Sous les feux de la rampe

Sous les feux de la rampe 1

Voix du terrain : Seule une transformation radicale du système alimentaire pourrait venir à bout du COVID-19

L’émergence, l’expansion et les impacts dévastateurs de la pandémie du COVID-19 accentuent les injustices systémiques existantes et évitables. La manière dont nous construisons, organisons et gouvernons nos systèmes alimentaires est déterminante et module ces injustices. Des décennies de politiques néolibérales, réduisant le rôle de l’état et privilégiant un système alimentaire de marché libre, ont conduit à ce démantèlement des politiques et des régulations publiques et ont donné la priorité à l’exportation de produits de base et aux profits des industries alimentaires au détriment des moyens de subsistance des petits producteurs, des systèmes alimentaires locaux et de la souveraineté alimentaire. COVID-19 est la plus récente d’une série de maladies contagieuses et de crises liées au système alimentaire industriel et ce ne sera pas la dernière.

Les plus affectés par la pandémie sont : les femmes, les jeunes, les réfugiés et les migrants, les travailleurs et les petits producteurs, les sans-terre, les urbains précaires en situation d’insécurité alimentaire et les autochtones. Beaucoup de gens n’ont pas pu se confiner car ils dépendent de salaires journaliers, sont sans réserves financières et n’ont pas de système de protection sociale ou d‘aide publique pour les soutenir en temps de crise. COVID-19 a mis en évidence combien la soi-disante compétitivité du modèle agricole industriel se construit sur une importante insécurité et l’exploitation des travailleurs, sur les bas salaires et les mauvaises conditions de travail ainsi que sur les risques environnementaux et de santé.

COVID-19 rend encore plus criante la nécessité de transformer le système alimentaire vers un système de souveraineté alimentaire, d’agroécologie, basé sur les droits humains et la justice. Cette crise ne peut pas se résoudre avec des mesures d’urgence et des plans de relance qui perpétuent le même système.

Or peu de gouvernements ont répondu en visant l’application des droits humains ou en se centrant sur les besoins des communautés marginalisées. Les politiques officielles et les soutiens financiers ont favorisé surtout les entreprises, les grands producteurs et les chaînes d’approvisionnement mondiales leur assurant ainsi le capital et la force de travail dont ils ont besoin pour poursuivre leurs activités. Les réponses gouvernementales ont été et continuent d’être le reflet des inégalités historiques, économiques et sociales dans et entre les pays. Aujourd’hui, les pays en développement sont confrontés à un nouveau spectre de fuite des capitaux, de prêts importants assortis de conditions entraînant une augmentation de la dette, et de politiques d’ajustement structurel imminentes.

Des rapports de terrain montrent que les réponses officielles reflètent le plus souvent des approches cloisonnées, sans préparation et coordination. Il y a également une coopération internationale insuffisante pour faire face aux facteurs qui ont conduit à l’émergence et l’expansion dévastatrice du COVID-19 ainsi que pour répondre adéquatement aux besoins à court terme et à la reprise à long terme.

De manière inquiétante, nombreux sont les gouvernements qui invoquent des mesures d’urgence – au nom du contrôle de la pandémie- qui leur permettent de contrôler presque tous les aspects de gouvernance et de sécurité sans contrôle démocratique. Ces pouvoirs ont été utilisés pour criminaliser la dissidence et pour imposer brutalement des confinements injustes. Bien que les gouvernements et les institutions mondiales parlent de “reconstruire en mieux”, leurs politiques montrent davantage de soutien aux grandes entreprises, favorisant la numérisation des entreprises et les nouvelles technologies. A l’opposé, les réponses communautaires ont mis en avant des valeurs de communauté, de solidarité, de résilience, de durabilité et de dignité humaine. Ces deux approches ne peuvent pas coexister. 

Les mouvements du terrain ont des demandes claires, basées sur les évidences de ce qui est nécessaire pour une Juste Relance après le COVID-19 :

1. Rompre avec les approches néolibérales du passé

2. Mettre en œuvre la Souveraineté Alimentaire

3. Réaffirmer la primauté de la sphère publique.

4. Renforcer la gouvernance alimentaire mondiale basée sur les droits humains.

Nous revendiquons un changement de paradigme qui donne aux systèmes alimentaires, le statut de biens communs pour le bien-être des populations et de la planète, qui soit basé sur l’importance des droits humains, qui mette la souveraineté alimentaire en pratique, reconnaisse la primauté des politiques publiques et renforce un modèle de gouvernance inclusif, démocratique, cohérent pour rendre effectif le droit à une nourriture adéquate pour tous, maintenant et dans le futur.

Sous les feux de la rampe 2

L’Agroécologie peut-elle arrêter le COVID- 21, 22, et 23?

Les agents pathogènes émergent de manière récurrente d’un système agroalimentaire mondial fondé sur les inégalités, l’exploitation du travail et cette sorte d’extractivisme débridé qui vole aux communautés leurs ressources naturelles et sociales. En réponse, certains représentants de l’industrie proposent d’intensifier davantage l’agriculture sous prétexte de préserver des zones “sauvages”, une approche qui, tout en soutenant le modèle de l’agrobusiness, entraîne une plus grande déforestation et la propagation de maladies. 

Ce type d’approche “land sparing” laisse de côté de nombreux paysans, autochtones et petits agriculteurs qui sont intégrés dans l’écosystème des forêts et produisent des aliments et des fibres pour un usage local et régional. De fait, la préservation des terres paysannes et autochtones maintient des niveaux élevés d’agro-biodiversité et de vie sauvage qui empêchent les agents pathogènes de se répandre.

Pandemic Research for the People (PReP) est une organisation de paysans, de membres de communautés et de chercheurs examinant comment l’agriculture pourrait être ré-imaginée pour stopper les coronavirus et en premier lieu, l’émergence d’autres agents pathogènes. Nous défendons l’agroécologie, une approche largement expérimentée, à la fois environnementale par rapport aux paysans, aux pauvres et aux autochtones, qui envisage l’agriculture comme partie de l’écologie grâce à qui l’humanité produit son alimentation. Une matrice agroécologique diversifiée de parcelles agricoles, d’agroforesterie, de pâturages toutes intégrées dans la forêt, peut conserver la diversité bioculturelle, rendant plus difficile pour les maladies zoonotiques  de passer la ligne des infections, de s’échapper et de voyager ensuite sur le réseau mondial. Cette diversité soutient également des conditions économiques et sociales des peuples qui cultivent la terre. 

Les agroécologies paysannes sont bien plus qu’une affaire de terres et d’alimentation, toutes importantes soient-elles. Elles permettent de stopper des pandémies et d’autres biens sociaux naissent de ce contexte global. Les agroécologies se basent sur des politiques pratiques qui placent l’organisation et le pouvoir dans les mains des travailleurs, des précaires, des autochtones, des personnes “racisées”.  Elles remplacent la dynamique des formes d’urbanisation et d’industrialisation agricole écologiquement (et épidémiologiquement) néfastes, opérant en faveur d’un capitalisme racial et patriarcal. Elles placent la planète et les gens avant les profits dont seuls quelques-uns profitent. 

Bulletin n° 43 – Éditorial

Souveraineté alimentaire en temps de pandémie

Ilustration: Travailleurs Agricoles – Cueilleurs de fruits et légumes – Portrait de Travailleurs Essentiels #6 par Carolyn Olson, carolynolson.ne

Au moment où l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) a déclaré le 30 janvier 2020 que le COVID19 était une urgence de santé publique au niveau international, personne ne s’imaginait l’amplitude des dommages que ferait cette maladie à travers le monde et combien de temps cela durerait. Au vu du parcours mortel que créait le COVID de pays en pays, il est devenu évident que les actions ou inactions gouvernementales tout comme le contexte politique, économique et social, étaient autant responsables que le virus, des impacts causés.

La pandémie du COVID-19 est loin de faiblir : les infections continuent de surgir dans de nombreux pays avec l’émergence de nouveaux variants plus contagieux du SARS-COV-2 virus. Les vaccins tant attendus ont commencé circuler mais pourraient bien être hors d’atteinte pour la majorité du monde pendant des mois ou même des années suite à une sorte d’”apartheid vaccinale”. Malgré la disponibilité limitée des vaccins -vu le temps nécessaire à la production et au testing -, beaucoup de pays riches ont acheté des stocks de vaccins suffisants pour immuniser leur population au moins deux fois; et ils soutiennent le contrôle de monopole des compagnies pharmaceutiques sur les vaccins via les droits de propriété intellectuelle légalement applicables dans l’Organisation Mondiale du Commerce .

Cette édition de la Nyéléni newsletter présente des extraits de documents et de recherches menées par des praticiens et des défenseurs de la souveraineté alimentaire, et en particulier, Faire Entendre les Voix du Terrain: de la pandémie COVID-19 à une transformation radicale de nos systèmes alimentaires, préparés par le Mécanisme de la Société Civile et les Peuples Autochtones pour les relations avec le Comité de Sécurité Alimentaire Mondiale. Les liens vers les rapports et les documents sont joints aux extraits.

Focus on the Global South et les Amis de la Terre International

L’écho des campagnes

L’écho des campagnes 1

Changement climatique et petits pêcheurs

Fatima Majeed, Pakistan Fisherfolk Forum, Ibrahim Haidery, Karachi, Pakistan 

Le changement climatique a eu de profondes conséquences sur nos vies de petits pêcheurs et pêcheuses. Il a perturbé la saison de la pêche, augmenté le niveau de la mer et réduit les ressources en poissons. Le nombre de petits pêcheurs a diminué, car ils ne peuvent plus subvenir à leurs besoins grâce à la pêche. Les femmes, en particulier, sont forcées d’accepter de travailler dans de petites usines afin de gagner un peu d’argent pour se nourrir et nourrir leur famille.  

Dans les familles de petits pêcheurs au Pakistan, la plupart des tâches ménagères sont assurées par les femmes : elles gèrent les dépenses du foyer, l’éducation des enfants, les joies et les peines de la famille. Les petits pêcheurs ne consomment pas le poisson qu’ils attrapent, il s’agit de leur source de revenus. Lorsque les captures sont faibles ou inexistantes, leur situation est pire que celle des travailleurs journaliers. La plupart des petits pêcheurs et de leurs familles n’ont pas accès à trois repas par jour. À chaque fois, presque toute la nourriture sur la table correspond à l’intégralité de ce qu’un pêcheur a pu ramener ce jour-là.  

À travers ses campagnes de sensibilisation, le Pakistan Fisherfolk Forum, membre du World Forum of Fisher Peoples (WFFP) et du Global Network for the Right to Food and Nutrition, revendique la formulation de politiques de pêche durables au niveau de chaque province, afin de pallier aux effets du changement climatique. Ce Forum exige également la suppression de plusieurs centrales au charbon et barrages au Pakistan, et réclame une production d’énergie renouvelable respectueuse du climat et qui corresponde aux besoins des communautés et des individus.  

L’écho des campagnes  2

He Kai kei aku ringa – De la nourriture produite de mes propres mains

Moko Morris, Te Waka Kai Ora Aotearoa, affiliations tribales à Te Ātiawa et Te Aitanga a Mahaki, Aotearoa, Nouvelle-Zélande

Inspiré par La Via Campesina, Te Waka Kai Ora Aotearoa (Autorité biologique nationale maorie d’Aotearoa) a développé un système indigène de certification pour les aliments produits en conformité avec les valeurs traditionnelles maories. Hua Parakore – c’est ainsi que s’appelle ce système de certification – signifie littéralement  » un produit pur » ou « kai atua » – les aliments donnés par les dieux. Hua Parakore fait référence à la profonde connexion que nous entretenons avec la nature et à notre manière de prendre soin de nos territoires, des écosystèmes et de la biodiversité. Nous espérons que bientôt, celui qui traversera notre pays pourra immédiatement apercevoir sur les Marae (maisons de réunion), sur les fermes, sur les écoles, sur les crèches, le logo proclamant notre attachement à une production alimentaire reposant sur des valeurs indigènes, parlant de notre histoire et renforçant la souveraineté alimentaire.

Un nouveau projet de loi déposé devant le Parlement entend mettre en place une unique norme nationale pour les produits biologiques. L’objectif de cette loi est de soutenir le secteur biologique, mais sans tenir aucunement compte de notre système, pourtant bien connu et respecté.

Aucune disposition de la loi ne prévoit d’endosser l’esprit du Te Tiriti o Waitangi (Traité de Waitangi), signé entre la couronne britannique et le peuple maori en 1840, et qui oblige le gouvernement de la Nouvelle-Zélande à respecter et à protéger les droits du peuple maori. Cette obligation englobe la protection des droits à nos taonga (trésors), c’est-à-dire, entre autres, nos territoires, ainsi que les Ngā Hua Māori (produits de la Nature) et les  Kai Atua (aliments donnés par les dieux). 

La loi actuelle renforce donc le projet colonialiste et méconnaît nos droits. Au lieu de reconnaître, de protéger et de promouvoir à Aotearoa/Nouvelle-Zélande les systèmes alimentaires indigènes qui nous ont permis de nous nourrir durant des siècles tout en respectant la nature, le gouvernement soutient un secteur alimentaire biologique guidé par des intérêts commerciaux et qui débouchera sur un paysage de monoculture. Nous demeurons attachés à notre droit à l’alimentation et à notre autodétermination. 

L’écho des campagnes 3

Reconnaissance juridique des systèmes fonciers coutumiers au Mali

Massa Koné, Convergence malienne contre l’accaparement des terres

La loi foncière malienne, dite Code domanial et foncier, reconnaît le principe des droits fonciers coutumiers des communautés, mais ces dispositions ne sont pas mises en œuvre en pratique. Les titres fonciers que les investisseurs maliens et internationaux acquièrent auprès des services de l’État à coups d’abus de pouvoir, de violence, etc., prennent le pas sur les droits fonciers coutumiers des communautés qui vivent sur les terres concernées depuis des décennies. Grâce à des années de mobilisation et de revendication populaires, le gouvernement malien a fini par approuver une nouvelle loi sur les terres agricoles (LFA) en 2017, suivis de deux décrets d’application en 2018. Alors que les cadres juridiques hérités de l’époque coloniale allouaient toutes les terres à l’État, la LFA reconnaît qu’il existe des terres agricoles appartenant aux communautés, ce qui constitue un précédent historique.

La sécurité et la gestion foncières des terres communautaires se trouvent maintenant entre les mains des communautés, à travers les « commissions foncières villageoises », qui sont établies après débats et validation des assemblées villageoises. Ces commissions comportent au moins sept membres désignés, parmi lesquels des femmes, des jeunes et des représentants des différentes activités agricoles présentes dans le village. La terre ne se trouve donc plus entre les mains de quelques hommes, comme les chefs de village, les chefs de terre ou les chefs par lignage, qui en avaient jusqu’alors toute la responsabilité. En outre, les accords sur la gestion des terres et des ressources naturelles locales, qui sont les règles de base à respecter, sont transcrits et déposées collectivement auprès des autorités administratives et juridiques. Les commissions foncières ont trois fonctions principales : (1) gérer tous les problèmes liés au foncier ; (2) prévenir et gérer les conflits ; (3) établir un certificat de propriété des terres qui sera légalisé par les autorités et offrira le même degré de protection juridique qu’un titre de propriété foncière. 

La LFA créé donc un espace pour que les communautés gèrent elles-mêmes leurs ressources selon des droits collectifs et conformément aux règles définies par chaque communauté. Il s’agit d’une manière de protéger les populations rurales contre l’accaparement des terres et la spéculation foncière, et d’offrir la possibilité de développer la pratique de l’agroécologie. La lutte n’est cependant pas terminé. Les mouvements sociaux, les organisations paysannes et certaines organisations de la société civile soutiennent actuellement l’application de la loi, en particulier en accompagnant la création des commissions foncières villageoises en plaçant chaque communauté au centre du processus. En outre, le Code domanial et foncier est actuellement en cours de révision et une mobilisation permanente est nécessaire pour garantir qu’il le soit conformément à la LFA, à une période ou de nombreux acteurs entendent renverser la vapeur face aux avancées permises par la loi.

Encadres

Encadré 1

Vieille histoire, nouvelles menaces : la numérisation de la terre en Indonésie

Dans le monde entier, les technologies numériques sont de plus en plus appliquées à la gouvernance des territoires. Les tenants de la numérisation affirment que cela permettra de renforcer l’efficacité de l’administration foncière et de sécuriser le droit de propriété (voir le bulletin Nyéléni sur la numérisation). Imagerie satellite numérique, drones, bases de données électroniques et technologie de la blockchain sont utilisés pour cartographier, délimiter et enregistrer des terres, pour stocker des données relatives aux parcelles et pour faciliter leur transaction. Ces technologies sont souvent propulsées par de gros projets financés par des donateurs, dont l’objectif principal est de consolider la privatisation et la marchandisation des terres, ainsi que d’attirer les investissements des entreprises.

Le Programme pour l’accélération de la réforme agraire indonésienne (One Map Project), financé par la Banque mondiale, en est un bon exemple. Approuvé en 2018, ce programme de 240 millions de dollars se concentre sur une cartographie exhaustive des terres et des forêts, ainsi que sur le cadastre des terres et la délivrance de titres de propriété individuels. Les données et les cartes sont intégrées à un registre foncier et à un cadastre numérique, appelé e-Land. Selon la Banque mondiale, e-Land fournira des informations sur les droits de propriété, non seulement à destination du public et des agences gouvernementales, mais aussi pour les « banques commerciales, les facilitateurs du marché de l’immobilier et les experts fonciers. » Le projet se trouve donc dans la droite ligne des politiques menées par la Banque mondiale en Indonésie et ailleurs, et qui consistent à soutenir les marchés fonciers et à créer un environnement favorable aux affaires.

Les organisations paysannes, comme Serikat Petania Indonesia (SPI) font remarquer que ce projet ne résout pas le principal problème foncier de l’Indonésie, à savoir l’extrême concentration de la propriété foncière et l’absence de protection des droits coutumiers sur la forêt. Les communautés indigènes et paysannes sont souvent exclues des cartographies numériques officielles. Le SPI et des communautés locales produisent donc leurs propres cartographies à l’aide d’outils numériques, comme des GPS, afin de questionner la cartographie officielle et les revendications des entreprises sur la terre, et d’affirmer leurs droits. Plutôt que de soutenir la réforme agraire, le projet pose donc un nouveau problème aux communautés et aux organisations sociales : la bataille des données numériques.

Encadré 2

Une gestion de forêt communautaire pour favoriser la biodiversité et préserver le climat

La gestion de forêt communautaire est un outil extrêmement efficace pour la préservation des forêts. Les peuples indigènes et autres peuples de la forêt ont recours à la biodiversité ; ils se basent bien souvent sur des connaissances ancestrales et renforcent la biodiversité des forêts où ils vivent. La pratique du peuple des Ngobes, au sud du Costa Rica et dans le nord du Panama, en est un bon exemple : ils tressent des chapeaux et des chaussures de haute qualité avec de nombreuses variétés de fibres de palmiers et de lianes qu’ils récoltent dans la forêt. Une femme ngobe peut identifier des dizaines de plantes de la forêt qui lui serviront à fabriquer des produits tressés. Pour obtenir des paniers durables, les Ngobes utilisent des lianes « cucharilla » ; pour fabriquer rapidement des chapeaux rustiques, ils tressent des lianes « estrella » ; pour des chapeaux plus élaborés, ils collectent les fibres de trois ou quatre palmiers des sous-bois. Nous avons demandé à l’une de ces femmes s’il lui arrivait parfois de se trouver à court de lianes ou de palmes. « Jamais ! » a-t-elle répondu. « Nous récoltons les lianes à la lune décroissante pour qu’elles ne sèchent pas lorsque nous les taillons. Nous ne récoltons que certaines feuilles des palmiers, seulement à la bonne phase lunaire, et pendant la saison des pluies nous accueillons un festival des lianes, auquel toute la communauté participe, avec les jeunes, pour récolter nos lianes dans la forêt. »

Les systèmes agroforestiers du peuple Bribri et d’autres peuples indigènes du Costa Rica sont de véritables jardins, qui comportent une riche diversité de haricots, de citrouilles, différentes variétés de banane plantain et de cacao, du maïs, du riz et de multiples espèces d’arbres qui régulent avec sagesse et précision la lumière éclairant l’ensemble. Il s’agit d’un impressionnant mélange de biodiversité et d’agroforesterie, qui intègre connaissances ancestrales et forêt primaire. Il n’est donc pas surprenant qu’une étude analysant plus de 500 expériences de gestion d’un « héritage commun » parvienne à la conclusion que « la plupart de ces groupes ont fait preuve de capacités essentielles pour améliorer le bien-être de la communauté et obtenir des résultats bénéfiques, non seulement en termes économiques, mais aussi en matière d’amélioration des ressources, comme les bassins, les forêts et pour la gestion des nuisibles. »

Pour davantage d’informations : Baltondao J. Y. Rojas I. 2008. Los Ngobes y el Bosque (Les Ngobes et la forêt). Asociación de Comunidades Ecologistas La Ceiba- Amigos de la Tierra.CR. 64 pp. www.coecoceiba.org (en espagnol uniquement)
Pretty J., 2003. Social Capital and the Collective Management of Resources (Capital social et gestion collective des ressources), Sciencie #302, Dic 2003, 1912-1913 (en anglais uniquement)

L’écho des campagnes

L’écho des campagnes 1

Les femmes dans la lutte pour la souveraineté alimentaire – Nous voulons continuer à jouer notre rôle : nourrir l’humanité

Extrait de l’entretien avec Francisca Rodriguez de Anamuri, CLOC-Via Campesina, Chile.

Les paysans du monde entier sont des gens, des communautés, des organisations et des familles d’une grande diversité. Nous représentons des cultures et des visions du monde différentes.

Les discussions et les débats sur la souveraineté alimentaire nous ont permis de reconnaître et de valoriser nos activités paysannes ; nous avons ainsi réaliés que les femmes ont joué un rôle essentiel dans le développement de l’agriculture et continuent à jouer un rôle clef dans la production de la nourriture et sa transformation.

Nous avons grandement mis en avant la question de l’agriculture et de l’agroécologie, non pas comme quelque chose de neuf en train d’émerger, mais comme une redécouverte des pratiques ancestrales mises au point depuis l’origine de l’agriculture et jusqu’à aujourd’hui.

Jamais dans l’histoire la campagne n’a été reconnue à sa juste valeur pour assurer la survie de l’humanité ; nous sommes les gardiennes de la terre, nous vivons là où se trouvent les ressources, et notre tâche est de lutter pour les préserver pour nous et pour les générations futures.

Nous sommes fières d’être ce que nous sommes, nous ne voulons pas migrer de force vers les villes ou à l’étranger, nous voulons continuer à remplir notre rôle fondamental : nourrir l’humanité grâce à notre travail, nos connaissances et nos biens naturels, en assurant que le droit à la nourriture est garanti à tous sans exception, et que l’on prend soin de Mère Terre qui nous nourrit.

L’écho des campagnes 2

Souveraineté alimentaire : défis et espoirs pour les communautés de pêcheurs

Ibu Zainab, membre de Solidaritas Perempuan Anging Mammiri – Sulawesi, Indonésie.

Le défi auquel font face les pêcheuses dans notre lutte pour la souveraineté alimentaire réside dans la manière dont les entreprises et les sociétés s’accaparent l’océan, source de nos vies. Ces sociétés nient notre droit d’accès à l’océan, polluent l’environnement côtier et déclenchent même des conflits au sein des communautés. Notre gouvernement n’a jamais écouté nos revendications, mais a plutôt pris parti pour ces sociétés.

En tant que femmes, notre identité comme pêcheuses n’est également pas reconnue et est souvent liée au rôle de nos maris pêcheurs. Je souhaite que le gouvernement protège notre droit à la nourriture et notre accès aux ressources maritimes de telle sorte que nous puissions pêcher et subvenir à nos besoins en tant que petites productrices alimentaires. Il doit exister une solution pour que le combat pour trouver un terrain d’entente entre les intérêts des entreprises, les programmes gouvernementaux et les droits des communautés ne marginalise pas les pêcheuses. Comme l’Indonésie est un archipel, les pêcheurs et pêcheuses sont les héros de la nation, ils et elles assurent un régime sain à la population (le poisson comme source principale de protéines) ; nos droits doivent être respectés, protégés et garantis.

L’écho des campagnes 3

L’importance des alliances pour la souveraineté alimentaire du point de vue de deux paysannes étatsuniennes

Comment l’organisation en alliances intersectorielles s’organise par rapport aux efforts globaux pour la souveraineté alimentaire ?
Patti Naylor, membre de l’USFSA (Alliance étatsunienne pour la souveraineté alimentaire) et du comité de coordination de la Société civile et des mécanismes autochtones pour l’Amérique du Nord.

En tant que paysanne, je constate en regardant autour de moi à quel point l’agriculture dominée par les entreprises ne soutient ni les communautés rurales, ni les modes de vie paysan, ni les sources de vie de la Terre Mère. Pas plus qu’elle ne produit d’aliments sains, faisant plutôt le choix d’une chaîne d’approvisionnement longue et complexe pour obtenir des aliments extrêmement transformés. La souveraineté alimentaire doit remplacer ce désastreux système. Rassembler nos organisations et construire notre force collective grâce à des alliances est actuellement indispensable, en cette période où l’agriculture industrielle gagne en rapidité et en puissance dans le monde entier et devient une force qui pourrait devenir inarrêtable. Le moment est critique. Les injustices du capitalisme, les conséquences du changement climatique et les perturbations des marchés territoriaux dues à la COVID-19 mettent les producteurs de nourriture dans des situations difficiles.

Tout comme à l’époque d’autres grands bouleversements passés, les fermier·e·s, les pêcheur·se·s, les paysan·ne·s et les travailleur·se·s ruraux·les qui ne peuvent pas survivre économiquement vont quitter leur ferme et leur communauté. La production d’aliments locaux et même la capacité à organiser une résistance s’en trouveront nettement diminuées. Les zones rurales seront dépeuplées à mesure que les personnes partiront vers la ville pour trouve du travail. Ces changements pourraient être irréversibles. Nous reconnaissons l’urgence de ces situations et nous devons donc continuer à élaborer des alliances solides, qui reposent sur des objectifs communs clairement définis, afin d’atteindre la souveraineté alimentaire pour tous.

Pouvez-vous nous en dire plus sur l’Alliance étatsunienne pour la souveraineté alimentaire ?
Jennifer Taylor, coordinatrice nationale de l’Alliance étatsunienne pour la souveraineté alimentaire (USFSA).

Dans la lignée de la déclaration de du Forum Nyéléni de 2007 pour la souveraineté alimentaire, l’USFSA comptent parmi ses membres des familles de paysan·ne·s, des pêcheur·se·s, des rancher·use·s, des travailleur·se·s agricoles, des femmes, des jeunes, des travailleur·se·s urbain·e·s et ruraux·les, des consommateurs, etc., qui considèrent que l’alimentation est indispensable à l’humanité et qu’une nourriture saine et culturellement appropriée, produite grâce aux méthodes écologiques saines et durables des systèmes d’exploitation agroécologique sont à la base de systèmes alimentaires et d’environnements sains, et que l’agroécologie est pleine d’avantages : qu’il faut mettre en place des actions pour la souveraineté alimentaire.

L’USFSA considère que le droit à l’alimentation est un droit fondamental ; en tant que petite fermière BIPOC (pour « black, Indigenous and people of color », c’est-à-dire « noirs, Autochtones et personnes de couleur ») qui pratique l’agroécologie et l’agriculture biologique, promotrice du bien-être et de la qualité de la vie, je voudrais mettre l’accent sur notre droit fondamental de l’accès à des aliments nutritifs de qualité. Il s’agit également de soutenir des exploitations bien portantes et des environnements sains pour les communautés, et de renforcer les communautés. Il s’agit là d’un droit à une souveraineté alimentaire locale et mondiale de qualité, qui inclue les populations paysannes défavorisées, les paysan·ne·s noir·e·s et autochtones et les paysan·ne·s de couleur et leur communauté. Ce droit est fondamental pour renforcer de manière participative les capacités des petit·e·s paysan·ne·s qui pratiquent l’agroécologie et l’agriculture biologique et celles de leur communauté, et pour obtenir des systèmes alimentaires sains au niveau local comme au niveau mondial. L’USFSA soutient des stratégie de renforcement participatif des capacités qui promeuvent le bien-être, les modes de vie et les capacités des paysan·ne·s noir·e·s, autochtones et de couleur et leur communauté aux niveaux local et mondial.

L’écho des campagnes 4

L’agroécologie n’est pas simplement un ensemble de pratique, mais un mode de vie

Anuka Desilva, MONLAR/ LVC, Sri Lanka.

L’agroécologie n’est pas simplement un ensemble de pratique, mais un mode de vie. C’est tout autant une question de nourrir nos sols, nos champs, que de solidarité entre les personnes. Sans solidarité entre les personnes, il n’y a pas d’agroécologie.

Au Sri Lanka, le jeune collectif des paysans de Dikkubura à Ahangama (district de Galle) a assisté à des sessions de formation agroécologique, rencontré des paysans d’autres régions, étudié et débattu de questions qui ne concernent pas uniquement les pratiques dans les champs, mais aussi des questions de politique alimentaire en général.

Grâce à différentes sessions de formation, notre collectif a appris et échangé des informations sur la préparation du beejamrutha,du jeevamrutha, du ghana jeevamrutha, de l’agniastra et d’autres préparations utilisées dans l’agriculture naturelle. Nous avons également été formés en horticulture sur terrains secs et à différentes techniques de greffe en horticulture. Il a également été question de différentes techniques de conservation des semences. Voilà pour les aspects pratiques ; mais nous ne nous sommes pas arrêtés là. Nous avons également étudié les dynamiques du système alimentaire mondial, à présent concentré entre les mains des entreprises transnationales. Nous avons analysé les incidences des accords de libre-échange sur l’autonomie de la production et de la consommation locales. Nous avons étudié les inégalités de genre et de caste en lien avec la propriété de la terre en Asie du sud, et bien plus. Les sessions de formation conjuguent donc souvent aspects pratiques et politiques de la paysannerie.

L’agroécologie se trouve en son centre, puisqu’elle offre aux gens l’autonomie nécessaire pour concevoir leurs systèmes alimentaires en fonction des ressources locales et du travail local. C’est un système qui nous permet de produire de la nourriture en harmonie avec la nature, et de donner avant tout la priorité à la souveraineté alimentaire de la communauté locale.

Si nous ne sommes pas clairs à ce niveau, il ne suffira pas d’un éventail de pratiques durables pour faire avancer l’agroécologie. Et les sessions de formation qui se tiennent grâce à LVC concernent les aspects pratiques et les aspects politiques de l’agroécologie afin d’en faire un instrument qui permette d’atteindre la souveraineté alimentaire.

L’écho des campagnes 5

Souveraineté alimentaire : défis et espoirs pour les communautés pastorales

Fernando Garcia, Campo Adentro, Réseau européen des bergers – WAMIP, Espagne.

En avril, alors que la crise de la COVID-19 était à son apogée, différents représentants de mouvements sociaux du mouvement pour la souveraineté alimentaire ont écrit une lettre intitulée « COVID-19 – Les producteurs alimentaires à petite échelle sont solidaires et se battront pour offrir une alimentation saine à tous. »(https://www.foodsovereignty.org/fr/covid-19/).

Nous pouvons difficilement envisager les retombées qu’aura cette crise.
D’un côté, se fait jour une inquiétude croissante en ce qui concerne l’absence de viabilité de nos modèles alimentaires, et en particulier le danger que représentent les systèmes d’élevage intensifs et les fermes-usines, liés à des perturbations de l’écosystème dues à l’expansion de l’agrobusiness industriel (comme la déforestation pour laisser la place à des plantations de palmiers à huile).

D’un autre côté, le changement climatique est plus présent que jamais, et l’importance des producteurs alimentaires à petite échelle n’a jamais été plus criante. La crise est une sorte de « test de stress », comme disent les économistes, pour l’ensemble d’un système alimentaire qui alimente une population urbaine en pleine expansion et repose sur des transports et une circulation mondialisés. Peut-être que certaines des tendances que nous avons observées jusqu’à présent pourraient changer.

La crise frappe probablement plus durement les petites entreprises (comme les commerces de proximité et les restaurants), qui sont en général plus étroitement liés aux petits producteurs. Certains acteurs – le commerce électronique en tête – peuvent promouvoir une numérisation encore plus rapide des systèmes alimentaires téléguidés par les intérêts des entreprises et par leur profit.

Les pastoralistes d’Europe et du monde entier envisagent ce scénario avec beaucoup d’inquiétude, mais aussi avec une forme de confiance qui accompagne la certitude d’être un rouage vital de la solution. Nous espérons que les mouvements écologistes ne simplifieront pas le slogan « la viande, c’est fini » en imposant une version urbaine, occidentale et ethnocentrée, du véganisme mais qu’ils promouvront plutôt une consommation responsable de produits animaux de qualité, sains et locaux, issus des systèmes pastoralistes.

Les organisations locales, liées par une nouvelle Alliance mondiale des peuples autochtones transhumants (WAMIP ), sont à présent actifs dans différents espaces et travaillent à faire le lien entre les discussions sur l’agroécologie et sur la souveraineté alimentaire (nées dans le berceau des luttes paysannes) et les particularités du pastoralisme. Ensemble, nous avons rédigé et accepté la Déclaration des droits des paysans – et des pastoralistes, et nous devons nous assurer que de véritables espaces de participation et de reconnaissance mettent les pastoralistes au premier plan – comme la Plateforme des connaissances pastorales de la FAO, ou les initiatives du Programme mondial pour un élevage durable et du Partenariat pour l’évaluation et la performance environnementales de l’élevage. Nous avons travaillé à ce que le comité sur l’agriculture de la FAO transmette notre proposition de célébrer 2026 comme l’année internationale des pâturages et des pastoralistes, et qu’elle fasse confiance Comité international de planification pour la souveraineté alimentaire et à d’autres initiatives de la société civile.

Le plus difficile est de rester sur le qui-vive en dépit des distances et de prendre le temps de consolider des alliances, en plus du travail quotidien… mais si nous ne le faisons pas, les politiques anti-pastoralistes et les intérêts économiques mettront en danger notre mode de vie et menaceront les territoires et les paysages que nous préservons grâce à nos animaux.

L’écho des campagnes 6

Les fruits de la souveraineté alimentaire – jeunesse organisée

David Otieno, Jeunesse de la ligue des paysans kényans / LVC, Kénya.

La souveraineté alimentaire correspond à la prise de contrôle totale, par les producteurs et les consommateurs de nourriture, du processus de production de nourriture, c’est-à-dire des graines, de la terre, des marchés, des intrants et de la distribution. Nous, la jeunesse, sommes indispensables à la réalisation de la souveraineté alimentaire. Notre plus grande force repose dans notre capacité collective à vivre et à construire un monde plus équitable.

Au sein de LCV, nous nous sommes organisés grâce à des formations pour créer des groupes de jeunes qui luttent pour corriger un système alimentaire global défaillant, qui repose sur un agrobusiness responsable du changement climatique. Nous, la jeunesse, nous sommes ainsi organisés pour placer les membres de LVC qui produisent, distribuent et consomment de la nourriture au centre du système et des politiques alimentaires, en lieu et place des demandes du marché et des exigences des entreprises, comme le fait l’agrobusiness.

En Afrique, au sein de LCV d’Afrique du sud et de l’est, notre organisation de jeunes s’est trouvée au premier rang pour réclamer des terres en friche afin d’y produire de la nourriture. En Afrique du Sud par exemple, des jeunes, membres de la Campagne pour la souveraineté alimentaire et du Mouvement des sans-terre, eux-mêmes membres de LVC, se sont engagés dans une campagne d’occupation qui visait à transformer des terrains en friche en des terres pour la production alimentaire.

Au Kenya, au sein du collectif de la jeunesse de la Ligue des paysans kenyans, nous nous engageons veiller à ce que les graines et la nourriture soient distribuées aux membres et aux personnes fragiles qui se trouvent en situation de précarité à cause de la pandémie de la COVID-19. Nous aidons également des membres plus âgés à labourer et à planter leurs champs, et nous tenons un suivi des graines parmi les membres, pour en faciliter la répartition.

Les groupes de jeune du Mouvement des sans terre se sont également investis dans des processus de reconstruction, en particulier après le cyclone Idai qui a touché une bonne partie de l’Afrique du Sud ; ils et elles se sont également impliqués dans des initiatives de solidarité pendant la pandémie de coronavirus.

En repensant au Forum de Nyéléni pour la souveraineté alimentaire qui s’est tenu en 2007 dans un petit village malien, on se rend compte que la souveraineté alimentaire et la jeunesse sont étroitement liées : la lutte pour la souveraineté alimentaire aide les jeunes à s’organiser, et les jeunes en retour soutiennent la lutte pour la souveraineté alimentaire.

Encadres

Encadré 1

Pourquoi le bulletin Nyéléni a-t-il été créé ?

Le Forum international sur la souveraineté alimentaire – Nyéléni, tenu au Mali en 2007, a rassemblé plus de 500 représentants d’organisations/de mouvements de petits producteurs, de consommateurs et d’organisations de la société civile de l’alimentation, tous impliqués dans le renforcement et le développement de la souveraineté alimentaire, du niveau local au niveau mondial. Pendant ce Forum, les participants de 80 pays ont partagé connaissances, visions, stratégies et pratiques adoptées pour transformer leurs communautés, leurs sociétés et leurs économies selon les principes de la souveraineté alimentaire. Ces discussions ont révélé la richesse des connaissances créées en continu par les praticiens de la souveraineté alimentaire lorsqu’ils étaient confrontés aux défis sociaux, économiques, environnementaux et politiques. Elles ont également fait ressortir le rôle central et l’urgence de la souveraineté alimentaire en tant que plateforme pour construire des alliances et des stratégies de résistance au néolibéralisme, au capitalisme mondial, à l’autoritarisme et à toutes les formes d’injustice, d’inégalité et de violence. Les participants se sont engagés à promouvoir une solidarité, une unité et une cause commune au sein et entre mouvements, circonscriptions, genres, cultures et régions en renforçant la communication, l’éducation politique, la sensibilisation et l’apprentissage par les pairs.

Le bulletin Nyéléni a été créé pour répondre à ces engagements : donner la voix aux priorités, préoccupations, expériences et savoirs du mouvement pour la souveraineté alimentaire et favoriser le dialogue entre secteurs/acteurs. Le bulletin a été conçu comme un outil d’information et d’éducation pour contextualiser et expliquer des problèmes complexes aux acteurs du mouvement – plus particulièrement ceux sur le terrain et en première ligne – et pour faire part de leurs expériences aux acteurs de premier plan. Le bulletin est édité 4 fois par an en anglais, espagnol et français et est partagé dans le monde entier sur les réseaux sociaux et par les médias classiques.

Les sujets abordés dans chaque numéro du bulletin sont arrêtés par les membres du mouvement et les articles sont écrits dans des styles et des longueurs faciles à comprendre et à traduire. Tandis que des chercheurs/universitaires sont invités à présenter des analyses, chaque bulletin contient des témoignages d’acteurs du terrain et des informations sur les luttes, initiatives et documents de sensibilisation de mouvements du monde entier. La finalité du bulletin était et demeure de promouvoir une formation des gens impliqués dans la construction et la pratique de la souveraineté alimentaire.

Encadré 2

Canción – La Cumbia del Campesinx

La cumbia del agronegocio, la bailan los asesinos,
La cumbia del agronegocio, la bailan los asesinos,
El pueblo nunca la baila, unidos, jamás vencidos,
El pueblo nunca la baila, unidos, jamás vencidos!

La cumbia del campesino, la baila el pueblo unido,
La cumbia del campesino, la baila el pueblo unido,
Esa sí que la bailamos, porque estamos convencidos,
Esa sí que la bailamos, porque estamos convencidos,

¡Soberanía Alimentaria, queremos Reforma Agraria!
¡Soberanía Alimentaria, queremos Reforma Agraria!

¡Pasito por aquí, pasito por acá, queremos la Reforma Agraria Integral!
¡Pasito por aquí, pasito por acá, queremos la Reforma Agraria Integral!

Chanson – La cumbia des paysan.ne.s

La cumbia de l’agrobusiness, les meurtriers la danse,
La cumbia de l’agrobusiness, les meurtriers la danse,
Le peuple ne la danse jamais, uni, jamais vaincu,
Le peuple ne la danse jamais, uni, jamais vaincu !

La cumbia des paysans, le peuple la danse uni,
La cumbia des paysans, le peuple la danse uni,
Nous la dansons avec notre détermination,
Nous la dansons avec notre détermination,

Souveraineté alimentaire, nous voulons une réforme agraire !
Souveraineté alimentaire, nous voulons une réforme agraire !

Un pas de côté, un pas de l’autre, nous voulons une réforme agraire totale !
Un pas de côté, un pas de l’autre, nous voulons une réforme agraire totale !

Sous les feux de la rampe

Sous les feux de la rampe 1

La souveraineté alimentaire au cœur d’un nouveau système

Les politiques néo-libérales n’ont pas tenu leur promesse d’une croissance économique illimitée, alors que les investissements réels ont perdu leur rentabilité. De ce fait, une nouvelle ère de financiarisation et d’accumulation du capital, caractérisée par la dématérialisation de l’économie, les fusions et les acquisitions de grandes entreprises transnationales (TNC), a conduit à une concentration du marché sans précédent, destinée à augmenter les investissements en R&D (Recherche et Développement) et (bio)technologies. Le but est d’étendre les frontières du capitalisme pour s’approprier l’intégralité de la biodiversité mondiale, baisser le coût de la nourriture et du travail et relancer une croissance économique matérielle.

Pour atteindre cet objectif, les TNC influencent de plus en plus les Nations Unies, afin de bénéficier de politiques publiques favorables et de cadres normatifs. Le Forum économique mondial et les TNC essaient de transformer les principes et pratiques de gouvernance des institutions des Nations Unies en « gouvernance multipartite », c’est-à-dire en une gouvernance concentrée entre les mains d’un petit nombre de puissants monopoles privés. La pandémie de la COVID-19 a mis en lumière le pouvoir des TNC ; dans de nombreux pays, de grandes entreprises alimentaires ont été subventionnées, tandis que de petits producteurs faisaient faillite et que des ouvriers du secteur agroalimentaire (dont beaucoup sont des migrants) restaient sans emploi, et donc sans accès à la nourriture.

Le mouvement de souveraineté alimentaire, intégrant l’agroécologie, peut s’afficher comme un acteur de premier plan et offrir une solution pour relancer une croissance économique matérielle qui combatte le changement climatique et pour modeler une nouvelle société basée sur des principes égalitaires. La FAO elle-même a reconnu le rôle des petits producteurs alimentaires pour nourrir le monde, et ceci est au cœur des solutions pour atténuer et inverser les changements climatiques. Jusqu’à présent, toutes les solutions proposées par les entreprises pour réduire les changements climatiques ne sont pas parvenues à remédier aux causes sous-jacentes et continuent de permettre aux plus grands pollueurs de réchauffer notre planète. Les solutions réelles pour arrêter les changements climatiques se trouvent dans l’accès et le contrôle des gens de la terre, des semences et de l’eau et dans la promotion de l’agroécologie, la restauration de la nature et des paysages qui permettent la rétention de l’eau.

Plusieurs étapes du mouvement pour la souveraineté alimentaire se sont ainsi succédées : le Sommet mondial de l’alimentation de Rome de 1996, au cours duquel La Via Campesina (LVC) a lancé le programme de souveraineté alimentaire et pendant lequel a été constitué le Comité international de planification pour la souveraineté alimentaire (IPC) ; le Forum Nyéléni de 2007, au cours duquel les mouvements sociaux se sont rassemblés pour convenir d’un programme commun pour la souveraineté alimentaire ; et le Forum Nyéléni de 2015 où une définition commune de l’agroécologie a été convenue pour la proposer aux Nations Unies. Le mouvement pour la souveraineté alimentaire, par le biais de l’IPC, appelle donc à la tenue d’un nouveau sommet mondial qui permettra au programme pour la souveraineté alimentaire de faire la jonction avec les autres mouvements convergents qui luttent pour une justice climatique et un changement de système.

Ce système, susceptible de proposer des alternatives réelles au système alimentaire et économique actuel, existe en réalité déjà aux niveaux local et international, grâce à l’agroécologie et à un modèle économique qui inclut des marchés territoriaux, des relations directes entre producteurs et consommateurs, des coopératives, des dispositifs et des politiques à gouvernance communautaire participative.

Sous les feux de la rampe 2

Communiquer pour alimenter : l’urgence d’informer sur la souveraineté alimentaire

Pour exercer ses droits, il faut d’abord les connaître. Une communication alternative, populaire, basée sur la communauté, est indispensable pour diffuser la connaissance des droits. Elle implique en effet que les organisations et les mouvements sociaux élaborent des messages qui renforcent leurs histoires propres, sans impliquer d’intermédiaires ; qu’ils puissent communiquer au sujet de leurs luttes, de leurs demandes, de leurs plaintes, de leurs idées et de leurs propositions pour une vie digne, y compris en matière de justice sociale, environnementale, économique et de genre, directement à partir des communautés.

Face aux moyens de communications que monopolise l’agrobusiness, qui investit des millions de dollars dans la publicité pour se laver les mains de toute culpabilité et pour « verdir » ses projets d’extraction qui polluent les sols et les eaux – la communication populaire se fait une place.

Grâce à des blogs, des messages sur les réseaux sociaux et des vidéos en ligne, les organisations sociales, environnementales, féministes, paysannes, autochtones et afro font l’expérience d’une explosion sans précédent de l’appropriation médiatique, qui font de ces nouvelles technologies leurs meilleures alliées.

Cette nouvelle ère inaugure une collaboration entre différentes organisations pour élaborer de nouveaux canaux de communication et leurs propres médias. Cette unité dans la diversité, que nous promouvons afin de faire avancer un programme politique commun, trouve sa place sur ces plateformes transmédiatiques, où l’hégémonie des médias classiques peut être remise en cause. En outre, il existe des personnes qui aspirent à se sentir représentées par ces moyens modernes de communication que nous avons construit depuis la base et à partir de l’aile gauche du champ politique. Elles y trouvent une inspiration et une cause qui les touche.

Grâce aux messages liés au développement et à la pratique de la souveraineté alimentaire, qu’il s’agisse d’articles, de posts, de rapports, de reportages photo ou de podcasts, il est nécessaire de continuer à partager des histoires qui illustrent les projets émancipateurs qui ont lieu tout autour du monde et qui sont confrontés à des persécutions politiques, à la militarisation des terres et à l’imposition de technologies agroindustrielles incorrectement étiquetées comme « durables ».

Dans ce monde capitaliste et patriarcal, les femmes sont celles qui souffrent le plus de la faim et seulement 13 % d’entre elles possèdent leur propre terre. Paradoxalement, elles sont à l’origine de 60 % de la production alimentaire mondiale. Les récits sur la souveraineté alimentaire doivent mettre les femmes au premier plan, montrer leur travail et amplifier leurs voix en tant que sujets politiques de l’agroécologie.

Communiquer autour de la souveraineté alimentaire, expliquer pourquoi il est important de la défendre et de la développer localement, nécessite d’intégrer la stratégie des mouvements pour la souveraineté alimentaire. Ils constituent un élément pivot de la démarche, pas un à-côté.

Bulletin n° 42 – Éditorial

Nyéléni a dix ans – Et bien des choses à fêter !

Illustration – Francisco Daniel, MST de Brasil, www.facebook.com/fcodam/

Il y a dix ans, des mouvements de paysan·ne·s, pêcheur·se·s, berger·e·s, femmes, migrants·e·, travailleur·se·s, jeunes et peuples autochtones ont semé une graine pleine d’avenir pour la défense de la souveraineté alimentaire et le droit à l’alimentation : le bulletin Nyéleni. Pendant la période de germination, nous nous sommes confrontés à des défis, nous avons partagé nos expériences, nos réflexions et nos actions d’unification. Nous nous sommes aussi largement inquiétés de la façon dont le capitalisme d’extraction, l’autoritarisme et l’agrobusiness s’accaparaient la terre et des territoires en toute impunité, mettant des vies en danger, alors même que les gouvernements continuaient de favoriser les entreprises et les systèmes alimentaires industriels par leurs politiques, leurs règlementations et leurs législations. Pour couronner le tout, la pandémie de la COVID-19 est venue réaffirmer le rôle fondamental joué par ceux·lles qui nourrissent les communautés de manière saine, équitable et durable.

Nous avons malgré tout de nombreuses choses à célébrer. Ce bulletin est un instrument de solidarité, d’échange, de formation et de communication incomparable à destination des organisations qui luttent pour mettre fin au système alimentaire industriel et pour le remplacer par la souveraineté alimentaire. Aujourd’hui, nous applaudissons les différentes législations qui promeuvent la souveraineté alimentaire : la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones et la Déclaration des Nations Unies sur les droits des paysans et des personnes travaillant dans les zones rurales. Nous nous réjouissons de la large diffusion de l’agroécologie, des milliers d’écoles créées et de la lutte constante pour les semences paysannes que détiennent les petits producteur·rice·s.

Ce bulletin est donc l’occasion de faire la fête, de chérir notre mémoire collective et de cueillir les fruits de notre travail, parce que nous sommes la voix de l’espoir dont le chant s’élève toujours plus fort !

Le comité éditorial du bulletin Nyéléni
au nom du mouvement international pour la souveraineté alimentaire (par ordre alphabétique) :

Erik Hazard, Food First
Margaret Nakato Lubyayi, WFF
Martín Drago, Friends of the Earth International
Million Belay Ali, AFSA
Nadine Nembhard, WFFP
Ramón Vera Herrera, GRAIN
Shalmali Guttal, Focus on the Global South
Sofia Monsalve, FIAN
Viviana Rojas Flores, La Via Campesina
Le secrétariat du Comité international de planification pour la souveraineté alimentaire (CIP)

Sous les feux de la rampe

Sous les feux de la rampe 1

De la réforme agraire aux droits des peuples sur les territoires : un bref historique des luttes populaires pour les ressources naturelles

La lutte pour la terre a été un pilier du mouvement pour la souveraineté alimentaire depuis ses débuts dans les années 1990. A cette époque, dans les différentes régions du monde, les organisations paysannes et les paysans sans terre se mobilisaient contre l’extrême concentration des terres et les grandes exploitations agricoles (appelées parfois latifundios) héritées souvent de l’époque coloniales [Dans plusieurs pays, les luttes sociales de la deuxième moitié du 20 ème siècle ont englobé cette organisation contre la concentration des terres et les revendications pour une redistribution des terres. Plusieurs mouvements révolutionnaires en Asie par exemple, même après la décolonisation, se centraient sur la terre.]. En 1999, La Via Campesina a lancé une campagne mondiale pour la Réforme Agraire (GCAR) afin d’impulser des politiques de distribution des terres basées sur les droits humains et s’opposer aux approches qui soutiennent que les marchés sont le meilleur moyen d’attribuer les terres aux usager les plus « efficients » et les plus rentables. Les revendications des mouvements paysans pour une reforme agraire globale ont été soutenues internationalement et se sont concrétisées dans la déclaration finale de la Conférence Internationale sur la Réforme Agraire et le Développement Rural (ICCARD pour su abréviation en anglais) en 2006.

A la fin des années 2000, deux faits importants ont changé le contexte des luttes pour la terre. Premièrement, le mouvement pour la souveraineté alimentaire s’est réuni lors du Forum Mondial pour la Souveraineté Alimentaire à Sélingué( Mali). Différents groupes de petits producteurs alimentaires comme des peuples autochtones, des éleveurs, des pêcheurs artisanaux, ont participé à cette rencontre historique. Ces organisations avaient des histoires et des préoccupations différentes de certaines organisations paysannes et ne centraient pas nécessairement leurs revendications sur une réforme agraire. La notion de « territoires » a alors émergé des débats comme une notion plus holistique englobant à la fois la relation étroite et multiple que les différentes communautés ont avec leur environnement naturel et incluant les terres agricoles, l’eau, la pêche, les parcours et les forêts.

Deuxièmement, les prix alimentaires et les crises financières qui ont débuté en 2008 ont provoqué une nouvelle vague d’accaparement de la terre, qui visait aussi des régions qui, jusque là, n’avaient pas connu de tels niveaux de concentration des terres (par exemple en Afrique de l’Ouest). Cette nouvelle ruée vers la terre a suscité une résistance farouche des communautés et des organisations de petits producteurs alimentaires pour défendre leurs territoires y compris leurs régimes fonciers collectifs et coutumiers.

En 2011, des organisations de par le monde se sont rassemblées à Sélingué pour une Conférence Paysanne Internationale pour Stopper l’Accaparement des Terres. Ceci a marqué un moment important dans la constitution d’un mouvement mondial contre l’accaparement des terres construit sur les revendications d’une réforme agraire mais qui reconnaît aussi davantage les revendications des mouvements et des groupes qui ne se reconnaissaient pas vraiment dans le langage de la réforme agraire. En 2016, les mouvements sociaux et leurs alliés se sont réunis pour une Conférence Internationale sur la Réforme Agraire à Marabá, Brésil au cours de laquelle ils ont adopté le concept de Réforme Agraire Populaire, initié par La Via Campesina Brésil et qui intègre les revendications de distribution de terres dans des politiques plus globales pour transformer l’économie et la société y incluant spécifiquement les travailleurs urbains.

L’accaparement mondial des terres a remis le sujet au top de l’agenda international. Cela a notamment encouragé la FAO (Organisation pour l’Alimentation et l’Agriculture des Nations Unies) à élaborer un document de référence international sur la gouvernance des ressources naturelles. Les organisations de petits producteurs alimentaires rassemblés au sein du Comité de Planning International pour la Souveraineté Alimentaire (CIP) ont mené la participation de la société civile dans les négociations qui eurent lieu au Comité pour la Sécurité Alimentaire Mondiale (CFS). Les Lignes directrices pour une Gouvernance Responsable des Terres, des Pêches et des Forêts (Directives foncières) ont été adoptées en 2012. S’appuyant sur ICARRD, elles clarifient les obligations des états à respecter, protéger et garantir tous droits fonciers légitimes -qu’ils soient reconnus légalement ou pas – en accordant la priorité aux groupes les plus marginaux. Elles comprennent des mesures pour la protection des systèmes fonciers coutumiers de même que pour la restitution et la redistribution [Pour les Directives Foncières: Le Groupe de Travail CIP Terre et Territoire a développé un Manuel pour aider les organisations de base à utiliser cet instrument international]. Les Directives foncières ont été complétées en 2014 par des Directives pour sécuriser la pêche durable à petite échelle, qui mettent aussi l’accent sur la dimension collective des droits de plusieurs communautés.

Ces directives internationales ont donné l’occasion aux organisations sociales d’avancer dans leurs luttes aux niveaux local, national et régional.
Elles ont mené à des avancées importantes dans plusieurs pays et ont contribué à une reconnaissance internationale explicite du droit humain à la terre pour les populations rurales. Ceci a été finalisé avec l’adoption de la Déclaration des Nations Unies sur les Droits des Paysans et des travailleurs en zones rurales en 2018 [Voir en particulier les articles 5 et 17] qui complète la Déclaration des Nations Unies sur les Droits des Peuples Autochtones et la Convention n° 169 de l’Organisation Internationale du Travail. Cependant les Directives Foncières ont aussi été adoptées par des acteurs qui considèrent tout d’abord la terre et les ressources naturelles connexes comme un actif économique et financier mondialisé. Dans un tel cadre, « garantir les droits fonciers » ou« la sécurité d’occupation » signifie en clair donner des droits de propriété exclusifs, habituellement sous forme de titres fonciers individuels. La Coalition Internationale pour la Terre (ILC, pour su abréviation en anglais) est une des manifestations les plus emblématiques de cette approche, qui considère comme nécessaires les projets d’investissements liés à la terre tout en reconnaissant qu’il faut limiter les effets négatifs sur les populations locales. C’est dans un tel cadre que la terre a été intégrée dans l’Agenda 2030 pour un Développement Durable et dans les Objectifs de Développement Durable (SDGs pour su abréviation en anglais).

Sous les feux de la rampe 2

Terre et territoires au jour d’aujourd’hui : nouveaux défis et luttes plus larges

Au même moment où la terre et les ressources naturelles ont été mises à l’agenda mondial comme questions cruciales, la dépossession des communautés et des populations a atteint de nouveaux sommets. Aujourd’hui, les mouvements sociaux de lutte pour des territoires doivent faire face à un contexte nouveau marqué par un certain nombre de développements :

Financiarisation : La crise financière qui a démarré en 2008/09 a mis en évidence le pouvoir énorme du capital financier et ce qu’il entraine comme dépossession et destruction des moyens de subsistance pour les communautés de par le monde. Les offres foncières et d’autres types de projets « d’investissement » (agriculture extensive, infrastructure, etc.) sont gérés via des sites d’investissement opaque, des paradis fiscaux et des centres offshore. De nouveaux instruments financiers comme les dérivatifs facilitent de nouvelles formes d’enrichissement et de spéculation par les entreprises et les acteurs financiers [[Pour plus d’information (en anglais)]. Alors que la financiarisation a entrainé des nouveaux niveaux de contrôle sur les territoires des peuples, concentrés dans les mains de quelques acteurs puissants – par exemple, l’entreprise d’agrobusiness Olam basée à Singapour qui possède et gère plus de 3 millions d’hectares de terres et de forêts de par le monde -, cela met en défi les revendications traditionnelles pour une réforme agraire, comme l’appel pour la distribution des terres non utilisées.
Ceci est du au fait que la valeur de la terre comme actif financier est détaché de son usage et la terre qui n’est pas cultivée est utilisée d’une autre manière pour générer des retours financiers. Ceci vaut aussi pour les forêts et les océans qui ont été transformés en actifs dans différents scénarios pour atténuer les changements climatiques et ce, sous l’appellation d’économie « verte » ou « bleue ».
La financiarisation implique que le contrôle effectif sur la terre et les autres ressources naturelles passe de plus en plus aux mains d’acteurs financiers qui ne sont pas nécessairement visibles pour les communautés et les populations concernées. Ceci inclut les fonds de pension, les fonds d’investissement, les banques, les compagnies d’assurances et les sociétés de gestion d’actifs comme BlackRock, la plus grande société financière au monde. Les luttes pour la terre et les territoires impliquent donc aussi de questionner la justice financière et de lutter contre l’évasion fiscale, pour la fermeture des paradis fiscaux et pour en finir avec les flux financiers illicites.

Numérisation : les technologies numériques joue un rôle crucial pour transformer la terre, les pêches et les forêts en actifs mondialisés et constitue donc un élément clé de la financiarisation. La numérisation est encouragée par les gouvernements, les institutions internationales et le monde des entreprises comme une nouvelle « solution miracle » qui rendrait plus efficiente la gouvernance des ressources naturelles et assurerait la sécurité foncière pour les communautés. Alors que le mouvement pour la souveraineté alimentaire et les organisations de petits producteurs alimentaires doivent encore discuter jusqu’à quel point les technologies numériques peuvent être utilisées d’une manière émancipatrice, il est clair que l’agenda de numérisation conduit par les entreprises perpétue des inégalités structurelles et des déséquilibres de pouvoir [Pour plus d’information, voir svp la Nyéléni Newsletter n° 37 sur « La numérisation du système alimentaire »].

Montée de l’autoritarisme et crise de la démocratie : les mouvements sociaux et les luttes des peuples autochtones sont de plus en plus coincés entre des régimes autoritaires, racistes ou chauvinistes qui cherchent d’un côté, à récupérer les revendications de terre pour leurs propres objectifs et de l’autre, des mains-mises d’entreprises sur des espaces de gouvernance. Ces développements ont entraîné un niveau alarmant de détérioration des droits humains et de la démocratie au niveau national et international. En conséquence, les fondamentaux servant de cadre aux revendications et aux campagnes ont changé. Au niveau international, la montée en puissance des entreprises, l’incapacité des institutions des Nations Unies de fournir des conseils utiles et crédibles en temps de crises ainsi que la montée d’un autoritarisme de droite ont entrainé une crise profonde du système multilatéral des Nations Unies, ce qui a de lourdes conséquences pour la mise en œuvre des réalisations citées plus haut [Un exemple en est le Sommet sur les Systèmes Alimentaires planifié pour 2021 et dont le processus conduit par les entreprises, a été dénoncé par 500 organisation de par le monde].

Convergence des luttes agraires et écologiques : la crise écologique profonde du monde actuel et qui se manifeste encore plus fortement dans le réchauffement climatique causé par les humains et dans les pertes dramatiques de la biodiversité, a des implications fortes sur la souveraineté alimentaire. Les mouvements agraires et les luttes pour la terre et les territoires doivent intégrer ces questions d’une manière globale. Une preuve de la pertinence des questions écologiques se trouve dans le fait que les discussions concernant la terre se sont déplacées des espaces traditionnels de gouvernance de terre pour être abordées de plus en plus dans d’autres forums comme ceux en lien avec le changement climatique, la biodiversité, la dégradation des terres et des sols etc. [Ceci s’est passé en même temps que la FAO a abandonné largement son rôle de leader sur les questions agraires et n’offre pas de stratégie claire pour la mise en œuvre des Directives Foncières en ligne avec l’UNDROP. Ceci a ouvert la porte à ce que d’autres acteurs occupent ce rôle leader comme par exemple la Banque Mondiale et des plateformes de parties prenantes comme l’ILC.] Même si les organisations de petits producteurs alimentaires ont réussi en partie à mettre sur le tapis dans certaines discussions, les Directives Foncières, les Directives SSF et UNDROP, le cadre de ces questions concernant la terre reste très étroit. Certains groupes de la société civile qui ont été actifs sur les plateformes pour le climat et la biodiversité, par exemple, mettent l’accent sur des revendications spécifiques et limitées comme des garanties pour protéger les droits des peuples autochtones ou la formalisation de droits à la terre des communautés. Les organisations de petits producteurs alimentaires luttant pour la souveraineté alimentaire ne sont pas bien représentées (encore) dans ces forums qui sont dominés par des ONG spécialisées et leur « expertise ». Les organisations de petits producteurs alimentaires du CIP se battent actuellement pour une plus grande reconnaissance du rôle des populations rurales comme gardiens des écosystèmes ; ce qui implique qu’elles aient un contrôle effectif sur leurs territoires.

Focus sur le modèle de production : Actuellement, les débats les plus vifs autour de l’alimentation porte sur la nécessaire transformation des systèmes alimentaires et l’agro écologie. A la lumière d’une profonde crise de légitimité du modèle agroindustriel, insoutenable de manière trop évidente, les mouvements sociaux et CSO ont atteint d’importants résultats, spécialement dans le CFS [Le CFS est engagé actuellement dans deux importants processus 1/ la négociation sur des Directives Volontaires pour les Systèmes alimentaires et la Nutrition ; et 2/ le développement de recommandations politiques sur l’Agroécologie et d’autres approches innovantes.] et FAO [Selon deux conférences internationales de la FAO et une série de symposiums régionaux, le Conseil de la FAO (l’organe exécutif de la FAO) a formellement adopté Dix Eléments de l’Agroécologie en Décembre 2019]. La terre et les territoires sont au centre des débats mais ils sont rarement discutés dans ce contexte. De plus, malgré la crise de légitimité de l’agri business, il y a peu de réel changement jusqu’ici. L’agri business a mis en avant l’agriculture climato-intelligente et l’usage de nouvelles technologies (biologique et numérique) comme fausses solutions supposées leur conserver le pouvoir. La pandémie du COVID et les limitations que cela a entrainées pour les mouvements sociaux et les organisations des peuples autochtones en termes de mobilisation, a été utilisée par l’agri business pour étendre son pouvoir dans beaucoup de pays [Parmi les exemples les plus frappants, l’entrée des OGM en Equateur et en Bolivie et la déforestation toujours croissante au Brésil.] et dans le discours dominant internationalement.

La pandémie COVID-19 et les réponses : Bien que la crise causée par la pandémie et les réponses des gouvernements ont mis en évidence les profondes inégalités de nos sociétés et la crise profonde du système alimentaire industriel, les débats et les mesures prises se sont concentrées sur les aspects santé. Malgré le large constat que les activités d’extraction, agri business inclut, sont responsables de la destruction des écosystèmes et que cela entraîne l’émergence de nouveaux agents pathogènes, les réponses internationales et nationales visent le maintien des grandes entreprises et des chaînes de valeur mondiales. Tandis que certaines organisations paysannes faisaient le lien avec la concentration des terres, et évoquaient les reformes redistributives en tant que réponse partielle à la crise, à la récession économique et à l’augmentation des inégalités qui vont suivre [Voir par exemple  » MST’ Plan d Urgence pour la Réforme Agraire Populaire » (en espagnol)], aucune proposition globale n’a été faite encore par le mouvement pour la souveraineté alimentaire sur comment intégrer la terre et les territoires dans l’ordre post-pandémie.

En ce temps de perturbations et de changements majeurs, il est important de raviver et (au moins partiellement) de recentrer les luttes pour la terre et les territoires dans ce nouveau contexte. Cela demandera de s’appuyer sur les « anciennes » stratégies en attendant de trouver de nouvelles voies adaptées aux circonstances actuelles. Ces dernières années, des convergences des luttes émergent : que ce soit pour la souveraineté alimentaire, les droits des femmes ou encore pour la justice environnementale, sociale et financière. Les mouvements et les revendications se connectent de manière nouvelle et pourraient mener à de nouvelles stratégies de pouvoir pour arriver à un changement systémique. Dans plusieurs pays, « l’urgence » COVID a boosté la solidarité et l’organisation locale, en combinant l’aide directe et les actions de soutien avec des revendications politiques pour un réel changement.

Le moment actuel offre l’opportunité d’une profonde réflexion collective orientée vers l’action parce qu’il a démontré plus que jamais les énormes injustices et inégalités du système alimentaire et du système économique. C’est aussi un moment qui permet de reconfigurer les relations de pouvoir qui vont déterminer jusqu’où les mouvements sociaux et la mobilisation des citoyens vont pouvoir faire avancer l’agenda de la souveraineté alimentaire.

Bulletin n° 41 – Éditorial

Au-delà de la terre – Territoire et souveraineté alimentaire

Illustration de Luisa Rivera / www.luisarivera.cl

La terre a toujours été un bien très contesté. Le contrôle des terres et des ressources liées reflète les relations de pouvoir d’une région, d’un pays et constitue un indicateur des injustices sociales existantes. En même temps, ces ressources sont centrales dans la question des droits, des moyens d’existence et de l’identité de petits producteurs alimentaires. Depuis le début, elles ont été au cœur du mouvement pour la souveraineté alimentaire.

Ce numéro de la Nyéléni Newsletter est la seconde édition de cette année consacrée au thème de la terre. D’un point de vue historique, nous examinons l’évolution des luttes liées à la terre dans les dernières décades en commençant par les demandes pour une réforme agraire et aller vers un cadre plus global qui affirme les relations multiples et étroites que les gens et les communautés ont avec leurs territoires.

Malgré les défis persistants dans les luttes des peuples pour la terre, ce numéro célèbre des victoires importantes et démontre l’ingéniosité des communautés de par le monde pour affirmer leurs droits et gérer leurs territoires.
Les organisations sociales trouvent des moyens d’intégrer dans leurs luttes les questions émergentes telles que les défis du changement climatique et des technologies numériques. A la lumière de la numérisation agressive, la financiarisation et l’autoritarisme et au vu du chevauchement croissant des questions agraires et écologiques, nous soulignons la nécessité pour ces mouvements de relancer et recentrer leurs stratégies.

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