Encadres

Encadré 1

Chili vs. Partenariat Trans-Pacifique

Depuis que Donal Trump a annoncé que les États unis se retiraient du TPP, nombreux sont ceux qui ont affirmé que l’accord disparaitrait.
Mais les chiliens sont toujours en lutte contre le TPP, certains qu’une différente version perdurera.

Voici les principaux dangers du partenariat:

• le TPP est un accord en perpétuelle évolution, donnant chaque fois plus de marge de manœuvre aux entreprises, tout en fermant au peuple les voies d’accès à la justice.
• La souveraineté nationale devient ambiguë; les pays perdent leur liberté de légiférer, d’élaborer des politiques publiques ou des plans d’investissement en dehors du cadre du TPP.
• Les pays sont soumis, par l’entremise du mécanisme ISDS, à des tribunaux parallèles privés étrangers, qui imposent des compensations si les entreprises ne récoltent pas les profits qu’elles pourraient à cause d’actions gouvernementales.
• Le TPP favorise les chaînes d’approvisionnement transnationales, ce qui veut dire que les agriculteurs sont obligés, à cause des grandes entreprises, à se plier aux conditions de l’agriculture industrielle, à savoir des salaires extrêmement bas, des conditions de travail précaires et aucune protection de la santé ni de la sécurité des travailleurs. Les entreprises accusent des retards de paiement, imposent des prix bas et des normes de travail. Les pays s’engagent même à harmoniser leurs législations du travail, portant ainsi davantage atteinte aux droits des travailleurs.
• Le TPP promeut une application plus restrictive et large des droits de propriété intellectuelle (DPI) sur les médicaments, ajustant la durée de validité des brevets aux intérêts des entreprises. Toute semence et plante sera privatisée. L’utilisation, la possession, l’échange libres de semence est criminalisé et passible de peines d’emprisonnement. Les brevets sur le vivant seront la norme. Même photocopier un document pour un usage privé sera pénalisé si une entreprise porte plainte. Les savoirs traditionnels et locaux seront intégrés de force dans le cadre des DPI, minant les relations au sein d’une communauté et leur culture.
• Si le profit des entreprises est menacé, le TPP interdit toute protection par l’État.
• On constate une tendance à la privatisation d’un nombre de services étatiques.
• Le TPP prévoit l’acceptation de cultures génétiquement modifiés pour éliminer toute barrière au commerce.

Ces mises en garde se retrouvent dans la campagne chilienne de sensibilisation contre le TPP.

Encadré 2

Les agriculteurs attachés aux entreprises

L’initiative principale du forum économique mondial, « une nouvelle vision de l’agriculture » (appelée programme Grow et connu sous le nom de VIDA en Amérique latine), mené par 17 entreprises internationales du secteur agroalimentaire, a pour objectif d’établir une relation juridiquement contraignante entre les producteurs agricoles asiatiques, africains et latino-américains et les grandes entreprises dans laquelle elles seront en position de force. Les instruments de différents accords de libre-échange sous-tendent cette soi-disant nouvelle vision régie par les principes du « partenariat public-privé [Bulletin Nyéléni n° 25] » et de « solutions basées sur le marché ». Les géants industriels tels que Nestlé, Pepsico et Monsanto, et les gouvernements concernés, ont promis que « la production alimentaire allait être augmentée, la durabilité environnementale assurée et des opportunités économiques au niveau mondial crées ».

Cette initiative accroîtra le contrôle des entreprises sur les marchés et les chaînes d’approvisionnement. Sur le papier, l’objectif est de promouvoir la sécurité alimentaire et œuvrer en faveur des petits producteurs, mais dans les faits Grow/VIDA vise à augmenter la production de quelques biens à l’avantage d’une poignée d’entreprises.

Grow/VIDA est une initiative lancée en 2009 à laquelle participent des entreprises du secteur de l’agriculture, de la transformation alimentaire ou de la vente, qui font avancer leurs intérêts sur « un forum politique clé ». Cependant, l’élément central du projet est l’établissement de chaînes d’approvisionnement verticalement intégrées pour les cultures commerciales et de marchés de produits intermédiaires avec un accent particulier mis sur l’agriculture sous contrat.

Cela crée une dépendance des agriculteurs envers les entreprises. La ségrégation des agriculteurs locaux produisant leur propre nourriture par leurs propres moyens et grâce à leurs propres semences s’accentue. L’on affirme œuvrer pour le bien des individus qui sont liés par ce système d’agriculture contractuelle, alors que ceux-ci sont forcés d’accepter des retards de paiement et des prix dérisoires.

Ces systèmes sont en vigueur dans douze pays africains, cinq pays asiatiques et quatre pays latino-américains, répandant ainsi un immense modèle basé sur les monocultures mécanisées, les serres aux cultures hybrides ou génétiquement modifiées, sur une demande sans fin exercée sur les agriculteurs liés aux entreprises, sur des normes inflexibles dans leur phrasé et des travailleurs évoluant dans les pires conditions possibles.

Encadré 3

Lutter contre le RCEP

Le partenariat économique régional global (RCEP en anglais) est un méga-accord commercial et d’investissement régional en cours de négociation entre les membres de l’ASEAN et six pays de la région Asie-Pacifique avec qui l’ASEAN a des ALE : l’Australie, la Chine, l’Inde, le Japon, la Nouvelle-Zélande et la Corée du Sud.

Ces pays harmonisent entre eux leurs réglementations en matière de commerce afin de créer un régime commun. Le risque est que les États qui ont signé le Partenariat Trans-Pacifique veuillent imposer en Inde, en Chine et dans les pays d’Asie du Sud-Est un agenda très corporatiste.
Les gouvernements perdraient leur marge de liberté en matière d’élaboration de politique. Les demandes clés des mouvements sociaux dans la région pour de meilleurs services publics, une véritable réforme agraire, la protection des producteurs et vendeurs à petite échelle du milieu alimentaire, et la refonte des traités actuels d’investissement bilatéraux, pourraient ne pas être satisfaites.

Depuis 2004, les organisations de la société civile ont récolté et analysé des textes de négociation qui avaient été divulgués. En 2015, une réunion importante d’activistes appartenant à des mouvements sociaux et organisations de la société civile s’est tenue à Kuala Lumpur et a débouché sur des plans pour entreprendre une action coordonnée. Nous sommes actuellement en train d’organiser des journées régionales d’action, d’élaborer des déclarations conjointes, de monter des ateliers, des sites internet et de préparer un travail de lobby pour faire pression sur les gouvernements. Nos préoccupations principales sont les suivantes: accès aux médicaments, privatisation des semences, accaparement de terres, répercussions sur les paysans, services publics, pression négative sur les salaires et le contrôle accru des entreprises imposé par les mécanismes ISDS. Nous demandons communément la fin du RCEP, pas une version améliorée de celui-ci!

La remise en question du Partenariat Trans-Pacifique pourrait donner un nouvel élan et une nouvelle direction au RCEP. Nous devons œuvrer pour y mettre un terme.

Sous les feux de la rampe

Sous les feux de la rampe 1

Qui fait pression pour faire passer les ALE?

Les accords de libre-échange et d’investissement (ALE) sont des accords entre deux gouvernements ou plus en dehors du cadre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Beaucoup d’élites de pays tels que les États-Unis, les pays membres de l’Union Européenne (UE), le Japon et l’Australie, ont voulu sortir du cadre de l’OMC arguant qu’elle ne va pas assez loin dans l’établissement de règles mondiales en faveur de leurs entreprises et de leurs objectifs géopolitiques, et en parallèle les discussions multilatérales avancent doucement. Depuis le début de ce siècle, ces élites cherchent à conclure de puissants accords au niveau bilatéral et régional aux moyens d’application redoutables. L’idée est qu’en poussant les pays à s’engager davantage et de manière plus détaillée dans la liberté d’entreprise par l’entremise de ces accords, un marché mondial uniformisé et entièrement ouvert au commerce entre transnationales et au mouvement de capitaux, puisse être construit à partir de la base.

Il n’est pas surprenant que ces accords soient conçus dans le secret. Dans cet état de fait, le rôle des parlements se limite à la conception d’objectifs généraux et le public se voit refusé l’accès aux textes de négociation. Les lobbyistes des entreprises sont activement consultés tout au long du processus pour arriver à une issue qui leur est favorable. En effet, les entreprises transnationales et les coalitions d’entreprises sont des acteurs prépondérants dans les processus de conception de ces accords. Par exemple, lors de la phase initiale des négociations entre les États-Unis et l’UE sur le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement, les grandes sociétés agro-industrielles telles que Cargill et Coca-Cola représentaient les premiers groupes d’intérêts donnant aux négociateurs des indications cadrant avec leurs intérêts[1].

Les ALE englobent une grande variété de domaines-des droits de propriété intellectuelle (DPI), jusqu’aux télécommunications en passant par l’énergie et la sécurité alimentaire- détaillant précisément ce que peuvent et ne peuvent pas faire les pays dans un grand nombre de domaines alors que ces derniers ouvrent leurs marchés aux investisseurs étrangers. En conséquence, les gouvernements signataires sont forcés de réécrire leurs lois et prendre des engagements contraignants empêchant tout retour en arrière. Par le biais de ces accords, les entreprises obtiennent même le droit d’examiner les ébauches de politiques et projets de règlementations qui, selon elles, peuvent les concerner et avoir un effet sur l’ALE avec le pays partenaire.

Actuellement, des mouvements sociaux luttent contre de nouveaux ALE puissants tels que :
– l’AECG entre la Canada et L’Union Européenne (le Parlement européen a ratifié l’accord, mercredi 15 février 2017) ;
– TTIP entre les États-Unis et l’UE ;
– TPP entre les États-Unis, le Japon et 10 autres pays (les États-Unis se sont retirés de l’accord mais cela ne veut pas dire que l’accord est abandonné) ;
– RCEP entre les membres de l’ASEAN, la Chine, l’Inde, le Japon, l’Australie, la Corée et la Nouvelle-Zélande ;
– l’ACS, concernant uniquement les services, entre les États-Unis, l’UE, le Japon et 20 autres pays ;
– Les APE imposés par l’UE en Afrique ;
– et les accords bilatéraux pour lesquels l’UE, l’Inde, le Vietnam, le Mexique, le Japon, le Mercosur, le Chili etc. font pression.

En plus de conférer un pouvoir politique et règlementaire, tous ces traités donneraient aux entreprises accès aux ressources naturelles, à de nouveaux marchés et aux marchés du travail.

Bien que certains de ces accords semblent être menacés par les nouveaux gouvernements de droite dans des pays tels que le Royaume-Uni et les États-Unis, qui ont promis de remplacer une série d’anciens accords commerciaux par de nouveaux, cela ne veut pas forcément dire que les anciens accords vont simplement disparaitre. Ils changeront peut-être de forme ou de partenariat ou encore avanceront plus lentement. De plus, ce serait une erreur de croire à la propagande selon laquelle les nouveaux et « meilleurs » accords d’échange et d’investissement sauveront les emplois locaux ou auront des effets positifs pour les agriculteurs, les consommateurs, les petites entreprises et l’environnement.

Sous les feux de la rampe 2

Les mécanismes de règlement des différends entre investisseurs et États (ISDS), quels sont les enjeux?

L’un des points le plus menaçant des accords de libre-échange et des traités d’investissement est le « mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États » (ISDS). Le mécanisme remonte à l’époque coloniale lorsque les puissances impériales voulaient protéger leurs entreprises opérant à l’étranger dans l’extraction de minéraux et la production de cultures commerciales. Elles ont mis au point des textes légaux qui ont évolués pour donner lieu aux traités d’investissements actuels dont l’objectif est de protéger les investisseurs de la « discrimination » et de l’expropriation par les États étrangers.

À cette fin, les traités octroient aux sociétés transnationales (STN) un droit spécial leur permettant d’assujettir les gouvernements étrangers à une arbitration contraignante lorsqu’elles considèrent avoir été lésées. Cela veut dire que les STN peuvent poursuivre en justice les gouvernements lorsque ceux-ci adoptent des politiques publiques qui limiteraient leurs investissements et leurs profits, telles que des lois anti-tabac ou des réglementations visant à réduire la pollution atmosphérique.

Les entreprises nationales ne jouissent pas de ce même droit : la simple menace d’une poursuite pourrait donner lieu à l’élaboration de politiques (effet paralysant). Les différends en matière d’investissements internationaux sont portés devant des panels spéciaux d’arbitration, habituellement devant la Banque mondiale à Washington ou des cours d’arbitration comme celle de La Haye. Cela leur permet de contourner purement et simplement les cours nationales sous prétexte qu’elles peuvent être biaisées. Les procédures sont menées par des avocats privés et dans le secret, sans possibilité de faire appel.

Au cours des 15 dernières années, les différends entre investisseurs et États ont augmenté de manière spectaculaire. Dans la plupart des cas, les demandes des investisseurs ont été entièrement ou partiellement satisfaites. Les gouvernements ont dû payer des récompenses s’élevant à des millions, si ce n’est des milliards, de dollars (c’est-à-dire de l’argent du contribuable qui pourrait servir l’intérêt général). À cause de cette menace, certains gouvernements mettent en attente leurs traités d’investissements le temps de repenser leurs stratégies.

Le mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États porte un coup à la souveraineté alimentaire à plusieurs égards. Il dote les entreprises de moyens juridiques considérables pour renverser les politiques nationales soutenant les petits agriculteurs, les marchés locaux et l’environnement. Les initiatives de lutte contre le changement climatique dans le secteur alimentaire-par exemple la promotion de circuits courts en accordant la préférence aux producteurs locaux ou en les subventionnant- peuvent être remise en cause par les transnationales si elles considèrent qu’elles leur porteraient préjudice. Récemment, le Canada a empêché une entreprise américaine d’aller de l’avant avec l’exploitation d’une mine à ciel ouvert à Nouvelle-Écosse car les dommages pour la communauté de pécheurs locale auraient été trop importants. L’entreprise a traduit le Canada devant un tribunal ISDS et a remporté le procès, ce qui a couté aux contribuables canadiens 100 millions de dollars. Le Mexique a dû payer 90 millions de dollars à Cargill à cause d’une taxe sur les boissons contenant des taux élevés de sirop de maïs (un édulcorant produit par cette entreprise conduisant à l’obésité). La taxe contribuait à protéger l’industrie de canne à sucre du pays, représentant de centaines de milliers d’emplois, de l’afflux de sirop américain subventionné.

Le mécanisme ISDS octroie aux investisseurs étrangers plus de droits que ceux dont bénéficient les investisseurs nationaux, et ils l’utilisent à leur avantage dans les secteurs de l’agriculture et de la pêche. Les accords d’échange stipulent en général que les investisseurs étrangers devraient bénéficier d’un traitement identique que les investisseurs nationaux concernant l’accès aux terres agricoles et aux zones de pêche (principe de traitement national). Le mécanisme ISDS octroie à ces entreprises un moyen supplémentaire pour user d’un droit dont les entreprises nationales (ou les agriculteurs ou pêcheurs et leurs coopératives) ne bénéficient pas. Quelquefois les investisseurs nationaux dans l’agroalimentaire implantent des entreprises à l’étranger et ensuite investissent dans leurs pays dans le seul but de bénéficier de ces protections supplémentaires.

La clé pour renforcer la souveraineté alimentaire dans le contexte du commerce international et même régional est que les états privilégient les producteurs d’aliments nationaux et locaux par le moyen de subventions et de politiques d’achat. Ces subventions et traitements préférentiels sont généralement interdits par des accords de libre-échange (bien qu’ils soient largement utilisés par de grands acteurs tels que les Etats-Unis ou l’UE), et le mécanisme ISDS offre aux entreprises étrangères un outil pour que les producteurs nationaux soutenus par de telles politiques ne menacent pas leurs profits.

[1] Corporate Europe Observatory, « TTIP : a corporate lobbying paradise », 14 juillet 2015, .

Un poème

Espoir fugace

Il est dur d’avoir de l’espoir. Et malgré le temps qui passe,
il reste insaisissable. Car il ne dépend pas seulement du bonheur
mais reste ancré dans ces mirages de solitude au cœur de la nuit.
Cela nous surprendra surement, mais vous aussi, vous avez cessé de
croire en la réalité immuable du futur,
et l’espoir n’en est que plus insaisissable lorsqu’il n’est plus concevable
ni souhaité. Mais ne tergiversons plus.
La jeune génération demande à l’ancienne d’espérer. Alors que leur direz-vous?
Ayez l’honnêteté de leurs dire ce que vous vous dites à vous-mêmes.

Car égoïstement nous avons préféré considérer nos vies avant même
de considérer ce qui nous fait vivre, les forêts sont ruinées, les champs rongés,
les courants pollués, les montages écroulées. L’espoir
est alors d’appartenir à un endroit en ayant connaissance
de ce qui le différencie de tout autre endroit, et,
en le chérissant plus que n’importe quel autre, cette connaissance
ne pourra nous être enlevée, ni par la force, ni par l’argent.
Grâce à elle, vous n’entendrez plus les influents lorsqu’ils
qui réclameront votre foi, vous n’entendrez plus les riches lorsqu’ils exigeront vos terres
ou votre labeur. Restez marmoréen face à eux et préférez écouter
la mélodie des rivages, la mélopée des arbres et le chant des grands espaces.

Trouvez votre espoir, celui-là même que vous foulez à chacun de vos pas.
Votre espoir du Paradis, laissez-le reposer ici-bas.
Le monde n’est pas mieux que les endroits qui le constituent. Et, enfin,
ces endroits-là, ne sont pas mieux que leurs peuples alors que les peuples
les habitent. Si les peuples assombrissent la lumière
qu’ils portent en eux, alors le monde s’obscurcit.

Wendell Berry (Traduction non officielle de l’anglais)

L’écho des campagnes

L’écho des campagnes 1

Mondialisons la lutte, mondialisons l’espoir!

Elizabeth Mpofu, coordinateur général de La Via Campesina

Un proverbe africain dit : « Si tu veux aller vite, pars seul, mais si tu veux aller loin, pars accompagné ».
Je pense que la lutte pour la souveraineté alimentaire se trouve dans la dernière partie du proverbe. Elle représente une solution mondiale durable à la question de notre cohabitation avec la nature et les peuples à l’heure de nous nourrir. C’est une lutte qui nécessite des alliances permettant la complète reconnaissance et mise en pratique des droits paysans mais aussi l’équité et l’égalité aux niveaux social, économique et écologique. Tout ceci ne peut être atteint que par une action commune, collective, en alliance avec différents mouvements, différentes régions, différentes cultures et différents genres afin d’assurer une solidarité mondiale et d’obtenir un réel changement.
Pour construire et parvenir à la souveraineté alimentaire, il faut impérativement travailler et collaborer avec les autres –les paysans, les autochtones, les pêcheurs, les femmes, les hommes, les chercheurs évolutifs, les consommateurs…– pour pouvoir repenser les techniques agricoles et la mobilisation internationale. En partageant nos idées, en produisant des connaissances, nous sommes capables de former une société basée sur la justice et la solidarité, nous sommes capables de créer des communautés d’inclusion saines et d’améliorer la cohésion et l’intégration sociales. La Via Campesina connait l’importance des alliances, et ensemble, nous travaillons main dans la main avec d’autres mouvements et organisations pour promouvoir la souveraineté alimentaire dans de nombreux espaces, autant au niveau national qu’international. Les résultats sont visibles, la souveraineté alimentaire est incluse dans bon nombre de mesures, inscrite dans les constitutions de certains pays et, dans d’autres, des débats sont en court sur les mesures à prendre.

Aujourd’hui, la souveraineté alimentaire est un concept bien vivant grâce au travail permanent des alliances. C’est une lutte pour des systèmes alimentaires locaux basés sur l’agroécologie, l’accès aux marchés locaux, l’accès et le contrôle des ressources comme les terres, l’eau, les semences, etc., la reconnaissance des droits paysans et la résistance à l’agriculture industrielle comme les accords de libre-échange (ALE) ou les sociétés transnationales.

L’écho des campagnes 2

L’Etat de Palestine : reconnu internationalement pourtant exempt de souveraineté alimentaire

Jamal Talab, Centre de recherche sur la terre, Palestine

La perte de la souveraineté alimentaire pour les peuples d’un Etat occupé peut surement doubler les impacts négatifs de la violation de leur droit fondamental à une vie digne. L’Etat de Palestine, reconnu comme Etat membre par les Nations unies, ne possède pas encore une complète souveraineté, dont au niveau des ressources naturelles. L’occupation israélienne contrôle 80% des eaux souterraines ainsi que 64% du territoire même de la Palestine, réservé pour l’extension illégale de colonies selon la Résolution 2334 de décembre 2017 des Nations unies.
En outre, l’occupation israélienne a construit un mur de l’apartheid (de 774 km), elle a ouvert des routes réservées seulement aux colonies (couvrant 1 270 km), elle a confisqué 50% des terres palestiniennes et arraché presque deux millions d’arbres fruitiers, dont 70% étaient des oliviers vieillissants. Elle a établi pas loin de 488 colonies et avant-postes sur les flancs des collines et des montagnes palestiniennes, pompé des eaux usées non traitées et envoyé les polluants (pesticides et engrais) vers les terres agricoles palestiniennes, entrainant la pollution des plantes et la dégradation des terres.

Le concept de la souveraineté alimentaire permet aux peuples de contrôler leur chaine ainsi que leur système alimentaires. Néanmoins,  tous les concepts ne sont pas applicables en Palestine. De plus, l’occupation assiège la bande de Gaza depuis presque dix ans et Israël détient un contrôle intégral des terres, de l’air et de l’eau. Les pêcheurs n’ont accès qu’à 25% du kilométrage autorisé en mer, affectant ainsi négativement leur capacité de pêche ainsi que leurs revenus.

La présence de presque 742 postes de contrôle israéliens en Palestine restreint considérablement le déplacement ou le transport des biens. Par-dessus tout, Israël a imposé des mesures d’obstacle qui détruisent les marchés locaux et empêchent les Palestiniens d’entrer en contact avec les producteurs ou les consommateurs des marchés israéliens, bien plus organisés et modernes. Lors d’une grève de la faim de 41 jours (Mai 2017) pour la dignité et la liberté, les prisonniers palestiniens ont demandé à la communauté internationale de se joindre à leur cause, pour la reconnaissance totale de leurs droits et la souveraineté alimentaire.

L’écho des campagnes 3

Le mouvement des femmes et la souveraineté alimentaire

Sophie Dowllar, World March of Women

La marche mondiale des femmes a participé au Forum International de Nyéléni sur la souveraineté alimentaire au Mali en 2007 en tant que mouvement féministe et elle a permis aux femmes de s’exprimer en tant qu’entités politiques. L’un des aspects les plus importants de la souveraineté alimentaire est l’accès des femmes à la terre, à l’eau, aux semences et aux territoires. La terre devrait appartenir à ceux qui la cultivent. Aujourd’hui, ce sont les paysannes celles qui restent à la campagne et labourent la terre pour assurer la production alimentaire. Les paysannes se battent en permanence pour le sauvetage et le maintien de la biodiversité ainsi que la préservation des terres, cela se traduit par leur usage de pratiques durables et agro-écologiques. L’eau devrait être incluse dans le cadre de la souveraineté alimentaire. La privatisation et la marchandisation de l’eau comme bien commun est un crime contre la nature et contre l’humanité. Pour ces paysannes, protéger et sauvegarder les semences est une mission fondamentale et une manière de contribuer à la souveraineté alimentaire.

Afin de produire et de distribuer une alimentation nutritive pour tous, les mouvements des femmes sont déjà engagés dans différentes formes d’agricultures basées sur un modèle communautaire qui rassemblent les femmes vivant en ville et celles vivant à la campagne. Ces mouvements sont également impliqués dans des initiatives conjointes créant et renforçant les liens entre les femmes de différents secteurs : pêcheuses, migrantes, paysannes, écologistes, etc. Malgré les contradictions du fait de leur action dans une société capitaliste et patriarcale, ces initiatives créent des opportunités d’apprendre, d’organiser, de développer de nouvelles formes de convivialité, de forger des relations significatives pour une production alimentaire durable et pour résoudre les problèmes ensemble.  On trouve aussi une vision commune sur la préservation des semences, la souveraineté alimentaire et la relation entre les peuples et les territoires. L’affirmation du savoir et de la contribution des femmes à la production, à la préparation et à la distribution alimentaire est l’un des plus grands espoirs pour l’avenir nourri par le progrès de la souveraineté alimentaire. La reconnaissance de leur savoir autochtone et de leur contribution à la production, à la préparation et à la distribution alimentaire est nécessaire. La souveraineté alimentaire représente l’avenir.

L’écho des campagnes 4

Pourquoi choisir la souveraineté alimentaire

Zainal Arifin Fuad, Serikat Petani Indonesia (SPI)

La souveraineté alimentaire est un paradigme alternatif à la sécurité alimentaire qui a d’abord été adopté par le gouvernement indonésien en 2009 suite à un long combat de la Fédération des paysans indonésiens (SPI) pour contrer l’introduction du Cadre de la sécurité alimentaire adopté par la FAO en 1996 pour vaincre la famine. La souveraineté alimentaire ne concerne pas seulement les pénuries alimentaires, mais aussi la réforme agraire, la biodiversité, l’environnement, l’énergie, les droits des travailleurs, les consommateurs, les institutions économiques, les institutions financières, les marchés, les transports et la politiques, tous ces domaines constituantune géopolitique basée sur l’approche alimentaire. La mise en œuvre de la sécurité alimentaire renforce la pauvreté, la faim et les conflits agraires à cause de l’action des sociétés qui fournissent et contrôlent l’alimentation à travers la révolution verte, l’accaparement des terres et des marchés libres.

Par conséquent, la SPI réalise que la souveraineté alimentaire devrait être soutenue par toutes les composantes de la société civile (intellectuels, étudiants, ONG, femmes, travailleurs et autres mouvements sociaux) et du gouvernement. Le slogan de la Via Campesina « La lutte des paysans, la victoire du peuple » signifie que le combat pour la souveraineté alimentaire concerne tout le monde.

Actuellement, en Indonésie, de nombreuses lois limitent la souveraineté alimentaire de manière explicite et implicite, telles que la loi de la protection des terres pour une agriculture alimentaire durable (2009), la loi sur les denrées alimentaires (2012), la loi sur la protection et l’autonomisation des cultivateurs (2013) ainsi que le programme de développement de Jokowi (2014-2019). Néanmoins, la marche à suivre est compliquée voire paradoxale au niveau de la mise en œuvre. Il existe de nombreuses contraintes et d’interventions de la part de nombreux acteurs, à la fois nationaux et internationaux, qui souhaitent toujours mettre en œuvre la sécurité alimentaire. La FAO a déjà ouvert la porte à l’agro-écologie en 2014 et des processus sont en cours à la Commission des droits de l’Homme à Genève sur la Déclaration des droits des paysans. Par conséquent, la SPI et la Via Campesina poursuivent leurs combats au niveau local, ainsi que dans le domaine des politiques publiques aux niveaux national, régional et international.

L’écho des campagnes 5

Consommateurs et souveraineté alimentaire

Isa Álvarez, représentante d’URGENCI

Du point de vue des consommateurs, la souveraineté alimentaire est un droit essentiel pour s’assurer une vie pleine et digne. Il nous serait difficile d’envisager vivre dignement si notre autonomie dans notre choix d’alimentation était limitée.

De nos jours, le système capitaliste considère les citoyens principalement de deux manières : comme une force de travail pour alimenter le système de production, ou comme une niche dans le marché de consommateurs qui fait perdurer ce marché. Dans le même temps, grâce à des mécanismes de publicité massive, ce système a engendré un monde imaginaire où le consumérisme est le seul moyen d’accéder à ses droits, occultant complètement les droits humains, dont tous les citoyens disposent dès la naissance.

Il devient de plus en plus urgent que ce soit les peuples qui décident de leurs propres directives politiques dans tous les domaines, mais particulièrement dans celui de l’alimentation et de l’agriculture. Aujourd’hui, le marché mondialisé, qui est dans les mains des sociétés transnationales, nous inonde de produits sur-transformés qui nous empoisonnent, tout en suggérant que ces produits représentent le progrès et le citoyen moderne. Cela mène non seulement à la disparition d’autres formes d’alimentation plus adaptées à nos réels besoins, mais aussi à celle des petits agriculteurs et paysans.

Les impacts négatifs de ces produits comestibles (non alimentaires) sur notre santé sont déjà évidents. Curieusement, face à cette évidence, certaines fausses solutions pointent du doigt la responsabilité des citoyens – notamment celle des femmes – assumant leur rôle au foyer, comme si le fait de décider de ce que l’on mange dans le monde actuel était un acte libre dans un environnement neutre. Au contraire, nous ne devrions pas oublier le rôle et la capacité des politiques publiques de choisir (ou pas) nos produits alimentaires, ainsi que la nécessité de ces politiques de devenir le fruit de processus participatifs entre tous les citoyens et non pas le résultat de pressions appliquées par les grandes sociétés transnationales, qui n’ont que peu, sinon rien à voir avec les besoins humains.

L’écho des campagnes 6

Le chemin vers la souveraineté alimentaires des peuples

Diego Montón, Secrétariat opérationnel – CLOC-Vía Campesina

Pour nous, il est impossible de parvenir à la souveraineté alimentaire des peuples dans le cadre du système capitaliste et patriarcal. De ce constat, il est nécessaire de bâtir un programme populaire basé sur la solidarité, la justice sociale et environnementale, la justice de genre ainsi que sur la souveraineté alimentaire.

Progresser vers la souveraineté alimentaire sur le continent disposant du plus haut niveau de concentration de terres revient à défendre la fonction sociale de la terre, mais aussi défendre les semences paysannes et résister à toute initiative visant à les privatiser. Par conséquent, le combat pour une réforme agraire intégrée et la construction de systèmes locaux de productions de semences sont des engagements essentiels pour la CLOC.

Parallèlement, nous devons transformer les modèles de production imposés par les sociétés transnationales et les classes dominantes au niveau national. La production agro-écologique est fondamentale pour conserver l’autonomie, la réalisation du droit  à l’alimentation et la durabilité environnementale des paysans et petits exploitants. Dans ce domaine, l’éducation et la formation jouent un rôle fondamental. C’est pour cette raison que la CLOC a créé l’IALAS ainsi que des écoles agro-écologiques dans divers pays.

Afin de renforcer le travail des paysans et des petits exploitants tout en créant des opportunités pour la jeunesse rurale, il est vital que l’état joue un rôle actif avec des politiques publiques qui devront :

  • Assurer un accès égal pour les femmes aux ressources et aux politiques
  • Assurer une vie digne dans les campagnes en garantissant un revenu minimum, une couverture de santé, l’accès à l’éducation et d’autres droits ;
  • Développer les agro-industries locales et de petites tailles dont la valeur ajoutée aux produits de base peut ainsi s’échanger sur les marchés urbains et locaux
  • Garantir des infrastructures aux marchés locaux
  • Subventionner le soutien logistique en transportant les produits des fermes jusqu’aux marchés
  • Définir différentes normes pour que les produits des paysans puissent être directement vendus sur les marchés locaux et éviter la concentration de population dans les villes à travers la planification urbaine et rurale
  • Renforcer les organisations de paysans et de petits exploitants
  • Promouvoir l’intégration entre les organisations populaires de la campagne et des villes qui leur permettent de débattre et de renforcer le statut de la souveraineté alimentaire comme droit pour tous les citoyens.

Afin de progresser sur cette voie, nous avons besoin d’États démocratiques forts ainsi que des résolutions de l’ONU qui contrôlent et pénalisent les sociétés transnationales et leurs pays d’origine lorsqu’ils commettent des violations des droits humains ou tentent de monopoliser le marché des denrées alimentaires. Dans le cadre de ces objectifs, tous les mouvements du continent travaillent main dans la main.

L’écho des campagnes 7

Faire progresser la souveraineté alimentaire au Népal

Balram Banskota, Fédération de tous les paysans népalais

La souveraineté alimentaire est devenue l’étendard de la Fédération de tous les paysans népalais (ANPFa), la plus grande organisation de paysans au Népal. Le mouvement paysan du Népal a tendu la main à ses homologues nationaux et internationaux afin d’ouvrir la discussion sur la souveraineté alimentaire à un plus large public. Ils la présentent comme un nouveau modèle pour le développement agraire et rural et l’opposent au paradigme de développement néo-libéral en s’orientant davantage vers le socialisme. C’était lors du Mouvement du peuples-II [Il est le nom donné aux troubles politiques contre le gouvernement non-démocratique du roi Gyanendra au Népal. Le mouvement est également connu sous le nom de Jana Andolan-II (le mouvement du peuple).] que le message du mouvement paysan et le concept de souveraineté alimentaire est parvenu au niveau local. Le peuple avait, d’un côté, la souveraineté alimentaire et de l’autre, l’agenda politique d’une république démocratique fédérale. C’est la raison pour laquelle il a été possible d’inscrire la souveraineté alimentaire comme droit fondamental pour le peuple. La nouvelle constitution du Népal (2015) garantit au peuple le droit à la souveraineté alimentaire tel qu’il est dicté par la loi (article 36 relatif aux droits à l’alimentation, sous-article 3). Pourtant, bien que ces accomplissements majeurs soient à souligner, les textes législatifs pour mettre en œuvre ces droits doivent encore être rédigés. L’instabilité politique au Népal perdure et a un impact sur l’hégémonie régionale et le capitalisme mondialisé. En effet, le gouvernement actuel, soutenu par les forces néo-libérales et le soutien technique de la FAO, rédige le projet de loi sur la sécurité alimentaire et le droit à l’alimentation à l’encontre du mandat de la constitution. Nous comprenons comment les forces antipopulaires agissent contre la souveraineté alimentaire et les autres droits progressistes qui garantissent la progression du Népal vers le socialisme. Nous sommes tous bien préparés à la sensibilisation et à la manifestation politique de masse nécessaires pour soutenir la souveraineté alimentaire. L’ANPFa dirige aussi le processus de rédaction du projet de loi sur la souveraineté alimentaire  pour mettre en œuvre les droits constitutionnels du peuple. Nous espérons que nous parviendrons bientôt à mettre en œuvre la souveraineté alimentaire au Népal malgré tous ces défis.

L’écho des campagnes 8

La souveraineté alimentaire témoigne de la richesse de notre lutte

Nettie Wiebe, Union Nationale des Fermiers (Canada)

Le terme de «souveraineté alimentaire» est devenu si familier et si fréquemment utilisé (et souvent mal utilisé) qu’il est difficile de se rappeler du temps où il ne faisait pas partie de notre vocabulaire.

Nous ne savons pas qui est à l’origine de cette formule, la « souveraineté alimentaire », mais nous savons comment et pourquoi elle est devenue une notion bien spécifique à La Via Campesina (LVC) et à d’autres mouvements. C’est un terme qui définit nos luttes, notre analyse et notre mouvement.

Le rassemblement qui a vu naître la LVC à Mons (Belgique) en 1993 a eu lieu dans un contexte où l’agenda néolibéral gagnait rapidement de la légitimité et du pouvoir grâce à des accords commerciaux régionaux et mondiaux, en particulier le GATT / OMC. En avril 1996, lorsque la première grande conférence a été organisée à Tlaxcala au Mexique, les centaines de représentants d’organisations paysannes, indigènes et rurales se sont unanimement opposés à ces politiques et pouvoirs qui menaçaient les paysans, les petits agriculteurs et les communautés rurales et indigènes à travers le monde.

Il n’a pas été difficile de mettre un nom sur ce contre quoi nous luttons – la destruction des communautés, des environnements, des cultures, des moyens de subsistance et des marchés locaux par l’agro-industrie et les gouvernements qui participent à cette destruction.

Il était en revanche plus difficile de nommer les alternatives en quelques mots. Je me souviens des débats nocturnes pendant lesquels nous tentions de trouver un terme qui désignerait ce pourquoi nous nous battons.

Le terme conventionnel de «sécurité alimentaire» ne convenait pas. Il s’agissait plus que de produire davantage de nourriture ou de la distribuer de manière plus efficace. Nous étions aux prises avec les questions fondamentales du pouvoir et de la démocratie: qui contrôle les ressources d’où viennent les ressources alimentaires comme la terre, l’eau, les graines et la génétique et à quelles fins? Qui décide de ce qui se développe, comment, où il est cultivé et pour qui? Notre langage devait exprimer les dimensions politiques de notre lutte.

La souveraineté alimentaire est un terme lourd de sens. Il induit le discours nécessaire quant au pouvoir, à la liberté, la démocratie, l’égalité, la justice, la durabilité et la culture. Les aliments ne sont plus seulement un simple produit de consommation. Ils sont réintégrés dans les contextes sociaux, écologiques, culturels et locaux et y sont reconnus comme sources de nutrition, comme moyens de subsistance.

Quelques mois plus tard, lors du Sommet Mondial de l’Alimentation à Rome, LVC a présenté publiquement certains des éléments de base du principe de souveraineté alimentaire. Et au cours des décennies qui se sont écoulées depuis, il est devenu un puissant transformateur, un concept largement utilisé qui englobe une multitude de luttes diverses dont l’objectif est de protéger la vie, de semer l’espoir et récolter la justice.

L’écho des campagnes 9

La souveraineté alimentaire au Forum Mondial des peuples pêcheurs à petite échelle 

« Nous, le peuple El Molo, coexistons avec la nature. Nos moyens de subsistance et nos traditions sont liés à la nature et au lac [Turkana] où nous pêchons. À El Molo, nous avons un dicton: “Conservez, protégez et maintenez le lac de manière durable afin qu’il puisse servir votre famille et votre communauté“, c’est la source de votre vie, une relation bilatérale. Il n’y a pas d’aspect commercial, il s’agit de survivre. » ChristianaLouwa, El Molo Forum, Nord du Kenya

L’importance de la souveraineté alimentaire est depuis longtemps reconnue par la direction du Forum mondial des peuples pêcheurs (WFFP): la souveraineté alimentaire est un programme politique de petits producteurs alimentaires qui agissent pour la défense de nos rivières, de nos lacs, de nos océans et de nos terres. Elle est au cœur de notre lutte contre le système alimentaire néolibéral dominé par des sociétés multinationales qui, dans le contexte de la pêche, cherchent à privatiser et conférer les droits de pêche à quelques-uns seulement.

La souveraineté alimentaire nous offre un nouveau langage pour décrire ce qui constitue déjà le cœur et l’âme de la défense de nos territoires, de notre patrimoine et nos capacités à produire de la nourriture saine, bonne et abondante.

Elle fournit un cadre pour partager les connaissances et la sagesse indigènes, traditionnelles et nouvelles, et nourrir l’étude et le débat sur la souveraineté alimentaire chez les jeunes, les femmes et les hommes dans toutes les circonscriptions du Forum mondial des peuples pêcheurs. Notre vision s’appuie sur les «six piliers» de la souveraineté alimentaire [Définie au forum de Nyéléni pour la Souveraineté Alimentaire au Mali en 2007]:

  • Priorité aux aliments pour les personnes:

Les petits pêcheurs artisans et les marins sont au centre de la pêche et des politiques connexes et veillent à ce que la production alimentaire ne nuise pas aux générations futures.

  • Conférer des valeurs aux fournisseurs alimentaires:

Les droits humains de tous les petits pêcheurs impliqués dans l’ensemble de la chaîne de valeur de la pêche à petite échelle, y compris les jeunes, les femmes, les hommes et les pêcheurs autochtones, doivent être respectés et protégés.

  • Localiser les systèmes alimentaires:

Les communautés de pêcheurs décident indépendamment de leur propre système alimentaire. Ils sont au centre de la décision en ce qui concerne la transformation des produits de la pêche (salage, séchage, fumage, produits frais, gel, mise en conserve, etc.).

  • Mettre en place un encadrement local:

Les communautés de pêcheurs doivent avoir le contrôle sur les terres, les territoires aquatiques à l’intérieur des terres et la pêche maritime. Elles doivent aussi avoir accès aux zones de pêche – y compris les lacs, les rivières, les marais salants, les forêts de mangroves, les récifs coralliens et les eaux côtières -, un droit fondamental des communautés de pêcheurs.

  • Acquérir des connaissances et des compétences:

Les petits pêcheurs ont acquis leurs connaissances et compétences traditionnelles, coutumières et / ou autochtones sur plusieurs générations (transmises des parents aux enfants).

  • Travailler avec la nature:

Les petites communautés de pêcheurs partagent une longue histoire de travail et de respect de la nature. L’interconnexion entre les pêcheurs et la nature est profondément enracinée dans les traditions et les coutumes pratiques, en particulier pour les peuples autochtones, et elle s’exprime grâce à notre engagement envers l’agro-écologie. C’est sur la base de la souveraineté alimentaire que nous serons en mesure de lutter pendant la prochaine décennie. En mettant l’accent sur les jeunes, les femmes et les peuples autochtones, nous renforcerons la solidarité entre les mouvements de pêcheurs et les autres mouvements sociaux du monde entier.

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Souveraineté alimentaire et AFSA

L’Alliance pour la souveraineté alimentaire en Afrique (AFSA) entend la souveraineté alimentaire comme la lutte ultime pour protéger l’Afrique de l’agression du système alimentaire industriel. Jamais auparavant il n’y a eu de tentative plus coordonnée et mieux financée pour transformer les bases de l’agriculture paysanne africaine en une entreprise commerciale. Les politiques agricoles et alimentaires sont orientées vers des intérêts commerciaux. Grâce à des accords et à des transactions frauduleuses, nos gouvernements confient la responsabilité de nourrir l’Afrique aux entreprises. Le genre de production alimentaire envisagée par les entreprises est fortement orienté vers l’industrialisation de l’agriculture, s’appuyant sur des graines hybrides, des OGM et l’utilisation accrue d’engrais et de pesticides – ainsi que l’agriculture mécanisée et à grande échelle. Plutôt que d’être aidés, les producteurs alimentaires sont éliminés de leur système de production. Plutôt que d’intégrer les connaissances et l’expérience disponibles des producteurs alimentaires, les gouvernements font croire que la majorité des producteurs alimentaires ne sont plus nécessaires.

Ce processus permet également au patrimoine génétique de l’Afrique d’être privatisé par une poignée d’entreprises multinationales, tout en mettant à mal la contribution et le rôle de la diversité des semences locales et  des réseaux d’échange.

L’agriculture est utilisée pour déchirer notre tissu culturel et social, détruire notre environnement et pour nous subordonner aux forces du capitalisme mondial. Le bon côté, c’est que nous faisons de la souveraineté alimentaire et de l’agro-écologie notre histoire, notre solution et notre avenir. L’AFSA a fourni une plateforme politique d’envergure continentale sur la souveraineté alimentaire dans de nombreux endroits. Elle a également contribué à la discussion politique sur la souveraineté alimentaire et l’agro-écologie, élargi les programmes de souveraineté alimentaire pour pouvoir y inclure l’impact du système alimentaire sur la nutrition et la santé et a réussi à relever le problème de la Commission Économique et Régionale sur les lois relatives aux semences et à la biosécurité. L’AFSA a doublé ses membres pour atteindre 30 réseaux. Elle couvre maintenant 50 pays africains sur 56 et est reconnue aujourd’hui comme l’une des entités les plus encrées, les plus fortes et les plus importantes en Afrique. C’est une vaste plateforme pour les agriculteurs régionaux africains, les pêcheurs, les consommateurs, les jeunes, les femmes et les communautés religieuses, les réseaux d’organisations non gouvernementales africaines, entre autres alliés. L’objectif est d’amener davantage la cohésion continentale à un mouvement de souveraineté alimentaire déjà en développement en Afrique.

Sous les feux de la rampe

Sous les feux de la rampe 1

La déclaration des Nations unies sur les droits paysans et paysannes et des travailleurs en zones rurales

Introduction
Les paysan-ne-s et les personnes vivant dans les zones rurales, tels que les pêcheurs artisanaux, les éleveurs ou les travailleurs agricoles, représentent encore aujourd’hui la moitié de la population mondiale. La grande majorité d’entre eux subissent constamment des violations de leurs droits : ils souffrent de manière disproportionnée de la faim et de la malnutrition, subissent l’accaparement de leurs terres, de leurs ressources aquatiques, halieutiques, forestières, semencières et sont dépossédés de leurs moyens de subsistance. Ils ne peuvent ni maintenir ou développer leur économie locale, ni gagner un revenu leur permettant de vivre dignement. Il arrive fréquemment qu’ils soient enfermés, harcelés, criminalisés, voire tués pour la défense de leurs droits. De plus, les femmes vivant en zone rurale supportent généralement une part plus importante de travail non rémunéré et subissent des discriminations plus importantes pour accéder aux ressources naturelles ou productives, aux services financiers, à l’information, à l’emploi ou à la sécurité sociale et subissent encore de multiples violences qui revêtent de multiples formes.

Depuis 2001, Le mouvement international paysan La Via Campesina (LVC) plaide pour une reconnaissance des droits des paysans au sein du système des droits de l’Homme des Nations Unies. Après huit années de discussions internes, LVC a présenté en 2009 sa propre déclaration des droits des paysannes et paysans, dans laquelle les paysans exprimèrent de manière synthétique leurs aspirations et leurs demandes. Peu de temps après, en 2010, le Conseil des Droits de l’Homme des Nations Unies (CDH) mandata son comité consultatif d’élaborer une étude préliminaire analysant les moyens de renforcer les droits des paysannes et paysans et des autres personnes. Cette étude recommande (a) d’implémenter de manière plus efficace les normes existantes, (b) de combler les lacunes normatives par le droit international et (c) d’élaborer un nouvel instrument législatif sur les droits des personnes travaillant en zone rurale (Par. 63). En septembre 2012, le Conseil des Droits de l’Homme passa une résolution établissant un groupe de travail intergouvernemental ayant le mandat d’élaborer un projet de déclaration des droits des paysannes et paysans et autres personnes travaillant dans les zones rurales.

Pertinence de la déclaration
L’ancien Rapporteur spécial des Nations Unies pour le droit à l’alimentation, Olivier de Schutter, a déclaré qu’il y a « quatre raisons principales d’adopter un nouvel instrument international relatif aux droits des paysans et autres personnes travaillant dans les zones rurales : c’est un outil nécessaire en droit international ; il permettra de combattre plus efficacement la faim dans le monde ; il sera un moyen de protéger l’agriculture familiale de la pression de l’agro-industrie ; il permettra également d’améliorer l’accès aux moyens de production dans les zones rurales. » Il a également souligné que « l’adoption d’une déclaration sur les droits des paysans et autres personnes travaillant en zone rurale augmentera la visibilité sur les droits déjà reconnus en droit international tout en permettant de faire reconnaître de nouveaux droits, comme le droit à la terre, le droit aux semences ou le droit à une compensation pour les pertes provoquées par les subsides accordés aux agriculteurs dans d’autres pays» .

Mobiliser pour les droits des paysans, des petits pêcheurs, des éleveurs et des autres personnes travaillant dans les zones rurales
Dans des pays comme l’Indonésie ou la Colombie, les paysan-ne-s ont historiquement toujours dû faire face à une profonde discrimination et à une violence omniprésente. L’appel pour la reconnaissance des droits des paysans a permis d’attirer l’attention de la population locale et a été un atout majeur pour leur permettre de faire respecter leurs droits. Cela leur a permis de renforcer leurs capacités de mobilisation et d’organisation ainsi que leurs revendications pour des politiques et des lois qui protègent et promeuvent leurs droits. Ces dernières années, plusieurs lois et politiques prenant spécifiquement en compte la situation des paysans ont été adoptées en Indonésie. En Colombie, les revendications des paysan-ne-s et des populations rurales ont figuré parmi les priorités de l’agenda politique national après des décennies de négligence.

Marche à suivre
Le groupe de travail intergouvernemental chargé d’élaborer le projet de déclaration a tenu sa quatrième session en mai 2017 [Voir la déclaration conjointe sur les droits des paysans et autres personnes travaillant dans les zones rurales avec the International Union of Food, Agricultural, Hotel, Restaurant, Catering, Tobacco and AlliedWorkers’ Associations (IUF), the World Forum of Fisher Peoples (WFFP), the World Alliance of Mobile Indigenous Peoples (WAMIP), International IndianTreaty Council (IITC), the Federation of Rural AdultCatholicMovements (FIMARC), and the Centro de EstudiosLegales y Sociales (CELS) présentée à la fin de la seconde session en février 2015.]. Mise à part l’importance d’avoir une déclaration des Nations Unies affirmant les droits des personnes travaillant en zone rurale, le processus d’élaboration a le potentiel de devenir un outil permettant :
• d’approfondir le dialogue et le rassemblement de différents groupes de personnes vivant en zone rurale et ;
• de sensibiliser la population et de contribuer au renforcement des capacités des mouvements de la société civile.
La reconnaissance des droits des personnes vivant en zone rurale dépasse le CDH des Nations Unies. Elle peut être réclamée aux autres agences de l’ONU, et de manière encore plus importante, aux autorités locales, nationales et régionales. Il appartient à tous, citoyens et organisations, de se joindre à cette lutte selon leurs moyens.

Sous les feux de la rampe 2

Le droit à la résistance

Trente-cinq paysans philippins, dont dix femmes, risque d’être emprisonnés à la suite d’une accusation de vol des propriétaires de plantation de cocotiers qui ont rassemblé un total de 19 plaintes à leur encontre. La culture de noix de coco est une zone agricole sensible au niveau de la distribution des terres dans la cadre du programme des réformes agraires. Aujourd’hui, les paysans doivent récolter plus de 22 000 dollars pour pouvoir payer leur propre caution et leur garantir une liberté temporaire. Malheureusement, la pauvreté et la récente destruction de leurs récoltes après le passage d’un typhon les empêche de réunir la somme demandée. Certains se retrouvent ainsi contraints de se cacher, emportant avec eux leurs enfants et forçant donc leur déscolarisation pour un certain temps. La criminalisation est l’un des outils utilisés par les propriétaires et les intérêts commerciaux pour harceler les paysans sans terre et les communautés rurales. Ils se servent ainsi du système législatif pour s’opposer aux réformes agraires qui menacent leur monopole de contrôle et de possession des terres. De nombreux cas, similaires à celui-là, ont été recensés dans des pays du Sud où les institutions et les structures judiciaires sont en train de devenir des instruments de répression et où les procédures judiciaires sont manipulées par ceux qui détiennent les richesses et le pouvoir politique.

La violence autour des luttes des peuples pour la souveraineté alimentaire devient affreusement banale et commune dans le monde. Elle apparait sous la forme de menaces, d’intimidation, de force physique et d’abus de pouvoir des autorités publiques, des élites et des acteurs non-étatiques. Du Cambodge au Brésil, les communautés rurales sont de plus en plus confrontées au danger de la violence lorsqu’ils se battent pour défendre leurs terres, leurs eaux, leurs forêts, leurs ressources, leurs moyens de subsistance et leurs droits de l’emprise des extractivistes, des mesures et projets destructeurs, souvent au nom du « développement ». Les femmes, les jeunes et les enfants sont les plus exposés. Amener les responsables des violations des droits humains en justice se solde par des échecs systématiques et ne fait que renforcer la culture de l’impunité tout en représentant un déni du droit à la justice des victimes.

La violence, l’abus de pouvoir et l’impunité ne sont pas inconnus au monde rural, mais la violation des droits des peuples et la criminalisation des défenseurs des droits se sont étendus et ont atteint des niveaux alarmants ces dernières années [Voir Bulletin Nyéléni n°14 et Newsletter Volume III No. 4, August 2016]. Cette croissance peut être attribuée au rapprochement entre intérêts politiques et commerciaux, aux lois répressives ainsi qu’au modèle de développement qui criminalise ceux qui s’opposent à l’accaparement des terres, à la déforestation, à l’industrie minière, aux barrages et aux injustices socio-économiques. Les communautés locales et les mouvements populaires en marche pour la construction de la souveraineté alimentaire sont les premières cibles visées car la souveraineté alimentaire entrave la croissance et le développement économiques basés sur des investissements à grande échelle, sur l’agriculture industrielle, les systèmes alimentaires, la privatisation et l’extractivisme. Le moyen le plus efficace et le plus simple pour nuire à la souveraineté alimentaire est d’affaiblir ses défenseurs. La violence physique et légale est devenue une arme de premier choix pour les entreprises, les élites et de nombreux gouvernements pour réduire au silence les dissidents et les opposants mais aussi et surtout pour empêcher les peuples d’imaginer des mondes différents du paradigme économique dominant.

Cependant, les mouvements des communautés et des peuples autour du monde s’organisent pour mettre un terme à la criminalisation des petits producteurs et à l’impunité des états et des entreprises dans des pays où les espaces pour une réelle démocratie se réduisent, voire sont inexistants, c’est le cas notamment pour l’Inde, le Pakistan, les Philippines, le Cambodge, la Thaïlande, l’Equateur, le Brésil et bien d’autres… Ces luttes veulent défendre la dignité humaine et naturelle, protéger les droits fondamentaux et les libertés mais aussi obtenir une comptabilité exacte de la part des institutions, des structures et des personnes au pouvoir. L’engagement indéfectible des mouvements populaires pour défendre la souveraineté alimentaire montre toute l’importance du renforcement et de la défense des alternatives au néolibéralisme et au pouvoir entrepreneurial, tout en articulant le bien-être et le progrès depuis les points de vue des victimes de différentes formes d’injustices, et notamment les femmes.

L’écho des campagnes

Les voix de la COP23

Manuel Pereira Araujo, MOKATIL – Est Timor:
Nous sommes commvaincu que la terre est notre corps, l’eau est notre sang et la lumière du soleil, notre énergie.

Marthin Hadiwinata, Kesatuan Nelayan Tradisional Indonesia (Pêcheurs traditionnels d’Indonésie) – Indonésie:
Les Nations Unies mettent en avant le concept de « Carbonne Bleu » comme une solution du changement climatique. Le carbonne bleu se réfère au carbonne qui est stocké dans les écosystème côtiers, comme les mangroves. Les mangroves peuvent absorber jusqu’à dix fois la quantité de carbonne qu’une forêt de pins par exemple. Toutefois, ces soit-disant régimes de carbonne-bleu sont comparables aux REDD (Reduced Emissions from Deforestation and Forest Degradation ) Réduction des émissions de CO2 provenant de la déforestation et de la dégradation des forêts/ Le problème est que ces systèmes excluent les personnes qui ont compté sur les écosystèmes côtiers pendant des générations comme source de nourriture et de médicaments. Les schémas de carbone bleus conduisent également à la criminalisation des pêcheurs. En vertu de la législation côtière en Indonésie, les personnes qui tentent d’accéder à ces mangroves «protégées» peuvent être arrêtées et inculpées. Le carbone bleu met d’avantage en danger les populations locales en privatisant leurs moyens de subsistance.

Katia Avilés-Vásquez, Organisation Boricuá pour l’Agroécologie – Puerto Rico:
À Porto Rico, après les ouragans de septembre 2017, les forces de la nature se sont rapidement transformées en problèmes sociaux désastreux créés par les hommes au pouvoir. Les femmes fut les plus touchées. Dans presque toutes les brigades de travail organisées pour faire parvenir des ressources de survie aux populations, l’urgence majeure était de mettre les femmes en sécurité, car les conditions qui étaient auparavant abusives s’étaient transformées littéralement en une question de vie ou de mort. Dans un cas, à Vieques, nous avons utilisé un gros bagage apporté avec de la nourriture pour aider une femme à échapper à une situation violente. Les femmes sont en première ligne lorsqu’une catastrophe survient. Mais elles ont aussi le plus grand rôle à jouer dans la reprise.
La plupart des personnes en charge de l’organisation des brigades de travail sont des femmes. Cependant, les porte-parole et les décideurs ont tendance à être principalement des hommes parce que les caractéristiques associées à ceux qui prennent le micro et se lèvent sont principalement des caractéristiques masculines. On nous apprend à refuser les qualités féminines. En parlant d’une transition juste dans les Caraïbes, il est très important de remettre en question cette notion de ce que nous considérons comme fort, de ce que nous considérons comme du leadership et de ce que nous considérons comme un succès. La Terre Mère est féminine. La puissance féminine nous a envoyé un ouragan pour nous secouer et nous rappeler que ces hommes doivent mettre fin à leur dépendance au pétrole et aux carburants fossiles.

Massa Koné, Convergence Globale des luttes pour la Terre et l’Eau – Mali:
Il était important pour nous de montrer notre résistance en étant présents à la COP23. Tout d’abord, je pense que parmi les nombreuses actions que nous avons menées à la COP23, l’action directe Ende Gelände («Ici et pas plus loin») contre l’énorme mine de charbon allemande était très symbolique. L’Allemagne n’aurait pas dû tenir la COP23 alors qu’elle avait une grande mine à ciel ouvert. C’est comme s’ils se moquaient de nous. Deuxièmement, je pense que le système capitaliste sonne le glas pour la Terre. Il va la noyer. Par conséquent, nous devons converger ensemble pour suggérer des propositions concrètes pour sortir de là où nous sommes.
Ce que nous devons faire, c’est de rassembler les intérêts de tous les différents courants: les paysans, les pêcheurs, les pasteurs, tous ensemble. Nous ne pouvons pas développer une réponse pour un seul flux, il nous faut des réponses qui prennent toutes les problématiques ensembles. Tous obtiennent leurs réponses à travers des solutions concrètes que nous appelons agroécologie et souveraineté alimentaire. Cette proposition inclut la reconnaissance des droits communs, l’autonomie des semences et l’autonomie de tous les acteurs de la production alimentaire. À un moment donné, à mesure que nous grandissons, nous serons une grande masse contre le système. Cette masse amplifiera notre lutte. Nous obtiendrons des résultats le jour où toute une masse de personnes se lèveront ensemble contre le système.


Fanny Métrat, Confédération Paysanne – France:

Les solutions proposées par les gouvernements à la COP23 bénéficient aux multinationales. Les gouvernements ne parlent jamais de réduire la dépendance aux combustibles fossiles ou de réduire la consommation ou les déchets. Ils parlent plutôt de marchés du carbone. Les marchés du carbone donnent aux entreprises qui ont le plus d’argent la capacité de payer afin de continuer allègrement à polluer. Les marchés du carbone sont une fausse solution parce qu’ils favorisent les profits des entreprises. Les gouvernements et les entreprises demandent aux paysans d’accepter de nouveaux organismes génétiquement modifiés et toutes les dernières technologies tout en continuant à promouvoir les grandes fermes industrielles.
Il est important de reconnaître que les fausses solutions sont enracinées dans le patriarcat. Nous ne voyons que des hommes aux tables de négociation et dans les salles des conseils d’administration. Ce sont les hommes de la COP23 qui décident quelles seront les fausses solutions qu’ils vont mettre en place. En revanche, dans La Via Campesina, la lutte féministe est très forte. Nous comprenons l’importance de la révolution féministe. Et avec de plus en plus de parité entre les sexes dans La Via Campesina, nous réussirons à être une structure qui porte la parole féministe avec force.

Encadres

Encadré 1

Le carbone brûle, les océans s’élèvent

Bien que la rencontre se soit tenue à Bonn en Allemagne, Fidji était l’hôte officiel de la COP23. Fidji, un pays constitué de 330 petites îles dans le Pacifique Sud, a affirmé ne pas disposer des infrastructures nécessaires pour accueillir une telle rencontre mondiale. Alors que l’Allemagne continue de brûler du charbon et autres combustibles fossiles qui fournissent 53 % de son électricité, les 870 000 citoyens des Fidji doivent confronter la rage meurtrière du changement climatique. Les graves inondations et pluies deviennent toujours plus réelles.
L’une des menaces les plus sérieuses pour les Fidji et pour toutes les nations côtières est la montée du niveau des mers. Celui-ci augmente à présent de 3,4 mm par an – le taux le plus élevé depuis 2000 ans ! La cause immédiate est le volume d’eau supplémentaire apporté aux océans par la fonte des calottes glaciaires, aggravé par la dilatation de l’eau quand sa température monte. Mais tout cela est lié à l’augmentation des émissions de GES due à la combustion continue des énergies fossiles. En juillet 2017, une fissure gigantesque dans la plate-forme de glace Larsen « C » en Antarctique a entrainé la libération de 5 800 kilomètres carrés de glace dans l’océan, produisant un nouvel iceberg quatre fois la taille de Londres en Angleterre. Toutes les nations côtières et insulaires, leurs peuples et écosystèmes, sont en grand danger lorsque la crise climatique s’accélère. Les efforts pour encourager la souveraineté alimentaire et l’agroécologie comme moyen de réduire les émissions aident à promouvoir la justice sociale pour les peuples des états-nations de faible altitude, y compris Fidji.

Encadré 2

Le Capitalisme, c’est quoi ?

Lors d’un forum ouvert pendant la COP22, LVC et autres participants alliés ont proposé de courtes définitions du capitalisme. Ils ont dit que le capitalisme c’est…

• Un système qui va à l’encontre de la propriété collective, contre la collectivité et la socialisation des moyens de production.
• Un système économique fondé sur le profit qui ne prend pas en compte l’intérêt général.
• Pas seulement un système économique, mais aussi un système politique parce que les politiques gouvernementales encouragent l’accumulation. Les individus n’ont pas le droit de décider comment organiser la production.
• Un système global. Les capitalistes résolvent leurs crises en se mondialisant toujours plus. Ils imposent l’exploitation des êtres humains à travers le monde. Le développement capitaliste n’est pas pour la nation mais pour un petit groupe de puissants.
• Individualisme et chacun pour soi. En comparaison, le peuple choisit la solidarité !
• L’exploitation de la nature. Les petits agriculteurs ne produisent pas des émissions de CO2 en excès, l’agro-alimentaire capitaliste si !
• Un système dans lequel seuls quelques membres de la communauté sont valorisés. On donne une valeur aux personnes en fonction de leur localisation, genre, race et sexualité. Le capitalisme crée des personnes jetables.
• Un système destructif qui nous oblige à travailler ensemble pour le vaincre.

Encadré 3

Convergence

Relèvement Juste et Transition Juste

Dans la lutte pour la justice climatique, nous avons beaucoup à apprendre les uns des autres et encore plus à faire ensemble. L’action collective, mûrie à travers des moments de réflexion critique avec les mouvements et organisations alliées, crée les conditions d’une convergence de plus en plus grande. Aujourd’hui, la lutte mondiale pour la souveraineté alimentaire est devenue partie intégrante du mouvement plus large pour la justice climatique, les transitions justes, et les relèvements justes.

Voilà comment cela a été décrit par le GGJA (Grassroots Global Justice Alliance) Alliance Globale Populaire pour la Justice:

La Transition Juste est un ensemble de principes unificateurs émanants de lieux précis, de processus et de pratiques axés sur une vision centrale qui renforcent le pouvoir économique et politique afin de passer d’une économie extractive à une économie régénératrice reconnaissant le droit des écosystèmes locaux et de la nature à maintenir des cycles naturels vitaux. Cela signifie approcher les cycles de production et de consommation de manière holistique et sans gaspillage. La transition elle-même doit être juste et équitable; redresser les dommages passés, restaurer l’environnement et créer de nouvelles relations de pouvoir pour l’avenir grâce à des réparations. Si le processus de transition n’est pas juste, le résultat ne le sera jamais. La transition juste décrit à la fois l’endroit vers lequel nous nous dirigeons et la façon d’y parvenir.

Le Relèvement Juste est un cadre visionnaire promu par la justice environnementale et les communautés de travail pour les efforts de rétablissement pendant les moments de catastrophes climatiques. Un rétablissement juste appelle à ne pas restaurer le même niveau extrème de consommation d’énergie et d’infrastructures fossiles et extractives. Il suit au contraire le leadership des communautés de première ligne dans la définition du type de rétablissement dont elles ont besoin, et saisit l’opportunité d’une reconstruction après la catastrophe qui sécurisera les énergies renouvelables et les économies régénératrices qui peuvent créer des emplois, protéger l’environnement et conduire à des communautés résilientes.

Quand l’accord de Paris a été adopté en 2015, l’alliance globable populaire pour la justice a publié le rapport «Nous sommes la Ligne rouge de la Terre Mère», décrivant cinq faiblesses fondamentales au sujet de l’accord mondial sur le climat:

1. L’accord repose sur des réductions d’émissions volontaires par opposition à des réductions obligatoires qui ne répondent pas aux objectifs que les scientifiques estiment nécessaires pour éviter une catastrophe climatique.
2. L’accord fait progresser les mécanismes d’échange de droits d’émission qui permettent aux pollueurs d’acheter des « compensations » et de maintenir des niveaux d’émissions extrêmement dangereux.
3. L’Accord repose sur des énergies polluantes et de fausses promesses, notamment la fracturation hydraulique, l’énergie nucléaire, les agrocarburants, la capture et la séquestration du carbone et d’autres propositions technologiques qui présentent de graves risques écologiques.
4. Le texte de l’accord omet toute mention des droits de l’homme ou des droits des peuples autochtones et des femmes.
5. L’Accord affaiblit ou supprime les droits de réparation dus au Sud par le Nord Global.

L’analyse les Nations Unies a réalisé des promesses faites par les pays du monde lors de l’adoption de l’Accord de Paris en 2015 estime que ces promesses conduiront probablement encore à des augmentations mondiales de température de près de 3 degrés Celsius au cours du siècle à venir. Le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE) a constaté que même si tous les pays signataires de l’Accord de Paris respectaient leurs promesses, le monde serait encore 12 à 14 gigatonnes chaque année au dessus du niveau nécessaire pour maintenir la hausse de la température au-dessous de 2 degrés Celsius par rapport aux niveaux pré-industriels.

Des solutions justes de transition, qui incluent des modèles de souveraineté alimentaire, de logement durable et de démocratie énergétique, sont des campagnes inspirantes qui refusent le faux choix entre développement économique et protection de la terre, de l’eau, de la santé de la Terre Mère et de la santé de nos communautés. La Transition Juste reconnaît également que les besoins de la Nature sont aussi les nôtres et doivent être élevés et protégés par des droits légaux, et maintenus à travers des systèmes d’échange et de réciprocité durables.

Pour plus d’information sur Alliance Globale Populaire pour la Justice, vous pouvez visiter http://ggjalliance.org/

Encadré 4

La géo-ingénierie, de nouvelles menaces pour la souveraineté alimentaire.

L’une des propositions les plus dangereuses pour le changement climatique est ce qu’on appelle la géo- ingénierie, à savoir la manipulation technologique du climat faite à une grande échelle mondial afin d’enrayer les symptômes du chaos climatique.
Et ceci est dû à une convergence d’intérêts économiques de puissantes industries et d’intérêts géopolitiques et militaires. Pour les pays connaissant un niveau élevé d’émissions de carbone et leurs transnationales polluantes, la géo-ingénierie apparait comme la « solution technologique » qui leur permettra de continuer à émettre des gaz à effet de serre tout en pouvant faire de nouvelles affaires en vendant de la technologie pour faire baisser la température ou pour supprimer et stocker du carbone.

Ce sont des propositions technologiques cherchant à intervenir sur les écosystèmes terrestres, les océans et l’atmosphère. Dans certains cas, elles servent à bloquer ou refléter une partie de la lumière du soleil arrivant jusqu’à la terre et ainsi font baisser la température ; dans d’autres cas, elles permettent d’absorber le dioxyde de carbone de l’atmosphère et de le stocker dans les fonds géologiques marins ou terrestres. Elles comprennent également des techniques qui altèrent le climat local et régional, tel l’ensemencement des nuages et les propositions visant à rediriger ou dissoudre les ouragans. Toutes ces propositions ont des impacts environnementaux, sociaux et géopolitiques graves. Aucunes ne cherchent à modifier les causes du changement climatique. Si elles fonctionnaient, ce serait simplement pour en gérer les symptômes mais le changement climatique continuerait à augmenter. C’est pourquoi la géo-ingénierie ne fait que créer des marchés captifs.

L’une des propositions très répandue des spécialistes est de créer un méga-nuage volcanique artificiel sur l’Arctique en injectant des sulfates dans la stratosphère afin de bloquer la lumière du soleil. Selon des études scientifiques, cela pourrait faire baisser la température mais déséquilibrerait les pluies et les vents dans l’hémisphère Sud tout en perturbant la mousson en Asie, en produisant des sécheresses en Afrique et une augmentation des inondations en Amérique Latine ; ce qui menacerait les ressources en eau et l’alimentation de millions de personnes. En outre, il faudrait continuer à injecter des sulfates pour un temps indéfini car, si cela s’interrompait, la température remonterait de façon spectaculaire et il serait encore plus difficile de faire face aux impacts. En dépit de ces énormes risques, le Programme de géo-ingénierie de Harvard, aux Etats Unis, prévoit déjà d’effectuer des expériences en Arizona, sur des territoires de peuples autochtones.

Une autre des techniques encouragées –en particulier à la suite de la signature de l’Accord de Paris sur le changement climatique– est ce qu’on dénomme la capture et le stockage du carbone (CCS pour les sigles en anglais) et la bioénergie avec capture et stockage du carbone (BECCS pour les sigles en anglais). La CCS est une technologie inventée par l’industrie pétrolière pour pouvoir extraire du pétrole à une grande profondeur. On injecte du dioxyde de carbone à pression, ce qui permet de propulser le pétrole alors que théoriquement le carbone reste au fond. Or, l’industrie pétrolière a abandonné l’usage de cette technique (appelée à l’origine Enhanced Oil Recovery) parce qu’elle n’était pas économiquement viable. Néanmoins, si maintenant ils peuvent percevoir des subventions pour « séquestrer » et stocker le dioxyde de carbone, l’affaire devient juteuse : ils extraient plus de pétrole et augmentent leurs bénéfices bien qu’étant parmi les principaux coupables du changement climatique.

La proposition de bioénergie avec la CCS (BECCS) est encore plus perverse. Il s’agit de créer des méga-plantations d’arbres et de cultures en vue de « séquestrer » le carbone lors de leur croissance, ensuite de les brûler pour vendre la bioénergie et d’enterrer le carbone produit avec la CCS. Pour maintenir l’augmentation de la température en dessous de 2 degrés jusqu’en 2100 avec la BECCS, il faudrait planter de 500 millions à 6 milliards d’hectares de monocultures industrielles, ce qui serait dévastateur. Actuellement, toute la surface de terre cultivée à niveau mondial est de 1 milliard 500 millions d’hectares. En toute évidence, la BECCS entrerait en compétition avec la production d’aliments, les territoires des peuples autochtones, les zones naturelles, etc. Quoique la BECCS ne soit pas viable, il existe des gouvernements et des entreprises qui en font la promotion afin de « respecter » l’Accord de Paris et pour obtenir des crédits carbones, ce qui fait que les luttes pour la terre et l’eau ainsi que les menaces et la violence visant à expulser les paysans et les autochtones de leurs terres vont devenir de plus en plus fortes.

La géo-ingénierie est si risquée et présente tant d’impacts pour l’environnement, les peuples autochtones et les paysans, que la Convention sur la diversité biologique a décrété un moratoire contre son utilisation. Pour autant, les industries et les gouvernements, tirant profit de ce négoce du changement climatique, continuent à la promouvoir.

Du fait des graves menaces pesant sur la souveraineté alimentaire, les formes de vie des paysans et des peuples autochtones, l’environnement et la biodiversité, il est crucial que les mouvements sociaux et les organisations sociales rejettent toutes expériences et propositions de géo-ingénierie et luttent pour qu’elle soit interdite.

Pour plus d’informations sur les techniques de géo-ingénierie et ses impacts vous pouvez consulter : Silvia Ribeiro, Groupe ETC

Sous les feux de la rampe

Justice climatique d’en bas

Au sommet des Nations Unis sur le climat en 2015 (qu’on appelle aussi COP21), des mouvements sociaux du monde entier ont convergé à Paris en France pour réclamer des gouvernements qu’ils aboutissent à un accord contraignant pour inverser les effets de la crise climatique globale. Les mouvements se sont rejoints pour demander une justice climatique, conscients qu’à moins que de sérieuses actions soient prises, les phénomènes climatiques imprévisibles et extrêmes allaient continuer à menacer les vies de centaines de milliers de personnes, y compris et en particulier paysans, peuples indigènes, artisans pêcheurs, petits et moyens agriculteurs, femmes et jeunes.

Avec la signature de l’Accord de Paris, les gouvernements ont donné la priorité à un éventail d’antidotes qui, d’après ce qu’ils affirment, vont réduire l’émission de dangereux gaz à effet de serre (GES). Certains ont même assuré qu’ils avaient à cœur d’augmenter la résilience des paysans aux effets du réchauffement climatique. Ces fausses solutions, telles que la géo-ingénierie, les marchés du carbone, l’agriculture intelligente face au climat[1], la « réduction des émissions causées par le déboisement et la dégradation des forêts »(REDD) et autres programmes qui tous endommagent davantage la vie sur la Terre Mère. En mettant l’accent sur des réformes vertes et bleuesdans le but de tirer des profits et sur un statu quo pour la combustion et l’extraction de carburants fossiles, le secteur des entreprises, avec l’appui de la finance internationale, a reçu un feu vert pour accaparer de plus en plus de terres, eau, semences, et moyens de subsistance des peuples et de la Terre. Cependant, à Paris et au-delà, La Via Campesina (LVC) a travaillé avec ses alliés pour remettre en question les fausses solutions des capitalistes et proposer la souveraineté alimentaire comme solution fondamentale, « réelle » aux multiples crises crées par le système alimentaire agro-industriel.

Un an après COP21, et quelques jours seulement après que l’Accord de Paris soit entré en vigueur, La Via Campesina a organisé une rencontre en banlieue de Marrakech au Maroc pour tenir un Séminaire et Formation sur la Justice Climatique porté par les mouvements sociaux en parallèle de la COP22. Les enjeux du séminaire étaient de créer et approfondir une compréhension commune de la crise climatique et améliorer notre capacité à construire et consolider des réponses au capitalisme et à ses crises. Les délégués de LVC et ses alliés sont venus du Zimbabwe, Ghana, Palestine, Maroc, Tunisie, Guatemala, Venezuela, Brésil, Indonésie, Inde, France, Allemagne, Canada et Etats-Unis.

En dialogue les uns avec les autres, et en se basant sur des expériences directes de lutte populaire, les participants en formation ont développé un cadre de réalisation d’une justice climatique fondée sur la souveraineté alimentaire qu’on appelle la justice climatique d’en bas. La justice climatique d’en bas est un engagement radical à la construction d’un mouvement qui cherche à renforcer une société fondamentalement différente et respectant la vie, avec une économie politique contrôlée par et pour les communautés locales y compris paysans, peuples indigènes, artisans pêcheurs, travailleurs ruraux sans terre, travailleurs du secteur informel, avec en particulier femmes et jeunes parmi eux.

Au cours du séminaire de Marrakech, les participants ont débattu et développé les quatre thèmes de lutte ci-dessous pour orienter leur engagement envers la justice climatique :


1. Fausses solutions à la Crise Climatique :
Les gouvernements et grandes entreprises aux COPs des Nations Unies prennent des décisions qui vont à l’encontre des intérêts de la Terre et de ses citoyens. Du point de vue des capitalistes et de leurs défenseurs, les marchés du carbone, l’agriculture intelligente face au climat et autres fausses solutions sont nécessaires parce qu’elles favorisent les profits d’entreprise. Du point de vue des individus, ces mécanismes ne sont pas du tout des solutions parce qu’elles ne font qu’accentuer le changement climatique et continuent à privatiser et transformer en marchandise la Terre Mère et les vies humaines. D’après Dena Hoff (National Family Farm Coalition, Etats-Unis), « l’agriculture intelligente face au climat n’est qu’un autre stratagème. C’est une autre façon pour les grandes entreprises de gagner davantage de pouvoir sur le système agro-alimentaire en subordonnant les chaines alimentaires locales et en extrayant les richesses du sol. »

2. Le capitalisme est l’une des causes profondes de la Crise Climatique: Même si toutes les économies fondées sur le charbon et autres combustibles fossiles contribuent au changement climatique, les participants au séminaire ont reconnu que les relations capitalistes sont la cause principale des crises économique, sociale et écologique globales. On comprend le capitalisme comme un système d’exploitation et dépossession fondé sur la propriété privée sur la nature et les moyens de production, qui impose une hiérarchie de force de travail empêchant travailleurs, paysans et peuples indigènes de s’unir contre le capital. Dans cette hiérarchie, des travailleurs[[Hommes dépossédés de leurs ressources, travailleurs avec ou sans salaire.]], hommes, en général blancs, sont proches du sommet et bénéficient d’un privilège -un salaire. Les femmes, en particulier de couleur et indigènes, sont en bas de cette hiérarchie, pour la plupart exclues du salariat et les plus exploitées et menacées par le capitalisme. Avec l’intensification de la crise et du néolibéralisme, les jeunes générations sont contraintes à des conditions d’exploitation en bas de la hiérarchie. Cependant, ces groupes ne sont pas seulement des victimes d’exploitation. Ce sont des agents de changement qui utilisent leurs pouvoirs au sein du patrimoine commun pour construire des mouvements pour des changements systémiques à la base. Isabelle soc Carrillo (Coordinadora Nacional de Viudas de Guatemala) souligne la centralité des actions et perspectives des femmes indigènes pour les mouvements de justice climatiques : « les femmes qui ont conduit nos luttes ont été claires sur notre notre position face aux accords commerciaux avec le gouvernement parce que nous ne voulons pas que les entreprises nous imposent leur mode de vie. Nous allons poursuivre nos luttes, et n’arrêterons pas, jusqu’à ce que le gouvernement nous écoute. Au Guatemala nous avons notre propre cosmovision et nous nous battons pour qu’un jour, elle soit respectée. La Terre Mère n’est pas une entreprise, ni une marchandise, et elle n’a pas de prix. …Nous devons arriver à une entente entre la terre et nous-mêmes, parce que nous sommes la terre. Nous ne faisons qu’un ; nous sommes tous unis avec la Terre. La Terre peut sans-doute survivre sans nous, mais nous ne pouvons pas survivre sans la Terre Mère. »

3. Convergence de mouvements pour renforcer la justice globale populaire : Les délégués du séminaire de Marrakech sur le climat ont reconnu que la convergence et la création d’alliances était une priorité pour réaliser une justice climatique d’en bas. La convergence est un processus de formation d’alliances et de solidarités entre mouvements. Il se trouve que souvent les groupes travaillant sur des sujets tels que la souveraineté énergétique, les droits de l’Homme, la déconstruction de la patriarchie, la souveraineté indigène, et la souveraineté alimentaire soient distincts, agissant chacun de leur côté. Cette séparation rend difficile aux mouvements d’harmoniser leurs idées et de développer des actions communes. Collectivement, les coalitions de la base, les mouvements sociaux, paysans et agriculteurs œuvrant pour la justice climatique sont en première ligne et mènent la lutte. En formant des alliances, nous prenons des mesures concrètes pour encourager nos combats. Les alliances nous permettent d’agir avec succès et ainsi apporter de l’espoir dans le cœur des peuples pour poursuivre la lutte contre le capitalisme et pour la défense de la vie sur le Terre Mère.

4. Des récits de lutte pour la justice climatique d’en bas : Les délégués du séminaire ont partagé leurs expériences d’actions sur leurs territoires pour intensifier la justice climatique d’en bas et résister les agro-industries et grandes entreprises énergétiques « vertes ». Par exemple, nous avons entendu des délégués de : Brésil, luttant contre des méga-projets énergétiques et favorisant l’énergie et des systèmes alimentaires contrôlés par les communautés ; Palestine, œuvrant pour que les agriculteurs puissent accéder à la terre, à l’eau, et aux semences locales ; Tunisie, soutenant l’occupation des terres par des paysans qui développent l’agroécologie et des communautés autonomes ; Indonésie, défendant et reconquérant la terre pour mettre en place des projets agroécologiques ; Inde, contestant le contrôle des grandes entreprises sur les semences et valorisant le contrôle de la production alimentaire par les paysans ; Maroc, organisant sur plusieurs fronts pour regagner le contrôle de la terre et établir une justice social ; et Etats-Unis, affrontant le racisme environnemental et le colonialisme par des actions directes et initiatives contre les énergies fossiles et pour la souveraineté alimentaire. Ces solutions locales sont globalisées à travers nos réseaux pour créer un mouvement global de mouvements avec femmes et jeunes en premier plan.


Résultat:
Les réflexions apportés par les participants au séminaire de Marrakech sont particulièrement utiles maintenant que de plus en plus de peuples, organisations et mouvements, avec femmes et jeunes au premier plan, se lèvent contre les crises multiples du capitalisme. Dans le contexte de preuves considérables que le changement climatique est une réalité maintenant et à travers le monde, se mobiliser pour la justice climatique d’en bas est d’autant plus urgent. Quand nos mouvements se développent et se multiplient, nous renforçons notre capacité à lutter efficacement contre le capitalisme et pour une société réellement juste qui profite à tous les peuples et à la Terre Mère.

[1] Pour une définition de l’ « agriculture intelligente face au climat » utilisée dans ce bulletin, veuillez consulter ici.

L’echo des campagnes

L’echo des campagnes 1

Renforcer le rôle des femmes dans la pêche artisanale

Rehema Bavumu et Margaret Nakato, WFF et le Katosi Women Développements Trust (KWDT), Ouganda

La pêche est comprise comme étant une activité d’hommes, se rendant sur le lac avec leurs bateaux, et l’énorme travail effectué par les femmes dans la transformation, la distribution et la commercialisation des poissons est ignoré. La responsabilité de l’approvisionnement en nourriture pour les foyers de pêcheurs repose de façon disproportionnée sur les femmes qui doivent se procurer des poissons pour la consommation domestique alors que les hommes sont plus motivés pour pêcher en vue du marché afin de gérer le crédit servant à acheter le matériel de pêche et à avoir un revenu suffisant pour leur subsistance. Les femmes doivent aussi satisfaire les besoins alimentaires en pratiquant l’agriculture. Elles s’occupent aussi souvent des nombreux restaurants dans les communautés de pêcheurs afin de nourrir la communauté de pêche mobile. Alors que les pêcheurs établissent leur logement sur le site du débarquement, mais se déplacent souvent d’un site à un autre à la recherche de zones de pêche plus lucratives, les femmes se fixent sur un site de débarquement de pêche particulier et assument toutes les responsabilités des tâches domestiques.

Malheureusement, les défis, tels que les conflits relatifs à la terre et à l’eau dans les communautés de pêcheurs, entrainent la perte de l’accès aux zones de pêche, car de nouveaux propriétaires étendent leur domaine vers le lac et restreignent l’accès des pêcheurs à ces zones. Il en résulte que les femmes perdent également des terres pour la transformation des poissons entrainant des déperditions après la récolte et moins de poissons disponibles pour les communautés de pêcheurs, à la fois pour la consommation et la vente. Leurs vies en sont directement affectées, vu que les familles doivent se séparer lorsque les hommes sont arrêtés pour s’être introduits dans des zones de pêche restreintes et que le fardeau de les en sortir repose sur les femmes.

C’est pourquoi, le Fonds Katosi pour le développement des femmes (KWDT) a engagé les femmes à s’informer sur ces querelles foncières afin de s’assurer qu’elles soient incluses dans les groupes locaux de pression sur le foncier pour qu’elles puissent comprendre et devenir active en vue de résister aux expulsions. Les femmes sont en outre aidées pour acquérir des connaissances et des compétences afin d’améliorer leurs existences, y compris pour perfectionner leurs techniques de transformation du poisson, pour développer leurs stratégies de commercialisation, pour avoir accès au crédit ainsi que pour apprendre à travailler en groupe en vue d’examiner les normes sociales et culturelles qui empêchent les femmes d’accéder à leur autonomie.

Dans le but de provoquer et déclencher le changement, soutenir ce changement et transformer leurs vies, les femmes doivent être intégrées aux initiatives de développement dans les communautés de pêcheurs. Leurs immenses efforts ne doivent pas seulement être reconnus mais également stimulés.

L’echo des campagnes 2

Le cas de El Molo

Christiana Saiti Louwa, El Molo Forum and Thibault Josse, Mafifundise – Kenya

El Molo est une communauté de pêcheurs traditionnelle vivant autour du Lac Turkana situé au nord du Kenya près de la frontière avec l’Ethiopie. Pour El Molo, la pêche c’est la vie – ce sont des pratiques culturelles, un bien-être spirituel et leur principale source de subsistance. El Molo pratique des méthodes de pêche traditionnelles telles que la pêche au filet, à l’hameçon, au harpon et à la nasse. Les savoirs autochtones de pêche ont été préservés et transmis par les traditions orales et les pratiques de génération en génération. La pêche est gérée par les plus âgés de la communauté, en appliquant une pêche rotative et migratoire. La météo, le vent, la lune et les vagues indiquent à El Molo où, comment et que pêcher.

Les politiques en matière de pêche au Kenya ont été élaborées surtout pour la pêche en mer sans la participation et la consultation des pêcheurs, des communautés de pêcheurs et de leurs organisations, omettant donc de reconnaître leurs droits, leurs intérêts et les savoirs traditionnels ainsi que la gestion coutumière de la pêche. Par la suite, la pêche dans les eaux intérieures a été à peine rajoutée et sans aucune implication substantielle. Lorsqu’il y eut une révision de la politique en 2016, le mot « intérieur » a été artificiellement rajouté un peu partout. La politique traite, par exemple, de la conservation et de la gestion des zones d’élevage dans le Lac Navisha, alors que le gouvernement fait la promotion du tourisme et de l’industrialisation autour des lacs. Les conflits habituels entre le gouvernement et les communautés de pêcheurs sont causés par un manque de spécifications dans la politique sur la pêche à petite échelle. Pour autant, cela commence à changer grâce au plaidoyer et au lobbying intense des artisans pêcheurs. Les représentants des pêcheurs d’El Molo utilisent maintenant les Directives sur la pêche artisanale (cf. Encadré 2) et la Constitution du Kenya pour réclamer une politique qui reconnaisse véritablement la gestion traditionnelle de la pêche.

L’echo des campagnes 3

Lutte pour un territoire traditionnel et coutumier

Herman Kumare, National Fisheries Solidarity Movement (NAFSO), membre du WFFP, Sri Lanka

« C’est la terre où nous avons vécu, c’est la terre où nous mourons. »
Membre de la Communauté de Lahugala

Le 17 juillet 2010, la communauté Paanama de 5 villages du Lahugala dans le District Ampara a été expulsée de force de 1 200 acres de terrains sur le littoral et les lagons par des personnes masquées non identifiées équipées de mitrailleuses. Dans des villages voisins, environ 365 acres ont été saisis par l’Armée de l’air et délimités par une clôture électrique et 860 acres en plus, de trois autres villages, furent saisis par la Marine et également clôturés.

Par la suite, les villageois ont constaté qu’un complexe touristique le « Paanama Lagoon Cabana » se construisait sur les terres d’où ils avaient été expulsés. Ce complexe touristique est géré par la Marine qui en empoche les bénéfices. Les terres acquises par l’Armée de l’air ont été transformées en base aérienne pour l’armée. D’autre part, ces zones occupées par l’Armée de l’air et la Marine sont en lien avec la Réserve nationale de Lahugala, qui est une réserve pour les éléphants ainsi que zone de conservation de la forêt. En outre, la Marine a restreint, et même interdit dans certaines zones, les activités de pêche pendant la journée et la nuit. Ce déplacement forcé des populations a affecté les moyens de subsistance de 350 familles qui dépendent de la riziculture, de la pêche et des pratiques agricoles traditionnelles connues comme culture Chena. Les villageois ont complètement perdu leurs sources de revenu et leurs vivres ont été coupés.

Afin d’organiser une campagne contre ces accaparements de terre, et pour réclamer le respect de leurs droits humains, le peuple Paanama a créé l’Organisation pour la Protection du Paanama Paththu (OPPP), avec le soutien du Mouvement national de solidarité pour la pêche (NAFSO). Le 11 février 2015, le peuple Paanama a connu pour la première fois la victoire de ses luttes – le Cabinet ministériel a émis un ordre de libérer 340 acres des 365 acres de terres saisis par l’Armée de l’air. Cependant, 13 mois plus tard, la décision n’avait toujours pas été exécutée par les autorités locales. Préoccupée par ce fait, la communauté Paanama a alors décidé d’occuper ses propres terres même sans autorisation légale. Depuis le 26 mars 2016, et jusqu’à ce jour, 35 familles réoccupent par la force leurs terres et ont commencé à les cultiver.

En déplaçant par la force le peuple Paanama, la Marine et l’Armée de l’air ont accaparé leurs terres traditionnelles et coutumières soi-disant pour des besoins d’utilité publique. Or, la construction d’une base aérienne pour l’armée et d’hôtels ne peut être considérée comme étant d’utilité publique. De plus, les actions présentes et passées ont confirmé que l’accaparement des terrains littoraux appartenant au peuple Paanama est bien organisé et soutenu par des membres du gouvernement. Les expulsions par la force étaient parfaitement connues du Secrétariat d’Etat, de la Police, des Forces spéciales, de la Marine et de l’Armée de l’air. A ce jour, l’OPPP poursuit sa lutte pour récupérer ses terres, en lançant des campagnes de plaidoyer et de lobbying et en entreprenant des actions en justice. Ils mènent des actions spécifiques telles que la rédaction et la signature de titres de propriété foncière ainsi que le renforcement de la base des soutiens au Sri Lanka et au niveau international.

L’écho des campagnes

L’écho des campagnes : Témoignages d’enfants appartenant à des communautés de producteurs d’aliments

1 – Philippines

Elsa Novo, présidente du NKP (Aeta Womens Federation) et Fernando Luis, directeur régional du Peoples Development Institute (PDI) ont mené des interviews basés sur trois questions (1) Quels sont vos plats préférés; (2) Quelles tâches dans la production alimentaire aimez-vous le plus?; (3) Quels sont les jeux et endroits préférés pour jouer et s’amuser? Ils ont interrogé 10 enfants autochtones Aeta à Zambales, âgés entre 7 et 13 ans, 5 garçons et 5 filles respectivement.

Mlle Elsa Novo, présidente de la Fédération des femmes des peuples autochtones Aeta dans l’est du Barangay du Mont Pinatubo, Municipalité de Botolan a animé l’atelier sur les dessins, tandis que Fernando Luis a noté les réponses lors des interviews.

Parmi les dix enfants, six d’entre eux ont indiqué aimer les plats de viande philippins comme le porc sinigang, le porc adobo et le poulet adobo tandis que les quatre autres ont dit aimer les fruits et les plats de légumes philippins comme le pinakbet, le kare-kare et autres.

A la deuxième question, concernant les activités agricoles, quatre enfant ont répondu aimer planter des légumes, des tubercules et des légumineuses, deux ont dit aimer arroser les plantes et les deux autres préferer le désherbage. Un enfant Aeta a précisé aimer labourer et l’autre travailler en jachère.

Sur la question des jeux, trois d’entre eux ont dit aimer jouer au basketball et au badminton. Sept enfants Aeta ont indiqué aimer les jeux traditionnels comme le cache-cache ou encore le jeu de l’élastique chinois.

2 – Colombie

Je m’appelle Juan Simón Briceño Ávilaet j’ai 7 ans. Je viens de la ville de Barinitas au Venezuela. Maintenant nous habitons dans un petit village appellé Brasil à Viotá, Cundinamarca en Colombie. Nous habitons à la campagne et ça me plait de vivre ici, parce que je suis libre de me promener et jouer. Mon jeu préféré est les garçons superhéros, et je joue au football avec mes amis de l’école. Mon plat favori est la salade d’œuf, avec de la laitue et des carottes. Les œufs viennent des poules qu’on garde dans le poulailler derrière la maison. Les laitues viennent de graines qu’on plante dans notre potager, et les carottes viennent aussi de graines qu’on plante dans notre potager. Les laitues sont prêtes à être cueillies quand elles sont bien grosses et ont beaucoup de feuilles, et les carottes sont prêtes quand elles ont de grandes feuilles et la tige fait surface (le collet de la carotte). J’aime cette salade parce que je sais comment la préparer, mais comment je la prépare est un secret. Pour les tâches à la maison, j’aime donner le maïs aux poules, mais il y a des fois où en allant chercher les œufs je les fais tomber, et parfois ils se cassent. Je nourris aussi les lapins. Nous avons deux lapins : Ramona et Pepe. Ramona a un bon caractère mais Pepe n’aime pas être câliné. Ils aiment beaucoup les feuilles d’une plante qu’on appelle l’Oseille Crépue, mais il y a une autre plante qu’on ne leur donne pas parce que ce n’est pas bon pour eux. Ses feuilles sont plissées et vert foncées. Je plante aussi du maïs doux et des haricots avec ma maman. Les deux sont multicolores, comme un arc-en-ciel, et je plante des pommes de terre avec mon papa et mon petit frère Martin. Nous aimons planter plein de choses différentes, comme ça nous avons toujours des choses à manger.

3 – Espagne

Je m’appelle Salome Schranz Moreno et j’ai 12 ans. Je vais à l’école Doce Olivos d’Orgiva à Alpujarra (Grenade, Andalousie). Ma famille et nos amis allons travailler notre jardin dans un projet de potager collectif. Il y a quelques jours, nous y sommes allés pour une raison particulière : des mauvaises herbes avaient poussé dans le potager et nous empêchaient de planter. Alors nous avons décidé d’y faire une « torna peón »   pour accélérer les choses. J’ai pris en charge les enfants parce qu’ils ont tous entre 3 et 6 ans, et moi j’ai 12 ans.

Pendant que les mamans et papas se sont mis à désherber, je me suis occupée des petits. Je leur ai d’abord raconté des histoires et ensuite nous sommes allés dans un parc pas loin. Nous avons joué, ri et nous sommes bien amusés. L’heure du dîner a fini par arriver. Nous sommes retournés au potager pour manger. Il y avait une omelette et toutes sortes de plats avec des légumes. Nous avons mangé, et en avons bien profité.

Nous allons aussi à ce potager pour faire d’autres choses, comme semer et planter. Ma maman, mon papa, nos amis Yvon et Raúl, mon frère et moi sommes allés récolter des olives, même mon frère qui a 3 ans. Quand nous récoltons, nous le faisons de 10 heures le matin jusqu’à 17 ou 18 heures le soir. Dee 10h à 10h30, nous préparons le filet. De 10h30 à 13h30, nous récoltons. De 13h30 à 14h30 nous nous reposons et mangeons et enfin de 15h à 17 ou 18h nous continuons à récolter. Après plusieurs jours, nous amenons les olives au pressoir et ensuite nous partageons l’huile.

El torna peón : quand quelqu’un offre de l’aide à un ami sur leur potager ou ferme, et après avoir était aidé, l’ami offre à son tour son aide à ses compagnons.

L’écho des campagnes 2

Allaitement et souveraineté alimentaire pour les nourrrissons et jeunes enfants – expérience en Inde

Dr. JP Dadhich MD, FNNF[1]

La Stratégie mondiale pour l’alimentation du nourrisson et du jeune enfant recommande l’allaitement exclusif pendant les six premiers mois de la vie et l’allaitement maternel pendant un minimum de deux ans en complément d’une alimentation adaptée après six mois. L’allaitement maternel est une méthode durable et souveraine pour apporter nourriture et nutrition aux nourrissons et jeunes enfants, essentiel à la survie, à la santé et au développent des enfants et à la santé de leurs mères.

En Inde, environ 25 millions de bébés naissent chaque année et seulement 41.6% d’entre eux sont allaités dans l’heure suivant la naissance. Par ailleurs, 54.9% des nourrissons de moins de six mois sont exclusivement allaités et seulement 67.5% des enfants sont encore allaités à 20-23 mois[2]. Cela veut dire qu’une large proportion d’enfants de moins de deux ans sont privés de leur droit de recevoir une source d’alimentation souveraine et sont dépendant de produits fabriqués et commercialisés. Ceci est particulièrement sérieux pour les enfants de mois de six mois pour qui le lait maternel est le seul aliment recommandé.

La raison sous-jacente de la condition déplorable des pratiques en matière d’allaitement est une action extrêmement lente ces dix dernières annéessur diverses politiques et programmes relatifs à l’alimentation des nourrissons et jeunes enfants. Le rapport du World Breastfeeding Trends Initiative (WBTi)[3]met en évidence la nécessité de mettre en œuvre la loi pour la protection effectivede l’allaitement maternel (Acte IMS[4]), de rendre universel la protection de la maternité, d’offrir l’accès à des services de conseil sur l’allaitement par des professionnels formés et qualifiés à toutes les femmes enceintes et allaitantes, y compris lors de circonstances exceptionnelles telles que urgences et VIH, ainsi qu’un système efficace de contrôle et d’évaluation des programmes d’allaitement.


[1] Directeur – Technical, Breastfeeding Promotion Network of India (BPNI) et membre, International Baby Food Action Network (IBFAN) Global Council.

[2] Plus d’info ici (en anglais) et ici (en anglais).

[3] Plus d’info ici (en anglais)

[4] The Infant Milk Substitutes, Feeding Bottles and Infant Foods (Regulation of Production, Supply and Distribution) Act, 1992 as Amended in 2003 (IMS Act).