Bulletin n° 34 – Éditorial

Migration et souveraineté alimentaire

Ilustration: Banksy NY

Cette édition est dédiée au problème lancinant de la migration et ses implications dans notre lutte pour la souveraineté alimentaire. La soi-disante crise migratoire a pris un tournant pour le pire avec la nouvelle politique anti-migratoire de Trump, séparant de manière inhumaine les familles et emprisonnant des enfants migrants dans des camps de concentration, tout cela alors que des réfugiés tentant d’entrer en Europe continuent de mourir en Méditerranée.

Les Nations Unies ont déclarées que quasi 300 000 personnes ont dû quitter leur terre natale et essaient d’entrer dans des pays qui les rejettent et les criminalisent. Ils sont des gens sans pays.

Beaucoup fuient à cause de la violence des guerres d’occupation, d’autres fuient à cause des désastres de la crise climatique et beaucoup plus encore à cause des inégalités du système capitaliste qui est vorace et sauvage.

Alors qu’une bonne partie de la société est remuée par le drame de la migration, spécialement quand ils voient les images d’enfants noyés dans la Mer Egée ou d’enfants emprisonnés dans des camps de concentration au Texas, il semblerait que personne ne sache quoi faire pour trouver une solution à la migration.

Pour notre part, le Collectif sur les Migrations de la Via Campesina propose de comprendre la migration comme un acte de résistance par ceux qui sont dépossédés.

Quand des être humains laissent leurs familles, leurs communautés et leurs terres, ils remettent en question le système qui les a condamnés à disparaitre en tant que paysans, en tant qu’indigènes, en tant que femmes, en tant que personnes de couleur, en tant que jeunes, comme personne venant d’une autre culture, en tant que communauté et en tant que personne. Donc la migration est un acte de résistance.

En comprenant la migration de cette manière, nous reconnaissons dans la lutte de la Via Campesina le rôle-clé des migrants et leur potentiel en tant qu’acteurs du changement.

Nous espérons que les témoignages, articles et prises de position disponibles dans cette édition de Nyéléni va tous nous aider à comprendre la centralité de la migration dans nos luttes pour atteindre la souveraineté alimentaire de nos peuples.

Collectif sur la Migration de la Via Campesina

Bulletin n° 33 – Éditorial

Les enfants et la souveraineté alimentaire

Nous sommes conscients que la réalisation d’un monde dans lequel la souveraineté alimentaire des peuples sera devenu une réalité exige que – en plus des luttes sociales et des mobilisations populaires – soient menées des discussions approfondies sur les systèmes alimentaires, sur les questions d’accès et de contrôle des ressources naturelles ainsi que des débats politiques et juridiques sur les questions de genre et sur les semences,. Mais il existe un autre élément essentiel dans ces luttes – et dont l’importance est progressivement entrain d’attirer l’attention des différents acteurs des mouvements – c’est le rôle que jouent les enfants dans la réalisation de la souveraineté alimentaire.

L’avenir des luttes pour la réalisation de la souveraineté alimentaire et du droit à l’alimentation dépend de la manière dont nos enfants prendront conscience des défis posés par la façon dont nous produisons notre nourriture mais aussi des questions de “par qui” et “pour qui” l’alimentation est produite. Au lieu de faire comme les grandes entreprises agroalimentaires qui ne considèrent les enfants que comme une niche de marché, il faut prendre conscience que les jeunes générations forment la base de la transformation de nos systèmes alimentaires. Les cas présentés dans la présente édition de notre bulletin vous présentent des exemples à travers le monde de cette implication des jeunes générations dans la lutte pour le droit à l’alimentation.

De nombreux enfant ont également partagé des dessins et des témoignages avec nous, pour nous parler directement de leurs perceptions et de leurs expériences. Ces nombreux dessins, images et témoignages d’enfants d’Équateur, des Philippines, de Colombie ou encore d’Espagne, nous inspirent et apportent de l’espoir dans les nombreuses luttes populaires pour le droit à l’alimentation et à la souveraineté alimentaire.

FIAN International

Bulletin n° 32 – Éditorial

Illustration Alex Nabaum – alexnabaum.com

Poème sur la justice climatique

Oh Oh, la nature est en deuil, l’humanité périt!
Pourquoi? Les saisons ont changé
Elles sont désormais totalement imprévisibles!
Plus chaudes, plus sèches, plus courtes!
Les vents et les orages sont plus violents et plus destructeurs
La Terre Mère est en deuil, la terre est stérile.
Les femmes, les hommes, les enfants, les plantes, les animaux périssent!

Toi, L’agriculture industrielle capitaliste, qu’à tu donc fait?
Partout la Terre Mère s’écroule
Tandis que les graines OGM toxiques et dangereuses gonflent son ventre.
Les machines lourdes écrasent son ventre
Leur plumes sombrent polluant le ciel,
Un bébé, Changement Climatique, est conçu et le voilà parmi nous.

Oh! Que se passe t-il?
Les niches écologiques rétrécissent
La biodiversité disparaît rapidement
Une plus grande incertitude plane partout
Des risques accrus pour nous les producteurs de nourriture
Les savoirs traditionnels en agriculture s’érodent rapidement
Quelles solutions?

Le changement climatique ne connaît pas la paix
Courrant simplement vers la destruction!
La soif des profits le nourrit!
Les phénomènes météorologiques toujours plus extrèmes sont ses fruits!
Les désastres environmentaux et humanitaires!
Inondations, sécheresses, glissements de terrain, maladies!
L’Humanité crie: On a faim!
La Nature s’écrie: inhabitable! inhabitable!

Y a t-il un remède?
Oui, mais nous n’entendons parler que de fausses solutions!
Marchés Libres, REDD, agriculture intelligente face au climat,
Économie verte, agrocarburants, commerce du carbone, accaparement
des terres, agriculture plus industrielle,
Utilisation massive d’herbicides, d’engrais inorganiques
Toujours plus d’OGM!

Oh mon dieu! Toutes ces choses vont enfler le changement climatique!
Pourquoi?
Des profits! Toujours plus de profits! s’écrie le capitalisme, son père.

Mais l’espoir point à l’horizon
La souveraineté alimentaire, notre espoir
qui s’avance pour restaurer la justice sociale pour l’humanité,
La durabilité écologique pour la nature
La biodiversité et la diversité culturelle pour tous les peuples de la Terre Mère!
Peuples soulevez-vous, femmes et hommes, les sans-terres, les
paysans, les fermiers indigènes, les forestiers et les pêcheurs,
Que votre espoir soit entendu dans tous les coins de la terre!

Nous demandons l’agroécologie paysanne pour la Justice Climatique!
Globalisons la lutte! Globalisons l’espoir!

Mouvement Paysan du Zimbabwéen

Bulletin n° 31 – Éditorial

Océans et eau

L’eau est un élément essentiel à la vie et une composante fondamentale de l’environnement humain. C’est aussi une ressource naturelle indispensable à la production de notre alimentation et au maintien du fonctionnement de notre planète. Pour ces raisons, l’eau a toujours été un élément politique central dans les luttes des peuples pour la souveraineté alimentaire.
Cette lettre d’information Nyéléni expose la menace mondiale croissante de privatisation et de marchandisation de l’eau – en particulier celle des océans et des eaux intérieures, qui sont la source de vie de millions de pêcheurs dans le monde entier.

Les communautés de pêcheurs de différentes régions et pays, organisées dans le cadre de luttes mondiales – le Forum mondial des pêcheurs et des travailleurs de la pêche (WFF) et le Forum mondial des populations de pêcheurs (WFFP) – résistent à l’“accaparement des océans et de l’eau”, qui suit la même logique que l’accaparement des terres. Dans le cadre de l’idéologie du “développement” des régions “pauvres” du monde, les États, les institutions financières internationales, les coalitions de sociétés transnationales, les fondations philanthropiques et les ONG environnementales transnationales refusent sévèrement l’accès aux ressources naturelles des communautés de pêcheurs et menacent leurs pratiques de pêche traditionnelles. La soi-disant “croissance bleue” n’a pas grand-chose à voir avec la protection et le respect des droits de l’homme de ces communautés, mais ne fait que maximiser les bénéfices des entreprises privées au détriment de l’accès des populations aux océans et aux eaux intérieures.

Mais les voix du terrain nous montrent comment les petits pêcheurs ont résisté à ce modèle et renforcé leur autonomie par le renforcement des capacités collectives, le travail commun de plaidoyer et l’échange d’expériences basé, par exemple, sur des ateliers et des formations sur les Directives volontaires visant à assurer la durabilité de la pêche artisanale (Directives SSF). Les Directives SSF sont devenues un outil pour les communautés de pêcheurs afin d’amener les Etats à rendre compte des violations des droits de l’homme et les entreprises pour leurs violations des droits des communautés. Les Directives SSF sont également un outil pour discuter du cadre politique avec les autorités locales, nationales, régionales et même internationales. Les femmes pêcheurs jouent un rôle crucial dans ce processus politique, car elles exercent un travail fondamental (essentiellement non rémunéré) dans la dynamique des communautés : elles exercent des activités domestiques, s’occupent de la famille et des enfants et travaillent avec les hommes. Pour les femmes, il est essentiel d’acquérir des connaissances et des compétences pour améliorer leurs moyens d’existence.

Le temps est venu de réaffirmer l’importance cruciale des travailleuses et travailleurs de la pêche eux-mêmes et des communautés pour exercer leur souveraineté et faire en sorte que les États s’acquittent de leurs obligations en matière de droits de la personne, surtout en ce qui concerne la protection de nos océans et de nos eaux intérieures.

Sofia Monsalve, FIAN International

Bulletin n° 30 – Éditorial

Faire progresser le paradigme de la souveraineté alimentaire

Illustration: Angelo Monne | www.angelomonne.org

Nous célébrons cette année le dixième anniversaire de l’inoubliable Forum international pour la souveraineté alimentaire, qui a eu lieu au Mali en 2007. Le forum a rassemblé plus de 500 paysans, pêcheurs, bergers, autochtones, ouvriers, migrants, femmes, jeunes, consommateurs, chercheurs et journalistes en provenance de 80 pays dans le but de construire un mouvement international pour la souveraineté alimentaire. Le Forum a été appelé Nyéléni, en hommage à une légendaire paysanne malienne, source d’inspiration pour tous.

Depuis lors, Nyéléni est devenu un espace de pratique, de rassemblement, de synergie et de forces productives dans le seul but de renforcer les différentes conditions de la souveraineté alimentaire. Ces conditions incluent la défense et la protection des terres, de l’eau, des territoires, des semences et de la biodiversité, la réforme agraire redistributive, la sécurité de l’accès à la terre, aux territoires et aux ressources, l’agroécologie et l’agriculture paysanne durable, la production et la commercialisation coopératives, la résistance à la domination des multinationales, l’accaparement et le contrôle des semences, des terres, de l’eau, des technologies, du savoir, des marchés et des décisions politiques, la résistance à la privatisation, le démantèlement des régimes d’échanges commerciaux néolibéraux, la fin de la criminalisation des communautés en première ligne et des défenseurs des droits, le respect des droits des petits fournisseurs et ouvriers alimentaires.

Le paradigme de la souveraineté alimentaire s’est étendu, à l’instar des menaces qui pèsent contre lui. La convergence des crises climatiques, financières, économiques et énergétiques de ces dix dernières années a déclenché une explosion de projets d’infrastructures à grande échelle, d’exploitation minière, pétrolière, gazière et forestière, de plantations industrielles forestières, de centres de vacances de luxe, de développements immobiliers, de zones économiques spéciales, de fausses solutions climatiques comme REDD+, et enfin de commerce de carbone bleu et de carbone du sol. Les populations rurales sont en train de perdre leurs terres et leurs territoires, et, dans leur tentative de protection des fondations mêmes de leurs vies, elles font face à éternelle une augmentation de la criminalisation, de la violence et de la militarisation.

Les nouveaux accords de libre-échange (ALE) menacent la souveraineté alimentaire de par leurs drastiques réductions tarifaires, leurs règlementations nationales qui suppriment les aides des petits producteurs, et de leurs mécanismes de protection des « droits » des investisseurs qui donnent aux entreprises un libre accès à des secteurs critiques comme les secteurs alimentaire, agricole, commercial, médical et de la santé publique. Les mesures permettant aux multinationales de contrôler la production, l’utilisation, le prix et la commercialisation des semences, de promouvoir le génie génétique, et de breveter des variétés de semences et de plantes (dont beaucoup sont dérivées de matières biopiratées) sont tout aussi dangereuses les unes que les autres. La mégafusion des six multinationales –Bayer et Monsanto, Dow et Dupont, ChemChina et Syngenta– va davantage augmenter leur contrôle sur les semences, les technologies et le matériel agricoles tout en affaiblissant le potentiel productif des petits producteurs à travers le monde.

Cependant, ces menaces sont mises à mal sur de nombreux fronts et niveaux par le mouvement international croissant pour la souveraineté alimentaire. Ces crises récurrentes que subit le monde sont inhérentes au capitalisme, plein de ressource à l’heure de conserver un pouvoir structurel. Tirer sur les ficelles du modèle capitaliste ne peut amener que peu de bien. Ce qu’il faut c’est un profond changement systémique, un changement radical de paradigme, de la compétitivité à la solidarité, de l’extractivisme au respect et de l’exploitation à la dignité. C’est justement ça, le paradigme de la souveraineté alimentaire que le mouvement international présente grâce à des savoirs, des capacités, des ressources et des bases sociales.

ShalmaliGuttal, Focus on the Global South

Bulletin n° 29 – Éditorial

Les ALE et l’agriculture

Illustration: Anthony Freda | www.AnthonyFreda.com

La méfiance et les mobilisations à l’endroit des accords de libre-échange (ALE) prennent de l’ampleur.
Les ALE menacent la souveraineté alimentaire parce qu’ils :
– Anéantissent l’apparition de stratégies publiques visant à soutenir les marchés locaux ;
– Abaissent ou éliminent les tarifs sur les biens importés, ce qui nuit aux petits producteurs qui ne peuvent pas rivaliser avec les importations subventionnées des grandes entreprises agroalimentaires ;
– Harmonisent les normes en matière de sécurité alimentaire, de pesticides, d’OGM et de bien-être animal au bénéfice des entreprises : les normes à minima appliqué es protègent leurs marges bénéficiaires ;
– Remanient les lois sur les brevets, exigeant des pays qu’ils privatisent les plantes et les animaux ; criminalisent les paysans qui sauvegardent et échangent des semences et variétés, endommageant ce faisant la biodiversité des systèmes alimentaires.
– Exigent que les investisseurs étrangers soient mieux traités que les investisseurs nationaux. Les premiers jouissent d’un meilleur accès à la terre et à l’eau, se voient octroyer des droits juridiques qui leur confèrent un pouvoir immense par le biais de systèmes d’arbitrage des différends entre investisseurs et États foncièrement anti-démocratiques.

Les ALE ne sont pas qu’une question de commerce. Il s’agit d’accords détaillés visant à consolider le capitalisme de libre marché, à renforcer le pouvoir des multinationales, de la finance et des gouvernements les plus puissants e pour faire avancer leurs objectifs géopolitiques. Les liens entre les ALE, le changement climatique, la destruction de l’environnement, la violation des droits des peuples autochtones, des travailleurs et des paysans, sont directs. L’élection de Donald Trump et le Brexit reflètent en partie l’indignation du public à l’égard de l’économie de marché, qui s’est cependant traduite par un soutien à un nationalisme pratiquant l’exclusion, la division et le racisme. Nous devons lutter pour un véritable changement systémique, en disant « non aux ALE, au capitalisme de libre-échange mondial », en combattant les politiques racistes et en défendant la terre mère.

Les ALE ne peuvent pas devenir des instruments permettant au peuple d’exercer le pouvoir. Ils doivent être enterrés à jamais et non pas réécrits.


bilaterals.org et GRAIN

Bulletin n° 28 – Éditorial

L’agroécologie à la croisée des chemins

L’agroécologie comme résistance et transformation : la souveraineté alimentaire et la Terre Mère

Illustration : Logo Escuela Campesina Multimedia

Des mouvements sociaux de base jusqu’à la FAO, les gouvernements, les universités et les entreprises, l’agroécologie est soudain à la mode. Mais, tout le monde ne comprend pas l’agroécologie de la même façon. Alors que pendant des années, les institutions et entreprises dominantes ont marginalisé et ridiculisé l’agroécologie, elles tentent aujourd’hui de s’en emparer. Elles veulent prendre ce qui leur est utile dans cette idée, à savoir l’aspect technique, et s’en servir pour perfectionner l’agriculture industrielle tout en se conformant au modèle des monocultures et à la dominance du capital et des entreprises dans les structures de pouvoir. À l’inverse, les mouvements sociaux utilisent l’agroécologie pour remettre en question les structures de pouvoir existantes (comme les monopoles et la concentration foncière), pour résister aux multiples attaques portant atteinte à la vie dans les zones rurales et à notre Terre Mère. Ils s’en servent aussi comme outil favorisant la transformation sociale, économique, culturelle, politique et écologique des communautés et des territoires. Leur agroécologie n’est que technique ; notre agroécologie est politique.

L’agroécologie est devenue un territoire contesté. Au sein de nos mouvements de peuples, il est fondamental que nous développions un consensus sur le sens qu’elle revêt à nos yeux et sur ce que nous défendons. C’est pourquoi, en parallèle de nos actions visant à construire l’agroécologie dans nos territoires, nous avons organisé le Forum international pour l’agroécologie à Nyéléni (Mali), en février 2015, et pourquoi nous avons revendiqué l’agroécologie au niveau des forums récemment organisés par la FAO sur cette thématique à Rome, aux Amériques, en Asie, en Afrique, en Chine et en Europe.

Peter Rosset, La Via Campesina et Martín Drago, Amis de la Terre International

Bulletin n° 27 – Éditorial

Les marchés de petits exploitants

Illustration: Rigel Stuhmiller – www.rigelstuhmiller.com

Dans chaque ville indienne, les vendeurs ambulants poussent leurs chariots d’un quartier à l’autre, proposant à leurs clients des fruits et légumes saisonniers ou pérennes. Sur les côtes, le produit des pêches des petits bateaux sont mis en vente chaque matin et chaque soir et les vendeurs itinérants achêtent le poisson de ces marchés et vont les vendre dans les villages. Les marchés quotidiens de poissons et de fruits de mer sont communs dans les zones côtières dans la région Asie-Pacifique. En Thailande, les marchés sont le meilleur endroit pour trouver les ingrédients traditionnels, les herbes et les épices. Au Cambodge en zone rurale, il est commun de voir le long des routes des étals vendant maïs, gourdes ou autres légumes, fruits de saison, sucre de palme ainsi que viande ou poisson séchés. Des scènes identiques se déroulent tous les jours dans de nombreuses régions du monde à travers des zones climatiques et géographiques variées.

Toutes ces victuailles, crues, cruites ou préservées, sont produites par des petits fermiers locaux, pêcheurs, bergers nomades, éleveurs, producteurs et entrepreneurs—la majorité étant des femmes—à travers différents types de marchés: temporaires, permanents, ambulants, livraisons directes, coopératives, etc. La grande partie de la nourriture consommée dans le monde est produise par des petits exploitants et des travailleurs, et distribués à travers des “marchés territoriaux” qui reflètent la grande diversité de contextes qui caractérisent la production et la distribution de produits alimentaires. Les marchés territoriaux sont une source importante d’emplois et sont un des éléments majeurs de la lutte contre la faim et la pauvreté.

Ces marchés sont de plus en plus menacés par intérêts d’entreprise qui régulent les super- et hypermarchés, l’approvisionnement, les stockage, les certifications, et les systèmes d’innocuité des produits alimentaires. Les entreprises utilisent les accords néo-libéraux de marché et d’investissement, et les systèmes de marchandisation des produits, contrôlant la production, le prix, la distribution et la consommation des produits alimentaires. La protection et le renforcement des marchés de petits producteurs sont des pôles essentiels de la défense de la souveraineté alimentaire, et de la restauration du contrôle sociétal de l’économie.

Shalmali Guttal, Focus on the Global South

Bulletin n° 26 – Éditorial

Réforme agraire et souveraineté alimentaire

Une vague de capital financier déferle de nos jours sur les ressources des régions rurales de la planète. Nous observons dans ce processus une financiarisation des biens ruraux accompagnée d’une (re) capitalisation des projets extractifs capitalistes comme l’agrobusiness. On observe ce phénomène particulièrement dans le cas des monocultures d’exportation, des plantations forestières, des agrocarburants, des compagnies minières et des constructeurs de mégaprojets comme les barrages, les autoroutes et les complexes touristiques. À leur tour, ces projets comportent l’accaparement de terres, la dépossession, les expulsions, les déplacements et les migrations. De plus, nos peuples sont criminalisés, la contestation sociale est étouffée et les médias dénigrent nos mouvements et luttes.

Le capital s’approprie nos territoires. Ainsi, il nous faut répondre en transformant la lutte pour la terre en lutte pour le territoire. Cela exige la création de liens solidaires entre — d’une part — les paysans, les travailleurs agricoles, les peuples autochtones, les bergers nomades, les pêcheurs artisanaux, les peuples forestiers et d’autres collectivités humaines rurales, et — d’autre part — les habitants des milieux urbains, notamment ceux et celles qui vivent en banlieue, et les consommateurs. Cela nécessitera la production d’aliments sains à l’aide de l’agroécologie et du savoir-faire imprégné de traditions populaires que nos ancêtres nous ont transmis. Il nous faut démontrer que la société et la Terre mère se portent mieux lorsque la collectivité contrôle la terre au lieu du capital.

La Via Campesina


« Selon notre cosmovision, nous sommes des êtres qui viennent de la Terre, de l’eau et du maïs. Les Lencas sont des gardiens ancestraux des rivières, lesquelles sont protégées par les esprits de jeunes filles, qui nous enseignent que donner nos vies de différentes façons pour la protection des rivières, c’est donner nos vies pour le bien-être de l’humanité et de cette planète. (…) Réveillons-nous ! Réveillons-nous, humanité ! Nous n’avons plus de temps. Il faut secouer notre conscience pour la libérer du capitalisme rapace, du racisme et du patriarcat qui n’assureront que notre propre autodestruction. »
Berta Cáceres [Dirigeante de COPINH, une organisation hondurienne de défense des droits des peuples autochtones, assassinée le 3 mars 2016 pour avoir lutté pour défendre son peuple, son territoire et son eau.]

Bulletin n° 25 – Éditorial

Barrer la route a la gouvernance industrielle du système alimentaire

Illustration: Daniel Pudles, danielpudles.co.uk

De nos océans et nos côtes, en passant par nos terres et jusqu’au plus profond des minéraux de notre planète, une dangereuse menace plane sur nos relations économiques et politiques actuelles dans le monde entier, il s’agit de l’accaparement de l’espace publique de décision par les entreprises privées. Depuis des décennies, la société civile et les mouvements sociaux se sont battus pour renforcer démocratiquement ces espaces dans le but d’atteindre la souveraineté alimentaire des populations. Seulement, ce processus est aujourd’hui sévèrement ébranlé.

Dans cette Newsletter de Nyéléni, nous élevons notre voix contre le pouvoir grandissant des multinationales et l’impact négatif que ce pouvoir a sur la vie des populations. Nous sommes désormais témoins de la reproduction de relations coloniales, à travers lesquelles des acteurs privés, comme les multinationales, ont affaibli et troublé le rôle des États, notamment dans les espaces de décision intergouvernementaux, l’ONU y compris, et toutes les tentatives d’établir une gouvernance mondiale multipartite sont systématiquement écartées.

L’eau, les semences, la terre, ainsi que d’autres ressources naturelles essentielles, se retrouvent progressivement concentrées dans les mains d’un petit groupe de multinationales. Cette « industrialisation » a été développée dans un contexte d’initiatives mondiales comme la Global Redesign Initiative (GRI), menée par le Forum Économique Mondiale (FEM). Cela représente une privatisation grandissante de la gouvernance du système alimentaire et nutritionnel des populations, et les initiatives basées sur la logique du GRI, comme l’initiative Renforcement de la nutrition (Scaling-up Nutrition, SUN), l’Initiative sur la Pêche Côtière (CFI) ou le Nouvelle Alliance du G8 pour la Sécurité Alimentaire et la Nutrition pour l’Afrique ne sont en aucun cas des solutions satisfaisantes pour les populations.

De telles initiatives sont aussi le signe d’une érosion du rôle des États dans les forums internationaux et, ainsi, de la souveraineté des populations, puisqu’ils placent la spéculation privée au dessus des intérêts publics. Cela conduit à une sorte de « colonialisme industriel », où même la cartographie génétique des semences, comme proposée par DivSeek, apparaît comme une forme de dépossession des paysans.

De surcroît, l’absence de politiques publiques et d’engagement de la part des États face à leur obligations en termes de droits humains a permis aux multinationales de continuer leurs activités en toute impunité. Comme référé dans cette édition, les crimes commis par les multinationales contre les communautés au Nigéria ou la privatisation des villes au Honduras montrent à quel point il est urgent que les États mettent en place une réglementation des activités des multinationales. C’est également pour cette raison que la société civile appelle à la mise en place d’instruments internationaux contraignants, dans le but de pleinement réglementer et sanctionner les activités des multinationales comme première étape à la protection et à la réaffirmation de la souveraineté des peuples dans le monde.

Ensemble, avec l’aide des mouvements sociaux et des organisations de la société civile, nous devons conjuguer nos efforts pour réinventer et reconstruire les espaces de politique publique aux niveaux local, national, régional et international. Les peuples ne pourront exercer leur souveraineté que si ces différentes sphères sont fortement liées.

Sofia Monsalve, FIAN International