L’écho des campagnes

L’écho des campagnes 1

Les paysans et paysannes du Sri Lankan contre les pesticides

Chintaka Rajapakse, MONLAR (Movement for Land and Agricultural Reform), Sri Lanka

L’utilisation de produits agrochimiques a eu des conséquences désastreuses au cours des dernières décennies. L’utilisation généralisée de ces produits chimiques a contaminé les sols et l’eau, ce qui a directement conduit à l’augmentation des cancers et des maladies rénales. Non seulement cela a affecté négativement la santé publique, mais la surutilisation des produits agrochimiques a également sapé la souveraineté alimentaire, détricoté l’équilibre écologique et conduit à l’extinction de nombreuses espèces animales et végétales. Étant donné que presque tous les intrants agricoles utilisés par les paysans sri-lankais sont importés, cela a permis à certaines entreprises de construire des oligopoles. 

C’est dans ce contexte que, en tant que Mouvement pour la réforme agraire et agricole (MONLAR), nous avons soutenu la décision du gouvernement d’interdire l’importation de tous les produits agrochimiques avec effet immédiat. Le ministère de l’Agriculture a déclaré qu’il convertirait la société d’État Ceylon Fertiliser Company Ltd. en une institution qui produirait, fournirait et distribuerait des engrais organiques en association avec les institutions gouvernementales locales.  C’est un pas en avant bienvenu. Nous devons maintenant veiller à ce que cela soit également mis en œuvre dans la pratique.     

Le gouvernement précédent a également pris la décision de promouvoir l’agriculture biologique en 2016. Malheureusement, cette initiative a complètement échoué en 2018 et l’Agence de gestion stratégique d’entreprise (SEMA), qui était chargée de mettre en œuvre le programme, a également été fermée. Nous devons tirer les leçons de l’expérience internationale et veiller à ce que la nouvelle initiative soit mise en œuvre avec succès. Plusieurs agriculteurs s’inquiètent également des implications à court terme de cette décision. Le gouvernement doit reconnaître leurs angoisses et s’assurer que leurs préoccupations et leurs inquiétudes sont immédiatement prises en compte, et établir une feuille de route claire pour la mise en œuvre de cette politique.

L’écho des campagnes 2

Se mobiliser pour l’accès à une alimentation saine

Miriam Nobre, SOF (Sempreviva Organizaçao Feminista), la Marche Mondiale des Femme, Brésil

Au Brésil, la pandémie du Covid19 a rendu plus évidentes les inégalités sociales mais aussi les activités économiques essentielles au maintien de la vie, telles que l’alimentation. L’agriculture familiale s’est vue fort affectée par la suspension des marchés et les contrats publics déjà perturbés par la mauvaise gestion de Bolsonaro. Les réseaux de distribution directe, et en particulier les groupes d’achats responsables, se sont imposés comme alternative. Grâce à cette alliance, les agriculteurs et les quilombolas de Vale do Ribeira dans l’état de São Paulo, comptent plus de membres et ont plus de surfaces cultivables ; ils ont assuré la défense de leurs territoires et de leurs modes de vie face aux menaces des entreprises minières, des barrages et des monocultures avec usage intensif de pesticides.

Pendant cette même période, les groupes et les collectifs alliés de la région métropolitaine de São Paulo ont aussi grandi et marqué leur présence dans les périphéries en garantissant l’accès à une alimentation de qualité aux indiens guaranis, aux élèves privés des repas scolaires, aux travailleurs et aux mères célibataires. Ces initiatives s’opposent au financement de l’alimentation scolaire. Vu qu’il n’y avait plus de classes en présentiel, le Conseil municipal de São Paulo, par exemple, a interrompu l’alimentation scolaire et les achats aux agriculteurs, et a donné une carte d’alimentation d’une valeur de 10 à 20 euros mensuels par enfant. Vu l’augmentation du prix des aliments et du gaz pour la cuisine, cette solution n’est bonne que pour l’administration de la carte Alelo et pour les supermarchés.

Les collectifs qui s’organisent autour de formes multiples et décentralisées de dons, vente et production dans des potagers agroécologiques de la périphérie (re)créent une culture alimentaire basée sur des relations respectueuses entre les personnes et entre elles et la nature. Nous sommes chaque fois plus nombreuses et plus diverses. Le mouvement noir proteste depuis longtemps contre les humiliations et les assassinats du peuple noir et de la périphérie de la part de chaines de supermarché comme Carrefour. Il se joint à ce mouvement pour que nous ayons accès à une alimentation de qualité pour nous-mêmes.

Récupérons notre santé et nos savoirs perdus et libérons les territoires et même la ville, de ces entreprises alimentaires transnationales.

L’écho des campagnes 3

Les hommes et les femmes d’Afrique dénoncent l’hégémonie des entreprises sur les semences et les systèmes alimentaires :  droits des agriculteurs maintenant !

Sabrina Masinjila, African Centre of Biodiversity (ACB)

Dans le cadre de la contre-mobilisation mondiale contre le Sommet des Nations Unies sur les systèmes alimentaires (UNFSS), l’événement en ligne Seed is power: Reclaiming African Seed Sovereignty  (Les semences sont le pouvoir : Réclamons la souveraineté africaine sur les semences) a réuni la société civile et les mouvements dirigés par des agriculteurs pour exprimer leur rejet des lois actuelles sur la protection des semences et de la propriété intellectuelle. Ces lois servent d’instruments servant à enraciner encore plus l’agriculture industrielle, en faisant progresser les intérêts des entreprises au détriment des droits des petits exploitants agricoles, dont les systèmes semenciers gérés par les agriculteurs sont de plus en plus marginalisés, voire criminalisés. Ceci est lié à des systèmes qui renforcent l’endettement, les inégalités, l’exclusion sociale et les crises écologiques.

Au lieu d’adopter des lois sur la protection des semences et des variétés végétales fondées sur l’Union internationale pour la protection des obtentions végétales (UPOV) de 1991, les gouvernements devraient mettre en place des mesures juridiquement contraignantes et distinctes afin de reconnaître et soutenir les droits des agriculteurs à conserver, échanger et vendre des semences, dégagées des impératifs commerciaux des sociétés transnationales. L’autonomie est fondamentale à cet égard – une condition préalable et une composante essentielle de l’exercice des droits par les agriculteurs familiaux, communautaires, et les paysans.  

Ainsi, des protections juridiquement contraignantes et exécutoires sont nécessaires de toute urgence contre les brevets, les lois sur la protection des obtentions végétales, les lois commerciales sur les semences et les informations séquentielles numériques, qui érodent l’exercice des droits des agriculteurs.  Plus important encore, la conception de ces droits doit être fondée sur une vision plus large de la souveraineté alimentaire qui englobe les droits des citadins et des ruraux à une alimentation nutritive et culturellement appropriée – spécialement pour les pauvres et pour les femmes en particulier, qui sont les principales gardiennes des semences et de la vie, or elles existent souvent dans des conditions précaires, sous le poids du patriarcat et de la subordination économique. De tels contextes indiquent clairement comment la semence n’est pas uniquement agricole, mais elle concerne également les relations sociales de soins et de solidarité, également cruciales pour une action progressiste plus large. Les régimes semenciers draconiens constituent donc aussi une attaque directe contre la communauté et contre notre capacité à travailler ensemble en solidarité pour un avenir meilleur.

Pour relever le défi de nos crises écologiques et sociales, les droits des agriculteurs ne doivent pas simplement être défendus, mais activement approfondis et élargis en tant que principe d’organisation essentielle de nos systèmes alimentaires.

Plus d’information ici.

L’écho des campagnes 4

Les paysans et paysannes indiens protestent contre les Lois agricoles

Chukki Nanjudaswamy, Karnataka Rajya Raitha Sangha (KRRS), Inde

Nous assistons à une mutation vers des partenariats public-privé dans les espaces d’élaboration des politiques à travers le monde. Un exemple récent en est le Sommet des Nations Unies sur les systèmes alimentaires provenant d’un partenariat stratégique entre le Forum économique mondial et les Nations Unies. Le Sommet représente une capture hostile de la gouvernance mondiale par les intérêts des entreprises. Mais de telles tendances se produisent également au niveau national.

En 2020, en pleine pandémie, le gouvernement indien a adopté à la hâte trois lois liées à l’agriculture, en utilisant leur majorité brute au parlement, en consultant à peine les agriculteurs afin d’amadouer les entreprises. Sous couvert de réforme, en Inde, ces lois vont inaugurer un système agricole basé sur le marché libre et orienté vers l’exportation, similaire à ceux de l’Europe et des États-Unis. .

Ces lois agricoles tendent à marginaliser les paysans et détruiront leur autonomie au moment de décider quels aliments produire, quand et comment les produire. Les systèmes de marchés publics de l’Inde ont besoin d’être réformés, mais pas dans le sens où ils sont entièrement mis de côté et où un système de marché libre prend complètement le relais.  La nourriture est vitale pour tout le monde.

Partout dans le monde, la mainmise de l’agro-industrie sur l’agriculture a dévasté l’autonomie des producteurs et des consommateurs alimentaires. La nourriture est devenue un objet de spéculation et cela entraîne une perte de la biodiversité et de la nutrition, avec de graves conséquences sur la nature en raison de l’utilisation modifiée des terres, des systèmes de stockage et de transformation industriels ainsi que du transport industriel qui expédie des aliments aux quatre coins du monde.

Les agriculteurs indiens sont maintenant plus que jamais conscients de ces dangers, car ils ont pu constater la disparition des paysans des États-Unis, de l’Europe et du Canada, remplacés par de grandes fermes industrielles. En Inde, des millions de personnes dépendent de l’agriculture, des forêts et de la pêche. C’est pourquoi, depuis plus d’un an, des manifestations font rage dans tout le pays. Nos revendications sont claires : abroger les lois sur l’agriculture, mener des consultations publiques et effectuer des réformes dont les petits agriculteurs ont un besoin urgent. 

Encadres

Encadré 1

Partenariat multi-acteurs: la nouvelle arme des multinationales

Le partenariat multi-acteurs est un modèle de gouvernement en évolution qui réunit divers acteurs ayant un potentiel ‘intérêt’ dans un enjeu, dans le but d’arriver à un accord, ou une solution, formulé conjointement. Par exemple, les acteurs dans un projet de mine de charbon pourraient comprendre les communautés affectées, les fonctionnaires du gouvernement responsables des accords, les compagnies d’investissement, les financeurs du projet, les ONG environnementales, etc. Ici, une présomption totalement illusoire est que tous les acteurs sont égaux en droits, obligations, responsabilités, pouvoir et capabilités. Mais bien que les droits des peuples affectés sur leurs terres dépassent largement les droits des investisseurs externes de les acquérir, leurs capacités à empêcher l’accaparement des terres sont souvent affaiblies par les pouvoirs financiers/politiques des investisseurs. A un niveau mondial, le partenariat multi-acteurs va à l’encontre du multilatéralisme, où les gouvernements (porteurs de responsabilités) prennent des décisions sur les enjeux globaux au nom de leurs citoyens (porteurs de droits) qui se traduisent par des obligations et des engagements que les Etats et les organisations internationales se doivent de mettre en œuvre. Cela comprend de réguler les activités commerciales et de rendre les entreprises responsables quand elles causent des dommages.

L’essor des partenariats multi-acteurs coïncide avec l’intégration du néolibéralisme depuis les années 1980, l’augmentation de la participation des entreprises dans divers secteurs à travers des partenariats publique-privé, l’érosion de la légitimité du système multilatéral, la réduction du financement du développement au niveau national et international, et la montée de la philanthropie de risque où les investisseurs des entreprises financent des objectifs socio-environnementaux. Au cours des 20 dernières années, le partenariat multi-acteurs s’est propagé dans des démarches pour faire face aux enjeux des industries extractives, de l’agriculture industrielle, du changement climatique, de la gouvernance de la terre et de l’environnement, de la nourriture et de l’alimentation, de l’internet, et des Objectifs de développement durable, et a été stimulé par la Global Redesign Initiative et autres plateformes du Forum Economique Mondial (FEM).

Le partenariat multi-acteurs brouille la distinction entre intérêt publique et profit privé, droits de l’homme et intérêts commerciaux. Il permet aux multinationales de dominer le processus de prise de décision sur les questions cruciales de développement et d’éluder la responsabilité légale-matérielle de leurs opérations. Il représente une menace directe pour la démocratie participative et la gouvernance équitable basée sur les droits de l’homme. 

Encadré 2

La tromperie de la nature

« Stimuler une production respectueuse de la nature » est l’une des pistes d’action de l’UNFSS et le terme « respectueuse de la nature » est devenu pratiquement synonyme de « solutions fondées sur la nature » pour la production de produits alimentaires promue par la FAO et d’autres. Les analyses des propositions faites à l’UNFSS, par la FAO et autres espaces, montrent que le terme « respectueuse de la nature » est le dernier concept utilisé pour coopter et affaiblir l’agroécologie. Il met fortement en valeur l’intensification durable en tant que solution plutôt que de réelles transformations et donne priorité aux rendements et à la stabilité, mais ne prend pas en compte les dimensions sociales, culturelles et politiques des transitions vers la durabilité, y compris dynamiques de pouvoir et gouvernance. Par cette mesure, les systèmes de production plus intensifs qui produisent moins d’émission de carbone par unité de rendement sont considérés meilleurs que des systèmes diversifiés à faible niveau d’intrants. « Respectueuse de la nature » reconditionne plusieurs fausses solutions telles que l’agriculture de conservation, l’optimisation des nutriments et l’amélioration de la gestion des plantations sans examiner les motivations des entreprises dans le modèle industriel et ses impacts sociaux et environnementaux.

Un coté encore plus dangereux du cadre « respectueuse de la nature » à l’UNFSS concerne ses liens avec les efforts pour des « solutions fondées sur la nature » en réponse au changement climatique, avec lesquelles des techniques agricoles d’intensification durable peuvent être intégrées dans des projets de crédit et marché de carbone par des entreprises extrêmement polluantes telles que des sociétés d’extraction de combustibles fossiles et des entreprises agro-alimentaire. Les techniques d’intensification durable se prêtent particulièrement bien aux crédits de carbone parce qu’elles sont centrées sur des pratiques uniques développées essentiellement pour générer des crédits de carbone. Le cadrage du « respectueuse de la nature » menace de coopter et de corrompre des solutions réelles comme l’agroécologie et la gestion communautaire de la forêt en les assimilant avec des pratiques douteuses et destructives et en les liant à des mécanismes opaques basés sur le marché. Les « solutions fondées sur la nature » pour le changement climatique sont déjà cooptées par des entreprises de combustibles fossiles et d’agro-alimentaire. Elles affirment investir dans l’intensification durable en tant que solution fondée sur la nature tout en augmentant l’accaparement de terres à grande échelle et en évitant de réduire réellement leurs émissions de carbone.

Encadré 3

Pour un autre système alimentaire sans trucs et astuces

Les systèmes alimentaires se sont convertis, en peu de temps, en systèmes caractérisés par la grande échelle, la mondialisation, l’esprit d’entreprise, la monoculture, l’innovation, la technologie… Ces attributs n’ont de sens que dans une perspective capitaliste basée sur un seul système de production et de consommation cherchant à se réaliser en fantasmant que les personnes ne sont pas des êtres interdépendants et éco-dépendants. Ce modèle privilégie les formules extractivistes qui détruisent les territoires sans même atteindre ce qui devrait être son objectif principal : nourrir toutes les populations.

Ce système a clairement échoué mais est maintenu parce qu’il est capable de soutenir et d’alimenter des intérêts multiples. Un modèle qui a transformé en une marchandise le droit à une alimentation et à une nutrition appropriée, objet de spéculation qui s’appuie, à de nombreux échelons, sur la complicité de différents agents et politiques publiques.  C’est un modèle en échec mais qui, de plus, se base sur une sorte d’illusion rendant invisibles ceux et celles qui soutiennent et alimentent le monde. Ces politiques et ces récits qui prétendent définir un modèle alimentaire à partir des intérêts de quelques-uns et des inégalités de pouvoir, ressemblent à ces trucs et astuces des illusionnistes : d’un côté ils bougent une main et montrent un modèle de développement totalement inégalitaire comme seule possibilité et avec l’autre main, ils cachent les nombreuses inégalités engendrées sur le terrain et les réalités précaires des travailleurs et travailleuses agricoles sans lesquels ce modèle ne pourrait pas fonctionner ; ils occultent aussi les réalités qui démontrent qu’aujourd’hui, il y a moyen d’alimenter les gens d’une manière durable et juste.

Dans cette réalité invisible, on retrouve la production à petite échelle, la perspective communautaire, les initiatives agroécologiques, les travaux des soins inégalement répartis, qui retombent sur les femmes et qui soutiennent le monde, de même que les mains des travailleuses et travailleurs agricoles. Cette année, la pandémie a modifié l’éclairage de ce scénario, elle l’a fait trembler et a montré les dessous de certains trucs ; elle a démontré que cette part que l’on cherche à rendre invisible, a de la force et une capacité à s’adapter et qu’il n’y a pas de trucs capables de prévoir ou d’échapper aux réponses de la nature. C’est pour cela que ceux qui sont le plus proches de la terre mère, qui la connaissent, en prennent soin, la respectent et dialoguent avec elle, sont aussi ceux qui sont capables de comprendre ses réactions et de pouvoir s’adapter même si cela coûte car ce sont les personnes les plus affectées par les changements bien qu’elles soient celles qui refroidissent la planète.

La nécessaire transformation du système alimentaire commence par cette prise de conscience de ces jeux d’illusion, par le regard sur ces réalités dites invisibles, par la vigilance de ce scénario pour qu’il ne tremble pas et ne nous fasse pas perdre l’équilibre. La lutte en ce sens, passe par semer des graines et des articulations pour rester présent sur les territoire, pour maintenir les communautés et leurs savoirs, par chaque récolte, par le fait de nous savoir interdépendants et éco-dépendants, par chaque marché paysan qui fonctionne, par chaque groupe de paysannes qui se rend visible et pour chaque espace où nous agissons pour que les politiques publiques cessent de soutenir ces jeux d’illusion et soutiennent plutôt les réalités paysannes et leur avenir.

Encadré 4

Sommet des Nations Unies sur les systèmes alimentaires : Sommes-nous en transition vers un régime alimentaire corporatif-environnemental ?

On nous a déjà raconté ces contes de fées – comment nous pouvons transformer la nature en un actif financier pour sauver la planète d’une nouvelle destruction de l’environnement. Pour autant, il ne s’agit pas de fournir les bonnes incitations financières. Nous avons besoin d’approches radicales qui guérissent les écosystèmes et ne rémunèrent pas les entreprises pour avoir poursuivi leurs pratiques déloyales tout en participant au « greenwashing ». Pris en otages par les intérêts des grandes entreprises, les organisateurs du Sommet des Nations Unies sur les systèmes alimentaires (UNFSS) ont repris avec bonheur ces vieilles histoires de marchés du carbone et de REDD+, malgré leur échec avéré. Les systèmes alimentaires devraient maintenant être financiarisés et devenir des cibles d’investissements spéculatifs, car cela semble être le seul moyen de financer la transformation « coûteuse » vers des systèmes alimentaires durables. En utilisant le terme générique de « production respectueuse de la nature », un autre label a été ajouté aux nombreuses solutions proposées par les entreprises pour le sommet, basées sur l’innovation numérique, les solutions technologiques, les approches bioéconomiques et axées sur le marché, telles que l’agriculture intelligente face au climat et l’intensification durable. Des solutions centrées sur l’humain, rentables et justes tant socialement qu’écologiquement, telles que l’agroécologie, sont déjà sur la table. Mais ces idées sont noyées au fond de la marmite des grandes solutions d’entreprise et ne tiennent pas compte des différences réelles.

Le Green Deal pour l’Europe abonde déjà de ce narratif « climat-smart » (en faveur du climat). Avec l’initiative « carbon farming », par exemple, un nouveau modèle économique a été créé pour récompenser les agriculteurs qui séquestrent et stockent le carbone. L’UNFSS a pris le train en marche de ce « capitalisme vert » de l’UE, promouvant des approches de capture du carbone afin de créer des systèmes alimentaires « durables » en améliorant la santé des sols. Manifeste dans la nature du capitalisme néolibéral, cette voie est susceptible de permettre une transition vers un « régime alimentaire corporatif-environnemental » (Friedmann, 2005). Ce nouveau troisième régime alimentaire se reflète dans le cadre multipartite de l’UNFSS qui confère aux entreprises une légitimité dans l’élaboration de la gouvernance alimentaire mondiale. Friedmann (2005 : 259) soutient que ce régime induit une lutte pour le « poids des institutions privées, publiques et autoorganisées ». Dans un tel processus, l’alimentation n’est plus une préoccupation publique mais devient un investissement privé.

La trajectoire actuelle de l’UNFSS permet aux sociétés d’investissement financier d’acheter des actions de multinationales agroalimentaires qui contrôlent les modèles proposés de « solution respectueuse de la nature ». Cependant, nous ne pouvons pas permettre au secteur financier de jouer avec les moyens de subsistance des gens. Au nom de la durabilité environnementale, toute la signification de la nourriture passe d’être un bien comestible pour devenir une marchandise financière.  En repensant aux conséquences dévastatrices de la crise alimentaire de 2008, qui a provoqué la faim pour des millions de personnes, il devrait être clair que la nourriture doit être exclue de la spéculation financière. Certes, si ce régime alimentaire corporatif se consolide, il « approfondira les processus de longue date concernant la dépossession et la marginalisation des paysans et des communautés agraires ».  (Friedmann, 2005 : 257). En fin de compte, les petits producteurs pourraient même être exclus de l’ensemble du processus de production alimentaire agricole tandis que le monde commence à « cultiver sans agriculteurs ».

Références:

Friedmann, H. (2005): From Colonialism to Green Capitalism: Social Movements and Emergence of Food Regimes. In: Buttel, F.H. and McMichael, P. (eds.): New directions in the sociology of global development. Research in rural sociology and development, Vol. 11. Oxford: Elsvier, 229-67.

Encadré 5

La numérisation dans l’agriculture indienne

En Inde, l’agriculture est en proie à la précarité, laissant les populations vulnérables et marginalisées à l’abandon (par exemple, les femmes et les travailleurs sans terre), elles sont historiquement exclues de la propriété foncière. La numérisation à grande échelle des chaînes de valeur agricoles va aggraver l’endettement et les asymétries de pouvoir[1].

De manière générale, la numérisation dans l’agriculture comprend trois catégories : la robotique, la surveillance des cultures et des sols et l’analyse prédictive. Tous ces éléments se basent sur un ingrédient crucial : les données.

La valeur économique des données est fondée sur leur capacité à présenter des modèles sous forme de mégadonnées agrégées et à fournir une publicité individualisée et ciblée qui est utilisée par les grandes entreprises comme une opportunité de profit.

Les utilisations des données en agriculture ont une grande portée. L’information sur les ventes et les prix des produits de base peut aider à la commercialisation agricole. Les conditions sont également réunies pour l’automatisation et l’intelligence artificielle (IA) dans les opérations d’entrepôt. Plus menaçant encore, les données des agriculteurs peuvent être utilisées dans des algorithmes de notation de crédit qui déterminent leur accès aux services financiers, à l’exclusion des groupes historiquement vulnérables. 

La numérisation est antérieure à la COVID-19, avec la participation du secteur privé ancrée dans des approches politiques telles que le doublement du revenu des agriculteurs d’ici 2022 et la stratégie nationale d’IA de NITI Aayog. Cependant, l’anéantissement des chaînes d’approvisionnement agricoles au cours des premiers mois de la pandémie a accéléré le rythme et la portée de la numérisation. Les plateformes de commerce électronique, par exemple, ont capitalisé sur le moment : la demande B2B de Ninjacart a augmenté de 300% au cours des premiers mois de la pandémie. 

La pandémie a également stimulé les mesures politiques et législatives. Les lois de réforme agricole ont été adoptées au milieu de la pandémie avec peu de débats parlementaires, encourageant la numérisation dans un modèle financiarisé dirigé par le secteur privé au détriment des agriculteurs et des petits producteurs .[5]  Cela est déjà visible dans les partenariats signés entre le gouvernement et les grandes entreprises technologiques, tels que le protocole d’accord pour la construction de la plate-forme Agristack, signé entre le ministère de l’Agriculture et Microsoft en avril 2021.

Ces tendances peuvent conduire à une consolidation de bout en bout des chaînes de valeur agricoles par plate-forme et par entreprises agricoles. En avançant dans le domaine de la numérisation en l’absence de données appropriées, l’IA et la gouvernance des plateformes laisseront ce secteur prêt à être récupéré par les entreprises, ce qui entraînera une consolidation du marché aux mains de quelques grands acteurs.

Au lieu de cela, le rôle du secteur privé doit être soigneusement négocié, afin de s’assurer que les ressources en données soient orientées vers les besoins fondamentaux des agriculteurs et leur autonomisation autodéterminée. La numérisation dans l’agriculture nécessite également des architectures décentralisées et fédérées qui préservent l’autorité constitutionnelle des gouvernements des États en vue de réglementer ce secteur afin de garantir l’intérêt public.

Finalement, l’engagement avec les problèmes hérités de l’agriculture indienne, tels que les prêts usuraires et les asymétries de pouvoir, en donnant la priorité aux intérêts des paysans et des populations marginalisées constitue un pilier fondamental d’une numérisation responsable et axée sur le développement.


[1] ASHA letter to the Ministry of Agriculture, on file.

Sous les feux de la rampe

Sous les feux de la rampe 1

Résister à la mainmise de l’agro-industrie sur nos systèmes alimentaires !

La mainmise sur l’alimentaire par les systèmes agro-industriels est basé sur la croyance que les sociétés multinationales jouent un rôle essentiel dans l’approvisionnement en nourriture et que leurs intérêts sont alignés sur l’intérêt publique. Ses promoteurs présentent les grandes entreprises comme étant mieux équipées que les gouvernements et que la société civile pour établir les règles et les politiques donnant forme à nos systèmes alimentaires. Il s’agit d’une vision du monde qui permet aux grandes entreprises d’accroitre leur part de terre, d’eau et pêcheries, de quasiment monopoliser le commerce des semences et d’utiliser intensivement pesticides et engrais chimiques. Mais elle échoue à reconnaitre et à faire face aux préjudices causés par les entreprises multinationales. Dans le cas où cette capture par les systèmes agro-industriels arrive à dominer des espaces tels que le Sommet sur les Systèmes Alimentaires (FSS), le Comité de la Sécurité Alimentaire Mondiale de l’ONU (CSA) ou l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), la démocratie, l’auto-détermination et la souveraineté des peuples seront d’avantage mises à mal.

Le FSS a été organisé pour assurer le contrôle par les grandes entreprises des systèmes alimentaires au milieu d’une pression croissante pour répondre aux échecs des systèmes alimentaires industrialisés. A travers le FSS, l’ONU pourrait finir par consolider un nouvel écosystème d’acteurs puissants tentant de privatiser la gouvernance d’un régime alimentaire corporatif-environnemental. Ces acteurs sont des gouvernements du Nord, de l’UE en particulier, des plateformes économiques telles que le Forum Economique Mondial (FEM) et le Conseil mondial des affaires pour le développement durable (WBCSD); des philanthropies comme les fondations Gates, Rockefeller, Stordalen et EAT et la Global Alliance for the Future of Food ; des initiatives multipartenaires telles que la Global Alliance for Improved Nutrition (GAIN) et le Scaling Up Nutrition (SUN); des ONG internationales comme le World Wildlife Fund (WWF) et Care, et des scientifiques favorables aux entreprises.

Notre boycott a contesté avec efficacité la légitimité du FSS et a empêché, pour le moment, la création de nouvelles structures institutionnelles alignées avec les grandes entreprises. Notre préoccupation dans le futur immédiat va être d’en saisir le CSA – y compris le groupe d’experts de haut niveau pour la sécurité alimentaire et la nutrition – et les agences de l’ONU basées à Rome, en particulier la FAO. En tant que mouvement pour la souveraineté alimentaire, nous avons insisté sur la démocratisation de ces institutions pour qu’elles soient davantage réceptives aux demandes des petits producteurs. Au cours des 25 dernières années, nous avons connu des victoires partielles. Cependant, tout cela est maintenant en danger. La coalition multipartite mentionnée précédemment demande maintenant que le CSA et la FAO donnent suite aux résultats du Sommet. Elle veut importer du FSS les méthodes de travail de la gouvernance multipartite, c’est-à-dire ignorer les règles de procédure existantes ; privilégiant les coalitions d’action ad hoc sans règle établie. Ces coalitions manqueront certainement de transparence, d’inclusion multilatérale, de mécanismes de prise de décision et de responsabilités, détourneront les ressources des programmes publiques des agences de l’ONU vers ces initiatives ad hoc, semi-privatisées. Nous devons résister à cette tentative et continuer la lutte afin de consolider nos institutions communes et publiques tout au long du chemin du local au global pour assurer la souveraineté alimentaire. 

Sous les feux de la rampe 2

Grandes entreprises et systèmes alimentaires

Au cours des dernières décennies, la présence des entreprises dans les systèmes alimentaires s’est largement accrue à travers le monde, encouragée par la promotion agressive et l’adoption d’une économie néolibérale et de politiques financières menées par les institutions financières internationales (IFI) et la plus part des gouvernements. Les entreprises sont devenues des acteurs puissants dans pratiquement toutes les sphères liées aux systèmes alimentaires : production, stockage, conditionnement et étiquetage, distribution et commercialisation, sécurité et normes de qualité, financement, préférence des consommateurs, recherche, cadre règlementaire etc.

Par fusions et acquisitions, un petit nombre de société d’agro-chimie et agro-alimentaire transnationales ont formé des méga sociétés et grandement augmenté leur pouvoir économique dans le but de décider quelles cultures doivent être cultivées ; quels équipements, semences et races les agriculteurs doivent utiliser ; les techniques de production, infrastructures et conditions de travail ; l’approvisionnement et prix de détail ; et dominer différents aspects des chaines d’approvisionnement et marchés au niveau national-international.

Grâce à leur facilité d’accès au capital financier, les entreprises sont à même d’investir dans et d’utiliser les dernières technologies numériques pour obtenir de l’information sur les prix, les comportements des consommateurs, la disponibilité de la terre et de l’eau, les propriétés génétiques, etc. et d’exercer un contrôle sur différents composants des systèmes alimentaires.

L’expansion du pouvoir des entreprises sur les politiques nationales, régionales et internationales, ainsi que les cadres règlementaires et de gouvernance sont particulièrement préoccupants. Les entreprises utilisent leur puissance financière et leur large présence sur les marchés pour modeler les politiques, les lois, les règlementations, les programmes socio-environnementaux, les incitations et aides fiscales pour assurer leurs opérations, leurs gains financiers et leur pouvoir sur le marché.  Les lobbyistes et experts des entreprises travaillent directement avec les gouvernements et les fonctionnaires des agences multilatérales pour formuler des accords d’échange-investissement, la protection de la propriété intellectuelle et règles de taxation, les normes de sécurité de l’alimentation et de l’environnement, et des mécanismes d’immunité sur leur responsabilité sociale, environnementale et financière. Les entreprises financent la recherche et l’information afin de promouvoir leurs intérêts dans les débats politiques et accroitre l’acceptation populaire de leurs opérations.

Grace à un réseau complexe et étendu de conseils d’entreprise, de plateformes et du processus multipartite, les grandes entreprises se présentent comme une force nécessaire et positive pour faire face au changement climatique, à la faim, à la destruction de l’environnement, aux pandémies et autres crises, masquant leur propre rôle dans la création et l’aggravation de ces crises. L’UNFSS est dominé par un tel réseau au sein du FEM, et légitimise les partenariats entre agences multilatérales, entreprises et ONG internationales et groupes de réflexions, anéantissant totalement les centaines de millions de petits producteurs et travailleurs qui nourrissent une grande partie de la planète avec des systèmes alimentaires divers et enracinés dans les territoires.

Les prétendues solutions de l’UNFSS aux problèmes pressants auxquels le monde doit faire face sont simplement des mécanismes coûteux contrôlés par les grandes entreprises et des technologies et produits protégés par des brevets qui vont accroitre encore davantage le pouvoir des entreprises sur nos systèmes alimentaires. Elles vont prélever des ressources financières si nécessaires sur les biens publics, les services et les programmes, et perpétuer un système économique injuste, inégalitaire dans lequel les droits des peuples et des communautés viennent après les profits des entreprises. Pour démanteler le pouvoir des entreprises, nous devons remettre en question et changer les structures de gouvernance grâce auxquelles il gagne du terrain.

Bulletin n° 45 – Éditorial

Souveraineté alimentaire – Résister à la mainmise de l’agro-industrie sur nos systèmes alimentaires

Cette année marque les 25 ans de l’introduction du paradigme de souveraineté alimentaire au Somment Mondial de l’Alimentation en 1996 à Rome, en défi direct à la sécurité alimentaire basée sur le marché promu par l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC). La souveraineté alimentaire reconnait l’autonomie et le pouvoir des petits producteurs et des ouvriers agricoles face à l’augmentation du pouvoir des grandes entreprises sur l’ensemble du monde alimentaire. Depuis son lancement, le mouvement de souveraineté alimentaire a grandi, s’est diversifié et a donné naissance à de nombreuses initiatives pour faire face aux injustices historiques et émergentes, aux inégalités, aux abus de droits, et aux oppressions. Aujourd’hui, le mouvement est à la pointe d’un réel changement systémique, avec des millions de personnes à travers le monde engagées et soutenant des économies solidaires, l’agroécologie, les marchés de territoires, les coopératives, la défense de la terre et des territoires, les droits des paysans, des travailleurs, des migrants, des peuples autochtones, des femmes et des personnes vivant dans des crises prolongées.

Ironiquement, cette année, les Nations Unies vont convoquer un Sommet sur les Systèmes Alimentaires (UNFSS) qui est l’opposé polaire de la souveraineté alimentaire. La structure, le contenu, la gouvernance et les résultats de l‘UNFSS sont dominés par des acteurs affiliés au Forum Economique Mondial (FEM), ainsi que des fonctionnaires gouvernementaux et de l’ONU qui estiment que lutter avec succès contre la faim, le chômage, le changement climatique et la perte de biodiversité nécessite la participation centrale des grandes entreprises puisqu’elles disposent de capital, de technologies et d’infrastructures qui surpassent la plus part des nations et tout le système des Nations Unies.

La coïncidence de ces deux moments met clairement en lumière des idées fondamentalement opposées des systèmes alimentaires. L’UNFSS adopte une vision qui sert les intérêts d’un système alimentaire industrialisé, globalisé, contrôlé par les grandes entreprises. En renforçant la dépendance sur les chaînes de valeur mondiales dominées par les multinationales, et sur des mécanismes à forte intensité de capital et de marché, cette approche ne tient pas compte des droits humains et empêche une réelle transformation des systèmes alimentaires.

La souveraineté alimentaire, par contre, s’attaque aux causes profondes de la faim et de la malnutrition, valorise le contrôle démocratique des systèmes alimentaires, confronte les asymétries de pouvoir et appelle à des changements économiques, sociaux et de gouvernance radicaux en vue de construire des systèmes alimentaires justes, égalitaires, ancrés dans les territoires, en harmonie avec la nature, revitalisant la biodiversité et garantissant les droits des peuples et des communautés.

Les grandes entreprises utilisent leurs ressources considérables pour coopter la conceptualisation et la gouvernance des systèmes alimentaires à travers le financement, le commerce, l’investissement et les plateformes multi-acteurs. L’UNFSS est un exemple dangereusement parfait d’un partenariat multi-acteurs conçu par les multinationales, où les grandes entreprises peuvent influencer la prise de décisions publiques au plus haut niveau mais sans engagements d’utilité publique de leur part. Le processus de l’UNFSS a été caractérisé par un manque de transparence dans la prise de décision et la forte implication des grandes entreprises à tous les niveaux de sa structure, créant de sérieux problèmes de responsabilité, de légitimité et de contrôle démocratique de l’ONU.

Au cours de l’année passée, nous avons démontré notre capacité à nous mobiliser à travers de multiples circonscriptions autour du monde contre l’accaparement de la nourriture et de la souveraineté alimentaire par les grandes entreprises. Nous avons réussi à remettre en question la légitimité du Sommet et avons empêché un accord formel sur la création de nouvelles institutions, tel qu’un panel d’experts sur les systèmes alimentaires. La Contre-Mobilisation pour Transformer les Systèmes Alimentaires, organisée les 25-28 juillet derniers, a engagé près de 11000 personnes dans le monde.

La nourriture est un besoin fondamental et un droit de l’homme : les systèmes alimentaires assurent un moyen de subsistance à près d’un tiers de l’humanité et sont intimement connectés à la santé et aux écosystèmes. Nous devons donc continuer à renforcer la convergence des mouvements en faveur des aliments, de la santé, de l’environnement et de la justice climatique, tout en protestant contre les systèmes alimentaires agro-industriels qui détruisent notre planète et nos communautés.

FIAN et Focus on the Global South

L’écho des campagnes

L’écho des campagnes 1

Des illustrations et des bandes-dessinés pour promouvoir la souveraineté alimentaire et les droits des paysan.ne.s

« Le livre d’illustrations sur l’agriculture naturelle publié par Amrita Bhoomi explore les expériences des femmes et des hommes exerçant l’agriculture en milieu rural et leurs pratiques écologiques pour restaurer les sols. Il dénonce aussi les horreurs de l’agriculture industrielle. Grâce à notre travail auprès des paysan.ne.s et des enfants au Centre Amrita Bhoomi, nous avons rassemblé leurs témoignages et contributions en nous servant des figures de l’oiseau blanc local et du lombric généreux pour relier toutes ces histoires », expliquent Chilli et Yemee qui ont travaillé sur cet ouvrage (en kannada uniquement). « En reprenant des symboles et des contes locaux, nous avons créé une histoire pour apprendre aux enfants l’importance de l’agroécologie et de l’agriculture naturelle en tant qu’alternatives. À présent, les écoliers des villages alentours utilisent ce livre et élaborent des petits projets. », ajoute Chukki Nanjudaswamy du Centre Amrita Bhoomi.

De son côté, la Confédération Paysanne, en France, a développé une histoire graphique sur la privatisation du système semencier. Damien Houdebine, Secrétaire National en charge du pôle végétal, nous parle de cette bande-dessinée intitulée Histoire de semences : Résistances à la privatisation du vivant : « Les débats sur les semences et sur les OGM sont très médiatisés mais beaucoup trop d’informations imprécises circulent ! Nous avons voulu créer un matériel accessible, pédagogique et en particulier dirigé vers la jeunesse. Défi réalisé ! La publication de cette bande-dessinée est un vrai succès. Elle est sur toutes les tables, dans toutes les fêtes paysannes, et nous accompagne dans nos actions pour la souveraineté alimentaire ! »

Militant au sein du MNCI Somos Tierra (Mouvement national paysan autochtone) en Argentine, Carlos Julio est aussi l’artiste qui a dessiné les croquis de Droits pour les paysannes. Il explique que « le meilleur compliment que je reçois pour mon travail de dessinateur, c’est quand les camarades du MNCI me disent ‘ce dessin reflète qui je suis’, ‘il exprime nos luttes’, ‘il exprime notre vie’, etc. Un autre compliment qui me touche particulièrement, c’est quand ils me disent ‘ça m’a fait beaucoup rire’. Je sais aussi que quand on a un débat ou qu’on développe des documents, les dessins aident à interroger la réalité et à transmettre un message par-delà les mots. J’ai pris beaucoup de plaisir à faire les illustrations de Droits pour les paysannes et femmes du monde rural ! Montrer la vie paysanne, faire apparaître un sourire, faire réfléchir et discuter. Ce n’est pas rien. »

L’écho des campagnes 2

Voz campesina, le rôle des radios locales pour promouvoir la souveraineté alimentaire

Azul Cordo, Radio Mundo Real

Il y a dix ans, Radio Mundo Real et la Coordination latinoaméricaine des organisations rurales (CLOC-Via Campesina) créèrent Voz Campesina (voix paysanne), un programme radiophonique qui aborde les principaux sujets du mouvement paysan, ses luttes, défis et accomplissements. Il couvre aussi les manifestations organisées par la CLOC et ses alliés.

Voz Campesina, tout en ayant sa propre mission, fait entendre la perspective paysanne et populaire, anticapitaliste, antiraciste, anticoloniale et féministe sur des problématiques qui concernent tout le monde. Ainsi, au cours des douze derniers mois, le programme a proposé une analyse de la pandémie de COVID-19, en expliquant qu’elle est la conséquence de la crise du système néolibéral que nous vivons depuis plusieurs années et en mettant en exergue les solutions déjà mises en œuvre par les paysan.ne.s comme l’agroécologie et la souveraineté alimentaire.

Chaque édition cherche à garantir la représentation des hommes, des femmes et autres personnes, jeunes et moins jeunes, membres de la CLOC et issus des régions d’Amérique du Sud, centrale et des Caraïbes. Les contenus mettent l’accent sur les expériences paysannes en matière d’accès à la terre ainsi que sur l’analyse et la contestation dans les territoires. Le défi consiste à amplifier sa diffusion. Disponible sur les sites Internet de Radio Mundo Real et de la CLOC, le programme peut également être réécouter sur les plates-formes de podcast.

L’écho des campagnes 3

Journaux paysans, exemple de Corée du Sud

Jeungsik Shim, rédacteur en chef de KPL News, Corée du Sud

KPL News est un journal de presse écrite géré et distribué par la Ligue coréenne paysanne (KLP, de son sigle en anglais). Dès sa création en 1990, KPL a compris le besoin de compter sur son propre média. KPL luttait en faveur des questions paysannes mais les médias existants n’y accordaient aucune attention ou déformaient les sujets. Finalement, en 2006, KPL a pris le contrôle d’un hebdomadaire spécialisé dans l’agriculture et a publié le premier numéro de KPL News (Han-kuk-nong-jung en coréen) le 25 septembre.

Spécialisé dans l’agriculture, ce journal paraît toutes les semaines et traite l’information concernant les zones rurales et la population paysanne. Il sort tous les lundis, quatre fois par mois, 48 fois par an et est distribué à plus de 30 000 paysan.ne.s dans tout le pays. Il en existe aussi une version en ligne, qui est actualisée régulièrement de sorte que les lecteurs et les lectrices ne recevant pas la version papier puissent lire le journal partout dans le pays.

L’écho des campagnes 4

L’arpillería, un art pour raconter et ne pas oublier

Blanca Nubia Anaya Díaz, membre du Mouvement social de défense des Ríos Sogamoso et Chucurí (Movimiento Social en defensa de Ríos Sogamoso y Chucurí), Colombie

Affilié au mouvement Ríos Vivos (rivières vivantes) de Colombie, le Mouvement social de défense des fleuves Sogamoso et Chucurí a vu le jour pour lutter contre le barrage Hidrosogamoso.

La technique de l’arpillería est un art qui sert à raconter, d’une autre façon, ce que nous avons vécu. Dans le cadre de nos efforts pour alerter sur le problème et diffuser le message, nous avons pris du fil, des aiguilles, des chutes de tissu et nous sommes mises à broder des scènes de la vie quotidienne sur des toiles de jute.

Nous fabriquons ces souvenirs pour que les personnes qui les voient ne laissent pas les méga-projets causer les mêmes dommages sur leurs territoires. Nous reproduisons ce que nous avons vécu ; c’est pour cela que les scènes montrent des poissons morts et peu de personnes. On utilise du matériel rustique et on étaye le travail avec du collage. Nous voulons montrer aux gens ce que nous avons perdu.

Notre intention est de continuer à faire de l’arpillería car c’est un art très beau. De fils en aiguilles, on bavarde, discute et raconte. En commençant à fabriquer ces souvenirs, nous avons découvert que nos morts n’étaient pas pour rien, que les personnes déplacées de nos communautés n’étaient pas les méchants, que derrière tout cela il y avait un contexte que nous découvrons peu à peu et que nous reproduisons sur du jute.

Nous allons continuer à coudre car nous voulons que les souvenirs empêchent la répétition et apportent la paix. Nous, les femmes, nous luttons pour la paix, armées d’un fil et d’une aiguille.

Encadres

Encadré 1

Le Bulletin Nyéléni facilite une pédagogie des peuples dans la lutte pour la souveraineté alimentaire

En 2007, le Forum de Nyéléni rassemblait les représentant.e.s issu.e.s de mouvements et d’organisations de petits producteurs, de consommateurs ainsi que de la société civile engagés dans la lutte pour la souveraineté alimentaire. Ces participant.e.s ont partagé leurs savoirs, visions, stratégies et pratiques visant à transformer leurs communautés, sociétés et économies grâce aux principes de la souveraineté alimentaire. Les discussions ont révélé la richesse des connaissances créées en permanence par les praticien.ne.s de la souveraineté alimentaire même en proie à des défis sociaux, économiques, environnementaux ou politiques. Elles ont aussi mis en exergue le caractère central de la souveraineté alimentaire en tant que plateforme capable de forger des alliances pour lutter contre le néolibéralisme, le capitalisme mondial, l’autoritarisme ainsi que l’injustice, l’inégalité et la violence sous toutes leurs formes. Les participant.e.s se sont engagé.e.s à bâtir la solidarité entre et au sein des mouvements, cultures et régions en renforçant la communication, l’éducation politique, la sensibilisation et l’apprentissage entre pairs.

Le Bulletin Nyéléni fut créé dans le but de répondre à tous ces engagements : pour donner une voix aux priorités, préoccupations, expériences et connaissances du mouvement pour la souveraineté alimentaire, et pour susciter le dialogue entre secteurs et acteurs.

Le Bulletin se veut un outil d’éducation permettant de contextualiser et d’expliquer des sujets complexes aux acteurs du mouvement, en particulier aux personnes qui sont sur le terrain et en première ligne. Il entend aussi être le conduit par lequel mettre les expériences de vécu de ces acteurs au premier plan. Si des chercheurs alliés sont invités à rédiger des articles, le Bulletin propose avant tout l’analyse et les points de vue des mouvements. Ces analyses sont complétées par les témoignages directs des acteurs de terrain, les informations sur les luttes et initiatives ainsi que des documents de sensibilisation produits par les mouvements partout dans le monde. Ce sont les membres du mouvement qui choisissent les sujets traités par chaque numéro. Les articles sont rédigés dans un style accessible et facile à traduire dans d’autres langues. Il est possible de télécharger le Bulletin et/ou de le lire en ligne gratuitement (en anglais, espagnol et français) sur la page nyeleni.org, la totalité du contenu étant libre de droit.

Encadré 2

Brasil de Fato [1]: une alternative pour la communication populaire contre l’hégémonie des médias de masse

Officiellement inauguré le 25 janvier 2003 à l’occasion du Forum social mondial à Porto Alegre, Brasil de Fato a pour objectif d’ouvrir des pistes dans la bataille contre le modèle dominant en matière de communication. Depuis sa création, ce média traite de sujets économiques et politiques et promeut les activités et les luttes menées par les mouvements sociaux et d’Amérique latine, ce, sous un angle de gauche et en proposant une analyse de la conjoncture et des évènements au niveau national et international.

En tant que moyen de communication alternative, il contribue à l’analyse et à la contextualisation d’un autre Brésil, à savoir, un Brésil en mobilisation permanente. Il identifie les scénarios de lutte politique dans le but d’élaborer un programme de communication traitant des sujets que les grands médias minimisent, voire occultent, à dessein. Les médias de communication alternative affirment la vision d’un autre monde proposé par les théoriciens de gauche, donnent une place au traitement de la critique et la valorisation culturelle que portent les classes populaires et de travailleurs/travailleuses, défendent leurs intérêts politiques et encouragent le débat d’idées. Espace de contestation profondément engagé en faveur d’une transformation, Brasil de Fato est donc porteur d’une vision solidaire internationale, se veut pluraliste sur le plan des idées et constitue source d’information et de réflexion pour les militant.e.s de la lutte sociale.

Grâce aux médias comme Brasil de Fato, il est possible de créer une stratégie de communication face à l’hégémonie des groupes dominants dans le domaine de la communication et de changer l’agenda politique à l’échelle nationale et internationale en y ajoutant les voix des mouvements qui luttent en faveur de la construction d’un autre monde.


[1] Brasil de Fato est un journal en ligne brésilien et une agence de radio, www.brasildefato.com.br

Encadré 3

Chants paysans, porteurs de sagesse, de souvenirs et de résistance

Pour saisir la richesse et la diversité de l’histoire et de l’évolution des pratiques paysannes et autochtones, il suffit d’écouter le nombre infini de chants et chansons présents dans toutes les communautés du monde. Dans cette section, nous proposons deux chansons, d’Ouganda et de Turquie, qui parlent des luttes locales menées par les populations paysannes et autochtones.

Icamo Irudu Laki, Ouganda (en langue Luo/Lango)

Cette chanson a été composée au cours de la période de pénurie alimentaire qui a suivi l’abandon des cultures vivrières locales, dont les semences étaient contrôlées par la population locale, en faveur de nouvelles cultures introduites par le gouvernement. La récolte produite par ces nouvelles cultures a été vendue à bas prix à des intermédiaires, si bien que les paysan.ne.s n’avaient plus les moyens d’acheter de la nourriture pour eux-mêmes et leurs familles. Les nouvelles cultures les ont placé.e.s en situation de dépendance vis-à-vis des négociants en semences et du gouvernement car il leur était impossible de conserver les semences, de les multiplier et de les échanger librement. Les paysan.ne.s ont donc perdu leur souveraineté alimentaire. La chanson les encourage à revenir aux cultures vivrières locales qui favorisent un système semencier géré par les paysan.ne.s et permet de répondre à la malnutrition et à la faim. La chanson explique aussi que manger des cultures locales est similaire au fait de se brosser les dents car ces cultures sont saines et libres de tout produit chimique. Lorsqu’elle est chantée, les femmes prononcent certains mots supplémentaires pour signifier qu’elles sont parvenues à surmonter la pénurie d’aliments au sein de leurs foyers grâce aux cultures vivrières traditionnelles et locales.

Version originale en Luo/Lango

ICAMO IRUDU LAKI          
 Icamo irudu laki X3
 Can dek rac
 Gin omio lango camo ajonga doo
 Can dek rac
  
 Nen ibot Joci gi doo
 Can dek rac
 Gin omio lango camo ajonga doo
 Can dek rac
Traduction
  
MANGEZ ET BROSSEZ-VOUS LES DENTS
Mangez vos aliments locaux et brossez-vous les dents X3
Le manque de nourriture c’est mauvais
La raison que les Langi* mangent des aliments locaux sans pâte ni friture
Le manque de nourriture c’est mauvais

Regardez ça comme ceux de Joci**
Le manque de nourriture c’est mauvais
La raison que les Langi* mangent des aliments locaux sans pâte ni friture
Le manque de nourriture c’est mauvais

*Les Langi sont un peuple agro-pasteur de la sous-région du Lango, située dans le nord de l’Ouganda.

**Joci est le nom d’une personne/un voisin dont la famille n’a pas suffisamment à manger. On peut le remplacer par le nom de toute autre personne en situation de pénurie alimentaire.

İşkencedere’den (Eşkincidere) elime kalan bir çakıl taşı”, Turquie

Cette chanson a été composée au cours de la résistance menée par la population d’Ikızdere contre une société privée bénéficiant de liens étroits avec le gouvernement et avec une très mauvaise réputation pour ce qui est de la destruction des terres et de la nature. Profitant d’un décret présidentiel, l’entreprise ravage actuellement la vallée d’İşkencedere dans le but d’y installer une carrière nécessaire à la construction d’un port à İkizdere, Rize. Emmenés par les paysannes, les villageois d’Ikızdere ont mené des actions pour stopper la destruction de leur vallée en organisant des patrouilles de surveillance et ont saisi la justice pour obtenir une interdiction. Les femmes sont aux premières lignes du combat pour leurs terres et les droits à la nature. Les routes étant bloquées par l’armée, les habitant.e.s surveillent les opérations depuis les arbres en y accédant par les sentiers forestiers et de montagne.

Version originale en turque

İşkencedere’den (Eşkincidere) elime kalan bir çakıl taşı
  
Bir gün Boğacak seni anaların gözyaşı
Hep bulanık akıyor İşkencedereleri
  
İki tabur askerle beklersin dozerleri
Ben köyümde büyüdüm
Bilmiyorum şehri
Vermedin insanlara, dozer kadar değeri
  
Traduction
                
Un caillou d’Eşkencidere dans mes mains.

Un jour, les larmes des mères t’étoufferont.

L’Eşkencidere coule pleine de boue à présent.
Tu as mis deux bataillons de soldats pour attendre les bulldozers. 
Je suis née dans un village ; je ne connais pas la ville.
Pour toi, les gens n’ont pas d’importance, mais les bulldozers, si !

   

Encadré 4

L’École de communication de la CLOC-Via Campesina

En 2020, la Coordination latinoaméricaine des organisations rurales (CLOC-Via Campesina) a organisé la cinquième édition de l’École continentale de communication, dans le cadre de son processus de formation technique, politique et idéologique à but organisationnel. Dans la suite de différentes éditions réalisées par plusieurs pays et toujours à l’intention des chargé.e.s de communication des organisations membres de la CLOC et de ses alliés historiques, l’École de 2020 s’est déroulée en ligne.

La CLOC est une articulation, au niveau continental, des organisations paysannes, autochtones, de femmes et de personnes d’ascendance africaine présentes dans 21 pays d’Amérique latine et des Caraïbes.

La cinquième édition de l’École a été l’occasion d’étudier le contexte actuel des enjeux de communication. En effet, d’un côté, la communication sert d’instrument de manipulation à l’impérialisme à l’encontre de pays progressistes et des mouvements sociaux, tandis que, d’un autre côté, elle peut être un outil populaire au service de la construction et du renforcement du mouvement paysan. Par ailleurs, l’École a permis d’approfondir le concept d’internationalisme et ce qu’il implique pour les luttes des peuples.

Au cours des activités, les chargé.e.s de communication ont pris connaissance et évalué le travail mené par la CLOC sur le continent dans le domaine de la communication en tant que stratégie anti-hégémonique inscrite dans la lutte des classes et au service de la souveraineté alimentaire, de la réforme agraire ainsi que de l’agroécologie.

Des ateliers pratiques furent aussi organisés et permirent de réunir les facilitateurs et facilitatrices experts ainsi que les militant.e.s des organisations de la CLOC et de ses alliés, comme les Mouvements ALBA, la Journée continentale pour la démocratie et contre le néolibéralisme, Radio Mundo Real, Código Sur, sans oublier les chargé.e.s de communication ayant travaillé pour d’anciens gouvernements progressistes, tels que celui du Brésilien Luiz Inácio Lula da Silva.

Les ateliers ont permis aux chargé.e.s de communication de renforcer leurs capacités dans des domaines comme la photographie, la vidéo, l’audio, le graphisme, les réseaux sociaux, les bulletins d’information ou la communication interne.

« Ce fut un espace important pour l’échange de connaissances et leurs mises à jour, particulièrement au regard des nombreuses activités que nous réalisons en tant que militant.e.s et chargé.e.s de communication au sein de nos organisations. Dans l’ensemble, cela a répondu à nos attentes, bien que rien ne soit jamais suffisant lorsqu’il s’agit d’améliorer notre travail et contribuer à la grande bataille des idées sur le plan de la communication ».

– Participante de la cinquième École de communication de la CLOC.

Le très riche processus de formation en communication populaire réalisé lors de cette cinquième École a débouché sur de très nombreux apprentissages, sur l’identification de plusieurs défis et surtout sur un collectif qui ne cesse d’élargir ses rêves et espoirs porteurs de transformation et qui se renforce dans l’esprit révolutionnaire et internationaliste.

Communiquer pour construire et transformer. Unité, lutte et résistance dans nos territoires pour le socialisme et la souveraineté de nos peuples !

Sous les feux de la rampe

Sous les feux de la rampe

Le rôle de la communication rurale populaire dans les luttes des peuples

Dans toute lutte, la communication constitue un outil fondamental mais qui s’avère absolument essentiel pour les luttes disséminées sur l’ensemble d’un territoire. La lutte paysanne peut physiquement couvrir des milliers de kilomètres entre personnes, mais elle est unifiée. En zone rurale, la communication populaire remplit plusieurs fonctions : transmettre les connaissances, résister aux grands groupes de média privés, reconnaître d’autres communautés, aller là où les médias dominants ne vont pas, travailler à partir de la solidarité, contribuer à l’éducation populaire et appuyer la lutte.

Nous avons interrogé plusieurs personnes sur la question de la communication rurale populaire : Viviana Catrileo, du Chili, dirigeante de l’Association nationale des femmes rurales et autochtones (ANAMURI) qui est membre de la Coordination latinoaméricaine des organisations rurales (ou CLOC-La Via Campesina) ; Elizabeth Mpofu, du Zimbabwe, coordinatrice générale de La Via Campesina ; Anuka De Silva du Mouvement pour la terre et la réforme agricole au Sri Lanka (MONLAR) et membre du Comité de coordination internationale (CCI) de La Via Campesina, ainsi que du média paysan Visura Radio.

« La communication rurale populaire existe sous différentes formes et s’appuie sur nos traditions de populations paysannes et peuples autochtones. Celles-ci englobent les chansons paysannes, les misticas, la peinture, l’art, la danse, entres autres », explique Elizabeth Mpofu au sujet du rôle joué par la communication au sein des communautés. Cette communication est essentielle pour les échanges entre générations et vise plusieurs objectifs : « Il s’agit non seulement d’affirmer notre identité et notre appartenance, mais aussi de perpétuer notre harmonie avec la Terre Mère, notre source de vie, notre gratitude à l’égard des sources d’alimentation, et de préserver la dignité de l’humanité et le respect envers elle ».

Conter les histoires de lutte et de résistance, transmettre les leçons et enseignements à propos des formes d’organisations et de sociétés sont des fonctions essentielles. Particulièrement lorsque, comme le décrit Viviana Catrileo, « la modernité et les conceptions capitalistes du développement détruisent la valeur de la vie pluridimensionnelle dans nos territoires, sa diversité culturelle et spirituelle, en lien avec la philosophie du kvme mogen, ou ‘vivre bien’, exprimée à son maximum ».

Selon Anuka De Silva, il faut des médias populaires car les populations n’ont pas de place au sein des médias de communication de masse et n’y ont, bien souvent, pas accès non plus. « Nous avons vraiment besoin de construire un groupe solidaire de médias forts pour la lutte des peuples », ajoute-t-elle.

La communication populaire relie les personnes, unit les luttes, encourage la solidarité et traverse les frontières. Citant l’expérience de La Via Campesina, Elizabeth Mpofu raconte que le slogan de ce large mouvement mondial, ‘Globalisons la lutte ! Globalisons l’espoir !’, s’est concrétisé grâce aux médias citoyens et locaux qui « ont créé un réseau solidaire mondial et forgé des alliances ». « Grâce au travail d’éveil des consciences réalisé par les médias alternatifs, nous avons pu élargir et relier nos luttes, et construire le mouvement pour la souveraineté alimentaire », ajoute-t-elle. Au Sri Lanka, Visura Radio aide à diffuser les connaissances des paysan.ne.s, à formuler les problèmes liés à la santé et l’environnement, ainsi qu’à relayer les témoignages montrant qu’il est possible de construire une réalité plus vivable et ses avantages. Voilà comment elle contribue au renforcement et au développement de la souveraineté alimentaire.

Mais toute initiative défiant le pouvoir fait inévitablement face à des risques et des difficultés. Anuka De Silva raconte qu’« ici, l’armée est au pouvoir et tente de nous contrôler ; nous avons reçu des menaces par rapport à notre sécurité ». Viviana Catrileo souligne aussi qu’« il est de plus en plus dangereux et difficile de rêver et de communiquer à partir d’un angle anti-hégémonique surtout lorsque ce sont nous, les pauvres et les spoliés, qui entendons faire notre propre communication comme alternative au modèle néolibéral » . Et d’ajouter : « La criminalisation des contestations sociales retombe aussi sur les médias populaires et les personnes qui y travaillent car eux aussi représentent une menace pour l’ordre établi ».

De même, le maintien de l’indépendance économique ou le manque de moyens matériels sont des difficultés importantes. La gestion du temps et le nombre insuffisant de personnes pour réaliser le travail (très souvent les salariés n’ont pas de ressources) sont aussi des questions que les médias populaires doivent surmonter pour continuer leur travail.

La communication s’inscrit dans un tout. Selon Elizabeth Mpofu, elle fait partie des ingrédients qui contribuent au plat final. « La Via Campesina est comme une marmite qu’on cuisine et où l’on mélange et associe différents ingrédients pour obtenir un bon plat sain et savoureux ; la personne qui le déguste peut identifier chacun des ingrédients tout en appréciant l’ensemble qu’ils constituent. Voilà l’importance qu’accorde La Via Campesina à la communication rurale populaire : elle englobe et épouse toute la diversité pour construire une voix collective ».

Dans cette diversité se trouve l’intersection des luttes, le besoin d’une communication populaire, rurale et depuis un angle féministe. « Ce féminisme qui cherche à rendre justice aux femmes dans la lutte historique des peuples et leurs révolutions est une invitation à ajouter les voix que les sociétés patriarcales ont rendues anonymes et marginales pendant des siècles. », assure Catrileo. Elle souligne aussi l’intersection avec le territoire : « Les luttes paysannes et populaires dans lesquelles nous nous inscrivons en tant que femmes s’expriment de façon claire dans les territoires, le respect et les soins apportés à la Terre Mère ainsi que dans la défense de la biodiversité dont dépend l’équilibre de la nature ».

La communication rurale populaire est un élément clé dans la lutte des peuples. Elle accompagne, construit, diffuse et unit les luttes tout en enseignant à vivre selon d’autres modes. « À chaque rencontre de La Via Campesina, nous chantons, dansons, faisons des misticas et échangeons des informations d’une manière qui encourage non pas la concurrence entre les membres mais plutôt la complémentarité », conclut Elizabeth Mpofu.

Bulletin n° 44 – Éditorial

La communication au service de la souveraineté alimentaire : culture des peuples et éducation populaire

Illustration : Chille et Yemee, École d’agroécologie Amrita Bhoomi, Inde.

La souveraineté alimentaire, parmi les multiples idées qu’elle comprend, consiste à défendre la foultitude de diversités qu’abrite notre planète et à célébrer les millions de pratiques, goûts, cultures et coutumes qui sont les nôtres. Le rôle que jouent les cultures rurales populaires des personnes pratiquant l’agriculture paysanne, l’agriculture familiale, la pêche artisanale et issues de peuples autochtones est un pilier important de cette lutte pour la souveraineté alimentaire. Ces populations sont les dépositaires d’une tradition riche et variée de formes de communication orales et visuelles, que ce soit à travers le folklore, les contes et légendes, les proverbes et chansons, les peintures murales et bien d’autres. Ces différentes formes de communication servent aussi à se souvenir et à garder une trace des histoires de lutte et de survie humaines.

Or, aujourd’hui, cette diversité se trouve menacée. Tout comme le modèle agroindustriel impose une vision homogène et unique du système agroalimentaire mondial, l’ensemble « internationalo-industrio-médiatique » a lui aussi produit une forme centralisée et unique de communication du courant dominant. Aujourd’hui, une poignée de multinationales contrôle la plupart de ce que nous lisons ou regardons, ainsi que les façons dont les gens accèdent à l’information.

Malgré ces défis, les populations et communautés organisées, partout dans le monde, résistent à cette marginalisation de la culture des peuples. La présente édition du Bulletin Nyéléni parle des démarches de communication populaires et dirigées par les communautés, dans toute leur richesse et s’inspirant de la culture, du contexte ainsi que des symboles locaux. Ce bulletin explore le caractère central de ces approches en matière de pédagogie au sein des populations paysannes, d’agriculteurs familiaux, artisans pêcheurs et peuples autochtones, ainsi que leur aspect crucial concernant la formation politique et l’éducation populaire mais également comme élément essentiel dans notre lutte pour la souveraineté alimentaire.

Les Amis de la Terre International, Real World Radio et La Via Campesina

L’écho des campagnes

L’écho des campagnes 1

Travailleurs dans l’agriculture et l’alimentation

Extraits de Faire Entendre les Voix du Terrain pages 9-13    

Durant la pandémie, les autorités gouvernementales ont qualifié les travailleurs agricoles et du secteur alimentaire de « travailleurs essentiels », ce qui signifie qu’ils ont dû continuer à travailler dans des conditions dans lesquelles ils sont traité comme facilement remplaçables, les employeurs négligeant souvent de mettre en place des mesures de protection adéquates[1]. Le travail qu’ils font est essentiel ; leur santé et leur vie, il semble au contraire, ne le sont pas. C’est le cas des ouvriers des chaînes d’approvisionnement alimentaire qui participent à nourrir la planète – mais qui, paradoxalement, sont le moins à même de se nourrir eux-mêmes parce que leur salaire ou revenu est insuffisant pour assurer leur sécurité alimentaire par l’accès à une nourriture suffisante, saine et nourrissante.  Les risques sont élevés dans les industries alimentaires et agricoles en raison de faiblesses systémiques. 5% seulement des ouvriers agricoles bénéficient d’un système d’inspection du travail ou d’une protection légale de leur droit à la santé et à la sécurité. Les foyers de COVID-19 dans des usines de transformation de la viande à travers le monde donne la meilleure illustration des risques élevés et du prix payé par les ouvriers de la viande en assurant l’approvisionnement alimentaire des marchés, magasins, supermarchés, cantines, restaurants, cafés et bars. Des dizaines de milliers d’ouvriers dans les usines de transformation de la viande ont attrapé la maladie à cause d’une combinaison de facteurs : des mauvaises conditions de travail souvent majoritairement des travailleurs migrants, des conditions de travail et de santé et sécurité fréquemment insuffisantes et surpeuplées, et dans certain cas, des conditions d’habitation insalubres[2].  L’industrie mondiale de la transformation de la viande est contrôlée par un petit nombre de grandes multinationales avec un pouvoir important sur les ouvriers et les gouvernements. COVID-19 a mis en évidence comment les entreprises utilisent leur poids politique pour influencer les gouvernements[3]. Alors que des bénéfices colossaux sont réalisés et des dividendes sont payés aux actionnaires, la pandémie est utilisée pour geler les salaires et les avantages de la protection sociale.

Pour plus d’information: Le COVID-19 et ses répercussions sur l’agriculture et la sécurité alimentaire.

Instruments et outils de l’OIT en agriculture :

  • Convention sur l’inspection du travail (agriculture), 1969 (nº 129)
  • Convention sur le droit d’association (agriculture), 1921 (nº 11)
  • Convention sur les plantations, 1958 (nº 110)
  • Convention sur les organisations de travailleurs ruraux, 1975 (nº 141)
  • Convention sur la santé et la sécurité dans l’agriculture, 2001 (nº 184)
  • Recommandation sur les socles de protection sociale, 2012 (nº 202)
  • La sécurité et la santé dans l’agriculture. Recueil de directives pratiques, 2011

L’écho des campagnes 2

Paysans et petits exploitants familiaux

Extraits de Faire Entendre les Voix du Terrain pages 20-24

Les associations de paysans/petits agriculteurs familiaux soulignent que la pandémie a révélé l’insoutenabilité et les insuffisances du système alimentaire global contrôlé par des grandes entreprises, et les inégalités et faiblesses qu’il reproduit. Les mesures de confinement ont impacté de manière disproportionnée les paysans et leurs communautés et d’autant plus les pauvres et les classes ouvrières. Les Etats ont profité de la pandémie pour exercer un contrôle autoritaire plus étendu sur les populations. On a observé une croissance des cas d’expropriation des terres et des ressources en eau, des assassinats de leaders sociaux, ainsi que des violences domestiques à l’encontre des femmes. La pandémie a été utilisée comme une opportunité pour avancer des réformes néolibérales et pro-entreprises dans des pays de toutes les régions. Les fermetures de marchés locaux (fermiers, hebdomadaires,  marchés de village etc.) tout en gardant les supermarchés ouverts ont eu des effets désastreux sur les moyens de subsistance des petits producteurs, et n’ont pas étaient justifiées par les besoins de sécurité.

Paysans at agriculteurs familiaux ont été à l’origine de la mise en place d’initiatives et mécanismes pour les personnes et communautés vulnérables. Les associations de paysans ont organisé des campagnes de dissémination d’information sur la prévention de la contagion, ont appelé à des mesures pour protéger les ouvriers agricoles et du secteur alimentaire, et dénoncé les violences contre les leaders et les peuples, en particulier les femmes. Ils ont appelé à des changements radicaux des systèmes alimentaires pour davantage d’équité et durabilité, et des politiques publiques sociales adéquates et des mécanismes de protection des plus vulnérables. Celles-ci comprennent la production domestique d’aliments pour la consommation domestique ; des marchés territoriaux avec des chaines d’approvisionnement courtes et des liens efficaces entre zones rurales et urbaines ; l’agroécologie ; une régulation des prix en faveur des producteurs plutôt que des intermédiaires ; l’accès aux et le contrôle des ressources naturelles par les producteurs ; des aides aux fermes familiales et aux associations de femmes et des financements directs de leur organisations ; et des mesures financières adaptées y compris des taux d’intérêts bas à crédit.

L’écho des campagnes 3

Pecheurs

Extraits de Faire Entendre les Voix du Terrain pages 14-17

Des millions d’hommes et de femmes sont directement impliqués dans la pêche artisanale, y compris la transformation et la commercialisation du poisson et dépendent du poisson comme source saine et abordable de protéine. Les pécheurs rapportent que les confinements indiscriminés démontre une tendance préexistante à minimiser le rôle du poisson dans les systèmes alimentaires. En même temps, les mesures de distanciation sociale et la fermeture des marchés locaux ont empêché de nombreux petits pêcheurs d’aller pêcher. La stigmatisation en raison du virus des marchés de produits frais où le poisson est souvent commercialisé a aussi créé des problèmes. Les femmes représentent 80 à 90 % du secteur post-récolte et travaillent à proximité des installations de traitement et de vente au détail, ce qui les expose à un risque plus élevé de contracter le COVID-19. Dans les usines de transformation du monde entier, les femmes ont tendance à occuper des postes temporaires et moins bien rémunérés, n’ont pas accès aux protections sociales après avoir perdu leur emploi, sont plus susceptibles d’être licenciées et ne peuvent pas défendre leurs droits au travail. Beaucoup de pêcheurs migrants ont étés bloqués sur des bateaux ou dans les ports, incapables de rentrer chez eux, vivant dans des conditions de vie exiguës sans eau ni nourriture adéquates. Pendant ce temps, les bateaux-usines congélateurs, et ceux qui pratiquent la pêche industrielle pour produire de la farine de poisson sont autorisés à poursuivre leurs activités. D’autre part, il y a de nombreux exemples de communautés de pêcheurs qui ont contribué à remédier à l’insécurité alimentaire des populations dans leurs communautés. À Oaxaca, au Mexique, les pêcheurs locaux ont donné leur temps et utilisent leurs bateaux pour fournir chaque semaine 50 à 60 tonnes de produits de la mer gratuitement à leurs communautés . Dans le Kwazulu-Natal, en Afrique du Sud, ils se sont organisés pour fournir 100 colis de nourriture aux plus démunis.

L’écho des campagnes 4

Peuples Autochtones

Extraits de Faire Entendre les Voix du Terrain pages 17-19

Les associations de peuples autochtones ont rapporté que le COVID-19 a aggravé de nombreux problèmes structurels préexistants tels que le manque d’infrastructures de base : eau, électricité, routes non-goudronnées. Les effets sur la santé des populations autochtones en raison de la pollution engendrée par les mines situées sur leurs territoires exacerbent l’injustice, la discrimination, les inégalités, les violations du droit à l’alimentation et à la nutrition, du droit à la santé et d’autres droits de l’Homme qu’elles subissaient déjà. La perte de la biodiversité et des habitats où vivent de nombreuses populations autochtones génère les conditions nécessaires au développement de maladies infectieuses telles que l’actuel COVID-19.

Les principales activités des peuples autochtones – production agricole de subsistance, pêche à petite échelle, élevage et cueillette – ont été affectés par les mesures de confinement.

En certains endroits, une eau propre et des installations sanitaires simples ne sont pas disponibles dans les communautés, augmentant leur vulnérabilité. Face à cette situation, les peuples autochtones ont mis en place leurs propres initiatives de contrôle sanitaire, par le biais de pratiques ancestrales ou actuelles. Des jeunes voix autochtones témoignent : «  la pandémie a révélé les inégalités, la discrimination, la sectorisation, la division des classes et les fondamentalismes des sociétés dominantes envers les peuples autochtones ». De même, «on constate des actes de criminalisation lorsqu’ils défendent leurs droits. Ceci est également une pandémie ». En regardant vers l’avenir, les peuples autochtones sont clairs qu’ils continueront à promouvoir la souveraineté alimentaire, la souveraineté traditionnelle, garantir un logement décent, relancer leurs formes traditionnelles d’aide sanitaire, promouvoir des actions de protection des personnes âgées détentrices de savoirs traditionnels avec une approche anticoloniale et une responsabilisation. Ils doivent préserver les pratiques communautaires, les pratiques traditionnelles.

L’écho des campagnes 5

Pasteurs

Extraits de Faire Entendre les Voix du Terrain page 41

Les associations pastorales de 12 pays d’Afrique de l’Ouest ont noté que le COVID-19 a renforcé des crises multiples affectant des territoires déjà fortement touchés par l’insécurité qui règne dans la région depuis plusieurs années.

L’un des risques est la mort du bétail en raison de la limitation des déplacements et des migrations saisonnières. La migration saisonnière est une pratique développée pour faire face aux chocs. S’ils ne peuvent pas la pratiquer, l’ensemble de leurs mécanismes de résilience sera menacé et nous risquons d’assister à une récurrence de la famine entraînant un éclatement des familles et un exode massif vers les centres urbains.

On pourrait observer une recrudescence des conflits ruraux et une réduction significative de l’offre de protéines animales pour les populations locales.

D’autres pasteurs en Iran et en Mongolie font aussi face à l‘impact des mesures de confinement. Le report de la migration saisonnière pourrait entraîner une perte de poids et des maladies chez le bétail en raison de la hausse des températures dans les zones d’hivernage, ainsi que des dépenses supplémentaires pour l’achat d’aliments et d’eau. Les éleveurs ne peuvent plus vendre les matières premières, notamment la laine, le cachemire, ainsi que les produits carnés parce que les marchés locaux, les usines et les lieux touristiques sont fermés.

L’écho des campagnes 6

Urbains précaires en situation d’insécurité alimentaire

Extraits de Faire Entendre les Voix du Terrain page 25-29

L’incidence des infections par le virus COVID-19 est plus élevée dans les villes qu’ailleurs, où les inégalités socio-territoriales dans les zones urbaines contribuent de manière significative aux inégalités dans l’accès à une alimentation adéquate. Les consommateurs qui achètent leurs aliments dans les supermarchés ont vu leur approvisionnement gravement perturbé, en particulier au début de la pandémie du Covid-19. En outre, il a été constaté une augmentation de la consommation de produits industrialisés, de faible qualité nutritionnelle. L’un des programmes publics de sécurité alimentaire et nutritionnelle les plus pertinents, qui a été abandonné dans de nombreuses villes, est l’alimentation scolaire. Une enquête de la FAO montre que parmi les villes ayant répondu à une enquête électronique, 88% ont déclaré avoir suspendu l’offre de repas fournis aux élèves. En revanche, la livraison aux consommateurs dans le cadre de l’agriculture soutenue par la communauté (AMAP) a été autorisée unilatéralement dans tous les pays, même lorsque d’autres formes de vente directe ont été arrêtées, principalement parce que les aliments ne sont pas emballés et sont manipulés en toute sécurité par les producteurs.

L’écho des campagnes 7

Les femmes

Extraits de Genre, COVID-19 et systèmes alimentaires : impacts, réponses communautaires et revendications politiques féministes.

Nous pensons que le droit à l’alimentation, la sécurité alimentaire et la nutrition ainsi que la souveraineté alimentaire ne seront jamais réalisés sans assurer le plein respect, la protection et la réalisation des droits des femmes et le démantèlement des relations de pouvoir patriarcales, féodales et néolibérales.

Nous voulons aller au – delà de l’ objectif universellement accepté d’égalité entre les sexes et d’autonomisation des femmes, qui n’affirme pas explicitement la centralité des droits des femmes, la reconnaissance de notre autodétermination, de notre autonomie et de notre pouvoir de décision dans tous les aspects de notre vie et de notre corps, y compris la nourriture que nous produisons et consommons. Nous reconnaissons, à la lumière de cette pandémie, la nécessité de déconstruire le discours dominant sur les femmes qui sont très souvent présentées comme des victimes ayant besoin de politiques de lutte contre la pauvreté et d’aide sociale.

Nous considérons que le système alimentaire mondial actuel est construit sur la discrimination fondée sur le sexe et la violation des droits des femmes et qu’il perpétue ces pratiques. Afin de parvenir à une société juste et équitable dans laquelle les femmes peuvent pleinement jouir de leurs droits et de leur autodétermination, nous devons mettre au centre le modèle alternatif de consommation et de production fondé sur l’agroécologie et le paradigme de la souveraineté alimentaire.

Nous considérons que toute revendication politique doit être fondée sur des principes féministes clés tels que la justice, l’égalité et l’équité entre les genres, la non-discrimination et l’intersectionnalité, la participation et la reconnaissance.

L’écho des campagnes 8

La jeunesse

Extraits de La jeunesse exige une transformation radicale de nos systèmes alimentaires.

Le Covid-19 et les réponses des gouvernements ont des effets dévastateurs sur les jeunes et sur nos communautés dans le monde entier. Nous subissons les effets combinés d’une crise sanitaire aiguë, d’une crise alimentaire actuelle et imminente, et d’une crise climatique – qui sont toutes des conséquences de crises systémiques bien plus larges.

En cette période de crises multiples, les jeunes sont confrontés à plusieurs défis. Alors que les marchés échouent, que les écoles ferment et que les emplois disparaissent, nous voyons les opportunités disparaître et notre avenir s’effriter. Cependant, nous ne restons pas les bras croisés.

En tant que communauté de jeunes du monde entier, nous sommes actifs dans le développement de solutions aux défis auxquels nos communautés sont confrontées : nous nous organisons pour continuer à fournir une alimentation à nos communautés et à prendre soin des personnes âgées ainsi que de nos enfants ; nous réduisons la distance entre le producteur et le consommateur ; nous défendons les programmes d’alimentation scolaire et les marchés locaux ; nous reconstruisons les économies et les territoires ruraux, en veillant à ce que les jeunes puissent rester et revenir à la campagne ; nous prenons soin de la terre et la soignons en cultivant des aliments nourrissants grâce à l’agroécologie ; nous nous opposons à la violence domestique contre les femmes et les filles ainsi qu’au racisme, à l’homophobie, à la xénophobie et au patriarcat ; et nous défendons les droits des travailleurs et des migrants ainsi que les droits des populations rurales. Nous imaginons également de nouvelles façons d’organiser le monde : en envisageant des systèmes alimentaires sains, durables et dignes, et en prenant des mesures pour les réaliser.


[1] En Anglais.

[2] En Anglais.

[3] https://www.oxfam.org/fr/publications/covid-19-les-profits-de-la-crise

Encadres

Encadré 1

COVID- 19 souligne pourquoi les chaînes mondiales d’approvisionnement alimentaire contrôlées par des entreprises doivent disparaître

La pandémie du COVID-19 a montré la fragilité des chaînes mondiales d’approvisionnement alimentaire qui ont de manière croissante dominé la production et la distribution alimentaires autant dans le Nord que dans le Sud au niveau mondial.  La chaîne s’est déjà brisée dans l’un de ses maillons les plus critiques : le travail des migrants. Les travailleurs ont été victimes du COVID-19 du fait qu’ils n’avaient pas le matériel de protection de base , comme des masques, et qu’ils travaillent dans des conditions de surpeuplement qui se moquent des règles de distance sociale. Mais la chaîne d’approvisionnement mondial n’est pas seulement menacée par des problèmes au niveau de la production et de la transformation mais aussi par des goulets d’étranglement au niveau du transport et en particulier dans des centres comme Rosario, en Argentine, en raison de la peur des gens de ce que le transport de longue distance soit un transmetteur majeur du virus. La crise alimentaire mondiale de 2007-2008 aurait dû souligner la vulnérabilité des  chaînes d’approvisionnement mondiales contrôlées par des entreprises mais elles se sont étendues davantage.

Quels changements du système alimentaire mondial s’imposent à nous suite à cette débâcle du COVID -19 ? La mesure, sans doute la plus importante, est de rendre la production alimentaire dans les mains de systèmes durables de petits producteurs locaux. De plus, la production locale, moins intensive en carbone, est meilleure pour le climat que la production basée sur des chaînes d’approvisionnement.

Les technologies de l’agriculture paysanne traditionnelle et autochtone devraient être respectées car elles sont pleines de sagesse et représentent l’évolution d’un équilibre largement favorable entre la communauté et la biosphère. On dit qu’il ne faut pas rater l’occasion d’une bonne crise. Le bon côté de la crise du COVID-19 est l’opportunité qu’elle représente pour la souveraineté alimentaire.

Article complet.

Encadré 2

Relocalisation des systèmes alimentaires et agroécologie, les pistes à suivre

La crise du COVID-19 a démontré la résilience des systèmes alimentaires locaux et des filières courtes d’approvisionnement. Ceux-ci sont davantage capables d’innover en temps de crise tout en nourrissant les gens avec des aliments locaux et sains sans être dépendants d’un grand nombre de liens dans la chaîne d’approvisionnement.

Les initiatives les plus efficaces pour lutter contre les crises du COVID sont nées de diverses communautés locales organisées à différents niveaux, travaillant parfois avec des instances gouvernementales coopérantes et des autorités publiques.  Elles ont mobilisé et organisé la distribution de parcelles de terre, de repas cuisinés, livrés des biens essentiels, du matériel de protection sanitaire, des semences, des intrants de production et d’autres aides de subsistance pour les familles et les communautés vulnérables, dans leur propre pays tout comme dans d’autres pays et régions.

Dans chaque région, les fermes familiales, les pêcheurs, les organisations de consommateurs ont créé et renforcé des liens directs entre l’agriculture communautaire (AMAP), les pêcheries communautaires ainsi que des livraisons directes aux ménages, l’extension de coopératives alimentaires et les programmes sociaux. Là où c’était possible, les producteurs ont utilisé des plateformes en ligne pour vendre leur produit en direct. Des plans d’aide mutuelle comme les soupes populaires  jusqu’aux AMAP et cliniques communautaires ont aidé à pallier la faim et la pauvreté.

Les propositions les plus importantes pour un changement systémique exigées par ces communautés sont : l’agroécologie et la relocalisation des systèmes alimentaires – encourageant la production agroécologique-, l’économie sociale et la protection sociale, la vente en coopérative et les circuits courts d’approvisionnement, ainsi que l’assurance d’un environnement de travail sûr et le fonctionnement adéquat de marchés alimentaires territoriaux, de même que d’autres moyens de fournir des denrées alimentaires produites localement par de petits producteurs notamment via des marchés publics.