Sous les feux de la rampe

Sous les feux de la rampe 1

Ressources naturelles et souveraineté alimentaire

La défense et la lutte pour nos droits à la terre, à l’eau, aux semences, aux races d’élevage, aux pêches, aux forêts, aux océans et à toutes les ressources naturelles dont nous avons besoin pour nous nourrir, et nourrir nos communautés avec dignité, constituent le centre essentiel de la Souveraineté alimentaire.
Mais comment pouvons-nous défendre et lutter pour nos droits aux ressources face aux puissants investisseurs nationaux et internationaux, aux investissements et aux régimes commerciaux déloyaux, à la financiarisation des ressources naturelles, à la cooptation flagrante des Etats par le capital transnational et à la militarisation, à la violence et à la criminalisation à l’encontre de ceux défendant leurs droits aux ressources? Quels rôles pour les politiques et les lois dans ces luttes?

Il n’est pas facile de répondre à ces questions. Le contexte a énormément d’importance. Ce qui fonctionne à un endroit, ou dans une situation donnée, ne fonctionne pas nécessairement ailleurs. Pour autant, nous avons certaines idées qui pourraient nous être utiles, sur lesquelles réfléchir puis les développer.
La loi est l’un des moyens par excellence d’exercice du pouvoir. Tout mouvement populaire, essayant de changer les relations de pouvoir, doit aborder les aspects juridiques pour remettre en question les lois, les politiques et les pratiques injustes et illégitimes. Il en est de même pour élaborer des normes alternatives et un ordre juridique qui sont décisifs à l’heure de créer/ consolider des contre-pouvoirs. Pour les mouvements sociaux se mobilisant pour la Souveraineté alimentaire, la question n’est pas de savoir s’il faut utiliser des stratégies légales mais plutôt quelles stratégies légales utiliser.

Le cadre des droits humains joue donc un rôle fondamental, en particulier lorsqu’il est nécessaire de remettre en cause la législation internationale qui va à l’encontre de l’intérêt des pauvres ruraux, comme le commerce, les régimes d’investissement, environnementaux et de sécurité, ou pour défendre les communautés locales contre les abus perpétrés par les acteurs internationaux. Un droit humain est un droit inhérent à tout être humain sans distinction aucune fondée sur le sexe, l’origine, la race, le lieu de résidence, la religion ou tout autre situation. Les droits humains sont universels, interdépendants et indivisibles, ils visent à protéger la dignité humaine. Ils découlent des besoins et des aspirations de personnes ordinaires, expriment les valeurs éthiques et morales universelles, l’autonomisation de chaque être humain, de leurs communautés et de leurs peuples avec des droits et des réclamations légalement applicables vis-à-vis de leur propre gouvernement ou d’autres gouvernements. Résister à l’oppression est au cœur même des droits humains. Les droits humains s’attaquent explicitement aux inégalités de pouvoir et remettent en question la légitimité des puissants.

La manière d’utiliser le cadre des droits humains peut être très diverse et dépend du contexte. Certains groupes de base et mouvements sociaux utilisent les droits humains et les lois nationales comme stratégies de défense en vue de protéger leurs membres d’abus importants comme la persécution, le harcèlement, les détentions arbitraires, les expulsions forcées violentes et la destruction de cultures, d’animaux ou d’infrastructures agricoles. Dans de tels cas, en recourant aux droits humains et/ou aux droits fondamentaux garantis par la constitution nationale, permet de sauver des vies et fournit des pistes pour des actions susceptibles de recueillir le soutien d’autres secteurs de la société afin de faire face à l’oppression des gouvernements.

D’autres groupes et mouvements utilisent les droits humains et constitutionnels ainsi que les politiques et lois nationales faisant respecter ces droits, pour sensibiliser leurs membres à propos de leurs droits et pour restaurer leur confiance en eux, leur dignité et la conviction que résister à l’oppression est légitime. Il est crucial d’accroître la sensibilisation de l’opinion pour mobiliser et organiser les individus afin qu’ils défendent leurs droits. Par ailleurs, une stratégie légale s’inscrit dans une stratégie plus large visant à modifier la façon dont les conflits pour les ressources sont formulés et perçus par la société. Cette stratégie combine les actions directes et la désobéissance légale – tels que les occupations de terres ou l’entrave à la construction de projets dits de développement – en présentant leurs causes devant les tribunaux ou les autorités administratives.

Les droits humains peuvent également être utilisés pour dénoncer les politiques illégales et les lois telles que les systèmes juridiques favorables aux grandes entreprises dans de nombreux pays et pour soutenir les propositions d’alternatives de la part de peuples en vue de politiques et de lois ouvrant des espaces favorables au dialogue politique qui tiennent compte de la vie des gens.

Bien entendu, les traités sur les droits humains, les constitutions nationales, les lois et les politiques soutenant les droits des peuples ne sont pas d’application directe. Ils doivent toujours être revendiqués par les individus. Jusqu’à présent, Les mobilisations populaires sur le terrain demeurent la seule et principale manière de responsabilisation en matière des droits humains. Les instruments internationaux non contraignants sur les droits humains tels que les Directives pour une gouvernance responsable des régimes fonciers applicable aux terres, aux pêches, aux forêts, ne deviendront effectives que lorsque les mouvements sociaux s’en seront appropriées, les auront réclamées, en auront fait le suivi et les auront mises en application par eux-mêmes. Les instruments volontaires peuvent devenir des outils puissants pour appuyer la dissidence et la résistance aux régimes juridiques destructeurs (comme le commerce et les investissements) et poser les bases pour l’élaboration de politiques alternatives.

Sous les feux de la rampe 2

Initiatives pour le respect et la défense de l’eau

Le 28 juillet 2010, suite à un mouvement inattendu, Le Conseil des Droits humains a adopté, par consensus, la Résolution sur les droits humains à l’eau potable et à l’assainissement (Résolution ONU 64/292). Coparrainé par 74 Etats, ceci souligne l’importance du droit à une eau potable sûre et propre et à un assainissement comme étant un droit humain essentiel afin de pouvoir jouir entièrement de la vie et de tous les droits humains. Promu par les mouvements mondiaux du droit à l’eau et la société civile, cette adoption a été accélérée du fait del’institutionnalisation du droit humain à l’eau et à l’assainissement par certains pays d’Amérique Latine dans leurs constitutions comme la Bolivie, l’Uruguay et le Salvador.

Au moins 165 Etats ont signé plusieurs déclarations reconnaissant le droit à l’eau, y compris les membres du Mouvement des pays non-alignés et du Conseil de l‘Europe. La nomination d’un Rapporteur spécial de l’ONU pour le droit à l’eau potable et à l’assainissement constitue une autre avancée importante vers le respect et la défense de l’eau. La première rapporteuse spéciale, Madame Catarina de Albuquerque, a développé plusieurs instruments en vue de la mise en œuvre de ce droit.

Des acteurs de l’Etat, de la société civile et des communautés ont également mis en route des actions en vue de défendre, protéger et conserver l’eau comme étant un droit, un bien public et un bien commun. Un exemple en est la dotation et la gestion, publiques et communautaires, des services de l’eau pour s’opposer à la marchandisation et la privatisation de ce bien et de promouvoir des options durables, écologiques et favorables aux pauvres pour les populations mondiales n’ayant pas accès à l’eau.

Ceci comprend un partenariat entre entreprises publiques, entre entreprises publiques et communautaires, ainsi qu’entre entreprises communautaires, à savoir des partenariats à but non lucratif, mutuellement bénéfiques entre les opérateurs du secteur publique, les communautés locales, les syndicats et autres groupes de l’économie sociale. Ces partenariats démocratiques visent à “promouvoir la collaboration entre les services publics de l’eau et les différents groupes sur une base non lucrative pour en renforcer la capacité technique et de gestion.” Contrairement aux partenariats public-privé, les partenariats entre entreprises publiques offrent un moyen innovant et pratique de partager l’expertise des gestionnaires publics de l’eau en vue de diffuser les bonnes pratiques et les idées relatives à la gestion de l’eau comme le fait d’en assurer la distribution aux communautés urbaines pauvres, en respectant les droits des travailleurs, en adoptant les principales normes sur le travail et en permettant aux consommateurs de participer à la définition de la tarification de l’eau. Ces partenariats entre entreprises publiques appellent également à renforcer le soutien social et politique nécessaire pour une telle coopération mutuelle.

La protection des bassins versants, amont-aval, constitue également un autre modèle innovateur. Aux Philippines, des organisations civiles et des services publics locaux d’approvisionnement en eau ont autorisé des communautés locales à gérer et entretenir les sources d’eau destinées aux villes. Les services publics ont investi directement dans des pratiques de culture agroécologique et des moyens de subsistance pour la communauté, estimant qu’un “bon environnement donne lieu à une bonne eau.” Il existe divers modèles de protection des bassins et d’approvisionnement en eau car ils dépendent des conditions spécifiques à chaque zone particulière. Mais surtout, ces modèles présentent une nouvelle conception de la gestion de l’eau [Pour plus d’exemples lire: Buenaventura Dargantes, Mary Ann Manahan, Daniel Moss and V. Suresh: Water, Commons, Water Citizenship and Water Security] qui rétablit l’eau comme bien commun et permet que la gouvernance de l’eau relève d’une question de justice sociale et écologique, de démocratisation.

Les droits relatifs à l’eau- à savoir, comment utiliser, affecter et gérer les ressources en eau-ont des implications sur l’application du droit humain à l’eau potable et à l’assainissement et sur une nouvelle conception de la gestion de l‘eau. A l’échelle mondiale, les droits de l’eau ont été utilisés comme instrument politique afin de mettre fin à l’accaparement de l’eau par les grandes entreprises et pour s’opposer aux investissements miniers, de fracturation hydraulique et autres investissements destructeurs. Des groupes de citoyens, des gouvernements locaux et des communautés affectés ont organisé des campagnes en vue de protéger leur eau potable, l’eau destinée à l’irrigation et à l’agriculture, et leur identité. Entre autres exemples notons: la guerre pour l’eau à Cochabamba en l’an 2000 qui a expulsé de Bolivie Aguas del Turnari (entreprise en coparticipation avec Bechtel); au Canada, Dow Chemical vs Québec et Lone Pine, en vue de protéger l’eau contre les pesticides et le fracking; El Salvador contre Pac Rim et le cas le plus récent d‘Infinito Gold contre Costa Rica; ou les communautés du Plachimada (Inde) vs. Coca-Cola et Nestlé qui soutiraient et épuisaient les eaux souterraines.

Bulletin n° 21 – Éditorial

Droits aux ressources naturelles

leaf – An earth that nurishes Illustration@ Anna and Elena Balbusso www.balbusso.com

Alors que le monde titube de crise en crise, la valeur de la terre, de l’eau, des forêts, des minéraux et autres ressources naturelles, en tant que sources de création de richesse, continue à augmenter. Pour ceux ayant des liens de longue date avec la terre, les eaux et les territoires, la plus grande richesse de la nature et la valeur des ressources sont la vie. Or, les crises soulignent le fait que les humains doivent vivre symboliquement avec la nature. Pour autant, nombreux sont ceux qui considèrent que les ressources naturelles sont des choses pouvant être morcelées, emballées, modifiées, achetées, vendues et commercialisées sur des marchés éloignés du lieu de la ressource.
L’articulation des droits aux ressources naturelles reflète ces différences. Les grandes entreprises, les institutions financières et de nombreux gouvernements font la promotion des droits négociables par le biais de titres de propriété, de l’échange de droits de l’eau, ou de l’échange de droits d’émission, etc.
La plupart des gouvernements reconnaissent ceux qui peuvent payer le plus en tant que détenteurs de droits sur la terre, l’eau, les minéraux et les forêts. Pour les paysans, les artisans pêcheurs, les travailleurs, les peuples autochtones et les pauvres ruraux et urbains, leur droit aux ressources est une revendication légitime aux terres et aux écosystèmes enracinée dans le respect de la nature, ainsi que leur droit à l’autodétermination. L’application de ces droits est une précondition nécessaire au développement de systèmes démocratiques et de gouvernance équitable permettant d’assurer la paix et l’harmonie avec la nature.
Les articles de ce numéro décrivent comment à travers le monde les peuples se battent pour garantir et défendre leurs droits aux ressources naturelles et les droits de la nature. Les feux de la rampe 1 et 2 fournissent des informations précieuses concernant les outils pouvant être utilisés pour renforcer nos luttes, qui doivent inclure la défense et l’exigence des notions de droit par cooptation du marché.

Shalmali Guttal, Focus on the Global South

Encadres

Encadré 1

L’agriculture intelligente face au climat : un moteur puissant de l’économie verte

[Bulletin de Nyéléni n.10]

Une initiative de la FAO, et soutenue par la Banque mondiale, l’agriculture intelligente face au climat précise qu’ “aboutir à la sécurité alimentaire et répondre aux défis du changement climatique sont deux objectifs qui doivent être atteints ensemble ” et ” que c’est pour cela que l’agriculture, la pêche et l’exploitation des forêts dans les pays en voie de développement doivent subir de grandes transformations.”

A première vue, “l’agriculture intelligente” ressemble à une initiative positive. Mais à regarder de près, lorsque l’on considère ce qui est inclus, on réalise qu’il ne s’agit que d’une peau neuve pour l’agriculture industrielle puisque que “l’agriculture intelligente” ne fait qu’estomper délibérément la frontière entre la souveraineté alimentaire agroécologique paysanne et celle de l’agriculture contrôlée par les grandes industries. Par exemple, elle ne reconnait pas que c’est bel et bien le système de production alimentaire de masse qui est à l’origine des émissions, ni l’urgence de la dissociation de ce système pour se diriger vers une agroécologie paysanne pour aider à résoudre la crise climatique.

“L’agriculture intelligente” plébiscite l’industrie agroalimentaire pour chapeauter l’agriculture et la récompense même ! Plusieurs importantes sociétés de l’agroalimentaire comme Monsanto (OGM), Yara (fertilisants) et Walmart (géant de la distribution) soutiennent l’agriculture intelligente. Monsanto prétend que l’agriculture OGM est intelligente face au climat parce qu’elle aide l’agriculture sans labour et augmente la tolérance à la sécheresse. Cependant, comme des décennies de pratique l’indiquent, les OGM augmentent l’utilisation d’agro-toxiques, promeut l’agriculture industrielle et de surcroît n’a produit aucune caractéristique utile pour l’adaptation au changement climatique.

De plus, l’agriculture intelligente pousse l’agriculture vers les crédits de compensation carbone ce qui donnera naissance à un autre moteur de spoliation des terres pour les petits producteurs, particulièrement dans les pays de l’hémisphère sud. Elle place ainsi injustement la charge de l’atténuation sur les épaules des plus faibles et qui plus est ont le moins contribué à la crise climatique [Lettre des Sociétés civiles (Septembre 2014)] élargissant par là-même le marché du carbone et son train de spéculations financières [Via Campesina (Septembre 2014), Démasquer l’agriculture intelligente face au climat].

L’agriculture intelligente face au climat “essaie de couvrir ses traces et d’occulter le besoin réel d’une réforme de la terre et de l’agriculture. Elle occulte et ment à propos de la carence en terre et ressources naturelles. La terre et les ressources naturelles sont seulement rares pour les paysans et les petits exploitants parce que les industries les accaparent [Via Campesina (Septembre 2014) Démasquer l’agriculture intelligente face au climat]”. De nombreux gouvernements trouvent l’agriculture intelligente attrayante et participent à ses initiatives.
Mobilisons nous pour y mettre fin !

Sous les feux de la rampe

Sous les feux de la rampe 1

Identité historique de l’agroécologie et appropriation indue

Dans un monde qui prétend privatiser et breveter toutes choses, l’agroécologie a été mise à l’ordre du jour de la gouvernance agroalimentaire mondiale, au sein de laquelle la science, les agences multilatérales, et même le secteur privé demandent que soit reconnu le rôle de l’agroécologie dans la conception de systèmes agricoles durables. Dans un monde qui commence tout juste à reconnaître l’importance des petits producteurs et productrices alimentaires, l’agroécologie court le risque d’être aliénée et dérobée à ses protagonistes historiques.

Eduardo Sevilla Guzmán nous dit [[Eduardo Sevilla Guzmán, Agroecología y agricultura ecológica: hacia una “re” construcción de la soberanía alimentaria, Revista Agroecológica, Université de Murcia, Volume 1, 2006]]: “L’une des caractéristiques des sociétés capitalistes industrielles réside dans la rôle que joue la science, institution au travers de laquelle l’on entend contrôler les évolutions sociales, anticipant l’avenir avec l’objectif de le planifier. Depuis les débuts de la modernisation, la privatisation, la marchandisation, et le tout-scientifique appliqués aux biens communs (air, terre, eau et biodiversité) ont contribué à rendre toujours plus artificiels les cycles et processus physiques, chimiques et biologiques, à l’origine naturels, nécessaires à la production alimentaire.”

C’est pourquoi il est plus urgent que jamais de comprendre comment est apparue l’agroécologie, afin d’adapter de façon pertinente les politiques publiques.Depuis les origines de l’humanité, le savoir a toujours été essentiel à la vie. C’est ainsi que l’agroécologie s’est développée : en partant des savoirs traditionnels accumulés tout au long de l’Histoire par les paysannes et paysans, tout en intégrant les connaissances scientifiques de ces derniers siècles.

Ce sont les paysannes et paysans, ce sont les peuples autochtones qui ont identifié, adapté et intégré de nouveaux éléments aux processus afin d’améliorer toujours davantage la production alimentaire, tout en préservant leurs identités culturelles, dans le respect de la nature. Les savoirs et expériences paysans, pris dans l’étau des différentes facettes du capitalisme, renaissent de leurs sources et se renouvellent, démontrant sans aucun doute, créativité et légitimité à l’appui, que même aujourd’hui il est possible de vivre dignement dans les campagnes, tout en préservant l’identité paysanne et autochtone.

L’agroécologie, c’est le modèle de production, de société, d’économie, d’organisation et de politique qui permet aux petits producteurs et petites productrices de se maintenir dans les campagnes. Il rend aux aliments leur rôle social, en opposition au système capitaliste qui les réduits à de simples marchandises. L’agroécologie a cette particularité, unique, de en pas promouvoir un modèle homogène unique. Au contraire, elle comporte en son sein toutes les agricultures et hydrocultures pratiquées par les paysans et paysannes, petites exploitations familiales, bergers, peuples autochtones, pêcheurs artisanaux, extractivistes de forêts et mangroves, qui défendent la terre et leur territoire, les graines, l’ensemble des biens naturels, la souveraineté alimentaire et le bien-vivre.

Mais l’agroécologie, c’est également un changement radical des rapports sociaux, politiques, économiques et des rapports société-nature. Elle transforme les schémas de production et consommation pour assurer la souveraineté alimentaire des populations rurales et urbaines. Nous savons que l’agroécologie est le seul moyen de nourrir la population mondiale, mais uniquement en la laissant entre les mains de celles et ceux qui l’ont fait naître ; les paysannes et les paysans, les peuples autochtones.

L’agroécologie refait surface et sera amenée à jouer un rôle dans de nombreux domaines qui ont oublié qui sont les vrais acteurs de cette révolution agroalimentaire. C’est pourquoi les gouvernement doivent, dans leurs recommandations, appeler à ce que ce soient les petits producteurs qui mettent en œuvre ces changements politiques, économiques et agroalimentaires, agents de transformation des territoires.

Sous les feux de la rampe 2

L’agroécologie face au changement climatique

Le changement climatique n’est pas une préoccupation récente. La recherche et les débats à gogo, le secteur de l’environnement trémulent à différents niveaux à l’approche de quelque convention ou protocole. Avant et après les évènements – les rapports sont mis en page, les réticences et les désaccords sont enregistrés et les objectifs de réduction d’émission affluent. Il est primordiale que les nations s’accordent sur des traités internationaux et considèrent, de concert, ce qui peut être fait pour limiter les émissions et gérer la température mondiale ainsi que ses effets sur notre planète. C’est primordiale parce qu’en renforçant l’engagement mondial, nous devons renverser les effets inexorables du changement climatique. Ce n’est pas seulement faisable mais aussi économiquement viable et bénéfique.

Le changement climatique est une affaire complexe: Il impacte et est impacté par des questions mondiales, y compris la nourriture, le commerce, la pauvreté, le développement économique, la croissance démographique, le développement durable et la gestion des ressources. Stabiliser le climat est un défi de taille qui exige organisation et progression par étape dans la bonne direction. Il n’en reste pas moins que les plus grosses questions restent ; non seulement le «combien» mais aussi le «comment» – comment réduire ces émissions, comment produire suffisamment de nourriture saine et comment produire de l’énergie propre?

Des solutions de mitigation émanent de tous les domaines sous forme de nouvelles technologies, d’énergie renouvelable propre et même de changements de pratiques de gestion. L’agroécologie est une de ces pratiques qui se préoccupe du «comment» atténuer et s’adapter au changement climatique. L’incertitude de l’augmentation des températures, les schémas pluviométriques inhabituels, la sécheresse et l’émergence d’organismes nuisibles et de maladies exigent une forme d’agriculture qui résiste et un système de production alimentaire qui étaye le transfère des connaissances locales et soutien les expériences en exploitation pour construire une bonne adaptabilité de l’agriculteur. La majorité des activités d’adaptation au changement climatique sont fondées sur des pratiques biologiques. Les systèmes de production biologiques sont le meilleur exemple – et le plus répandu – d’une agriculture à basses émissions. Les systèmes biologiques sont plus endurants que leur pendant industriel en terme de résistance aux chocs et tensions environnementaux – y compris la sécheresse et les inondations.

L’agriculture conventionnelle émet un taux élevé de carbone suite à l’utilisation à outrance de combustibles fossiles et détruit la biodiversité. Pour l’agriculture, l’idée est d’évoluer vers des modèles agroécologiques de production qui permettent une forte économie de combustibles fossiles, présente un excellent potentiel d’atténuation par le renouvellement du sol, de la faune et de la flore et a la flexibilité ainsi que la diversité requise pour s’adapter à des changements de conditions. En fait, l’agriculture peut contribuer au refroidissement de la planète de trois manières : en réduisant l’utilisation de combustibles fossiles (en réduisant et/ou éliminant complètement les intrants chimiques et de synthèse ainsi que leur production) et des engins et moyens de transport utilisant un combustible fossile. L’effet sur la biodiversité sera ainsi positif et ralentira l’émission de carbone biotique.

L’agroécologie peut grandement influencer de manière positive le changement climatique en construisant :
* La résilience de l’agro-écosystème qui considérerait cohérence et durabilité des récoltes – même et surtout – avec le changement climatique;
* La résilience des revenus qui parviendrait à diversifier les options de revenu par l’élevage de volailles, bétail, la pisciculture, etc.
Ceci aide également à la décrocher les pratiques agricoles de la volatilité et de l’instabilité des marchés tout en conservant les atouts sur l’exploitation et en réduisant ou éradiquant la dépendance aux intrants.

L’agroécologie en petite exploitation est non seulement une réponse efficace au défis agricoles complexes mais aussi un moyen peu coûteux pour augmenter les rendements sans apport extérieur à l’exploitation. De plus elle n’exige pas beaucoup de travail supplémentaire, elle est à basse émission et permet un contrôle local sur les décisions de production. Elle offre ainsi un choix de souveraineté alimentaire par rapport à la mono-culture actuelle pour enrailler la crise alimentaire. Plusieurs caractéristiques que l’on retrouve dans des espèces locales ou indigènes gagnent en importante au fur et à mesure que le changement climatique altère l’environnement et affecte les produits. Les graines et récoltes locales ont une meilleure chance de survie dans leur propre milieu face au changement des conditions climatiques. Leur protection, avec celle du savoir-faire local, sont essentiels à leur gestion ainsi que leur élevage et vitale à notre future subsistance.

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La transformation est possible: l’Agroécologie, un modèle économique populaire et solidaire

Est-il possible de penser à une autre économie comme alternative au modèle hégémonique actuel de produire-distribuer-échanger-consommer des aliments à niveau mondial, caractérisé par des chaînes agroalimentaires contrôlées par un petit nombre de grandes entreprises transnationales qui soumettent le reste des acteurs et empochent la plus grande partie des bénéfices?

Est-ce que le modèle agro-minier exportateur peut coexister parallèlement à la mise en œuvre d’une économie basée sur les principes de réciprocité, autarcie, coopération, justice et solidarité ? Une économie qui redistribue progressivement les biens de production concentrés: terre, capital, technologie et accès aux connaissances.

Peut-on ouvrir une brèche dans cette économie dominante afin de pouvoir construire une autre économie fondée sur l’échange restitutoire –et non extractif– entre société et nature, sur la responsabilité collective et sur des régimes de propriété collectives, communautaires, mixtes, publiques ou autres, différentes de la propriété privée, principe directeur du système des droits des sociétés capitalistes?

Il n’est possible de construire cette “autre économie” que si nous parvenons à établir la souveraineté alimentaire des peuples et, pour se faire, il n’existe d’autre chemin que celui de l’agroécologie. Nous, agriculteurs familiaux, paysans et autochtones, hommes et femmes, avons développé une autre forme de penser et de vivre, en rendant possible l’agroécologie, tant du point de vue productif que du système de valeurs et de relations sociales ayant trait aux aliments. Nous avons besoin de politiques agroalimentaires publiques avec une distribution équitable et la création de marchés locaux. Il ne peut y avoir de sécurité alimentaire sans souveraineté alimentaire et sans le respect de la culture des peuples.

Les paysannes et paysans en agroécologie de MAELA (Mouvement agroécologique de l’Amérique Latine et des Caraïbes) ainsi que leurs organisations, ont développé, au cours de ces deux dernières décennies, diverses formes d’organisation socioéconomique et productive fondées sur le droit à la vie, violé sans arrêt par le système économique dominant. Ce processus les a mené à comprendre la production, le commerce, la distribution et l’accès aux aliments comme étant un processus politique ayant un impact, une cause relative aux droits individuels et collectifs permettant de rendre plus digne la vie tant à la campagne qu’à la ville.

Du local jusqu’à l’international, dans cet ordre de priorité, on a élaboré et développé des actions dans le but d’ouvrir des brèches dans ce système mercantile de l’alimentation:
En créant des marchés locaux agroécologiques ayant une identité, qui permettent de construire des liens directs entre producteurs et consommateurs, tout en étant un espace d’information et d’échange politique et social, générant également des garanties alternatives;
En renforçant les marchés paysans traditionnels, en défendant leur identité culturelle et en leur redonnant un caractère de production paysanne et agroécologique;
En concluant des accords avec des acteurs urbains pour développer des systèmes agroalimentaires paysans sains et équitables.
• En étant créatif pour élaborer des systèmes de commercialisation à niveau régional et international basés sur l’agroécologie par le biais de canaux solidaires nord-sud, sud-sud et paysan à paysan.
• En appliquant diverses stratégies pour venir à bout de la soumission des paysannes et des paysans aux chaînes de valeur conventionnelles, contrôlées par et au service des élites nationales et des transnationales.

Ces processus et systèmes nous ont permis de voir qu’une révolution agroécologique est possible à condition d’en asseoir les bases sur des piliers sociaux, économiques, culturels et d’organisation en faveur de la souveraineté alimentaire des peuples.

Bulletin n° 20 – Éditorial

Agroécologie et le climat

L’agroécologie paysanne, clef de l’ humanite et de la planete

Illustration: Erin Dunn, www.cargocollective.com/erndnn

L’agroécologie existe depuis des décennies et fait objet d’une nombreuse littérature et articles. Multidimensionnelle, basée sur les savoirs, savoir-faire et savoir-être des paysan-nes en fonction de leur environnement naturel, sociétal, culturel elle a été longtemps jugée comme archaïque et peu adaptée au « progrès moderne ». L’agroécologie a été bannie mais revient aujourd’hui sur le devant de la scène. A qui va profiter ce retour ?

L’agriculture agroécologique qui valorise et pérennise les sols, les semences paysannes, les Savoirs paysans, cette agriculture symbole de la diversité des productions et des pratiques, des identités culturelles alimentaires adaptée à leur environnemental sociétal et naturel, se voit accaparée aujourd’hui par l’agriculture industrielle. Celle-ci à l’opposé basée sur le profit, l’uniformité, la standardisation, la concentration avec son cortège de conséquences mortifères.

En effet elle a besoin de rehausser son image et va duper encore une fois les citoyen-nes en prônant une agriculture durable « verte et respectueuse de la nature et des êtres humains » en usurpant le nom d’agroécologie* qui sonne bien dans l’oreille, comme elle usurpe les Savoirs à travers la brevabilité du vivant.
C’est ainsi que des gouvernements aux firmes tout le monde en parle, tout le monde veut en faire. Monsanto, associé à Arvalis, a formé des conseillers en agro-écologie. Pour eux l’agro-écologie s’est de se vanter « réduire » les produits chimiques, en volume pas en concentration, de continuer à promouvoir les semences hybrides, OGM et autres plantes ou animal transgénique, la monoculture, l’élevage hors sol, l’accaparement des terres, de l’eau et des ressources naturelles etc.

Hormis ces pratiques qui vont à l’encontre de l’agroécologie, celle se retrouve sur le seul terrain de la technicité oubliant ses dimensions sociales et sociétales, environnementales et spirituelles.

C’est pourquoi il est urgent que les paysan-nes, les communautés, les organisations paysannes s’organisent pour promouvoir l’agroécologie paysanne, celle liée à la Terre , pour une agriculture familiale multiples et diverses adaptée à son environnement, à ses moyens, à la biodiversité et ses Savoirs, pour une alimentation saine et nutritive respectueuse des agrosystèmes et de la biodiversité, pour un développement socio-économique des terroirs dans une cohésion sociale harmonieuse avec les identités des communautés, pour l’autonomisation des paysan-nes avec comme corollaire l’augmentation de leur revenu et de leur bien-être.

Dans le cadre de la souveraineté alimentaire, l’agroécologie paysanne pratiquée par des millions d’individus et communautés, constitue la clef d’aujourd’hui et de demain pour préserver l’humanité et la planète.

Groupe de travail de l’agroécologie du CIP

*Agroécologie: l’agroécologie paysanne; Agro-écologie: agroécologie accaparée par l’agriculture industrielle.

L’écho des campagnes

L’écho des campagnes 1

Résistance au Cambodge

Ms Oum Sophy, l’une des leaders dans la lutte pour les terres de Lor Peang au Cambodge

Depuis 2006, les habitants de Lor Peang, un village dans l’arrondissement de Kampong Tralach dans la province de Kampong Chhnang au Cambodge ont été impliqué dans un litige foncier avec KDC International, une puissante entreprise privée appartenant à Chea Kheng, l’épouse du ministre de l’Industrie, des Mines et de l’Energie Suy Sem. Depuis la mi-juillet 2014, le village est occupé par la police militaire et KDC International est en train de bâtir un mur autour des terres spoliées des villageois.
Je m’appelle Oum Sophy. Mon mari et deux autres villageois ont été arrêtés après que nous ayons quitté le village pour nous rendre à Phnom Penh ce matin (le 12 août 2014). Nous avions décidé de nous rendre à Phnom Penh pour demander au gouvernement de nous aider à trouver une solution concernant le litige foncier dans notre village. Sur la route, la police militaire a confisqué notre nourriture, notre eau, nos sacs et documents pour les jeter éparpillés le long de la route. Ils voulaient nous empêcher de poursuivre notre route. La plupart des villageois qui marchaient avec nous ont été battus et injuriés par la police et nos enfants pleuraient. Je n’ai pas pu aider mon mari quand j’ai vu que la police le chargeait dans son camion.
La majorité des personnes qui marchaient avec nous aujourd’hui sont des personnes âgées ou des enfants. Je ne voulais pas emmener mes quatre enfants mais je n’avais pas le choix. Mon plus jeune a seulement quatre mois.
Nous voulons la justice pour notre peuple. Cinq de nos représentants ont été arrêtés et nous voulons leur libération. Nous voulons que le gouvernement empêche l’entreprise [KDC International] de construire des murs autour de nos terres, qu’il retire d’urgence la police militaire de notre village, qu’il mette fin à la menace de notre liberté et qu’il nous laisse un environnement sûr afin que nos enfants puissent aller à l’école. Je ne retournerai pas dans mon village jusqu’à ce qu’une solution appropriée règle notre problème.

L’écho des campagnes 2

Stop aux pipelines de la société Enbridge

Winona La Duke, Honor the Earth, Minnesota

L’organisation indigène de l’environnement, Honor the Earth, organise une tournée dans le Nord du Minnesota qui a pour but d’engager les communautés aux abords d’un des nombreux pipelines de sables bitumineux et de pétrole extrait par fracturation hydraulique supposé traverser le Nord du pays. La tournée concerne non seulement la prévention contre la menace des pipelines mais est également une action de solidarité afin d’arrêter à leurs sources les extractions de sables bitumineux et de pétrole dans la zone de Bakken.
C’est la brume du matin. J’observe les chevaux dans la brume. Ensuite nous galopons jusqu’au lac. C’est le lac Rice au milieu du refuge du lac Rice. Le lieu s’appelle Minisinoo, un village traditionnel d’Anishinaabeg*, qui existe ici depuis des millénaires.
« Je n’arrive pas à comprendre pourquoi ils veulent placer le pipeline ici… C’est le fond d’un lac glaciaire qui comporte une vaste quantité de manoomin**… ce qui rend la diversité et la qualité de vie riche. Nous nous sentons menacés. » Notre terre regorge de lacs, de plantes médicinales et de marais. (…) Un oléoduc n’est pas nécessaire ici. La biodiversité et l’époustouflante beauté de l’écosystème est maamaakaajizhichige. C’est extraordinaire.
Le chef de tradition et de cérémonie du village d’East Lake nous accueille, prie pour nous et nous nourrit, nourrit nos esprits, met en pâture nos chevaux et nourrit nos corps. Nous expliquons la logistique du pipeline, abordons le fait qu’une brèche dans le pipeline laisserait s’écouler 75 000 litres à la minute et nous savons tous que ceux-ci se déverseraient directement dans l’eau. (…) La nappe phréatique se trouve seulement à 30 cm sous la surface de la terre. Le pipeline constitue une menace. Et il est associé à un autre projet extrême d’extraction caché dans la région – une exploration minière signée Rio Tinto Zinc/Kennecott Copper : traces de cuivre, de zinc, de diamants de magnésium et d’or, profondément enfouies en dessous du fond glaciaire dont est composé ce pays. L’entreprise, selon des sources, a loué un bâtiment au nord de la ville et cherche et creuse activement aux alentours.
Il n’y a pas de lieu sûr pour se cacher, pour hacher, pour être Anishinaabeg. Nous protégeons donc notre territoire comme nous le faisons depuis des centenaires. Il est toujours magnifique et rempli d’eau propre et de médicaments. Cela vaut tout. Notre eau est plus importante que leur pétrole. Notre mino bimaatisiiwin*** nous percera à jour. Aimons l’eau, pas le pétrole.

*Autonyme souvent utilisé par les peuples Odawa, Ojibwe et Algonquin.
**Du riz sauvage Ojibwe qui constitue leur aliment historique de base.
*** La philosophie Ojibway s’imprègne du concept de l’équilibre des quatre éléments de santé : physique, mental, émotionnel et spirituel.

L’écho des campagnes 3

Les Yaquis protègent leur eau du gouvernement et de l’industrie

Mario Luna, porte-parole de la tribu de Vicam, Sonora, Mexique

En 2010, le gouvernement a annoncé la construction d’un aqueduc qui prélèvera des millions de m³ d’eau du fleuve Yaqui. L’eau fait partie du territoire ancestral yaqui, territoire ratifié partiellement en 1940 par un décret présidentiel.
Même si nous avons gagné aux tribunaux, le gouvernement refuse de suspendre le projet et en plus il encourage la haine envers notre peuple.
Avec la mobilisation, il y eu des procédures judiciaires lancées contre certains d’entre nous et beaucoup de familles se sont vu supprimer les aides gouvernementales. Nous subissons des châtiments, des inspections, des menaces de mort et même des enlèvements.
En 75 ans, le décret nous octroyant le territoire n’a jamais été respecté. La centrale hydroélectrique construite dans les années 50 n’utilise l’eau que pour des questions énergétiques et la Commission nationale de l’eau nous la subtilise ne nous laissant ainsi que 250 millions de m³ des 800 millions de m³ que traite l’entreprise chaque année.
Nous avons été les derniers à être au courant du projet de l’aqueduc, et ce fut par la presse. Les autorités n’ont pas pris la peine de nous consulter alors même qu’il s’agit là d’une obligation inscrite dans plusieurs normes internationales.
Seuls 8% du fleuve Sonora sont utilisés pour la consommation des citoyens, le reste est dédié à l’agriculture. Cependant, le secteur industriel s’impose dans la région. Ford a quasiment doublé ses capacités ; Halcim Apasco est en train d’ouvrir la deuxième centrale la plus grande d’Amérique latine ; Heinekein, la plus grande brasserie du monde, est en train de s’y implanter et Coca-Cola et Pepsico comptent agrandir leurs installations d’aliments transformés. Le gouvernement viole continuellement les moratoires émanant du pouvoir judiciaire de la fédération. Le 15 juillet, le tribunal Colegiado de Hermosillo a annulé la décision du juge qui autorisait la suspension du projet jusqu’à nouvel ordre, avec comme excuse que nous, les Yaquis, avions repris les blocages sur l’autoroute fédérale au niveau de Vicam. Nous résistons pacifiquement, mais nous sommes dans l’œil de la tornade.

L’écho des campagnes 4

Shell to Sea: Rossport en lutte

Gerry Bourke, paysan dans le comté de Mayo, Irlande

Je suis un exploitant agricole du nord-ouest de l’Irlande près d’Erris dans le Comté de Mayo. Depuis treize ans nous menons un combat contre Shell afin de protéger nos terres, notre environnement et notre communauté. Shell voulait faire passer un gazoduc de gaz non traité, hautement volatile et polluant à travers les champs de nos communautés. Ces terres appartiennent à nos familles ; nous les exploitons et en prenons soin depuis des générations. Ce sont des marais et nous rendons ces terres fertiles en y déposant des algues de la mer. Pour nous, les terres représentent tout. Nous avons résisté à Shell et avons été violemment oppressés.
Les peuples ont été battus, abusés, soumis à la loi martiale. Ce sont presque cent plaintes qui ont été déposées contre le comportement de la police. Aucune n’a été suivie. Les peuples ont agi contre Shell, mais Shell était autorisé à se comporter de la sorte. En effet, le géant pétrolier détient sa propre police privée et ses propres services de sécurité tout en étant aidé par l’Etat. Le gouvernement a tracé une ligne autour de nos villages et a déclaré que « l’Etat de droit de l’Etat irlandais ne s’appliquait plus ici ». Comme s’il s’agissait d’un terrain d’essai pour opprimer leur propre peuple. L’Etat a cru qu’il pouvait nous écraser mais au contraire, il nous a éduqués.
Nous avons rencontré des personnes avec des idées et des connaissances qui sont venues nous aider dans notre combat. Nous avons appris énormément de choses sur le fonctionnement du monde et sur la manière dont le gouvernement irlandais peut traiter son peuple quand on parle d’alternatives. Nous espérons à présent que nos connaissances aideront d’autres communautés car c’est en rassemblant les peuples qu’il est possible d’opérer un changement.
Nous devons nous rappeler que tout sur cette île, du dernier brin d’herbe à la lune, appartient au peuple irlandais, c’est-à-dire à nous tous. Nous devons décider ensemble. Notre devoir envers nous-même et tous les autres est de faire entendre nos opinions et d’être responsables de ce qui se passe. Le gouvernement ne le fera jamais pour nous.

L’écho des campagnes 5

Nous ne laisserons pas ProSavana envahir nos terres et nous coloniser !

Ana Paula Taucale, paysanne dans la province de Nampula et membre de l’UNAC (União Nacional de Camponeses), Mozambique

Le gouvernement de mon pays – en collaboration avec le Brésil et le Japon – a accordé une importante portion de terre dans le Corredor de Nacala pour une agriculture à grande échelle destinée à l’exportation. Nous, les paysans de cette région nous nous opposons à ce projet et le considérons comme une invasion qui mènera à un accaparement des terres sans précédent.
Il existe déjà une preuve des effets de la spoliation des terres dans cette région (le Nord du Mozambique) sur les communautés paysannes et en particulier sur les femmes. Dans la province de Nampula, où j’habite et ai mon lopin de terre, on interdit aux femmes de traverser les régions où les entreprises étrangères sont en activité. Nous n’avons plus accès au bois de chauffage, à la nourriture sauvage ou aux racines médicinales utilisées pour nos familles. En soi, il s’agit d’une véritable violation de la loi de la nation du Mozambique. La loi requiert une consultation des communautés avant de céder des terres à des entreprises, donc aussi de donner le droit de veto aux communautés dans le cas où ce genre d’attributions des terres implique la violation de leurs droits.
Nous refusons cet accaparement des terres et nous rejetons le modèle d’agriculture représenté par le programme ProSavana. Nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour l’arrêter.
En juin, nous, représentants de l’UNAC, associés à d’autres organisations dans le pays, avons lancé la Campagne nationale NON à ProSavana. Nous voulons porter cette campagne à un niveau international – des organisations de société civile brésiliennes et japonaises nous ont déjà rejoint – et nous voulons activé un mécanisme juridique au niveau national et auprès des Nations Unies afin de mettre les dirigeants du programme ProSavana face à leurs responsabilités quant au danger qu’ils pourraient causer aux communautés paysannes du Mozambique.

Pour plus d’info sur la campagne ver ici.

L’écho des campagnes 6

Nous sommes prêts à nous battre

Parvati*, Muttagi, Inde

Je ne possède pas de terres mais j’ai une maison. Je suis ouvrière agricole sur des terres qui ne m’appartiennent pas. Je fabrique mon pain à la maison et je le vends pour subvenir à mes besoins. En réalité, mon terrain a été acheté il y a très longtemps et je ne souhaite cela à personne. C’est pour cette raison que j’ai rejoint le mouvement contre le NTPC (National Thermal Power Corporation Limited), une centrale électrique qui fut construite dans mon village.
Qu’allons nous manger si les paysans locaux perdent leurs champs ? Pendant la protestation, les hommes nous ont dit que si nous nous dirigions vers l’entrée, la police n’aurait pas recours à la violence. Mais lorsque nous avons atteint l’entrée de la centrale thermique NTPC, la police nous a frappé à coup de lathis (des longs bâtons en bambou) – même moi je me suis fait frappée. Nous étions terrifiés. C’était la première fois que je me trouvais dans une rixe. La police nous a pourchassés dans des hôtels, dans le commissariat et même dans la gare ! Mais le mouvement des paysans nous a dit de ne pas avoir peur. Un des membres de ma famille est en prison. C’est un étudiant à l’université et ils l’ont juste enlevé ! Je me suis engagée dans le combat contre NTPC. Quand nous, les femmes, travaillons ensemble, vous verrez de quoi nous somme capables !
Nous ne voulons pas de la centrale électrique NTPC. Même s’ils nous donnaient de l’argent nous ne voudrions pas de la centrale. Nous ne voulons pas attraper de maladies comme la tuberculose, l’asthme, etc. Nous ne voulons pas que nos bébés soient infectés dans le ventre de leur mère. Nous avons appris que l’eau aux abords de la centrale thermale est toxique. Nous ne disons que la vérité. Laissez-les nous descendre s’ils le veulent. Et nous ne voulons surtout pas perdre nos terres. Nous ne voulons aucun mort dans notre ou dans leur camp. Ils auraient dû faire une réunion avec nous, les paysans, à propos de l’impact de la centrale électrique avant de commencer les travaux.
Pourquoi le gouvernement a-t-il acheté ces terres ? Pour devenir riche c’est sûr mais que feront les pauvres ? Que nous réserve l’avenir ? Nous sommes prêts à nous battre !
*Le nom a été changé pour protéger l’identité du témoin

L’écho des campagnes 7

Nous sommes contre le projet Pacto-Junin !

Julian Morente, organisation des voisins mécontents à Ingapi, Equateur

Pacto est une paroisse rurale à Ingapi, en Equateur. Ses habitants y ont vécu pendant des siècles grâce à la canne entrelacée, à la banane et au manioc entre autres. Aucun produit agrochimique n’est employé dans nos cultures. Nous travaillons la terre traditionnellement, nourrissant le sol pour que lui nous nourrisse à son tour. Nous faisons la panela (pain de canne à sucre) à partir de nos propres moulages, avec des machines artisanales et des poêles à bois pour le rendre meilleur.
Dans les zones de basse altitude, nous possédons de l’élevage pastoral et nous produisons du lait et de la viande sans avoir recours à des grandes entreprises. Nous distribuons aux niveaux local et régional.
Ici, dans ce versant des Andes, l’industrie minière va s’implanter. Ils ont d’ailleurs déjà commencé à attaquer la montagne à certains endroits.
Le président Correa l’appelle le Projet Pacto-Junin. Il s’agit de plus de 4 000 hectares seulement à Pacto, et à Junin, la destruction a déjà grandement avancé. Où vont-ils nous envoyer ? Nous voulons manger, nous n’avons besoin ni d’or ni de pierres. Ici, ils vont laisser un désert aux futures générations. Les techniciens annoncent une profondeur d’un kilomètre, c’est une aberration. Avec 6 mois de pluie par an, en levant, en ouvrant la montagne d’ici jusqu’au fleuve, les réserves d’eau de la municipalité de Quito vont disparaitre. Je dis, moi, que l’eau est bien plus importante que l’or.
Les études menées sur l’impact environnemental sont désastreuses car fallacieuses. Et tout ça pour protéger l’industrie minière, qui est vorace. L’arrivée de cette industrie est synonyme de produits chimiques fort tel que le cyanure. Elle sous-entend aussi la destruction de collines entières touchant ainsi les forêts, les pâturages, le flux de l’eau et sa composition, largement polluée. Ils disent que nous habitons sur des réserves d’uranium, le gouvernement veut nous donner 300 dollars par hectare. Mais en aucun cas nous n’accepterons cela.

Encadres

Encadré 1

Le Tribunal permanent des peuples (TPP) au Mexique

« Libre échange, guerre sale, impunité et droits des peuples »

Le TPP (à l’origine, Tribunal Russell) a été créé pour juger les crimes des Etats-Unis au Vietnam. Il a par la suite permis le jugement des dictatures du cône austral et est devenu un « tribunal permanent » dans lequel les peuples peuvent exprimer à leur manière les injustices qu’ils subissent. Ils sont acteurs dans son processus et dénoncent les responsables du chaos et de la souffrance.
C’est en 2011 que le TPP s’est installé au Mexique suite à une pétition de centaines d’organisations paysannes, ouvrières et de la société civile. Ces dernières accusent l’Etat mexicain de détournement de pouvoir, autrement dit, l’utilisation de ses prérogatives dans l’intérêt des entreprises au détriment des citoyens qui ne peuvent plus obtenir justice.
Le détournement de pouvoir se divise en sept branches découlant de l’ordre imposé par le libre-échange : les violences perpétrées contre les travailleurs, celles contre les travailleurs migrants, la censure et la violence contre les moyens de communication, la dégradation environnementale, la violence contre le maïs et l’autonomie des peuples, la violence liée au sexe, la guerre sale et l’impunité.
Pour ce qui est de l’autonomie des peuples, le problème réside dans la spoliation des fondements de leur existence, à savoir le maïs, aliment vital et noyau de la défense territoriale. C’est peut-être la première fois qu’un jury international assume l’intégralité de l’attaque et les relations compliquées entrant en compte dans cette spoliation : la souveraineté alimentaire, l’expulsion de migrants et l’accaparement des terres et des biens communs. Le TPP a recommandé au Mexique une sortie de l’Accord de libre-échange nord-américain. Sans cela, la souveraineté nationale et l’autonomie ne sont pas envisageables, l’interdiction du maïs transgénique est elle aussi irréalisable, même s’il porte atteinte à une civilisation pleine d’avenir. Le tribunal a conclu que le Mexique ne respectait pas le Statut de Rome pour cas de génocide et il a mis la lumière, au niveau international, sur les abus des gouvernements contre les peuples.
Le TPP ouvre des espaces de dialogue et de relation où les personnes lésées peuvent systématiser leur expérience et redevenir des acteurs centraux. Il encourage la lutte et fomente la sensation de réussite et d’assurance en laissant la parole aux victimes dans un environnement de confiance.

Encadré 2

Atlas de la justice environnementale

L‘Atlas de la justice environnementale comporte des cartes thématiques et régionales répertoriant les conflits socio-environnementaux du monde entier. La plupart des faits repris dans l’atlas se concentrent sur des situations où les communautés sont mobilisées et se battent pour une justice environnementale.

Les faits marquants du recensement révèlent que :
1. Les conflits écologiques sont en hausse dans le monde entier. Ils sont entraînés par les demandes matérielles nourries essentiellement par les classes les plus riches de la population mondiale. Les communautés démunies et marginalisées en sont en revanche les principales victimes (…).
2. Les nouvelles et anciennes méthodes d’extraction (fracturation hydraulique, services écosystémiques) sont en expansion. La plupart de ces exploitations de ressources se concentre sur les derniers écosystèmes de la planète jusque là préservés, généralement occupés par des communautés indigènes et pratiquant une économie de subsistance.
3. La tendance actuelle à créer des enclos provoque une destruction environnementale inconsidérée et irréversible comme la contamination et l’épuisement de l’eau, la dégradation des terres et le rejet de substances toxiques dangereuses ainsi que la perte du contrôle des communautés sur les ressources nécessaires à leur subsistance. (…)
4. Un réseau varié d’acteurs est impliqué dans ces injustices environnementales, notamment des entreprises déjà actives dans l’investissement de grande envergure dans les ressources ainsi que des nouveaux acteurs financiers. (…) Cependant la résistance populaire ne se fait pas attendre. En effet, les communautés se battent pour regagner le contrôle de leurs ressources et revendiquent leur droit à un environnement sain. Les actions prennent différentes formes comprenant, d’une part, des méthodes légales tels que les affaires judiciaires, les activités de lobbying auprès des gouvernements et les référendums et, d’autre part, les mobilisations informelles comme les manifestations dans la rue, les blocus économiques et l’occupation des terres.
5. Les sociétés continuent à bénéficier d’une vaste impunité pour ce qui concerne la violation des droits environnementaux et humains. De plus, les entreprises poursuivent leurs activités au milieu de protestations citoyennes véhémentes qui se heurtent parfois à des services de sécurité privés et à des gouvernements favorables à la suppression de la résistance. Cette persécution croissante et cette prise pour cible brutale des activistes environnementaux ébranlent les droits de l’homme. (Bulletin Nyéléni n° 14: Droits et Répressions).
6. Les seuls moyens de faire cesser la propagation des conflits écologiques dans le monde sont la responsabilité d’entreprises grandissante, opposée à la responsabilité d’entreprises volontaire, et la réduction de la consommation. La surveillance et la mobilisation continue de groupes citoyens demeurent également essentielles.
7. Parmi les histoires de dévastation et de pollution environnementales, il existe toutefois de nombreux cas de victoires en termes de justice environnementale. (…) La résistance populaire des communautés touchées constitue la pierre angulaire d’une économie plus durable et plus égalitaire.

Sous les feux de la rampe

Nous, les gens ordinaires

Aujourd’hui et plus que jamais il est clair que les villages et les communautés sont encore bien présents et que les systèmes « dominants » veulent désespérément les contrôler. Ces gens ordinaires conservent leurs semences indigènes et, au sens le plus étendu, les cultivent pour leur propre communauté et, dans une large mesure, pour le monde entier. Ces gens résistent et revendiquent toujours plus un autogouvernement défenseur de leurs terres ancestrales. Ces communautés ont de tout temps mis leur vie au service de la planète en conservant un respect et un équilibre entre les plantes, les animaux et les sources d’eau, entre les « êtres naturels et spirituels », ainsi qu’en entretenant une mémoire et une présence de notre milieu de subsistance, de nos vivants comme de nos morts.

Combien nous sommes et ce que nous faisons

Un récent rapport de GRAIN [GRAIN, Affamés de terres: Les petits producteurs nourrissent le monde avec moins d’un quart de l’ensemble des terres agricoles, 2014] offre une révision approfondie des données de la structure agraire et de la production alimentaire à l’échelle internationale. Il en ressort six conclusions principales.
La première est que les paysans sont toujours ceux qui, grâce à leurs petites exploitations, produisent une grande partie de l’approvisionnement alimentaire mondial, principalement pour nourrir leur propre famille, leur communauté et les marchés locaux.

La seconde est que la majorité des exploitations du monde sont petites et continuent de rétrécir, suite à la myriade d’expulsions qui sévit. Si nous n’inversons pas cette tendance en résistant de manière à obtenir une réforme agraire intégrale, ces expulsions deviendront, et nous pouvons d’ores et déjà nous en rendre compte, encore plus brutales.
Toutes ces exploitations sont concentrées dans moins d’un quart de l’ensemble des terres agricoles. Et ce pourcentage ne cesse de diminuer. Voilà la troisième conclusion.

La quatrième certitude est qu’alors que les exploitations, les paysans et paysannes de toutes parts disparaissent, les grandes installations industrielles agricoles quant à elles s’agrandissent. Ces 50 dernières années, quelques 140 millions d’hectares (soit bien plus que la terre agricole chinoise) ont été monopolisés pour planter du soja, du palmier à huile, du colza, de la canne à sucre et du maïs, et ce, principalement à cause de la monoculture industrielle.

La cinquième conclusion affirme que techniquement, selon des données extraites de sondages nationaux provenant du monde entier, les petites exploitations sont plus productives que les énormes installations agricoles, malgré le fait que ces dernières disposent d’un pouvoir considérable et du recours à des grandes industries.
La sixième et dernière conclusion est que la majeure partie du monde paysan est constitué de femmes. Et malgré leurs contributions, elles sont sans cesse exclues, sans même avoir été considérées par les statistiques officielles. Ainsi, dès lors qu’il est question de contrôle des terres, elles subissent les discriminations.

Qui nous attaque

Nous devons reconnaitre qu’aujourd’hui, la vie rurale et la persistance et l’intégrité des communautés paysannes sont confrontées directement aux systèmes avides de relations, de richesses, de personnes, de biens communs et d’activités potentiellement lucratives et, au moyen des lois, de dispositions, de politiques, d’expansionnisme, de programmes, de projets et enfin d’argent. Tout ceci est rendu possible grâce à l’agro-industrie qui veut, avec des méthodes continuellement plus sophistiquées, produire (pas seulement des aliments) sur de vastes étendues de terre afin de récolter des grands volumes et en sortir avec de gros profits.

Sa logique industrielle engendre une violence terrible à l’encontre de la nature même des processus et des cycles vitaux de par son intégration verticale. Il s’agit là d’une course folle à l’ajout de valeur économique aux aliments en utilisant de plus en plus de procédés, depuis l’accaparement des terres en passant par les semences certifiées, les sols, leurs fertilisation et leur désinfection grandement chimique, le matériel d’exploitation, le transport, le nettoyage, le traitement, le conditionnement, le compactage, l’entreposage et de nouveau le transport pour enfin arriver aux marchés, supermarchés et enfin aux salles à manger.

Comme nous le savons déjà, cette série de procédés renforce le réchauffement qui lui-même accentue la crise climatique (presque 50% des gaz à effet de serre proviennent de ces mêmes procédés). De plus, ce système transnational et global subjugue d’une manière ou d’une autre les personnes qui y sont piégées. Nous parlons d’un système qui ne résout pas les problèmes alimentaires des communautés ou des villages mais qui pourtant utilise ces derniers pour effectuer les tâches les plus ignobles et les plus nuisibles de toute la chaîne et qui, en même temps, les enrôle dans un système agricole industriel qui dérobe le futur de leur labeur et réduit au semi-esclavage ce qui avant était créatif, digne et très consciencieux. Voilà pourquoi produire nos propres aliments indépendamment de ce système alimentaire mondial est devenu aussi politique et subversif.

Accaparement, mémoire et résistance

La relation directe entre la perte des terres et l’avancée de la suractivité minière, du pétrole, du gaz et de la monoculture est indéniable. Comme nous l’avons exposé dans cet éditorial, nous devons reconnaitre qu’il reste encore beaucoup à investiguer pour découvrir la réelle progression de l’extractivisme et de la fragmentation, du démantèlement et de la perte des territoires des paysans et des indigènes. Cependant, quelques preuves sont déjà là : au Mexique, 26% du territoire national appartient aux industries minières et en Colombie, 40% du territoire est lui aussi exploité. De plus, dans ce pays, « 80% des violations des droits de l’homme de ces dix dernières années ont eu lieu dans des régions minières et énergétiques et 87% des personnes déplacées proviennent de ces mêmes régions ». Au Pérou, 40% du territoire est déjà détenu par les industries minières. Ainsi, en parcourant chaque pays, ce qu’il faudrait commencer à faire de manière systématique, nous y découvririons des situations similaires, comme en République Démocratique du Congo ou le pire n’est pas mesuré en pourcentage de terres détenues mais en nombre de morts dus aux conflits miniers, principalement autour des diamants, du coltan et de l’or : plus de 7 millions de personnes ont été assassinées en moins de 15 ans.

Les conflits liés à l’eau sont eux aussi récurrents. En outre, selon un autre rapport de GRAIN [GRAIN, Ruée vers l’or bleu en Afrique : Derrière chaque accaparement de terres, un accaparement de l’eau, 2012.]: « En Afrique par exemple, une personne sur trois souffre de manque d’eau et le changement climatique ne fait qu’aggraver les choses. Le développement en Afrique de système de gestion des eaux indigène, hautement sophistiqué, pourrait aider à résoudre la crise, mais ce sont justement ces systèmes qui sont détruits par les accaparements de terres à grande échelle, sous prétexte que l’eau est abondante en Afrique, qu’elle est sous-utilisée et ainsi prête à servir pour l’agriculture d’exportation », et ce cas n’est bien évidemment pas isolé.

Bien au-delà des causes, qui vont des monocultures du système agroalimentaire industriel à l’extractivisme plus poussé et polluant de l’industrie minière, en passant par les centrales éoliennes, les puits de pétrole, les réserves de la biosphère et les projets REDD, le tourisme de masse et les développement immobiliers, les autoroutes, les barrages hydroélectriques colossaux, les transferts d’aquifères, les corridors multimodaux ou l’entrée soudaine d’une culture de délinquance et du narcotrafic de graines, les laboratoires ou le trafic, ce qui est bien réel, c’est qu’une attaque à notre mémoire territoriale est lancée car nos terres représentent un espace vital, elles sont les domaines communs nécessaire à la reconstruction et à la transformation de notre existence, elles sont l’étendue qui, grâce à nos savoirs partagés en une histoire commune, prend tout son sens.

Afin de provoquer le manque et la dépendance économique, les systèmes corporatifs, industriels ou multilatéraux ont encouragé une déstabilisation progressive qui cherche à empêcher les communautés, qui depuis toujours ont nourri le monde, de résoudre par leurs propres moyens leurs problèmes de santé, d’éducation et de survie. L’effet de cette précarité imposée se retrouve dans l’expulsion des populations qui fragilise leurs stratégies et réduit le poids de leur avenir.

C’est pourquoi la souveraineté alimentaire continue d’être aussi pertinente et encourageante en tant qu’outil d’autonomie et de défense territoriale, car elle ravive notre mémoire. En partant du niveau le plus bas, le communautaire, jusqu’en haut de l’échelle, il est évident que la production indigène d’aliments est une proposition vitale. Il est encore possible de mettre un terme à une telle injustice.

Bulletin n° 19 – Éditorial

La lutte des communautés pour défendre leur territoire

L’accaparement des terres arables mondiales s’étend de jour en jour.
Lorsque nous avons commencé notre étude à ce propos, nous avons attiré l’attention, pour diverses raisons méthodologiques, sur la prise de de contrôle des terres mondiales par les gouvernements de certaines nations qui arguent agir dans le seul but de résoudre le problème de l’insécurité alimentaire. Très vite, les différents groupes financiers (dont certains fonds de pension) se sont rués dans des processus de négociation, dévoilant le caractère spéculatif de bon nombre de ces réformes agraires et ouvrant ainsi le foyer de cette nouvelle chasse aux terres entrepreneuriale.
Nous avons toujours été conscients de l’étendue de l’accaparement des terres et de l’abomination qu’il représente, et ce, bien plus que ce que nous avons montré jusqu’ici.
Il ne s’agit pas seulement de l’exploitation pour des entreprises agricoles de monoculture de matières premières d’export ou de la délocalisation de la production alimentaire dans d’autres pays. L’accaparement des terres implique aussi l’extractivisme : l’eau, l’industrie minière, le pétrole, la déforestation, le narcotrafic, les services environnementaux et les projets REDD (ou des terres aliénées apparemment sous surveillance) et enfin toute la spéculation relative à ces derniers, à savoir le tourisme, le développement immobilier, l’urbanisation, la géopolitique, et bien plus encore.
Dans ce numéro de Nyéléni, nous voulons nous pencher un peu plus sur ce phénomène croissant et sur les possibilités que nous avons, depuis nos communautés, d’y résister.

GRAIN

L’écho des campagnes

L’écho des campagnes 1

Présentation de cas d’apprentissage horizontal qui ont réussi

Peter Rosset , La Via Campesina

« L’Université » ne se trouve plus au centre de la production des savoirs – si tant est qu’elle s’y soit jamais trouvée. Dans le monde actuel, la plus grande partie des nouveaux savoirs et même des théories, sur les alternatives au développement conventionnel et exclusif, sont produites par les mouvements sociaux.
J’ai eu l’opportunité de participer à l’un de ces processus d’auto-apprentissage de La Via Campesina (LVC). Dans ce cas précis, l’objet de l’analyse était le mouvement agro-écologique de l‘Association nationale des paysans de Cuba (ANAP-Via Campesina) dénommé campesino-a-campesino (de paysan à paysan). Il s’agit de l’un des meilleurs exemples de réussite dans la diffusion de l’agro-écologie dans la cadre de la souveraineté alimentaire. En un peu plus de dix ans, en utilisant délibérément une méthodologie sociale, l’ANAP a construit un mouvement social d’agro-écologie au sein de son organisation paysanne nationale. Ce mouvement arrive maintenant à inclure 50% des familles paysannes de Cuba qui utilisent peu ou pas d’intrants extérieurs à la ferme, leurs méthodes sont agro-écologiques et la contribution du secteur paysan à la production alimentaire nationale totale et relative est montée en flèche, stimulant ainsi la souveraineté alimentaire.
LVC et l’ANAP voulaient que les paysans reconstruisent leur histoire et analysent les facteurs de leur succès. Ils demandaient aussi que les résultats de cette analyse soit présentés sous un format qui, non seulement aide l’ANAP dans son processus interne mais aussi permette à d’autres organisations dans d’autres pays de tirer des enseignements utiles. Une petite équipe s’est déplacée dans toute l’île, a organisé des ateliers dans les coopératives paysannes afin d’écouter les paysans de ce mouvement, raconter et recréer leur histoire, tirant eux-mêmes les enseignements de leur expérience. L’équipe s’est chargée de recueillir les informations dans un livre qui est maintenant utilisé dans les écoles de formation de LVC et en soutien au travail de la campagne.
D’autres équipes de LVC sont maintenant engagées dans des processus d’analyse semblables, par exemple l’expérience du Mouvement paysan d’agriculture naturelle à zéro budget dans le sud de l’Inde, dans laquelle des millions de paysans indiens ont arrêté d’acheter des intrants chimiques et ont augmenté la production grâce à des méthodes autonomes et écologiques.

L’écho des campagnes 2

La souveraineté alimentaire dans les Andes

Maruja Salas

Ce document présente des personnes qui font partie de communautés autochtones, engagées dans la souveraineté alimentaire. Le pouvoir de la nature est omniprésent dans leur pensée et elles défendent leurs droits individuels et collectifs à une alimentation saine. Leur façon de s’exprimer est paisible, mais reste vague et quelquefois même énigmatique. Leur savoir commun est exprimé avec divers degrés de cohérence. Et pourtant, quand ces personnes parlent de leur vie, des soins, de l’agriculture, de la pêche, de l’élevage, c’est la joie qui ressort, avec une vision du monde où travail et célébration sont en harmonie. Il y a aussi une profonde spiritualité dans l’attention qu’elles portent aux signes émanant de la nature particulièrement envers les montagnes sacrées de l’Altiplano et la Terre Mère. Ces femmes et ces hommes utilisent avec aise le symbolisme de l’interprétation des rêves pour guider la sélection des semences, la cuisine, le stockage des aliments, veillant constamment sur le bien-être de la famille en suivant les règles traditionnelles. Vous trouverez de plus amples informations sur leur travail sur le site internet du Programme Andin pour la Souveraineté alimentaire.

Lucía Paucara

Lucía vient de Vilurcuni où elle a passé la plupart de ses 54 ans à travailler les champs et à ramasser des pommes de terre afin de nourrir sa famille. Les pommes de terre sont comme des enfants pour elle, elle célèbre toutes les étapes de leur croissance. Ses champs sont près du lac, elle produit donc plusieurs variétés de pommes de terre pour cuisiner les différents plats locaux : la patasca, le chayro et la watia. Sa famille immédiate et ses relations qui vivent à Lima et à Tacna, ne connaitront jamais la faim car elle produit assez de pommes de terre pour eux tous.

Presentación Velásquez

Presentación a appris avec sa grand-mère à cultiver les produits andins selon le système Aynoqas (une agriculture de rotation) ainsi qu’à repousser la grêle en mobilisant la communauté entière. Elle a promis à ses petites filles de continuer à travailler les champs jusqu’à sa mort pour que toute sa famille ait assez de pommes de terre et de céréales pour leur consommation personnelle sans avoir à en acheter au marché.

Domitila Taquila
Domitila vit à Aychullo, elle n’est pas née avec beaucoup de savoirs, dit-elle, mais elle a appris dans les champs avec sa grand-mère. Sa mère lui a appris à tisser et à cuisiner. Sa capacité à lire les indicateurs naturels lui a été révélée par des rêves. Aujourd’hui, elle enseigne à ses enfants les avantages des produits cultivés dans ses champs sur les denrées alimentaires contaminées vendues au marché.