L’écho des campagnes 

L’écho des campagnes 1

L’initiative des colis alimentaires : reconstruire des systèmes alimentaires menés par des femmes à Gaza

La plateforme urbaine et périurbaine de Gaza (GUPAP en anglais) et la plateforme urbaine des femmes entreprenant dans l’agriculture (UWAF en anglais), Palestine.

Dans la bande de Gaza, la GUPAP a soutenu la formation de la plateforme urbaine des femmes entreprenant dans l’agriculture (UWAF) en 2019 pour fédérer et donner du pouvoir aux productrices et travailleuses agricoles, et créer un système alimentaire indépendant et résilient pour tous les Palestiniens. Dans le contexte de crise prolongée à Gaza, l’insécurité alimentaire et le manque d’accès à des terres, semences et espèces de qualité, à l’eau et à la mer ont provoqué un déclin de l’autosuffisance, et renforcent l’exposition des communautés locales à la faim. Les stratégies entre GUPAP et UWAF tentent de réduire la dépendance aux marchés internationaux, promouvoir et utiliser ce qui est disponible à proximité, diminuer l’empreinte écologique de la production et distribution alimentaire et reconstruire des exploitations tenues par des femmes.

Parmi les initiatives notables, une collecte de fonds participative pour acheter des aliments locaux à 52 agricultrices ayant perdu leur source de revenus dans les bombardements de mai 2021, et la distribution de nourriture à des femmes dans des situations de vulnérabilité sociale et médicale, grâce aux colis alimentaires contenant des céréales, des produits frais, des conserves et des aliments thérapeutiques. L’initiative était soutenue par des ONG locales et le Ministère de l’Agriculture pour identifier les bénéficiaires, contrôler la qualité des denrées alimentaires et distribuer les colis. 

L’initiative des colis alimentaires était une approche reposant sur la communauté, contrôlée et menée par des femmes. Elle a aidé 52 agricultrices en vendant leurs produits à des prix justes, et 473 femmes et leurs familles en situation de grande vulnérabilité.  C’est bien la preuve que la solidarité entre productrices à petite échelle, entrepreneurs, pouvoirs locaux et population peut être mise à contribution pour élaborer des solutions locales dans le contexte de crise prolongée qui touche Gaza.

Ce témoignage est issu du rapport suivant :  Campagne marketing solidaire pour renforcer la résilience des membres de la UWAD dans la bande de Gaza.

L’écho des campagnes 2

L’agroécologie cubaine et la résilience face aux ouragans

Le Mouvement Agroécologique Paysan A Paysan (MACAC dans ses sigles espagnols) est un mouvement de la base appartenant à l’Association Nationale cubaine de Petits Agriculteurs (ANAP en espagnol), elle-même membre du mouvement international paysan La Vía Campesina. En son sein, les campesinos (agriculteurs paysans) membres de l’ANAP transforment depuis 1997 leurs systèmes de production en appliquant les principes de l’agroécologie.

La résilience révolutionnaire

« Dans une ferme agroécologique, si une chose échoue, une autre réussira.  Nous avons toujours quelque chose à manger. Peu importe ce qu’il se passe. » — Nini, fermier agroécologique et membre de l’ANAP

En raison de la géographie de l’île, Cuba est vulnérable aux déclins de la production agricole en raison de

catastrophes naturelles permanentes. La forte résilience biologique et humaine des systèmes agroécologiques face aux conséquences du changement climatique est sans aucun doute un facteur clé de la réussite du MACAC.

Depuis des années, les agriculteurs cubains ont constaté les avantages de l’agroécologie en cas d’ouragan : les fermes à plus forte intégration d’agroécologie ont moins été affectées lors de ces événements. Cela s’explique en partie par le fait que les systèmes agroécologiques sont moins exposés à l’érosion et aux glissements de terrain car ils appliquent davantage de méthodes de conservation des sols (culture en courbes de niveau, contrôle des ravins, cultures de couverture etc). Moins de cultures sont détruites lorsque plusieurs strates de végétation existent. Outre le fait que les cultures ne sont pas totalement détruites dans les fermes agroécologiques en cas d’ouragan (contrairement aux monocultures conventionnelles), les exploitations à plus forte intégration d’agroécologie se remettent bien plus rapidement.

La hausse des prix de l’alimentation sur le marché international ainsi que ceux des intrants nécessaires à l’agriculture conventionnelle nous pousse à chercher un modèle alternatif qui crée moins de dépendance. L’agroécologie et le MACAC ouvrent la voie vers la souveraineté alimentaire à Cuba : ils garantissent une meilleure résilience face aux aléas climatiques, la restauration des sols abîmés par l’utilisation intensive d’agrochimiques, des aliments sains, tout en représentant un modèle, une source d’idées et d’inspiration pour les autres pays.

Plus d’informations en anglais, here.

L’écho des campagnes 3

De la crise à l’agroécologie

Ferdinand Wafula, Bio Gardening Innovations (BIOGI), Kenya.

Les bouleversements mondiaux poussent les petits exploitants de l’Ouest du Kenya à s’adapter. Comme des milliers d’autres familles à Khwisero, dans le comté de Kakamega, George et Violet changent leurs méthodes agricoles.

George était venu de Nairobi avec sa famille il y a deux ans. Pendant la pandémie, il était peintre et vendait les produits d’une entreprise. En raison du Covid-19 et de la fermeture de nombreuses entreprises, il a perdu son emploi. Une aubaine pour Violet, sa femme, qui voyait en lui de la main-d’œuvre supplémentaire pour cultiver les champs.

Travailler la terre avec sa femme amenait son lot de joies et de difficultés. Le manque de précipitations, des plantations tardives, et la hausse forte des prix des marchandises de base, notamment les intrants agricoles, n’ont pas épargné George.

Le maïs n’était plus une denrée de base. Les récoltes n’étaient plus bonnes. Une famille jeune avec des enfants en bas âge ne pouvait pas vivre avec trois sacs au lieu de six.

Violet a rapidement eu connaissance d’une formation en agriculture respectueuse de la nature, par le biais d’autres exploitants. En 2021, BIOGI l’a formée pour être elle-même formatrice. L’ONG BIOGI, sise à Vihiga, travaille dans le sous-comté de Khwisero à Kakamega.

La diversité des cultures, l’intégration du bétail et la fertilité des sols grâce à des intrants biologiques se sont fait une place sur ses terres fertiles et l’espoir a germé à nouveau. Des cultures locales poussent dans son exploitation, comme des patates douces, du manioc, des légumes verts locaux, des cacahuètes ou encore des bananes.

« Je ne suis plus inquiète à cause des intrants », se réjouit-elle. « Je fabrique des biostimulants et utilise des patates douces et des cacahuètes pour compléter voire remplacer le maïs. »

La famille a très vite adopté les formations de BIOGO et AFSA. Le projet Sols Sains, Aliments Sains (en anglais Healthy Soils Healthy Food Project) est appliqué dans sa ferme. La famille remercie les soutiens de l’initiative et espère en apprendre davantage grâce à des interactions et des formations à l’avenir.

L’écho des campagnes 4

Comment les petits producteurs au Sri Lanka font-ils face à la crise alimentaire ?

S.M.N. Maheshika Premachandra, Mouvement pour une réforme foncière et agricole (MONLAR en anglais), Sri Lanka.

Alors que le Sri Lanka fait face à la pire crise économique depuis des années, près de 30 % de ses habitants sont en proie à l’insécurité alimentaire, et un habitant sur quatre doit régulièrement se passer d’un repas. Si l’accès aux aliments et donc à un régime alimentaire nutritif est compliqué pour le reste du pays, les petits producteurs ruraux ont réussi à subvenir aux besoins alimentaires de leurs foyers grâce à leurs pratiques agricoles.

Au Sri Lanka, environ 1,65 million de petits producteurs fournissent 80 % de la production alimentaire totale. Selon les estimations, 40 % des foyers du pays vivent de l’agriculture, 94 % participent à des activités liées aux cultures et 12 % à l’élevage de bétail. Dans les campagnes du pays, les fermiers ont pu nourrir leurs familles, et leurs voisins ont pu partager ou acheter leurs produits frais. Leurs méthodes agricoles n’ont pas été affectées par les pénuries d’engrais ou pesticides chimiques. Au contraire, ils ont su expérimenter et étendre des pratiques agricoles naturelles car la demande en aliments sur les marchés locaux a augmenté et ils avaient une meilleure expérience de l’agriculture sans produits chimiques. Néanmoins, les foyers ruraux et urbains piochent dans leurs économies ou s’endettent pour acheter des produits non-périssables de première nécessité en raison de la hausse des prix sur les marchés.

Pourtant dans le secteur des « grandes exploitations agricoles » comme les plantations de thé ou autres « domaines », plus de la moitié des foyers subissent l’insécurité alimentaire, et ce depuis des années. Ces foyers s’en sortent moins bien que les populations urbaines ou d’autres communautés rurales. La plupart des communautés de l’intérieur du pays ne possèdent pas de terres à cultiver : ils n’auraient même pas assez de place pour faire pousser un petit arbre à piment. Beaucoup de jeunes femmes dans ces foyers situés sur des domaines sont contraintes de chercher des emplois comme femmes de ménage au Moyen-Orient. D’ailleurs au premier trimestre de cette année, une part importante de la migration pour raison professionnelle venait de communautés vivant sur ces domaines.

Encadres

Encadré 1

Des solutions transformatives à la crise alimentaire systémique mondiale

En 2022, une consultation sur le terrain à l’échelle mondiale sur les répercussions de la crise alimentaire, et les propositions qui en ont découlé ont illustré le quotidien des petits producteurs et communautés dans le monde, touchés par la crise alimentaire et architectes des réponses[1]. Le constat était sans appel :

La pauvreté, les prix excessifs fixés par les entreprises et les fournisseurs alimentaires attachés aux marchés signifiaient que même si les aliments étaient disponibles, ils restaient trop chers pour des millions de personnes Les conflits, les guerres et la violence d’état continuent, et la nourriture est utilisée comme arme géopolitique. Les pays et populations les moins émetteurs de gaz à effet de serre ont été les plus touchés par les conséquences du changement climatique. Les événements météorologiques extrêmes et les récoltes perdues ont engendré la perte de moyens de subsistance pour les populations indigènes et les petits producteurs alimentaires. Les inégalités entre les genres persistent, aussi les femmes et la communauté LGBTQI sont particulièrement vulnérables en cas de crises et de pénuries. Des inégalités multiples combinent souvent les discriminations de classe, privilège social, race/ethnie, caste, genre, profession, religion et âge. Le système alimentaire néolibéral en quête de profit pour les entreprises participe à beaucoup de ces problèmes et n’est pas à même de les résoudre.

À la place, les communautés de petits producteurs et des citoyens appartenant à plusieurs groupes marginalisés issus de la base, largement ignorés par l’État dans les réponses aux crises, se sont rassemblés pour trouver leurs propres solutions. En fonction de leurs propres pratiques, plusieurs requêtes ont été formulées.  De manière générale, les réponses politiques doivent adopter une approche complète axée sur le respect des droits humains, en reconnaissant les plus touchés comme titulaires de droits et la responsabilité des gouvernements comme dépositaires de devoirs.

À court terme, les mouvements exigent que l’apport de l’aide alimentaire soutienne les systèmes alimentaires, cultures et initiatives au niveau local. Il ne saurait devenir un autre moyen pour les grandes entreprises pour distribuer des produits hautement transformés. Les petits producteurs doivent recevoir des intrants disponibles localement à l’instar de semences endémiques ou des engrais biologiques pour nourrir leurs communautés. La fiscalité sur les superprofits des entreprises et sur l’extrême richesse est indispensable pour financer les mesures sociales.

À moyen terme, les mouvements exigent des législations pour mettre un terme à la spéculation alimentaire et renforcer les pouvoirs des autorités de régulation du marché et des finances. Ils appellent à la fin de la dette illégitime et rappellent la nécessité de restructurer et annuler les dettes privées et publiques dans les pays en développement. Un moratoire sur l’utilisation et la transformation de marchandises agricoles à usage non-alimentaire, comme les agrocarburants, est indispensable.

À long terme, nous devons sortir de la dépendance aux importations alimentaires et soutenir l’approvisionnement alimentaire national, transformer les systèmes alimentaires grâce à l’agroécologie et parvenir à la souveraineté alimentaire. Cela requiert des systèmes de gouvernance qui garantissent les droits humains et le multilatéralisme démocratique.

Dans les faits, il faut des mesures pour limiter le pouvoir des grandes entreprises. Le commerce et les investissements doivent être réaffectés pour bénéficier aux personnes et aux communautés, et non aux grandes entreprises. Les accords de libre-échange doivent cesser et les accords existants de l’OMC doivent être abrogés.

Les mesures positives qui nous mettront sur la voie pour atteindre ces objectifs à long terme ne manquent pas, par exemple : utiliser efficacement les commandes publiques et les réserves alimentaires, construire les marchés territoriaux, un retour aux semences et espèces indigènes, une réforme agraire intégrale et populaire et un engagement pour appliquer la déclaration des Nations Unies sur les droits des paysans et des autres personnes travaillant dans les zones rurales et la déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. En résumé, nous avons besoin de davantage de contrôle démocratique sur les systèmes alimentaires à tous les niveaux.

Encadré 2

Notre avenir est public !

Entre le 29 novembre et le 2 décembre, plus d’un millier de représentants venus de plus de cent pays, issus de mouvements de la base, des militants, des défenseurs des droits humains, d’organisations pour le développement, des mouvements féministes, des syndicats et autres organisations de la société civile se sont retrouvés en décembre 2022 à Santiago (Chili) et en ligne pour discuter su rôle majeur des services publics dans notre avenir.[2] Des centaines d’organisations dans les domaines de la justice socio-économique et les services publics, de l’éducation et la santé, les soins, l’énergie, l’alimentation, le logement, l’eau, le transport et la protection sociale se sont réunis pour lutter contre les effets néfastes de la commercialisation des services publics, reprendre le contrôle public démocratique et réimaginer une économie véritablement égalitaire et axée sur les droits humains, qui bénéficie aux personnes et à la planète.

Pour la première fois depuis le début du processus il y a 5 ans, l’alimentation s’est invitée dans cette conversation. Puisque l’alimentation ne constitue pas un service public, lors de ce dialogue transsectoriel, nous avons abordé les liens entre les services publics et les politiques publiques nécessaires pour garantir le droit à l’alimentation. De plus, notre dialogue s’est intéressé à ce que nous entendions par le retour au public et comment démocratiser notre économie grâce au renforcement de la transition agroécologique.

Nos conclusions ont rappelé que la nourriture est si essentielle à notre survie et notre bien-être qu’elle doit être au cœur des politiques et services publics. La nourriture est intrinsèquement liée à la santé, aux soins, l’éducation, le travail, le transport, l’eau, le climat, les agences politiques et la démocratie participative.  Elle doit être prioritaire comme droit humain dans le cadre d’une compréhension totale, complexe et interdépendante des droits humains. Doivent y figurer les droits des petits producteurs alimentaires, des travailleurs et des femmes, en incluant les droits collectifs et le droit à la souveraineté alimentaire. Les systèmes alimentaires sont le vecteur de la reproduction perpétuelle des cycles vivants, rendant la santé humaine indissociable de bases écologiques saines pour la Terre Nourricière.

De nombreuses voix se sont élevées pour une union entre secteurs, régions et mouvements afin de définir des stratégies communes et de nouvelles alliances pour parvenir à la souveraineté alimentaire, passer à l’agroécologie dans le monde entier et garantir le respect des droits de tous les acteurs des systèmes alimentaires.  Concrètement, nous avons discuté du rôle de la réforme agraire dans les transitions agroécologiques, l’importance de la dimension des soins dans les systèmes alimentaires, le rôle de l’alimentation dans les commandes publiques pour les institutions publiques (écoles, hôpitaux, prisons etc) et le besoin de renforcer et mieux coordonner les campagnes existantes contre les agrotoxiques.


[1] Plus d’informations et rapport complet ici.

[2] À lire : « Notre avenir est public : Déclaration de Santiago pour les services publics »

Sous les feux de la rampe

Sous les feux de la rampe 1

Enfermés par les marchés

Le monde est confronté à la troisième crise alimentaire mondiale en 50 ans, qui aggravera considérablement l’insécurité alimentaire et économique pour des centaines de millions de personnes dans le monde. Le rapport récent sur L’état de la sécurité alimentaire et de la nutrition dans le monde (SOFI dans son acronyme anglais) déplore l’échec des efforts mondiaux pour mettre fin à la famine, malnutrition et insécurité alimentaire, en hausse depuis 2014. 

Les dirigeants politiques imputent ce triste constat au ralentissement économique dû à la pandémie de Covid-19, l’accélération du changement climatique, et l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Il ne fait aucun doute que la pandémie a engendré une hausse préoccupante de la faim, l’insécurité alimentaire, la perte d’emplois et de revenus, la pauvreté et des inégalités. Toutefois le rapport SOFI démontre que les niveaux de famine dans le monde étaient déjà hauts avant l’arrivée de la pandémie en 2020.  La guerre entre la Russie et l’Ukraine a bouleversé les exportations de céréales et les chaînes d’approvisionnement dans la région de la mer Noire, entraînant une forte augmentation des prix des céréales, de l’énergie, des engrais et d’autres produits.  Hélas les dirigeants politiques ne semblent pas reconnaître le rôle des marchés des biens de consommation, des géants de l’agrobusiness et des investisseurs financiers dans cette situation de prix volatils de l’alimentation et d’économies vulnérables face aux crises alimentaires récurrentes.

Derrière ces crises fréquentes se trouvent les structures des marchés, les réglementations et des arrangements commerciaux et financiers qui soutiennent un système alimentaire mondial industriel dominé par les grandes entreprises. Ils permettent une concentration verticale et horizontale du marché ainsi que la spéculation financière sur les marchandises. Au cours des dernières décennies, les entreprises financières ont investi dans la production, la transformation, la vente des marchandises, l’agrochimie, les technologies numériques, la logistique (le transport et le stockage) et les accords fonciers à grande échelle. De plus en plus, nous les retrouvons derrière l’accaparement des terres, de l’eau et des ressources, et la spoliation dans les campagnes.

Selon Michael Fakhri, Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à l’alimentation : « les prix de l’alimentation grimpent en flèche non pas à cause d’un problème d’offre et de demande, mais en raison de la spéculation sur les prix des marchandises sur de futurs marchés. » 

Chaque État a répondu différemment à la crise selon les réserves alimentaires, les capacités de production, les niveaux de dette et le pouvoir d’achat. Les pays à faibles revenus importateurs de leur alimentation sont confrontés à de nombreux défis : endettement élevé, perte de valeur des devises, financement et infrastructure insuffisants pour renforcer la disponibilité d’aliments produits localement. En raison de la guerre, de plus en plus de pays ont réduit leurs exportations pour répondre à leurs besoins nationaux. Si ces mesures sont compréhensibles, elles ont participé à la hausse des prix des marchandises agricoles.

Les réponses multilatérales à la crise se sont concentrées sur le fonctionnement des chaînes d’approvisionnement mondiales pour les marchandises agricoles et intrants (notamment les engrais) en levant les interdictions et restrictions sur les exportations et en soutenant d’avantage la libéralisation du commerce et des investissements. Aucune mesure n’a été proposée pour mettre un terme à la spéculation sur les aliments, réglementer les marchés alimentaires et reprendre les marchés alimentaires des mains des grandes entreprises.

Pour en savoir plus :

FAO, FIDA, UNICEF, PAM et OMS. 2021. L’État de la sécurité alimentaire et de la nutrition dans le monde 2021. Transformer les systèmes alimentaires pour une alimentation saine et abordable. Rome : FAO.

FAO, FIDA, UNICEF, PAM et OMS. 2022. L’État de la sécurité alimentaire et de la nutrition dans le monde 2022. Réorienter les politiques alimentaires et agricoles pour rendre l’alimentation saine plus abordable . Rome : FAO.

Réunion du Conseil de sécurité des Nations Unies en formule Arria sur les conflits et la faim Michael Fakhri, Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à l’alimentation, 21 avril 2022, en anglais.

La crise alimentaire mondiale, cette époque, en anglais

La chaîne de valeur mondiale est-elle en train de rompre ? , en anglais.

Le multilatéralisme partisan des grandes entreprises et l’insécurité alimentaire, en anglais.

Sous les feux de la rampe 2

Cinq solutions réelles à la crise alimentaire en Afrique

Lorsque les premiers Européens ont foulé le sol africain, ils ont fait germer la crise alimentaire. Des dizaines de millions d’Africains ont été emmenées dans les Caraïbes pour transformer des biens de consommation, surtout du sucre. Avant l’arrivée des Européens, l’Afrique disposait d’un système socio-économique et alimentaire prospère et bien géré. Avec la colonisation, la priorité est devenue l’extraction de matières premières en Afrique pour alimenter l’industrialisation de l’Europe. L’Afrique s’est vue réduite à produire quelques marchandises destinées à l’exportation, empêchant ainsi la diversification des systèmes agricoles, vectrice du développement local et des marchés régionaux. Depuis l’indépendance des États, les mécanismes internes et pour l’organisation autonome et la croissance ont été entravés par la dette résultant d’investissements centrés sur les donateurs, les programmes d’ajustements structurels du FMI et une dépendance croissante aux ressources extérieures, notamment pour l’alimentation.

Le Covid-19 et la guerre entre la Russie et l’Ukraine ont exacerbé la crise alimentaire en Afrique. Les prix de l’alimentation, des intrants agricoles et de l’énergie ont grimpé en flèche. Comment l’Afrique sortira-t-elle de l’ornière ? Comment l’Afrique réussira-t-elle à produire assez d’aliments nutritifs et sains tout en assurant sa culture alimentaire et la justice du système alimentaire sans conséquences néfastes sur l’environnement ?

Au-delà des discours

Il nous faut mettre un terme aux discours de révolution verte, où le système alimentaire africain n’est vu que sous le prisme de la productivité. Selon cette théorie, la solution se trouverait dans une augmentation de la production d’aliments riches en calories, surtout trois céréales (le maïs, le riz et le blé) grâce à un recours accru aux produits agrochimiques toxiques et aux semences hybrides ou OGM. De vastes terrains reviendraient ainsi à l’agrobusiness. Loin d’améliorer la productivité, cette méthode nuirait à la sécurité alimentaire, à l’environnement, aggraverait les carences alimentaires et menacerait les cultures alimentaires et droits humains. Ça suffit !

Sur la voie de l’agroécologie

Plusieurs rapports de recherche et des déplacements en personne dans des fermes gérées en harmonie avec la nature, en associant les connaissances locales et des technologies de pointe, ont prouvé qu’il était possible de produire plus d’aliments nutritifs sans pour autant nuire à l’environnement. L’agroécologie répond aux nombreuses crises auxquelles l’humain et la planète sont confrontés. Pour éviter la catastrophe, l’Afrique doit se tourner vers l’agroécologie.

Allègement de la dette

Le poids de la dette accentue la faim et entrave considérablement les investissements agricoles en Afrique. Seuls quelques pays ont alloué 10 % de leur PIB à l’agriculture. Trente-trois pays africains sont parmi les pays les moins développés et la majorité est fortement endettée. Les gouvernements africains sombrent dans la dette en raison de la crise climatique et investissent les fonds issus de prêts conditionnels dans de fausses solutions d’adaptation. Les Nations Unies estiment que les pays pourraient débourser 168 milliards de dollars supplémentaires au cours des dix prochaines années pour de tels programmes d’adaptation.  Nous devons militer pour un allègement de la dette et une restructuration.

Une politique alimentaire correcte

Nous appelons une politique alimentaire continentale et nationale ainsi que des systèmes de gouvernance qui mettent la priorité sur une alimentation saine et durable pour toute la population. Ils garantiront des politiques cohérentes et établiront des structures de gouvernance pour la mise en application. Une politique alimentaire correcte place les personnes avant les bénéfices, lutte contre le dumping alimentaire et encourage la culture et consommation d’aliments sains et locaux.

Soutenir les marchés territoriaux et les entrepreneurs agroécologiques

Le territoire africain est rempli de marchés territoriaux. Ces mêmes marchés font figure de centres économiques, culturels et politiques pour de nombreuses petites communautés. Aussi ces centres doivent être prévus pour promouvoir la gastronomie locale et résister aux difficultés. Ces marchés territoriaux ont été essentiels pour de nombreuses communautés rurales durant l’épidémie de Covid-19. De plus, nous devons soutenir les entrepreneurs agroécologiques émergents dans leur quête de solutions pour fournir des aliments sains aux consommateurs et créer des emplois pour des millions de jeunes en Afrique, la plupart du temps des femmes et jeunes filles.

L’héritage colonial et la mainmise des élites sur notre système alimentaire ne disparaîtront pas d’un claquement de doigts. Nous devons organiser et définir notre stratégie, et nous battre pour le changement. Il appartient au mouvement de proposer des solutions, se concentrer sur la transition agroécologique et être efficace. Pour répondre à la crise alimentaire, le mouvement doit valoriser la production et consommation d’aliments locaux.

Seule la souveraineté alimentaire, vectrice d’autosuffisance et de contrôle local, pourra nous aider à éviter la catastrophe alimentaire à venir.

Bulletin n° 51 – Éditorial

Des solutions de la base à la crise alimentaire mondiale

Illustration: Carlos Julio Sánchez pour LVC.

En 2008 de nombreux experts, des paysans aux dirigeants politiques, ont alerté sur la combinaison de crises menaçant le système alimentaire industriel. Nos mouvements tiraient déjà la sonnette d’alarme sur le contrôle croissant des entreprises, la commercialisation de l’alimentation, l’accaparement des ressources, les injustices économiques et la destruction des terres des petits producteurs alimentaires par l’agriculture industrielle à grande échelle, très dépendante des énergies fossiles et autres matériaux d’origine minière. Quinze ans plus tard, nous constatons la récurrence des crises dans le système alimentaire capitaliste. L’intensification des impacts environnementaux, les guerres et conflits autour des ressources, la hausse de la dette ainsi que les injustices et inégalités structurelles exacerbent l’effet de ces crises sur nos populations.

La souveraineté alimentaire reste la réponse à la crise alimentaire. Plus que jamais, nos communautés et États doivent se tourner vers une production alimentaire agroécologique. Dans cette édition, nous détaillerons les connaissances dont nous disposons et les propositions politiques pour parvenir à des solutions. Mais nous devons gagner en puissance pour empêcher les entreprises en quête de minerais et de bénéfices de prendre le contrôle sur notre système alimentaire. La crise alimentaire est l’une des facettes des causes plus profondes des crises simultanées : la destruction de l’environnement, le retour en force du patriarcat et la criminalisation croissante des militants pour les droits dénonçant le capital, qui gangrène tous les aspects de notre vie, de l’alimentation aux engagements sociaux en passant par nos interactions avec la nature.

De nombreux mouvements ont uni leurs forces pour dénoncer les causes de ces crises multiples et interconnectées, et exigent notamment la justice climatique, la fin des énergies fossiles où la responsabilité incombe avant tout aux États développés et pollueurs historiques puis aux consommateurs privilégiés dans le monde entier, l’annulation des dettes illégitimes et déclarer illégaux les investissements commerciaux et régimes fiscaux injustes. Les mouvements féministes nous montrent la voie d’économies reposant sur la vie et les soins, la justice transversale et la construction d’un pouvoir politique. Les mouvements contre le racisme, la colonisation et pour la paix, et tous les pourfendeurs de l’oppression nous proposent des modèles de communautés. Ils nous ramènent à des pratiques d’antan de solidarité entre agriculteurs, femmes, populations indigènes, éleveurs, pêcheurs et travailleurs, et la nécessité d’être solidaires envers les migrants, les réfugiés et les demandeurs d’asile.

Prenant acte du besoin de construire et renforcer nos mouvements à tous les niveaux en partant des plus bas, et à bâtir la cohésion entre les régions et populations victimes d’injustices, nous créons le processus Nyéléni 2021-2025 pour offrir un espace où se réunir. Nous invitons tous les mouvements à nous rejoindre. Pour la souveraineté alimentaire sans attendre !  

AFSA, Focus on the Global South et Les Amis de la Terre International

L’écho des campagnes

L’écho des campagnes 1

Micherline Islanda, Union des petits producteurs de Haïti (Tet Kole Ti Peyizan Ayisyen), Haïti

Les « systèmes alimentaires » désignent toutes les étapes requises pour nourrir une population : la culture, la récolte, l’emballage, le transport, le marketing, la consommation et le recyclage.

L’accès aux terres est très difficile en Haïti et c’est un obstacle majeur à la souveraineté alimentaire. Le système alimentaire industriel prédominant n’est pas durable car il ne produit pas assez d’aliments nourrissants et adaptés culturellement pour tout le monde. De plus, il est nocif pour la planète. L’agriculture industrielle fait partie des plus gros pollueurs et met en péril la survie des générations à venir. 

Pour répondre à ces défis, nous organisons des sessions de formation suivant les causes pour lesquelles LVC lutte. Nous organisons les jeunes et nous retrouvons pour remonter à l’origine de cette hégémonie et exploitation économiques. Nous analysons les actions de l’État ainsi que les entraves structurelles et systémiques qui empêchent les paysans de posséder ou accéder à nos territoires. Nous travaillons aussi sur les sujets de la domination sociale et culturelle, l’accès au crédit, le marketing, la transformation, l’artisanat, la pêche et la pisciculture, le bétail, les baux, l’environnement, les infrastructures, le tourisme, les ressources minières et énergétiques, l’accès à l’eau potable et l’assainissement. Nous étudions les systèmes agroécologiques locaux nécessaires pour parvenir à la souveraineté alimentaire. Nous pratiquons et partageons une production agricole reposant sur des pratiques d’agriculture familiale.

L’écho des campagnes 2

Chengeto Sandra Muzira, Forum des petits agriculteurs biologiques du Zimbabwe (ZIMSOFF),  Zimbabwe

En Afrique, les jeunes paysans organisés au sein de La Via Campesina sont des acteurs incontournables dans la promotion de l’agenda agroécologique. Nous jouons un rôle déterminant dans la sensibilisation et l’information sur l’agroécologie auprès du grand public à travers divers canaux et événements. Malheureusement, le manque de politiques publiques adéquates ou d’aides financières publiques aux jeunes paysans ainsi que l’appropriation croissante des graines des paysans par l’industrie représentent des obstacles majeurs pour la jeunesse zimbabwéenne.

Plusieurs organisations du sud, de l’ouest et de l’est de l’Afrique se sont considérablement engagées pour répondre à ces difficultés en organisant des ateliers de renforcement des capacités dans les pratiques agroécologiques. Les jeunes paysans sont aussi appelés à interpeller les différents ministères de l’agriculture durant la rédaction des politiques et leur mise en application. Les jeunes paysans de nos organisations suivent également des formations sur les dernières avancées technologiques ainsi que sur les débouchés et les menaces. Par exemple, nos ateliers tournaient autour des dangers causés par les OGM sur le continent africain et la numérisation de l’agriculture. 

Des organisations comme Kenya Peasants’ League, le Forum des Agriculteurs de l’est et du sud de l’Afrique (ESAFF) en Ouganda, le Forum des petits agriculteurs biologiques du Zimbabwe (ZIMSOFF), le Mouvement des sans-terre ; les pays d’Afrique occidentale et centrale, l’União Nacional de Camponeses (UNAC) et la Confédération Paysanne du Congo (COPACO) ont continué à étendre le réseau et échanger des connaissances entre jeunes paysans et agriculteurs par le biais de séminaires, conférences et symposiums sur l’agroécologie.

L’écho des campagnes 3

Marlan Ifantri Lase, Serikat Petani Indonésie

La menace d’une crise alimentaire peut être atténuée en Indonésie car à de nombreux égards nous sommes toujours une société agricole forte. Pourtant, l’Indonésie compte sur des importations alimentaires comme le riz, la viande, le blé ou encore le sucre. En raison d’une application continue de la « sécurité alimentaire » comme approche au développement agricole et rural, les importations alimentaires menacent notre société.

Le gouvernement doit accélérer l’application de la réforme agraire et protéger nos marchés locaux, afin de permettre aux producteurs d’aliments de vivre dignement, pour rendre la paysannerie et l’agriculture/production d’aliments attractives pour les jeunes.

Serikat Pateni Indonesia a permis la création de zones pour la souveraineté alimentaire (KDP) sur nos terres et territoires agricoles. KDP représente une zone où nous utilisons les ressources naturelles de manière agroécologique. Nous nous tournons vers l’agroécologie pour produire des aliments en quantités suffisantes, surs, sains, nourrissants et durables pour et par les personnes. Nous soutenons les moyens de subsistance en associant les récoltes aux marchés paysans dynamiques sur nos territoires. Nous promouvons et pratiquons un système économique de coopératives pour garantir des prix justes pour le bien des paysans et des consommateurs locaux.

L’écho des campagnes 4

Vimukti (Anuka) De Silva, Mouvement pour une réforme nationale foncière et agricole, Sri Lanka

L’instabilité économique, politique et sociale dans des sociétés dépendantes de la dette comme le Sri Lanka anéantit les rêves des jeunes. Les jeunes paysans, déjà vulnérables à bien des égards, sont face à un avenir inquiétant. Beaucoup d’entre nous désespèrent et partent vers les villes ou à l’étranger pour occuper des postes dangereux et instables. Les prêts de microfinance ont enfermé les femmes et les familles rurales dans un cercle vicieux d’endettement et d’indignité. Nous avons créé le Mouvement pour une réforme nationale foncière et agricole, et nous ne cessons d’œuvrer pour un processus politique et économique alternatif en mobilisant les jeunes, pour qu’ils fassent valoir leurs droits. Le modèle capitaliste dominant voit les aliments comme une marchandise qui se vend. La production alimentaire au sein du système capitaliste ne répond en aucun cas à la famine. Aussi, nous nous tournons vers l’agroécologie et la souveraineté alimentaire qui sont des véritables solutions pour la société et la chaîne alimentaire.

Encadres

Encadré 1

Les jeunes paysans africains dans la défense de l’agroécologie

Extrait d’une Déclaration de l’articulation des jeunes de La Via Campesina en Afrique du Sud et de l’Est.

Nous, les jeunes paysan·nes, membres de La Via Campesina en Afrique du Sud et de l’Est sommes persuadés que l’agroécologie a la capacité de restaurer les écosystèmes agricoles dégradés, y compris la perte de biodiversité, et de nourrir durablement les populations en pleine expansion de nombreux pays africains. Les systèmes de production agroécologiques sont diversifiés et améliorent la santé et les services des écosystèmes, ce qui rend les écosystèmes plus résistants aux conditions climatiques changeantes, réduit de manière significative les émissions de gaz à effet de serre et s’attaque aux barrières socio-économiques qui perpétuent les injustices et les inégalités dans nos systèmes alimentaires. En outre, l’approche de l’agroécologie paysanne est transversale, contribuant de manière importante à diverses couches et dimensions des contextes sociaux locaux.

Nous sommes aussi persuadés que l’agroécologie est le meilleur moyen de s’adapter au changement climatique et d’en atténuer les effets. Elle utilise des techniques agricoles telles que la diversification des cultures, le labour de conservation, les engrais verts, les engrais naturels, la lutte biologique contre les parasites, la récupération des eaux de pluie et la production de cultures et de bétail dans des conditions qui permettent de stocker le carbone et protéger durablement les biens communs.

Nous demandons aux gouvernements de prendre des mesures concrètes pour mettre en œuvre la Déclaration des Nations Unies sur les droits des paysan·nes et des autres personnes travaillant dans les zones rurales (UNDROP) qui établit des mécanismes pour que les voix des communautés rurales soient entendues et souligne que les petit·es agriculteur·trices, en particulier les jeunes, ont le droit de protéger et de conserver les ressources de production et la capacité de production de leurs terres. Nos gouvernements doivent soutenir la création des conditions permettant de renforcer le développement des compétences des jeunes afin de créer des opportunités éthiques et profitables dans des domaines et les activités qui protègent et restaurent les écosystèmes. Il est impératif de soutenir les exploitations familiales paysannes de toutes les manières possibles, car elles sont des acteurs clés de l’agroécologie et une voie essentielle pour parvenir à la justice climatique. 

Encadré 2

Les jeunes paysans latino-américains dans la défense de la souveraineté alimentaire

Extrait d’une Déclaration des jeunes représentant·es de 11 pays des régions d’Amérique du Sud, d’Amérique centrale, d’Amérique du Nord et des Caraïbes.

Comme dans d’autres secteurs productifs du monde, les impacts de la pandémie de Covid-19 se sont révélés extrêmement négatifs dans le secteur agricole, générant une grande perte économique pour les paysan·nes. Les petits et moyens producteur·rices ont été touché·es, sans même bénéficier de soutien gouvernemental dans certains des pays. Ceci a aggravé la situation créée par le Covid-19 et augmenté la crise sociale, politique, sanitaire et économique.

Nous réaffirmons notre engagement à défendre l’agroécologie comme un principe fondamental dans la lutte pour la souveraineté alimentaire et les droits des paysan·nes. Nous sommes solidaires avec Cuba, Haïti, Porto Rico, le Nicaragua, le Venezuela ou encore la Colombie pour leur résistance face à l’ingérence des pays capitalistes et néolibéraux, où l’agrobusiness et les sociétés transnationales continuent leur assaut de masse. Nous dénonçons la criminalisation des luttes, qui mine la souveraineté et l’autonomie des peuples, qui provoque des déplacements et force à la migration et, dans certains pays, aggrave la pauvreté. Nous demandons que soient garantis le respect de l’égalité des sexes, les droits fondamentaux de l’ensemble de la population et une vie exempte de violence et d’insécurité. Nous demandons que soit garanti le droit universel à la santé, et dénonçons la concentration des vaccins contre le Covid-19, dont le monopole est détenu par les pays riches, violant ainsi le droit à la santé des pays les plus pauvres.

Encadré 3

L’avenir de l’agriculture familiale : Parlons du renouvellement générationnel

Participation du Comité international de planification pour la souveraineté alimentaire (CIP).

L’avenir de l’agriculture familiale, notamment l’agriculture, la pêche et l’élevage, est en péril pour de multiples raisons : les conséquences du changement climatique, la perte des savoirs traditionnels et les effets néfastes de politiques alimentaires qui, à différentes échelles, privilégient les grandes entreprises plutôt que les petits exploitants et les profits plutôt que le droit à l’alimentation. La combinaison de ces facteurs mène à une diminution progressive des petites exploitations, mettant ainsi en danger la sécurité alimentaire mondiale. Dans ce contexte déjà tendu, les difficultés pour assurer un renouvellement générationnel constituent un danger supplémentaire pour l’agriculture familiale.

Selon le Plan d’action global de la Décennie des Nations Unies pour l’agriculture familiale, le « renouvellement générationnel » consiste à « faire en sorte que les jeunes restent dans les exploitations et dans les communautés rurales ». Le plan en fait l’une des principales conditions pour que l’agriculture demeure « viable et durable ». Dans son rapport récent sur l’engagement et l’emploi des jeunes dans les systèmes agricoles et alimentaires, le Groupe d’experts de haut niveau du Comité des Nations Unies de la sécurité alimentaire mondiale évoque la notion de « durabilité générationnelle » et la définit comme « la collaboration intergénérationnelle et l’équilibre changeant et dynamique entre les générations ». Dans le rapport, le renouvellement générationnel est lié au degré de participation des jeunes dans les systèmes alimentaires et notamment : « un équilibre intergénérationnel atteint et nourri avec soin, et un échange multidirectionnel de connaissances propres à chaque génération, des stratégies sur les ressources et moyens de subsistance peuvent favoriser le rôle des jeunes à la tête d’une innovation fructueuse venant de l’intérieur pour les systèmes alimentaires, et pour qu’ils contribuent à des transformations agraires, rurales et urbaines durables. »

Quels sont les obstacles au renouvellement des générations dans l’agriculture familiale ? Et quelles approches, politiques et actions sont nécessaires pour surmonter ces obstacles et assurer la durabilité générationnelle tout en répondant aux besoins et aspirations des différentes générations ?

Entre mai et octobre 2022, le groupe de travail Jeunes du Comité international de planification pour la souveraineté alimentaire (CIP) a mené une consultation mondiale ciblée pour répondre à ces questions. Ce fut l’occasion de donner aux Jeunes et autres membres du CIP du monde entier un espace pour se réunir, discuter de leurs besoins et échanger des idées. Même si l’analyse des résultats n’est pas encore terminée, la consultation a mis en lumière l’existence de nombreuses entraves communes à toutes les régions du CIP. Quelques exemples :

    • La marginalisation des agriculteurs familiaux dans les systèmes alimentaires, notamment à cause d’environnements légaux et juridiques peu favorables.

    • Le manque de services légaux appropriés, qui permettraient des politiques et des infrastructures physiques propices au transfert intergénérationnel des ressources naturelles, des actifs agricoles, des connaissances et compétences, en particulier en dehors du domaine familial.

    • La reproduction des obstacles socioculturels ancrés dans le patriarcat et le colonialisme complique voire empêche l’accès aux droits d’héritage pour les jeunes femmes, les minorités de genre et de sexe, et les jeunes indigènes.

    • La faible rentabilité de l’agriculture familiale rend difficile voire impossible pour les jeunes de vivre de leur activité de paysan/producteur alimentaire.

    • Le déclin de l’attractivité de l’agriculture familiale pour les jeunes en raison de la stigmatisation sociale persistante autour de l’activité de paysan et le manque de respect envers le statut social d’agriculteur familial.

    • Le déclin de l’attractivité de l’agriculture familiale pour les jeunes au vu des difficultés émergentes engendrées par le changement climatique sur la production alimentaire.

    • L’exode croissant des jeunes des campagnes vers les zones urbaines dû au manque d’infrastructures et services appropriés pour répondre aux besoins de la jeunesse rurale d’aujourd’hui.

    • La marginalisation des jeunes dans les espaces de prise de décision à différents niveaux (régional, national, international), rendant ainsi leur participation purement symbolique, les prive de la possibilité d’être protagonistes.

    • Le manque d’espaces adéquats pour permettre que les dialogues intergénérationnels sur le renouvellement des générations soient un processus bilatéral et non un transfert unilatéral des plus anciens vers des plus jeunes.

Lors de la consultation, le groupe de travail Jeunes du CIP a souligné l’importance de continuer à travailler en priorité sur le renouvellement des générations dans l’agriculture familiale. Il a également appelé à poursuivre la collaboration étroite avec d’autres groupes de travail, dans toutes les régions et les circonscriptions, car le sujet concerne tout le monde et pas seulement les jeunes. L’objectif pourrait être d’établir une position commune au sein du CIP et une stratégie internationale pour renforcer le renouvellement des générations dans l’agriculture familiale. Les Jeunes ont également évoqué la nécessité de se servir des résultats de la consultation pour continuer à influencer les actions et le travail de la FAO, en particulier dans le contexte de la DNUAF.

Encadré 4

L’estaca

Dans cette vidéo, les jeunes paysans d’Europe, sous l’égide de la Coordination Européenne de La Via Campesina (ECVC) entonnent la chanson populaire de protestation L’estaca du compositeur catalan Lluís Llach, symbole de la résistance contre le franquisme. La chanson compare le fascisme et toutes les formes d’oppression à un poteau (« l’ estaca ») auquel nous sommes tous enchaînés, mais que nous pouvons faire tomber si nous tirons assez fort tous ensemble. Les paroles ont été traduites dans de nombreuses langues, en faisant ainsi un hymne universel de libération de toute forme de régime autoritaire et oppressif. Elles appellent à l’unité pour parvenir à se libérer.

Chanson originale en catalan :

Pour découvrir la traduction de la chanson en français, cliquez ici.

L’avi Siset[1] em parlava
de bon matí al portal
mentre el sol esperàvem
i els carros vèiem passar.

Siset, que no veus l’estaca
on estem tots lligats?
Si no podem desfer-nos-en
mai no podrem caminar!

Si estirem tots, ella caurà
i molt de temps no pot durar,
segur que tomba, tomba, tomba
ben corcada deu ser ja.

Si jo l’estiro fort per aquí
i tu l’estires fort per allà,
segur que tomba, tomba, tomba,
i ens podrem alliberar.

Però, Siset, fa molt temps ja,
les mans se’m van escorxant,
i quan la força se me’n va
ella és més ampla i més gran.

Ben cert sé que està podrida
però és que, Siset, pesa tant,
que a cops la força m’oblida.
Torna’m a dir el teu cant:

Si estirem tots, ella caurà
i molt de temps no pot durar,
segur que tomba, tomba, tomba
ben corcada deu ser ja.

Si jo l’estiro fort per aquí
i tu l’estires fort per allà,
segur que tomba, tomba, tomba,
i ens podrem alliberar.

L’avi Siset ja no diu res,
mal vent que se l’emportà,
ell qui sap cap a quin indret
i jo a sota el portal.

I mentre passen els nous vailets
estiro el coll per cantar
el darrer cant d’en Siset,
el darrer que em va ensenyar.

Si estirem tots, ella caurà
i molt de temps no pot durar,
segur que tomba, tomba, tomba
ben corcada deu ser ja.

Si jo l’estiro fort per aquí
i tu l’estires fort per allà,
segur que tomba, tomba, tomba,
i ens podrem alliberar.

[1] « Siset » est le surnom de « Narcis ». Il pourrait s’agir là d’une référence à Narcís Llansa, un vieil homme avec qui Lluís Llach allait pêcher lorsqu’il était jeune.

Sous les feux de la rampe

Sous les feux de la rampe

Dérèglements climatiques, Covid-19 et conflits armés ont ébranlé toute l’économie mondiale, et ces crises simultanées affectent la sécurité alimentaire mondiale de manière inédite.

La pandémie de Covid-19 a exacerbé la crise alimentaire mondiale actuelle. En 2020, 3,1 milliards de personnes n’avaient pas les moyens de s’offrir une alimentation saine, et en 2021, près de 2,3 milliards de personnes se trouvaient en situation d’insécurité alimentaire modérée à élevée.

L’indice FAO des prix des produits alimentaires par l’ONU a enregistré des records historiques, c’est la preuve que la crise alimentaire mondiale s’est encore aggravée en mars 2022. En cause, des déséquilibres entre l’offre et la demande en céréales, graines oléagineuses, carburants et engrais engendrés par une série de conflits et guerres géopolitiques.

Pourtant, les causes de l’insécurité alimentaire sont étroitement liées à la pauvreté structurelle et les accords commerciaux injustes entre États. À l’instar des crises des prix des produits alimentaires de 2008 et 2011, la crise actuelle est fortement affectée par la spéculation financière et la volatilité des prix sur les marchés mondiaux.

La Via Campesina (LVC) et nos alliés du mouvement pour la souveraineté alimentaire dans le monde continuent de s’opposer à l’agro-industrie et aux fausses solutions du néolibéralisme. Nous nous mobilisons et nous organisons pour défendre des mesures réelles et populaires pour un grand changement social. Mettons fin à l’OMC ! Rendons le commerce international respectueux des droits des paysans, de l’agroécologie et de la souveraineté alimentaire !

Les jeunes sont les protagonistes de la transformation sociale 

Les jeunes sont des sujets politiques avec un rôle unique à jouer dans l’exercice du contrôle démocratique des systèmes alimentaires. Tout d’abord, les jeunes ont le devoir d’apprendre du passé. Une analyse historique des difficultés sociales, économiques, et environnementales est nécessaire pour coordonner des stratégies efficaces et des actions concrètes pour traiter les causes à la source.

Il incombe également aux jeunes d’analyser le présent avec clarté et précision, avec la perspective de cette génération en particulier en utilisant des notions comme celle de souveraineté alimentaire et des outils comme l’UNDROP[1] dont nous nous sommes dotés grâce aux processus de formation de LVC.

De plus, les jeunes doivent impérativement continuer à chercher des solutions aux problèmes actuels tout en œuvrant pour garantir les droits et le bien-être des générations à venir. 

Les jeunes sont en première ligne de la lutte pour la souveraineté alimentaire. Ils jouent un rôle majeur dans la mobilisation et l’émergence d’un nouveau leadership. Au cours de la dernière décennie, plusieurs membres de notre mouvement pour la souveraineté alimentaire dans le monde, à l’origine de la rencontre de Nyéléni au Mali en 2007 et présents à l’événement, ont rappelé la nécessité que les jeunes paysans et militants reprennent le flambeau et continuent le combat. Ainsi au fil des années, grâce à des espaces comme le Comité international de planification pour la souveraineté alimentaire (CIP) entre autres, nous avons formé un front unifié et créé des plateformes de formation et pédagogiques pour les jeunes du mouvement issus des communautés paysannes, indigènes, de la pêche et de l’élevage.

Grâce à des occasions pleines de sens pour impliquer les jeunes à tous les niveaux de la lutte pour la souveraineté alimentaire, nous sommes de plus en plus intégrés au mouvement. De plus, grâce à nos espaces organisés de manière autonome nous avons pu définir nos priorités politiques et nos propositions d’action.  

Les jeunes exigent des solutions radicales à la crise alimentaire actuelle

Depuis trois décennies, des mouvements sociaux de la base ont accru la pression sur les gouvernements pour une démocratisation politique et économique des systèmes alimentaires et agricoles. Dès le début, nous avons milité pour une participation directe et efficace des organisations paysannes et indigènes dans l’élaboration, la mise en application et le suivi des politiques agricoles et programmes de développement rural.

Des sujets de fond ayant mené à la création du mouvement pour la souveraineté alimentaire mondiale restent d’actualité et sont au premier rang de nos priorités politiques actuelles, à savoir la dette extérieure, le commerce international, la protection de l’environnement mais aussi l’agroécologie, l’égalité des sexes, et les droits des femmes, de la communauté LGBTTQI+ et des paysans. Les jeunes hissent l’étendard de cette cause lors de mobilisations massives, de campagnes de communication et de processus d’éducation politique. Nous progressons également dans les négociations législatives et nos efforts de militantisme au sein des espaces de l’ONU.

Par exemple, entre mai et octobre 2022, les jeunes de LVC ont pris part à des consultations organisées par le Comité international de planification pour la souveraineté alimentaire (CIP) en collaboration avec la FAO et dans le cadre de la Décennie des Nations unies pour l’agriculture familiale (DNUAF). Les consultations régionales se sont intéressées au Pilier 2 de la Décennie[2] concernant des thèmes comme la migration des jeunes, les inégalités des sexes, l’accès aux terres et au marché et le transfert intergénérationnel des ressources de production et des connaissances. Ce processus a permis d’identifier les défis communs et de discuter des approches politiques sur la question du renouvellement générationnel dans l’agriculture paysanne. Ses résultats doivent participer à la mise en application du Plan d’action mondial de la Décennie. Les consultations ont clairement mis en évidence que les besoins en réformes agraires globales et réelles, formation en agroécologie et plans adéquats d’héritage des exploitations sont pressants pour permettre aux jeunes d’avoir un avenir en zone rurale.

En juin, les jeunes se sont mobilisés contre la 12e Conférence ministérielle de l’OMC organisée à Genève. Nous avons contribué aux débats internes pour l’analyse contextuelle de la crise alimentaire mondiale mais aussi pendant des événements publics dans des espaces militants et universitaires. Les jeunes se sont aussi fortement engagés au sein de la délégation restée à Genève pour défendre la cause des droits des paysans auprès du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies. Nous avons organisé et participé à des réunions avec des représentants des États membres afin d’évaluer leur volonté politique de soutenir une future résolution du Conseil pour lancer une procédure spéciale pour la mise en application de l’UNDROP, la Déclaration des Nations Unies sur les Droits des paysans et autres personnes travaillant dans les zones rurales.

Nous avons également été acteurs d’un processus législatif au sein du Comité de la Sécurité Alimentaire Mondiale des Nations Unies (CFS) intitulé « Promouvoir la participation et l’emploi des jeunes dans l’agriculture et les systèmes alimentaires ». Depuis plus de deux ans, nous coordonnons et participons activement au groupe de travail des jeunes du Mécanisme de la Société Civile et des Peuples Autochtones (MSCPA).

Nous avons désormais des possibilités politiques pour organiser au niveau national et pour faire pression sur les États, pour qu’ils appliquent les aspects plutôt positifs du document juridique du CFS, comme les recommandations sur les droits humains, la dignité des moyens de subsistance, les marchés informels, les commandes publiques, l’agriculture urbaine, des politiques transformatrices de genre ainsi que les liens établis entre la DNUAF et les références aux réformes de redistributions dans le cadre des Directives volontaires sur les baux fonciers du CFS.  

La durabilité et l’impact pérennes de notre mouvement collectif pour la souveraineté alimentaire reposent sur la création et l’élargissement de nos alliances avec les secteurs alliés, en unissant nos forces à celles de mouvements urbains et ruraux, et avec des syndicats de travailleurs. Une importance égale doit aussi être accordée à l’organisation de processus qui reposent en grande partie sur des engagements faisant sens et sur la formation des jeunes dans tout le mouvement et dans les secteurs alliés. La continuité, la cohérence et la pertinence actuelle du mouvement pour la souveraineté alimentaire dépendent du renouvellement des générations à travers le renforcement des capacités pour les jeunes, l’ouverture d’un dialogue intergénérationnel et la mobilisation de toutes et tous pour une vraie transformation sociale.

[1]  Déclaration des Nations Unies sur les droits des paysans et des autres personnes travaillant dans les zones rurales (UNDROP en anglais).

[2]  Pilier 2 – Transversal. Soutenir les jeunes et veiller à ce que l’agriculture familiale s’inscrive à travers les générations

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Bulletin n° 50 – Éditorial

Jeunesse et démocratisation des systèmes alimentaires

Illustration: Sophie Holin pour LVC, Instagram: @soph.ieholin

Décembre débute. Une année de plus dans le cycle de la vie touche à sa fin, l’occasion de rechercher espoir et solidarité face à des difficultés immenses. La planète est en proie à la hausse des températures, des événements météorologiques imprévisibles, la pauvreté extrême, la faim, des guerres, des conflits et la violence.

Un système qui a placé les intérêts et les bénéfices d’un petit nombre au profit de la majorité a provoqué cette catastrophe. Le système alimentaire industriel mondial en est la preuve. C’est l’une des plus importantes sources de pollution au monde. Il consomme deux tiers des ressources mais ne peut nourrir qu’un quart de la population mondiale, et est l’origine de pratiques destructrices et polluantes à toutes les étapes de la chaîne d’approvisionnement.

À l’inverse, l’agriculture paysanne nourrit encore actuellement 70 % de la population mondiale tout en assurant des cycles de production, distribution et consommation alimentaires sains et harmonieux.

Le temps est venu de rappeler aux institutions de gouvernance alimentaire et aux gouvernements du monde que pour résoudre la crise alimentaire mondiale, les communautés paysannes, les peuples indigènes, les travailleurs migrants, les travailleurs agricoles, les artisans pêcheurs, les éleveurs et bergers doivent jouir du pouvoir et de l’autonomie pour assurer la souveraineté alimentaire sur nos territoires. Rassemblons-nous derrière les systèmes alimentaires conçus par et pour les personnes, d’une manière agroécologique qui respecte le cycle de la vie sous toutes ses formes. Les conditions disponibles pour que les jeunes et futurs producteurs à petite échelle se lancent dans le processus de production seront aussi un élément déterminant pour la protection et la multiplication de ces systèmes alimentaires divers, décentralisés et résilients. Ce numéro de la newsletter Nyéléni s’intéresse à la démocratisation des systèmes alimentaires des personnes et la nécessité impérieuse de protéger le rôle et l’avenir des jeunes agriculteurs dans ce processus.

L’articulation des jeunes de La Via Campesina

L’écho des campagnes

L’écho des campagnes 1

Fabriquer des aliments ou les produire ? Europe, nouveaux et anciens OGM, une bataille de plus de 30 ans

Antonio Onorati, ECVC, Italia

L’Union européenne, premier exportateur mondial de produits agricoles et premier importateur mondial, possède un système agricole basé sur de petites exploitations, dont 77% ont une taille inférieure à 10 hectares et 69% une taille économique inférieure à 8 000 €. Mais 4 des 6 entreprises qui contrôlent le marché mondial des semences sont européennes, dont la première avec un volume de ventes 3 fois plus important que la seconde. Le pouvoir de marché des entreprises sur le marché des semences – déjà très concentré – augmente lorsqu’on passe du marché des semences conventionnelles à celui des semences OGM, et de celui-ci au marché du contrôle des informations génétiques numérisées (DSI). Dans ce contexte, la stratégie du mouvement paysan, également partagée par de nombreux mouvements environnementaux, ne peut s’articuler que sur plusieurs niveaux. De la mobilisation avec des actions directes de désobéissance, comme le fauchage des champs ensemencés d’OGM – anciens ou nouveaux – à l’action juridique et au recours aux tribunaux, comme l’action à la Cour de justice européenne, qui bloque actuellement toute tentative de ne pas appliquer la législation actuelle sur les “nouveaux” OGM (NGT, produits avec CRISP ou mutagenèse assistée in vitro[1]). Mais aussi la construction d’une législation utile pour protéger le système semencier paysan et empêcher la culture d’ OGM (comme en Italie, pays à l’agriculture “sans OGM” depuis 2000 ou en France).

Il s’agit d’une question purement politique : comment une société veut que sa nourriture soit produite. C’est pourquoi la mobilisation doit se poursuivre.

Plus d’info ici et ici.  

L’écho des campagnes 2

Systèmes semenciers paysans et mise en œuvre des droits des agriculteurs dans la cadre juridique national – Cas du Mali

Alimata Traore, COASP – Mali Comité ouest africain semences paysannes, Mali

Nos semences paysannes sont librement reproductibles et grâce à nos pratiques et savoirs faire, nous les sélectionnons en les ressemant chaque année dans nos champs. Grâce à leur diversité, elles évoluent et s’adaptent à nos besoins, à nos champs, à nos techniques.

Nos semences paysannes sont notre identité, elles sont notre vie.

Nos organisations paysannes ont organisé des espaces d’information et de formation sur les droits des agriculteurs. Après avoir analysé l’état de leur mise en œuvre dans nos lois nationales, nous avons dialogué avec les représentants de notre gouvernement, avec les points focaux TIRPAA (Traité international sur les ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture ) et CDB (Convention sur la diversité biologique).

Ensemble, en 2017, nous avons créé un cadre de concertation national dont le mandat est de faire reconnaitre les systèmes semenciers paysans et les droits des agriculteurs dans les lois nationales et en assurer la mise en œuvre. Placé sous la présidence du ministère de l’agriculture, le secrétariat est assuré par la CNOP (Confédération Nationale des Organisations Paysannes). Les bases de nos propositions étaient les suivantes :

1.  Une définition claire des variétés paysannes (y compris traditionnelles et locales).

2.  La reconnaissance des règles spécifiques qui garantissent la qualité de nos systèmes semenciers paysans, et assurent la protection des connaissances paysannes à travers les droits collectifs définis par la communauté selon ses us et coutumes.

3.  Le droit des paysans et paysannes de vendre leurs semences paysannes sans obligation d’enregistrement au catalogue officiel.

4.  Le droit des paysans et de leurs organisations de participer à la prise de décision avec des mécanismes garantissant la transparence.

5.   le soutien et le renforcement des systèmes semenciers paysans, des  maisons de semences paysanne[2], des fêtes et foires de semences paysannes.

L’écho des campagnes 3

Nous avons besoin de races de bétail pour combattre les pandémies á venir

Tammi Jonas –  Alliance australienne pour la souveraineté alimentaire

Les fermiers australiens produisent 93% de la nourriture que nous mangeons, même en exportant quelques 70% de ce qui est cultivé est exporté, et la perspective d’exportation est cadrée sur un discours moralisateur prétendant que l’agriculture australienne “nourrit le monde”. Toutefois, la réalité est que les exportations sont dirigées non pas aux pays souffrant de large insécurité alimentaire, mais plutôt aux marchés á haute valeur dans les économies développées et aux classes moyennes dans les pays en développement”.[3]

Ce paradigme productiviste a conduit á un déclin constant dans la diversité des races d’élevage en Australie et de manière globale, et dans le Nord Global, 90% du bétail provient de seulement 6 races, dont 20% de races en risque d’extinction.[4] Un déclin dans la diversité des races signifie une perte de bétail adapté aux conditions locales et á la vie en pâturage, mais aussi le danger de créer ce que Rob Wallace appelle “de la nourriture á grippe” – parce que “cultiver de vastes monocultures supprime les freins immunogénétiques qui dans les populations plus diverses coupent les hausses en flèche des transmissions.”[5] L’incidence globale du COVID 19, le Virus Japonais d’Encéphalite plus que jamais répandu en Australie du Sud, et á présent la maladie des pieds et de la bouche comme menace régionale croissante rendent encore plus évident l’urgence de stopper cette diminution de la diversité génétique et arrêter d’élever le bétail dans des conditions malsaines aussi intensives.

En Australie, il existe un mouvement croissant de petits exploitants qui élèvent des races de bétail rares et patrimoniales afin d’inverser cette tendance, collectivisé dans l’alliance Australienne pour la souveraineté alimentaire (AFSA) et soutenu dans leurs efforts de conservation in situ par l’alliance des Races Rares d’Australie. Dans un monde de pandémie, les démarches pour conserver et promouvoir la diversité aux niveaux génétique, des espèces et écosystèmes sauveront littéralement des vies.

L’écho des campagnes 4

Agroécologie, agrosylviculture et gestion communautaire des forets: instruments puissants de défense des droits des peuples, des moyens de subsistance et des biens naturels des forets.[6]

Nuie anak Sumok – Asociación de Residentes de Sungai Bur, Sarawak, Malasia

Connue par ses amitiés comme la Femme Merveille, pour son éthique de travail, Nuie anak Sumok lutte pour sa famille, sa communauté et l’environnement en produisant sur sa parcelle á coté de la route Sungai Buri, au nord-est de Sarawak, en Malaisie.

“Avec le groupe de femmes et l’Association des Résidents de Sungai Buri sur la côte nord-est de Sarawak, nous avons consolidé notre résistance face á l’imposition des monoculture de palmiers á huile au travers de l’agroécologie, l’agrosylviculture et la gestion communautaire des forets. Avec ces pratiques nous avons aussi inversé les dommages provoqués par ces monocultures et la coupe des forets, en défiant le modèle de développement destructeur.

Nous en pouvons pas nous donner el luxe de planter seulement une seule culture, nous devons faire en sorte que cela soit plus bénéfique pour nous. Et personne ne peut nous dire que faire.

Nous avons du piment, de l’ananas, les courgettes, bananes, des espèces forestières natives, du daung long, … et la foret nous donne les semences, les arbres fruitiers, d’autres aliments, de l’eau, du bois, du combustible, un refuge, la biodiversité, le miel, les médicaments et les aliments pour les animaux. Aussi des matériaux pour faire notre artisanat. Nous faisons tout notre possible pour aider la communauté á planter des espèces locales d’arbres.

Avec des organisations sœurs de Marudi, Long Miri et Long Pilah nous établissons un schéma d’échange des semences où différents groupes collectent  des semences de leur localité -merbau, jelayan, rattan, engkabang, meranti- et des arbres fruitiers comme le durian et le langsat, et nos viviers s’enrichissent.

Avec ce travail, nous protégeons nos droits et ceux de toutes les communautés, ainsi que nos moyens de subsistance et les biens naturels des forêts.”

L’écho des campagnes 5

Le IALA á construire et le rôle de l’agroécologie

Aldo González, IALA, Mexico

Aujourd’hui toujours plus de jeunes de communautés indigènes et paysannes ont l’opportunité d’étudier. Beaucoup reçoivent des bourses et sortent de leurs communauté pour aller á l’université, dans la majorité des cas l’idée de progrès entre dans leur tête, la ville leur offre la modernité et beaucoup ne reviennent pas, l’école leur a enlevé leur identité.

Face á ce panorama, nos organisations intégrant la Via Campesina au Mexique prenons la décision de construire l’Institut Agroécologique Latino-Américain (IALA –  Mexique), dans l’intérêt de dépasser une simple formation technique. Depuis le IALA ce qui nous intéresse est de contribuer au renforcement des luttes pour la défense des territoires, de l’identité culturelle et de la souveraineté alimentaire.

Pour nous, l’agroécologie est une façon de faire la vie, basée sur des principes qui parte de la reconnaissance qu’il existe une diversité de territoires qui génèrent une diversité de relations culturelles entre les êtres humains et la nature. Ces soins, d’origine paysanne ancestrale procurent la survie, ils se fondent sur des principes communs  qui doivent prendre en compte des aspects écologiques, culturels et économiques qui respectent la Terre Mère.

Ces relations ont généré des formes d’organisation familiales et communautaires qui nous permettent de survivre. par exemple, la guelaguetza ou guzun qui se pratique entre les Zapotèques de Oaxaca, a ses semblables dans beaucoup de peuples du Mexique et du monde et se base sur al réciprocité pour faire la milpa (comme on appelle le champ agricole au Mexique), construire une maison, faire la fête familiale ou communautaire, etc. Depuis IALA, cela nous intéresse de renforcer ces formes d’organisation.

Nos systèmes de culture, comme l’agriculture itinérante, mal nommée de “sabrage, abattage et brulis” son des manières de faire l’agriculture qui se construisirent dans le passé et qu’il est important de revendiquer depuis l’agroécologie. Le soutien de la vie dans le sol, le recyclage des nutriments, al conservation de l’énergie depuis le local jusqu’au global son des principes que se sont pratiqués dans l’agriculture traditionnelle et que nous continuerons á impulser.

Nous sommes héritiers, héritières, d’une grande biodiversité ainsi que de multiples savoirs associés á elle. toutefois, la science élaborée par nos peuples est disqualifiée par les centres de recherche; malgré cela, il est urgent d’établir un dialogue depuis nos contrées avec la sciences occidentales qui nous permette de combiner pour le bien de l’humanité les savoirs qui nous conservons et ainsi générer de nouvelles connaissances qui se mettent au service des paysannes et paysans du Mexique et du monde.


[1] Plus d’info sur les “nouveaux” OGM ici.

[2] Les maisons de semences d’Afrique de l’ Ouest sont des endroits où on récupère et sélectionne les semences, on rédige des fiches d’identification, on garde les semences, on améliore les techniques de conservation, on échange des pratiques et on donne aussi des formations.

[3] Muir 2014: 5

[4] FAO 2019

[5] Wallace, et al. 2021: 195

[6] Plus d’information ici.

Encadres

Encadré 1

Gestion communautaire des forêts: pratique historique pour transformer et résister [1]

La gestion communautaire des forets (GCF) est une forme de vie et une pratique culturelle et spirituelle – et pour autant historique – développée par les peuples indigènes et les communautés locales pour contrôler politiquement et gérer de manière organisée et planifiée le territoire et ses biens naturels et ressources. Il s’agit d’un processus politique qui, á travers des mécanismes horizontaux dans la prise de décisions, qui incluent la transparence et la responsabilité au reste de la communauté, arrive á la conservation et usage durable de la nature et des bénéfices sociaux, environnementaux, culturels et économiques.

La GCF implique aussi des aspects de technologie appropriée, des connaissances ancestrales et des pratiques communautaires de planification et usage ordonné des ressources, mais va plus loin qu’une simple gestion technique, contrairement á ce qui se passe dans la dite gestion durable des forets (défendue par la science forestière) qui en général détruit les forets et la biodiversité, en favorisant les corporations.

La GCF est étroitement liée á l’agroécologie. Il s’agit  de perspectives amples, intégrales, dynamiques et diverses qui répondent  et s’adaptent aux conditions géographiques, écologiques et culturelles de chaque territoire, ses biens communs et les connaissances traditionnelles associées. Alors que l’agroécologie se centre sur les éléments centraux de l’alimentation, comme les sols, les semences, les biens dont dépendent les peuples cueilleurs et les pêcheurs artisanaux, les eaux et zones de pêche ou de pâturage, entre autres, la GCF dirige ses actions aux autres biens naturels et culturels gérés, utilisés et protégés dans les forets, comme les arbres, les semences forestières, le bois, les fibres, la faune et notamment la santé de l’écosystème.

Dimensionner l’immense quantité de personnes et familles qui pratiquent l’agroécologie dans la cadre de la GCF est pertinent pour réaffirmer l’importance des forets pour le droit á l’alimentation.

Encadré 2

Digitalisation de l’agriculture et des systèmes alimentaires

Nous entendons de plus en plus que la digitalisation de tous les aspects de la vie est un future inévitable que nous devons accepter avec plaisir. Dans la cas de l’agriculture e l’alimentation, on parle de “Chaine alimentaire Digitale” comme étant l’unique option afin de solutionner la faim et les problèmes de climat. La digitalisation, comme ils disent, développera l’agroécologie, renforcera les communautés et promouvra l’indépendance. En réalité, la digitalisation de l’agriculture ouvre la porte á une commodification encore plus extrême de la nature par le même vieil agrobusiness, á présent en ligue avec les géants de la Big Tech. Cela inclut l’utilisation d’outils digitaux dans la conception de nouvelles récoltes transgéniques, la spéculation financière liée au carbone dans les sols agricoles, et “l’intensification durable”.

La digitalisation des systèmes agroalimentaires est définie comme l’application d’outils digitaux, de stratégies et de modèles commerciaux á l’alimentation et l’agriculture.” Mais cette définition apparemment innocente cache le fait que la dépendance croissante aux instruments digitaux de la Big Tech peut exacerber l’extractivisme corporatif et déplacer le travail humain; que  les stratégies digitales sont construites sur le pillage des informations, l’espionnage de communautés et la manipulation des consommateurs; et que les modèles commerciaux digitaux visent en fait á obtenir plus de contrôle de la biodiversité et des systèmes de production et visent la déqualification humaine, á travers l’accaparement des données et les technologies de traitement automatisées et digitales (des robots á l’intelligence artificielle). L’objectif des entreprises est d’avoir le contrôle sur ce qui est cultivé, comment la récolte est traitée et qui la mange, ainsi que sur ce qui est détruit dans le processus.


[1] Article élaboré á partir de la publication des Amis de la Terre International, Gestion communautaire des forêts et agroécologie. Liens et Implications.