Agroécologie dans la pratique

Agroécologie dans la pratique 1

Diffuser l’agroécologie et construire la résistance en faveur de la souveraineté alimentaire

L’école d’agroécologie de Shashe

Le Forum des paysans biologiques du Zimbabwe (ZIMSOFF), membre de La Via Campesina (LVC), dirige une école d’agroécologie à Shashe, où l’échange d’expériences issues de l’agriculture paysanne agroécologique est encouragé par le biais d’un apprentissage horizontal entre paysannes et paysans du Zimbabwe et des pays voisins.

Affiliée au réseau LVC d’écoles d’agroécologie, lequel en compte plus de cinquante dans le monde, l’école de Shashe forme la pierre angulaire de l’élaboration collective de stratégies pour lutter contre la dépendance aux engrais et aux produits agrochimiques, et pour survivre au changement climatique. À Shashe, les paysans mettent en œuvre différentes pratiques agroécologiques pour garantir la souveraineté alimentaire, atténuer le changement climatique et réduire la dépendance aux achats d’intrants agricoles, conservant ainsi le revenu agricole dans les mains de la famille. Ces pratiques incluent, notamment, l’utilisation du fumier, le paillage, un labour de terres minimum, la polyculture, ainsi que l’échange et l’utilisation de semences traditionnelles. De telles pratiques constituent les fondations sur lesquelles bâtir un nouvel avenir pour les paysans, au niveau du ZIMSOFF et aussi partout ailleurs dans le monde. En plus des cultures de végétaux, la plupart des paysans élèvent une large variété d’animaux. Nos systèmes agroécologiques sont conçus pour qu’il n’y ait pas de concurrence entre les animaux d’élevage et les hommes concernant la nourriture, mais que les animaux mangent ce que les hommes ne consomment pas, comme les mauvaises herbes et les insectes.

Les familles paysannes du ZIMSOFF explorent également la transformation, le stockage et la conservation des aliments à l’échelle locale. Il s’agit d’activités capitales non seulement pour diminuer les pertes après récolte mais aussi pour encourager la croissance de petites entreprises locales essentielles à l’emploi des jeunes. Le tournesol ou l’arachide sont ainsi transformés pour fabriquer de l’huile de cuisine ou du beurre de cacahuète, respectivement. À Shashe, les paysans créent un marché local dynamique où écouler leurs produits et renforcent leurs liens avec les consommateurs.

En avril 2016, l’école a accueilli vingt paysans mozambicains venus de la province de Manica pour apprendre et échanger des informations sur les semences paysannes et les luttes contre les politiques qui criminalisent leur production et leurs échanges. Les mauvaises politiques favorisent la commercialisation des semences homologuées et certifiées entre les pays membres et fournissent un cadre politique à la privatisation des ressources génétiques. Ceci constitue une attaque contre les semences paysannes. La lutte contre de telles politiques est un aspect complémentaire clé de l’agroécologie ; nos échanges représentent des actions fondamentales pour organiser la résistance et construire la souveraineté semencière des paysans.

L’expérience de Shashe montre que grâce à l’agroécologie, leurs semences et leurs animaux d’élevage, les paysannes et les paysans sont capables de produire des aliments sains à faible coût, dans le respect de la nature, pour leurs familles et le marché. Plus important encore, l’agroécologie leur offre un milieu dans lequel explorer et modeler leur propre développement durable rural, et tisser de meilleurs liens sociaux reposant sur le respect et l’apprentissage mutuel.

Agroécologie dans la pratique 2

Inverser la Révolution Verte

Réseau de semences créoles et locales d’Uruguay

Pendant des milliers d’années, la production d’aliments pour la consommation humaine provenait de l’utilisation de semences “naturelles” par les peuples autochtones, les paysans et les paysannes, les agriculteurs et les agricultrices, c’est-à-dire que grâce à nos connaissances, capacités et aptitudes, nous avons été capables de domestiquer les espèces sauvages, de les adapter, de les améliorer et surtout de les reproduire en vue de satisfaire nos besoins alimentaires. Il est facile de constater que trois des cultures de base, le maïs en Amérique, le blé en Afrique et le riz en Asie, sont à l’origine et le moyen se subsistance de trois modèles de civilisation.

Ensuite, avec les mouvements migratoires, les semences locales ont été transférées vers d’autres territoires, dans des écosystèmes différents, des conditions climatiques et environnementales distinctes. Or, une fois de plus, ce sont les paysans et les paysannes qui furent capables de les adapter et de les reproduire. Telle est l’origine du concept de “semences dites créoles”, différent de celui de “semences autochtones ou locales” justement du fait de ce processus d’adaptation.
On estime que les êtres humains ont disposé d’environ 6 000 variétés végétales domestiquées et aptes à la consommation. De nos jours, on n’en utilise que 200 dont seulement 12 sont des cultures de base composant notre régime alimentaire.

A partir de la seconde décennie du siècle dernier, les pays dits “centraux” ont imposé partout dans le monde le modèle de la Révolution verte avec leurs paquets technologiques incluant, entre autres, des semences industrielles, des OGM ainsi que les produits agrotoxiques associés. Cependant, cela n’a pas réussi à combattre sérieusement la faim dans le monde et les impacts économiques, sociaux et environnementaux ont été très graves. Pour autant, il est encore possible de freiner et d’inverser la percée de l’agriculture industrielle à grande échelle dominée par l’agrobusiness et une poignée d’énormes transnationales. En Uruguay, par le truchement du Réseau des semence créoles et locales, nous avons fixé la voie à suivre en démontrant que la majeure partie du matériel génétique créole et local est toujours entre les mains des paysans et paysannes, des agriculteurs et agricultrices familiaux. En effet, ils l’ont conservé et utilisé de génération en génération pour alimenter notre peuple.

Il s’agit en fait de la Souveraineté alimentaire et nous sommes tous d’accord que c’est un DROIT. Pour l’exercer, cela n’est pas seulement le devoir des producteurs d’aliments. Tous et toutes, quelle que soit la place que nous occupons dans la société, nous devons nous joindre aux luttes pour le défendre. Nous ne sommes pas seuls, partout dans le monde, des millions de paysans et de paysannes et de nombreuses communautés font de même. Tant qu’il existera une agricultrice ou un agriculteur possédant des semences, luttant pour un lopin de terre afin de les planter et pour de l’eau afin de les arroser, la vie pourra se perpétuer.

Agroécologie dans la pratique 3

Une solution réelle à la crise agraire en Inde

Agriculture naturelle à budget zéro

L’agriculture naturelle à budget zéro (ANBZ) recouvre à la fois un ensemble de pratiques agroécologiques et un mouvement social paysan présent en Inde, surtout dans l’État du Karnataka, où près de 100 000 paysannes et paysans la pratiquent. Ceci a été réalisé sans aucun financement car l’ANBZ suscite le bénévolat parmi ses membres, véritables protagonistes du mouvement. Le mot « budget » fait référence aux crédits et aux dépenses ; donc, l’expression « budget zéro » signifie sans aucun crédit. Le terme « agriculture naturelle », quant à lui, signifie avec la nature. Le mouvement est le fruit de la collaboration entre Subhash Palekar, scientifique agricole qui a rassemblé les pratiques de l’ANBZ en une trousse à outil, et l’Association paysanne de l’État du Karnataka (KRRS), membre de La Via Campesina (LVC).

L’Inde vit actuellement une crise agraire et ses paysans croulent sous les dettes à cause du prix élevé des intrants, du niveau insuffisant des prix du marché et des mauvaises politiques. Au cours des vingt dernières années, plus de 250 000 paysans indiens se sont suicidés. Plusieurs études ont établi un lien entre ces suicides et le niveau d’endettement. Dans de telles conditions, l’ANBZ promet de mettre fin à la dépendance aux prêts et de diminuer les coûts de production de façon radicale. Les paysans qui ont délaissé les monocultures chimiques pour pratiquer l’ANBZ disent produire à présent bien plus, sans quasiment aucune sortie de fonds.

Les pratiques principales de l’ANBZ sont : la jivamruta, une culture microbienne fabriquée à partir d’urine et de bouse de vache, de farine de légumineuse, de sucre de canne non raffiné et d’une poignée de terre ; la bijamruta, un traitement similaire pour les semences ; une utilisation intensive du paillage et des cultures de couverture ; la régulation de l’humidité. Les besoins en eau de l’ANBZ sont inférieurs de plus de moitié à ceux de l’agriculture conventionnelle, ce qui en fait un modèle adapté aux zones arides. Beaucoup d’autres principes interviennent également, comme les cultures intercalaires, l’utilisation de vers de terre locaux, de vaches de race locale, de murs de retenue d’eau et la gestion écologique des nuisibles.

À l’échelle locale, le mouvement est auto-organisé, dynamique et opère de façon informelle. Les liens entre la plupart des paysans pratiquant l’ANBZ sont plutôt souples, chacun réalisant des activités d’échange de paysan à paysan de façon organisée ou spontanée, ainsi que d’autres actions pédagogiques. Les sessions massives et intenses de formation constituent l’activité principale organisée au niveau central et à l’échelle de l’État. Dispensées par Palekar, ces sessions comptent avec la participation de 300 à 5000 paysans et durent jusqu’à cinq jours.

« Dans le système de l’ANBZ, il y a très peu dépenses. Peu importe le niveau de rendement, je dégage toujours un bénéfice car mes coûts sont minimes. En plus, j’ai ajouté les cultures intercalaires, donc je tire mon revenu de plusieurs types de culture et non pas d’un seul. Pour nous, le rendement n’est pas un concept important. » Belgaum, paysan pratiquant l’ANBZ

Agroécologie dans la pratique 4

Construire le mouvement des agricultures soutenues par les citoyens en Europe

Urgenci Europe

Nous construisons le mouvement des agricultures soutenues par les citoyens (ASC) en Europe. Nous œuvrons à développer les piliers communs de la souveraineté alimentaire et de l’économie solidaire.

Face à l’expansion rapide de notre mouvement, il devenait nécessaire de construire un socle commun ; c’est pourquoi nous avons lancé un processus d’un an pour élaborer une déclaration partagée par l’ensemble des membres d’Urgenci dans toute l’Europe. Ceci ne fut pas tâche facile car, comme l’indique un récent recensement européen sur les ASC, ce mouvement compte près d’un million de membres partout en Europe. Si les pays et les membres n’y participèrent pas tous, le processus n’en fut pas moins collectif et participatif dès le départ. L’objectif était d’aboutir à un accord sur qui nous sommes et ce que nous défendons, une sorte de carte d’identité du mouvement pour aider à nous développer et empêcher la récupération du concept d’ASC par les entreprises.

Les systèmes de paniers, les assemblées alimentaires et autres initiatives d’apparence semblable poussent un peu partout et rognent notre marché. Or, aucune de ces initiatives ne présente la caractéristique unique de partage des risques et des avantages que les consommateurs des ASC partagent avec leurs producteurs !

Le processus d’élaboration de la Déclaration européenne des agricultures soutenus par les citoyens a renforcé à la fois la plate-forme européenne des ASC ainsi que les réseaux locaux et nationaux, en encourageant des discussions essentielles sur ce que nous défendons et les modalités pour diffuser cela auprès du plus grand nombre. De plus, il fut aussi un moyen de nourrir la construction d’un mouvement durable pour l’avenir.

Adoptée le 17 septembre, à l’occasion de la troisième réunion européenne des ASC, organisée à Ostrava (République tchèque), la Déclaration offre la meilleure façon de prendre position au nom de notre mouvement, car si nous ne le faisons pas, quelqu’un d’autre le fera !
Depuis lors, elle a été saluée avec enthousiasme en Europe et dans d’autres pays du monde. Elle a été aussi traduite dans plusieurs langues et a permis aux praticiens de l’ASC qui ne sont pas forcément membres d’Urgenci de se rapprocher de nous. S’il est encore un peu tôt pour l’affirmer, la Déclaration semble s’avérer être un outil puissant nous permettant à tous de construire le mouvement. Et nous sommes tous fiers d’avoir participé à ce processus unique !

Vous pouvez consulter la Déclaration ici.

Encadres

Encadré 1

“Le régime de commerce et d’investissement” : un carcan qui empêche le développement de l’agroécologie

Les femmes et les hommes produisant des aliments à petite échelle vont de l’avant, en échangeant des connaissances, des pratiques et des mouvements en faveur de l’agroécologie. Les éléments recueillis sur le terrain indiquent que lorsqu’ils bénéficient d’investissements publics appropriés, ils peuvent aller encore plus loin vers la souveraineté alimentaire en agissant sur l’agroécologie. Mais, les accords actuels de commerce et d’investissement signés par les pays bloquent activement le développement de l’agroécologie.

Ces accords visent à attirer les entreprises de l’agro-industrie et sont conçus pour générer des bénéfices dans l’intérêt de celles-ci. L’ouverture de nouveaux marchés grâce à la libéralisation de l’investissement et du commerce ou le recours aux traités bilatéraux d’investissement (TBI), aux accords de libre-échange (ALE), aux prêts conditionnels et aux conventions d’aide sont autant de moyens permettant d’y parvenir.

Les clauses figurant dans tous ces accords affaiblissent et supplantent la souveraineté des États tout en entravant la capacité des ces derniers à développer ou à protéger leurs économies ainsi que leurs intérêts sur le plan social et environnemental. Parallèlement, ces accords offrent un niveau total de protection et de promotion en faveur des profits générés par les entreprises agro-industrielles aux dépens du bien-être des États et des populations.

Parmi les instruments, citons :
i) le mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États, qui permet aux entreprises d’attaquer les États pour des milliards de dollars devant des tribunaux d’arbitrage secrets au motif que les politiques sociales, économiques ou environnementales mises en œuvre peuvent entraver leurs activités lucratives ;

ii) les politiques de promotion en faveur de l’investissement agro-industriel, telles que les zones sans impôts, les réductions unilatérales de droits de douane, les subventions à la consommation de services (comme l’électricité ou l’eau) ainsi que les subventions à l’embauche et à la formation de travailleurs. Les bailleurs de fonds apportant une aide alimentaire ou au développement insistent souvent sur les politiques favorables à l’agro-industrie ;

iii) les obligations d’accorder aux entreprises étrangères des conditions égales voire meilleures à celles dont bénéficient les entreprises locales ;

iv) l’interdiction des prescriptions de résultats, telles que l’obligation d’embauche la main d’œuvre nationale ou le transfert de technologie.
Mais les mouvements luttant pour la souveraineté alimentaire et la justice économique ripostent !

Pour en savoir plus, consultez le rapport ici.

Encadré 2

La souveraineté alimentaire décolle en Europe de l’Est

Réalisé du 26 au 30 octobre dans la ville de Cluj-Napoca (Roumanie), le second Forum Nyéléni Europe sur la souveraineté alimentaire a rassemblé plus de 500 participants venus de quarante pays d’Europe et d’Asie centrale.

Après cinq jours de discussions, les bases pour récupérer et relocaliser les systèmes alimentaires européens ont été posées grâce à la planification d’actions et de stratégies multiples. Une large diversité d’acteurs étaient présents, dont des femmes et des hommes pratiquant l’agriculture, la pêche artisanale, le pastoralisme, travaillant dans le secteur agricole et alimentaire, issus de peuples autochtones, engagés dans les syndicats, la recherche, le militantisme, les ONG et la défense des droits humains.

Le rapprochement avec des organisations et mouvements d’Europe de l’Est et d’Asie centrale constitue l’une des réalisations majeures du Forum, ce qui a permis de lancer des discussions sur les stratégies collectives à mener sur le plan régional et intensifié la coordination du mouvement pour la souveraineté alimentaire dans la région. La convergence a également reconnu la Déclaration du Forum international pour l’agroécologie (tenu au Mali) comme base à partir de laquelle démultiplier l’agroécologie en Europe pour atteindre la souveraineté alimentaire.

Le processus en amont du Forum avait démarré en décembre 2015, lorsque plusieurs organisations du continent s’étaient réunies à Paris pour discuter de la structure et du fonctionnement d’un nouveau Comité de coordination Nyéléni Europe. Trois mois plus tard, en mars 2016, celui-ci envoyait l’appel à participation au second Forum. Le travail de préparation fut assuré par un coordinateur à temps plein, ainsi que plusieurs groupes de travail en charge du financement et des questions financières, de la création du nouveau site Internet et des bulletins d’information, de la préparation du programme et des contributions des participants au contenu du Forum, sans oublier le travail technique réalisé par COATI veillant à ce qu’un service d’interprétation dans neuf langues avec un groupe de soixante interprètes bénévoles soit fourni.
La grande partie des travaux préparatoires s’est attachée à établir des contacts et à former des délégations dans plusieurs pays où aucune des personnes à l’initiative du processus n’avait de contacts. Le résultat est une liste fonctionnelle de points focaux par pays.

Le Forum marque une étape importante dans la construction d’un mouvement fort pour la souveraineté alimentaire en Europe, surtout en Europe de l’Est, et essentielle pour la dynamique dans les pays du continent où il n’existe aucune plate-forme. Il s’agit également du premier pas réalisé vers la structuration et la visibilité du mouvement grâce à la planification d’actions communes.

Encadré 3

Elaborer des politiques publiques pour l’agroécologie

Le Comité international de la planification pour la Souveraineté alimentaire (CIP) a été impliqué dans le processus de débat sur les politiques publiques pour l’agroécologie, impulsé par l’Organisation des Nations unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO). Dans le cadre de ce processus, la FAO a organisé un symposium international sur l’agroécologie pour la sécurité alimentaire et la nutrition en septembre 2014, où il a été convenu de décentraliser les conversations en réalisant des symposiums à niveau régional. Donc, en 2015, la FAO, le CIP, différents gouvernements et chercheurs, ont organisé des symposiums en Amérique Latine – Caraïbes (juin), en Afrique subsaharienne (novembre) et en Asie- Pacifique (novembre). Suite à ces symposiums, en 2016, les conférences régionales de la FAO en ont analysé les résultats et convenu des prochaines étapes à mener au niveau régional en vue de promouvoir l’agroécologie.
Au cours de ces derniers mois, 2 symposiums de plus ont eu lieu et un autre en, et pour, la Chine. La Société civile, la FAO, les gouvernements et les chercheurs, se sont à nouveau réunis en Amérique Latine – Caraïbes (septembre) ainsi qu’en Europe et Asie centrale (novembre).

En Amérique Latine – Caraïbes, les différents participants se sont entendus sur un programme régional de travail, ouvert à d’autres, afin de rendre plus visible le rôle important de la pêche artisanale et la contribution qu’elle apporte à l’agroécologie; d’élaborer et de mettre en œuvre des politiques et cadres législatifs afin de promouvoir l’agroécologie depuis et pour les territoires avec une participation sociale; d’accroître la production et la gestion de connaissances fondées principalement sur l’agroécologie, en associant les connaissances scientifiques aux savoirs ancestraux autochtones et aux pratiques des divers secteurs; de promouvoir des mécanismes institutionnels pour la production agroécologique et sa commercialisation; de garantir les droits populaires aux semences, à l’eau, à la terre et aux territoires; d’impulser l’agroécologie qui valorise et respecte la vie et les droits humains, en soulignant l’importance de la Déclaration internationale des droits des paysans; d’évoquer la célébration de l’Année internationale de l’agroécologie.

En Europe et Asie centrale, sur la proposition des organisations de la société civile, il a été convenu de concevoir l’agroécologie au-delà de ses aspects productifs techniques et d’y inclure les aspects sociaux, culturels, politiques, économiques et environnementaux sous un angle intersectoriel. Cependant, un point critique demeure, à savoir que les gouvernements doivent non seulement accepter les impacts positifs de l’agroécologie mais aussi mettre en œuvre les politiques publiques visant à la soutenir. Pour le CIP, ce symposium fut une grande opportunité.

En effet, les symposiums continuent à créer des opportunités de renforcement des liens entre les différents acteurs concernés par l’agroécologie.

Sous les feux de la rampe

Sous les feux de la rampe 1

Extraits édités de la Déclaration du Forum international pour l’agroécologie

Nyéléni, Mali, 27 février 2015

Nous sommes des délégué-e-s représentant diverses organisations et mouvements internationaux de petits producteurs d’aliments et de consommateurs, comprenant des paysans, des communautés, des peuples autochtones, des chasseurs et des cueilleurs, des agriculteurs familiaux, des travailleurs ruraux, des éleveurs et des bergers, des artisans-pêcheurs et des citadins. Ensemble, les divers secteurs que représentent nos organisations produisent près de 70 % des aliments consommés par l’humanité ; à ce titre, ils constituent les premiers investisseurs dans l’agriculture au niveau mondial et les principaux pourvoyeurs d’emploi et de moyens d’existence dans le monde.

En 2007, beaucoup d’entre nous étions réuni-e-s ici même à Nyéléni, à l’occasion du Forum pour la souveraineté alimentaire (…). C’est dans le même esprit que nous nous rassemblons ici, en 2015, pour le Forum pour l’agroécologie afin d’enrichir le concept et la pratique de l’agroécologie grâce à un dialogue incluant divers acteurs impliqués dans la production d’aliments ainsi que des consommateurs, des communautés urbaines, des femmes et des jeunes, entre autres. Aujourd’hui, nos mouvements, organisés au niveau mondial et régional au sein du Comité international de la planification pour la souveraineté alimentaire (CIP), franchissent une nouvelle étape historique.

Construire sur le passé, regarder vers l’avenir
Nos systèmes de production ancestraux se sont développés sur des millénaires et ont pris le nom d’agroécologie au cours des trente à quarante dernières années. L’agroécologie telle que nous l’entendons inclut des pratiques et une production performantes (…) et nous avons développés des structures théoriques, techniques et politiques sophistiquées.

Nos diverses formes de production de nourriture à petite échelle basées sur l’agroécologie génèrent des savoirs locaux, encouragent la justice sociale, garantissent l’épanouissement de la culture et de l’identité, et renforcent la viabilité économique des zones rurales.

L’agroécologie implique notre union dans le cercle de la vie, ce qui signifie également que nous devons être unis dans nos luttes contre l’accaparement des terres et contre la criminalisation de nos mouvements.

Surmonter des crises multiples
Le système alimentaire industriel est l’un des principaux vecteurs des multiples crises du changement climatique, de l’alimentation, de l’environnement et de la santé publique, entre autres. Les accords de libre-échange et d’investissement, les mécanismes de règlement des différends entre investisseurs et États, les fausse solutions, comme les marchés de carbone ou la financiarisation croissante des terres et de la nourriture, ne font qu’aggraver ces crises.

Nous percevons l’agroécologie comme un élément clef de la résistance à un système économique plaçant le profit avant la vie.

L’agroécologie à la croisée des chemins
À la faveur de la pression populaire, de nombreuses institutions multilatérales, gouvernements, universités et centres de recherche, ONG et entreprises ont fini par reconnaître l’agroécologie. Cependant, ces acteurs ont essayé de la réduire à un ensemble limité de technologies, afin d’offrir des outils qui semblent atténuer la crise de la durabilité provoquée par l’agriculture industrielle pendant que les structures de pouvoir existantes demeurent inchangées. Cette récupération de l’agroécologie visant à perfectionner le système alimentaire industriel, tout en proclamant un attachement superficiel aux questions environnementales, se présente sous plusieurs noms, dont « agriculture intelligente face au climat », « intensification durable ou écologique » ou « production industrielle de monocultures d’aliments bio », entre autres. Pour nous, il ne s’agit pas d’agroécologie ; aussi, nous les rejetons, et nous nous battrons pour dénoncer et faire obstacle à cette appropriation insidieuse de l’agroécologie.

Les réelles solutions (…) ne viendront pas de la conformité au modèle industriel. Nous devons plutôt le transformer et construire nos propres systèmes alimentaires locaux qui créent de nouveaux liens entre la ville et la campagne et reposent sur une véritable production agroécologique d’aliments par les petits producteurs, les artisans-pêcheurs, les éleveurs, les peuples autochtones et les agriculteurs en milieu urbain (…). Nous envisageons [l’agroécologie] comme la principale alternative à ce modèle et comme un moyen de transformer la manière de produire et de consommer la nourriture en quelque chose de meilleur pour l’humanité et la Terre Mère.

Nos piliers et principes communs de l’agroécologie
Les pratiques de production qui caractérisent l’agroécologie se fondent sur des principes écologiques tels que le développement de la vie des sols, le recyclage des nutriments, la gestion dynamique de la biodiversité et la conservation de l’énergie à de multiples échelles. L’agroécologie réduit de manière considérable l’utilisation des intrants externes qui doivent être achetés auprès des industries. L’agroécologie n’utilise pas de produits agrotoxiques, d’hormones artificielles, d’OGM ou d’autres nouvelles technologies dangereuses.

Les territoires constituent un pilier fondamental de l’agroécologie. Les peuples et les communautés ont le droit de maintenir leurs propres relations spirituelles et matérielles avec leurs terres (…). Ceci implique la pleine reconnaissance de leurs lois, coutumes, systèmes fonciers et institutions, et suppose également la reconnaissance de l’autodétermination et de l’autonomie des peuples.

Les droits collectifs et l’accès aux communs constituent deux autres piliers essentiels de l’agroécologie.

La diversité du savoir et des manières d’apprendre de nos peuples est fondamentale pour l’agroécologie. Celle-ci se développe à travers nos propres innovations, recherches et méthodes de sélection et d’amélioration des espèces cultivées et des races animales.

Nos cosmovisions reposent sur l’équilibre nécessaire entre la nature, le cosmos et les êtres humains. Nous rejetons la marchandisation de toutes les formes de vie.

C’est grâce à l’auto-organisation et l’action collectives qu’il est possible de démultiplier et de développer l’agroécologie à une plus grande échelle, de construire des systèmes alimentaires locaux et de défier le contrôle des grandes entreprises sur notre système alimentaire. La solidarité entre les peuples, entre les populations rurales et urbaines, est un ingrédient essentiel.

L’autonomie de l’agroécologie inverse le contrôle des marchés mondiaux et favorise l’autogestion des communautés. Cela implique de repenser les marchés pour les baser sur les principes de l’économie solidaire et de l’éthique de la production et de la consommation responsables.

L’agroécologie est politique ; elle nous demande de remettre en cause et de transformer les structures de pouvoir de nos sociétés. Nous devons placer le contrôle des semences, de la biodiversité, des terres et territoires, de l’eau, des savoirs, de la culture, des biens communs et des espaces communautaires entre les mains de celles et ceux qui nourrissent le monde.

Les femmes et leurs connaissances, leurs valeurs, leur vision et leur leadership, sont essentielles pour aller de l’avant. Trop souvent, leur travail n’est ni reconnu, ni apprécié à sa juste valeur. Pour que l’agroécologie atteigne son plein potentiel, le pouvoir, les tâches, la prise de décisions et la rémunération doivent être répartis de manière égale.

L’agroécologie peut fournir un espace aux jeunes leur permettant de contribuer à la transformation sociale et écologique enclenchée dans de nombreuses sociétés. L’agroécologie doit susciter une dynamique sociale et territoriale qui crée des opportunités pour les jeunes en milieu rural et valorise le leadership des femmes.

Vous pouvez consulter la Déclaration ici.

Sous les feux de la rampe 2

L’agroécologie à la croisée des chemins : entre l’institutionnalisation et les mouvements sociaux

L’agroécologie est à la mode. D’abord ignorée, méprisée et exclue par les grandes institutions qui gouvernent l’agriculture dans le monde, elle est maintenant reconnue comme étant l’une des alternatives permettant de faire face aux graves crises causées par le modèle de la Révolution verte. Il s’agit, sans aucun doute, d’un fait sans précédent où l’agroécologie est tiraillée entre céder devant la cooptation/capture ou de tirer avantage de l’ouverture vers des opportunités politiques pour pouvoir transformer le modèle hégémonique d’une agriculture extractive. Même si les institutions ne sont pas monolithiques, et que des débats internes existent, on pourrait considérer ce panorama comme étant une lutte entre deux camps. Le premier, étant composé par les institutions officielles des gouvernements, agences internationales et entrepreneurs privés et, le second, par les différents mouvements sociaux défendant l’agroécologie comme l’unique option viable en vue de transformer radicalement le système agroalimentaire dominant.

Il est maintenant évident que le capitalisme vert a découvert que l’agroécologie était un moyen de pouvoir intégrer l’agriculture paysanne, ses territoires et ses pratiques aux circuits mondiaux d’accumulation. Son objectif vise à réduire au statut de marchandises les semences et l’agro-biodiversité; à déposséder les paysans et les communautés autochtones de leurs savoirs agroécologiques; à apporter une plus grande diversité agricole aux marchés d’aliments, à l’industrie des cosmétiques et à la pharmacologie; à augmenter les bénéfices dérivés des crédits carbone et de la conservation néolibérale au moyen de projets agroforestiers; et à tirer profit de l’augmentation des marchés de produits bio-industriels qui bientôt seront rebaptisés agroécologiques dans les grandes surfaces. Mais cela représente également une excellente occasion pour l’agrobusiness de procéder à des adaptations techniques afin de pouvoir ainsi faire face à la dégradation de ses conditions de production, à l’augmentation de ses coûts et à la réduction de sa productivité.

Par le biais de stratégies classiques de développement, on cherche à soumettre les savoirs des peuples en leur imposant une dépendance au système qui va essayer de leur fournir des services agroécologiques par l’intermédiaire des Etats, des ONG opportunistes, des transnationales et des projets de fondations et d’organisations internationales. Il serait bien naïf de croire que finalement les portes se sont ouvertes afin de transformer partout dans le monde la structure agricole en agroécologie. Bien au contraire, les mouvements sociaux doivent demeurer sur leur garde pour éviter que, par le biais de l’institutionnalisation, il se crée des dépendances aux programmes et projets publiques pouvant engendrer une bureaucratisation avec des démagogies débilitantes.

Etant donné la situation, les mouvements sociaux ne peuvent donc pas s’en désintéresser. De fait, s’abstenir de participer aux débats laisse la voie libre au capital pour qu’il trouve les moyens de sortir de la crise chronique de suraccumulation grâce à la spoliation, tandis qu’il restructure temporairement ses conditions de production. Mais, il s’agit avant tout une occasion unique pour que, lors du rejet des tentatives d’appropriation, nous puissions réajuster nos forces, réinventer nos postulats de lutte, actualiser les formes de résistance, regrouper les organisations dispersées et redéfinir le sens des alternatives.

De fait, l’une des principales contradictions du capital est que, en essayant de tout engloutir, en cherchant à incorporer chaque réduit spatial et humain à ses circuits d’accumulation, il finit par renforcer les luttes des peuples, avec pour effet antagonique de fortifier la mobilisation, tout en permettant aux peuples de se réapproprier leur patrimoine naturel, de revaloriser leurs cultures et d’intensifier leurs efforts pour construire des processus sociaux réels de territorialisation de l’agroécologie.

Vous trouverez l’article dans son entier ici.

L’écho des campagnes

L’écho des campagnes 1

Solidarités entre mouvements

Lucile Falgueyrac, Seattle to Brussels network (S2B)

Ces quatre dernières années en Europe, nous avons construit un véritable mouvement contre les traités de libre échange transatlantiques.

Loin d’être limité à quelques ONG, cette lutte rassemble mouvements sociaux locaux et internationaux, syndicats, paysans et militantes de tout horizon et secteurs. De la Bulgarie à la Finlande, les campagnes contre l’accord EU- États-Unis, et l’accord EU-Canada renforcent les solidarités entre mouvements d’habitude très éloignés les uns des autres.

L’élection de Donald Trump à la tête des États-Unis, et ses premières mesures alliant racisme, discriminations, attaques contre les droits des femmes et remise en question de certains accords de libre-échange, est une aubaine pour ceux qui espèrent discréditer nos mouvements. La ratification du CETA est maintenant présentée par les partisans de l’accord comme un acte politique de résistance à Trump, un signal que l’Europe et le Canada sont maintenant les têtes de proue d’un monde libre et ouvert, deux remparts contre la folie du nouveau président américain.

Cette escroquerie m’estomaque. Les traités de libre échange entraînent toujours plus d’inégalités, de productivisme, d’extractivisme, créent de nouveaux droits pour les multinationales et rendent illégales une partie des solutions aux crises sociales et climatiques. Ils ne sont pas l’antidote aux extrêmes droites, mais créent toutes les conditions pour les faire prospérer.

L’écho des campagnes 2

Notre lutte pour un modèle économique alternatif

Guy Marius Sagna, Coordonnateur de la Coalition Nationale Non Aux APE, Senegal

Les Accords de partenariat économique (APE) font craindre le pire pour la population sénégalaise car les grands capitaux européens vont écraser nos petites exploitations paysannes et nos petites entreprises.
Ces accords vont renforcer la division internationale du travail qui fait de nos pays « sous-développés » des consommateurs de marchandises en provenance d’autres pays dont le rôle dans ce système néocolonial est celui de producteur.

Or il est regrettable qu’au Sénégal, se battre contre les APE est devenu très compliqué. Auparavant certains chefs d’entreprise dirigeaient la lutte, mais par crainte de représailles, aucun n’élève la voix aujourd’hui.

Ce sont donc des militants associatifs, politiques ou syndicaux qui organisent la mobilisation. Et malgré le contexte très dur, nous avons noté qu’il y a beaucoup plus de personnes qui veulent être informés. Nombre d’intellectuels, de politiques ou de députés ont signé des pétitions contre les accords. Et de plus en plus de citoyens, des villes comme des campagnes, demandent à ce que soient organisés des conférences sur les APE, afin de mieux comprendre et de s’investir davantage.

A travers notre lutte, nous mettons en avant un modèle économique alternatif, basé sur la complémentarité et la solidarité, aux antipodes des APE et de ses valeurs libre-échangistes comme la compétitivité et la concurrence.

L’écho des campagnes 3

Le TPP n’existe plus: la lutte s’est déplacée

Eric Holt-Gimenez, Food First, US

Donal Trump a tué le Partenariat Trans-Pacifique (TPP), déjà moribond, grâce à l’opposition infatigable des mouvements populaires. L’approche bilatérale adoptée par l’administration Trump n’est pas nouvelle.

Ayant pris le contrôle de presque toutes les économies de la planète, le protectionnisme (dans de nouvelles limites établies par les entreprises) sera bien plus important pour l’assise des monopoles du domaine énergétique et de nos systèmes alimentaires que le libre-échange sauvage. De cette façon, M.Trump ne fait que conclure un accord parmi d’autres visant à renforcer l’influence des entreprises.

L’appropriation de l’étendard antimondialisation par des populistes de droite à la rhétorique rodée, basée sur des idées xénophobes et de suprématie blanche, devrait nous inquiéter. Ce ne sont pas nos alliés. Il en va de même pour les néolibéraux “progressistes” qui ont mené le monde dans l’impasse du libre-échange.

L’élection de Donal Trump est une manifestation de la crise du modèle politique capitaliste, augurant un tournant dans la stratégie entrepreneuriale de spoliation et d’accumulation.

Le théâtre de lutte des mouvements populaires se déplace de l’échelle mondiale à l’échelle locale sous des formes nouvelles et significatives. Nous sommes en ce moment encore dans cette transition. Aujourd’hui, plus que jamais, il est essentiel de porter les principes de souveraineté alimentaire; ceux de justice sociale, solidarité, pluralisme et celui du droit de choisir nos propres systèmes alimentaires.

L’écho des campagnes 4

La lutte continue

Luciana Ghiotto, ATTAC Argentine

En Amérique latine, de nombreux traités de libre-échange sont en vigueur depuis plus de vingt ans. De pair, il existe une longue histoire de lutte contre la libéralisation prenant la forme de projets alternatifs d’intégration. La campagne continentale contre l’ALCA peut être considérée comme un des moments le plus fort de la lutte, qui en Argentine, a pris la forme d’une consultation populaire contre l’ALCA en 2003, entrainant sa fin en 2005 avec le sommet des peuples à Mar del Plata.

Enrayer l’ALCA n’a pas signifié la fin de la libéralisation. Les privilèges dont jouissent les entreprises se sont amplifiés sous d’autres formes et ont pris d’autres noms. Plusieurs puissances vont de l’avant avec leur agenda régional concernant le libre commerce, le traité Trans-Pacifique (TPP) qui a réuni 12 pays de la région en est un exemple éloquent.

L’Union Européenne, la Chine et des pays d’Asie du Sud-Est comme la Corée du Sud se sont lancés dans une course aux ressources naturelles sur le continent américain. Des campagnes pour dénoncer ces négociations menées à l’insu des citoyens, ont vu le jour. En Argentine, l’assemblée “l’Argentine se porte mieux sans les traités de libre-échange”, qui coordonne des mouvements sociaux, syndicaux, politiques, environnementaux, travaille à cette fin.

Notre expérience de lutte contre l’ALCA a été essentielle et aujourd’hui nous réitérons l’expérience pour mettre un frein à l’agenda corporatiste et donner la préférence aux droits humains et environnementaux.

L’écho des campagnes 5

La lutte d’un État contre les ALE

Sridhar R, directeur de programme a Thanal, Inde

Des agriculteurs de Kerala, un État de l’Inde, est confronté une fois de plus à l’assaut d’un accord commercial, cette fois-ci venant du RCEP (un partenariat régional qui ne présage que du bien pour les lobbys concernés, mais qui sans aucun doute sonnera le glas de l’agriculture locale).

L’accord commercial indo-ASEAN a été passé de force par le gouvernement indien. Les agriculteurs et même le gouvernement de Kerala ont manifesté contre celui-ci en 2009. Les organisations d’agriculteurs et la société civile ont alerté sur les retombées de l’accord. Les barrières tarifaires ont été éliminées ou baissées sur le thé, le café, l’huile alimentaire, le poivre, le caoutchouc, le copra, la noix de coco, le coco, la noix de cajou, la cardamone, et l’huile de coco, productions principales de Kerala, mettant en danger le gagne-pain d’une grande majorité des paysans locaux.

En réaction, le peuple a formé une gigantesque chaîne humaine à travers l’État contre la décision du gouvernement central. Le gouvernement de Kerala a soutenu cette initiative, créant un conflit entre l’État fédéré et le gouvernement central. Des centaines de milliers de personnes se sont réunies pour former main dans la main la plus grande chaîne humaine peut-être jamais organisée en signe de protestation. Mais le gouvernement central, avec le docteur Manmohan Singh, un ardent promoteur des accords commerciaux internationaux et de la libéralisation lorsqu’il était premier ministre, nous a piégé: il a tranquillisé la délégation de l’État de Kerala, promettant que l’accord n’allait pas être signé sans l’acceptation des parties prenantes de Kerala, or il a tout simplement fait table rase de sa promesse et signé l’accord. Des agriculteurs à travers d’autres États (dont Karnataka, Tamil Nadu et bien d’autres États du Nord-Est) ont aussi souffert des répercussions de l’accord indo-ASEAN, mais très peu a été fait pour compenser leurs pertes. Aucune évaluation n’a jamais été entreprise avant la signature de l’ALE afin d’estimer son impact, ni pour prévoir des mesures de mitigation après son après entrée en vigueur.

Tirant les leçons de cet épisode, les agriculteurs de Kerala et les organisations de la société civile mènent de nouveau une lutte solitaire contre le nouveau RCEP proposé. Le gouvernement de l’État, a réagi écrivant à deux reprises au gouvernement central pour exiger la tenue d’un débat transparent avec toutes les parties prenantes avant l’ouverture des négociations du RCEP et a détaillé les impacts potentiels.

Nous sommes opposés à la signature directe avec plusieurs nations ASEAN du RCEP et d’autres ALE. L’Inde traverse une période déplorable, et aucun gouvernement doté d’un sens de la responsabilité vis-vis d’une population d’agriculteurs, en l’occurrence immense, n’adopterais un accord au jeu à somme nulle tel que le RCEP.

Les agriculteurs de Kerala ont manifesté mais de nombreux agriculteurs dans d’autres états souffrent aussi et sont même en train de s’éteindre à cause de cette crise. On demande au gouvernement des États de répondre aux problèmes de dettes des agriculteurs et de suicides par des abandons de créances. Mais cela ne peut en aucun cas constituer la marche à suivre. Il est grand temps que les gouvernements se rendent à l’évidence que protéger leurs agriculteurs des pressions du marché et du commerce mondial est un devoir fondamental qui ne doit pas être sacrifié sur l’autel des exigences croissantes du commerce.

Encadres

Encadré 1

Chili vs. Partenariat Trans-Pacifique

Depuis que Donal Trump a annoncé que les États unis se retiraient du TPP, nombreux sont ceux qui ont affirmé que l’accord disparaitrait.
Mais les chiliens sont toujours en lutte contre le TPP, certains qu’une différente version perdurera.

Voici les principaux dangers du partenariat:

• le TPP est un accord en perpétuelle évolution, donnant chaque fois plus de marge de manœuvre aux entreprises, tout en fermant au peuple les voies d’accès à la justice.
• La souveraineté nationale devient ambiguë; les pays perdent leur liberté de légiférer, d’élaborer des politiques publiques ou des plans d’investissement en dehors du cadre du TPP.
• Les pays sont soumis, par l’entremise du mécanisme ISDS, à des tribunaux parallèles privés étrangers, qui imposent des compensations si les entreprises ne récoltent pas les profits qu’elles pourraient à cause d’actions gouvernementales.
• Le TPP favorise les chaînes d’approvisionnement transnationales, ce qui veut dire que les agriculteurs sont obligés, à cause des grandes entreprises, à se plier aux conditions de l’agriculture industrielle, à savoir des salaires extrêmement bas, des conditions de travail précaires et aucune protection de la santé ni de la sécurité des travailleurs. Les entreprises accusent des retards de paiement, imposent des prix bas et des normes de travail. Les pays s’engagent même à harmoniser leurs législations du travail, portant ainsi davantage atteinte aux droits des travailleurs.
• Le TPP promeut une application plus restrictive et large des droits de propriété intellectuelle (DPI) sur les médicaments, ajustant la durée de validité des brevets aux intérêts des entreprises. Toute semence et plante sera privatisée. L’utilisation, la possession, l’échange libres de semence est criminalisé et passible de peines d’emprisonnement. Les brevets sur le vivant seront la norme. Même photocopier un document pour un usage privé sera pénalisé si une entreprise porte plainte. Les savoirs traditionnels et locaux seront intégrés de force dans le cadre des DPI, minant les relations au sein d’une communauté et leur culture.
• Si le profit des entreprises est menacé, le TPP interdit toute protection par l’État.
• On constate une tendance à la privatisation d’un nombre de services étatiques.
• Le TPP prévoit l’acceptation de cultures génétiquement modifiés pour éliminer toute barrière au commerce.

Ces mises en garde se retrouvent dans la campagne chilienne de sensibilisation contre le TPP.

Encadré 2

Les agriculteurs attachés aux entreprises

L’initiative principale du forum économique mondial, “une nouvelle vision de l’agriculture” (appelée programme Grow et connu sous le nom de VIDA en Amérique latine), mené par 17 entreprises internationales du secteur agroalimentaire, a pour objectif d’établir une relation juridiquement contraignante entre les producteurs agricoles asiatiques, africains et latino-américains et les grandes entreprises dans laquelle elles seront en position de force. Les instruments de différents accords de libre-échange sous-tendent cette soi-disant nouvelle vision régie par les principes du “partenariat public-privé [Bulletin Nyéléni n° 25]” et de “solutions basées sur le marché”. Les géants industriels tels que Nestlé, Pepsico et Monsanto, et les gouvernements concernés, ont promis que “la production alimentaire allait être augmentée, la durabilité environnementale assurée et des opportunités économiques au niveau mondial crées”.

Cette initiative accroîtra le contrôle des entreprises sur les marchés et les chaînes d’approvisionnement. Sur le papier, l’objectif est de promouvoir la sécurité alimentaire et œuvrer en faveur des petits producteurs, mais dans les faits Grow/VIDA vise à augmenter la production de quelques biens à l’avantage d’une poignée d’entreprises.

Grow/VIDA est une initiative lancée en 2009 à laquelle participent des entreprises du secteur de l’agriculture, de la transformation alimentaire ou de la vente, qui font avancer leurs intérêts sur “un forum politique clé”. Cependant, l’élément central du projet est l’établissement de chaînes d’approvisionnement verticalement intégrées pour les cultures commerciales et de marchés de produits intermédiaires avec un accent particulier mis sur l’agriculture sous contrat.

Cela crée une dépendance des agriculteurs envers les entreprises. La ségrégation des agriculteurs locaux produisant leur propre nourriture par leurs propres moyens et grâce à leurs propres semences s’accentue. L’on affirme œuvrer pour le bien des individus qui sont liés par ce système d’agriculture contractuelle, alors que ceux-ci sont forcés d’accepter des retards de paiement et des prix dérisoires.

Ces systèmes sont en vigueur dans douze pays africains, cinq pays asiatiques et quatre pays latino-américains, répandant ainsi un immense modèle basé sur les monocultures mécanisées, les serres aux cultures hybrides ou génétiquement modifiées, sur une demande sans fin exercée sur les agriculteurs liés aux entreprises, sur des normes inflexibles dans leur phrasé et des travailleurs évoluant dans les pires conditions possibles.

Encadré 3

Lutter contre le RCEP

Le partenariat économique régional global (RCEP en anglais) est un méga-accord commercial et d’investissement régional en cours de négociation entre les membres de l’ASEAN et six pays de la région Asie-Pacifique avec qui l’ASEAN a des ALE : l’Australie, la Chine, l’Inde, le Japon, la Nouvelle-Zélande et la Corée du Sud.

Ces pays harmonisent entre eux leurs réglementations en matière de commerce afin de créer un régime commun. Le risque est que les États qui ont signé le Partenariat Trans-Pacifique veuillent imposer en Inde, en Chine et dans les pays d’Asie du Sud-Est un agenda très corporatiste.
Les gouvernements perdraient leur marge de liberté en matière d’élaboration de politique. Les demandes clés des mouvements sociaux dans la région pour de meilleurs services publics, une véritable réforme agraire, la protection des producteurs et vendeurs à petite échelle du milieu alimentaire, et la refonte des traités actuels d’investissement bilatéraux, pourraient ne pas être satisfaites.

Depuis 2004, les organisations de la société civile ont récolté et analysé des textes de négociation qui avaient été divulgués. En 2015, une réunion importante d’activistes appartenant à des mouvements sociaux et organisations de la société civile s’est tenue à Kuala Lumpur et a débouché sur des plans pour entreprendre une action coordonnée. Nous sommes actuellement en train d’organiser des journées régionales d’action, d’élaborer des déclarations conjointes, de monter des ateliers, des sites internet et de préparer un travail de lobby pour faire pression sur les gouvernements. Nos préoccupations principales sont les suivantes: accès aux médicaments, privatisation des semences, accaparement de terres, répercussions sur les paysans, services publics, pression négative sur les salaires et le contrôle accru des entreprises imposé par les mécanismes ISDS. Nous demandons communément la fin du RCEP, pas une version améliorée de celui-ci!

La remise en question du Partenariat Trans-Pacifique pourrait donner un nouvel élan et une nouvelle direction au RCEP. Nous devons œuvrer pour y mettre un terme.

Sous les feux de la rampe

Sous les feux de la rampe 1

Qui fait pression pour faire passer les ALE?

Les accords de libre-échange et d’investissement (ALE) sont des accords entre deux gouvernements ou plus en dehors du cadre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Beaucoup d’élites de pays tels que les États-Unis, les pays membres de l’Union Européenne (UE), le Japon et l’Australie, ont voulu sortir du cadre de l’OMC arguant qu’elle ne va pas assez loin dans l’établissement de règles mondiales en faveur de leurs entreprises et de leurs objectifs géopolitiques, et en parallèle les discussions multilatérales avancent doucement. Depuis le début de ce siècle, ces élites cherchent à conclure de puissants accords au niveau bilatéral et régional aux moyens d’application redoutables. L’idée est qu’en poussant les pays à s’engager davantage et de manière plus détaillée dans la liberté d’entreprise par l’entremise de ces accords, un marché mondial uniformisé et entièrement ouvert au commerce entre transnationales et au mouvement de capitaux, puisse être construit à partir de la base.

Il n’est pas surprenant que ces accords soient conçus dans le secret. Dans cet état de fait, le rôle des parlements se limite à la conception d’objectifs généraux et le public se voit refusé l’accès aux textes de négociation. Les lobbyistes des entreprises sont activement consultés tout au long du processus pour arriver à une issue qui leur est favorable. En effet, les entreprises transnationales et les coalitions d’entreprises sont des acteurs prépondérants dans les processus de conception de ces accords. Par exemple, lors de la phase initiale des négociations entre les États-Unis et l’UE sur le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement, les grandes sociétés agro-industrielles telles que Cargill et Coca-Cola représentaient les premiers groupes d’intérêts donnant aux négociateurs des indications cadrant avec leurs intérêts[1].

Les ALE englobent une grande variété de domaines-des droits de propriété intellectuelle (DPI), jusqu’aux télécommunications en passant par l’énergie et la sécurité alimentaire- détaillant précisément ce que peuvent et ne peuvent pas faire les pays dans un grand nombre de domaines alors que ces derniers ouvrent leurs marchés aux investisseurs étrangers. En conséquence, les gouvernements signataires sont forcés de réécrire leurs lois et prendre des engagements contraignants empêchant tout retour en arrière. Par le biais de ces accords, les entreprises obtiennent même le droit d’examiner les ébauches de politiques et projets de règlementations qui, selon elles, peuvent les concerner et avoir un effet sur l’ALE avec le pays partenaire.

Actuellement, des mouvements sociaux luttent contre de nouveaux ALE puissants tels que :
– l’AECG entre la Canada et L’Union Européenne (le Parlement européen a ratifié l’accord, mercredi 15 février 2017) ;
– TTIP entre les États-Unis et l’UE ;
– TPP entre les États-Unis, le Japon et 10 autres pays (les États-Unis se sont retirés de l’accord mais cela ne veut pas dire que l’accord est abandonné) ;
– RCEP entre les membres de l’ASEAN, la Chine, l’Inde, le Japon, l’Australie, la Corée et la Nouvelle-Zélande ;
– l’ACS, concernant uniquement les services, entre les États-Unis, l’UE, le Japon et 20 autres pays ;
– Les APE imposés par l’UE en Afrique ;
– et les accords bilatéraux pour lesquels l’UE, l’Inde, le Vietnam, le Mexique, le Japon, le Mercosur, le Chili etc. font pression.

En plus de conférer un pouvoir politique et règlementaire, tous ces traités donneraient aux entreprises accès aux ressources naturelles, à de nouveaux marchés et aux marchés du travail.

Bien que certains de ces accords semblent être menacés par les nouveaux gouvernements de droite dans des pays tels que le Royaume-Uni et les États-Unis, qui ont promis de remplacer une série d’anciens accords commerciaux par de nouveaux, cela ne veut pas forcément dire que les anciens accords vont simplement disparaitre. Ils changeront peut-être de forme ou de partenariat ou encore avanceront plus lentement. De plus, ce serait une erreur de croire à la propagande selon laquelle les nouveaux et “meilleurs” accords d’échange et d’investissement sauveront les emplois locaux ou auront des effets positifs pour les agriculteurs, les consommateurs, les petites entreprises et l’environnement.

Sous les feux de la rampe 2

Les mécanismes de règlement des différends entre investisseurs et États (ISDS), quels sont les enjeux?

L’un des points le plus menaçant des accords de libre-échange et des traités d’investissement est le “mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États” (ISDS). Le mécanisme remonte à l’époque coloniale lorsque les puissances impériales voulaient protéger leurs entreprises opérant à l’étranger dans l’extraction de minéraux et la production de cultures commerciales. Elles ont mis au point des textes légaux qui ont évolués pour donner lieu aux traités d’investissements actuels dont l’objectif est de protéger les investisseurs de la “discrimination” et de l’expropriation par les États étrangers.

À cette fin, les traités octroient aux sociétés transnationales (STN) un droit spécial leur permettant d’assujettir les gouvernements étrangers à une arbitration contraignante lorsqu’elles considèrent avoir été lésées. Cela veut dire que les STN peuvent poursuivre en justice les gouvernements lorsque ceux-ci adoptent des politiques publiques qui limiteraient leurs investissements et leurs profits, telles que des lois anti-tabac ou des réglementations visant à réduire la pollution atmosphérique.

Les entreprises nationales ne jouissent pas de ce même droit : la simple menace d’une poursuite pourrait donner lieu à l’élaboration de politiques (effet paralysant). Les différends en matière d’investissements internationaux sont portés devant des panels spéciaux d’arbitration, habituellement devant la Banque mondiale à Washington ou des cours d’arbitration comme celle de La Haye. Cela leur permet de contourner purement et simplement les cours nationales sous prétexte qu’elles peuvent être biaisées. Les procédures sont menées par des avocats privés et dans le secret, sans possibilité de faire appel.

Au cours des 15 dernières années, les différends entre investisseurs et États ont augmenté de manière spectaculaire. Dans la plupart des cas, les demandes des investisseurs ont été entièrement ou partiellement satisfaites. Les gouvernements ont dû payer des récompenses s’élevant à des millions, si ce n’est des milliards, de dollars (c’est-à-dire de l’argent du contribuable qui pourrait servir l’intérêt général). À cause de cette menace, certains gouvernements mettent en attente leurs traités d’investissements le temps de repenser leurs stratégies.

Le mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États porte un coup à la souveraineté alimentaire à plusieurs égards. Il dote les entreprises de moyens juridiques considérables pour renverser les politiques nationales soutenant les petits agriculteurs, les marchés locaux et l’environnement. Les initiatives de lutte contre le changement climatique dans le secteur alimentaire-par exemple la promotion de circuits courts en accordant la préférence aux producteurs locaux ou en les subventionnant- peuvent être remise en cause par les transnationales si elles considèrent qu’elles leur porteraient préjudice. Récemment, le Canada a empêché une entreprise américaine d’aller de l’avant avec l’exploitation d’une mine à ciel ouvert à Nouvelle-Écosse car les dommages pour la communauté de pécheurs locale auraient été trop importants. L’entreprise a traduit le Canada devant un tribunal ISDS et a remporté le procès, ce qui a couté aux contribuables canadiens 100 millions de dollars. Le Mexique a dû payer 90 millions de dollars à Cargill à cause d’une taxe sur les boissons contenant des taux élevés de sirop de maïs (un édulcorant produit par cette entreprise conduisant à l’obésité). La taxe contribuait à protéger l’industrie de canne à sucre du pays, représentant de centaines de milliers d’emplois, de l’afflux de sirop américain subventionné.

Le mécanisme ISDS octroie aux investisseurs étrangers plus de droits que ceux dont bénéficient les investisseurs nationaux, et ils l’utilisent à leur avantage dans les secteurs de l’agriculture et de la pêche. Les accords d’échange stipulent en général que les investisseurs étrangers devraient bénéficier d’un traitement identique que les investisseurs nationaux concernant l’accès aux terres agricoles et aux zones de pêche (principe de traitement national). Le mécanisme ISDS octroie à ces entreprises un moyen supplémentaire pour user d’un droit dont les entreprises nationales (ou les agriculteurs ou pêcheurs et leurs coopératives) ne bénéficient pas. Quelquefois les investisseurs nationaux dans l’agroalimentaire implantent des entreprises à l’étranger et ensuite investissent dans leurs pays dans le seul but de bénéficier de ces protections supplémentaires.

La clé pour renforcer la souveraineté alimentaire dans le contexte du commerce international et même régional est que les états privilégient les producteurs d’aliments nationaux et locaux par le moyen de subventions et de politiques d’achat. Ces subventions et traitements préférentiels sont généralement interdits par des accords de libre-échange (bien qu’ils soient largement utilisés par de grands acteurs tels que les Etats-Unis ou l’UE), et le mécanisme ISDS offre aux entreprises étrangères un outil pour que les producteurs nationaux soutenus par de telles politiques ne menacent pas leurs profits.

[1] Corporate Europe Observatory, “TTIP : a corporate lobbying paradise”, 14 juillet 2015, .

Un poème

Espoir fugace

Il est dur d’avoir de l’espoir. Et malgré le temps qui passe,
il reste insaisissable. Car il ne dépend pas seulement du bonheur
mais reste ancré dans ces mirages de solitude au cœur de la nuit.
Cela nous surprendra surement, mais vous aussi, vous avez cessé de
croire en la réalité immuable du futur,
et l’espoir n’en est que plus insaisissable lorsqu’il n’est plus concevable
ni souhaité. Mais ne tergiversons plus.
La jeune génération demande à l’ancienne d’espérer. Alors que leur direz-vous?
Ayez l’honnêteté de leurs dire ce que vous vous dites à vous-mêmes.

Car égoïstement nous avons préféré considérer nos vies avant même
de considérer ce qui nous fait vivre, les forêts sont ruinées, les champs rongés,
les courants pollués, les montages écroulées. L’espoir
est alors d’appartenir à un endroit en ayant connaissance
de ce qui le différencie de tout autre endroit, et,
en le chérissant plus que n’importe quel autre, cette connaissance
ne pourra nous être enlevée, ni par la force, ni par l’argent.
Grâce à elle, vous n’entendrez plus les influents lorsqu’ils
qui réclameront votre foi, vous n’entendrez plus les riches lorsqu’ils exigeront vos terres
ou votre labeur. Restez marmoréen face à eux et préférez écouter
la mélodie des rivages, la mélopée des arbres et le chant des grands espaces.

Trouvez votre espoir, celui-là même que vous foulez à chacun de vos pas.
Votre espoir du Paradis, laissez-le reposer ici-bas.
Le monde n’est pas mieux que les endroits qui le constituent. Et, enfin,
ces endroits-là, ne sont pas mieux que leurs peuples alors que les peuples
les habitent. Si les peuples assombrissent la lumière
qu’ils portent en eux, alors le monde s’obscurcit.

Wendell Berry (Traduction non officielle de l’anglais)

L’écho des campagnes

L’écho des campagnes 1

Mondialisons la lutte, mondialisons l’espoir!

Elizabeth Mpofu, coordinateur général de La Via Campesina

Un proverbe africain dit : « Si tu veux aller vite, pars seul, mais si tu veux aller loin, pars accompagné ».
Je pense que la lutte pour la souveraineté alimentaire se trouve dans la dernière partie du proverbe. Elle représente une solution mondiale durable à la question de notre cohabitation avec la nature et les peuples à l’heure de nous nourrir. C’est une lutte qui nécessite des alliances permettant la complète reconnaissance et mise en pratique des droits paysans mais aussi l’équité et l’égalité aux niveaux social, économique et écologique. Tout ceci ne peut être atteint que par une action commune, collective, en alliance avec différents mouvements, différentes régions, différentes cultures et différents genres afin d’assurer une solidarité mondiale et d’obtenir un réel changement.
Pour construire et parvenir à la souveraineté alimentaire, il faut impérativement travailler et collaborer avec les autres –les paysans, les autochtones, les pêcheurs, les femmes, les hommes, les chercheurs évolutifs, les consommateurs…– pour pouvoir repenser les techniques agricoles et la mobilisation internationale. En partageant nos idées, en produisant des connaissances, nous sommes capables de former une société basée sur la justice et la solidarité, nous sommes capables de créer des communautés d’inclusion saines et d’améliorer la cohésion et l’intégration sociales. La Via Campesina connait l’importance des alliances, et ensemble, nous travaillons main dans la main avec d’autres mouvements et organisations pour promouvoir la souveraineté alimentaire dans de nombreux espaces, autant au niveau national qu’international. Les résultats sont visibles, la souveraineté alimentaire est incluse dans bon nombre de mesures, inscrite dans les constitutions de certains pays et, dans d’autres, des débats sont en court sur les mesures à prendre.

Aujourd’hui, la souveraineté alimentaire est un concept bien vivant grâce au travail permanent des alliances. C’est une lutte pour des systèmes alimentaires locaux basés sur l’agroécologie, l’accès aux marchés locaux, l’accès et le contrôle des ressources comme les terres, l’eau, les semences, etc., la reconnaissance des droits paysans et la résistance à l’agriculture industrielle comme les accords de libre-échange (ALE) ou les sociétés transnationales.

L’écho des campagnes 2

L’Etat de Palestine : reconnu internationalement pourtant exempt de souveraineté alimentaire

Jamal Talab, Centre de recherche sur la terre, Palestine

La perte de la souveraineté alimentaire pour les peuples d’un Etat occupé peut surement doubler les impacts négatifs de la violation de leur droit fondamental à une vie digne. L’Etat de Palestine, reconnu comme Etat membre par les Nations unies, ne possède pas encore une complète souveraineté, dont au niveau des ressources naturelles. L’occupation israélienne contrôle 80% des eaux souterraines ainsi que 64% du territoire même de la Palestine, réservé pour l’extension illégale de colonies selon la Résolution 2334 de décembre 2017 des Nations unies.
En outre, l’occupation israélienne a construit un mur de l’apartheid (de 774 km), elle a ouvert des routes réservées seulement aux colonies (couvrant 1 270 km), elle a confisqué 50% des terres palestiniennes et arraché presque deux millions d’arbres fruitiers, dont 70% étaient des oliviers vieillissants. Elle a établi pas loin de 488 colonies et avant-postes sur les flancs des collines et des montagnes palestiniennes, pompé des eaux usées non traitées et envoyé les polluants (pesticides et engrais) vers les terres agricoles palestiniennes, entrainant la pollution des plantes et la dégradation des terres.

Le concept de la souveraineté alimentaire permet aux peuples de contrôler leur chaine ainsi que leur système alimentaires. Néanmoins,  tous les concepts ne sont pas applicables en Palestine. De plus, l’occupation assiège la bande de Gaza depuis presque dix ans et Israël détient un contrôle intégral des terres, de l’air et de l’eau. Les pêcheurs n’ont accès qu’à 25% du kilométrage autorisé en mer, affectant ainsi négativement leur capacité de pêche ainsi que leurs revenus.

La présence de presque 742 postes de contrôle israéliens en Palestine restreint considérablement le déplacement ou le transport des biens. Par-dessus tout, Israël a imposé des mesures d’obstacle qui détruisent les marchés locaux et empêchent les Palestiniens d’entrer en contact avec les producteurs ou les consommateurs des marchés israéliens, bien plus organisés et modernes. Lors d’une grève de la faim de 41 jours (Mai 2017) pour la dignité et la liberté, les prisonniers palestiniens ont demandé à la communauté internationale de se joindre à leur cause, pour la reconnaissance totale de leurs droits et la souveraineté alimentaire.

L’écho des campagnes 3

Le mouvement des femmes et la souveraineté alimentaire

Sophie Dowllar, World March of Women

La marche mondiale des femmes a participé au Forum International de Nyéléni sur la souveraineté alimentaire au Mali en 2007 en tant que mouvement féministe et elle a permis aux femmes de s’exprimer en tant qu’entités politiques. L’un des aspects les plus importants de la souveraineté alimentaire est l’accès des femmes à la terre, à l’eau, aux semences et aux territoires. La terre devrait appartenir à ceux qui la cultivent. Aujourd’hui, ce sont les paysannes celles qui restent à la campagne et labourent la terre pour assurer la production alimentaire. Les paysannes se battent en permanence pour le sauvetage et le maintien de la biodiversité ainsi que la préservation des terres, cela se traduit par leur usage de pratiques durables et agro-écologiques. L’eau devrait être incluse dans le cadre de la souveraineté alimentaire. La privatisation et la marchandisation de l’eau comme bien commun est un crime contre la nature et contre l’humanité. Pour ces paysannes, protéger et sauvegarder les semences est une mission fondamentale et une manière de contribuer à la souveraineté alimentaire.

Afin de produire et de distribuer une alimentation nutritive pour tous, les mouvements des femmes sont déjà engagés dans différentes formes d’agricultures basées sur un modèle communautaire qui rassemblent les femmes vivant en ville et celles vivant à la campagne. Ces mouvements sont également impliqués dans des initiatives conjointes créant et renforçant les liens entre les femmes de différents secteurs : pêcheuses, migrantes, paysannes, écologistes, etc. Malgré les contradictions du fait de leur action dans une société capitaliste et patriarcale, ces initiatives créent des opportunités d’apprendre, d’organiser, de développer de nouvelles formes de convivialité, de forger des relations significatives pour une production alimentaire durable et pour résoudre les problèmes ensemble.  On trouve aussi une vision commune sur la préservation des semences, la souveraineté alimentaire et la relation entre les peuples et les territoires. L’affirmation du savoir et de la contribution des femmes à la production, à la préparation et à la distribution alimentaire est l’un des plus grands espoirs pour l’avenir nourri par le progrès de la souveraineté alimentaire. La reconnaissance de leur savoir autochtone et de leur contribution à la production, à la préparation et à la distribution alimentaire est nécessaire. La souveraineté alimentaire représente l’avenir.

L’écho des campagnes 4

Pourquoi choisir la souveraineté alimentaire

Zainal Arifin Fuad, Serikat Petani Indonesia (SPI)

La souveraineté alimentaire est un paradigme alternatif à la sécurité alimentaire qui a d’abord été adopté par le gouvernement indonésien en 2009 suite à un long combat de la Fédération des paysans indonésiens (SPI) pour contrer l’introduction du Cadre de la sécurité alimentaire adopté par la FAO en 1996 pour vaincre la famine. La souveraineté alimentaire ne concerne pas seulement les pénuries alimentaires, mais aussi la réforme agraire, la biodiversité, l’environnement, l’énergie, les droits des travailleurs, les consommateurs, les institutions économiques, les institutions financières, les marchés, les transports et la politiques, tous ces domaines constituantune géopolitique basée sur l’approche alimentaire. La mise en œuvre de la sécurité alimentaire renforce la pauvreté, la faim et les conflits agraires à cause de l’action des sociétés qui fournissent et contrôlent l’alimentation à travers la révolution verte, l’accaparement des terres et des marchés libres.

Par conséquent, la SPI réalise que la souveraineté alimentaire devrait être soutenue par toutes les composantes de la société civile (intellectuels, étudiants, ONG, femmes, travailleurs et autres mouvements sociaux) et du gouvernement. Le slogan de la Via Campesina « La lutte des paysans, la victoire du peuple » signifie que le combat pour la souveraineté alimentaire concerne tout le monde.

Actuellement, en Indonésie, de nombreuses lois limitent la souveraineté alimentaire de manière explicite et implicite, telles que la loi de la protection des terres pour une agriculture alimentaire durable (2009), la loi sur les denrées alimentaires (2012), la loi sur la protection et l’autonomisation des cultivateurs (2013) ainsi que le programme de développement de Jokowi (2014-2019). Néanmoins, la marche à suivre est compliquée voire paradoxale au niveau de la mise en œuvre. Il existe de nombreuses contraintes et d’interventions de la part de nombreux acteurs, à la fois nationaux et internationaux, qui souhaitent toujours mettre en œuvre la sécurité alimentaire. La FAO a déjà ouvert la porte à l’agro-écologie en 2014 et des processus sont en cours à la Commission des droits de l’Homme à Genève sur la Déclaration des droits des paysans. Par conséquent, la SPI et la Via Campesina poursuivent leurs combats au niveau local, ainsi que dans le domaine des politiques publiques aux niveaux national, régional et international.

L’écho des campagnes 5

Consommateurs et souveraineté alimentaire

Isa Álvarez, représentante d’URGENCI

Du point de vue des consommateurs, la souveraineté alimentaire est un droit essentiel pour s’assurer une vie pleine et digne. Il nous serait difficile d’envisager vivre dignement si notre autonomie dans notre choix d’alimentation était limitée.

De nos jours, le système capitaliste considère les citoyens principalement de deux manières : comme une force de travail pour alimenter le système de production, ou comme une niche dans le marché de consommateurs qui fait perdurer ce marché. Dans le même temps, grâce à des mécanismes de publicité massive, ce système a engendré un monde imaginaire où le consumérisme est le seul moyen d’accéder à ses droits, occultant complètement les droits humains, dont tous les citoyens disposent dès la naissance.

Il devient de plus en plus urgent que ce soit les peuples qui décident de leurs propres directives politiques dans tous les domaines, mais particulièrement dans celui de l’alimentation et de l’agriculture. Aujourd’hui, le marché mondialisé, qui est dans les mains des sociétés transnationales, nous inonde de produits sur-transformés qui nous empoisonnent, tout en suggérant que ces produits représentent le progrès et le citoyen moderne. Cela mène non seulement à la disparition d’autres formes d’alimentation plus adaptées à nos réels besoins, mais aussi à celle des petits agriculteurs et paysans.

Les impacts négatifs de ces produits comestibles (non alimentaires) sur notre santé sont déjà évidents. Curieusement, face à cette évidence, certaines fausses solutions pointent du doigt la responsabilité des citoyens – notamment celle des femmes – assumant leur rôle au foyer, comme si le fait de décider de ce que l’on mange dans le monde actuel était un acte libre dans un environnement neutre. Au contraire, nous ne devrions pas oublier le rôle et la capacité des politiques publiques de choisir (ou pas) nos produits alimentaires, ainsi que la nécessité de ces politiques de devenir le fruit de processus participatifs entre tous les citoyens et non pas le résultat de pressions appliquées par les grandes sociétés transnationales, qui n’ont que peu, sinon rien à voir avec les besoins humains.

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Le chemin vers la souveraineté alimentaires des peuples

Diego Montón, Secrétariat opérationnel – CLOC-Vía Campesina

Pour nous, il est impossible de parvenir à la souveraineté alimentaire des peuples dans le cadre du système capitaliste et patriarcal. De ce constat, il est nécessaire de bâtir un programme populaire basé sur la solidarité, la justice sociale et environnementale, la justice de genre ainsi que sur la souveraineté alimentaire.

Progresser vers la souveraineté alimentaire sur le continent disposant du plus haut niveau de concentration de terres revient à défendre la fonction sociale de la terre, mais aussi défendre les semences paysannes et résister à toute initiative visant à les privatiser. Par conséquent, le combat pour une réforme agraire intégrée et la construction de systèmes locaux de productions de semences sont des engagements essentiels pour la CLOC.

Parallèlement, nous devons transformer les modèles de production imposés par les sociétés transnationales et les classes dominantes au niveau national. La production agro-écologique est fondamentale pour conserver l’autonomie, la réalisation du droit  à l’alimentation et la durabilité environnementale des paysans et petits exploitants. Dans ce domaine, l’éducation et la formation jouent un rôle fondamental. C’est pour cette raison que la CLOC a créé l’IALAS ainsi que des écoles agro-écologiques dans divers pays.

Afin de renforcer le travail des paysans et des petits exploitants tout en créant des opportunités pour la jeunesse rurale, il est vital que l’état joue un rôle actif avec des politiques publiques qui devront :

  • Assurer un accès égal pour les femmes aux ressources et aux politiques
  • Assurer une vie digne dans les campagnes en garantissant un revenu minimum, une couverture de santé, l’accès à l’éducation et d’autres droits ;
  • Développer les agro-industries locales et de petites tailles dont la valeur ajoutée aux produits de base peut ainsi s’échanger sur les marchés urbains et locaux
  • Garantir des infrastructures aux marchés locaux
  • Subventionner le soutien logistique en transportant les produits des fermes jusqu’aux marchés
  • Définir différentes normes pour que les produits des paysans puissent être directement vendus sur les marchés locaux et éviter la concentration de population dans les villes à travers la planification urbaine et rurale
  • Renforcer les organisations de paysans et de petits exploitants
  • Promouvoir l’intégration entre les organisations populaires de la campagne et des villes qui leur permettent de débattre et de renforcer le statut de la souveraineté alimentaire comme droit pour tous les citoyens.

Afin de progresser sur cette voie, nous avons besoin d’États démocratiques forts ainsi que des résolutions de l’ONU qui contrôlent et pénalisent les sociétés transnationales et leurs pays d’origine lorsqu’ils commettent des violations des droits humains ou tentent de monopoliser le marché des denrées alimentaires. Dans le cadre de ces objectifs, tous les mouvements du continent travaillent main dans la main.

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Faire progresser la souveraineté alimentaire au Népal

Balram Banskota, Fédération de tous les paysans népalais

La souveraineté alimentaire est devenue l’étendard de la Fédération de tous les paysans népalais (ANPFa), la plus grande organisation de paysans au Népal. Le mouvement paysan du Népal a tendu la main à ses homologues nationaux et internationaux afin d’ouvrir la discussion sur la souveraineté alimentaire à un plus large public. Ils la présentent comme un nouveau modèle pour le développement agraire et rural et l’opposent au paradigme de développement néo-libéral en s’orientant davantage vers le socialisme. C’était lors du Mouvement du peuples-II [Il est le nom donné aux troubles politiques contre le gouvernement non-démocratique du roi Gyanendra au Népal. Le mouvement est également connu sous le nom de Jana Andolan-II (le mouvement du peuple).] que le message du mouvement paysan et le concept de souveraineté alimentaire est parvenu au niveau local. Le peuple avait, d’un côté, la souveraineté alimentaire et de l’autre, l’agenda politique d’une république démocratique fédérale. C’est la raison pour laquelle il a été possible d’inscrire la souveraineté alimentaire comme droit fondamental pour le peuple. La nouvelle constitution du Népal (2015) garantit au peuple le droit à la souveraineté alimentaire tel qu’il est dicté par la loi (article 36 relatif aux droits à l’alimentation, sous-article 3). Pourtant, bien que ces accomplissements majeurs soient à souligner, les textes législatifs pour mettre en œuvre ces droits doivent encore être rédigés. L’instabilité politique au Népal perdure et a un impact sur l’hégémonie régionale et le capitalisme mondialisé. En effet, le gouvernement actuel, soutenu par les forces néo-libérales et le soutien technique de la FAO, rédige le projet de loi sur la sécurité alimentaire et le droit à l’alimentation à l’encontre du mandat de la constitution. Nous comprenons comment les forces antipopulaires agissent contre la souveraineté alimentaire et les autres droits progressistes qui garantissent la progression du Népal vers le socialisme. Nous sommes tous bien préparés à la sensibilisation et à la manifestation politique de masse nécessaires pour soutenir la souveraineté alimentaire. L’ANPFa dirige aussi le processus de rédaction du projet de loi sur la souveraineté alimentaire  pour mettre en œuvre les droits constitutionnels du peuple. Nous espérons que nous parviendrons bientôt à mettre en œuvre la souveraineté alimentaire au Népal malgré tous ces défis.

L’écho des campagnes 8

La souveraineté alimentaire témoigne de la richesse de notre lutte

Nettie Wiebe, Union Nationale des Fermiers (Canada)

Le terme de «souveraineté alimentaire» est devenu si familier et si fréquemment utilisé (et souvent mal utilisé) qu’il est difficile de se rappeler du temps où il ne faisait pas partie de notre vocabulaire.

Nous ne savons pas qui est à l’origine de cette formule, la « souveraineté alimentaire », mais nous savons comment et pourquoi elle est devenue une notion bien spécifique à La Via Campesina (LVC) et à d’autres mouvements. C’est un terme qui définit nos luttes, notre analyse et notre mouvement.

Le rassemblement qui a vu naître la LVC à Mons (Belgique) en 1993 a eu lieu dans un contexte où l’agenda néolibéral gagnait rapidement de la légitimité et du pouvoir grâce à des accords commerciaux régionaux et mondiaux, en particulier le GATT / OMC. En avril 1996, lorsque la première grande conférence a été organisée à Tlaxcala au Mexique, les centaines de représentants d’organisations paysannes, indigènes et rurales se sont unanimement opposés à ces politiques et pouvoirs qui menaçaient les paysans, les petits agriculteurs et les communautés rurales et indigènes à travers le monde.

Il n’a pas été difficile de mettre un nom sur ce contre quoi nous luttons – la destruction des communautés, des environnements, des cultures, des moyens de subsistance et des marchés locaux par l’agro-industrie et les gouvernements qui participent à cette destruction.

Il était en revanche plus difficile de nommer les alternatives en quelques mots. Je me souviens des débats nocturnes pendant lesquels nous tentions de trouver un terme qui désignerait ce pourquoi nous nous battons.

Le terme conventionnel de «sécurité alimentaire» ne convenait pas. Il s’agissait plus que de produire davantage de nourriture ou de la distribuer de manière plus efficace. Nous étions aux prises avec les questions fondamentales du pouvoir et de la démocratie: qui contrôle les ressources d’où viennent les ressources alimentaires comme la terre, l’eau, les graines et la génétique et à quelles fins? Qui décide de ce qui se développe, comment, où il est cultivé et pour qui? Notre langage devait exprimer les dimensions politiques de notre lutte.

La souveraineté alimentaire est un terme lourd de sens. Il induit le discours nécessaire quant au pouvoir, à la liberté, la démocratie, l’égalité, la justice, la durabilité et la culture. Les aliments ne sont plus seulement un simple produit de consommation. Ils sont réintégrés dans les contextes sociaux, écologiques, culturels et locaux et y sont reconnus comme sources de nutrition, comme moyens de subsistance.

Quelques mois plus tard, lors du Sommet Mondial de l’Alimentation à Rome, LVC a présenté publiquement certains des éléments de base du principe de souveraineté alimentaire. Et au cours des décennies qui se sont écoulées depuis, il est devenu un puissant transformateur, un concept largement utilisé qui englobe une multitude de luttes diverses dont l’objectif est de protéger la vie, de semer l’espoir et récolter la justice.

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La souveraineté alimentaire au Forum Mondial des peuples pêcheurs à petite échelle 

« Nous, le peuple El Molo, coexistons avec la nature. Nos moyens de subsistance et nos traditions sont liés à la nature et au lac [Turkana] où nous pêchons. À El Molo, nous avons un dicton: “Conservez, protégez et maintenez le lac de manière durable afin qu’il puisse servir votre famille et votre communauté“, c’est la source de votre vie, une relation bilatérale. Il n’y a pas d’aspect commercial, il s’agit de survivre. » ChristianaLouwa, El Molo Forum, Nord du Kenya

L’importance de la souveraineté alimentaire est depuis longtemps reconnue par la direction du Forum mondial des peuples pêcheurs (WFFP): la souveraineté alimentaire est un programme politique de petits producteurs alimentaires qui agissent pour la défense de nos rivières, de nos lacs, de nos océans et de nos terres. Elle est au cœur de notre lutte contre le système alimentaire néolibéral dominé par des sociétés multinationales qui, dans le contexte de la pêche, cherchent à privatiser et conférer les droits de pêche à quelques-uns seulement.

La souveraineté alimentaire nous offre un nouveau langage pour décrire ce qui constitue déjà le cœur et l’âme de la défense de nos territoires, de notre patrimoine et nos capacités à produire de la nourriture saine, bonne et abondante.

Elle fournit un cadre pour partager les connaissances et la sagesse indigènes, traditionnelles et nouvelles, et nourrir l’étude et le débat sur la souveraineté alimentaire chez les jeunes, les femmes et les hommes dans toutes les circonscriptions du Forum mondial des peuples pêcheurs. Notre vision s’appuie sur les «six piliers» de la souveraineté alimentaire [Définie au forum de Nyéléni pour la Souveraineté Alimentaire au Mali en 2007]:

  • Priorité aux aliments pour les personnes:

Les petits pêcheurs artisans et les marins sont au centre de la pêche et des politiques connexes et veillent à ce que la production alimentaire ne nuise pas aux générations futures.

  • Conférer des valeurs aux fournisseurs alimentaires:

Les droits humains de tous les petits pêcheurs impliqués dans l’ensemble de la chaîne de valeur de la pêche à petite échelle, y compris les jeunes, les femmes, les hommes et les pêcheurs autochtones, doivent être respectés et protégés.

  • Localiser les systèmes alimentaires:

Les communautés de pêcheurs décident indépendamment de leur propre système alimentaire. Ils sont au centre de la décision en ce qui concerne la transformation des produits de la pêche (salage, séchage, fumage, produits frais, gel, mise en conserve, etc.).

  • Mettre en place un encadrement local:

Les communautés de pêcheurs doivent avoir le contrôle sur les terres, les territoires aquatiques à l’intérieur des terres et la pêche maritime. Elles doivent aussi avoir accès aux zones de pêche – y compris les lacs, les rivières, les marais salants, les forêts de mangroves, les récifs coralliens et les eaux côtières -, un droit fondamental des communautés de pêcheurs.

  • Acquérir des connaissances et des compétences:

Les petits pêcheurs ont acquis leurs connaissances et compétences traditionnelles, coutumières et / ou autochtones sur plusieurs générations (transmises des parents aux enfants).

  • Travailler avec la nature:

Les petites communautés de pêcheurs partagent une longue histoire de travail et de respect de la nature. L’interconnexion entre les pêcheurs et la nature est profondément enracinée dans les traditions et les coutumes pratiques, en particulier pour les peuples autochtones, et elle s’exprime grâce à notre engagement envers l’agro-écologie. C’est sur la base de la souveraineté alimentaire que nous serons en mesure de lutter pendant la prochaine décennie. En mettant l’accent sur les jeunes, les femmes et les peuples autochtones, nous renforcerons la solidarité entre les mouvements de pêcheurs et les autres mouvements sociaux du monde entier.

L’écho des campagnes 10

Souveraineté alimentaire et AFSA

L’Alliance pour la souveraineté alimentaire en Afrique (AFSA) entend la souveraineté alimentaire comme la lutte ultime pour protéger l’Afrique de l’agression du système alimentaire industriel. Jamais auparavant il n’y a eu de tentative plus coordonnée et mieux financée pour transformer les bases de l’agriculture paysanne africaine en une entreprise commerciale. Les politiques agricoles et alimentaires sont orientées vers des intérêts commerciaux. Grâce à des accords et à des transactions frauduleuses, nos gouvernements confient la responsabilité de nourrir l’Afrique aux entreprises. Le genre de production alimentaire envisagée par les entreprises est fortement orienté vers l’industrialisation de l’agriculture, s’appuyant sur des graines hybrides, des OGM et l’utilisation accrue d’engrais et de pesticides – ainsi que l’agriculture mécanisée et à grande échelle. Plutôt que d’être aidés, les producteurs alimentaires sont éliminés de leur système de production. Plutôt que d’intégrer les connaissances et l’expérience disponibles des producteurs alimentaires, les gouvernements font croire que la majorité des producteurs alimentaires ne sont plus nécessaires.

Ce processus permet également au patrimoine génétique de l’Afrique d’être privatisé par une poignée d’entreprises multinationales, tout en mettant à mal la contribution et le rôle de la diversité des semences locales et  des réseaux d’échange.

L’agriculture est utilisée pour déchirer notre tissu culturel et social, détruire notre environnement et pour nous subordonner aux forces du capitalisme mondial. Le bon côté, c’est que nous faisons de la souveraineté alimentaire et de l’agro-écologie notre histoire, notre solution et notre avenir. L’AFSA a fourni une plateforme politique d’envergure continentale sur la souveraineté alimentaire dans de nombreux endroits. Elle a également contribué à la discussion politique sur la souveraineté alimentaire et l’agro-écologie, élargi les programmes de souveraineté alimentaire pour pouvoir y inclure l’impact du système alimentaire sur la nutrition et la santé et a réussi à relever le problème de la Commission Économique et Régionale sur les lois relatives aux semences et à la biosécurité. L’AFSA a doublé ses membres pour atteindre 30 réseaux. Elle couvre maintenant 50 pays africains sur 56 et est reconnue aujourd’hui comme l’une des entités les plus encrées, les plus fortes et les plus importantes en Afrique. C’est une vaste plateforme pour les agriculteurs régionaux africains, les pêcheurs, les consommateurs, les jeunes, les femmes et les communautés religieuses, les réseaux d’organisations non gouvernementales africaines, entre autres alliés. L’objectif est d’amener davantage la cohésion continentale à un mouvement de souveraineté alimentaire déjà en développement en Afrique.

Sous les feux de la rampe

Sous les feux de la rampe 1

La déclaration des Nations unies sur les droits paysans et paysannes et des travailleurs en zones rurales

Introduction
Les paysan-ne-s et les personnes vivant dans les zones rurales, tels que les pêcheurs artisanaux, les éleveurs ou les travailleurs agricoles, représentent encore aujourd’hui la moitié de la population mondiale. La grande majorité d’entre eux subissent constamment des violations de leurs droits : ils souffrent de manière disproportionnée de la faim et de la malnutrition, subissent l’accaparement de leurs terres, de leurs ressources aquatiques, halieutiques, forestières, semencières et sont dépossédés de leurs moyens de subsistance. Ils ne peuvent ni maintenir ou développer leur économie locale, ni gagner un revenu leur permettant de vivre dignement. Il arrive fréquemment qu’ils soient enfermés, harcelés, criminalisés, voire tués pour la défense de leurs droits. De plus, les femmes vivant en zone rurale supportent généralement une part plus importante de travail non rémunéré et subissent des discriminations plus importantes pour accéder aux ressources naturelles ou productives, aux services financiers, à l’information, à l’emploi ou à la sécurité sociale et subissent encore de multiples violences qui revêtent de multiples formes.

Depuis 2001, Le mouvement international paysan La Via Campesina (LVC) plaide pour une reconnaissance des droits des paysans au sein du système des droits de l’Homme des Nations Unies. Après huit années de discussions internes, LVC a présenté en 2009 sa propre déclaration des droits des paysannes et paysans, dans laquelle les paysans exprimèrent de manière synthétique leurs aspirations et leurs demandes. Peu de temps après, en 2010, le Conseil des Droits de l’Homme des Nations Unies (CDH) mandata son comité consultatif d’élaborer une étude préliminaire analysant les moyens de renforcer les droits des paysannes et paysans et des autres personnes. Cette étude recommande (a) d’implémenter de manière plus efficace les normes existantes, (b) de combler les lacunes normatives par le droit international et (c) d’élaborer un nouvel instrument législatif sur les droits des personnes travaillant en zone rurale (Par. 63). En septembre 2012, le Conseil des Droits de l’Homme passa une résolution établissant un groupe de travail intergouvernemental ayant le mandat d’élaborer un projet de déclaration des droits des paysannes et paysans et autres personnes travaillant dans les zones rurales.

Pertinence de la déclaration
L’ancien Rapporteur spécial des Nations Unies pour le droit à l’alimentation, Olivier de Schutter, a déclaré qu’il y a « quatre raisons principales d’adopter un nouvel instrument international relatif aux droits des paysans et autres personnes travaillant dans les zones rurales : c’est un outil nécessaire en droit international ; il permettra de combattre plus efficacement la faim dans le monde ; il sera un moyen de protéger l’agriculture familiale de la pression de l’agro-industrie ; il permettra également d’améliorer l’accès aux moyens de production dans les zones rurales. » Il a également souligné que « l’adoption d’une déclaration sur les droits des paysans et autres personnes travaillant en zone rurale augmentera la visibilité sur les droits déjà reconnus en droit international tout en permettant de faire reconnaître de nouveaux droits, comme le droit à la terre, le droit aux semences ou le droit à une compensation pour les pertes provoquées par les subsides accordés aux agriculteurs dans d’autres pays» .

Mobiliser pour les droits des paysans, des petits pêcheurs, des éleveurs et des autres personnes travaillant dans les zones rurales
Dans des pays comme l’Indonésie ou la Colombie, les paysan-ne-s ont historiquement toujours dû faire face à une profonde discrimination et à une violence omniprésente. L’appel pour la reconnaissance des droits des paysans a permis d’attirer l’attention de la population locale et a été un atout majeur pour leur permettre de faire respecter leurs droits. Cela leur a permis de renforcer leurs capacités de mobilisation et d’organisation ainsi que leurs revendications pour des politiques et des lois qui protègent et promeuvent leurs droits. Ces dernières années, plusieurs lois et politiques prenant spécifiquement en compte la situation des paysans ont été adoptées en Indonésie. En Colombie, les revendications des paysan-ne-s et des populations rurales ont figuré parmi les priorités de l’agenda politique national après des décennies de négligence.

Marche à suivre
Le groupe de travail intergouvernemental chargé d’élaborer le projet de déclaration a tenu sa quatrième session en mai 2017 [Voir la déclaration conjointe sur les droits des paysans et autres personnes travaillant dans les zones rurales avec the International Union of Food, Agricultural, Hotel, Restaurant, Catering, Tobacco and AlliedWorkers’ Associations (IUF), the World Forum of Fisher Peoples (WFFP), the World Alliance of Mobile Indigenous Peoples (WAMIP), International IndianTreaty Council (IITC), the Federation of Rural AdultCatholicMovements (FIMARC), and the Centro de EstudiosLegales y Sociales (CELS) présentée à la fin de la seconde session en février 2015.]. Mise à part l’importance d’avoir une déclaration des Nations Unies affirmant les droits des personnes travaillant en zone rurale, le processus d’élaboration a le potentiel de devenir un outil permettant :
• d’approfondir le dialogue et le rassemblement de différents groupes de personnes vivant en zone rurale et ;
• de sensibiliser la population et de contribuer au renforcement des capacités des mouvements de la société civile.
La reconnaissance des droits des personnes vivant en zone rurale dépasse le CDH des Nations Unies. Elle peut être réclamée aux autres agences de l’ONU, et de manière encore plus importante, aux autorités locales, nationales et régionales. Il appartient à tous, citoyens et organisations, de se joindre à cette lutte selon leurs moyens.

Sous les feux de la rampe 2

Le droit à la résistance

Trente-cinq paysans philippins, dont dix femmes, risque d’être emprisonnés à la suite d’une accusation de vol des propriétaires de plantation de cocotiers qui ont rassemblé un total de 19 plaintes à leur encontre. La culture de noix de coco est une zone agricole sensible au niveau de la distribution des terres dans la cadre du programme des réformes agraires. Aujourd’hui, les paysans doivent récolter plus de 22 000 dollars pour pouvoir payer leur propre caution et leur garantir une liberté temporaire. Malheureusement, la pauvreté et la récente destruction de leurs récoltes après le passage d’un typhon les empêche de réunir la somme demandée. Certains se retrouvent ainsi contraints de se cacher, emportant avec eux leurs enfants et forçant donc leur déscolarisation pour un certain temps. La criminalisation est l’un des outils utilisés par les propriétaires et les intérêts commerciaux pour harceler les paysans sans terre et les communautés rurales. Ils se servent ainsi du système législatif pour s’opposer aux réformes agraires qui menacent leur monopole de contrôle et de possession des terres. De nombreux cas, similaires à celui-là, ont été recensés dans des pays du Sud où les institutions et les structures judiciaires sont en train de devenir des instruments de répression et où les procédures judiciaires sont manipulées par ceux qui détiennent les richesses et le pouvoir politique.

La violence autour des luttes des peuples pour la souveraineté alimentaire devient affreusement banale et commune dans le monde. Elle apparait sous la forme de menaces, d’intimidation, de force physique et d’abus de pouvoir des autorités publiques, des élites et des acteurs non-étatiques. Du Cambodge au Brésil, les communautés rurales sont de plus en plus confrontées au danger de la violence lorsqu’ils se battent pour défendre leurs terres, leurs eaux, leurs forêts, leurs ressources, leurs moyens de subsistance et leurs droits de l’emprise des extractivistes, des mesures et projets destructeurs, souvent au nom du « développement ». Les femmes, les jeunes et les enfants sont les plus exposés. Amener les responsables des violations des droits humains en justice se solde par des échecs systématiques et ne fait que renforcer la culture de l’impunité tout en représentant un déni du droit à la justice des victimes.

La violence, l’abus de pouvoir et l’impunité ne sont pas inconnus au monde rural, mais la violation des droits des peuples et la criminalisation des défenseurs des droits se sont étendus et ont atteint des niveaux alarmants ces dernières années [Voir Bulletin Nyéléni n°14 et Newsletter Volume III No. 4, August 2016]. Cette croissance peut être attribuée au rapprochement entre intérêts politiques et commerciaux, aux lois répressives ainsi qu’au modèle de développement qui criminalise ceux qui s’opposent à l’accaparement des terres, à la déforestation, à l’industrie minière, aux barrages et aux injustices socio-économiques. Les communautés locales et les mouvements populaires en marche pour la construction de la souveraineté alimentaire sont les premières cibles visées car la souveraineté alimentaire entrave la croissance et le développement économiques basés sur des investissements à grande échelle, sur l’agriculture industrielle, les systèmes alimentaires, la privatisation et l’extractivisme. Le moyen le plus efficace et le plus simple pour nuire à la souveraineté alimentaire est d’affaiblir ses défenseurs. La violence physique et légale est devenue une arme de premier choix pour les entreprises, les élites et de nombreux gouvernements pour réduire au silence les dissidents et les opposants mais aussi et surtout pour empêcher les peuples d’imaginer des mondes différents du paradigme économique dominant.

Cependant, les mouvements des communautés et des peuples autour du monde s’organisent pour mettre un terme à la criminalisation des petits producteurs et à l’impunité des états et des entreprises dans des pays où les espaces pour une réelle démocratie se réduisent, voire sont inexistants, c’est le cas notamment pour l’Inde, le Pakistan, les Philippines, le Cambodge, la Thaïlande, l’Equateur, le Brésil et bien d’autres… Ces luttes veulent défendre la dignité humaine et naturelle, protéger les droits fondamentaux et les libertés mais aussi obtenir une comptabilité exacte de la part des institutions, des structures et des personnes au pouvoir. L’engagement indéfectible des mouvements populaires pour défendre la souveraineté alimentaire montre toute l’importance du renforcement et de la défense des alternatives au néolibéralisme et au pouvoir entrepreneurial, tout en articulant le bien-être et le progrès depuis les points de vue des victimes de différentes formes d’injustices, et notamment les femmes.

L’écho des campagnes

Les voix de la COP23

Manuel Pereira Araujo, MOKATIL – Est Timor:
Nous sommes commvaincu que la terre est notre corps, l’eau est notre sang et la lumière du soleil, notre énergie.

Marthin Hadiwinata, Kesatuan Nelayan Tradisional Indonesia (Pêcheurs traditionnels d’Indonésie) – Indonésie:
Les Nations Unies mettent en avant le concept de “Carbonne Bleu” comme une solution du changement climatique. Le carbonne bleu se réfère au carbonne qui est stocké dans les écosystème côtiers, comme les mangroves. Les mangroves peuvent absorber jusqu’à dix fois la quantité de carbonne qu’une forêt de pins par exemple. Toutefois, ces soit-disant régimes de carbonne-bleu sont comparables aux REDD (Reduced Emissions from Deforestation and Forest Degradation ) Réduction des émissions de CO2 provenant de la déforestation et de la dégradation des forêts/ Le problème est que ces systèmes excluent les personnes qui ont compté sur les écosystèmes côtiers pendant des générations comme source de nourriture et de médicaments. Les schémas de carbone bleus conduisent également à la criminalisation des pêcheurs. En vertu de la législation côtière en Indonésie, les personnes qui tentent d’accéder à ces mangroves «protégées» peuvent être arrêtées et inculpées. Le carbone bleu met d’avantage en danger les populations locales en privatisant leurs moyens de subsistance.

Katia Avilés-Vásquez, Organisation Boricuá pour l’Agroécologie – Puerto Rico:
À Porto Rico, après les ouragans de septembre 2017, les forces de la nature se sont rapidement transformées en problèmes sociaux désastreux créés par les hommes au pouvoir. Les femmes fut les plus touchées. Dans presque toutes les brigades de travail organisées pour faire parvenir des ressources de survie aux populations, l’urgence majeure était de mettre les femmes en sécurité, car les conditions qui étaient auparavant abusives s’étaient transformées littéralement en une question de vie ou de mort. Dans un cas, à Vieques, nous avons utilisé un gros bagage apporté avec de la nourriture pour aider une femme à échapper à une situation violente. Les femmes sont en première ligne lorsqu’une catastrophe survient. Mais elles ont aussi le plus grand rôle à jouer dans la reprise.
La plupart des personnes en charge de l’organisation des brigades de travail sont des femmes. Cependant, les porte-parole et les décideurs ont tendance à être principalement des hommes parce que les caractéristiques associées à ceux qui prennent le micro et se lèvent sont principalement des caractéristiques masculines. On nous apprend à refuser les qualités féminines. En parlant d’une transition juste dans les Caraïbes, il est très important de remettre en question cette notion de ce que nous considérons comme fort, de ce que nous considérons comme du leadership et de ce que nous considérons comme un succès. La Terre Mère est féminine. La puissance féminine nous a envoyé un ouragan pour nous secouer et nous rappeler que ces hommes doivent mettre fin à leur dépendance au pétrole et aux carburants fossiles.

Massa Koné, Convergence Globale des luttes pour la Terre et l’Eau – Mali:
Il était important pour nous de montrer notre résistance en étant présents à la COP23. Tout d’abord, je pense que parmi les nombreuses actions que nous avons menées à la COP23, l’action directe Ende Gelände («Ici et pas plus loin») contre l’énorme mine de charbon allemande était très symbolique. L’Allemagne n’aurait pas dû tenir la COP23 alors qu’elle avait une grande mine à ciel ouvert. C’est comme s’ils se moquaient de nous. Deuxièmement, je pense que le système capitaliste sonne le glas pour la Terre. Il va la noyer. Par conséquent, nous devons converger ensemble pour suggérer des propositions concrètes pour sortir de là où nous sommes.
Ce que nous devons faire, c’est de rassembler les intérêts de tous les différents courants: les paysans, les pêcheurs, les pasteurs, tous ensemble. Nous ne pouvons pas développer une réponse pour un seul flux, il nous faut des réponses qui prennent toutes les problématiques ensembles. Tous obtiennent leurs réponses à travers des solutions concrètes que nous appelons agroécologie et souveraineté alimentaire. Cette proposition inclut la reconnaissance des droits communs, l’autonomie des semences et l’autonomie de tous les acteurs de la production alimentaire. À un moment donné, à mesure que nous grandissons, nous serons une grande masse contre le système. Cette masse amplifiera notre lutte. Nous obtiendrons des résultats le jour où toute une masse de personnes se lèveront ensemble contre le système.


Fanny Métrat, Confédération Paysanne – France:

Les solutions proposées par les gouvernements à la COP23 bénéficient aux multinationales. Les gouvernements ne parlent jamais de réduire la dépendance aux combustibles fossiles ou de réduire la consommation ou les déchets. Ils parlent plutôt de marchés du carbone. Les marchés du carbone donnent aux entreprises qui ont le plus d’argent la capacité de payer afin de continuer allègrement à polluer. Les marchés du carbone sont une fausse solution parce qu’ils favorisent les profits des entreprises. Les gouvernements et les entreprises demandent aux paysans d’accepter de nouveaux organismes génétiquement modifiés et toutes les dernières technologies tout en continuant à promouvoir les grandes fermes industrielles.
Il est important de reconnaître que les fausses solutions sont enracinées dans le patriarcat. Nous ne voyons que des hommes aux tables de négociation et dans les salles des conseils d’administration. Ce sont les hommes de la COP23 qui décident quelles seront les fausses solutions qu’ils vont mettre en place. En revanche, dans La Via Campesina, la lutte féministe est très forte. Nous comprenons l’importance de la révolution féministe. Et avec de plus en plus de parité entre les sexes dans La Via Campesina, nous réussirons à être une structure qui porte la parole féministe avec force.