Encadres

Encadré 1

Le Tribunal permanent des peuples (TPP) au Mexique

« Libre échange, guerre sale, impunité et droits des peuples »

Le TPP (à l’origine, Tribunal Russell) a été créé pour juger les crimes des Etats-Unis au Vietnam. Il a par la suite permis le jugement des dictatures du cône austral et est devenu un « tribunal permanent » dans lequel les peuples peuvent exprimer à leur manière les injustices qu’ils subissent. Ils sont acteurs dans son processus et dénoncent les responsables du chaos et de la souffrance.
C’est en 2011 que le TPP s’est installé au Mexique suite à une pétition de centaines d’organisations paysannes, ouvrières et de la société civile. Ces dernières accusent l’Etat mexicain de détournement de pouvoir, autrement dit, l’utilisation de ses prérogatives dans l’intérêt des entreprises au détriment des citoyens qui ne peuvent plus obtenir justice.
Le détournement de pouvoir se divise en sept branches découlant de l’ordre imposé par le libre-échange : les violences perpétrées contre les travailleurs, celles contre les travailleurs migrants, la censure et la violence contre les moyens de communication, la dégradation environnementale, la violence contre le maïs et l’autonomie des peuples, la violence liée au sexe, la guerre sale et l’impunité.
Pour ce qui est de l’autonomie des peuples, le problème réside dans la spoliation des fondements de leur existence, à savoir le maïs, aliment vital et noyau de la défense territoriale. C’est peut-être la première fois qu’un jury international assume l’intégralité de l’attaque et les relations compliquées entrant en compte dans cette spoliation : la souveraineté alimentaire, l’expulsion de migrants et l’accaparement des terres et des biens communs. Le TPP a recommandé au Mexique une sortie de l’Accord de libre-échange nord-américain. Sans cela, la souveraineté nationale et l’autonomie ne sont pas envisageables, l’interdiction du maïs transgénique est elle aussi irréalisable, même s’il porte atteinte à une civilisation pleine d’avenir. Le tribunal a conclu que le Mexique ne respectait pas le Statut de Rome pour cas de génocide et il a mis la lumière, au niveau international, sur les abus des gouvernements contre les peuples.
Le TPP ouvre des espaces de dialogue et de relation où les personnes lésées peuvent systématiser leur expérience et redevenir des acteurs centraux. Il encourage la lutte et fomente la sensation de réussite et d’assurance en laissant la parole aux victimes dans un environnement de confiance.

Encadré 2

Atlas de la justice environnementale

L‘Atlas de la justice environnementale comporte des cartes thématiques et régionales répertoriant les conflits socio-environnementaux du monde entier. La plupart des faits repris dans l’atlas se concentrent sur des situations où les communautés sont mobilisées et se battent pour une justice environnementale.

Les faits marquants du recensement révèlent que :
1. Les conflits écologiques sont en hausse dans le monde entier. Ils sont entraînés par les demandes matérielles nourries essentiellement par les classes les plus riches de la population mondiale. Les communautés démunies et marginalisées en sont en revanche les principales victimes (…).
2. Les nouvelles et anciennes méthodes d’extraction (fracturation hydraulique, services écosystémiques) sont en expansion. La plupart de ces exploitations de ressources se concentre sur les derniers écosystèmes de la planète jusque là préservés, généralement occupés par des communautés indigènes et pratiquant une économie de subsistance.
3. La tendance actuelle à créer des enclos provoque une destruction environnementale inconsidérée et irréversible comme la contamination et l’épuisement de l’eau, la dégradation des terres et le rejet de substances toxiques dangereuses ainsi que la perte du contrôle des communautés sur les ressources nécessaires à leur subsistance. (…)
4. Un réseau varié d’acteurs est impliqué dans ces injustices environnementales, notamment des entreprises déjà actives dans l’investissement de grande envergure dans les ressources ainsi que des nouveaux acteurs financiers. (…) Cependant la résistance populaire ne se fait pas attendre. En effet, les communautés se battent pour regagner le contrôle de leurs ressources et revendiquent leur droit à un environnement sain. Les actions prennent différentes formes comprenant, d’une part, des méthodes légales tels que les affaires judiciaires, les activités de lobbying auprès des gouvernements et les référendums et, d’autre part, les mobilisations informelles comme les manifestations dans la rue, les blocus économiques et l’occupation des terres.
5. Les sociétés continuent à bénéficier d’une vaste impunité pour ce qui concerne la violation des droits environnementaux et humains. De plus, les entreprises poursuivent leurs activités au milieu de protestations citoyennes véhémentes qui se heurtent parfois à des services de sécurité privés et à des gouvernements favorables à la suppression de la résistance. Cette persécution croissante et cette prise pour cible brutale des activistes environnementaux ébranlent les droits de l’homme. (Bulletin Nyéléni n° 14: Droits et Répressions).
6. Les seuls moyens de faire cesser la propagation des conflits écologiques dans le monde sont la responsabilité d’entreprises grandissante, opposée à la responsabilité d’entreprises volontaire, et la réduction de la consommation. La surveillance et la mobilisation continue de groupes citoyens demeurent également essentielles.
7. Parmi les histoires de dévastation et de pollution environnementales, il existe toutefois de nombreux cas de victoires en termes de justice environnementale. (…) La résistance populaire des communautés touchées constitue la pierre angulaire d’une économie plus durable et plus égalitaire.

Sous les feux de la rampe

Nous, les gens ordinaires

Aujourd’hui et plus que jamais il est clair que les villages et les communautés sont encore bien présents et que les systèmes « dominants » veulent désespérément les contrôler. Ces gens ordinaires conservent leurs semences indigènes et, au sens le plus étendu, les cultivent pour leur propre communauté et, dans une large mesure, pour le monde entier. Ces gens résistent et revendiquent toujours plus un autogouvernement défenseur de leurs terres ancestrales. Ces communautés ont de tout temps mis leur vie au service de la planète en conservant un respect et un équilibre entre les plantes, les animaux et les sources d’eau, entre les « êtres naturels et spirituels », ainsi qu’en entretenant une mémoire et une présence de notre milieu de subsistance, de nos vivants comme de nos morts.

Combien nous sommes et ce que nous faisons

Un récent rapport de GRAIN [GRAIN, Affamés de terres: Les petits producteurs nourrissent le monde avec moins d’un quart de l’ensemble des terres agricoles, 2014] offre une révision approfondie des données de la structure agraire et de la production alimentaire à l’échelle internationale. Il en ressort six conclusions principales.
La première est que les paysans sont toujours ceux qui, grâce à leurs petites exploitations, produisent une grande partie de l’approvisionnement alimentaire mondial, principalement pour nourrir leur propre famille, leur communauté et les marchés locaux.

La seconde est que la majorité des exploitations du monde sont petites et continuent de rétrécir, suite à la myriade d’expulsions qui sévit. Si nous n’inversons pas cette tendance en résistant de manière à obtenir une réforme agraire intégrale, ces expulsions deviendront, et nous pouvons d’ores et déjà nous en rendre compte, encore plus brutales.
Toutes ces exploitations sont concentrées dans moins d’un quart de l’ensemble des terres agricoles. Et ce pourcentage ne cesse de diminuer. Voilà la troisième conclusion.

La quatrième certitude est qu’alors que les exploitations, les paysans et paysannes de toutes parts disparaissent, les grandes installations industrielles agricoles quant à elles s’agrandissent. Ces 50 dernières années, quelques 140 millions d’hectares (soit bien plus que la terre agricole chinoise) ont été monopolisés pour planter du soja, du palmier à huile, du colza, de la canne à sucre et du maïs, et ce, principalement à cause de la monoculture industrielle.

La cinquième conclusion affirme que techniquement, selon des données extraites de sondages nationaux provenant du monde entier, les petites exploitations sont plus productives que les énormes installations agricoles, malgré le fait que ces dernières disposent d’un pouvoir considérable et du recours à des grandes industries.
La sixième et dernière conclusion est que la majeure partie du monde paysan est constitué de femmes. Et malgré leurs contributions, elles sont sans cesse exclues, sans même avoir été considérées par les statistiques officielles. Ainsi, dès lors qu’il est question de contrôle des terres, elles subissent les discriminations.

Qui nous attaque

Nous devons reconnaitre qu’aujourd’hui, la vie rurale et la persistance et l’intégrité des communautés paysannes sont confrontées directement aux systèmes avides de relations, de richesses, de personnes, de biens communs et d’activités potentiellement lucratives et, au moyen des lois, de dispositions, de politiques, d’expansionnisme, de programmes, de projets et enfin d’argent. Tout ceci est rendu possible grâce à l’agro-industrie qui veut, avec des méthodes continuellement plus sophistiquées, produire (pas seulement des aliments) sur de vastes étendues de terre afin de récolter des grands volumes et en sortir avec de gros profits.

Sa logique industrielle engendre une violence terrible à l’encontre de la nature même des processus et des cycles vitaux de par son intégration verticale. Il s’agit là d’une course folle à l’ajout de valeur économique aux aliments en utilisant de plus en plus de procédés, depuis l’accaparement des terres en passant par les semences certifiées, les sols, leurs fertilisation et leur désinfection grandement chimique, le matériel d’exploitation, le transport, le nettoyage, le traitement, le conditionnement, le compactage, l’entreposage et de nouveau le transport pour enfin arriver aux marchés, supermarchés et enfin aux salles à manger.

Comme nous le savons déjà, cette série de procédés renforce le réchauffement qui lui-même accentue la crise climatique (presque 50% des gaz à effet de serre proviennent de ces mêmes procédés). De plus, ce système transnational et global subjugue d’une manière ou d’une autre les personnes qui y sont piégées. Nous parlons d’un système qui ne résout pas les problèmes alimentaires des communautés ou des villages mais qui pourtant utilise ces derniers pour effectuer les tâches les plus ignobles et les plus nuisibles de toute la chaîne et qui, en même temps, les enrôle dans un système agricole industriel qui dérobe le futur de leur labeur et réduit au semi-esclavage ce qui avant était créatif, digne et très consciencieux. Voilà pourquoi produire nos propres aliments indépendamment de ce système alimentaire mondial est devenu aussi politique et subversif.

Accaparement, mémoire et résistance

La relation directe entre la perte des terres et l’avancée de la suractivité minière, du pétrole, du gaz et de la monoculture est indéniable. Comme nous l’avons exposé dans cet éditorial, nous devons reconnaitre qu’il reste encore beaucoup à investiguer pour découvrir la réelle progression de l’extractivisme et de la fragmentation, du démantèlement et de la perte des territoires des paysans et des indigènes. Cependant, quelques preuves sont déjà là : au Mexique, 26% du territoire national appartient aux industries minières et en Colombie, 40% du territoire est lui aussi exploité. De plus, dans ce pays, « 80% des violations des droits de l’homme de ces dix dernières années ont eu lieu dans des régions minières et énergétiques et 87% des personnes déplacées proviennent de ces mêmes régions ». Au Pérou, 40% du territoire est déjà détenu par les industries minières. Ainsi, en parcourant chaque pays, ce qu’il faudrait commencer à faire de manière systématique, nous y découvririons des situations similaires, comme en République Démocratique du Congo ou le pire n’est pas mesuré en pourcentage de terres détenues mais en nombre de morts dus aux conflits miniers, principalement autour des diamants, du coltan et de l’or : plus de 7 millions de personnes ont été assassinées en moins de 15 ans.

Les conflits liés à l’eau sont eux aussi récurrents. En outre, selon un autre rapport de GRAIN [GRAIN, Ruée vers l’or bleu en Afrique : Derrière chaque accaparement de terres, un accaparement de l’eau, 2012.]: « En Afrique par exemple, une personne sur trois souffre de manque d’eau et le changement climatique ne fait qu’aggraver les choses. Le développement en Afrique de système de gestion des eaux indigène, hautement sophistiqué, pourrait aider à résoudre la crise, mais ce sont justement ces systèmes qui sont détruits par les accaparements de terres à grande échelle, sous prétexte que l’eau est abondante en Afrique, qu’elle est sous-utilisée et ainsi prête à servir pour l’agriculture d’exportation », et ce cas n’est bien évidemment pas isolé.

Bien au-delà des causes, qui vont des monocultures du système agroalimentaire industriel à l’extractivisme plus poussé et polluant de l’industrie minière, en passant par les centrales éoliennes, les puits de pétrole, les réserves de la biosphère et les projets REDD, le tourisme de masse et les développement immobiliers, les autoroutes, les barrages hydroélectriques colossaux, les transferts d’aquifères, les corridors multimodaux ou l’entrée soudaine d’une culture de délinquance et du narcotrafic de graines, les laboratoires ou le trafic, ce qui est bien réel, c’est qu’une attaque à notre mémoire territoriale est lancée car nos terres représentent un espace vital, elles sont les domaines communs nécessaire à la reconstruction et à la transformation de notre existence, elles sont l’étendue qui, grâce à nos savoirs partagés en une histoire commune, prend tout son sens.

Afin de provoquer le manque et la dépendance économique, les systèmes corporatifs, industriels ou multilatéraux ont encouragé une déstabilisation progressive qui cherche à empêcher les communautés, qui depuis toujours ont nourri le monde, de résoudre par leurs propres moyens leurs problèmes de santé, d’éducation et de survie. L’effet de cette précarité imposée se retrouve dans l’expulsion des populations qui fragilise leurs stratégies et réduit le poids de leur avenir.

C’est pourquoi la souveraineté alimentaire continue d’être aussi pertinente et encourageante en tant qu’outil d’autonomie et de défense territoriale, car elle ravive notre mémoire. En partant du niveau le plus bas, le communautaire, jusqu’en haut de l’échelle, il est évident que la production indigène d’aliments est une proposition vitale. Il est encore possible de mettre un terme à une telle injustice.

Bulletin n° 19 – Éditorial

La lutte des communautés pour défendre leur territoire

L’accaparement des terres arables mondiales s’étend de jour en jour.
Lorsque nous avons commencé notre étude à ce propos, nous avons attiré l’attention, pour diverses raisons méthodologiques, sur la prise de de contrôle des terres mondiales par les gouvernements de certaines nations qui arguent agir dans le seul but de résoudre le problème de l’insécurité alimentaire. Très vite, les différents groupes financiers (dont certains fonds de pension) se sont rués dans des processus de négociation, dévoilant le caractère spéculatif de bon nombre de ces réformes agraires et ouvrant ainsi le foyer de cette nouvelle chasse aux terres entrepreneuriale.
Nous avons toujours été conscients de l’étendue de l’accaparement des terres et de l’abomination qu’il représente, et ce, bien plus que ce que nous avons montré jusqu’ici.
Il ne s’agit pas seulement de l’exploitation pour des entreprises agricoles de monoculture de matières premières d’export ou de la délocalisation de la production alimentaire dans d’autres pays. L’accaparement des terres implique aussi l’extractivisme : l’eau, l’industrie minière, le pétrole, la déforestation, le narcotrafic, les services environnementaux et les projets REDD (ou des terres aliénées apparemment sous surveillance) et enfin toute la spéculation relative à ces derniers, à savoir le tourisme, le développement immobilier, l’urbanisation, la géopolitique, et bien plus encore.
Dans ce numéro de Nyéléni, nous voulons nous pencher un peu plus sur ce phénomène croissant et sur les possibilités que nous avons, depuis nos communautés, d’y résister.

GRAIN

L’écho des campagnes

L’écho des campagnes 1

Présentation de cas d’apprentissage horizontal qui ont réussi

Peter Rosset , La Via Campesina

« L’Université » ne se trouve plus au centre de la production des savoirs – si tant est qu’elle s’y soit jamais trouvée. Dans le monde actuel, la plus grande partie des nouveaux savoirs et même des théories, sur les alternatives au développement conventionnel et exclusif, sont produites par les mouvements sociaux.
J’ai eu l’opportunité de participer à l’un de ces processus d’auto-apprentissage de La Via Campesina (LVC). Dans ce cas précis, l’objet de l’analyse était le mouvement agro-écologique de l‘Association nationale des paysans de Cuba (ANAP-Via Campesina) dénommé campesino-a-campesino (de paysan à paysan). Il s’agit de l’un des meilleurs exemples de réussite dans la diffusion de l’agro-écologie dans la cadre de la souveraineté alimentaire. En un peu plus de dix ans, en utilisant délibérément une méthodologie sociale, l’ANAP a construit un mouvement social d’agro-écologie au sein de son organisation paysanne nationale. Ce mouvement arrive maintenant à inclure 50% des familles paysannes de Cuba qui utilisent peu ou pas d’intrants extérieurs à la ferme, leurs méthodes sont agro-écologiques et la contribution du secteur paysan à la production alimentaire nationale totale et relative est montée en flèche, stimulant ainsi la souveraineté alimentaire.
LVC et l’ANAP voulaient que les paysans reconstruisent leur histoire et analysent les facteurs de leur succès. Ils demandaient aussi que les résultats de cette analyse soit présentés sous un format qui, non seulement aide l’ANAP dans son processus interne mais aussi permette à d’autres organisations dans d’autres pays de tirer des enseignements utiles. Une petite équipe s’est déplacée dans toute l’île, a organisé des ateliers dans les coopératives paysannes afin d’écouter les paysans de ce mouvement, raconter et recréer leur histoire, tirant eux-mêmes les enseignements de leur expérience. L’équipe s’est chargée de recueillir les informations dans un livre qui est maintenant utilisé dans les écoles de formation de LVC et en soutien au travail de la campagne.
D’autres équipes de LVC sont maintenant engagées dans des processus d’analyse semblables, par exemple l’expérience du Mouvement paysan d’agriculture naturelle à zéro budget dans le sud de l’Inde, dans laquelle des millions de paysans indiens ont arrêté d’acheter des intrants chimiques et ont augmenté la production grâce à des méthodes autonomes et écologiques.

L’écho des campagnes 2

La souveraineté alimentaire dans les Andes

Maruja Salas

Ce document présente des personnes qui font partie de communautés autochtones, engagées dans la souveraineté alimentaire. Le pouvoir de la nature est omniprésent dans leur pensée et elles défendent leurs droits individuels et collectifs à une alimentation saine. Leur façon de s’exprimer est paisible, mais reste vague et quelquefois même énigmatique. Leur savoir commun est exprimé avec divers degrés de cohérence. Et pourtant, quand ces personnes parlent de leur vie, des soins, de l’agriculture, de la pêche, de l’élevage, c’est la joie qui ressort, avec une vision du monde où travail et célébration sont en harmonie. Il y a aussi une profonde spiritualité dans l’attention qu’elles portent aux signes émanant de la nature particulièrement envers les montagnes sacrées de l’Altiplano et la Terre Mère. Ces femmes et ces hommes utilisent avec aise le symbolisme de l’interprétation des rêves pour guider la sélection des semences, la cuisine, le stockage des aliments, veillant constamment sur le bien-être de la famille en suivant les règles traditionnelles. Vous trouverez de plus amples informations sur leur travail sur le site internet du Programme Andin pour la Souveraineté alimentaire.

Lucía Paucara

Lucía vient de Vilurcuni où elle a passé la plupart de ses 54 ans à travailler les champs et à ramasser des pommes de terre afin de nourrir sa famille. Les pommes de terre sont comme des enfants pour elle, elle célèbre toutes les étapes de leur croissance. Ses champs sont près du lac, elle produit donc plusieurs variétés de pommes de terre pour cuisiner les différents plats locaux : la patasca, le chayro et la watia. Sa famille immédiate et ses relations qui vivent à Lima et à Tacna, ne connaitront jamais la faim car elle produit assez de pommes de terre pour eux tous.

Presentación Velásquez

Presentación a appris avec sa grand-mère à cultiver les produits andins selon le système Aynoqas (une agriculture de rotation) ainsi qu’à repousser la grêle en mobilisant la communauté entière. Elle a promis à ses petites filles de continuer à travailler les champs jusqu’à sa mort pour que toute sa famille ait assez de pommes de terre et de céréales pour leur consommation personnelle sans avoir à en acheter au marché.

Domitila Taquila
Domitila vit à Aychullo, elle n’est pas née avec beaucoup de savoirs, dit-elle, mais elle a appris dans les champs avec sa grand-mère. Sa mère lui a appris à tisser et à cuisiner. Sa capacité à lire les indicateurs naturels lui a été révélée par des rêves. Aujourd’hui, elle enseigne à ses enfants les avantages des produits cultivés dans ses champs sur les denrées alimentaires contaminées vendues au marché.

Encadres

Encadré 1

Décoloniser la recherche et les relations : revitaliser les routes commerciales traditionnelles

Des spécialistes autochtones et des détenteurs des savoirs traditionnels en Colombie-Britannique, au Canada, mettent au point un protocole de recherche visant à orienter leur recherche collaborative. Le groupe de travail sur la souveraineté alimentaire autochtone (WGIFS) réunira d’importants spécialistes autochtones et des détenteurs des savoirs traditionnels autour du sujet des Grease Trails (routes commerciales traditionelles) afin de solliciter des contributions et des orientations pour développer sa stratégie et son protocole de recherche. Le projet de recherche Revitalizing Grease Trails (revitaliser les routes commerciales traditionnelles) a fait suite à une série de réunions de planification stratégique et au grand nombre de propositions de recherche reçues de nombreuses organisations et institutions consacrées à la recherche au Canada.
Un atelier pour discuter de la stratégie et du protocole de recherche tracera les grandes lignes des critères qui permettront au WGIFS d’entreprendre des recherches qui soient dans la ligne stratégique de la vision, des valeurs et des objectifs des communautés. Le protocole tracera les grandes lignes d’un processus éthique pour mener un travail interculturel (entre les cultures autochtones et non-autochtones) afin de décoloniser les méthodologies pour analyser la littérature sur le sujet et réaliser, au sein de la communauté, des entretiens qui feront la lumière sur des questions, des préoccupations, des situations et des stratégies pertinentes. Les stratégies de décolonisation des méthodologies vont des pratiques quotidiennes qui favorisent davantage de cultures, récoltes et partages des aliments autochtones, à un enjeu plus complexe de pensée critique et de refonte des cadres institutionnels et des méthodologies de recherche. Dans ce contexte, l’atelier constituera un espace et un temps pour concentrer le dynamisme et les idées qui mèneront au développement d’un modèle de protocoles culturellement pertinents pour placer les visions, voix, paradigmes et priorités autochtones dans les cadres institutionnels pour la recherche et le développement communautaire. La stratégie de recherche conduira à la génération d’un ensemble de connaissances qui, au final, permettront aux communautés autochtones de mener des recherches selon leurs propres termes et de répondre plus efficacement à leurs propres besoins en aliments adaptés à leur culture.

Encadré 2

Alliance ONG-universitaires pour la recherche sur le genre, la nutrition et le droit à l’alimentation

Alors que de si nombreuses voix appellent à inclure les femmes et à considérer la perspective du genre dans la sécurité alimentaire, pourquoi le statut des femmes et des filles ne s’améliore toujours pas? Cette question a conduit à la création d’une alliance entre les ONG et les universitaires afin de développer une approche ciblée sur le genre, la nutrition et le droit humain à une alimentation adéquate et à la nutrition. Les organisations de la société civile (FIAN International et l‘Association Genevoise pour l’Alimentation Infantile (GIFA), membre du réseau international des groupes d’action pour l’alimentation infantile (International Baby Food Action Network, IBFAN)) ont une longue expérience de recueil d’informations sur des cas de violations et d’atteintes au droit à une alimentation adéquate et à la nutrition, en collaboration avec les communautés touchées et les mouvements sociaux, et avec les compétences théoriques et en matière de recherche sur le sujet du groupe de recherche sur les droits à la nutrition et le genre, constitué de chercheurs de l’université de Syracuse en coopération avec l’université de Hohenheim. Leurs travaux ont constaté que le cadre pour la sécurité alimentaire existant pour le droit à une alimentation adéquate et à la nutrition ne permet pas d’identifier les causes structurelles de la faim et la malnutrition sous toutes ses formes, et ne permet donc pas de proposer les politiques publiques adéquates ni les programmes nécessaires pour en venir à bout. À partir des débats tenus lors de deux ateliers publics, un cadre conceptuel élargi [Ce cadre conceptuel élargi est proposé dans l’ouvrage d’Anne C. Bellows, Flavio L.S. Valente, et Stefanie Lemke. (Eds.) Gender, Nutrition and the Human Right to Adequate Food: towards an inclusive framework. New York : Taylor & Francis/Routledge. (Date de publication prévue : 2014).] pour le droit à une alimentation adéquate et à la nutrition a été proposé. Ce cadre élargi pour le droit à une alimentation adéquate et à la nutrition, fondé sur le cadre pour la souveraineté alimentaire et qui prend en compte les aspects de la détermination selon le sexe, des droits des femmes et de la nutrition, vise à soutenir les luttes des peuples contre l’accaparement des terres et contre les poids lourds de l’industrie agroalimentaire, entre autres. Il cherche également à aiguiser les outils de défense des droits humains, en les ajustant aux défis actuels afin de fournir des mécanismes adéquats pour garantir à chaque être humain, et en particulier aux plus défavorisés et marginalisés dans nos sociétés, de vivre dans la dignité.

Encadré 3

Équilibrer les forces par la recherche pour la souveraineté alimentaire

La recherche pour la souveraineté alimentaire vise à renforcer le rôle des acteurs les plus faibles (paysans et producteurs marginalisés, femmes…) dans la production et la validation des savoirs [Ces réflexions se basent sur des actions et recherches participatives en cours avec des communautés autochtones et locales dans l’Altiplano andin (Bolivie et Pérou), en Asie (Inde, Indonésie, Népal et Iran), en Europe (France, Italie, Royaume-Uni) et en Afrique de l’Ouest (Mali) où la recherche est faite avec, pour et par les populations – plutôt que sur la population – afin d’étudier comment on peut maintenir des systèmes alimentaires riches d’une biodiversité contrôlée localement. Voir Pimbert, 2012]. La recherche qui équilibre les forces vise à intervenir tout au long de l’ensemble du cycle de recherche et développement (R&D). Considérer l’ensemble du cycle de R&D (y compris la recherche scientifique et technologique, les évaluations des résultats et des conséquences sur la recherche, le choix de priorités stratégiques en amont pour la R&D, et l’encadrement des grandes politiques), cela permet de passer des concepts étroits de la recherche participative qui confine les non-chercheurs à une tâche qui se trouve à la fin du développement de la technologie (par exemple, sélection variétale participative), à une approche plus inclusive où les paysans et d’autres citoyens peuvent définir en amont les priorités stratégiques de recherche et les régimes de gouvernance.
À cet égard, les facteurs déterminants suivants sont importants lorsqu’ils sont associés :
Consentement préalable libre et éclairé, règles d’engagement établies conjointement, et un code de déontologie ayant fait l’objet d’un accord mutuel entre les producteurs d’aliments et les chercheurs. Constitution d’espaces sûrs – des espaces qui ne soient pas intimidants, où les paysans et paysannes et les autres acteurs impliqués puissent être en confiance, débattre, analyser, se mobiliser et agir sur la base d’une vision partagée.
Renversement des pratiques et rôles professionnels normaux. Par exemple, recherche menée par et avec les producteurs d’aliments eux-mêmes, – avec des professionnels externes pour faciliter et soutenir ce travail. Les paysans et paysannes marginalisé(e)s se trouvent au centre du processus, à la place des agriculteurs plus aisés, des centres de recherche, des scientifiques, des théories abstraites, et sans biais pro-urbains.
Justice cognitive – reconnaissance du droit à l’existence de différents systèmes de connaissance. L’idée de justice cognitive met l’accent sur le droit à ce que différentes formes de connaissance – et de pratiques, modes de subsistance, façons d’être et écologies qui y sont associées, coexistent.
Examen par les pairs élargi. Les agriculteurs à petite échelle comme les scientifiques doivent être impliqués dans la co-validation des connaissances et des résultats des dialogues interculturels. Nous devons reconnaître là qu’il existe beaucoup de perspectives légitimes pour chaque sujet. Chaque acteur, qu’il soit paysan ou scientifique, a des connaissances partielles et incomplètes. L’examen par les pairs “élargi” est nécessaire à une époque où “l’on ne sait pas ce que l’on ne connaît pas” et où partout, chacun fait face aux incertitudes d’un monde qui change rapidement (changement climatique et environnemental, marchés instables…).
La communication pour le changement ne devrait pas être vue comme un droit exclusif des professionnels de la communication qui travaillent dans les instituts de recherche scientifiques et politiques ainsi que dans les entités de développement de agricole. Il est nécessaire de renouveler les pratiques en matière de communication et d’allocation des ressources, afin qu’elles renforcent la décentralisation et la dispersion du pouvoir. Les progrès dans les nouvelles technologies de la communication (caméra vidéo numérique, radio, internet) ainsi que le théâtre populaire, l’élaboration de cartes et les techniques de visualisation offrent de nouvelles opportunités de décentralisation et démocratisation de la production du savoir et des messages de communication – en permettant que même des communautés paysannes vivant dans des villages isolés puissent partager des récits et des messages qui peuvent influencer les programmes de recherche, les politiques et les pratiques aux niveaux local, national et international.

Encadré 4

Recherche agricole pour la souveraineté alimentaire en Afrique de l’Ouest

Dans le cadre de l’initiative Democratising Food and Agricultural Research, une série de jurys citoyens ont été organisés au Mali au cours des sept dernières années. Leur objectif était de permettre à des simples paysans et d’autres producteurs d’aliments, hommes et femmes, de faire des recommandations de politiques après interrogatoire de témoins spécialistes appartenant à différents milieux. Trois jurys citoyens ont examiné les thèmes suivants :
1. OGM et l’avenir de l’agriculture au Mali.
2. Quel type de connaissances et de recherche agricole les petits producteurs et transformateurs d’aliments veulent-ils ?
3. Comment démocratiser la gouvernance de la recherche sur l’alimentation et l’agriculture ?
Les jurys citoyens ont été guidés par un groupe de supervision afin de garantir que l’ensemble du processus soit crédible, représentatif, sérieux, juste, et qu’il ne soit pas récupéré par un groupe défendant un intérêt ou une perspective particuliers.

Les jurés paysans ont, en tout, fait plus de 100 recommandations sur les priorités et la gouvernance de la recherche agricole pour l’Afrique de l’Ouest. Les recommandations ont porté sur des questions telles que les modèles de production agricole, le régime foncier et les droits de propriété, les marchés alimentaire et agricole, ainsi que des questions de financement de la recherche, d’organisation, de pratiques et de gouvernance.

Lors du suivi de ce processus de délibération unique, les paysans d’Afrique de l’Ouest ont demandé à entretenir un dialogue politique avec l’Alliance pour une révolution verte en Afrique (AGRA) et ses principaux bailleurs de fonds. Les paysans voulaient avoir une discussion face à face avec l’AGRA sur les priorités de la recherche parce que l’AGRA est un acteur majeur dans l’élaboration du programme de la recherche agricole pour le développement de l’Afrique de l’Ouest. Ce dialogue politique a eu lieu à Accra (Ghana) du 1er au 3 février 2012. Cette rencontre de trois jours a été présidée par le Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à l’alimentation, Olivier de Schutter, et des représentants de communautés agricoles d’Asie, d’Afrique de l’Est et d’Amérique latine y ont assisté également. Une connexion vidéo avec Londres a permis aux bailleurs de fonds et députés britanniques de participer eux aussi. Les paysans et l’AGRA ont présenté chacun leur vision pour la recherche agricole en Afrique. En général, l’analyse des paysans et les politiques qu’ils ont recommandées étaient sensiblement différentes de celles défendues par l’AGRA. Par exemple, les paysans ouest-africains étaient clairement opposés à la recherche qui conduit à la privatisation des semences et aux technologies semencières brevetées qui permettent aux entreprises de contrôler le secteur des semences. Les paysans ont également estimé que l’AGRA voyait à tort les semences paysannes locales comme étant non améliorées – niant ainsi que les paysans et paysannes effectuent un travail de sélection et d’amélioration des semences et des variétés.

Surtout, l’AGRA et les paysans africains ont situé leurs programmes de recherche respectifs dans des visions radicalement différentes de l’alimentation et de l’agriculture. Les paysannes et paysans ont affirmé qu’une vision de l’agriculture qui déconnecte et sépare la production cultivée des autres secteurs (élevage, pêche, sylviculture) est inacceptable. En faisant de la production cultivée sa seule priorité, l’AGRA provoque un déséquilibre que les paysans veulent éviter en Afrique de l’Ouest. Les paysans rejettent le modèle de développement de l’AGRA et le type d’agriculture qu’elle soutient qui, selon eux, promeut des exploitations plus grandes et la disparition des petites fermes familiales, tout en empoisonnant la terre, l’eau et la population. Les paysans ouest-africains en appellent plutôt à un programme de recherche qui soutient l’agriculture familiale et la souveraineté alimentaire.

Encadré 4 sources :
Pimbert, M.P, B. Boukary, A. Berson et K. Tranh Thanh, 2011. Democratising agricultural research for food sovereignty in West Africa. IIED, Londres.
APPG on Agroecology, CNOP, Kene conseils, Centre Djoliba, IRPAD et IIED, 2012. High level policy dialogue between the Alliance for a Green Revolution in Africa (AGRA) and small scale farmers on the priorities and governance of agricultural research for development in West Africa. Un reportage photo est disponible en anglais et en français.

Sous les feux de la rampe

Sous les feux de la rampe

Il n’est pas étonnant que les savoirs paysans, locaux et autochtones soient importants pour la souveraineté alimentaire. La souveraineté alimentaire a été développée par les paysans eux-mêmes. Elle est fondée sur leurs propres expériences et l’analyse collective – concept lancé pour la première fois par La Via Campesina. Depuis, un groupe grandissant d’acteurs divers ont enrichi ce concept dynamique en y ajoutant leurs propres points de vue.
Pour autant, au cours de ces dernières années, le rythme de l’innovation, de l’expérimentation et du dialogue relatif aux connaissances pour la souveraineté alimentaire semble s’intensifier. De nouvelles visions, approches et de nouveaux espaces pour la création de savoirs collectifs se font jour, dont certains font l’objet d’articles brefs dans notre newsletter. Ces développements reflètent l’importance croissante du mouvement de la souveraineté alimentaire dans les débats nationaux, régionaux et internationaux, le renforcement des alliances pour la souveraineté alimentaire, la confiance accrue du mouvement ainsi que l’approfondissement des crises auxquelles on doit faire face. Les mouvements sociaux sont de plus en plus conscients du fait que, pour mettre en œuvre la souveraineté alimentaire, il est nécessaire de disposer de connaissances radicalement différentes de celles que les institutions traditionnelles (universités, groupes de réflexion sur les politiques, gouvernements, grandes entreprises…) proposent.

Dialogue entre les divers acteurs

L’une des alliances les plus prometteuses en termes de développement des connaissances est celle nouée avec les peuples autochtones. En effet, au cours de ces dernières années, ce sont eux qui ont trouvé leur place avec le plus d’assurance dans le mouvement de la souveraineté alimentaire, et leurs contributions ont entraîné des effets profonds sur les concepts concernant les connaissances et les modes de savoirs pour la souveraineté alimentaire. Ils réclament la validité de leur propre épistémologie [“Epistémologie” se réfère aux théories de la connaissance, ce qui peut être connu et comment acquérir ces connaissances.] qui remet en question la vision du monde mécaniste de la science positiviste [Le positivisme est une philosophie de la science qui croit en une vérité objective. Cette doctrine se réclame de l’expérience scientifique et de la preuve des faits logique ou mathématique]. Par exemple, les paysans autochtones des Andes soutiennent que, pour développer la souveraineté alimentaire, ils s’appuient sur les savoirs qui sont ancrés dans leurs histories et rituels et qui sont enracinés dans les expériences tant du monde visible que du monde des rêves (cf. L’écho des campagnes 2). La collaboration entre les peuples autochtones et les spécialistes autochtones et “colons” du Canada a permis de contester les “méthodologies colonisatrices” de l’Université et de développer des méthodologies émancipatoires (cf. Encadré 1).

Il est crucial de créer des espaces pour un dialogue interrégional et transculturel ainsi qu’une formation mutuelle. Un mouvement global comme La Via Campesina (LVC) tire profit de sa diversité pour développer des réseaux horizontaux en vue de créer des connaissances. LVC a mis en route un important processus interne autodidacte de recherche. L’objectif de ce processus est d’identifier, de documenter, d’analyser et de “systématiser” (c’est-à-dire non seulement de documenter mais aussi d’analyser en ayant à l’esprit d’en tirer des leçons) les meilleurs exemples parmi les organisations membres d’Amérique, Afrique, Asie et Europe, dans les domaines de l’agro-écologie, des semences paysannes et d’autres aspects de la souveraineté alimentaire, comme les marchés locaux. Le but en est double : d’une part, développer leur propre matériel d’études, basé sur leurs expériences, avec plus de 40 centres de formation en agro-écologie pour les paysans et de nombreux centres de formation politique interne à LVC ; d’autre part, étayer les campagnes s’adressant à l’opinion publique et aux décideurs politiques avec des données prouvant que des alternatives existent, qu’elles fonctionnent et qu’elles devraient être soutenues par de meilleurs politiques publiques (cf. L’écho des campagnes 1).

Un autre exemple d’espace diversifié pour un apprentissage mutuel est l’initiative Démocratisation de la recherche sur l’alimentation et l’agriculture qui vise à créer des espaces sûrs dans lesquels les citoyens (producteurs d’aliments et consommateurs) peuvent mener des délibérations entre tous afin d’élaborer un système de recherche sur l’alimentation et l’agriculture démocratique et responsable envers l’ensemble de la société (www.excludedvoices.org). Plus particulièrement, l’approche méthodologique cherche à faciliter une conception participative des alternatives, c’est-à-dire une recherche agricole menée par les paysans et les citoyens (cf. Encadré 4). Depuis 2007, cette initiative à l’échelle mondiale s’est déployée dans l’Altiplano andin, en Asie du Sud, en Afrique de l’Ouest et en Asie occidentale. En septembre 2013, les partenaires de l’initiative Démocratisation de la recherche sur l’alimentation et l’agriculture ont organisé un atelier international pour partager les leçons et les réflexions venant d’Afrique, d’Asie et d’Amérique Latine avec une communauté plus large de paysans européens, de décideurs politiques et de représentants des bailleurs de fonds. Connu sous l’intitulé Atelier St. Ulrich sur la démocratisation de la recherche agricole pour la souveraineté alimentaire et les cultures agraires paysannes, cet atelier international a rassemblé 95 participants de 17 pays. La plupart des participants étaient des paysans, dont la moitié de femmes. L’atelier St Ulrich a mis l’accent sur la nécessité de transformer à la fois les connaissances et les formes de connaissances pour la souveraineté alimentaire et les cultures agraires paysannes.

Engagement d’un dialogue critique entre spécialistes et militants…

Lors de la conférence “Souveraineté alimentaire : Un dialogue critique” ayant eu lieu à la Haye en janvier 2014, Elizabeth Mopfu, Coordinatrice générale de LVC, a invité les spécialistes à partager une critique constructive du concept de souveraineté alimentaire. “Nous voulons entendre vos doutes”, a-t-elle déclaré. La présence de centaines de spécialistes, étudiants et militants à un tel forum indique autant l’intérêt croissant des chercheurs pour la souveraineté alimentaire que la volonté grandissante du mouvement de s’engager avec eux dans un dialogue critique et une collaboration (cf. Encadré 2).

…et travail conjoint en vue de remettre en question les politiques et la gouvernance

Les opportunités de collaboration avec les chercheurs sont parfois liées aux espaces politiques. Etant donné que le mouvement investit pour créer des espaces en vue d’une participation à la gouvernance de l’alimentation et de l’agriculture, il estime que le fait d’occuper ces espaces requiert la collaboration des chercheurs. Par exemple, le Comité international de planification pour la Souveraineté alimentaire (CIP), a joué un rôle clé dans la réforme du Comité sur la Sécurité alimentaire de l’ONU (CSA) ayant eu lieu en 2009. Suite à la crise alimentaire des années 2007-2008, il y eut une demande de réforme du système de gouvernance de l’alimentation et de l’agriculture. Le CIP a plaidé en faveur d’une gouvernance multilatérale avec un système un pays=une voix et avec une participation significative des organisations de petits producteurs d’aliments et autres OSC. Les propositions faites pour des mécanismes de gouvernance moins transparents, y compris de la part du G8, ont été finalement rejetées et le CSA réformé a été déclaré comme étant “la plateforme internationale et intergouvernementale la plus inclusive” pour la gouvernance de l’alimentation et de l’agriculture. Le CSA a constitué sa propre équipe d’experts – le Groupe d’experts de haut niveau sur la sécurité alimentaire et la nutrition (HLPE en anglais) – afin de fournir des apports pour le processus de décisions à partir d’analyses et de recommandations politiques. Le mandat du HLPE reconnaît dès le début l’importance des savoirs des “acteurs sociaux” et de l’expérience acquise sur le terrain. L’engagement des experts ayant des liens avec le mouvement de la souveraineté alimentaire dans le HLPE, ainsi que le travail plus important du CSA, a entraîné une augmentation des réseaux et une collaboration plus intense entre les spécialistes et les militants.

Concevoir des modes de connaissance multiples

Vu l’augmentation du nombre et de l’éventail des collaborations avec les chercheurs, il y a une plus grande prise de conscience de la nécessité de développer des méthodologies de recherche nouvelles et appropriées dans les cas où les co-investigateurs se basent sur des systèmes de connaissances différents. Les connaissances universitaires sont normalement considérées comme norme de validation supérieure. Or, pour d’autres systèmes de connaissances, il est particulièrement important de développer des méthodologies allant au-delà des connaissances rationnelles et d’expérimenter de multiples formes de connaissances comme l’humour, la musique, le théâtre, etc. La “Journée du dialogue sur les connaissances pour la Souveraineté alimentaire”, ayant eu lieu immédiatement après le Dialogue critique à La Haye en janvier 2014, fut une telle expérience. Le dialogue a été ouvert à environ 70 militants et spécialistes invités qui possédaient une expérience de collaboration. Les organisateurs souhaitaient ouvrir, pendant une journée, un espace où les gens pouvaient faire preuve de leur créativité et curiosité en vue d’un dialogue collectif. Le sentiment exprimé était qu’on avait besoin d’un espace pour des conversations plus enjouées sans la pression d’essayer d’être efficace et d’arriver à un résultat [Voir le rapport ici]. Il s’agit donc d’une étape fondamentale en vue de développer une recherche d’égalisation des pouvoirs (cf. Encadré 3).
Etant donné que les opportunités de recherche et de collaboration entre différents secteurs sociaux augmentent, il devient important de partager les expériences et d’en tirer les leçons. Les rencontres face-à-face entre cultures, visions du monde et systèmes de connaissances doivent devenir plus fréquentes.

Bulletin n° 18 – Éditorial

Acquisition de connaissances pour la souveraineté alimentaire

Illustration: Tree 213, Toni Demuro tonidemuro.blogspot.ie

Dans de nombreuses parties du monde, il existe un mouvement qui élabore des connaissances pour la souveraineté alimentaire !
Les articles de la présente newsletter donnent un aperçu de ce qui se fait. Ils remettent en question l’hypothèse selon laquelle il n’existe qu’une seule vérité fondée sur des connaissances objectives. Ils soulignent que notre compréhension du monde est enrichie lorsque les approches sont multiples et les visions du monde diverses. Ils indiquent également que, pour avoir un dialogue d’égal à égal dans le cadre de ces diverses visions, il est nécessaire de trouver un langage commun. Il faut donc non seulement contester les connaissances théoriques mais également être ouverts à ce que les nôtres soient contestées.
Pour la souveraineté alimentaire, nous avons besoin de transformer radicalement les connaissances dominantes et les formes de savoirs. Afin de développer ces connaissances, il nous faut faire preuve d’humilité et respecter les diverses voix et points de vue. Nous devons être audacieux afin d’expérimenter des méthodes et des idées qui pourraient ne pas sembler “scientifiques” et travailler pour démontrer la qualité de nos processus d’enquête. Nous devons être joueurs pour naviguer avec agilité entre les nombreux obstacles tout en conservant notre curiosité en éveil. En ayant ces défis présents à l’esprit, une question se pose, et nous vous invitons à y réfléchir avec nous : Comment développer les qualités humaines dont nous avons besoin pour pouvoir acquérir ensemble les connaissances pour la souveraineté alimentaire ?

Maryam Rahmanian et Michel Pimbert

Encadres

Encadré 1

Formation en agroécologie

“Nous nous battons pour une éducation qui nous apprenne à penser et non à obéir.” Paulo Freire.

Encourager la pensée critique

La grande majorité des jeunes en milieu rural sont marginalisés à tous les niveaux du système éducatif, et le peu d’opportunités qui existent, sont offertes par des institutions qui reproduisent la perspective transnationale d’agriculture, un modèle qui va à l’encontre des intérêts des petites familles d’agriculteurs. Tandis que les grandes universités continuent de fournir ce qu’elles appellent des « techniciens » et « ingénieurs » qui promeuvent l’agro-industrie, depuis 2006 La Via Campesina développe des formations en agroécologie pour les jeunes, hommes et femmes, les campesinas et campesinos, les populations autochtones, travailleurs ruraux, et d’autres membres exclus de la société. Le but est de pousser une nouvelle génération de militants pour la souveraineté alimentaire à construire un nouveau système alimentaire dont nous avons tant besoin. Ces espaces sont le résultat direct du combat social, du dur labeur, et de mobilisation en défense d’une éducation qui tient en haute estime la vie rurale et qui est guidée par une éducation fondée sur des principes philosophiques et pédagogiques comme détaillé ci-dessous.

Principes philosophiques:

Éducation par et pour le changement social ;
Éducation par et pour la diversité ;
Éducation par et pour le travail et la coopération ;
Éducation par et pour la sédition.

Principes pédagogiques :

Pratique/théorie/pratique : l’éducation populaire est fondée sur la conjugaison de l’action, la réflexion et l’action en connaissance de cause. La vraie formation a lieu lorsque la société est en changement.
Éducation/apprentissage : une relation dialectique et horizontale existe entre les enseignants et les apprenants ; avec l’enseignement et l’apprentissage dans un dialogue constant sans hiérarchisation.
Dialogue des Savoirs: c’est uniquement via une diversité de visions, de perspectives, et de propositions que les gens comprennent véritablement le monde qui les entoure.
La recherche fondée sur l’action, participative, et en contexte : les recherches qui sont effectuées sont directement liées aux besoins réels des apprenants, leurs familles et communautés et la lutte pour la souveraineté alimentaire.

La récolte

Les démarches mentionnées ci-dessus pour la formation agroécologique au sein de La Via Campesina commencent à porter leurs premiers fruits. De nouvelles expériences pédagogiques, différentes méthodes pour le dialogue démocratique, sont les plus importants de tous les résultats, les jeunes, femmes et hommes, qui reconnaissent la souveraineté alimentaire comme leur plate-forme pour la transformation de leurs réalités. Si beaucoup de sites de formation doivent être consolidés, présentement des centaines d’autres processus éducatifs ont lieu à la base des mouvements sociaux de la campagne. Partout dans le monde les jeunes posent et répondent à la question de savoir comment obtenir la souveraineté alimentaire?

L’écho des campagnes

L’écho des campagnes 1

Jeunesse sans terre, 30 ans après

Raul Amorim — Collectif de la jeunesse du mouvement des travailleurs ruraux sans terre MST, Pernanbuco, Brésil

Il y a 30 ans, des jeunes ayant la conviction que la lutte doit aller au-delà du territoire local, prirent leur sac à dos et se lancèrent le défi de construire un mouvement national des sans terre. Ils luttaient non seulement pour la terre, mais aussi pour la réforme agraire et pour un projet de transformation sociale. C’est cette jeunesse qui donna naissance au mouvement des sans terre (MST).
Depuis 30 ans, les défis des jeunes paysans et paysannes ont changé. La concentration des terres a augmenté et l’ennemi a pris plus d’ampleur autour des alliances de l’agrobusiness. Dans le même temps, le pouvoir judiciaire criminalise les mouvements qui empêchent la réforme agraire d’avoir lieu et l’appareil du capital financier international spécule avec les vies. Mais la jeunesse des campagnes organisée en mouvements sociaux continue la construction de ce que nous appelons la réforme agraire populaire. En février, au cours du sixième congrès de MST, nous avons tenu la troisième assemblée de la jeunesse sans terre, qui a accueilli plus de 2000 jeunes. Nous nous y sommes engagés à intervenir sur les problèmes de nos réalités, à réaliser une production agricole sans pesticides, à renforcer le développement des campagnes à partir de l’agroécologie comme autre moyen pour la relation de l’être humain avec la nature. Nous sommes engagés à nous organiser en collectivité de la jeunesse et à construire de nouvelles relations sociales culturelles et de genre ; à participer aux luttes de la jeunesse citadine et à avoir comme pratique quotidienne l’internationalisme et la solidarité internationale. La jeunesse fait partie intégrante de l’histoire des travailleurs et nous allons continuer à l’écrire, jusqu’à ce que nous obtenions la victoire du peuple, la libération des exploités, des opprimés et l’émancipation.

L’écho des campagnes 2

Lutte contre l’accaparement de terres

Julia Bar-Tal, agriculteur de Bienenwerder, 45 km de Berlin et membre de “Bündnis junge Landwirtschaft – confédération de jeunes agriculteurs” et AbL, La Via Campesina, Allemagne

La culture des jeunes en Allemagne de l’Est au sein de la lutte pour créer une souveraineté alimentaire est mise à mal par l’accaparement de terres que nous constatons de nos jours. Pour les jeunes agriculteurs qui débutent, la lutte contre les investisseurs et les grandes sociétés agricoles, qui accaparent les terres devant nos yeux, définit notre lutte quotidienne. En raison du passé socialiste, la plupart des terres appartiennent à l’État, lequel, dans le cadre de sa politique néolibérale, emprunte le chemin de la privatisation par les grands investisseurs, le but n’étant pas de créer des moyens de subsistance pour et avec ceux qui y vivent. Au cours des deux dernières années, nous sommes parvenus à créer un mouvement efficace face à ce phénomène. Pour un jeune paysan de notre propre ferme, la lutte personnelle pour les terres est l’exemple le plus pratique de ce qu’il arrive à tous ceux d’entre nous qui risquent de perdre la terre où nous nous trouvons. En tant que créateur et membre de « la confédération des jeunes agriculteurs » en Allemagne de l’Est, nous avons placé cette lutte dans un contexte commun. Nous avons protesté et nous nous sommes battus en tant que paysans, avec nos amis des villes, en menant notre lutte dans la voie de ces biens communs – en comprenant que le processus de déplacement de ces populations est notre souffrance à tous et en y opposant la reconquête de notre souveraineté.

L’écho des campagnes 3

Jeunesse en action !

Norman Chibememe, Zimbabwé Smallholder Farmer Forum (ZIMSOFF)

La plupart des jeunes, tant garçons que filles, sont entièrement engagés dans des activités d’agriculture au Zimbabwe. Les jeunes conçoivent l’agriculture par des méthodes biologiques et des systèmes d’agroécologie durables. La majorité des communautés agricoles rurales sont impliquées dans la multiplication de semences pour la durabilité de la production de semences pour s’assurer de la qualité, la quantité et la fiabilité des récoltes. Les communautés éradiquent la faim dans beaucoup de régions grâce à l’auto-approvisionnement, ‘fushai’, de petites semences, dont la production est la plus appropriée dans les régions à faible rendement où le changement climatique affecte gravement la production agricole.
Avec la production de semences traditionnelles et locales, les jeunes pratiquent également des techniques pour capter l’eau et d’agriculture de conservation (rotation culturale, gestion des terres arables…). Ils sont activement engagés dans les affaires familiales, particulièrement dans l’élaboration des projets de promotion. L’éducation et la formation des jeunes sont très importantes ; les jeunes agriculteurs suivent des cours pour améliorer leurs pratiques d’agriculture tels que la gestion de documents d’archives, des procédés de production de semences ou encore d’agriculture contractuelle. Des documents sur la politique agricole leur ont également été remis, ainsi qu’à leurs communautés pour mieux comprendre et être conscients du contexte national et international.

L’écho des campagnes 4

Une installation réfléchie des jeunes en agriculture

Papa Bakary Coly dit “papis”, président du collège des jeunes du conseil national de concertation et de coopération des ruraux (CNCR), Sénégal

Face aux défis du chômage, particulièrement chez les jeunes, l’agriculture africaine comme tous les autres secteurs d’activités doit se mobiliser pour l’emploi, sous toutes ses formes.
Cependant, on constate des déficits énormes en matière d’installation dans certains pays africains. Si nous prenons l’exemple du Sénégal où il n’existe pas de politique d’installation des jeunes en agriculture, seules des initiatives existent à travers des structures en charge de l’emploi agricole, des projets et des programmes. Cette façon anarchique d’installation, présente plusieurs incohérences qui limitent les résultats obtenus. Ces incohérences se manifestent dans les types d’installation prônés et dans les cibles. En lieu et place de l’auto-installation accompagnée, c’est plus l’Etat providence qui est le plus souvent développé sur un petit nombre, avec des cibles mal définies (souvent des jeunes n’ayant jamais pratiqué de l’agriculture ou ayant abandonnés l’agriculture au profit de l’exode rural) et avec des investissements exorbitants. Le retour sur investissement en termes d’emplois créés ou de capitaux générés est souvent faible en raison du faible taux de fidélisation des jeunes installés. Ceci nous a motivé, au niveau du collège des jeunes du CNCR, à mener des réflexions sur une installation réfléchie des jeunes en agriculture. Les conclusions de nos réflexions nous ont poussé à affirmer que : « Des projets d’installation de nouveaux arrivants dans le milieu agricole c’est bien en soi, mais c’est encore mieux si ces projets tentent d’abord de maintenir ceux qui y sont déjà, car c’est la réussite et le bien être de ces derniers qui constitueront la motivation de l’auto-installation des autres ».

L’écho des campagnes 4

Partager les expériences

Dan Kretschmar, National Farmers Union – La Via Campesina, Canada. Familles de jeunes agriculteurs et membres de la North American Youth Collective of LVC

J’aide à gérer la ferme familiale en Ontario, au Canada qui produit des légumes bio et du bétail. Je viens de revenir de la rencontre régionale de La Via Campesina en Floride où j’ai été délégué de la jeunesse pour la National Farmers Union. Après avoir passé 5 jours avec des camarades des États-Unis et du Mexique, je me sens à la fois revigoré, outré, et habilité. Cette expérience fut accablante. Les histoires de travailleurs agricoles migrants et immigrants sans-papiers à propos de leurs conditions de travail et leur lutte pour leurs droits ont confirmé ce que l’on entend chez nous à ce sujet. Il y a un système de classe flagrant. Les travailleurs agricoles ne peuvent prendre un jour de congé sous peine de se faire virer. Beaucoup de travailleurs, récoltant des agrumes, ont des problèmes dermatologiques graves dus à l’exposition aux pesticides. Les femmes enceintes sont contraintes de travailler jusqu’à ce qu’elles accouchent. Je suis triste de voir ce qu’est devenu le modèle d’agriculture industrielle. La question des travailleurs migrants compte parmi les nombreux problèmes auxquels la région doit faire face. Dès mon arrivée à la rencontre LVC, je me suis senti en famille. La situation critique des agriculteurs à petite échelle se répète dans toute la région. Je suis motivé à me battre pour le changement. Il nous faut continuer à nous battre pour les droits des paysans et des petits agriculteurs et aider à développer le changement des mentalités au sein de la population. Tout commence par la consommation de produits alimentaires dont les producteurs n’ont pas été opprimés. Quand le gouvernement nous lance des miettes afin de nous faire taire, nous ne devons pas nous laisser avoir par cette pratique. La seule option est de prendre les miettes, et de les renvoyer et de dire encore plus fort « ce n’est pas suffisant ! » Nous ne pouvons battre en retraite.

Sous les feux de la rampe

Jeunesse en mouvement : Luttes et visions pour la souveraineté alimentaire

Les peuples de la campagne qui résistent amendent les terres fertiles où grandit une jeunesse, qui s’unit à la création de son avenir. La jeunesse est le peuple, la jeunesse est la terre.
Poème de Javier García Fernández, jeune militant de la SOC-SAT. Version originale en espagnol

De nos jours, les jeunes des régions rurales du monde entier doivent affronter un des plus grands défis de l’histoire : reprendre le flambeau de la lutte paysanne tout en faisant face aux nouveaux défis pour la construction d’un monde radicalement nouveau. Partout dans le monde, le système capitaliste néolibéral a imposé un modèle politique et économique d’agriculture industrielle. Une monoculture intensive et un accaparement des terres menées par les transnationales avec l’approbation des gouvernements nationaux et locaux. Ce modèle, qui promeut la privatisation de tous les biens naturels, y compris la terre, le bois, l’eau et les graines, détruit les moyens de subsistance et l’héritage culturel paysan. Il draine également notre mère la terre de ses ressources.

Lutte contre :

Partout dans le monde, les jeunes sont face à un système capitaliste néolibéral. Dans les rues et les champs, ils luttent en vue de construire un nouvel avenir pour notre société et notre planète.
L’industrialisation et la marchandisation de l’agriculture créent un système dans lequel très peu détiennent le pouvoir sur la nature et sur toutes les phases du système alimentaire (de la production à la distribution). Ce système impose l’accès aux ressources naturelles et à la terre que les paysans et paysannes nécessitent pour produire des aliments sains. Il dénie également l’accès aux marchés locaux où l’on peut obtenir un prix juste pour ses produits et ne pas devoir être en concurrence avec des aliments importés et subventionnés avec des prix inférieurs au coût de production.
Les jeunes luttent pour restaurer le rôle que le pays a perdu dans ce système.
Ils luttent pour le droit de produire des aliments pour leur communauté et le droit de préserver la souveraineté sur leurs terres, leurs graines et leur savoir traditionnel… Cette lutte s’articule sous de nouvelles formes et utilisent de nouveaux moyens.

Le thème de l’accès à la terre pour les jeunes est une question clé de la lutte, particulièrement à un moment où l’accaparement de terres et le système des grands propriétaires terriens se fait de plus en plus ressentir dans le monde. C’est pourquoi dans les villes et les campagnes, les jeunes paysans occupent des terres et territoires pour produire une alimentation locale, et pour braver le modèle capitaliste néolibéral qui permet aux grandes entreprises et autres intérêts privés d’accaparer, exploiter et détruire la terre et, par la même occasion, les moyens de subsistance des
communautés du monde entier.

Le système alimentaire industriel actuel n’est pas à même d’assurer l’avenir de l’humanité. La Terre est une ressource qui nous appartient à tous, et nous tous lui appartenons également. L’unique proposition alternative à même de restaurer la vie et la dignité des peuples, d’englober notre lutte, et de faire face au système financier capitaliste est la Souveraineté Alimentaire. Les jeunes représentent l’avenir de la souveraineté alimentaire dans le monde.

Lutter pour :

Les luttes de la jeunesse sont le produit de plus de 500 années de résistance au colonialisme et sont alimentées par le droit inaliénable d’imaginer et construire un modèle de vie de la terre qui les entoure, en harmonie avec la nature et ses écosystèmes (la Pachamama, la Terre-Mère est la plus haute divinité des peuples andins). Membres de plus de 160 organisations dans plus de 70 pays, les jeunes de la Via Campesina reprennent le flambeau de cette longue histoire de lutte paysanne amorcée par les peuples de la Via Campesina.Les jeunes des quatre coins de la planète démontrent qu’il est possible de construire un autre monde.

D’une part, à travers la participation de la jeunesse dans les expériences de lutte et de résistance pour la souveraineté alimentaire dans le monde entier. Les coopératives telles que MST au Brésil, les occupations de terre en Andalousie, les luttes contre le maïs transgénique en Afrique du Sud, ou les luttes contre Monsanto menées par les paysans et paysannes en Inde représentent quelques exemples.

D’autre part, à travers la promotion de l’autogestion, la prise de décision participative, la reconnaissance unanime du rôle clé de la jeunesse, la création et l’emploi de nouvelles formes d’organisation et d’action. Dans les rues de nombreux pays, nous voyons naître des mouvements tels que Occupy, les indignés, et le printemps arabe, dont beaucoup sont nés de l’initiative de jeunes qui concevaient de nouvelles façons de s’organiser du bas vers le haut.

La jeunesse lutte pour le droit à la terre, pour la réforme agraire intégrale et pour assurer les droits de ceux et celles qui travaillent dans les champs.
Les jeunes luttent pour une autre façon de produire, en utilisant l’agroécologie et ce principe comme fondement pour construire un système alimentaire local qui travaille avec et non contre la nature. Un système qui réclame des droits sur les semences, qui sont notre patrimoine au service de l’humanité.

Les jeunes développent des marchés et des systèmes de transformation et de distribution locale pour s’affranchir du joug du marché oppresseur. L’agroécologie et ses principes répondent à la vision du modèle de développement local, écologique et économique, culturel et politique que les jeunes veulent pour leur présent et leur futur.
Les jeunes qui luttent pour l’égalité des sexes, et contre le système patriarcal, luttent pour les droits des jeunes femmes paysannes et le droit à une médecine sexuelle reproductive de qualité. Les jeunes luttent pour assurer des conditions de vie dignes pour toutes et tous, ils luttent pour l’avenir dans les campagnes.

Pour mener sa lutte à bien, la jeunesse connaît l’importance que revêtent l’éducation et la formation, puisque de plus en plus les Etats et les gouvernements nationaux et locaux ne répondent plus à leur besoin d’éducation.
C’est pourquoi l’on voit apparaître de plus en plus des exemples de pratique de l’agroécologie, d’autoformation, d’initiative à la formation et d’éducation populaire au sein de la résistance paysanne. Une éducation pour vivre, pour penser et pour trouver de nouvelles façons de s’organiser. Une éducation qui nous aide à libérer le coeur, la pensée, les mots et les actes. Ce sont les chemins déjà empruntés par les jeunes.

Le présent c’est nous

Notre première action est locale : nous travaillons la terre ou essayons de la travailler.
Nous prônons un modèle d’agriculture et de société, et chacun d’entre nous essaie de prêcher par l’exemple. Notre lutte trouve son écho dans les luttes rurales, urbaines et dans tout autre lieu où l’on se bat contre le système capitaliste financier néolibéral.

C’est pourquoi la seconde action que nous entreprenons est le travail syndical : le militantisme que nous menons de front dans tous les débats qui nécessitent notre mobilisation et nos efforts. C’est sur ce chemin du militantisme que nous construisons des réseaux d’alliances avec des étudiants et militants urbains, des travailleurs paysans, consommateurs, et migrants. Si les jeunes ne se défendent pas, s’ils ne travaillent pas ensemble, personne ne le fera pour eux! Nous ne sommes pas l’avenir, nous sommes le présent !

¡Alerta, alerta, alerta que camina, la juventud en lucha de la Vía Campesina!