2013et 2016, les volumes des ventes sont multipliés par 10 (avec 1250 t/semaine) ;
2. En 2015, le chiffre d’affaires a atteint 41.946.000 FCFA et a profitéà102 exploitations familiales, 5 collectrices et 7 salariés ;
3. La coopérative est bien structurée et tend vers une autonomie.

« Les consom’acteurs dakarois peuvent désormais consommer des légumes exempts de pesticides et d’engrais chimiques dans les 4 points de distribution installés à Dakar. » Maty Seck, vendeuse de légumes ASD

Parallèlement, la fédération paysanne Woobin, membre de Sell Sellal et appuyée par Enda Pronat, a mis en place en 2015 une nouvelle stratégie de vente en gros, dans une logique d’économie circulaire, garantie par un système de suivi-contrôle-qualité, d’information et de sensibilisation des producteurs sur l’agriculture saine et durable. Ceci a permis en 2016, l’achat de 24.630 tonnes d’oignon aux producteurs à 50 FCFA/kg de plus que le conventionnel, l’accès de légumes sains aux populations des zones rurales et périurbaines, et l’empowerment des femmes.

L’écho des campagnes 2

Lancement d’un nouveau système de panier

Gian Paulo Berta, Les Jardins de Nyon, Suisse romande

Mon nom est Gian Paulo Berta et je me suis le coordinateur de l’ACP (Agriculture Contractuelle de Proximité) « Les Jardins de Nyon » un nouveau projet d’agriculture de proximité, voulu par la ville. Dans un premier temps nous avons dû trouver un lieu pour les livraisons. Nous avons contacté différentes associations existantes mais cela n’a pas fonctionné. Visiblement la perception des milieux associatifs vis-à-vis de l’agriculture contractuelle n’est pas très positive ici. Finalement la commune nous a trouvé un entrepôt. Lorsque nous l’avons visité pour la première fois, il paraissait humide et froid, pas vraiment une salle de bal ! Mais, nous l’avons retapé et aujourd’hui nous sommes satisfaits du résultat. Maintenant nous sommes heureux d’avoir pu débuter les livraisons. C’était important pour nous tous d’entrer dans le vif du sujet, mais nous n’avons par contre pas réussi à obtenir le nombre de contrat que nous espérions. Nous manquons un peu de visibilité, mais je pense surtout qu’il est important de transmettre les valeurs de l’agriculture contractuelle de proximité. Pour convaincre les gens d’adhérer, il faut parler des problématiques alimentaires et agricoles et présenter l’agriculture contractuelle comme une des solutions, avoir un discours positif. Adhérer à une structure d’agriculture contractuelle est un acte simple, accessible, que tout le monde peut réaliser facilement, pour autant que les raisons soient connues. Nous sommes une goutte qui participe au changement. C’est important de le présenter comme cela.

L’écho des campagnes 3

Marchés locaux : Produits sains et accessibles

Lola Esquivel, ATC – Asociación de Trabajadores del Campo (Fédération Syndicale des Travailleurs et Travailleuses Agricoles), Nicaragua

Je suis une productrice affiliée à l ATC. J’ai commencé à aller aux marchés locaux en 2001 puisqu’ils représentaient une option me permettant de générer un revenu et d’améliorer ma qualité de vie et celle de ma famille. Il est important pour moi en tant que productrice de pouvoir montrer directement ce que je produis, sans ça, le rôle des femmes est invisible. Cela permet aussi d’amener des produits frais, sains et accessibles au client.

L’aspect le plus satisfaisant est de passer le produit directement du producteur au consommateur, parce que, en général, les intermédiaires tirent profit des petits producteurs et des consommateurs. Le développement des marchés locaux est aussi une initiative qui contribue à une alimentation équilibrée car la tomate, la courge et autre fruits et légumes que vous y mangez sont des produits naturels cultivés de façon biologique.

L’écho des campagnes

L’écho des campagnes 1

Réflexions d’un jeune pêcheur

Tylon Joseph, Réseau caribéen des organisations de pêcheurs (CNFO), Grenade

Je suis un jeune pêcheur et leader de la communauté de pêcheurs de Gouyave, la capitale de la pêche d’une île des Caraïbes appelée Grenade. Je pêche depuis mon enfance, je lance des lignes depuis le rivage et depuis notre jetée locale : pour attraper des chinchards (ou jacks comme nous les appelons localement), d’autres espèces de carangidés et de petits poissons en général. Mon père est pêcheur de profession. J’ai appris beaucoup de lui, de ce que je sais sur la pêche et sur le fait d’être dans cet environnement. J’ai vraiment appris à apprécier ma compréhension innée de l’environnement marin, découlant du fait d’être pêcheur, tout en poursuivant un diplôme en biologie marine et conservation de la faune à l’Université St George’ s. Être pêcheur me permet de couvrir mes frais de scolarité.

 Au départ, je n’avais jamais pensé à aller à l’université ; après avoir passé environ 5 ans à pêcher pour gagner ma vie, j’ai réalisé que mon pays commençait à régresser rapidement malgré le développement de l’industrie. Il y a peu ou pas de systèmes gouvernementaux et de personnel en place pour aider l’industrie à progresser et les pêcheurs ne participent pas non plus aux grandes décisions stratégiques. D’autre part, les exportateurs locaux, à qui je vends mes poissons, ont commencé à profiter de plus en plus nos pêcheurs. J’ai alors décidé que si je voulais construire un foyer et pouvoir subvenir aux besoins de ma future famille, je devais me lancer dans un autre domaine et j’en ai choisi un proche de la pêche et des poissons.

L’écho des campagnes 2

Luttes des artisans pêcheurs. Le point de vue d’une femme brésilienne, pêcheuse à petite échelle.

Josana Pinto da Costa, Movimento de Pescadores e Pescadoras Artesanais do Brasil (MPP), WFFP

Je suis une pêcheuse et je vis dans la communauté d’Amador dans la municipalité d’Óbidos dans l’État du Pará. Je m’exprime du point de vue d’une artisane pêcheuse. J’ai été témoin de pertes dans nos territoires et les principales menaces sont l’expansion de l’agro-industrie, de l’hydro-industrie, de l’exploitation minière ainsi que la privatisation de nos eaux. Afin de résoudre ce type de problème, nous, les artisans pêcheurs, nous nous sommes organisés collectivement sous le nom de Movimento de Pescadores e Pescadoras Artesanais do Brasil (MPP). Nous avons également rejoint le Forum mondial des peuples de  pêcheurs (WFFP) et je siège actuellement à son comité de coordination.  Tant au sein du MPP que du WFFP, en 2021, nous avons relevé le défi de lancer le tribunal des peuples contre l’accaparement de l’océan. Nous le reconnaissons comme l’un des principaux outils d’information et d’éducation dans la lutte contre le capitalisme dans nos eaux. La pertinence du tribunal doit être reconnue par tous, galvanisant nos luttes sociales et la préservation de l’environnement. Notre objectif est de toujours avoir des terres libres et une nourriture saine.

L’écho des campagnes 3

Point de vue d’un non-pêcheur sur les pêcheurs artisanaux

Ravindu Gunaratne, Sri Lanka

Je vis dans un village où la plupart de mes voisins et amis vivent de la pêche, mais je ne suis pas impliqué dans cette activité. Je viens d’une famille de la classe moyenne et je vais à l’université. À mon avis, la pêche artisanale est diversifiée, dynamique, attachée aux moyens de subsistance et à la culture des communautés locales. Je suis un défenseur de la pêche artisanale et je soutiens les pêcheurs en vue de leur amélioration. L’industrie de la pêche contribue à moins de 2% du produit intérieur brut du pays, mais la pêche artisanale est d’une grande importance pour fournir de la nourriture aux habitants et aussi pour des fonctions sociales telles que le travail dans les zones rurales. Au Sri Lanka, la pêche artisanale est en grande partie une pêche traditionnelle. Je suis une personne qui soutient les artisans pêcheurs et je comprends ce secteur car je vis dans un village de pêcheurs. Quand aux jeunes, je vois comment ils luttent à la fois contre la pauvreté et l’ignorance. La pêche à petite échelle est respectueuse de l’environnement, mais une énorme menace due aux ordures et aux déchets plastiques pèse sur les zones côtières. Je travaille avec les jeunes pour promouvoir le bien-être environnemental et faire comprendre aux autres que les artisans pêcheurs nuisent moins à la mer et à l’environnement en raison de l’utilisation de pratiques de pêche plus respectueuses de la nature. Je travaille avec les jeunes afin de promouvoir le bien-être environnemental et faire comprendre aux autres que les artisans pêcheurs nuisent moins à la mer et à l’environnement en raison de l’utilisation de pratiques de pêche plus respectueuses de la nature. En ce qui concerne les défis auxquels est confrontée la communauté des pêcheurs, je pense à l’épuisement des ressources, à la piètre performance économique, à l’insécurité alimentaire et nutritionnelle ainsi qu’au stress social et culturel chez les personnes sans défense. La pêche artisanale est une profession de subsistance axée sur la durabilité. En travaillant avec la communauté des artisans pêcheurs, j’ai remarqué que la pêche artisanale a reçu relativement peu d’attention ou de soutien de la part de notre gouvernement. Il est estimé que l’évaluation et la gestion de la pêche artisanale ont permis d’accroître les efforts de compréhension et de mise au point de processus, de mécanismes et de méthodes plus adaptés aux problèmes rencontrés par la pêche artisanale. La promotion de la pêche artisanale est très importante sur la base des principes de justice sociale, climatique et économique, qui rendent plus autonomes nos villages de pêcheurs. Toutes ces justices font partie de la souveraineté alimentaire. Je défends la souveraineté alimentaire !

Encadres

Encadré 1

Le changement climatique et l’océan – Les aires marines protégées sont-elles une solution juste à la crise climatique pour les communautés de pêcheurs ?

Les communautés de pêcheurs côtiers sont parmi les groupes les plus vulnérables au monde, supportant de plein fouet la crise climatique et les conditions climatiques changeantes qui modifient les ressources océaniques et marines. Pour autant, dans les processus décisionnels et les discussions sur les impacts et les solutions concernant les océans, les voix et les expériences des artisans pêcheurs et de leurs communautés sont largement absentes, en tenant peu compte de la possibilité d’un système préexistant de droit coutumier ou de droits de pêche coutumiers pour gouverner, gérer et conserver les ressources.

Les négociations de la COP26 de novembre 2021 ont illustré le manque d’inclusion des voix des communautés marginales. Y ont été adoptées les mêmes fausses solutions à la crise climatique, annoncées dans le passé, afin d’aider les pays à respecter leurs contributions déterminées au niveau national et à atteindre un avenir de 1,5 degré C. L’une de ces solutions est celle de la promotion des marchés du carbone en tant que solution technique et financière pour atteindre une zéro émission nette. Bien que la COP26 ait tenté de combler certaines des lacunes du marché du carbone, telles que le double comptage des émissions, par l’élaboration d’un règlement, le marché volontaire n’est toujours pas contrôlé et ressemble à de l’écoblanchiment, sans résultats réels et déplaçant plutôt les crédits de CO2 d’un côté du monde à l’autre. La compensation des crédits carbone par le biais du marché du carbone est une solution simpliste à un problème complexe, permettant aux pays développés et aux grands pollueurs de continuer à émettre du carbone et d’avoir un impact supplémentaire sur les communautés vulnérables, sans aucun avantage pour l’environnement.

 Dans l’espace océanique, le financement et l’expansion des aires marines protégées (AMP) sont considérés comme une forme de compensation carbone et d’obtention de crédits carbone (« Blue Carbons »). Les ONG environnementales et les grandes industries et entreprises insistent sur ce récit comme étant une solution aux impacts climatiques sur les océans. Néanmoins, les AMP conduisent à l’accaparement des océans et à la marginalisation des communautés de pêcheurs, car les artisans pêcheurs en sont exclus, ils se voient refuser l’accès aux zones de pêche traditionnelles et sont criminalisés pour avoir entrepris des activités de subsistance coutumières et traditionnelles dans l’intérêt de la conservation et de la protection de la biodiversité. La participation démocratique des artisans pêcheurs aux processus décisionnels relatifs à la protection marine devrait être encouragée conformément aux principes de souveraineté alimentaire ainsi qu’au concept d’autres mesures efficaces de conservation par zone (OECM en anglais), y compris les zones d’accès préférentielles pour les artisans pêcheurs. Les OECM sont une désignation de conservation pour les zones qui réalisent la conservation in situ efficace de la biodiversité en dehors des aires protégées.

Une solution juste et réelle à la crise climatique dans l’environnement marin doit impliquer et donner la priorité à la voix des communautés de pêche artisanale dans les processus de prise de décision en travaillant à la fois au développement social et à la protection de l’environnement. Les communautés de pêcheurs doivent participer activement à la gouvernance, à la gestion et à la conservation des ressources côtières et marines. Cette inclusion pourrait se traduire par une meilleure résilience aux risques liés au changement climatique pour les communautés côtières vulnérables, une meilleure gouvernance, gestion et protection des AMP et des OECM, ainsi qu’une amélioration des conditions de subsistance et de la souveraineté alimentaire.

Encadré 2

Masifundise travaille avec les communautés d’artisans pêcheurs.

Masifundise travaille avec les communautés de pêche artisanale en Afrique du Sud, qui font partie des groupes les plus pauvres et les plus marginalisés du pays. Ces communautés sont extrêmement vulnérables au changement climatique malgré le fait que la contribution du secteur aux émissions de carbone est insignifiante (par rapport au tourisme, à la pêche industrielle, etc.). L’histoire complexe du pays en matière d’aménagement et de conservation de l’espace colonial et racial a façonné les efforts de conservation actuels, entraînant des conflits entre les communautés traditionnelles et les autorités de protection de la nature, ainsi que la remise en cause des droits de l’homme, des pratiques de subsistance coutumières et des droits d’accès.  En ce qui concerne la protection de la biodiversité marine et côtière, la priorité et le soutien des communautés de pêcheurs autochtones sont presque inexistants, car l’accent est mis sur la conservation plutôt que sur les droits de l’homme. Sur les 231 communautés de pêcheurs côtiers, 60 sont situées à l’intérieur ou à proximité des AMP. La politique de la pêche artisanale de l’Afrique du Sud (2012), qui a été élaborée de pair avec les artisans pêcheurs, a pour objectif principal d’introduire « des changements fondamentaux dans l’approche du gouvernement à l’égard des secteurs de la pêche artisanale » en mettant l’accent sur la « cogestion communautaire » et un « système communautaire d’attribution des droits [de pêche] ». Toutefois, dans les zones situées à l’intérieur et à proximité des AMP, la mise en œuvre de la politique n’est pas conforme à ses objectifs et à ses principes, la cogestion est ignorée et les droits de pêche communautaires n’ont pas encore été reconnus par les autorités de protection de la nature. Les artisans pêcheurs de la réserve naturelle de Dwesa, à l’Est du Cap, ont déclaré qu’ils « n’ont pas accès au poisson et ne collectent pas de bois et de roseaux pour assurer leurs moyens de subsistance », malgré les tentatives en cours de s’engager directement avec les autorités de la réserve ainsi qu’avec d’autres parties prenantes pour trouver des solutions. Depuis 2010, quatre pêcheurs reconnus ont été abattus dans des AMP et, rien qu’en novembre 2021, des gardes du parc du site d’Isimangaliso appartenant au patrimoine mondial, au KwaZulu Natal, ont abattu quatre pêcheurs. Le cas sud-africain met en évidence le manque d’inclusion de la voix et des expériences des communautés côtières dans le cheminement vers la protection des ressources marines.

Encadré 3

Les artisans pêcheurs intensifient leurs luttes pour l’océan

Deux années de pandémie ont poussé encore plus les communautés de pêcheurs en marge de la société : les pêcheurs ont du mal à joindre les deux bouts, tandis que tous les problèmes « habituels » demeurent ou se sont aggravés. Nous assistons à l’aboutissement d’une marginalisation politique des mouvements de pêcheurs, comme en témoignent les innombrables plans et politiques déployés aux niveaux national et international sans aucune participation significative des peuples pêcheurs et de leurs alliés. La nouvelle formule du jour, ce sont les initiatives « multipartites » (MSI en anglais) utilisées par des élites puissantes telles que les sociétés transnationales et de nombreuses organisations de protection de l’environnement pour travailler main dans la main avec nos gouvernements. La High Ambition Coalition (Coalition d’ambition élevée) est l’une de ces MSI mis en place afin d’éliminer l’activité humaine à moins de 30% de la surface de la planète, et par conséquent, d’accélérer les problèmes mentionnés.

Un autre exemple de processus multipartite est le Sommet des Nations Unies sur les systèmes alimentaires de 2021 orchestré par l’ONU en collaboration avec le Forum économique mondial et un large éventail d’entreprises et d’organisations. L’aquaculture, sous un nouveau déguisement de « nourriture bleue », a été présentée comme une solution aux multiples crises. Le Panel de haut niveau sur une économie océanique durable, lancé par le Premier ministre norvégien conservateur en 2017, est un autre espace multipartite.

Ce panel promeut également l’aquaculture comme solution à l’insécurité alimentaire et soutient que l’économie océanique est une triple victoire (bonne pour la nature, pour l’économie et pour les personnes). Ces espaces et processus contribuent tous, entre autres, à façonner l’ordre du jour de la Conférence des Nations Unies sur les océans qui se tiendra à Lisbonne en juin 2022. En revanche, les mouvements de pêcheurs n’ont pas eu l’occasion d’influencer ledit ordre du jour.

En réponse à l’aggravation de la crise touchant tous les producteurs alimentaires à petite échelle et autres travailleurs, plusieurs mouvements de pêcheurs et alliés se sont lancés dans une stratégie différente. Suite aux novateurs tribunaux populaires sur l’économie océanique tenus dans cinq pays asiatiques en 2020/2021, des mouvements du monde entier intensifient la collecte de témoignages et la conduite de plus de tribunaux populaires sur les questions relatives aux océans et aux pêches afin de mettre en évidence le sort des pêcheurs et de dénoncer les acteurs responsables. L’IYAFA (Année internationale de la pêche artisanale et de l’aquaculture) peut servir de moment clé.

Encadré  4

L’accaparement des océans : un récit politique pour les artisans pêcheurs

En 2012, le Forum mondial des peuples pêcheurs (WFFP) et ses alliés se sont lancés dans une tentative novatrice pour discuter de l’accaparement des océans, accroître la prise de conscience et renforcer la résistance mondiale contre l’expropriation sans cesse croissante des communautés de pêcheurs et la destruction de la nature. Le résultat, objet d’un rapport, a également prédit la montée et la menace du paradigme de l’économie bleue. Depuis lors, ce « mantra émergent » a capturé presque tous les espaces et institutions qui abordent la thématique de l’océan : d’innombrables conférences « bleues » et de nombreux gouvernements, ONG et institutions universitaires facilitent activement la croissance des paradigmes « bleus ». La pandémie a également été l’occasion pour ces acteurs et le monde de l’entreprise de « saisir l’occasion » et d’ancrer le récit bleu au moyen de nouvelles législations sans processus démocratique. Les espaces bleus mondiaux tels que la Conférence des Nations Unies sur les océans en 2022 ont également été « capturés », tandis que la reconnaissance et la représentation des artisans pêcheurs et des travailleurs des pêcheurs restent largement ignorées, ou carrément exclues.

Selon Naseegh Jaffer, ancien secrétaire général du WFFP, « les conversations sur l’océan ont été récupérées par d’autres ». Les gouvernements et les entreprises utilisent un langage bleu « océan » qui domine aujourd’hui. De nombreux espaces, où les mouvements de pêcheurs avaient réussi à articuler leurs interprétations, ont été repris par d’autres. La FAO invite les entités moins orientées vers la lutte et plus théoriques et académiques à faire entendre la voix des mouvements, alors que la représentation desdit mouvements est en train d’être réprimée ». Nadine Nembhard, Secrétaire générale du WFFP, a déclaré que « c’est le moment pour nous de revitaliser l’accaparement des océans en tant que récit. Nous sommes à l’IYAFA et aussi dans l’année précédant notre prochaine assemblée générale. C’est un bon moment pour redonner vie aux conversations sur l’accaparement de l’océan ».

En Inde, l’accaparement des océans est le narratif utilisé par les mouvements de pêcheurs dans leur résistance et pour exiger réparation en cas de violations des droits de l’homme et la restauration de la nature et des territoires. Comme le dit Jones Spartagus, le National Fishworkers Forum (NFF), « l’accaparement de l’océan devrait être placé au centre des tribunaux populaires. Grâce aux tribunaux populaires, nous pouvons retrouver notre langage visant à affirmer la souveraineté de notre peuple de pêcheurs ».

Sous les feux de la rampe

Devons-nous parler de surpêche ?

Au cours des 20 à 30 dernières années, la grande majorité des débats autour de la pêche en mer a concerné la surpêche, en particulier par suite des commentaires des pays du Nord. Le rapport Sunken Billions de la Banque mondiale et de la FAO, publié en 2008, soulignait que les océans sont surexploités à l’échelle mondiale, ce qui justifie l’adoption accrue de systèmes de gestion des pêches étatiques aux niveaux international, régional et national dans le cadre des réformes de la pêche vers la durabilité. L’Objectif de développement durable 14 des Nations Unies exige la fin de la surpêche due à la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (INN) avec une gestion scientifique des pêches, ainsi que la réduction des subventions à la pêche. Lors des négociations sur la pêche, l’Organisation mondiale du commerce a encouragé la réduction des subventions à la pêche, comme l’utilisation la plus flagrante des arguments environnementaux visant à sécuriser les marchés pour les entreprises occidentales de produits de la mer. Ainsi, la notion de surpêche et la nécessité d’une réforme de la pêche constituent une notion dominante à l’échelle mondiale à laquelle les communautés de pêcheurs traditionnelles doivent faire face.

Pour autant, le problème n’est pas dû à la pêche artisanale traditionnelle mais principalement à la pêche industrielle et à la marchandisation du poisson. Le grand capital a créé de vastes chaînes d’approvisionnement et de valeur pour les produits de la mer dans les pays occidentaux, ce qui a alimenté l’intensification de la technologie et ciblé l’exploitation mono-espèces telles que les thoniers, les chalutiers à crevettes, etc. Les arguments de la surpêche reposent principalement sur les évaluations des stocks de poissons et les modèles de rendement maximal durable (RMD) qui ont historiquement évolué dans la gestion des ressources en eau et en forêt[1], avec une pertinence discutable pour la pêche. Cette utilisation du RMD, visant à restreindre l’activité de pêche, provient également des États-Unis afin d’assurer leur contrôle sur la pêche océanique du Pacifique, par opposition aux flottes japonaises[2] pendant l’après-Seconde Guerre mondiale. Il s’agit donc de faire état du contexte géopolitique historique des différents discours se chevauchant sur la surpêche et les réformes de la pêche.

En Inde, à partir des années 1970, la tendance historique des politiques sur la pêche a été d’étendre et d’exploiter les ressources halieutiques au-delà de 12 milles marins (Nm) (appelées pêches en haute mer) dans la zone économique exclusive (ZEE)[3], afin d’obtenir des recettes d’exportation et des devises, ayant été promue comme la politique du développement et de la modernisation de la pêche. Des navires de pêche ont été importés, des joint-ventures entre entreprises indiennes et multinationales ont été encouragées dans les années 70, des navires étrangers ont reçu des licences de pêche directes pour pêcher dans la ZEE de l’Inde dans les années 80, qui a été déréglementée après les réformes économiques néolibérales de 1991.

Dirigée par le National Fishworkers Forum (NFF), l’Inde a été témoin de protestations massives de la part des communautés de pêcheurs contre ces politiques et le gouvernement a dû retirer la politique de licence en 1994. C’est à partir de 2004 que les politiques indiennes ont commencé à utiliser un langage environnemental explicite, invoquant la nécessité de préserver les ressources halieutiques et ont repris la promotion de la technologie de la pêche en haute mer présentée comme un « développement durable », tout en plaidant pour des réformes de la pêche. Le document de la Banque mondiale de 2011, intitulé Transitions pour le développement durable dans les pêches marines indiennes a établi un calendrier précis pour le déploiement des « réformes de la pêche » par étapes. Au cours de la dernière décennie, le gouvernement de l’Union a fait valoir que les mers jusqu’à 12 Nm sont surexploitées, avec trop de conflits entre pêcheurs, et promeut comme solution la pêche en eau profonde à forte intensité de capital (au-delà de 12 Nm). Elle a lancé des programmes de pêche en eau profonde, y compris le subventionnement de navires mécanisés à la palangre et à filet maillant, ciblant spécifiquement les espèces de thon, dont le coût dépasse l’INR 1 crore (140 000 $). Le gouvernement invite des capitaux privés à investir dans des navires-mères en pleine mer, des usines de transformation de fruits de mer à terre, ainsi que dans la vente au détail en ligne directe à domicile par l’intermédiaire de start-ups financées par des sociétés de capital-risque. Dans tous les États côtiers, des fonds publics ont été investis dans des infrastructures de soutien telles qu’un réseau de ports de pêche en eau profonde, de parcs de fruits de mer, etc… À l’ère de l’économie bleue, les initiatives politiques, fondées sur la production que l’Inde a lancées dans les années 1950, avec la crevette de mer comme produit de référence, se reproduisent avec le thon. C’est un cas où l’histoire se répète comme une tragédie et une farce.

En vertu de la constitution de l’Inde, la pêche est répertoriée comme une question étatique, relevant du gouvernement provincial. Au cours de la dernière décennie, plusieurs États côtiers ont modifié leurs lois respectives sur la réglementation de la pêche en mer. Le gouvernement de l’Union a également tenté de légiférer pour régir la pêche en mer dans la ZEE de l’Inde, dont la dernière en date était le projet de loi indien sur la pêche en mer de 2021 pendant le confinement Covid. Le NFF et la communauté des pêcheurs en général s’y sont opposées. Celles-ci ont introduit un système de gouvernance des immatriculations des bateaux, des licences de pêche avec des règles strictes et de vastes pouvoirs aux fonctionnaires chargés de la mise en œuvre des règlements. Dans l’ensemble, il s’agit d’une attaque contre les institutions de gouvernance coutumières non reconnues, ainsi que d’une attaque contre la séparation constitutionnelle des pouvoirs entre l’Union et les gouvernements des États, tout en promouvant simultanément les institutions de sécurité maritime et de défense. La « réforme de la pêche » en Inde représente la centralisation ainsi que la militarisation de la gouvernance de la pêche, qui éloigne davantage le pouvoir du peuple.

Dans le contexte de l’économie bleue, le capital terrestre s’étend et intensifie de plus en plus ses tentacules sur les ressources côtières et marines avec différentes composantes industrielles, notamment les ports, le transport maritime, les zones économiques côtières, les hydrocarbures offshores, le tourisme, le dessalement, les énergies renouvelables, etc… Dans le cadre de l’important récit de l’économie bleue, la pêche en mer est envisagée comme un secteur industrialisé des grands fonds marins. Les conséquences inévitables en sont la criminalisation et la dépossession constante des biens communs côtiers et océaniques pour les pêcheurs traditionnels. À terme, l’économie bleue vise à expulser des mers les pêcheurs de capture marine et à faire place aux dits secteurs.

En conclusion, le débat sur la surpêche a été centré sur les ressources halieutiques. Il considère les stocks de poissons comme de simples marchandises à exploiter et à réglementer au moyen d’outils de techniques de gestion dirigés par l’État. Alors que la relation des communautés traditionnelles de pêcheurs avec la côte et la mer est locale et que la pêche constitue leur moyen de subsistance. La lutte contre le débat sur la surpêche ne consiste pas seulement à revendiquer une part du stock mondial de poissons pour les pêcheurs. Cela va au-delà du « droit de pêcher », il s’agit de récupérer notre statut de gardiens des côtes et des océans. Les pêcheurs ne revendiquent pas les mers comme leur bien, mais qu’ils appartiennent à la mer. Le slogan du Forum mondial des pêcheurs (WFFP) « Nous sommes l’océan » découle de cet esprit d’appartenance. Les pêcheurs ne peuvent pas permettre la prise de contrôle de cette appartenance par le biais de mythologies intellectuelles comme la surpêche.


[1]  Naveen Namboothri et Madhuri Ramesh. « Rendement maximal durable : un mythe et ses multiples effets. » Economic and Political Weekly 53, n°41 (2018) : 58-63.

[2] Liam et Alejandro Colas. Le capitalisme et la mer : le facteur maritime dans la construction du monde moderne ». Verso Books, 2021.

[3] La zone économique exclusive (ZEE) est une zone où les États souverains ont compétence sur les ressources.

Bulletin n° 47 – Éditorial

Artisans pêcheurs : Luttes et mobilisations

Illustration : Cara Penton, @CaraPenton

Les Nations Unies ont déclaré 2022 Année internationale de la pêche artisanale et de l’aquaculture (IYAFA 2022) afin de souligner l’importance de la pêche artisanale et de l’aquaculture.

Au cours des dix dernières années et plus encore depuis la pandémie, les initiatives en faveur de l’économie bleue se sont multipliées. Le Sommet des Nations Unies sur les systèmes alimentaires de 2021 a fait progresser la notion de « Blue Foods », qui signifie avant tout l’aquaculture. En 2021, le Comité des pêches de la FAO a pris des mesures sans précédent visant à faire progresser l’aquaculture, donnant naissance à la « Déclaration de Shanghai » rédigée par WorldFish, les acteurs de l’industrie et d’autres parties prenantes.

L’IYAFA met désormais en valeur la pêche artisanale. Certains préfèrent le terme de pêche à petite échelle, or, quel que soit le terme utilisé, il s’agit toujours du mode de vie fournissant de la nourriture et des revenus à plus de cent millions de personnes dans le monde. Cependant, les territoires et les ressources des pêcheurs sont de plus en plus accaparés : l’ensemble du programme d’économie bleue allant du déplacement de personnes au nom de la conservation (Aires maritimes protégées – AMP), à des investissements massifs en pisciculture, à l’expansion des ports afin de faciliter davantage le commerce mondial et à des dynamitages et des forages sans précédent pour le pétrole et le gaz, constituent des exemples de développement contemporain qui ont dépossédé et continuent de déposséder les communautés de pêcheurs. Nous espérons que l’IYAFA sera l’année où les pêcheurs du monde entier intensifieront la résistance et mobiliseront les masses pour exiger la restitution et la régénération de la nature.    

Transnational Institute et FIAN International

Encadres

Encadré 1

La gouvernance multipartite : l’industrie s’empare de la gouvernance mondiale*

En 2009, le Forum Économique Mondial (FEM) a convoqué un groupe d’experts international dans le but d’élaborer un nouveau système de gouvernance mondiale, connu sous le nom de Global Redesign Initiative (GRI), un système de gouvernance multipartite comme remplacement partiel de la prise de décision intergouvernementale [Voir la newletter Nyéléni n°22]. Le programme GRI établissait, en 2010, 40 Conseils de l’Agenda Mondial et un organe pour le secteur de l’industrie, mettant en place le cadre du FEM pour un système de gouvernance multipartite.

Par « multipartite », le FEM entend, premièrement, une structure multipartite ne signifiant pas un rôle égal pour toutes les parties ; deuxièmement, l’industrie est au centre du processus ; et troisièmement, la liste des parties prenantes du FEM est principalement constituée de celles ayant des liens avec les entreprises.

Les propositions du FEM pour la gouvernance multipartite sont un rappel opportun au fait qu’il nous faille avoir un regard neuf sur les règles actuelles qui régissent l’engagement dans les affaires internationales. Selon mon analyse, il y a quatre options permettant de contrôler une gouvernance multipartite agissant hors du multilatéralisme.

1. Rendre la participation des multinationales illégale dans l’élaboration des politiques mondiales et les programmes de mise en œuvre, comme cela a été fait pour la Convention-Cadre pour la lutte anti-tabac ;
2. Reconstruire le système des Nations Unies, avec un pouvoir de prise de décision en matière économique, environnementale et sociale, ayant le même caractère légal contraignant que le pouvoir de prise de décision du Conseil de Sécurité ;
3. Reconnaître légalement le de facto statut que la société civile et les multinationales possèdent dans la prise de décision mondiale et concevoir une nouvelle institution mondiale qui engloberait un équilibre politique approprié entre ces acteurs qui supplantent l’actuel gouvernement basé sur les systèmes des Nations Unies ;
4. Les gouvernements doivent adopter une nouvelle Convention de Vienne, spécifiant les règles sur la façon dont cette gouvernance multipartite pourrait fonctionner comme un accessoire complémentaire au multilatéralisme.

Il est temps qu’un éventail plus large de groupes sociaux, et notamment ceux qui sont le plus défavorablement affectés par la mondialisation, puisse repenser la manière dont ils estiment que la gouvernance mondiale devrait fonctionner.

*Ce texte est un court extrait de l’article de Harris Gleckman publié dans le rapport « State of power 2016 » du TNI.

Encadré 2

Système multipartite: un piège pour la sécurité alimentaire et nutritionnelle des populations*

Plaider pour un système multipartite dans les domaines de l’alimentation et de la nutrition a été l’une des principales stratégies pour faire avancer un agenda agricole pro-industrie qui marginalise les petits exploitants agricoles. L’un des essais les plus avancés de système multipartite dirigé par les entreprises est promu par le Global Redisign Initiative (GRI), le FEM, et l’Initiative visant à redéfinir l’alimentation, l’agriculture et la nutrition mondiales (GFANRI), établi en 2010.

GFANRI a intégré différentes initiatives comprenant l’Alliance mondiale pour l’amélioration de la nutrition (GAIN), l’ Alliance pour une révolution verte en Afrique (AGRA), la Nouvelle Alliance du G8 pour la Sécurité Alimentaire et la Nutrition pour l’Afrique, l’Équipe Spéciale de Haut Niveau du Secrétaire Générale sur la Crise Mondiale de la Sécurité Alimentaire (HLTF), le Partenariat Mondiale pour l’Agriculture et la Sécurité Alimentaire, et l’initiative SUN.

Ces différentes parties prenantes font la promotion de politiques basées sur la croyance que la libéralisation du commerce international peut garantir la Sécurité alimentaire et nutritive mondiale et nationale (SAN) sans le recours à une gouvernance mondiale ou nationale spécifique, et elles ont pour but de :
1. Réduire le mandat politique de la FAO qui fournit une assistance technique agricole;
2. Démanteler le Comité de la sécurité alimentaire mondiale (CSA); et
3. Mettre fin au Comité permanent de l’Organisation des nations unies sur la nutrition, et à l’organe des nations unies pour l’harmonisation de la nutrition mondiale.

Tout au long de l’année 2015, cette stratégie a progressé d’autant plus qu’elle compte sur de proches alliés au sein du SUN qui cherchent à accroître leur visibilité et leur rôle au sein du CSA ainsi que sur le secrétaire général de l’ONU qui a annoncé qu’il nominera le nouveau coordinateur du SUN. L’idée principale a été de progressivement transférer la gouvernance d’un espace intergouvernemental multipartite, fortement influencé sinon dirigé, par les intérêts et les agendas du secteur des entreprises privées.

La population mondiale doit appeler les États à rejeter la main mise et la logique « d’accord multipartite » et réaffirmer la souveraineté des peuples et des droits humains comme une étape fondamentale pour répondre à toutes les formes d’inégalités, d’oppressions et de discriminations et pour démocratiser les sociétés nationales et mondiales.

*Ce texte est un court résumé de l’article de Flavio Valente publié dans le rapport « Pouvoir d’État » du TNI.

Encadré 3

En voie d’un démantèlement du pouvoir des multinationales

La campagne mondiale « Démantelons le pouvoir des multinationales et mettons fin à l’impunité » ( Campaign to Dismantle Corporate Power and Stop Impunity & for Peoples Sovereignty) a été lancée par un réseau de plus de 100 organisations, mouvements et communautés affectées du monde entier au cours de la Conférence de Rio+20 en 2012 en réponse à l’agenda de l’ONU en faveur des multinationales pour promouvoir la privatisation, marchandisation et financiarisation de la nature.En voie d’un démantèlement du pouvoir des multinationales.

La Campagne a institué un Traité des peuples (Peoples Treaty) qui articule les visions, les stratégies et les propositions prises par divers acteurs sociaux cherchant à démanteler le pouvoir des multinationales.
Le Traité des peuples est divisé en deux sections – la première met l’accent sur la mise en application réussie des alternatives sociales, politiques et économiques ayant libéré les politiques et territoires de l’appât du gain et du pouvoir des multinationales.

La seconde partie présente des propositions concrètes et amples pour un système international juridiquement contraignant en vue de traduire en justice les transnationales au motif de leur violation des droits humains et ont été présentées avant le vote historique du Conseil des droits humains de l’ONU qui a constitué un groupe de travail intergouvernemental à composition non limitée (IGWG en anglais) pour élaborer un Traité des Nations unies visant à réglementer les transnationales et autres entreprises commerciales.

Ce traité de l’ONU constitue une opportunité pour fixer des obligations dans le cadre du droit international afin que les transnationales respectent tous les droits humains; pour constituer un Tribunal international afin que les victimes aient accès et recours à la justice; pour que la responsabilité des transnationales soit jugée et qu’on leur impose des sanctions en cas de crimes contre l’environnement; enfin pour dénoncer la mainmise des entreprises sur les institutions onusiennes.

Tandis que les transnationales font l’objet du Traité, elles ne sont pas, en tant que contrevenants, en mesure de définir les instruments juridiques ou sanctions qu’elles seraient prêtes à accepter – contrairement aux directives volontaires et aux instruments de la responsabilité sociale des entreprises qu’elles aident à définir lorsqu’elles sont invitées en tant que « partie prenante » par des Nations unies de plus en plus dominées par les intérêts des transnationales.

La reconnaissance des Droits des paysans et paysannes, faisant maintenant partie du langage et de l’agenda de l’ONU –et ayant également besoin d’être maintenue hors de la mainmise des multinationales – est une inspiration pour les mouvements travaillant au contrôle des transnationales et pour mettre fin à leur impunité. La convergence de ces deux luttes nous donne les moyens pour démanteler le pouvoir des multinationales et d’asseoir la souveraineté des peuples sur un monde durable libre de toutes formes d’exploitation.