Bulletin n° 20 – Éditorial

Agroécologie et le climat

L’agroécologie paysanne, clef de l’ humanite et de la planete

Illustration: Erin Dunn, www.cargocollective.com/erndnn

L’agroécologie existe depuis des décennies et fait objet d’une nombreuse littérature et articles. Multidimensionnelle, basée sur les savoirs, savoir-faire et savoir-être des paysan-nes en fonction de leur environnement naturel, sociétal, culturel elle a été longtemps jugée comme archaïque et peu adaptée au « progrès moderne ». L’agroécologie a été bannie mais revient aujourd’hui sur le devant de la scène. A qui va profiter ce retour ?

L’agriculture agroécologique qui valorise et pérennise les sols, les semences paysannes, les Savoirs paysans, cette agriculture symbole de la diversité des productions et des pratiques, des identités culturelles alimentaires adaptée à leur environnemental sociétal et naturel, se voit accaparée aujourd’hui par l’agriculture industrielle. Celle-ci à l’opposé basée sur le profit, l’uniformité, la standardisation, la concentration avec son cortège de conséquences mortifères.

En effet elle a besoin de rehausser son image et va duper encore une fois les citoyen-nes en prônant une agriculture durable « verte et respectueuse de la nature et des êtres humains » en usurpant le nom d’agroécologie* qui sonne bien dans l’oreille, comme elle usurpe les Savoirs à travers la brevabilité du vivant.
C’est ainsi que des gouvernements aux firmes tout le monde en parle, tout le monde veut en faire. Monsanto, associé à Arvalis, a formé des conseillers en agro-écologie. Pour eux l’agro-écologie s’est de se vanter « réduire » les produits chimiques, en volume pas en concentration, de continuer à promouvoir les semences hybrides, OGM et autres plantes ou animal transgénique, la monoculture, l’élevage hors sol, l’accaparement des terres, de l’eau et des ressources naturelles etc.

Hormis ces pratiques qui vont à l’encontre de l’agroécologie, celle se retrouve sur le seul terrain de la technicité oubliant ses dimensions sociales et sociétales, environnementales et spirituelles.

C’est pourquoi il est urgent que les paysan-nes, les communautés, les organisations paysannes s’organisent pour promouvoir l’agroécologie paysanne, celle liée à la Terre , pour une agriculture familiale multiples et diverses adaptée à son environnement, à ses moyens, à la biodiversité et ses Savoirs, pour une alimentation saine et nutritive respectueuse des agrosystèmes et de la biodiversité, pour un développement socio-économique des terroirs dans une cohésion sociale harmonieuse avec les identités des communautés, pour l’autonomisation des paysan-nes avec comme corollaire l’augmentation de leur revenu et de leur bien-être.

Dans le cadre de la souveraineté alimentaire, l’agroécologie paysanne pratiquée par des millions d’individus et communautés, constitue la clef d’aujourd’hui et de demain pour préserver l’humanité et la planète.

Groupe de travail de l’agroécologie du CIP

*Agroécologie: l’agroécologie paysanne; Agro-écologie: agroécologie accaparée par l’agriculture industrielle.

L’écho des campagnes

L’écho des campagnes 1

Résistance au Cambodge

Ms Oum Sophy, l’une des leaders dans la lutte pour les terres de Lor Peang au Cambodge

Depuis 2006, les habitants de Lor Peang, un village dans l’arrondissement de Kampong Tralach dans la province de Kampong Chhnang au Cambodge ont été impliqué dans un litige foncier avec KDC International, une puissante entreprise privée appartenant à Chea Kheng, l’épouse du ministre de l’Industrie, des Mines et de l’Energie Suy Sem. Depuis la mi-juillet 2014, le village est occupé par la police militaire et KDC International est en train de bâtir un mur autour des terres spoliées des villageois.
Je m’appelle Oum Sophy. Mon mari et deux autres villageois ont été arrêtés après que nous ayons quitté le village pour nous rendre à Phnom Penh ce matin (le 12 août 2014). Nous avions décidé de nous rendre à Phnom Penh pour demander au gouvernement de nous aider à trouver une solution concernant le litige foncier dans notre village. Sur la route, la police militaire a confisqué notre nourriture, notre eau, nos sacs et documents pour les jeter éparpillés le long de la route. Ils voulaient nous empêcher de poursuivre notre route. La plupart des villageois qui marchaient avec nous ont été battus et injuriés par la police et nos enfants pleuraient. Je n’ai pas pu aider mon mari quand j’ai vu que la police le chargeait dans son camion.
La majorité des personnes qui marchaient avec nous aujourd’hui sont des personnes âgées ou des enfants. Je ne voulais pas emmener mes quatre enfants mais je n’avais pas le choix. Mon plus jeune a seulement quatre mois.
Nous voulons la justice pour notre peuple. Cinq de nos représentants ont été arrêtés et nous voulons leur libération. Nous voulons que le gouvernement empêche l’entreprise [KDC International] de construire des murs autour de nos terres, qu’il retire d’urgence la police militaire de notre village, qu’il mette fin à la menace de notre liberté et qu’il nous laisse un environnement sûr afin que nos enfants puissent aller à l’école. Je ne retournerai pas dans mon village jusqu’à ce qu’une solution appropriée règle notre problème.

L’écho des campagnes 2

Stop aux pipelines de la société Enbridge

Winona La Duke, Honor the Earth, Minnesota

L’organisation indigène de l’environnement, Honor the Earth, organise une tournée dans le Nord du Minnesota qui a pour but d’engager les communautés aux abords d’un des nombreux pipelines de sables bitumineux et de pétrole extrait par fracturation hydraulique supposé traverser le Nord du pays. La tournée concerne non seulement la prévention contre la menace des pipelines mais est également une action de solidarité afin d’arrêter à leurs sources les extractions de sables bitumineux et de pétrole dans la zone de Bakken.
C’est la brume du matin. J’observe les chevaux dans la brume. Ensuite nous galopons jusqu’au lac. C’est le lac Rice au milieu du refuge du lac Rice. Le lieu s’appelle Minisinoo, un village traditionnel d’Anishinaabeg*, qui existe ici depuis des millénaires.
« Je n’arrive pas à comprendre pourquoi ils veulent placer le pipeline ici… C’est le fond d’un lac glaciaire qui comporte une vaste quantité de manoomin**… ce qui rend la diversité et la qualité de vie riche. Nous nous sentons menacés. » Notre terre regorge de lacs, de plantes médicinales et de marais. (…) Un oléoduc n’est pas nécessaire ici. La biodiversité et l’époustouflante beauté de l’écosystème est maamaakaajizhichige. C’est extraordinaire.
Le chef de tradition et de cérémonie du village d’East Lake nous accueille, prie pour nous et nous nourrit, nourrit nos esprits, met en pâture nos chevaux et nourrit nos corps. Nous expliquons la logistique du pipeline, abordons le fait qu’une brèche dans le pipeline laisserait s’écouler 75 000 litres à la minute et nous savons tous que ceux-ci se déverseraient directement dans l’eau. (…) La nappe phréatique se trouve seulement à 30 cm sous la surface de la terre. Le pipeline constitue une menace. Et il est associé à un autre projet extrême d’extraction caché dans la région – une exploration minière signée Rio Tinto Zinc/Kennecott Copper : traces de cuivre, de zinc, de diamants de magnésium et d’or, profondément enfouies en dessous du fond glaciaire dont est composé ce pays. L’entreprise, selon des sources, a loué un bâtiment au nord de la ville et cherche et creuse activement aux alentours.
Il n’y a pas de lieu sûr pour se cacher, pour hacher, pour être Anishinaabeg. Nous protégeons donc notre territoire comme nous le faisons depuis des centenaires. Il est toujours magnifique et rempli d’eau propre et de médicaments. Cela vaut tout. Notre eau est plus importante que leur pétrole. Notre mino bimaatisiiwin*** nous percera à jour. Aimons l’eau, pas le pétrole.

*Autonyme souvent utilisé par les peuples Odawa, Ojibwe et Algonquin.
**Du riz sauvage Ojibwe qui constitue leur aliment historique de base.
*** La philosophie Ojibway s’imprègne du concept de l’équilibre des quatre éléments de santé : physique, mental, émotionnel et spirituel.

L’écho des campagnes 3

Les Yaquis protègent leur eau du gouvernement et de l’industrie

Mario Luna, porte-parole de la tribu de Vicam, Sonora, Mexique

En 2010, le gouvernement a annoncé la construction d’un aqueduc qui prélèvera des millions de m³ d’eau du fleuve Yaqui. L’eau fait partie du territoire ancestral yaqui, territoire ratifié partiellement en 1940 par un décret présidentiel.
Même si nous avons gagné aux tribunaux, le gouvernement refuse de suspendre le projet et en plus il encourage la haine envers notre peuple.
Avec la mobilisation, il y eu des procédures judiciaires lancées contre certains d’entre nous et beaucoup de familles se sont vu supprimer les aides gouvernementales. Nous subissons des châtiments, des inspections, des menaces de mort et même des enlèvements.
En 75 ans, le décret nous octroyant le territoire n’a jamais été respecté. La centrale hydroélectrique construite dans les années 50 n’utilise l’eau que pour des questions énergétiques et la Commission nationale de l’eau nous la subtilise ne nous laissant ainsi que 250 millions de m³ des 800 millions de m³ que traite l’entreprise chaque année.
Nous avons été les derniers à être au courant du projet de l’aqueduc, et ce fut par la presse. Les autorités n’ont pas pris la peine de nous consulter alors même qu’il s’agit là d’une obligation inscrite dans plusieurs normes internationales.
Seuls 8% du fleuve Sonora sont utilisés pour la consommation des citoyens, le reste est dédié à l’agriculture. Cependant, le secteur industriel s’impose dans la région. Ford a quasiment doublé ses capacités ; Halcim Apasco est en train d’ouvrir la deuxième centrale la plus grande d’Amérique latine ; Heinekein, la plus grande brasserie du monde, est en train de s’y implanter et Coca-Cola et Pepsico comptent agrandir leurs installations d’aliments transformés. Le gouvernement viole continuellement les moratoires émanant du pouvoir judiciaire de la fédération. Le 15 juillet, le tribunal Colegiado de Hermosillo a annulé la décision du juge qui autorisait la suspension du projet jusqu’à nouvel ordre, avec comme excuse que nous, les Yaquis, avions repris les blocages sur l’autoroute fédérale au niveau de Vicam. Nous résistons pacifiquement, mais nous sommes dans l’œil de la tornade.

L’écho des campagnes 4

Shell to Sea: Rossport en lutte

Gerry Bourke, paysan dans le comté de Mayo, Irlande

Je suis un exploitant agricole du nord-ouest de l’Irlande près d’Erris dans le Comté de Mayo. Depuis treize ans nous menons un combat contre Shell afin de protéger nos terres, notre environnement et notre communauté. Shell voulait faire passer un gazoduc de gaz non traité, hautement volatile et polluant à travers les champs de nos communautés. Ces terres appartiennent à nos familles ; nous les exploitons et en prenons soin depuis des générations. Ce sont des marais et nous rendons ces terres fertiles en y déposant des algues de la mer. Pour nous, les terres représentent tout. Nous avons résisté à Shell et avons été violemment oppressés.
Les peuples ont été battus, abusés, soumis à la loi martiale. Ce sont presque cent plaintes qui ont été déposées contre le comportement de la police. Aucune n’a été suivie. Les peuples ont agi contre Shell, mais Shell était autorisé à se comporter de la sorte. En effet, le géant pétrolier détient sa propre police privée et ses propres services de sécurité tout en étant aidé par l’Etat. Le gouvernement a tracé une ligne autour de nos villages et a déclaré que « l’Etat de droit de l’Etat irlandais ne s’appliquait plus ici ». Comme s’il s’agissait d’un terrain d’essai pour opprimer leur propre peuple. L’Etat a cru qu’il pouvait nous écraser mais au contraire, il nous a éduqués.
Nous avons rencontré des personnes avec des idées et des connaissances qui sont venues nous aider dans notre combat. Nous avons appris énormément de choses sur le fonctionnement du monde et sur la manière dont le gouvernement irlandais peut traiter son peuple quand on parle d’alternatives. Nous espérons à présent que nos connaissances aideront d’autres communautés car c’est en rassemblant les peuples qu’il est possible d’opérer un changement.
Nous devons nous rappeler que tout sur cette île, du dernier brin d’herbe à la lune, appartient au peuple irlandais, c’est-à-dire à nous tous. Nous devons décider ensemble. Notre devoir envers nous-même et tous les autres est de faire entendre nos opinions et d’être responsables de ce qui se passe. Le gouvernement ne le fera jamais pour nous.

L’écho des campagnes 5

Nous ne laisserons pas ProSavana envahir nos terres et nous coloniser !

Ana Paula Taucale, paysanne dans la province de Nampula et membre de l’UNAC (União Nacional de Camponeses), Mozambique

Le gouvernement de mon pays – en collaboration avec le Brésil et le Japon – a accordé une importante portion de terre dans le Corredor de Nacala pour une agriculture à grande échelle destinée à l’exportation. Nous, les paysans de cette région nous nous opposons à ce projet et le considérons comme une invasion qui mènera à un accaparement des terres sans précédent.
Il existe déjà une preuve des effets de la spoliation des terres dans cette région (le Nord du Mozambique) sur les communautés paysannes et en particulier sur les femmes. Dans la province de Nampula, où j’habite et ai mon lopin de terre, on interdit aux femmes de traverser les régions où les entreprises étrangères sont en activité. Nous n’avons plus accès au bois de chauffage, à la nourriture sauvage ou aux racines médicinales utilisées pour nos familles. En soi, il s’agit d’une véritable violation de la loi de la nation du Mozambique. La loi requiert une consultation des communautés avant de céder des terres à des entreprises, donc aussi de donner le droit de veto aux communautés dans le cas où ce genre d’attributions des terres implique la violation de leurs droits.
Nous refusons cet accaparement des terres et nous rejetons le modèle d’agriculture représenté par le programme ProSavana. Nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour l’arrêter.
En juin, nous, représentants de l’UNAC, associés à d’autres organisations dans le pays, avons lancé la Campagne nationale NON à ProSavana. Nous voulons porter cette campagne à un niveau international – des organisations de société civile brésiliennes et japonaises nous ont déjà rejoint – et nous voulons activé un mécanisme juridique au niveau national et auprès des Nations Unies afin de mettre les dirigeants du programme ProSavana face à leurs responsabilités quant au danger qu’ils pourraient causer aux communautés paysannes du Mozambique.

Pour plus d’info sur la campagne ver ici.

L’écho des campagnes 6

Nous sommes prêts à nous battre

Parvati*, Muttagi, Inde

Je ne possède pas de terres mais j’ai une maison. Je suis ouvrière agricole sur des terres qui ne m’appartiennent pas. Je fabrique mon pain à la maison et je le vends pour subvenir à mes besoins. En réalité, mon terrain a été acheté il y a très longtemps et je ne souhaite cela à personne. C’est pour cette raison que j’ai rejoint le mouvement contre le NTPC (National Thermal Power Corporation Limited), une centrale électrique qui fut construite dans mon village.
Qu’allons nous manger si les paysans locaux perdent leurs champs ? Pendant la protestation, les hommes nous ont dit que si nous nous dirigions vers l’entrée, la police n’aurait pas recours à la violence. Mais lorsque nous avons atteint l’entrée de la centrale thermique NTPC, la police nous a frappé à coup de lathis (des longs bâtons en bambou) – même moi je me suis fait frappée. Nous étions terrifiés. C’était la première fois que je me trouvais dans une rixe. La police nous a pourchassés dans des hôtels, dans le commissariat et même dans la gare ! Mais le mouvement des paysans nous a dit de ne pas avoir peur. Un des membres de ma famille est en prison. C’est un étudiant à l’université et ils l’ont juste enlevé ! Je me suis engagée dans le combat contre NTPC. Quand nous, les femmes, travaillons ensemble, vous verrez de quoi nous somme capables !
Nous ne voulons pas de la centrale électrique NTPC. Même s’ils nous donnaient de l’argent nous ne voudrions pas de la centrale. Nous ne voulons pas attraper de maladies comme la tuberculose, l’asthme, etc. Nous ne voulons pas que nos bébés soient infectés dans le ventre de leur mère. Nous avons appris que l’eau aux abords de la centrale thermale est toxique. Nous ne disons que la vérité. Laissez-les nous descendre s’ils le veulent. Et nous ne voulons surtout pas perdre nos terres. Nous ne voulons aucun mort dans notre ou dans leur camp. Ils auraient dû faire une réunion avec nous, les paysans, à propos de l’impact de la centrale électrique avant de commencer les travaux.
Pourquoi le gouvernement a-t-il acheté ces terres ? Pour devenir riche c’est sûr mais que feront les pauvres ? Que nous réserve l’avenir ? Nous sommes prêts à nous battre !
*Le nom a été changé pour protéger l’identité du témoin

L’écho des campagnes 7

Nous sommes contre le projet Pacto-Junin !

Julian Morente, organisation des voisins mécontents à Ingapi, Equateur

Pacto est une paroisse rurale à Ingapi, en Equateur. Ses habitants y ont vécu pendant des siècles grâce à la canne entrelacée, à la banane et au manioc entre autres. Aucun produit agrochimique n’est employé dans nos cultures. Nous travaillons la terre traditionnellement, nourrissant le sol pour que lui nous nourrisse à son tour. Nous faisons la panela (pain de canne à sucre) à partir de nos propres moulages, avec des machines artisanales et des poêles à bois pour le rendre meilleur.
Dans les zones de basse altitude, nous possédons de l’élevage pastoral et nous produisons du lait et de la viande sans avoir recours à des grandes entreprises. Nous distribuons aux niveaux local et régional.
Ici, dans ce versant des Andes, l’industrie minière va s’implanter. Ils ont d’ailleurs déjà commencé à attaquer la montagne à certains endroits.
Le président Correa l’appelle le Projet Pacto-Junin. Il s’agit de plus de 4 000 hectares seulement à Pacto, et à Junin, la destruction a déjà grandement avancé. Où vont-ils nous envoyer ? Nous voulons manger, nous n’avons besoin ni d’or ni de pierres. Ici, ils vont laisser un désert aux futures générations. Les techniciens annoncent une profondeur d’un kilomètre, c’est une aberration. Avec 6 mois de pluie par an, en levant, en ouvrant la montagne d’ici jusqu’au fleuve, les réserves d’eau de la municipalité de Quito vont disparaitre. Je dis, moi, que l’eau est bien plus importante que l’or.
Les études menées sur l’impact environnemental sont désastreuses car fallacieuses. Et tout ça pour protéger l’industrie minière, qui est vorace. L’arrivée de cette industrie est synonyme de produits chimiques fort tel que le cyanure. Elle sous-entend aussi la destruction de collines entières touchant ainsi les forêts, les pâturages, le flux de l’eau et sa composition, largement polluée. Ils disent que nous habitons sur des réserves d’uranium, le gouvernement veut nous donner 300 dollars par hectare. Mais en aucun cas nous n’accepterons cela.

Encadres

Encadré 1

Le Tribunal permanent des peuples (TPP) au Mexique

« Libre échange, guerre sale, impunité et droits des peuples »

Le TPP (à l’origine, Tribunal Russell) a été créé pour juger les crimes des Etats-Unis au Vietnam. Il a par la suite permis le jugement des dictatures du cône austral et est devenu un « tribunal permanent » dans lequel les peuples peuvent exprimer à leur manière les injustices qu’ils subissent. Ils sont acteurs dans son processus et dénoncent les responsables du chaos et de la souffrance.
C’est en 2011 que le TPP s’est installé au Mexique suite à une pétition de centaines d’organisations paysannes, ouvrières et de la société civile. Ces dernières accusent l’Etat mexicain de détournement de pouvoir, autrement dit, l’utilisation de ses prérogatives dans l’intérêt des entreprises au détriment des citoyens qui ne peuvent plus obtenir justice.
Le détournement de pouvoir se divise en sept branches découlant de l’ordre imposé par le libre-échange : les violences perpétrées contre les travailleurs, celles contre les travailleurs migrants, la censure et la violence contre les moyens de communication, la dégradation environnementale, la violence contre le maïs et l’autonomie des peuples, la violence liée au sexe, la guerre sale et l’impunité.
Pour ce qui est de l’autonomie des peuples, le problème réside dans la spoliation des fondements de leur existence, à savoir le maïs, aliment vital et noyau de la défense territoriale. C’est peut-être la première fois qu’un jury international assume l’intégralité de l’attaque et les relations compliquées entrant en compte dans cette spoliation : la souveraineté alimentaire, l’expulsion de migrants et l’accaparement des terres et des biens communs. Le TPP a recommandé au Mexique une sortie de l’Accord de libre-échange nord-américain. Sans cela, la souveraineté nationale et l’autonomie ne sont pas envisageables, l’interdiction du maïs transgénique est elle aussi irréalisable, même s’il porte atteinte à une civilisation pleine d’avenir. Le tribunal a conclu que le Mexique ne respectait pas le Statut de Rome pour cas de génocide et il a mis la lumière, au niveau international, sur les abus des gouvernements contre les peuples.
Le TPP ouvre des espaces de dialogue et de relation où les personnes lésées peuvent systématiser leur expérience et redevenir des acteurs centraux. Il encourage la lutte et fomente la sensation de réussite et d’assurance en laissant la parole aux victimes dans un environnement de confiance.

Encadré 2

Atlas de la justice environnementale

L‘Atlas de la justice environnementale comporte des cartes thématiques et régionales répertoriant les conflits socio-environnementaux du monde entier. La plupart des faits repris dans l’atlas se concentrent sur des situations où les communautés sont mobilisées et se battent pour une justice environnementale.

Les faits marquants du recensement révèlent que :
1. Les conflits écologiques sont en hausse dans le monde entier. Ils sont entraînés par les demandes matérielles nourries essentiellement par les classes les plus riches de la population mondiale. Les communautés démunies et marginalisées en sont en revanche les principales victimes (…).
2. Les nouvelles et anciennes méthodes d’extraction (fracturation hydraulique, services écosystémiques) sont en expansion. La plupart de ces exploitations de ressources se concentre sur les derniers écosystèmes de la planète jusque là préservés, généralement occupés par des communautés indigènes et pratiquant une économie de subsistance.
3. La tendance actuelle à créer des enclos provoque une destruction environnementale inconsidérée et irréversible comme la contamination et l’épuisement de l’eau, la dégradation des terres et le rejet de substances toxiques dangereuses ainsi que la perte du contrôle des communautés sur les ressources nécessaires à leur subsistance. (…)
4. Un réseau varié d’acteurs est impliqué dans ces injustices environnementales, notamment des entreprises déjà actives dans l’investissement de grande envergure dans les ressources ainsi que des nouveaux acteurs financiers. (…) Cependant la résistance populaire ne se fait pas attendre. En effet, les communautés se battent pour regagner le contrôle de leurs ressources et revendiquent leur droit à un environnement sain. Les actions prennent différentes formes comprenant, d’une part, des méthodes légales tels que les affaires judiciaires, les activités de lobbying auprès des gouvernements et les référendums et, d’autre part, les mobilisations informelles comme les manifestations dans la rue, les blocus économiques et l’occupation des terres.
5. Les sociétés continuent à bénéficier d’une vaste impunité pour ce qui concerne la violation des droits environnementaux et humains. De plus, les entreprises poursuivent leurs activités au milieu de protestations citoyennes véhémentes qui se heurtent parfois à des services de sécurité privés et à des gouvernements favorables à la suppression de la résistance. Cette persécution croissante et cette prise pour cible brutale des activistes environnementaux ébranlent les droits de l’homme. (Bulletin Nyéléni n° 14: Droits et Répressions).
6. Les seuls moyens de faire cesser la propagation des conflits écologiques dans le monde sont la responsabilité d’entreprises grandissante, opposée à la responsabilité d’entreprises volontaire, et la réduction de la consommation. La surveillance et la mobilisation continue de groupes citoyens demeurent également essentielles.
7. Parmi les histoires de dévastation et de pollution environnementales, il existe toutefois de nombreux cas de victoires en termes de justice environnementale. (…) La résistance populaire des communautés touchées constitue la pierre angulaire d’une économie plus durable et plus égalitaire.

Sous les feux de la rampe

Nous, les gens ordinaires

Aujourd’hui et plus que jamais il est clair que les villages et les communautés sont encore bien présents et que les systèmes « dominants » veulent désespérément les contrôler. Ces gens ordinaires conservent leurs semences indigènes et, au sens le plus étendu, les cultivent pour leur propre communauté et, dans une large mesure, pour le monde entier. Ces gens résistent et revendiquent toujours plus un autogouvernement défenseur de leurs terres ancestrales. Ces communautés ont de tout temps mis leur vie au service de la planète en conservant un respect et un équilibre entre les plantes, les animaux et les sources d’eau, entre les « êtres naturels et spirituels », ainsi qu’en entretenant une mémoire et une présence de notre milieu de subsistance, de nos vivants comme de nos morts.

Combien nous sommes et ce que nous faisons

Un récent rapport de GRAIN [GRAIN, Affamés de terres: Les petits producteurs nourrissent le monde avec moins d’un quart de l’ensemble des terres agricoles, 2014] offre une révision approfondie des données de la structure agraire et de la production alimentaire à l’échelle internationale. Il en ressort six conclusions principales.
La première est que les paysans sont toujours ceux qui, grâce à leurs petites exploitations, produisent une grande partie de l’approvisionnement alimentaire mondial, principalement pour nourrir leur propre famille, leur communauté et les marchés locaux.

La seconde est que la majorité des exploitations du monde sont petites et continuent de rétrécir, suite à la myriade d’expulsions qui sévit. Si nous n’inversons pas cette tendance en résistant de manière à obtenir une réforme agraire intégrale, ces expulsions deviendront, et nous pouvons d’ores et déjà nous en rendre compte, encore plus brutales.
Toutes ces exploitations sont concentrées dans moins d’un quart de l’ensemble des terres agricoles. Et ce pourcentage ne cesse de diminuer. Voilà la troisième conclusion.

La quatrième certitude est qu’alors que les exploitations, les paysans et paysannes de toutes parts disparaissent, les grandes installations industrielles agricoles quant à elles s’agrandissent. Ces 50 dernières années, quelques 140 millions d’hectares (soit bien plus que la terre agricole chinoise) ont été monopolisés pour planter du soja, du palmier à huile, du colza, de la canne à sucre et du maïs, et ce, principalement à cause de la monoculture industrielle.

La cinquième conclusion affirme que techniquement, selon des données extraites de sondages nationaux provenant du monde entier, les petites exploitations sont plus productives que les énormes installations agricoles, malgré le fait que ces dernières disposent d’un pouvoir considérable et du recours à des grandes industries.
La sixième et dernière conclusion est que la majeure partie du monde paysan est constitué de femmes. Et malgré leurs contributions, elles sont sans cesse exclues, sans même avoir été considérées par les statistiques officielles. Ainsi, dès lors qu’il est question de contrôle des terres, elles subissent les discriminations.

Qui nous attaque

Nous devons reconnaitre qu’aujourd’hui, la vie rurale et la persistance et l’intégrité des communautés paysannes sont confrontées directement aux systèmes avides de relations, de richesses, de personnes, de biens communs et d’activités potentiellement lucratives et, au moyen des lois, de dispositions, de politiques, d’expansionnisme, de programmes, de projets et enfin d’argent. Tout ceci est rendu possible grâce à l’agro-industrie qui veut, avec des méthodes continuellement plus sophistiquées, produire (pas seulement des aliments) sur de vastes étendues de terre afin de récolter des grands volumes et en sortir avec de gros profits.

Sa logique industrielle engendre une violence terrible à l’encontre de la nature même des processus et des cycles vitaux de par son intégration verticale. Il s’agit là d’une course folle à l’ajout de valeur économique aux aliments en utilisant de plus en plus de procédés, depuis l’accaparement des terres en passant par les semences certifiées, les sols, leurs fertilisation et leur désinfection grandement chimique, le matériel d’exploitation, le transport, le nettoyage, le traitement, le conditionnement, le compactage, l’entreposage et de nouveau le transport pour enfin arriver aux marchés, supermarchés et enfin aux salles à manger.

Comme nous le savons déjà, cette série de procédés renforce le réchauffement qui lui-même accentue la crise climatique (presque 50% des gaz à effet de serre proviennent de ces mêmes procédés). De plus, ce système transnational et global subjugue d’une manière ou d’une autre les personnes qui y sont piégées. Nous parlons d’un système qui ne résout pas les problèmes alimentaires des communautés ou des villages mais qui pourtant utilise ces derniers pour effectuer les tâches les plus ignobles et les plus nuisibles de toute la chaîne et qui, en même temps, les enrôle dans un système agricole industriel qui dérobe le futur de leur labeur et réduit au semi-esclavage ce qui avant était créatif, digne et très consciencieux. Voilà pourquoi produire nos propres aliments indépendamment de ce système alimentaire mondial est devenu aussi politique et subversif.

Accaparement, mémoire et résistance

La relation directe entre la perte des terres et l’avancée de la suractivité minière, du pétrole, du gaz et de la monoculture est indéniable. Comme nous l’avons exposé dans cet éditorial, nous devons reconnaitre qu’il reste encore beaucoup à investiguer pour découvrir la réelle progression de l’extractivisme et de la fragmentation, du démantèlement et de la perte des territoires des paysans et des indigènes. Cependant, quelques preuves sont déjà là : au Mexique, 26% du territoire national appartient aux industries minières et en Colombie, 40% du territoire est lui aussi exploité. De plus, dans ce pays, « 80% des violations des droits de l’homme de ces dix dernières années ont eu lieu dans des régions minières et énergétiques et 87% des personnes déplacées proviennent de ces mêmes régions ». Au Pérou, 40% du territoire est déjà détenu par les industries minières. Ainsi, en parcourant chaque pays, ce qu’il faudrait commencer à faire de manière systématique, nous y découvririons des situations similaires, comme en République Démocratique du Congo ou le pire n’est pas mesuré en pourcentage de terres détenues mais en nombre de morts dus aux conflits miniers, principalement autour des diamants, du coltan et de l’or : plus de 7 millions de personnes ont été assassinées en moins de 15 ans.

Les conflits liés à l’eau sont eux aussi récurrents. En outre, selon un autre rapport de GRAIN [GRAIN, Ruée vers l’or bleu en Afrique : Derrière chaque accaparement de terres, un accaparement de l’eau, 2012.]: « En Afrique par exemple, une personne sur trois souffre de manque d’eau et le changement climatique ne fait qu’aggraver les choses. Le développement en Afrique de système de gestion des eaux indigène, hautement sophistiqué, pourrait aider à résoudre la crise, mais ce sont justement ces systèmes qui sont détruits par les accaparements de terres à grande échelle, sous prétexte que l’eau est abondante en Afrique, qu’elle est sous-utilisée et ainsi prête à servir pour l’agriculture d’exportation », et ce cas n’est bien évidemment pas isolé.

Bien au-delà des causes, qui vont des monocultures du système agroalimentaire industriel à l’extractivisme plus poussé et polluant de l’industrie minière, en passant par les centrales éoliennes, les puits de pétrole, les réserves de la biosphère et les projets REDD, le tourisme de masse et les développement immobiliers, les autoroutes, les barrages hydroélectriques colossaux, les transferts d’aquifères, les corridors multimodaux ou l’entrée soudaine d’une culture de délinquance et du narcotrafic de graines, les laboratoires ou le trafic, ce qui est bien réel, c’est qu’une attaque à notre mémoire territoriale est lancée car nos terres représentent un espace vital, elles sont les domaines communs nécessaire à la reconstruction et à la transformation de notre existence, elles sont l’étendue qui, grâce à nos savoirs partagés en une histoire commune, prend tout son sens.

Afin de provoquer le manque et la dépendance économique, les systèmes corporatifs, industriels ou multilatéraux ont encouragé une déstabilisation progressive qui cherche à empêcher les communautés, qui depuis toujours ont nourri le monde, de résoudre par leurs propres moyens leurs problèmes de santé, d’éducation et de survie. L’effet de cette précarité imposée se retrouve dans l’expulsion des populations qui fragilise leurs stratégies et réduit le poids de leur avenir.

C’est pourquoi la souveraineté alimentaire continue d’être aussi pertinente et encourageante en tant qu’outil d’autonomie et de défense territoriale, car elle ravive notre mémoire. En partant du niveau le plus bas, le communautaire, jusqu’en haut de l’échelle, il est évident que la production indigène d’aliments est une proposition vitale. Il est encore possible de mettre un terme à une telle injustice.

Bulletin n° 19 – Éditorial

La lutte des communautés pour défendre leur territoire

L’accaparement des terres arables mondiales s’étend de jour en jour.
Lorsque nous avons commencé notre étude à ce propos, nous avons attiré l’attention, pour diverses raisons méthodologiques, sur la prise de de contrôle des terres mondiales par les gouvernements de certaines nations qui arguent agir dans le seul but de résoudre le problème de l’insécurité alimentaire. Très vite, les différents groupes financiers (dont certains fonds de pension) se sont rués dans des processus de négociation, dévoilant le caractère spéculatif de bon nombre de ces réformes agraires et ouvrant ainsi le foyer de cette nouvelle chasse aux terres entrepreneuriale.
Nous avons toujours été conscients de l’étendue de l’accaparement des terres et de l’abomination qu’il représente, et ce, bien plus que ce que nous avons montré jusqu’ici.
Il ne s’agit pas seulement de l’exploitation pour des entreprises agricoles de monoculture de matières premières d’export ou de la délocalisation de la production alimentaire dans d’autres pays. L’accaparement des terres implique aussi l’extractivisme : l’eau, l’industrie minière, le pétrole, la déforestation, le narcotrafic, les services environnementaux et les projets REDD (ou des terres aliénées apparemment sous surveillance) et enfin toute la spéculation relative à ces derniers, à savoir le tourisme, le développement immobilier, l’urbanisation, la géopolitique, et bien plus encore.
Dans ce numéro de Nyéléni, nous voulons nous pencher un peu plus sur ce phénomène croissant et sur les possibilités que nous avons, depuis nos communautés, d’y résister.

GRAIN

L’écho des campagnes

L’écho des campagnes 1

Présentation de cas d’apprentissage horizontal qui ont réussi

Peter Rosset , La Via Campesina

« L’Université » ne se trouve plus au centre de la production des savoirs – si tant est qu’elle s’y soit jamais trouvée. Dans le monde actuel, la plus grande partie des nouveaux savoirs et même des théories, sur les alternatives au développement conventionnel et exclusif, sont produites par les mouvements sociaux.
J’ai eu l’opportunité de participer à l’un de ces processus d’auto-apprentissage de La Via Campesina (LVC). Dans ce cas précis, l’objet de l’analyse était le mouvement agro-écologique de l‘Association nationale des paysans de Cuba (ANAP-Via Campesina) dénommé campesino-a-campesino (de paysan à paysan). Il s’agit de l’un des meilleurs exemples de réussite dans la diffusion de l’agro-écologie dans la cadre de la souveraineté alimentaire. En un peu plus de dix ans, en utilisant délibérément une méthodologie sociale, l’ANAP a construit un mouvement social d’agro-écologie au sein de son organisation paysanne nationale. Ce mouvement arrive maintenant à inclure 50% des familles paysannes de Cuba qui utilisent peu ou pas d’intrants extérieurs à la ferme, leurs méthodes sont agro-écologiques et la contribution du secteur paysan à la production alimentaire nationale totale et relative est montée en flèche, stimulant ainsi la souveraineté alimentaire.
LVC et l’ANAP voulaient que les paysans reconstruisent leur histoire et analysent les facteurs de leur succès. Ils demandaient aussi que les résultats de cette analyse soit présentés sous un format qui, non seulement aide l’ANAP dans son processus interne mais aussi permette à d’autres organisations dans d’autres pays de tirer des enseignements utiles. Une petite équipe s’est déplacée dans toute l’île, a organisé des ateliers dans les coopératives paysannes afin d’écouter les paysans de ce mouvement, raconter et recréer leur histoire, tirant eux-mêmes les enseignements de leur expérience. L’équipe s’est chargée de recueillir les informations dans un livre qui est maintenant utilisé dans les écoles de formation de LVC et en soutien au travail de la campagne.
D’autres équipes de LVC sont maintenant engagées dans des processus d’analyse semblables, par exemple l’expérience du Mouvement paysan d’agriculture naturelle à zéro budget dans le sud de l’Inde, dans laquelle des millions de paysans indiens ont arrêté d’acheter des intrants chimiques et ont augmenté la production grâce à des méthodes autonomes et écologiques.

L’écho des campagnes 2

La souveraineté alimentaire dans les Andes

Maruja Salas

Ce document présente des personnes qui font partie de communautés autochtones, engagées dans la souveraineté alimentaire. Le pouvoir de la nature est omniprésent dans leur pensée et elles défendent leurs droits individuels et collectifs à une alimentation saine. Leur façon de s’exprimer est paisible, mais reste vague et quelquefois même énigmatique. Leur savoir commun est exprimé avec divers degrés de cohérence. Et pourtant, quand ces personnes parlent de leur vie, des soins, de l’agriculture, de la pêche, de l’élevage, c’est la joie qui ressort, avec une vision du monde où travail et célébration sont en harmonie. Il y a aussi une profonde spiritualité dans l’attention qu’elles portent aux signes émanant de la nature particulièrement envers les montagnes sacrées de l’Altiplano et la Terre Mère. Ces femmes et ces hommes utilisent avec aise le symbolisme de l’interprétation des rêves pour guider la sélection des semences, la cuisine, le stockage des aliments, veillant constamment sur le bien-être de la famille en suivant les règles traditionnelles. Vous trouverez de plus amples informations sur leur travail sur le site internet du Programme Andin pour la Souveraineté alimentaire.

Lucía Paucara

Lucía vient de Vilurcuni où elle a passé la plupart de ses 54 ans à travailler les champs et à ramasser des pommes de terre afin de nourrir sa famille. Les pommes de terre sont comme des enfants pour elle, elle célèbre toutes les étapes de leur croissance. Ses champs sont près du lac, elle produit donc plusieurs variétés de pommes de terre pour cuisiner les différents plats locaux : la patasca, le chayro et la watia. Sa famille immédiate et ses relations qui vivent à Lima et à Tacna, ne connaitront jamais la faim car elle produit assez de pommes de terre pour eux tous.

Presentación Velásquez

Presentación a appris avec sa grand-mère à cultiver les produits andins selon le système Aynoqas (une agriculture de rotation) ainsi qu’à repousser la grêle en mobilisant la communauté entière. Elle a promis à ses petites filles de continuer à travailler les champs jusqu’à sa mort pour que toute sa famille ait assez de pommes de terre et de céréales pour leur consommation personnelle sans avoir à en acheter au marché.

Domitila Taquila
Domitila vit à Aychullo, elle n’est pas née avec beaucoup de savoirs, dit-elle, mais elle a appris dans les champs avec sa grand-mère. Sa mère lui a appris à tisser et à cuisiner. Sa capacité à lire les indicateurs naturels lui a été révélée par des rêves. Aujourd’hui, elle enseigne à ses enfants les avantages des produits cultivés dans ses champs sur les denrées alimentaires contaminées vendues au marché.

Encadres

Encadré 1

Décoloniser la recherche et les relations : revitaliser les routes commerciales traditionnelles

Des spécialistes autochtones et des détenteurs des savoirs traditionnels en Colombie-Britannique, au Canada, mettent au point un protocole de recherche visant à orienter leur recherche collaborative. Le groupe de travail sur la souveraineté alimentaire autochtone (WGIFS) réunira d’importants spécialistes autochtones et des détenteurs des savoirs traditionnels autour du sujet des Grease Trails (routes commerciales traditionelles) afin de solliciter des contributions et des orientations pour développer sa stratégie et son protocole de recherche. Le projet de recherche Revitalizing Grease Trails (revitaliser les routes commerciales traditionnelles) a fait suite à une série de réunions de planification stratégique et au grand nombre de propositions de recherche reçues de nombreuses organisations et institutions consacrées à la recherche au Canada.
Un atelier pour discuter de la stratégie et du protocole de recherche tracera les grandes lignes des critères qui permettront au WGIFS d’entreprendre des recherches qui soient dans la ligne stratégique de la vision, des valeurs et des objectifs des communautés. Le protocole tracera les grandes lignes d’un processus éthique pour mener un travail interculturel (entre les cultures autochtones et non-autochtones) afin de décoloniser les méthodologies pour analyser la littérature sur le sujet et réaliser, au sein de la communauté, des entretiens qui feront la lumière sur des questions, des préoccupations, des situations et des stratégies pertinentes. Les stratégies de décolonisation des méthodologies vont des pratiques quotidiennes qui favorisent davantage de cultures, récoltes et partages des aliments autochtones, à un enjeu plus complexe de pensée critique et de refonte des cadres institutionnels et des méthodologies de recherche. Dans ce contexte, l’atelier constituera un espace et un temps pour concentrer le dynamisme et les idées qui mèneront au développement d’un modèle de protocoles culturellement pertinents pour placer les visions, voix, paradigmes et priorités autochtones dans les cadres institutionnels pour la recherche et le développement communautaire. La stratégie de recherche conduira à la génération d’un ensemble de connaissances qui, au final, permettront aux communautés autochtones de mener des recherches selon leurs propres termes et de répondre plus efficacement à leurs propres besoins en aliments adaptés à leur culture.

Encadré 2

Alliance ONG-universitaires pour la recherche sur le genre, la nutrition et le droit à l’alimentation

Alors que de si nombreuses voix appellent à inclure les femmes et à considérer la perspective du genre dans la sécurité alimentaire, pourquoi le statut des femmes et des filles ne s’améliore toujours pas? Cette question a conduit à la création d’une alliance entre les ONG et les universitaires afin de développer une approche ciblée sur le genre, la nutrition et le droit humain à une alimentation adéquate et à la nutrition. Les organisations de la société civile (FIAN International et l‘Association Genevoise pour l’Alimentation Infantile (GIFA), membre du réseau international des groupes d’action pour l’alimentation infantile (International Baby Food Action Network, IBFAN)) ont une longue expérience de recueil d’informations sur des cas de violations et d’atteintes au droit à une alimentation adéquate et à la nutrition, en collaboration avec les communautés touchées et les mouvements sociaux, et avec les compétences théoriques et en matière de recherche sur le sujet du groupe de recherche sur les droits à la nutrition et le genre, constitué de chercheurs de l’université de Syracuse en coopération avec l’université de Hohenheim. Leurs travaux ont constaté que le cadre pour la sécurité alimentaire existant pour le droit à une alimentation adéquate et à la nutrition ne permet pas d’identifier les causes structurelles de la faim et la malnutrition sous toutes ses formes, et ne permet donc pas de proposer les politiques publiques adéquates ni les programmes nécessaires pour en venir à bout. À partir des débats tenus lors de deux ateliers publics, un cadre conceptuel élargi [Ce cadre conceptuel élargi est proposé dans l’ouvrage d’Anne C. Bellows, Flavio L.S. Valente, et Stefanie Lemke. (Eds.) Gender, Nutrition and the Human Right to Adequate Food: towards an inclusive framework. New York : Taylor & Francis/Routledge. (Date de publication prévue : 2014).] pour le droit à une alimentation adéquate et à la nutrition a été proposé. Ce cadre élargi pour le droit à une alimentation adéquate et à la nutrition, fondé sur le cadre pour la souveraineté alimentaire et qui prend en compte les aspects de la détermination selon le sexe, des droits des femmes et de la nutrition, vise à soutenir les luttes des peuples contre l’accaparement des terres et contre les poids lourds de l’industrie agroalimentaire, entre autres. Il cherche également à aiguiser les outils de défense des droits humains, en les ajustant aux défis actuels afin de fournir des mécanismes adéquats pour garantir à chaque être humain, et en particulier aux plus défavorisés et marginalisés dans nos sociétés, de vivre dans la dignité.

Encadré 3

Équilibrer les forces par la recherche pour la souveraineté alimentaire

La recherche pour la souveraineté alimentaire vise à renforcer le rôle des acteurs les plus faibles (paysans et producteurs marginalisés, femmes…) dans la production et la validation des savoirs [Ces réflexions se basent sur des actions et recherches participatives en cours avec des communautés autochtones et locales dans l’Altiplano andin (Bolivie et Pérou), en Asie (Inde, Indonésie, Népal et Iran), en Europe (France, Italie, Royaume-Uni) et en Afrique de l’Ouest (Mali) où la recherche est faite avec, pour et par les populations – plutôt que sur la population – afin d’étudier comment on peut maintenir des systèmes alimentaires riches d’une biodiversité contrôlée localement. Voir Pimbert, 2012]. La recherche qui équilibre les forces vise à intervenir tout au long de l’ensemble du cycle de recherche et développement (R&D). Considérer l’ensemble du cycle de R&D (y compris la recherche scientifique et technologique, les évaluations des résultats et des conséquences sur la recherche, le choix de priorités stratégiques en amont pour la R&D, et l’encadrement des grandes politiques), cela permet de passer des concepts étroits de la recherche participative qui confine les non-chercheurs à une tâche qui se trouve à la fin du développement de la technologie (par exemple, sélection variétale participative), à une approche plus inclusive où les paysans et d’autres citoyens peuvent définir en amont les priorités stratégiques de recherche et les régimes de gouvernance.
À cet égard, les facteurs déterminants suivants sont importants lorsqu’ils sont associés :
Consentement préalable libre et éclairé, règles d’engagement établies conjointement, et un code de déontologie ayant fait l’objet d’un accord mutuel entre les producteurs d’aliments et les chercheurs. Constitution d’espaces sûrs – des espaces qui ne soient pas intimidants, où les paysans et paysannes et les autres acteurs impliqués puissent être en confiance, débattre, analyser, se mobiliser et agir sur la base d’une vision partagée.
Renversement des pratiques et rôles professionnels normaux. Par exemple, recherche menée par et avec les producteurs d’aliments eux-mêmes, – avec des professionnels externes pour faciliter et soutenir ce travail. Les paysans et paysannes marginalisé(e)s se trouvent au centre du processus, à la place des agriculteurs plus aisés, des centres de recherche, des scientifiques, des théories abstraites, et sans biais pro-urbains.
Justice cognitive – reconnaissance du droit à l’existence de différents systèmes de connaissance. L’idée de justice cognitive met l’accent sur le droit à ce que différentes formes de connaissance – et de pratiques, modes de subsistance, façons d’être et écologies qui y sont associées, coexistent.
Examen par les pairs élargi. Les agriculteurs à petite échelle comme les scientifiques doivent être impliqués dans la co-validation des connaissances et des résultats des dialogues interculturels. Nous devons reconnaître là qu’il existe beaucoup de perspectives légitimes pour chaque sujet. Chaque acteur, qu’il soit paysan ou scientifique, a des connaissances partielles et incomplètes. L’examen par les pairs « élargi » est nécessaire à une époque où « l’on ne sait pas ce que l’on ne connaît pas » et où partout, chacun fait face aux incertitudes d’un monde qui change rapidement (changement climatique et environnemental, marchés instables…).
La communication pour le changement ne devrait pas être vue comme un droit exclusif des professionnels de la communication qui travaillent dans les instituts de recherche scientifiques et politiques ainsi que dans les entités de développement de agricole. Il est nécessaire de renouveler les pratiques en matière de communication et d’allocation des ressources, afin qu’elles renforcent la décentralisation et la dispersion du pouvoir. Les progrès dans les nouvelles technologies de la communication (caméra vidéo numérique, radio, internet) ainsi que le théâtre populaire, l’élaboration de cartes et les techniques de visualisation offrent de nouvelles opportunités de décentralisation et démocratisation de la production du savoir et des messages de communication – en permettant que même des communautés paysannes vivant dans des villages isolés puissent partager des récits et des messages qui peuvent influencer les programmes de recherche, les politiques et les pratiques aux niveaux local, national et international.

Encadré 4

Recherche agricole pour la souveraineté alimentaire en Afrique de l’Ouest

Dans le cadre de l’initiative Democratising Food and Agricultural Research, une série de jurys citoyens ont été organisés au Mali au cours des sept dernières années. Leur objectif était de permettre à des simples paysans et d’autres producteurs d’aliments, hommes et femmes, de faire des recommandations de politiques après interrogatoire de témoins spécialistes appartenant à différents milieux. Trois jurys citoyens ont examiné les thèmes suivants :
1. OGM et l’avenir de l’agriculture au Mali.
2. Quel type de connaissances et de recherche agricole les petits producteurs et transformateurs d’aliments veulent-ils ?
3. Comment démocratiser la gouvernance de la recherche sur l’alimentation et l’agriculture ?
Les jurys citoyens ont été guidés par un groupe de supervision afin de garantir que l’ensemble du processus soit crédible, représentatif, sérieux, juste, et qu’il ne soit pas récupéré par un groupe défendant un intérêt ou une perspective particuliers.

Les jurés paysans ont, en tout, fait plus de 100 recommandations sur les priorités et la gouvernance de la recherche agricole pour l’Afrique de l’Ouest. Les recommandations ont porté sur des questions telles que les modèles de production agricole, le régime foncier et les droits de propriété, les marchés alimentaire et agricole, ainsi que des questions de financement de la recherche, d’organisation, de pratiques et de gouvernance.

Lors du suivi de ce processus de délibération unique, les paysans d’Afrique de l’Ouest ont demandé à entretenir un dialogue politique avec l’Alliance pour une révolution verte en Afrique (AGRA) et ses principaux bailleurs de fonds. Les paysans voulaient avoir une discussion face à face avec l’AGRA sur les priorités de la recherche parce que l’AGRA est un acteur majeur dans l’élaboration du programme de la recherche agricole pour le développement de l’Afrique de l’Ouest. Ce dialogue politique a eu lieu à Accra (Ghana) du 1er au 3 février 2012. Cette rencontre de trois jours a été présidée par le Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à l’alimentation, Olivier de Schutter, et des représentants de communautés agricoles d’Asie, d’Afrique de l’Est et d’Amérique latine y ont assisté également. Une connexion vidéo avec Londres a permis aux bailleurs de fonds et députés britanniques de participer eux aussi. Les paysans et l’AGRA ont présenté chacun leur vision pour la recherche agricole en Afrique. En général, l’analyse des paysans et les politiques qu’ils ont recommandées étaient sensiblement différentes de celles défendues par l’AGRA. Par exemple, les paysans ouest-africains étaient clairement opposés à la recherche qui conduit à la privatisation des semences et aux technologies semencières brevetées qui permettent aux entreprises de contrôler le secteur des semences. Les paysans ont également estimé que l’AGRA voyait à tort les semences paysannes locales comme étant non améliorées – niant ainsi que les paysans et paysannes effectuent un travail de sélection et d’amélioration des semences et des variétés.

Surtout, l’AGRA et les paysans africains ont situé leurs programmes de recherche respectifs dans des visions radicalement différentes de l’alimentation et de l’agriculture. Les paysannes et paysans ont affirmé qu’une vision de l’agriculture qui déconnecte et sépare la production cultivée des autres secteurs (élevage, pêche, sylviculture) est inacceptable. En faisant de la production cultivée sa seule priorité, l’AGRA provoque un déséquilibre que les paysans veulent éviter en Afrique de l’Ouest. Les paysans rejettent le modèle de développement de l’AGRA et le type d’agriculture qu’elle soutient qui, selon eux, promeut des exploitations plus grandes et la disparition des petites fermes familiales, tout en empoisonnant la terre, l’eau et la population. Les paysans ouest-africains en appellent plutôt à un programme de recherche qui soutient l’agriculture familiale et la souveraineté alimentaire.

Encadré 4 sources :
Pimbert, M.P, B. Boukary, A. Berson et K. Tranh Thanh, 2011. Democratising agricultural research for food sovereignty in West Africa. IIED, Londres.
APPG on Agroecology, CNOP, Kene conseils, Centre Djoliba, IRPAD et IIED, 2012. High level policy dialogue between the Alliance for a Green Revolution in Africa (AGRA) and small scale farmers on the priorities and governance of agricultural research for development in West Africa. Un reportage photo est disponible en anglais et en français.

Sous les feux de la rampe

Sous les feux de la rampe

Il n’est pas étonnant que les savoirs paysans, locaux et autochtones soient importants pour la souveraineté alimentaire. La souveraineté alimentaire a été développée par les paysans eux-mêmes. Elle est fondée sur leurs propres expériences et l’analyse collective – concept lancé pour la première fois par La Via Campesina. Depuis, un groupe grandissant d’acteurs divers ont enrichi ce concept dynamique en y ajoutant leurs propres points de vue.
Pour autant, au cours de ces dernières années, le rythme de l’innovation, de l’expérimentation et du dialogue relatif aux connaissances pour la souveraineté alimentaire semble s’intensifier. De nouvelles visions, approches et de nouveaux espaces pour la création de savoirs collectifs se font jour, dont certains font l’objet d’articles brefs dans notre newsletter. Ces développements reflètent l’importance croissante du mouvement de la souveraineté alimentaire dans les débats nationaux, régionaux et internationaux, le renforcement des alliances pour la souveraineté alimentaire, la confiance accrue du mouvement ainsi que l’approfondissement des crises auxquelles on doit faire face. Les mouvements sociaux sont de plus en plus conscients du fait que, pour mettre en œuvre la souveraineté alimentaire, il est nécessaire de disposer de connaissances radicalement différentes de celles que les institutions traditionnelles (universités, groupes de réflexion sur les politiques, gouvernements, grandes entreprises…) proposent.

Dialogue entre les divers acteurs

L’une des alliances les plus prometteuses en termes de développement des connaissances est celle nouée avec les peuples autochtones. En effet, au cours de ces dernières années, ce sont eux qui ont trouvé leur place avec le plus d’assurance dans le mouvement de la souveraineté alimentaire, et leurs contributions ont entraîné des effets profonds sur les concepts concernant les connaissances et les modes de savoirs pour la souveraineté alimentaire. Ils réclament la validité de leur propre épistémologie [« Epistémologie » se réfère aux théories de la connaissance, ce qui peut être connu et comment acquérir ces connaissances.] qui remet en question la vision du monde mécaniste de la science positiviste [Le positivisme est une philosophie de la science qui croit en une vérité objective. Cette doctrine se réclame de l’expérience scientifique et de la preuve des faits logique ou mathématique]. Par exemple, les paysans autochtones des Andes soutiennent que, pour développer la souveraineté alimentaire, ils s’appuient sur les savoirs qui sont ancrés dans leurs histories et rituels et qui sont enracinés dans les expériences tant du monde visible que du monde des rêves (cf. L’écho des campagnes 2). La collaboration entre les peuples autochtones et les spécialistes autochtones et « colons » du Canada a permis de contester les « méthodologies colonisatrices » de l’Université et de développer des méthodologies émancipatoires (cf. Encadré 1).

Il est crucial de créer des espaces pour un dialogue interrégional et transculturel ainsi qu’une formation mutuelle. Un mouvement global comme La Via Campesina (LVC) tire profit de sa diversité pour développer des réseaux horizontaux en vue de créer des connaissances. LVC a mis en route un important processus interne autodidacte de recherche. L’objectif de ce processus est d’identifier, de documenter, d’analyser et de « systématiser » (c’est-à-dire non seulement de documenter mais aussi d’analyser en ayant à l’esprit d’en tirer des leçons) les meilleurs exemples parmi les organisations membres d’Amérique, Afrique, Asie et Europe, dans les domaines de l’agro-écologie, des semences paysannes et d’autres aspects de la souveraineté alimentaire, comme les marchés locaux. Le but en est double : d’une part, développer leur propre matériel d’études, basé sur leurs expériences, avec plus de 40 centres de formation en agro-écologie pour les paysans et de nombreux centres de formation politique interne à LVC ; d’autre part, étayer les campagnes s’adressant à l’opinion publique et aux décideurs politiques avec des données prouvant que des alternatives existent, qu’elles fonctionnent et qu’elles devraient être soutenues par de meilleurs politiques publiques (cf. L’écho des campagnes 1).

Un autre exemple d’espace diversifié pour un apprentissage mutuel est l’initiative Démocratisation de la recherche sur l’alimentation et l’agriculture qui vise à créer des espaces sûrs dans lesquels les citoyens (producteurs d’aliments et consommateurs) peuvent mener des délibérations entre tous afin d’élaborer un système de recherche sur l’alimentation et l’agriculture démocratique et responsable envers l’ensemble de la société (www.excludedvoices.org). Plus particulièrement, l’approche méthodologique cherche à faciliter une conception participative des alternatives, c’est-à-dire une recherche agricole menée par les paysans et les citoyens (cf. Encadré 4). Depuis 2007, cette initiative à l’échelle mondiale s’est déployée dans l’Altiplano andin, en Asie du Sud, en Afrique de l’Ouest et en Asie occidentale. En septembre 2013, les partenaires de l’initiative Démocratisation de la recherche sur l’alimentation et l’agriculture ont organisé un atelier international pour partager les leçons et les réflexions venant d’Afrique, d’Asie et d’Amérique Latine avec une communauté plus large de paysans européens, de décideurs politiques et de représentants des bailleurs de fonds. Connu sous l’intitulé Atelier St. Ulrich sur la démocratisation de la recherche agricole pour la souveraineté alimentaire et les cultures agraires paysannes, cet atelier international a rassemblé 95 participants de 17 pays. La plupart des participants étaient des paysans, dont la moitié de femmes. L’atelier St Ulrich a mis l’accent sur la nécessité de transformer à la fois les connaissances et les formes de connaissances pour la souveraineté alimentaire et les cultures agraires paysannes.

Engagement d’un dialogue critique entre spécialistes et militants…

Lors de la conférence « Souveraineté alimentaire : Un dialogue critique » ayant eu lieu à la Haye en janvier 2014, Elizabeth Mopfu, Coordinatrice générale de LVC, a invité les spécialistes à partager une critique constructive du concept de souveraineté alimentaire. « Nous voulons entendre vos doutes », a-t-elle déclaré. La présence de centaines de spécialistes, étudiants et militants à un tel forum indique autant l’intérêt croissant des chercheurs pour la souveraineté alimentaire que la volonté grandissante du mouvement de s’engager avec eux dans un dialogue critique et une collaboration (cf. Encadré 2).

…et travail conjoint en vue de remettre en question les politiques et la gouvernance

Les opportunités de collaboration avec les chercheurs sont parfois liées aux espaces politiques. Etant donné que le mouvement investit pour créer des espaces en vue d’une participation à la gouvernance de l’alimentation et de l’agriculture, il estime que le fait d’occuper ces espaces requiert la collaboration des chercheurs. Par exemple, le Comité international de planification pour la Souveraineté alimentaire (CIP), a joué un rôle clé dans la réforme du Comité sur la Sécurité alimentaire de l’ONU (CSA) ayant eu lieu en 2009. Suite à la crise alimentaire des années 2007-2008, il y eut une demande de réforme du système de gouvernance de l’alimentation et de l’agriculture. Le CIP a plaidé en faveur d’une gouvernance multilatérale avec un système un pays=une voix et avec une participation significative des organisations de petits producteurs d’aliments et autres OSC. Les propositions faites pour des mécanismes de gouvernance moins transparents, y compris de la part du G8, ont été finalement rejetées et le CSA réformé a été déclaré comme étant « la plateforme internationale et intergouvernementale la plus inclusive » pour la gouvernance de l’alimentation et de l’agriculture. Le CSA a constitué sa propre équipe d’experts – le Groupe d’experts de haut niveau sur la sécurité alimentaire et la nutrition (HLPE en anglais) – afin de fournir des apports pour le processus de décisions à partir d’analyses et de recommandations politiques. Le mandat du HLPE reconnaît dès le début l’importance des savoirs des « acteurs sociaux » et de l’expérience acquise sur le terrain. L’engagement des experts ayant des liens avec le mouvement de la souveraineté alimentaire dans le HLPE, ainsi que le travail plus important du CSA, a entraîné une augmentation des réseaux et une collaboration plus intense entre les spécialistes et les militants.

Concevoir des modes de connaissance multiples

Vu l’augmentation du nombre et de l’éventail des collaborations avec les chercheurs, il y a une plus grande prise de conscience de la nécessité de développer des méthodologies de recherche nouvelles et appropriées dans les cas où les co-investigateurs se basent sur des systèmes de connaissances différents. Les connaissances universitaires sont normalement considérées comme norme de validation supérieure. Or, pour d’autres systèmes de connaissances, il est particulièrement important de développer des méthodologies allant au-delà des connaissances rationnelles et d’expérimenter de multiples formes de connaissances comme l’humour, la musique, le théâtre, etc. La « Journée du dialogue sur les connaissances pour la Souveraineté alimentaire », ayant eu lieu immédiatement après le Dialogue critique à La Haye en janvier 2014, fut une telle expérience. Le dialogue a été ouvert à environ 70 militants et spécialistes invités qui possédaient une expérience de collaboration. Les organisateurs souhaitaient ouvrir, pendant une journée, un espace où les gens pouvaient faire preuve de leur créativité et curiosité en vue d’un dialogue collectif. Le sentiment exprimé était qu’on avait besoin d’un espace pour des conversations plus enjouées sans la pression d’essayer d’être efficace et d’arriver à un résultat [Voir le rapport ici]. Il s’agit donc d’une étape fondamentale en vue de développer une recherche d’égalisation des pouvoirs (cf. Encadré 3).
Etant donné que les opportunités de recherche et de collaboration entre différents secteurs sociaux augmentent, il devient important de partager les expériences et d’en tirer les leçons. Les rencontres face-à-face entre cultures, visions du monde et systèmes de connaissances doivent devenir plus fréquentes.

Bulletin n° 18 – Éditorial

Acquisition de connaissances pour la souveraineté alimentaire

Illustration: Tree 213, Toni Demuro tonidemuro.blogspot.ie

Dans de nombreuses parties du monde, il existe un mouvement qui élabore des connaissances pour la souveraineté alimentaire !
Les articles de la présente newsletter donnent un aperçu de ce qui se fait. Ils remettent en question l’hypothèse selon laquelle il n’existe qu’une seule vérité fondée sur des connaissances objectives. Ils soulignent que notre compréhension du monde est enrichie lorsque les approches sont multiples et les visions du monde diverses. Ils indiquent également que, pour avoir un dialogue d’égal à égal dans le cadre de ces diverses visions, il est nécessaire de trouver un langage commun. Il faut donc non seulement contester les connaissances théoriques mais également être ouverts à ce que les nôtres soient contestées.
Pour la souveraineté alimentaire, nous avons besoin de transformer radicalement les connaissances dominantes et les formes de savoirs. Afin de développer ces connaissances, il nous faut faire preuve d’humilité et respecter les diverses voix et points de vue. Nous devons être audacieux afin d’expérimenter des méthodes et des idées qui pourraient ne pas sembler « scientifiques » et travailler pour démontrer la qualité de nos processus d’enquête. Nous devons être joueurs pour naviguer avec agilité entre les nombreux obstacles tout en conservant notre curiosité en éveil. En ayant ces défis présents à l’esprit, une question se pose, et nous vous invitons à y réfléchir avec nous : Comment développer les qualités humaines dont nous avons besoin pour pouvoir acquérir ensemble les connaissances pour la souveraineté alimentaire ?

Maryam Rahmanian et Michel Pimbert

Encadres

Encadré 1

Formation en agroécologie

« Nous nous battons pour une éducation qui nous apprenne à penser et non à obéir. » Paulo Freire.

Encourager la pensée critique

La grande majorité des jeunes en milieu rural sont marginalisés à tous les niveaux du système éducatif, et le peu d’opportunités qui existent, sont offertes par des institutions qui reproduisent la perspective transnationale d’agriculture, un modèle qui va à l’encontre des intérêts des petites familles d’agriculteurs. Tandis que les grandes universités continuent de fournir ce qu’elles appellent des « techniciens » et « ingénieurs » qui promeuvent l’agro-industrie, depuis 2006 La Via Campesina développe des formations en agroécologie pour les jeunes, hommes et femmes, les campesinas et campesinos, les populations autochtones, travailleurs ruraux, et d’autres membres exclus de la société. Le but est de pousser une nouvelle génération de militants pour la souveraineté alimentaire à construire un nouveau système alimentaire dont nous avons tant besoin. Ces espaces sont le résultat direct du combat social, du dur labeur, et de mobilisation en défense d’une éducation qui tient en haute estime la vie rurale et qui est guidée par une éducation fondée sur des principes philosophiques et pédagogiques comme détaillé ci-dessous.

Principes philosophiques:

Éducation par et pour le changement social ;
Éducation par et pour la diversité ;
Éducation par et pour le travail et la coopération ;
Éducation par et pour la sédition.

Principes pédagogiques :

Pratique/théorie/pratique : l’éducation populaire est fondée sur la conjugaison de l’action, la réflexion et l’action en connaissance de cause. La vraie formation a lieu lorsque la société est en changement.
Éducation/apprentissage : une relation dialectique et horizontale existe entre les enseignants et les apprenants ; avec l’enseignement et l’apprentissage dans un dialogue constant sans hiérarchisation.
Dialogue des Savoirs: c’est uniquement via une diversité de visions, de perspectives, et de propositions que les gens comprennent véritablement le monde qui les entoure.
La recherche fondée sur l’action, participative, et en contexte : les recherches qui sont effectuées sont directement liées aux besoins réels des apprenants, leurs familles et communautés et la lutte pour la souveraineté alimentaire.

La récolte

Les démarches mentionnées ci-dessus pour la formation agroécologique au sein de La Via Campesina commencent à porter leurs premiers fruits. De nouvelles expériences pédagogiques, différentes méthodes pour le dialogue démocratique, sont les plus importants de tous les résultats, les jeunes, femmes et hommes, qui reconnaissent la souveraineté alimentaire comme leur plate-forme pour la transformation de leurs réalités. Si beaucoup de sites de formation doivent être consolidés, présentement des centaines d’autres processus éducatifs ont lieu à la base des mouvements sociaux de la campagne. Partout dans le monde les jeunes posent et répondent à la question de savoir comment obtenir la souveraineté alimentaire?