Encadres

Encadré 1

Le carbone brûle, les océans s’élèvent

Bien que la rencontre se soit tenue à Bonn en Allemagne, Fidji était l’hôte officiel de la COP23. Fidji, un pays constitué de 330 petites îles dans le Pacifique Sud, a affirmé ne pas disposer des infrastructures nécessaires pour accueillir une telle rencontre mondiale. Alors que l’Allemagne continue de brûler du charbon et autres combustibles fossiles qui fournissent 53 % de son électricité, les 870 000 citoyens des Fidji doivent confronter la rage meurtrière du changement climatique. Les graves inondations et pluies deviennent toujours plus réelles.
L’une des menaces les plus sérieuses pour les Fidji et pour toutes les nations côtières est la montée du niveau des mers. Celui-ci augmente à présent de 3,4 mm par an – le taux le plus élevé depuis 2000 ans ! La cause immédiate est le volume d’eau supplémentaire apporté aux océans par la fonte des calottes glaciaires, aggravé par la dilatation de l’eau quand sa température monte. Mais tout cela est lié à l’augmentation des émissions de GES due à la combustion continue des énergies fossiles. En juillet 2017, une fissure gigantesque dans la plate-forme de glace Larsen « C » en Antarctique a entrainé la libération de 5 800 kilomètres carrés de glace dans l’océan, produisant un nouvel iceberg quatre fois la taille de Londres en Angleterre. Toutes les nations côtières et insulaires, leurs peuples et écosystèmes, sont en grand danger lorsque la crise climatique s’accélère. Les efforts pour encourager la souveraineté alimentaire et l’agroécologie comme moyen de réduire les émissions aident à promouvoir la justice sociale pour les peuples des états-nations de faible altitude, y compris Fidji.

Encadré 2

Le Capitalisme, c’est quoi ?

Lors d’un forum ouvert pendant la COP22, LVC et autres participants alliés ont proposé de courtes définitions du capitalisme. Ils ont dit que le capitalisme c’est…

• Un système qui va à l’encontre de la propriété collective, contre la collectivité et la socialisation des moyens de production.
• Un système économique fondé sur le profit qui ne prend pas en compte l’intérêt général.
• Pas seulement un système économique, mais aussi un système politique parce que les politiques gouvernementales encouragent l’accumulation. Les individus n’ont pas le droit de décider comment organiser la production.
• Un système global. Les capitalistes résolvent leurs crises en se mondialisant toujours plus. Ils imposent l’exploitation des êtres humains à travers le monde. Le développement capitaliste n’est pas pour la nation mais pour un petit groupe de puissants.
• Individualisme et chacun pour soi. En comparaison, le peuple choisit la solidarité !
• L’exploitation de la nature. Les petits agriculteurs ne produisent pas des émissions de CO2 en excès, l’agro-alimentaire capitaliste si !
• Un système dans lequel seuls quelques membres de la communauté sont valorisés. On donne une valeur aux personnes en fonction de leur localisation, genre, race et sexualité. Le capitalisme crée des personnes jetables.
• Un système destructif qui nous oblige à travailler ensemble pour le vaincre.

Encadré 3

Convergence

Relèvement Juste et Transition Juste

Dans la lutte pour la justice climatique, nous avons beaucoup à apprendre les uns des autres et encore plus à faire ensemble. L’action collective, mûrie à travers des moments de réflexion critique avec les mouvements et organisations alliées, crée les conditions d’une convergence de plus en plus grande. Aujourd’hui, la lutte mondiale pour la souveraineté alimentaire est devenue partie intégrante du mouvement plus large pour la justice climatique, les transitions justes, et les relèvements justes.

Voilà comment cela a été décrit par le GGJA (Grassroots Global Justice Alliance) Alliance Globale Populaire pour la Justice:

La Transition Juste est un ensemble de principes unificateurs émanants de lieux précis, de processus et de pratiques axés sur une vision centrale qui renforcent le pouvoir économique et politique afin de passer d’une économie extractive à une économie régénératrice reconnaissant le droit des écosystèmes locaux et de la nature à maintenir des cycles naturels vitaux. Cela signifie approcher les cycles de production et de consommation de manière holistique et sans gaspillage. La transition elle-même doit être juste et équitable; redresser les dommages passés, restaurer l’environnement et créer de nouvelles relations de pouvoir pour l’avenir grâce à des réparations. Si le processus de transition n’est pas juste, le résultat ne le sera jamais. La transition juste décrit à la fois l’endroit vers lequel nous nous dirigeons et la façon d’y parvenir.

Le Relèvement Juste est un cadre visionnaire promu par la justice environnementale et les communautés de travail pour les efforts de rétablissement pendant les moments de catastrophes climatiques. Un rétablissement juste appelle à ne pas restaurer le même niveau extrème de consommation d’énergie et d’infrastructures fossiles et extractives. Il suit au contraire le leadership des communautés de première ligne dans la définition du type de rétablissement dont elles ont besoin, et saisit l’opportunité d’une reconstruction après la catastrophe qui sécurisera les énergies renouvelables et les économies régénératrices qui peuvent créer des emplois, protéger l’environnement et conduire à des communautés résilientes.

Quand l’accord de Paris a été adopté en 2015, l’alliance globable populaire pour la justice a publié le rapport «Nous sommes la Ligne rouge de la Terre Mère», décrivant cinq faiblesses fondamentales au sujet de l’accord mondial sur le climat:

1. L’accord repose sur des réductions d’émissions volontaires par opposition à des réductions obligatoires qui ne répondent pas aux objectifs que les scientifiques estiment nécessaires pour éviter une catastrophe climatique.
2. L’accord fait progresser les mécanismes d’échange de droits d’émission qui permettent aux pollueurs d’acheter des “compensations” et de maintenir des niveaux d’émissions extrêmement dangereux.
3. L’Accord repose sur des énergies polluantes et de fausses promesses, notamment la fracturation hydraulique, l’énergie nucléaire, les agrocarburants, la capture et la séquestration du carbone et d’autres propositions technologiques qui présentent de graves risques écologiques.
4. Le texte de l’accord omet toute mention des droits de l’homme ou des droits des peuples autochtones et des femmes.
5. L’Accord affaiblit ou supprime les droits de réparation dus au Sud par le Nord Global.

L’analyse les Nations Unies a réalisé des promesses faites par les pays du monde lors de l’adoption de l’Accord de Paris en 2015 estime que ces promesses conduiront probablement encore à des augmentations mondiales de température de près de 3 degrés Celsius au cours du siècle à venir. Le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE) a constaté que même si tous les pays signataires de l’Accord de Paris respectaient leurs promesses, le monde serait encore 12 à 14 gigatonnes chaque année au dessus du niveau nécessaire pour maintenir la hausse de la température au-dessous de 2 degrés Celsius par rapport aux niveaux pré-industriels.

Des solutions justes de transition, qui incluent des modèles de souveraineté alimentaire, de logement durable et de démocratie énergétique, sont des campagnes inspirantes qui refusent le faux choix entre développement économique et protection de la terre, de l’eau, de la santé de la Terre Mère et de la santé de nos communautés. La Transition Juste reconnaît également que les besoins de la Nature sont aussi les nôtres et doivent être élevés et protégés par des droits légaux, et maintenus à travers des systèmes d’échange et de réciprocité durables.

Pour plus d’information sur Alliance Globale Populaire pour la Justice, vous pouvez visiter http://ggjalliance.org/

Encadré 4

La géo-ingénierie, de nouvelles menaces pour la souveraineté alimentaire.

L’une des propositions les plus dangereuses pour le changement climatique est ce qu’on appelle la géo- ingénierie, à savoir la manipulation technologique du climat faite à une grande échelle mondial afin d’enrayer les symptômes du chaos climatique.
Et ceci est dû à une convergence d’intérêts économiques de puissantes industries et d’intérêts géopolitiques et militaires. Pour les pays connaissant un niveau élevé d’émissions de carbone et leurs transnationales polluantes, la géo-ingénierie apparait comme la “solution technologique” qui leur permettra de continuer à émettre des gaz à effet de serre tout en pouvant faire de nouvelles affaires en vendant de la technologie pour faire baisser la température ou pour supprimer et stocker du carbone.

Ce sont des propositions technologiques cherchant à intervenir sur les écosystèmes terrestres, les océans et l’atmosphère. Dans certains cas, elles servent à bloquer ou refléter une partie de la lumière du soleil arrivant jusqu’à la terre et ainsi font baisser la température ; dans d’autres cas, elles permettent d’absorber le dioxyde de carbone de l’atmosphère et de le stocker dans les fonds géologiques marins ou terrestres. Elles comprennent également des techniques qui altèrent le climat local et régional, tel l’ensemencement des nuages et les propositions visant à rediriger ou dissoudre les ouragans. Toutes ces propositions ont des impacts environnementaux, sociaux et géopolitiques graves. Aucunes ne cherchent à modifier les causes du changement climatique. Si elles fonctionnaient, ce serait simplement pour en gérer les symptômes mais le changement climatique continuerait à augmenter. C’est pourquoi la géo-ingénierie ne fait que créer des marchés captifs.

L’une des propositions très répandue des spécialistes est de créer un méga-nuage volcanique artificiel sur l’Arctique en injectant des sulfates dans la stratosphère afin de bloquer la lumière du soleil. Selon des études scientifiques, cela pourrait faire baisser la température mais déséquilibrerait les pluies et les vents dans l’hémisphère Sud tout en perturbant la mousson en Asie, en produisant des sécheresses en Afrique et une augmentation des inondations en Amérique Latine ; ce qui menacerait les ressources en eau et l’alimentation de millions de personnes. En outre, il faudrait continuer à injecter des sulfates pour un temps indéfini car, si cela s’interrompait, la température remonterait de façon spectaculaire et il serait encore plus difficile de faire face aux impacts. En dépit de ces énormes risques, le Programme de géo-ingénierie de Harvard, aux Etats Unis, prévoit déjà d’effectuer des expériences en Arizona, sur des territoires de peuples autochtones.

Une autre des techniques encouragées –en particulier à la suite de la signature de l’Accord de Paris sur le changement climatique– est ce qu’on dénomme la capture et le stockage du carbone (CCS pour les sigles en anglais) et la bioénergie avec capture et stockage du carbone (BECCS pour les sigles en anglais). La CCS est une technologie inventée par l’industrie pétrolière pour pouvoir extraire du pétrole à une grande profondeur. On injecte du dioxyde de carbone à pression, ce qui permet de propulser le pétrole alors que théoriquement le carbone reste au fond. Or, l’industrie pétrolière a abandonné l’usage de cette technique (appelée à l’origine Enhanced Oil Recovery) parce qu’elle n’était pas économiquement viable. Néanmoins, si maintenant ils peuvent percevoir des subventions pour “séquestrer” et stocker le dioxyde de carbone, l’affaire devient juteuse : ils extraient plus de pétrole et augmentent leurs bénéfices bien qu’étant parmi les principaux coupables du changement climatique.

La proposition de bioénergie avec la CCS (BECCS) est encore plus perverse. Il s’agit de créer des méga-plantations d’arbres et de cultures en vue de “séquestrer” le carbone lors de leur croissance, ensuite de les brûler pour vendre la bioénergie et d’enterrer le carbone produit avec la CCS. Pour maintenir l’augmentation de la température en dessous de 2 degrés jusqu’en 2100 avec la BECCS, il faudrait planter de 500 millions à 6 milliards d’hectares de monocultures industrielles, ce qui serait dévastateur. Actuellement, toute la surface de terre cultivée à niveau mondial est de 1 milliard 500 millions d’hectares. En toute évidence, la BECCS entrerait en compétition avec la production d’aliments, les territoires des peuples autochtones, les zones naturelles, etc. Quoique la BECCS ne soit pas viable, il existe des gouvernements et des entreprises qui en font la promotion afin de “respecter” l’Accord de Paris et pour obtenir des crédits carbones, ce qui fait que les luttes pour la terre et l’eau ainsi que les menaces et la violence visant à expulser les paysans et les autochtones de leurs terres vont devenir de plus en plus fortes.

La géo-ingénierie est si risquée et présente tant d’impacts pour l’environnement, les peuples autochtones et les paysans, que la Convention sur la diversité biologique a décrété un moratoire contre son utilisation. Pour autant, les industries et les gouvernements, tirant profit de ce négoce du changement climatique, continuent à la promouvoir.

Du fait des graves menaces pesant sur la souveraineté alimentaire, les formes de vie des paysans et des peuples autochtones, l’environnement et la biodiversité, il est crucial que les mouvements sociaux et les organisations sociales rejettent toutes expériences et propositions de géo-ingénierie et luttent pour qu’elle soit interdite.

Pour plus d’informations sur les techniques de géo-ingénierie et ses impacts vous pouvez consulter : Silvia Ribeiro, Groupe ETC

Sous les feux de la rampe

Justice climatique d’en bas

Au sommet des Nations Unis sur le climat en 2015 (qu’on appelle aussi COP21), des mouvements sociaux du monde entier ont convergé à Paris en France pour réclamer des gouvernements qu’ils aboutissent à un accord contraignant pour inverser les effets de la crise climatique globale. Les mouvements se sont rejoints pour demander une justice climatique, conscients qu’à moins que de sérieuses actions soient prises, les phénomènes climatiques imprévisibles et extrêmes allaient continuer à menacer les vies de centaines de milliers de personnes, y compris et en particulier paysans, peuples indigènes, artisans pêcheurs, petits et moyens agriculteurs, femmes et jeunes.

Avec la signature de l’Accord de Paris, les gouvernements ont donné la priorité à un éventail d’antidotes qui, d’après ce qu’ils affirment, vont réduire l’émission de dangereux gaz à effet de serre (GES). Certains ont même assuré qu’ils avaient à cœur d’augmenter la résilience des paysans aux effets du réchauffement climatique. Ces fausses solutions, telles que la géo-ingénierie, les marchés du carbone, l’agriculture intelligente face au climat[1], la « réduction des émissions causées par le déboisement et la dégradation des forêts »(REDD) et autres programmes qui tous endommagent davantage la vie sur la Terre Mère. En mettant l’accent sur des réformes vertes et bleuesdans le but de tirer des profits et sur un statu quo pour la combustion et l’extraction de carburants fossiles, le secteur des entreprises, avec l’appui de la finance internationale, a reçu un feu vert pour accaparer de plus en plus de terres, eau, semences, et moyens de subsistance des peuples et de la Terre. Cependant, à Paris et au-delà, La Via Campesina (LVC) a travaillé avec ses alliés pour remettre en question les fausses solutions des capitalistes et proposer la souveraineté alimentaire comme solution fondamentale, « réelle » aux multiples crises crées par le système alimentaire agro-industriel.

Un an après COP21, et quelques jours seulement après que l’Accord de Paris soit entré en vigueur, La Via Campesina a organisé une rencontre en banlieue de Marrakech au Maroc pour tenir un Séminaire et Formation sur la Justice Climatique porté par les mouvements sociaux en parallèle de la COP22. Les enjeux du séminaire étaient de créer et approfondir une compréhension commune de la crise climatique et améliorer notre capacité à construire et consolider des réponses au capitalisme et à ses crises. Les délégués de LVC et ses alliés sont venus du Zimbabwe, Ghana, Palestine, Maroc, Tunisie, Guatemala, Venezuela, Brésil, Indonésie, Inde, France, Allemagne, Canada et Etats-Unis.

En dialogue les uns avec les autres, et en se basant sur des expériences directes de lutte populaire, les participants en formation ont développé un cadre de réalisation d’une justice climatique fondée sur la souveraineté alimentaire qu’on appelle la justice climatique d’en bas. La justice climatique d’en bas est un engagement radical à la construction d’un mouvement qui cherche à renforcer une société fondamentalement différente et respectant la vie, avec une économie politique contrôlée par et pour les communautés locales y compris paysans, peuples indigènes, artisans pêcheurs, travailleurs ruraux sans terre, travailleurs du secteur informel, avec en particulier femmes et jeunes parmi eux.

Au cours du séminaire de Marrakech, les participants ont débattu et développé les quatre thèmes de lutte ci-dessous pour orienter leur engagement envers la justice climatique :


1. Fausses solutions à la Crise Climatique :
Les gouvernements et grandes entreprises aux COPs des Nations Unies prennent des décisions qui vont à l’encontre des intérêts de la Terre et de ses citoyens. Du point de vue des capitalistes et de leurs défenseurs, les marchés du carbone, l’agriculture intelligente face au climat et autres fausses solutions sont nécessaires parce qu’elles favorisent les profits d’entreprise. Du point de vue des individus, ces mécanismes ne sont pas du tout des solutions parce qu’elles ne font qu’accentuer le changement climatique et continuent à privatiser et transformer en marchandise la Terre Mère et les vies humaines. D’après Dena Hoff (National Family Farm Coalition, Etats-Unis), “l’agriculture intelligente face au climat n’est qu’un autre stratagème. C’est une autre façon pour les grandes entreprises de gagner davantage de pouvoir sur le système agro-alimentaire en subordonnant les chaines alimentaires locales et en extrayant les richesses du sol. »

2. Le capitalisme est l’une des causes profondes de la Crise Climatique: Même si toutes les économies fondées sur le charbon et autres combustibles fossiles contribuent au changement climatique, les participants au séminaire ont reconnu que les relations capitalistes sont la cause principale des crises économique, sociale et écologique globales. On comprend le capitalisme comme un système d’exploitation et dépossession fondé sur la propriété privée sur la nature et les moyens de production, qui impose une hiérarchie de force de travail empêchant travailleurs, paysans et peuples indigènes de s’unir contre le capital. Dans cette hiérarchie, des travailleurs[[Hommes dépossédés de leurs ressources, travailleurs avec ou sans salaire.]], hommes, en général blancs, sont proches du sommet et bénéficient d’un privilège -un salaire. Les femmes, en particulier de couleur et indigènes, sont en bas de cette hiérarchie, pour la plupart exclues du salariat et les plus exploitées et menacées par le capitalisme. Avec l’intensification de la crise et du néolibéralisme, les jeunes générations sont contraintes à des conditions d’exploitation en bas de la hiérarchie. Cependant, ces groupes ne sont pas seulement des victimes d’exploitation. Ce sont des agents de changement qui utilisent leurs pouvoirs au sein du patrimoine commun pour construire des mouvements pour des changements systémiques à la base. Isabelle soc Carrillo (Coordinadora Nacional de Viudas de Guatemala) souligne la centralité des actions et perspectives des femmes indigènes pour les mouvements de justice climatiques : « les femmes qui ont conduit nos luttes ont été claires sur notre notre position face aux accords commerciaux avec le gouvernement parce que nous ne voulons pas que les entreprises nous imposent leur mode de vie. Nous allons poursuivre nos luttes, et n’arrêterons pas, jusqu’à ce que le gouvernement nous écoute. Au Guatemala nous avons notre propre cosmovision et nous nous battons pour qu’un jour, elle soit respectée. La Terre Mère n’est pas une entreprise, ni une marchandise, et elle n’a pas de prix. …Nous devons arriver à une entente entre la terre et nous-mêmes, parce que nous sommes la terre. Nous ne faisons qu’un ; nous sommes tous unis avec la Terre. La Terre peut sans-doute survivre sans nous, mais nous ne pouvons pas survivre sans la Terre Mère. »

3. Convergence de mouvements pour renforcer la justice globale populaire : Les délégués du séminaire de Marrakech sur le climat ont reconnu que la convergence et la création d’alliances était une priorité pour réaliser une justice climatique d’en bas. La convergence est un processus de formation d’alliances et de solidarités entre mouvements. Il se trouve que souvent les groupes travaillant sur des sujets tels que la souveraineté énergétique, les droits de l’Homme, la déconstruction de la patriarchie, la souveraineté indigène, et la souveraineté alimentaire soient distincts, agissant chacun de leur côté. Cette séparation rend difficile aux mouvements d’harmoniser leurs idées et de développer des actions communes. Collectivement, les coalitions de la base, les mouvements sociaux, paysans et agriculteurs œuvrant pour la justice climatique sont en première ligne et mènent la lutte. En formant des alliances, nous prenons des mesures concrètes pour encourager nos combats. Les alliances nous permettent d’agir avec succès et ainsi apporter de l’espoir dans le cœur des peuples pour poursuivre la lutte contre le capitalisme et pour la défense de la vie sur le Terre Mère.

4. Des récits de lutte pour la justice climatique d’en bas : Les délégués du séminaire ont partagé leurs expériences d’actions sur leurs territoires pour intensifier la justice climatique d’en bas et résister les agro-industries et grandes entreprises énergétiques « vertes ». Par exemple, nous avons entendu des délégués de : Brésil, luttant contre des méga-projets énergétiques et favorisant l’énergie et des systèmes alimentaires contrôlés par les communautés ; Palestine, œuvrant pour que les agriculteurs puissent accéder à la terre, à l’eau, et aux semences locales ; Tunisie, soutenant l’occupation des terres par des paysans qui développent l’agroécologie et des communautés autonomes ; Indonésie, défendant et reconquérant la terre pour mettre en place des projets agroécologiques ; Inde, contestant le contrôle des grandes entreprises sur les semences et valorisant le contrôle de la production alimentaire par les paysans ; Maroc, organisant sur plusieurs fronts pour regagner le contrôle de la terre et établir une justice social ; et Etats-Unis, affrontant le racisme environnemental et le colonialisme par des actions directes et initiatives contre les énergies fossiles et pour la souveraineté alimentaire. Ces solutions locales sont globalisées à travers nos réseaux pour créer un mouvement global de mouvements avec femmes et jeunes en premier plan.


Résultat:
Les réflexions apportés par les participants au séminaire de Marrakech sont particulièrement utiles maintenant que de plus en plus de peuples, organisations et mouvements, avec femmes et jeunes au premier plan, se lèvent contre les crises multiples du capitalisme. Dans le contexte de preuves considérables que le changement climatique est une réalité maintenant et à travers le monde, se mobiliser pour la justice climatique d’en bas est d’autant plus urgent. Quand nos mouvements se développent et se multiplient, nous renforçons notre capacité à lutter efficacement contre le capitalisme et pour une société réellement juste qui profite à tous les peuples et à la Terre Mère.

[1] Pour une définition de l’ « agriculture intelligente face au climat » utilisée dans ce bulletin, veuillez consulter ici.

L’echo des campagnes

L’echo des campagnes 1

Renforcer le rôle des femmes dans la pêche artisanale

Rehema Bavumu et Margaret Nakato, WFF et le Katosi Women Développements Trust (KWDT), Ouganda

La pêche est comprise comme étant une activité d’hommes, se rendant sur le lac avec leurs bateaux, et l’énorme travail effectué par les femmes dans la transformation, la distribution et la commercialisation des poissons est ignoré. La responsabilité de l’approvisionnement en nourriture pour les foyers de pêcheurs repose de façon disproportionnée sur les femmes qui doivent se procurer des poissons pour la consommation domestique alors que les hommes sont plus motivés pour pêcher en vue du marché afin de gérer le crédit servant à acheter le matériel de pêche et à avoir un revenu suffisant pour leur subsistance. Les femmes doivent aussi satisfaire les besoins alimentaires en pratiquant l’agriculture. Elles s’occupent aussi souvent des nombreux restaurants dans les communautés de pêcheurs afin de nourrir la communauté de pêche mobile. Alors que les pêcheurs établissent leur logement sur le site du débarquement, mais se déplacent souvent d’un site à un autre à la recherche de zones de pêche plus lucratives, les femmes se fixent sur un site de débarquement de pêche particulier et assument toutes les responsabilités des tâches domestiques.

Malheureusement, les défis, tels que les conflits relatifs à la terre et à l’eau dans les communautés de pêcheurs, entrainent la perte de l’accès aux zones de pêche, car de nouveaux propriétaires étendent leur domaine vers le lac et restreignent l’accès des pêcheurs à ces zones. Il en résulte que les femmes perdent également des terres pour la transformation des poissons entrainant des déperditions après la récolte et moins de poissons disponibles pour les communautés de pêcheurs, à la fois pour la consommation et la vente. Leurs vies en sont directement affectées, vu que les familles doivent se séparer lorsque les hommes sont arrêtés pour s’être introduits dans des zones de pêche restreintes et que le fardeau de les en sortir repose sur les femmes.

C’est pourquoi, le Fonds Katosi pour le développement des femmes (KWDT) a engagé les femmes à s’informer sur ces querelles foncières afin de s’assurer qu’elles soient incluses dans les groupes locaux de pression sur le foncier pour qu’elles puissent comprendre et devenir active en vue de résister aux expulsions. Les femmes sont en outre aidées pour acquérir des connaissances et des compétences afin d’améliorer leurs existences, y compris pour perfectionner leurs techniques de transformation du poisson, pour développer leurs stratégies de commercialisation, pour avoir accès au crédit ainsi que pour apprendre à travailler en groupe en vue d’examiner les normes sociales et culturelles qui empêchent les femmes d’accéder à leur autonomie.

Dans le but de provoquer et déclencher le changement, soutenir ce changement et transformer leurs vies, les femmes doivent être intégrées aux initiatives de développement dans les communautés de pêcheurs. Leurs immenses efforts ne doivent pas seulement être reconnus mais également stimulés.

L’echo des campagnes 2

Le cas de El Molo

Christiana Saiti Louwa, El Molo Forum and Thibault Josse, Mafifundise – Kenya

El Molo est une communauté de pêcheurs traditionnelle vivant autour du Lac Turkana situé au nord du Kenya près de la frontière avec l’Ethiopie. Pour El Molo, la pêche c’est la vie – ce sont des pratiques culturelles, un bien-être spirituel et leur principale source de subsistance. El Molo pratique des méthodes de pêche traditionnelles telles que la pêche au filet, à l’hameçon, au harpon et à la nasse. Les savoirs autochtones de pêche ont été préservés et transmis par les traditions orales et les pratiques de génération en génération. La pêche est gérée par les plus âgés de la communauté, en appliquant une pêche rotative et migratoire. La météo, le vent, la lune et les vagues indiquent à El Molo où, comment et que pêcher.

Les politiques en matière de pêche au Kenya ont été élaborées surtout pour la pêche en mer sans la participation et la consultation des pêcheurs, des communautés de pêcheurs et de leurs organisations, omettant donc de reconnaître leurs droits, leurs intérêts et les savoirs traditionnels ainsi que la gestion coutumière de la pêche. Par la suite, la pêche dans les eaux intérieures a été à peine rajoutée et sans aucune implication substantielle. Lorsqu’il y eut une révision de la politique en 2016, le mot “intérieur” a été artificiellement rajouté un peu partout. La politique traite, par exemple, de la conservation et de la gestion des zones d’élevage dans le Lac Navisha, alors que le gouvernement fait la promotion du tourisme et de l’industrialisation autour des lacs. Les conflits habituels entre le gouvernement et les communautés de pêcheurs sont causés par un manque de spécifications dans la politique sur la pêche à petite échelle. Pour autant, cela commence à changer grâce au plaidoyer et au lobbying intense des artisans pêcheurs. Les représentants des pêcheurs d’El Molo utilisent maintenant les Directives sur la pêche artisanale (cf. Encadré 2) et la Constitution du Kenya pour réclamer une politique qui reconnaisse véritablement la gestion traditionnelle de la pêche.

L’echo des campagnes 3

Lutte pour un territoire traditionnel et coutumier

Herman Kumare, National Fisheries Solidarity Movement (NAFSO), membre du WFFP, Sri Lanka

“C’est la terre où nous avons vécu, c’est la terre où nous mourons.”
Membre de la Communauté de Lahugala

Le 17 juillet 2010, la communauté Paanama de 5 villages du Lahugala dans le District Ampara a été expulsée de force de 1 200 acres de terrains sur le littoral et les lagons par des personnes masquées non identifiées équipées de mitrailleuses. Dans des villages voisins, environ 365 acres ont été saisis par l’Armée de l’air et délimités par une clôture électrique et 860 acres en plus, de trois autres villages, furent saisis par la Marine et également clôturés.

Par la suite, les villageois ont constaté qu’un complexe touristique le “Paanama Lagoon Cabana” se construisait sur les terres d’où ils avaient été expulsés. Ce complexe touristique est géré par la Marine qui en empoche les bénéfices. Les terres acquises par l’Armée de l’air ont été transformées en base aérienne pour l’armée. D’autre part, ces zones occupées par l’Armée de l’air et la Marine sont en lien avec la Réserve nationale de Lahugala, qui est une réserve pour les éléphants ainsi que zone de conservation de la forêt. En outre, la Marine a restreint, et même interdit dans certaines zones, les activités de pêche pendant la journée et la nuit. Ce déplacement forcé des populations a affecté les moyens de subsistance de 350 familles qui dépendent de la riziculture, de la pêche et des pratiques agricoles traditionnelles connues comme culture Chena. Les villageois ont complètement perdu leurs sources de revenu et leurs vivres ont été coupés.

Afin d’organiser une campagne contre ces accaparements de terre, et pour réclamer le respect de leurs droits humains, le peuple Paanama a créé l’Organisation pour la Protection du Paanama Paththu (OPPP), avec le soutien du Mouvement national de solidarité pour la pêche (NAFSO). Le 11 février 2015, le peuple Paanama a connu pour la première fois la victoire de ses luttes – le Cabinet ministériel a émis un ordre de libérer 340 acres des 365 acres de terres saisis par l’Armée de l’air. Cependant, 13 mois plus tard, la décision n’avait toujours pas été exécutée par les autorités locales. Préoccupée par ce fait, la communauté Paanama a alors décidé d’occuper ses propres terres même sans autorisation légale. Depuis le 26 mars 2016, et jusqu’à ce jour, 35 familles réoccupent par la force leurs terres et ont commencé à les cultiver.

En déplaçant par la force le peuple Paanama, la Marine et l’Armée de l’air ont accaparé leurs terres traditionnelles et coutumières soi-disant pour des besoins d’utilité publique. Or, la construction d’une base aérienne pour l’armée et d’hôtels ne peut être considérée comme étant d’utilité publique. De plus, les actions présentes et passées ont confirmé que l’accaparement des terrains littoraux appartenant au peuple Paanama est bien organisé et soutenu par des membres du gouvernement. Les expulsions par la force étaient parfaitement connues du Secrétariat d’Etat, de la Police, des Forces spéciales, de la Marine et de l’Armée de l’air. A ce jour, l’OPPP poursuit sa lutte pour récupérer ses terres, en lançant des campagnes de plaidoyer et de lobbying et en entreprenant des actions en justice. Ils mènent des actions spécifiques telles que la rédaction et la signature de titres de propriété foncière ainsi que le renforcement de la base des soutiens au Sri Lanka et au niveau international.

L’écho des campagnes

L’écho des campagnes : Témoignages d’enfants appartenant à des communautés de producteurs d’aliments

1 – Philippines

Elsa Novo, présidente du NKP (Aeta Womens Federation) et Fernando Luis, directeur régional du Peoples Development Institute (PDI) ont mené des interviews basés sur trois questions (1) Quels sont vos plats préférés; (2) Quelles tâches dans la production alimentaire aimez-vous le plus?; (3) Quels sont les jeux et endroits préférés pour jouer et s’amuser? Ils ont interrogé 10 enfants autochtones Aeta à Zambales, âgés entre 7 et 13 ans, 5 garçons et 5 filles respectivement.

Mlle Elsa Novo, présidente de la Fédération des femmes des peuples autochtones Aeta dans l’est du Barangay du Mont Pinatubo, Municipalité de Botolan a animé l’atelier sur les dessins, tandis que Fernando Luis a noté les réponses lors des interviews.

Parmi les dix enfants, six d’entre eux ont indiqué aimer les plats de viande philippins comme le porc sinigang, le porc adobo et le poulet adobo tandis que les quatre autres ont dit aimer les fruits et les plats de légumes philippins comme le pinakbet, le kare-kare et autres.

A la deuxième question, concernant les activités agricoles, quatre enfant ont répondu aimer planter des légumes, des tubercules et des légumineuses, deux ont dit aimer arroser les plantes et les deux autres préferer le désherbage. Un enfant Aeta a précisé aimer labourer et l’autre travailler en jachère.

Sur la question des jeux, trois d’entre eux ont dit aimer jouer au basketball et au badminton. Sept enfants Aeta ont indiqué aimer les jeux traditionnels comme le cache-cache ou encore le jeu de l’élastique chinois.

2 – Colombie

Je m’appelle Juan Simón Briceño Ávilaet j’ai 7 ans. Je viens de la ville de Barinitas au Venezuela. Maintenant nous habitons dans un petit village appellé Brasil à Viotá, Cundinamarca en Colombie. Nous habitons à la campagne et ça me plait de vivre ici, parce que je suis libre de me promener et jouer. Mon jeu préféré est les garçons superhéros, et je joue au football avec mes amis de l’école. Mon plat favori est la salade d’œuf, avec de la laitue et des carottes. Les œufs viennent des poules qu’on garde dans le poulailler derrière la maison. Les laitues viennent de graines qu’on plante dans notre potager, et les carottes viennent aussi de graines qu’on plante dans notre potager. Les laitues sont prêtes à être cueillies quand elles sont bien grosses et ont beaucoup de feuilles, et les carottes sont prêtes quand elles ont de grandes feuilles et la tige fait surface (le collet de la carotte). J’aime cette salade parce que je sais comment la préparer, mais comment je la prépare est un secret. Pour les tâches à la maison, j’aime donner le maïs aux poules, mais il y a des fois où en allant chercher les œufs je les fais tomber, et parfois ils se cassent. Je nourris aussi les lapins. Nous avons deux lapins : Ramona et Pepe. Ramona a un bon caractère mais Pepe n’aime pas être câliné. Ils aiment beaucoup les feuilles d’une plante qu’on appelle l’Oseille Crépue, mais il y a une autre plante qu’on ne leur donne pas parce que ce n’est pas bon pour eux. Ses feuilles sont plissées et vert foncées. Je plante aussi du maïs doux et des haricots avec ma maman. Les deux sont multicolores, comme un arc-en-ciel, et je plante des pommes de terre avec mon papa et mon petit frère Martin. Nous aimons planter plein de choses différentes, comme ça nous avons toujours des choses à manger.

3 – Espagne

Je m’appelle Salome Schranz Moreno et j’ai 12 ans. Je vais à l’école Doce Olivos d’Orgiva à Alpujarra (Grenade, Andalousie). Ma famille et nos amis allons travailler notre jardin dans un projet de potager collectif. Il y a quelques jours, nous y sommes allés pour une raison particulière : des mauvaises herbes avaient poussé dans le potager et nous empêchaient de planter. Alors nous avons décidé d’y faire une « torna peón »   pour accélérer les choses. J’ai pris en charge les enfants parce qu’ils ont tous entre 3 et 6 ans, et moi j’ai 12 ans.

Pendant que les mamans et papas se sont mis à désherber, je me suis occupée des petits. Je leur ai d’abord raconté des histoires et ensuite nous sommes allés dans un parc pas loin. Nous avons joué, ri et nous sommes bien amusés. L’heure du dîner a fini par arriver. Nous sommes retournés au potager pour manger. Il y avait une omelette et toutes sortes de plats avec des légumes. Nous avons mangé, et en avons bien profité.

Nous allons aussi à ce potager pour faire d’autres choses, comme semer et planter. Ma maman, mon papa, nos amis Yvon et Raúl, mon frère et moi sommes allés récolter des olives, même mon frère qui a 3 ans. Quand nous récoltons, nous le faisons de 10 heures le matin jusqu’à 17 ou 18 heures le soir. Dee 10h à 10h30, nous préparons le filet. De 10h30 à 13h30, nous récoltons. De 13h30 à 14h30 nous nous reposons et mangeons et enfin de 15h à 17 ou 18h nous continuons à récolter. Après plusieurs jours, nous amenons les olives au pressoir et ensuite nous partageons l’huile.

El torna peón : quand quelqu’un offre de l’aide à un ami sur leur potager ou ferme, et après avoir était aidé, l’ami offre à son tour son aide à ses compagnons.

L’écho des campagnes 2

Allaitement et souveraineté alimentaire pour les nourrrissons et jeunes enfants – expérience en Inde

Dr. JP Dadhich MD, FNNF[1]

La Stratégie mondiale pour l’alimentation du nourrisson et du jeune enfant recommande l’allaitement exclusif pendant les six premiers mois de la vie et l’allaitement maternel pendant un minimum de deux ans en complément d’une alimentation adaptée après six mois. L’allaitement maternel est une méthode durable et souveraine pour apporter nourriture et nutrition aux nourrissons et jeunes enfants, essentiel à la survie, à la santé et au développent des enfants et à la santé de leurs mères.

En Inde, environ 25 millions de bébés naissent chaque année et seulement 41.6% d’entre eux sont allaités dans l’heure suivant la naissance. Par ailleurs, 54.9% des nourrissons de moins de six mois sont exclusivement allaités et seulement 67.5% des enfants sont encore allaités à 20-23 mois[2]. Cela veut dire qu’une large proportion d’enfants de moins de deux ans sont privés de leur droit de recevoir une source d’alimentation souveraine et sont dépendant de produits fabriqués et commercialisés. Ceci est particulièrement sérieux pour les enfants de mois de six mois pour qui le lait maternel est le seul aliment recommandé.

La raison sous-jacente de la condition déplorable des pratiques en matière d’allaitement est une action extrêmement lente ces dix dernières annéessur diverses politiques et programmes relatifs à l’alimentation des nourrissons et jeunes enfants. Le rapport du World Breastfeeding Trends Initiative (WBTi)[3]met en évidence la nécessité de mettre en œuvre la loi pour la protection effectivede l’allaitement maternel (Acte IMS[4]), de rendre universel la protection de la maternité, d’offrir l’accès à des services de conseil sur l’allaitement par des professionnels formés et qualifiés à toutes les femmes enceintes et allaitantes, y compris lors de circonstances exceptionnelles telles que urgences et VIH, ainsi qu’un système efficace de contrôle et d’évaluation des programmes d’allaitement.


[1] Directeur – Technical, Breastfeeding Promotion Network of India (BPNI) et membre, International Baby Food Action Network (IBFAN) Global Council.

[2] Plus d’info ici (en anglais) et ici (en anglais).

[3] Plus d’info ici (en anglais)

[4] The Infant Milk Substitutes, Feeding Bottles and Infant Foods (Regulation of Production, Supply and Distribution) Act, 1992 as Amended in 2003 (IMS Act).

Encadres

Encadré 1

La Conférence sur les Océans des Nations Unies – Quelle Conférence sur les océans ?

Les 5-9 juin 2017, les Gouvernements des Fiji et de la Suède ont accueilli la Conférence de haut-niveau sur les Océans des Nations Unies au siège de l’ONU à New York. Le but en était de soutenir la mise en œuvre de l’Objectif de développement durable (ODD) 14 : Conserver et exploiter de manière durable les océans, les mers et les ressources marines aux fins du développement durable.

Quel que soit l’endroit où nous cherchons, les résultats en sont présentés comme un énorme succès et si vous osez les remettre en question il vaut mieux être préparé à affronter les forces de l’hégémonie. Donc essayons de nous y préparer.

Déjà avant le début de la conférence, le Forum mondial des populations de pêcheurs (WFFP) et le Forum mondial des pêcheurs et travailleurs de la pêche (WFF) avaient expliqué le manque d’engagement démocratique dans le processus visant à développer les ODD et en avait conclu que “le processus de développement des ODD a, au mieux, laissé les mouvements mondiaux de pêcheurs [WFFP et WFF] en marge de la participation, alors qu’on octroyait un espace d’influence plus important aux entreprises et aux grandes ONG pour informer des objectifs durant le processus “(cf. Encadré 3 pour plus d’information sur la déclaration). Ce n’est donc pas une surprise qu’un engagement clair envers les droits humains – concernant l’ODD 14 – soit particulièrement absent alors que l’on met l’accent sur plus de science naturelle, technologie marine, développement macro-économique et zones de protection marine.

Alors, quel type de “second souffle” – tel que suggéré par le responsable onusien du Département des Affaires économiques et sociales, Monsieur Wu Hongbo – cette conférence a-t-elle fourni ? Etait-ce à propos d’un changement fondamental dans la façon dont les élites politiques et économiques gouvernent et contrôlent les ressources des océans ? Ou était-ce une opportunité pour passer à la vitesse supérieure et de faire plus au moins la même chose mais avec une détermination accélérée ?

Or, si l’on regarde de près les deux principaux résultats de la conférence – l’Appel à l’action et les 1 372 engagements volontaires – on a un début de réponse.
L’appel en lui-même liste 22 appels spécifiques dont seulement un concerne la pêche à petite échelle : ” Renforcement des capacités et de l’assistance technique fournie aux artisans pêcheurs et pêcheurs à petite échelle dans les pays en développement, afin de permettre et d’améliorer leur accès aux ressources marines et aux marchés…” Pour autant, il n’est pas indiqué comment y arriver et le choix des mots rend cet appel ouvert à tous types d’interprétation. Comme le WFFP l’a déjà expliqué ailleurs, c’est une porte ouverte à la privatisation de la pêche et à la spoliation des communautés de pêcheurs à petite échelle. En outre, cet appel spécifique ne concerne que les pays en développement ; ceci est particulièrement problématique si l’on considère que les communautés de pêcheurs à petite-échelle doivent faire face aux mêmes menaces quel que soit l’endroit où ils se trouvent dans le monde. Il est prévu que l’Appel à l’action soit approuvé lors de la 71ème session de l’Assemblée générale des Nations Unies.

Parmi rien de moins que les 1 372 Engagements volontaires proposés principalement par les Gouvernements, les entreprises et les organisations internationales de conservation, seules 240 affirment cibler l’ODD 14b : “Fournir l’accès des artisans pêcheurs aux ressources marines et aux marchés “. Ces engagements devraient donc cibler le 14b, il est important de voir comment ? Il est à noter que seulement une poignée de ces engagements concerne les Directives internationales visant à assurer la durabilité de la pêche artisanale, l’instrument international de loin le plus complet sur la pêche artisanale approuvé par l’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO) en 2014.

En jetant un coup d’œil aux diffusions sur le Web et au rapport officiel de la conférence nous pouvons affiner un peu plus la réponse à la question. On y met fortement l’accent sur les Zones marines protégées, l’Economie bleue et la Planification de l’espace maritime- pour ne mentionner que quelques-uns des thèmes clés -, alors qu’on y aborde à peine les Directives sur la pêche artisanale durable et qu’on ne tient pas compte de l’approche basée sur les droits humains. Cela pourrait paraître scandaleux pour certains mais pour d’autres c’est ce à quoi on doit s’attendre. On peut donc en conclure que les Chefs d’Etat et de Gouvernement, ainsi que les Représentants de haut niveau, ont convenu d’un autre Appel à l’action qui ouvre la porte en grand aux acteurs non étatiques en vue d’informer et de fournir les financements pour les Engagements volontaires concernant la mise en œuvre de l’ODD 14.

Peut-être donc que Monsieur Wu Hongbo a raison de dire que la conférence apportera un « second souffle ». La mise en œuvre du processus de l’ODD 14 – par le biais d’une série de décisions dénommée appel à l’action et engagements volontaires – est remise entre les mains d’acteurs privés puissants disposant de suffisamment de capital et de ressources humaines. Le fait de céder la souveraineté des Organisations des Nations Unies aux transnationales avait déjà démarré il y a près de 20 ans mais l’ODD sur les Océans ouvre un nouveau chapitre en vue d’une capture sans précédent par les entreprises de la gouvernance des océans.

C’est pourquoi, le WFF et le WFFP ont émis une “Déclaration sur les ODD et la Conférence sur les Océans des Nations Unies ” afin de dénoncer ce scénario tendancieux qui a alimenté la Conférence. Vous pourrez lire ci-dessous la suite dans le cadre de leurs luttes !

Encadré 2

Mise en œuvre des Directives volontaires visant à assurer la durabilité de la pêche artisanale

Avec l’adoption des Directives volontaires visant à assurer la durabilité de la pêche artisanale (Ci-après Directives SSF) par le Comité des pêches de la FAO, on a reconnu pour la première fois l’importance et la contribution des artisans pêcheurs aux moyens de subsistance et à la sécurité alimentaire, en particulier pour certaines de communautés les plus pauvres et les plus éloignées partout dans le monde. Fondées sur les normes internationales des droits humains, les Directives SSF ont une portée mondiale, une couverture d’ensemble, et s’appliquent aux pêches à petite échelle dans tous les contextes en mettant un accent plus spécifique sur les besoins des communautés d’artisans pêcheurs dans les pays en développement.

Les artisans pêcheurs ont non seulement contribué au processus d’élaboration et de négociation de ces directives mais ils jouent actuellement un rôle fondamental, et sont en première ligne, pour la divulgation et la mise en application desdites Directives SSF. Au cours de ces 16 derniers mois, les peuples de pêcheurs, membres des deux forums internationaux – le Forum mondial des pêcheurs et des travailleurs de la pêche (WFF) et le Forum mondial des populations de pêcheur (WFFP) – avec le soutien du Collectif international d’appui à la pêche artisanale (ICSF), Crocevia Centro Internazionale et l’Institut Transnational (TNI) ont organisé 8 ateliers à niveau national et 3 ateliers à niveau sous-régional sur les Directives SSF et leur mise en application. L’un des principaux aspects visait à mieux faire connaître ces directives auprès des organisations d’artisans pêcheurs, des travailleurs de la pêche et de leurs communautés au moyen d’actions aux niveaux local, national et sous-régional tout en renforçant leurs capacités afin d’utiliser ces Directives SSF dans les pays pilotes. De même, le Groupe de travail sur la pêche du Comité international de la Planification pour la souveraineté alimentaire (CIP) a travaillé afin que les Directives SSF deviennent un outil dynamique au service des artisans pêcheurs. Les Directives SSF ont été résumées, simplifiées et traduites en plusieurs langues dont le Khmer, Vietnamien, Laotien, Ourdou, Sindhi et Kiswahili (Swahili). Un large éventail de matériel audio-visuel et infographique a été produit. En outre, afin de mettre en relief l’importance du genre dans ce secteur, l’ICSF a été chargé de rédiger un guide de mise en œuvre tenant compte de l’égalité des genres en y impliquant la participation de la société civile et des mouvements sociaux.

Les Directives SSF représentent un véritable tournant pour des millions des femmes et d’hommes qui travaillent dans le secteur de la pêche artisanale et en dépendent. Non seulement les Organisations de la société civile mais également les Gouvernements devraient mettre en application ces Directives SSF et contribuer à la réalisation progressive du droit à une alimentation adéquate. La Tanzanie en est un exemple positif. En reconnaissant l’importance du secteur, le gouvernement de Tanzanie s’est récemment engagé à utiliser les Directives SSF comme outil pour lutter contre la faim et éradiquer la pauvreté tout en promettant d’inclure les Directives SSF au cadre réglementaire national.

Encadré 3

Déclaration sur les Objectifs de Développement Durable (ODD) et sur la Conférence de l’ONU sur l’océan

4 juin 2017, voici un extrait de la déclaration du WFF et WFFP. Le document complet est ici.

Notre solution :
Nous nous engageons à soutenir l’ONU, sur la base des valeurs à la base de la Charte de l’ONU : la paix, la justice, le respect, les droits de l’homme, la tolérance et la solidarité. Afin de soutenir ces valeurs, chaque pays devrait consulter de manière plus systématique les parlements, les gouvernements infranationaux, la société civile et le pouvoir exécutif des gouvernements, dans un processus de gouvernance démocratique et menée par les pays, la gouvernance sur laquelle l’ONU est fondée.

Les Directives visant à assurer la durabilité de la pêche artisanale dans le contexte de la sécurité alimentaire et de l’éradication de la pauvreté ont été approuvées par le Comité des pêches (COFI) de la FAO en 2014. Les directives sont le résultat d’un processus de développement participatif et ascendant facilité par la FAO et impliquant plus de 4000 représentants de gouvernements, de communautés de pêche, du WFF, du WFFP, et d’acteurs de plus de 120 pays. Leur développement ressemble à un processus légitime, démocratique, mené par les pays, et elles se basent sur les principes fondamentaux de l’ONU : la justice, le respect, les droits de l’homme, la tolérance et la solidarité. Nous tenons à exprimer notre reconnaissance du soutien de la FAO dans le processus de développement des Directives.

Lors de sa 32ème séance en juillet 2016, le Comité des pêches (COFI) de la FAO a adopté à l’unanimité le Cadre stratégique mondial (CSM) pour faciliter la mise en œuvre des directives visant à assurer la durabilité de la pêche artisanale. Le CSM vise à faciliter l’interaction entre les gouvernements et la société civile pour soutenir la mise en œuvre des directives à tous les niveaux et à promouvoir une vision et une approche commune, basée sur les principes des directives mêmes.

Nous nous engageons à continuer à collaborer avec la FAO pour développer davantage le CSM afin de faire avancer les principes clés des directives, tout en mettant l’accent sur l’approche basée sur les droits de l’homme, la reconnaissance et la protection des droits fonciers des pêcheurs artisanaux, les droits des pêcheurs artisanaux de maintenir le contrôle et la propriété de la chaine de valeur, y compris le marché au niveau local et régional, et la promotion de la participation pleine et effective des pêcheurs artisanaux – en particulier les femmes, les jeunes et les peuples indigènes – à la mise en œuvre des directives.

Nous, les représentants de plus de 20 millions de pêcheurs, continuerons à coopérer de manière constructive avec les gouvernements nationaux et avec la FAO pour mettre en œuvre les directives sur la pêche artisanale et pour développer ultérieurement le CSM. Nous appelons les états membres de l’ONU à collaborer avecmnous pour assurer la réalisation de notre droit à une alimentation adéquate et aux droits similaires ainsi que la protection de l’environnement. Tout ceci peut s’achever à travers le développement du CSM et la mise en œuvre des directives visant à assurer la durabilité de la pêche artisanale.”

Encadres

Encadré 1

Lutter contre l’impact de la publicité des grandes entreprises agroalimentaires sur la santé des enfants en Colombie

Les enfants sont considérés comme un créneau lucratif pour les grandes entreprises agro-alimentaires responsables de la production de produits alimentaires ultra-transformés, c’est-à-dire à forte concentration en sucre, sel et graisse. Ces produits ainsi que les boissons sucrées ont été l’une des principales raisons du nombre croissant de cas de diabète et d’obésité chez les enfants et les adolescents du monde entier. En Colombie, 15,7 % des enfants âgés entre 5 et 17 ans souffrent de surpoids. Certaines provinces, comme les îles San Andrés, affichent des taux proches de 30 %, ce qui les place à des niveaux comparables à ceux du Mexique, le pays connu pour avoir les taux d’obésité infantile les plus élevés du monde.

La pandémie d’obésité chez les enfants s’est développée à un rythme très rapide en Colombie: les entreprises considèrent les enfants et les adolescents comme de simples consommateurs de produits pauvres en nutriments. 96 % de toute la publicité destinée aux enfants dans l’une des grandes chaînes de télévision colombiennes vante les mérites de la malbouffe (étude réalisée en 2012). A travers ces canaux, les entreprises ciblent le jeune public via des campagnes publicitaires agressives, en particulier par la télévision, Internet et les panneaux publicitaires à proximité des écoles.

L’association colombienne de parents “Red Papaz” et FIAN Colombie en coopération avec Educar Consumidores, Vital Strategies et Global Health Advocacy Incubator ont donc développé une vaste campagne à travers le pays, intitulée “Arrêtez de manger des mensonges; ne les donnez pas à vos enfants”. Cette campagne souligne:

1) que les enfants ne sont pas seulement des consommateurs, mais avant tout des détenteurs de droits protégés par la Constitution colombienne;
2) que la pandémie d’obésité n’est pas le résultat de mauvais choix de vie individuels, mais plutôt le résultat de choix systémiques favorisant un régime alimentaire qui sert les intérêts commerciaux des grandes entreprises.
En ce sens, la campagne exhorte l’Etat colombien à totalement interdire la publicité pour la malbouffe destinée aux enfants et à transformer le système agroalimentaire existant en adoptant l’agroécologie et la réalisation de la souveraineté alimentaire.

Encadré 2

Les enfants et la pêche, dans la communauté Katosi

“Bien que le petit port de pêche de Katosi, dans le district de Mukono, en Ouganda central, soit devenu un port commercial destiné à l’exportation du poisson, le volume des activités du port a diminué au fil des ans. Je me souviens encore clairement, quand j’étais enfant, de l’animation qui régnait dans ce pôle commercial. Le lever du soleil sur des rives du lac le baignait dans une lumière dorée. Entre 9 et 12 heures du matin, l’endroit s’animait de plus en plus, avec l’arrivée des bateaux débarquant leur poisson, des femmes venant des ateliers de transformation et des commerçantes de tout le pays se pressaient sur le quai pour acheter du poisson frais. Ma mère avait le droit de pêcher sur le quota quotidien de ses deux beaux-fils pêcheurs. Le poisson était notre nourriture quotidienne, mangé sous toutes les formes, formes et tailles, tandis que, le soir, tout le village baignait dans l’arôme du poisson entrain d’être fumé.” Margaret Nakato, coordonnatrice du Katosi Women Development Trust et directrice exécutive du Forum mondial des pêcheurs (WFF).

L’étude de base récemment menée par le KWDT sur les communautés de pêcheurs révèle que les enfants constituent plus de 54% de la population totale des communautés de pêcheurs (Rapport de base du KWDT pour le lancement du projet, 2017). L’accès à du poisson en quantité suffisante pour la consommation au niveau des ménages est essentiel pour répondre aux besoins alimentaires des enfants. Cependant, l’accès réduit aux zones de pêche et aux ressources halieutiques, conjugué à l’exportation du poisson, a considérablement réduit la consommation de poisson par les enfants, autant que par les adultes (si ce n’est plus).

Lors d’une entrevue avec une des femmes du site de Nangoma Landing, elle a expliqué: “Si votre mari n’est pas pêcheur, vous ne pouvez pas manger de poisson ces jours-ci. Et même lorsqu’il est pêcheur, il ne peut pas toujours avoir assez de poisson pour la vente et pour nourrir sa famille “.

Le KWDT a activement mobilisé les femmes et les enfants dans des activités de développement et a renforcé leur rôle dans le rétablissement des stocks halieutiques, ainsi que dans la réduction de la pression sur le secteur de la pêche en soutenant des activités de femmes dans diverses activités génératrices de revenus. La meilleure façon de garantir le droit des enfants à la consommation de poisson est d’assurer l’accès à la pêche pour les femmes et les communautés locales.

Encadré 3

Sem-Terrinha”: Mouvement Bresilien des Travailleurs sans Terre, enfants et Souveraineté Alimentaire

Né il y a 34 ans, le Mouvement des travailleurs sans terre (MST) au Brésil est organisé autour de trois objectifs principaux: les luttes pour la terre, la réforme agraire et pour le socialisme. Nous sommes organisés en plusieurs fronts d’action, à savoir la production, la santé, la jeunesse, la culture, l’éducation, les droits humains.

Nos enfants, que nous appelons les «Sem-Terrinha» (les enfants sans terre), participent à notre organisation depuis ses débuts, en ayant été activement impliqués dès les premières occupations de terres, étant donné que nous croyons que tout le monde doit être impliqué dans les luttes collectives.

Cette conception a conduit le MST à développer au fil du temps des activités spécialement centrées sur les enfants. Quelques exemples: les «cirandas» pour enfants (espaces pédagogiques pour le développement et les soins); organisation de réunions des “Sem-Terrinha”, de visites sur le terrain des luttes organisées par les élèves des écoles rurales, ou encore la publication du journal “Sem-Terrinha” et le magazine “Sem Terrinha”.

Notre expérience la plus récente avec les “Sem Terrinha” a été un voyage culturel sur le thème “Manger sainement: un droit pour tous”. Ce voyage a eu lieu en 2015 et est au cœur du débat sur la réforme agraire pour les peuples. Il a mobilisé des enfants et des adolescents élèves des écoles rurales et des écoles des campements à travers tout le pays. Les principaux objectifs de ce voyage étaient:

1. Renforcer et diffuser la diversité des expériences vécues dans les différentes régions autour des thématiques de l’alimentation saine et de ses relations avec la réforme agraire populaire;
2. Travailler avec les familles sur la question de l’alimentation et de la production alimentaire tant dans les villages que les campements;
3. Contribuer à l’éducation alimentaire des familles sans terre et à la lutte générale pour le droit à une nourriture adéquate, exempte de pesticides;
4. Renforcer les initiatives de réorganisation de l’alimentation scolaire;
5. Étudier et débattre des relations entre une alimentation saine, la souveraineté alimentaire, l’agroécologie, l’agriculture paysanne et la réforme agraire populaire;
6. Introduire, dans les écoles élémentaires, le débat sur l’agroécologie et sur les pratiques de l’agriculture écologique;
7. Reprendre le débat sur la manière de garantir que le lien entre l’éducation, le travail socialement productif et le contenu éducatif est rétabli et maintenu.

Pendant le voyage, des centaines d’activités ont été menées à travers le pays, allant d’études spécifiques sur les habitudes alimentaires et l’histoire des aliments, la compréhension de ce qui est produit dans les villages et campements, la recherche sur les agroécosystèmes, des ateliers de cuisine locale, la découverte des pratiques de terrain et d’expériences dans le domaine de l’agroécologie.

Les éléments fondateurs des luttes du MST étaient également présents lors des activités du voyage: interventions théâtrales, campagnes de sensibilisation, auditions publiques, marches visant à dénoncer l’utilisation des pesticides et des semences transgéniques ou encore initiatives de lutte contre les monopoles et la standardisation alimentaire imposés par les sociétés transnationales et l’agro-industrie.

Lors du voyage, nous avons pu constater des changements majeurs dans les écoles où les débats avaient été organisés: abolition de l’utilisation de boissons gazeuses et d’aliments transformés dans les repas scolaires, introduction d’aliments agroécologiques produits localement dans les menus des cantines, création de jardins potagers scolaires pour approvisionner les écoles ou encore la mise en place de banques de semences autochtones.

Il faut éduquer les enfants au fait que manger est un acte politique! C’est un grand défi qui motive nos luttes! Combattons ensemble et construisons la réforme agraire populaire!

Encadré 4

“SATU PO IMPARAI” * (Apprendre dans les champs)
Projet d’éducation rurale pour l’environnemental et alimentaire rurale

Ce projet a été fondé en 2007 pour rapprocher le monde scolaire et le monde rural tout en valorisant le rôle multifonctionnel des fermes. Au niveau des fermes, il visait également à renforcer leur rôle dans la transmission des connaissances, du patrimoine et des saveurs de la production alimentaire locale tout en insistant sur la durabilité environnementale, sociale et économique.

Les trois actions principales sont: les sorties scolaires dans les fermes pédagogiques, le développement de réseaux de fermes pédagogiques et les actions dans les cantines scolaires, dont nous parlerons ici.

Les acteurs de cette action sont la Province du Medio Campidano, l’Agence Régionale de Laore Sardinia, le bureau de santé local, les écoles, les fermes, les directeurs des cantines scolaires et les associations concernées qui ont créé un groupe de travail en 2011 avec le programme de travail suivant:

1. Analyse de la situation actuelle des cantines scolaires;
2. Élaboration d’un document d’appel d’offres public pour des repas scolaires de qualité et durables, en circuit ultra-court (0 Km);
3. Distribution du dossier d’appel d’offres aux collectivités locales, suivi du service de cantine scolaire selon le document et expérimentation de nouvelles pratiques.

Le document d’appel d’offres a été élaboré en juin 2011 et envoyé aux 24 conseils locaux de la province qui offrent des services de cantine scolaire. Le document contenait les propositions suivantes pour un cahier des charges:

1. 70% des produits doivent être de qualité certifiée (Appelation d’origine certifiée, Indication d’origine géographique protégée, Agrobio), être des aliments traditionnels produits localement et issus d’une chaîne d’approvisionnement en circuit court. Un minimum de 30% des produits doivent provenir de l’agriculture biologique certifiée;
2. Les en-cas doivent être fabriqués à partir de produits locaux;
3. Un plan d’éducation alimentaire doit être développé;
4. Autres éléments de la durabilité environnementale: prise en compte des réseaux d’eau, la vaisselle jetable et les couverts doivent être biodégradables et compostables, utilisation de détergents et de savons écologiques, utilisation d’appareils économes en énergie, gestion des déchets.

Le cahier des charges a été approuvé et adopté par trois conseils en 2011 et adopté par la majorité des autres conseils en 2012 et 2013.
À la lumière du suivi qui en a été réalisé et des avis favorables reçus par l’opinion publique, nous pouvons dire que le projet (qui a donné lieu à une publication en 2015) a pleinement atteint ses objectifs bien au-delà de nos plus hautes attentes.

Le projet a apporté une “valeur sociale” à l’alimentation, en encourageant des relations positives au sein de la communauté et en renforçant la prise de conscience entre les producteurs et les consommateurs. Il a également permis de lancer une discussion sur la question de «l’éducation alimentaire» mais aussi sur les questions d’égalité (une alimentation scolaire de qualité pour tous), et plus largement sur la souveraineté alimentaire.

Sous les feux de la rampe

La place de la nutrition infantile dans la souveraineté alimentaire

Dans notre travail politique de sensibilisation, d’éducation et de mobilisation pour la souveraineté alimentaire, quelle importance accordons-nous à la question de l’alimentation de nos filles et fils autour de nous? S’agit-il d’une question mineure qui n’intéresse que les mères de famille? Nous proposons ci-dessous quelques réflexions sur les raisons pour lesquelles le thème de la nutrition de nos enfants et leur participation active à notre mouvement est vital pour l’avenir de la souveraineté alimentaire.

De la malnutrition à l’obésité infantile – quel est le discours dominant?

Le discours public sur la nutrition et l’enfance a été dominé par une approche médico-scientifique: pendant des décennies, la principale préoccupation a été la dénutrition, de sorte que le débat a principalement tourné autour des mesures anthropométriques telles que les statistiques sur l’indice de poids pour l’âge, l’indice de taille pour l’âge et la carence en vitamines. Ces derniers temps, c’est le taux de surcharge pondérale qui a commencé à attirer l’attention du public en raison de sa hausse spectaculaire. Le dernier rapport SOFIde la FAO sur L’État de l’insécurité alimentaire dans le mondeindique que, bien que les taux de malnutrition continuent à diminuer, le taux de surpoids continue d’augmenter. La question de l’obésité infantile est donc susceptible de devenir une question prioritaire à l’ordre du jour des politiques des agences internationales.

L’obésité et la surcharge pondérale étaient souvent considérées comme des problèmes dans les pays à revenus élevés. Toutefois, la prévalence de ces troubles augmente dans les pays à revenu faible et intermédiaire, principalement dans les zones urbaines. En Afrique, le nombre de filles en surpoids et obèses a doublé, passant de 5,4 millions en 1990 à 10,6 millions en 2014. En 2014, environ la moitié des filles en surpoids provenaient d’Asie, alors qu’au Mexique, on estime qu’environ 30 % des filles sont en surpoids.

Quels sont les facteurs qui expliquent cette pandémie? Il existe différentes approches. D’une part, les institutions et agences internationales propagent une approche individualiste et moraliste qui reproche subtilement aux familles de ne pas bien nourrir les enfants et de les laisser regarder la télévision ou Internet toute la journée au lieu de faire du sport. Dans ce discours, le mode de vie urbain, avec son organisation de la journée, ses types de travail et ses relations sociales, change les habitudes alimentaires pour leur substituer des habitudes plus modernes, engendrées par un soi-disant développement. La solution proposée par cette approche consiste à mieux informer et éduquer les consommateurs afin qu’ils fassent des choix alimentaires plus sains dans les rayons des supermarchés et à les encourager à faire de l’exercice.

La géopolitique du régime “occidental”

Évidemment, cette approche ne s’interroge pas sur les déterminants historiques, politiques, socio-économiques et culturels qui conditionnent le type d’aliments produits ni sur les facteurs qui façonnent les habitudes alimentaires des communautés. C’est une approche qui ignore les relations de pouvoir, l’oppression et la discrimination. Elle ne demande pas qui a décidé et comment a été imposé au monde entier le régime alimentaire urbain ou “occidental”, riche en graisses, sucres, glucides raffinés, viande et produits animaux mais pauvre en légumes, légumineuses et céréales secondaires. L’augmentation de la consommation de ces produits est étroitement liée aux politiques agricoles menées par les grandes puissances agricoles mondiales. Ces politiques ont instauré une série d’incitations (subventions à la production, recherche publique, aides à l’exportation) qui ont conduit à concentrer la production sur les céréales de base (blé, maïs, riz) ainsi que les oléagineux. D’autre part, la libéralisation du commerce des produits agroalimentaires et de la pêche, ainsi que la promotion des investissements étrangers dans l’ensemble de la chaîne alimentaire, ont joué un rôle central dans l’expansion des sociétés transnationales tout au long de la chaîne alimentaire. C’est grâce à ce système alimentaire mondial que le régime alimentaire composé de “malbouffe” ou d’aliments comestibles ultra-transformés – comme les frites de pommes de terre, les pâtes blanches, les hamburgers et les boissons sucrées – a pu se propager à aussi grande vitesse à travers le monde.

Le régime alimentaire “occidental” ne s’est pas seulement imposé à travers des facteurs physiques comme la géopolitique et l’économie. Il a également besoin d’une superstructure culturelle qui lui permet de modifier les mentalités et donc changer les habitudes alimentaires et culturelles afin de les rendre favorables au système alimentaire agro-industriel. Il suffit de voir les publicités agressives des grandes entreprises dont le but est de capter l’attention des enfants et des jeunes afin former leurs goûts et leurs habitudes alimentaires dès leur plus jeune âge. Cela est illustré par le tableau ci-dessous sur la situation en Colombie.

Les cantines scolaires et l’agriculture paysanne

Jusqu’à présent, le principal point de rencontre entre la nutrition infantile et la souveraineté alimentaire a été les cantines scolaires et les politiques publiques de promotion de l’agriculture paysanne. Les programmes publics d’alimentation scolaire font partie de la politique sociale dans plusieurs pays du monde. Bien que ces programmes se soient avérés avoir un effet positif tant sur la régularité de la fréquentation scolaire que sur l’amélioration de l’état nutritionnel, sa couverture reste relativement faible et est estimée à 15 % de la population enfantine. Des pays comme l’Inde, le Brésil et l’Afrique du Sud ont d’importants programmes d’alimentation scolaire. Dans le cas du Brésil, la politique publique d’alimentation scolaire vise à garantir le droit des élèves à une alimentation saine et, pour cette raison, elle a été conçue dans le cadre de la politique publique d’encouragement à l’agriculture paysanne locale en établissant un quota obligatoire pour la fourniture à chaque école d’au moins 30 % d’aliments provenant de l’agriculture paysanne. Des systèmes similaires existent au niveau municipal en Europe et aux États-Unis. Voir ci-dessous l’expérience sur l’île méditerranéenne de Sardaigne.

Le sens de l’alimentation infantile

Une alimentation saine et nutritive est essentielle au bon développement et à la croissance des enfants dès leur gestation. C’est peut-être à ce stade de la vie que l’alimentation est la plus importante dans la vie des êtres humains: non seulement elle jette les bases de tout développement physique et spirituel ultérieur, mais elle donne du goût, de l’arôme, de la saveur, de la couleur et de la texture aux liens les plus profonds qui nous relient, via l’alimentation à nos familles et nos communautés, ainsi qu’à notre pays natal.

Malgré ce sens transcendantal, le mouvement pour la souveraineté alimentaire n’a que peu réfléchi sur la question de la nutrition des enfants. Est-ce que c’est parce que ce thème est perçu comme ne faisant pas partie de la sphère traditionnelle “masculine” et de pouvoir mais plutôt rattaché aux domaines associés à la question de la féminité et de la reproduction/charge d’enfants?

Le fait est que l’interprétation de cette dimension de l’alimentation est entre les mains des institutions et des professionnels de la santé. Plus récemment, l’alimentation et la nutrition sont devenus les domaines privilégiés “d’investissement” des grandes initiatives de nutrition venus du milieu de l’entreprise, comme par exemple la Fondation Gates.

Plusieurs questions se posent alors: quelle est notre compréhension de la nutrition infantile dans une perspective de souveraineté alimentaire? Comment construire cette perspective dans le dialogue avec les enfants eux-mêmes, avec les enseignants, les cuisiniers, les agriculteurs, les vendeurs, les sages-femmes, les éducateurs de santé et autres responsables de nos pratiques alimentaires et de santé communautaire? Comment aborder entre mères et pères une répartition équitable des soins génésiques pour nourrir nos enfants de façon saine et nutritive? Au sein de notre mouvement, il est temps de donner à la nutrition infantile l’importance qu’elle mérite.

Sous les feux de la rampe

Océans, petits pêcheurs et droit à l’alimentation : résister à l’accaparement des océans

Depuis les crises financières de 2007-2008, des universitaires, des ONG et des mouvements sociaux ont fait valoir qu’une nouvelle vague d’accaparement de terres avait lieu. Les stratégies d’accumulation de capital se sont de plus en plus concentrées sur la maîtrise de l’utilisation et des bénéfices des ressources naturelles, en réponse à ce que l’on a appelé la “convergence des crises” (finances, alimentation, climat et énergie)[McMichael, P. 2012. The land grab and corporate food regime restructuing. The Journal of Peasant Studies. 39 (3-4), 681-701]. Dans le processus, un spectre large d'”entreprises et ONG, des défenseurs de l’environnement et des industries minières, ou des entreprises d’écotourisme et des militaires [Fairhead et al. 2012. Green Grabbing: a new appropriation of nature? The Journal of Peasant Studies. 39 (2), 237-261, quote from p. 239]” a été impliqué de différentes manières dans cette saisie des ressources. Bien que l’on se soit beaucoup concentré sur l’impact de ces problèmes sur les paysans et les petits agriculteurs et qu’on ait suscité une résistance inspirante contre leur impact, les luttes des mouvements d’artisans pêcheurs ont été jusqu’à récemment négligées dans les mobilisations mondiales essentiellement “centrées sur les terres”.

Pour remédier à cette situation, un rapport intitulé “The Global Ocean Grab” a été publié en septembre 2014 par les mouvements de pêcheurs et leurs alliés. Selon la publication, l’accaparement des océans “signifie la prise de contrôle par de puissants acteurs économiques d’un processus décisionnel crucial… y compris le pouvoir de décider comment et à quelles fins les ressources marines sont utilisées, conservées et gérées” (p. 3) Depuis lors, l’accaparement des océans a été un terme clé pour définir les menaces auxquelles sont confrontés les pêcheurs à l’échelle mondiale. Les deux mouvements mondiaux de pêcheurs, le Forum mondial des pêcheurs et des travailleurs de la pêche (WFFP) et le Forum mondial des pêcheurs (WFFP) s’en inspirent pour dénoncer les pressions en faveur de la privatisation des pêches, les fausses solutions issues des négociations sur le changement climatique et, plus récemment, les objectifs de développement durable (ODD). Le rapport initial sur l’accaparement des ressources océaniques couvrait en outre un large éventail de questions qui expulsent et/ou déplacent les pêcheurs et leurs communautés dans le monde d’aujourd’hui, depuis les initiatives de conservation jusqu’au tourisme, en passant par l’aquaculture à grande échelle et d’autres industries extractives. De plus, en guise d’appréciation des énormes quantités de pêcheurs qui dépendent des eaux intérieures pour leur mode de vie, les processus sur lesquels l'”accaparement des océans” vise à mettre l’accent sont les suivants : “les eaux intérieures, les rivières et les lacs, les deltas et les zones humides, les mangroves et les récifs coralliens” (p. 4). L'”accaparement des océans”, tel qu’il a été utilisé par les deux mouvements mondiaux de pêcheurs, vise donc à mettre l’accent sur “l’exclusion des petits pêcheurs de l’accès à la pêche et aux autres ressources naturelles” (p. 6) de diverses manières.

Croissance bleue

« Lorsque les mouvements mondiaux de pêcheurs ont été fondés, la lutte politique a porté essentiellement sur le secteur de la pêche artisanale par rapport à l’industrie à grande échelle. Jusqu’ à présent, les motifs de contestation se sont élargis à mesure que les artisans pêcheurs perdent l’accès aux lieux de pêche en raison de l’accaparement des terres et de l’eau par les entreprises. Les dirigeants du monde entier veulent s’attaquer aux changements climatiques en mettant en place des mécanismes qui, au bout du compte, nous privent de notre accès aux lieux de pêche et confèrent les droits à la terre et à l’eau aux entreprises. »
Margaret Nakato, WFF, Paris COP21. Le rapport complet de la réunion ici.

Pendant des années, les mouvements de pêcheurs et leurs alliés avaient concentré leurs énergies au niveau mondial sur la lutte pour l’adoption Directives volontaires visant à assurer la durabilité de la pêche artisanale (Directives SSF). Parallèlement à ce travail de définition de visions alternatives basées sur l’approche droits de l’homme, il est apparu clairement que d’autres forces essayaient de traiter les questions des ressources halieutiques et océaniques dans une direction très différente [Pour plus d’informations sur la manière dont cela a eu un impact sur la mise en œuvre des Directives SSF, voir ici]. Comme le suggère la citation de Margaret Nakato du FFM, les mouvements de peuples de pêcheurs qui s’agrippent à l’océan veulent mettre en évidence la lutte multiforme qu’ils mènent. Il ne s’agit plus seulement des luttes plus “étroites” contre la flotte de pêche industrielle [Bien que, voir Sinha 2012 pour une discussion sur la façon dont les luttes des pêcheurs n’ont jamais “simplement” porté sur la pêche, Sinha, S. 2012. Transnationalité et le mouvement indien des travailleurs de la pêche, 1960-2000. Journal of Agrarian Change. 12 (2-3), 364-389].

Dans le contexte du changement climatique, une vision contradictoire de la “croissance bleue” émerge régulièrement depuis la réunion Rio +20. Tout comme son homologue ” verte ” envisage la croissance bleue sur terre, elle veut transformer le changement climatique et la destruction croissante de l’environnement océanique en de nouvelles possibilités d’accumulation de capital. Au lieu de s’attaquer aux causes des crises actuelles, les seules “solutions” proposées par la croissance bleue sont celles du marché, où la condition préalable est de ne pas entrer en conflit avec les intérêts et le pouvoir des entreprises, mais de les renforcer, en leur donnant plus de contrôle sur les ressources naturelles, supposément pour les sauver. Le raisonnement suit la logique selon laquelle pour résoudre le problème du changement climatique, nous devons donner aux entreprises un plus grand rôle dans la manière de gouverner la nature.

En conséquence, une coalition d’acteurs – semblables à ceux qui sont déjà impliqués dans l’accaparement des terres, de l’eau et de l’environnement -, comprenant des États, des institutions financières internationales, des coalitions de sociétés transnationales, des fondations philanthropiques et des ONG environnementales transnationales (bien que basées principalement aux États-Unis), sont devenus des partisans de la “croissance bleue”. Ils se sont réunis dans le cadre de réunions internationales exclusives, notamment à l’occasion du Sommet mondial sur les océans organisé deux fois par an par The Economist, pour discuter de la manière d’aller de l’avant avec leur vision [Plus d’informations sur cette “emprise des entreprises” ici]. En plus de proposer des solutions néolibérales qui conduisent à l’accaparement des ressources, ces événements doivent aussi être vus comme une tentative d’écarter toute forme de solutions réelles qui ciblent la cause fondamentale de la “convergence des crises”, à savoir : “la guerre du capitalisme sur la terre” [Voir le livre de John Bellamy Foster, Brett Clark and Richard York].

Conférence des Nations Unies sur les océans- L’accaparement des océans sous le couvert de durabilité

L’un des principaux événements récents, où la vision de la croissance bleue a été défendue, a été la Conférence des Nations Unies sur les océans en juin 2017. Ici, des pratiques non durables flagrantes et/ou de fausses solutions qui ont été critiquées par les mouvements de pêcheurs comme une forme d’accaparement de l’océan, comme le carbone bleu [Bulletin Nyéléni n°7: et le rapport du TNI et du Syndicat indonésien des pêcheurs (KNTI)], une série d’activités extractives à grande échelle (pétrole, gaz), des zones de protection marines et même l’initiative chinoise massivement destructrice One Belt One Road, ont été dissimulées dans le langage de la durabilité. Tous ces instruments ont été considérés comme des outils pour atteindre l’objectif de développement durable 14 (ODD 14), qui devrait autrement concerner la “conservation et l’utilisation durable des océans, des mers et des ressources marines pour le développement durable”. En réponse à cette tentative de réorienter les pratiques qui auraient un impact négatif sur les populations de pêcheurs à petite échelle à travers le monde en les qualifiant de “durables”, le WFF et le WFFP ont publié une déclaration puissante dénonçant les ODD et la Conférence des Nations Unies sur l’Océan. Comme ils le soulignent, les ODD sont au cœur de leur action : “donner la priorité aux intérêts lucratifs d’une élite minoritaire tout en marginalisant les voix des personnes sur le terrain que nous représentons, ils soutiennent et enracinent ainsi les inégalités et injustices existantes de l’ordre mondial”. De plus, ils négligent fondamentalement la lutte pour les droits de l’homme et remanient les responsabilités des Etats : “si l’on examine les ODD, il manque un engagement clair en faveur des droits de l’homme. Des droits fondamentaux tels que le droit à l’alimentation, le droit à l’eau et à l’assainissement, et les droits des femmes sont remarquablement absents. Dans ce nouveau contexte, le rôle des Etats est avant tout de faciliter les actions du secteur privé et surtout d’inciter les “engagements volontaires” sur la voie du développement durable [La déclaration complète ici]”.

Pêcheurs pour la souveraineté alimentaire

C’est en réponse à cet éventail de plus en plus large de questions que les mouvements de pêcheurs s’inscrivent dans le cadre d'”accaparement”. Contrairement à ces solutions d’élite qui insistent sur la privatisation et la commercialisation des pêches et des ressources océaniques, les mouvements de pêcheurs s’emploient à établir un contre-pouvoir avec d’autres mouvements de masse dans la poursuite de la justice climatique et de la souveraineté alimentaire [Voir le rapport sur la manière dont cette “convergence” a progressé lors de la COP21 à Paris, ici]. L’objectif de cette “convergence” de mouvements disparates est de lier les luttes qui résistent à la terre, à l’eau, à l’océan et à l’accaparement vert – qui se croisent en effet. Pour affronter efficacement cette pléthore d’accaparements, le mouvement de la souveraineté alimentaire doit d’abord les comprendre, puis se mobiliser, s’organiser et agir ensemble [Pour plus d’informations sur le modèle de production prôné par les artisans pêcheurs et sur la manière dont il peut être considéré comme “l’agroécologie en action”, voir l’encadré 1 du Bulletin Nyeleni n°27].

L’écho des campagnes

L’écho des campagnes 1

Bangladesh, un exemple de migration climatique

Golam Sorowor, Secrétaire financier de BAFLF (fédération des syndicats agricoles bangladais)

Le Bangaldesh est un pays densément peuplé, qui est une victime évidente de l’exploitation globale en ce qui concerne les impacts du changement climatique. Ces impacts incluent déjà la croissance rapide de la salinité du sol à cause de la montée du niveau de la mer, des inondations liées à la marée, l’intensification de la survenue d’orages, l’augmentation des températures, des pluies torrentielles, des crues éclair, des sécheresses, des glissements de terrains et l’érosion des rivières. Les conséquences du changement climatique sont que les paysans et les communautés rurales sont confrontés à l’insécurité de leurs moyens de subsistance, à la malnutrition, au chômage, à la pauvreté, au traffic d’êtres humains, à la migration forcée ainsi qu’à des crises alimentaires, liées aux terres et à l’eau.

Plus de la moitié de la surface du Bangladesh n’est qu’à peine à cinq mètres au dessus du niveau de la mer. Une montée des eaux de mer d’un mètre submergerait un cinquième du pays et transformerait 30 millions de personnes en “réfugiés climatiques”. Le problème lancinant des réfugiés climatiques deviendra un problème majeur dans les prochaines décennies au Bangladesh. Beaucoup des villes principales sont déjà sous pression, particulièrement la capitale Dacca. En 1974 la population de Dacca était de 177 000 habitants, en 2017 ils sont 1.8 millions. D’ici à 2035, ce sera 3.5 millions (selon un rapport de la Banque Mondiale). Deux mille personnes venant de différentes parties du pays arrivent chaque jour à la recherche d’un emploi ou d’un abri. Les 10 villes les plus dangereuses dans le monde à cause du changement climatique incluent Dacca. “Les réfugiés climatiques globaux” seront confrontés à des frontières de plus en plus protégées, comme c’est le cas de l’Inde, qui militarise sa frontière avec le Bangladesh, au point qu’il y a déjà des morts signalées chaque mois.

L’agriculture au Bangladesh dépend largement de facteurs climatiques. Un cyclone peut détruire une part signifiative de la récolte de la saison. Le cyclone Sidr a détruit quasiment 95 pour cent des récoltes dans les districts côtiers quand il a frappé le Bangladesh en 2007 (ABD, 2013). Le cyclone Aila a innondé quasiment 200 000 acres de terre agricole avec de l’eau salée (97 000 acres d’Aman sont complètement détruits) et 300 000 personnes ont été déplacées ( 243 000 maisons ont été complètement dévastées). La salinité acrrue des sols et les températures maximales vont conduire à une décroissance du rendement du riz. Un changement de température pourrait aussi faire diminuer la production de pommes de terre de plus de 60%. Les crues éclair de 2017 à Haor ont réduit la production de riz de près de 15.8 millions de tonnes. La recherche a montré une diminution de 69% de la production de riz dans les villages côtiers en 18 ans. Environ ⅓ de la région du Bangladesh est influencée par les marées de la Baie du Bengal.

Pour faire face aux crises climatique et alimentaire le gouvernement promeut des entreprises privées du secteur agro-alimentaire, plus d’investissements dans les semences, des fertilisants et des équipements, en adoptant des semences hybrides et en imposant les OGM au nom de la sécurité alimentaire. Le Bangladesh a déjà lancé la première culture d’OGM Brinjal en 2014. Une pomme de terre OGM est dans les tuyaux et le gouvernement a annoncé des plans pour la commercialisation du premier riz génétiquement modifié Golden Rice en 2018. Tout ceci plutôt que de protéger les paysans et d’encourager la petite agriculture agroécologique.

La stratégie de la Banque Mondial et d’autres bailleurs de fonds interationaux pour la “sécurité alimentaire” gérée par les entreprises est une stratégie risquée pour l’agriculture dans le contexte du changement climatique. Leur intérêt véritable derrière cette politique est de permettre aux entreprises transnationales de semences et d’agrochimie d’accéder aux marchés agricoles du Bangladesh. Par conséquent, il est important de promouvoir les droits des paysans à des semences et d’autonomiser les communautés afin qu’elles puissent protéger leur propre mode de subsistance. Promouvoir la souveraineté alimentaire est la meilleure alternative pour la politique agricole actuelle au Bangladesh.

Le changement climatique, la souveraineté alimentaire et l’agriculture comprennent les problèmes politiques multidimensionnels du bien-être humain, de la gestion environementale et de la bonne gouvernance. Par conséquence, n’importe quelle stratégie pour aborder la souveraineté alimentaire et l’agriculture durable intégrant le changement climatique devraient considérer les moyens de subsistance comme composante fondamentale. Une approche écosystèmique de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire devrait être inclue dans les politiques nationales et les plans d’action pour réduire la vulnérabilité au changement climatique.

L’écho des campagnes 2

La récolte des fraises : une forme moderne d’esclavage

Mohammed Hakach, Fédération Nationale du Secteur Agricole, Morocco

Il fallait plus de 10 ans pour que la réalité de milliers d’ouvrières agricoles Marocaines en Espagne se manifeste. Une réalité caractérisée par la souffrance, l’isolement, l’exploitation et les différents types d’harcèlement. Les femmes rurales Marocaines sont exportées « légalement », dans le cadre de l’immigration prénommée « circulaire » , par le biais de l’agence ANAPEC sous tutelle du ministère de l’Emploi, pour travailler temporairement dans les champs de fraise au sud de l’Espagne .

Le calvaire de ces damnées de fraise commence par le recrutement et se termine par les conditions inclémentes de travail et de séjour.
Pour être recrutée, le patronat agricole espagnole exige des conditions qui nous rappelle le commerce des esclaves de l’ile de gouré au Sénégal. La candidate doit être jeune, mère d’enfants de moins de 13 ans, ayants des mains sillonnées et fissurées, preuve de ruralité, et avoir une silhouette convenable à la taille des serres.

Quant aux conditions de travail, d’hébergement et de salaire les révélations des victimes ainsi que les reportages médiatiques sont unanimes. C’est de l’esclavagisme moderne.
La Fédération Nationale su Secteur Agricole par le biais de son organisation des femmes du secteur agricole n’a pas cessé de dénoncer les exactions subies par les travailleuses agricoles immigrées. Elle considère la situation actuelle insupportable. L’Etat Marocain et L’Etat espagnole sont les premiers responsables.

L’écho des campagnes 3

Une lettre d’une mère

Les lettres rédigées par les migrants sont une source d’information précieuse sur leur situation, leurs périples et sur les abus qu’ils subissent. Ils sont aussi un aspect important de la littérature migratoire. Plusieurs lettres d’adieux ont été trouvées dans les poches de migrants noyés dans la Méditerranée ou ont été rédigées par des migrants en détresse car en prison. Nous avons choisi cette lettre envoyée par une mère à un association de soutien aux immigrants après avoir été séparée de son enfant à la frontière américaine.

Je m’appelle Claudia. Mon histoire commence quand j’ai traversé la rivière le 21 mai 2018. L’immigration m’a prise ce même jour. J’arrivais avec mon fils Kévin. Ils ont noté nos informations et nous ont emmené dans la glacière où nous avons passé trois heures. Ils nous ont ensuite transferré dans un autre endroit qu’ils appellent le chenil. Mon fils et moi étions là. Il était très inquiet et me disait qu’il ne voulait pas de cette nourriture, que nous étions prisonniers et le 23 de ce même mois ils m’ont séparé de lui avec des mensonges et cela m’a terriblement blessée parce qu’ils ne m’ont pas permis de lui dire au revoir.

Je lui ai seulement dit qu’ils m’emmenaient faire des examens médicaux, mais en réalité ils m’emmenaient à la cour criminelle. Supposément, en rentrant de la cour, nous serions réunis avec eux mais ce n’a pas été le cas. J’ai tellement pleuré. J’ai senti que je perdais la raison, et que quelque chose manquait dans ma vie. Je n’étais pas complète. Ils m’ont transférée à Laredo. Là je suis restée 12 jours, ensuite à Taylor où j’ai passé 24 jours. Mon entretien de peur crédible a été refusé et je vais voir le juge. Mais ce n’est pas juste. Mon fils est détenu depuis si longtemps. Une personne vient dans ce pays pour demander l’asile, pas pour être emprisonnée comme un criminel et pour qu’ils vous prennent votre fils. Pendant tout ce temps nous n’avons pu parler que trois fois et la dernière fois il m’a dit qu’il était triste et a demandé “quand serons nous ensemble ?” et cela a brisé mon coeur. Nous voulons la justice et qu’ils nous réunissent rapidement avec nos enfants. Nous sommes des êtres humains et il y a beaucoup d’autres mères qui souffrent. 28 juin 2018

Texte original en espagnol.

L’écho des campagnes 4

La Nakba palestinienne : un processus continu de déplacement et d’exile

Aghsan Albarghouti, Union des Comités de Travail Agricole, Palestine

Soixante-dix longues années se sont écoulées depuis la Nakba palestinienne de 1948, quand plus de 700 000 Palestiniens furent forcés à quitter leurs terres, leurs fermes et leurs maisons pour se réfugier dans des camps dispersés en Cisjordanie, dans la Bande de Gaza et dans les pays arabes voisins. Aujourd’hui, la population de réfugiés palestiniens se compte en millions, dispersés dans de nombreuses villes à travers le monde.

Soixante-dix ans plus tard, et la Nakba continue. Elle continue alors que des milliers de Palestiniens sont déplacés de force de leurs terres et de leurs maisons, non seulement en Palestine mais aussi dans les pays voisins. Elle continue alors que des réfugiés palestiniens en Iraq et Syrie ont été forcés de quitter leurs maisons à plusieurs reprises au fil des années. Elle continue comme le reflet des difficultés et dures conditions de vie des réfugiés au Liban.

La Nakba continue avec la poursuite de l’occupation de la Cisjordanie et de la Bande de Gaza ; avec les politiques israéliennes de dépossession et démolitions de logements ; avec les guerres menées par Israël contre les Palestiniens vivant dans la Bande de Gaza ; avec les colonies qui continuent d’être installées sur les terres palestiniennes ; avec les agressions par les colons sanctionnées par l’Etat occupant, et avec la tentative de renforcement du contrôle israélien de la ville occupée de Jérusalem et d’expulsion des habitants palestiniens de la ville.

La loi de l’Etat-nation d’Israël récemment adoptée est un autre reflet de la perpétuation de la violence originelle contre le peuple indigène palestinien. Cette loi qui sanctionne les politiques israéliennes omniprésentes d’apartheid cherche à encore davantage débarrasser la terre de Palestine de ses habitants d’origine comme l’Etat occupant d’Israël continue de le faire.

De toute évidence, la persistance de la Nakba contre le peuple palestinien à l’intérieur et en-dehors de la Palestine requiert l’action collective et une réelle solidarité pour obtenir une justice qui comprend le retour des réfugiés à leur domicile, et la liberté de notre terre.

L’écho des campagnes 5

Crises et luttes comme survivre à Amarbail

Forum des Pêcheurs du Pakistan, membre du WFFP

Le mot “migrant” est une marque de tragédie et la lutte des migrants pour respirer est la même que celle d’un arbre se battant pour survivre au gui (Amarbail).Être un migrant n’est pas un crime mais ils sont forcés de vivre une vie pire que celle d’un prisonnier à travers le monde.

Il y a un nombre important de migrants à Karachi (surtout Bengalais et Birmans). Ils vivent près de la mer et côté de la zone industrielle. La plupart travaille dans des emplois liés à la pêche ou en tant qu’ouvriers. Leur crise commence par leur combat pour obtenir une Carte Nationale d’Identité (CNI) qui est un prérequis pour que les droits humains fondamentaux leur soient officiellement accordés, tels que l’accès à l’éducation, aux soins de santé et de meilleurs emplois.

Les opportunités qui génèrent un revenu sont tellement limitées pour les pêcheurs migrants qu’ils vivent bien en-dessous du seuil de pauvreté au Pakistan. La principale raison est l’absence de CNI. Ils n’ont pas le droit de postuler pour des postes au gouvernement ou de naviguer des bateaux en mer pour pêcher.Les seuls gagne-pains pour eux sont le travail d’ouvrier sur les bateaux ou le décorticage de crevettes chez eux sans aucune protection légale. Ils ne reçoivent pas le salaire qui leur est dû à cause de leur statut légal.

Le seul système de santé auquel ils ont accès est un service à l’extérieur des hôpitaux.Sans CNI, leurs patients ne sont ni admis dans les cas extrêmes, ni transfusés du sang de banques de sang.

Les enfants de migrants sont obligés de quitter l’école à la fin de l’école primaire et sont poussés vers l’analphabétisme même au 21ème siècle. Avec l’introduction de nouvelles restrictions à l’admission en école primaire, même leurs espoirs d’éducation primaire sont en train de s’évanouir. Cela est totalement contraire aux obligations de l’Etat : « l ‘Etat doit offrir une éducation gratuite et obligatoire à tous les enfants ».

A cause du manque d’éducation, d’emplois et autres nécessités, les jeunes sont impliqués dans le trafic de drogues et la criminalité de rue pour satisfaire leurs besoins financiers.

Les pêcheurs de la génération actuelle au Pakistan ne sont pas des migrants. Ils sont là en raison de la migration de leurs ancêtres. Le NADRA (service national chargé de la base de données et des d’enregistrements) va à l’encontre la loi pakistanaise sur la citoyenneté de 1951 (Pakistani Citizenship Act) qui affirme que « toute personne née au Pakistan après le commencement de cette loi est citoyenne du Pakistan de naissance », en refusant de délivrer une CNI.

Les communautés bengales estiment que leurs voisins sont chaleureux et leur offrent un soutien pour résoudre les problèmes quotidiens. La société pakistanaise est très accueillante mais les départements les empêchent de s’intégrer dans la société.

L’écho des campagnes 5

Des crises et des luttes. Survivre à l’étouffement de l’Amarbail

Forum des pêcheurs du Pakistan, membre de WFFP

Le terme « migrant » est synonyme de désastre et renvoie à la lutte des migrants pour résister à l’étouffement, de la même façon que l’arbre tente de survivre à l’emprise du gui (Amarbail). Être un migrant n’est pas un crime, et pourtant, dans le monde entier, des migrants sont contraints de vivre une existence pire que l’emprisonnement.

Le nombre de migrants à Karachi, en particulier des Bengalis et des Birmans, est significatif ; ils vivent près de la mer, à côté de la zone industrielle. La plupart d’entre eux exercent des professions liées à la pêche ou sont journaliers. Leur crise a commencé avec la lutte pour l’obtention de la carte d’identité nationale, qui est une exigence préalable à l’obtention des droits de l’homme les plus élémentaires, comme l’accès à l’éducation, à la santé et à de meilleurs emplois.

Les opportunités de gagner de l’argent sont tellement limitées pour les pêcheurs migrants qu’ils vivent bien en-deçà du seuil de pauvreté pakistanais, et cela est principalement dû au fait qu’ils n’ont pas de cartes d’identité. En effet, ils ne peuvent pas postuler à la fonction publique, ni être embarqués sur des navires pour pêcher. La seule façon pour eux de gagner leur pain quotidien est de travailler comme journaliers sur des navires ou de décortiquer des crevettes chez eux, sans aucune protection juridique. À cause de leur statut juridique, ils ne peuvent pas prétendre à des salaires légaux.

Le seul service de santé dont il peuvent bénéficier est celui des services extérieurs des hôpitaux. À défaut de carte d’identité, les patients traités par ces services ne sont pas admis si leur cas est grave et ne peuvent pas bénéficier du don du sang.

Les enfants des migrants sont obligés de quitter le système scolaire dès la fin du cycle élémentaire et sont ainsi poussés, en plein 21e siècle, vers l’illettrisme. Avec l’introduction d’une loi imposant de nouvelles restrictions à l’admission dans les écoles primaires, même l’espoir qu’ils reçoivent une éducation élémentaire est en train de s’évanouir. Cette loi est totalement opposée aux obligations de l’État, qui est pourtant tenu de « fournir une éducation gratuite et obligatoire à tous les enfants. »

À cause du manque d’éducation, d’emplois et d’autres produits de première nécessité, les jeunes sont impliqués dans des trafics de drogue et dans la délinquance de rue, ce qui leur permet de pourvoir à leurs besoins financiers.

La génération actuelle de pêcheurs au Pakistan ne sont pas des migrants. Ils résident dans ce pays suite à la migration de leurs ancêtres. En refusant de délivrer leur carte d’identité aux migrants, l’autorité nationale responsable de la base de données et de l’enregistrement (National Database & Registration Authority, NADRA) va à l’encontre de la loi pakistanaise de 1951 relative à la citoyenneté, qui stipule que « chaque personne née au Pakistan suite à l’entrée en application de cette loi sera citoyen pakistanais de naissance ».

Les communautés bengalaises pensent que leurs voisins sont accueillants et qu’ils peuvent les aider à résoudre les problèmes quotidiens. La société pakistanaise est effectivement très hospitalière, mais ce sont les autorités qui refusent aux migrants la possibilité de s’y insérer .

L’écho des campagnes 6

Travailleurs saisonniers migrants dans le sud de l’Italie

Unione Sindacale di Bas, Italie

Le syndicat italien Unione Sindacala de Base (USB) entend représenter, défendre et promouvoir les droits des travailleurs et des travailleuses et s’opposer à la fragmentation des luttes des travailleurs en les mettant en contact et en unissant ceux d’un même territoire.

En Italie, les travailleurs saisonniers agricoles, qui viennent en grande partie d’Afrique et du Moyen-Orient, sont confrontés à de terribles conditions d’exploitation, de répression et de discrimination raciale. Cette situation découle d’un modèle de production industrielle qui repose sur l’exploitation des travailleurs agricoles et des paysans. En Italie, la situation est encore aggravée par une loi sur l’immigration inspirée par la droite, qui force les migrants à avoir un contrat de travail afin d’obtenir un permis de résidence temporaire. Cette obligation a entraîné le développement d’un marché noir où les travailleurs migrants doivent accepter des conditions de travail inhumaines dans l’espoir de ne pas être déportés.

En Italie du Sud, en particulier dans les régions des Pouilles, de Basilicate et de Calabre, les saisonniers migrants sont surtout embauchés pour la récolte des agrumes, des tomates et des olives, en fonction de la saison. Ils vivent parqués dans des camps, des usines abandonnées ou des hangars, dans des conditions inhumaines. Ils travaillent pour deux euros de l’heure, dans d’extrêmes conditions, et subissent violences et menaces. L’une des victimes les plus récentes est Soumaila Sacko, un syndicaliste et travailleur malien de 29 ans, qui a été assassiné dans la plaine de Giogia Tauro, près de Reggio de Calabre. Soumaila était à la recherche, avec deux compatriotes, d’assiettes pour son baraquement lorsqu’il a été abattu d’une balle dans la tête.

Cet événement tragique a poussé l’USB à organiser de nombreuses mobilisations dans plusieurs villes italiennes, pour exiger que justice soit rendue et que les droits des travailleurs soient respectés. Cet événement a été couvert par les médias nationaux et a permis à l’USB de lancer un dialogue avec le ministère de l’agriculture et le ministère du travail.

Les travailleurs, tout comme les paysans, sont le dernier lien de la chaîne de production et les paysans sont souvent contraints d’exploiter des travailleurs, parce qu’ils se trouvent piégés dans l’engrenage de la production.

USB, La Via Campesina et Crocevia proposent une position novatrice : il n’est pas question de prendre partie pour les paysans ou les travailleurs, mais de les rassembler afin d’unifier la lutte contre un modèle de production qui étouffe les paysans et ne leur permet pas de dégager un revenu décent, précipitant ainsi l’exploitation des travailleurs saisonniers migrants.

Soumahoro Aboubakar a déclaré : « Nous demandons que les droits des travailleurs, hommes et femmes, quelle que soit leur couleur de peau, soient reconnus et respectés. Dans cette plaine de Calabre, comme dans de nombreux autres endroits, des travailleurs et des travailleuses ont décidé de briser les chaînes de l’exploitation, car ils pensent qu’en étant unis, nous pouvons réellement faire appliquer nos droits, alors que nous n’irons nulle part si nous restons divisés, en particulier dans le contexte d’une “campagne de haine” permanente et systématique. »

Encadres

Encadré 1

Lettre ouverte au Forum Mondial sur la Migration et le Développement

À l’attention de la société civile,
À l’attention des institutions multilatérales,
Et à l’attention des mouvements de migrants et de réfugiés,

Le collectif Nyeleni, qui promeut la souveraineté alimentaire comme une alternative susceptible de ralentir la débâcle migratoire actuelle, entreprend, plein d’espoirs, de relayer les initiatives issues de la société civile et les propositions des institutions multilatérales pour trouver une porte de sortie à la situation actuelle afin, en principe, de garantir l’intégrité humaine et le plein respect des droits des migrants et des réfugiés. À ce sujet, nous tenons à exprimer nos inquiétudes quant au tour que prend le processus du Pacte mondial sur les migrations, qui doit être formalisé au Maroc les 10 et 11 décembre prochains. Nous profitons également de l’occasion pour présenter notre position novatrice sur ce processus et pour réaliser nos propres propositions.

Nous sommes préoccupés par le fait que le Pacte mondial sur les migrations s’est détourné de l’aspect crucial des droits de l’homme des migrants et des réfugiés. En effet, le Pacte ne mentionne pas certaines des caractéristiques de la crise migratoire, utilisant des euphémismes comme « les besoins des migrants en situation de vulnérabilité » et « le respect, la protection et la jouissance des droits de l’homme par tous les migrants », mais a également recours à des expressions comme « promouvoir la sécurité et la prospérité dans nos communautés », ce qui signifie que le respect des droits passe après la préservation de la sécurité intérieure et de l’économie.

Il s’agit d’une déclaration extrêmement grave, en particulier dans le contexte actuel, alors que la crise migratoire a pris une ampleur tragique encore inédite dans l’histoire contemporaine. Les familles déchirées à la frontière entre le Mexique et les États-Unis et le confinement des enfants migrants dans des camps de concentration au Texas, le nombre incalculable de morts parmi les réfugiés, en particulier des enfants, des femmes et des personnes âgées qui se noient dans la Méditerranée, les violentes attaques racistes et fascistes dans des grandes villes et les multiples actions intentées contre les migrants dans le monde entier poussent la civilisation à des niveaux de déshumanisation et de barbarisme qui nous ramènent aux plus sombres heures de notre récent passé.

Et pourtant, le titre du Pacte lui-même, « pour des migrations sûres, ordonnés et régulières », indique que l’approche des États est opportuniste et qu’elle vise à favoriser le capital. En d’autres termes, les États, en particulier les plus puissants, considèrent que les migrations génèrent de la force de travail bon marché et disciplinée, permettant ainsi d’accumuler de la richesse et du capital. De la même manière que le système a fait reposer le fardeau de la crise financière de 2008 sur les migrants, il tente maintenant de faire de la tragédie de la migration une opportunité d’augmentation du profit pour les plus riches de ce monde.

Il est également particulièrement inquiétant de constater les différences de traitement entre les migrants et les réfugiés, qui contribuent à masquer le fait que l’expulsion des migrants de leurs terres pour des raisons économiques ou à cause de catastrophes climatiques et l’expulsion des migrants qui fuient des guerres d’occupation et des pillages obéissent aux mêmes raisons inhérentes à la structure du système. Les regards se détournent des forces qui précipitent la migration, de même que des raisons qui poussent à l’exode, et c’est pourtant là qu’il faut viser pour lutter contre les causes structurelles de la migration.

Nous tenons ainsi à exprimer nos inquiétudes, mais également notre ferme volonté de mettre en œuvre des propositions permettant de trouver une issue au drame migratoire.

L’une de ces propositions est d’intensifier notre lutte pour la souveraineté alimentaire, afin que nul ne soit contraint d’abandonner son village pour se nourrir ou pour assurer la subsistance de sa famille. Cela nécessite de lutter pour une charte sur les droits des paysans et pour des réformes de la politique agricole qui soient populaires, publiques et menées par l’État. Il faut également, dans un même temps, mettre un terme à l’appropriation des terres et des ressources naturelles des peuples, ainsi qu’à la spéculation qui en découle, en particulier en stoppant les guerres d’occupation.

Nous avons d’autres propositions que nous souhaitons partager avec la société civile et les institutions multilatérales, et nous n’allons pas nous en priver.

La Via Campesina sera présente au Maroc en décembre pour la formalisation du Pacte mondial sur les migrations, afin de rendre publiques toutes ces préoccupations et de partager nos propositions. La délégation sera menée par nos frères et nos sœurs de la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord et par une délégation internationale organisée depuis nos régions par l’organisation confrère FNSA (Fédération nationale du secteur agricole).

Nous espérons faire entendre notre message à tous ceux qui veulent bien nous entendre et à tous ceux concernés par le Pacte mondial sur les migrations qui considèrent, vu la catastrophe migratoire causée par le capital, qu’il vaut mieux essayer de mettre en œuvre un Pacte mondial pour la solidarité.

Encadré 2

La charte du Manden

Les Etats membres de l’ONU s’apprêtent à voter la déclaration des droits des paysan.ne.es Déclaration sur les droits des paysans et autres personnes travaillant en zones rurales en septembre à New York. Mais l’une des premières déclarations des droits fondamentaux fut la charte du Manden, proclamée dans la société des chasseurs malinkés, en 1222 au Mali. La déclaration faisait office de constitution mais avait une portée universelle puisqu’elle s’adressait au monde entier. Elle garantissait le respect de la vie humaine et de l’égalité, l’abolition de l’esclavage et de la faim ! La charte du Manden est inscrite en 2009 par l’Unesco sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’humanité. Extraits:

Préambule
Le Manden fut fondé sur l’entente et l’amour, la liberté et la fraternité. Cela signifie qu’il ne saurait y avoir de discrimination ethnique ni raciale au Manden. Tel fut le sens de notre combat.

article 1 – Les chasseurs déclarent : Toute vie humaine est une vie. Il est vrai qu’une vie apparaît à l’existence avant une autre vie. Mais une vie n’est pas plus « ancienne », pus respectable, qu’une autre vie. De même qu’une vie n’est pas supérieure à une autre vie.

article 5 – Les chasseurs déclarent : La faim n’est pas une bonne chose; L’esclavage n’est pas une bonne chose; Il n’y a pas pire calamité que ces choses-là Dans ce bas-monde. Tant que nous détiendrons le carquois et l’arc, la faim ne tuera plus personne au Manden, Si d’aventure la famine venait à sévir; La guerre ne détruira plus jamais de village au Manden Pour y prélever des esclaves;

article 7 – L’Homme en tant qu’individu, se nourrit d’aliments et de boissons; Mais son « âme », son esprit vit de trois choses : Voir qui il a envie de voir, dire ce qu’il a envie de dire, et faire ce qu’il a envie de faire; En conséquence, les chasseurs déclarent : Chacun dispose désormais de sa personne, chacun est libre de ses actes, tel est le serment du Manden, À l’adresse des oreilles du monde entier.